Mardi 12 octobre 2021

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Proposition de loi visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles - Examen du rapport pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons cet après-midi la proposition de loi visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles qui a été transmise au Sénat par l'Assemblée nationale le 29 janvier dernier. Ce texte, déposé à l'origine par des députés du groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés, comprend désormais huit articles.

Dire que nous examinons cette proposition de loi en première lecture ne serait pas tout à fait exact : en effet, les dispositions qu'elle comporte s'inspirent largement d'une autre proposition de loi sénatoriale, déposée par notre collègue Nicole Bonnefoy et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER)et adoptée par le Sénat le 14 janvier 2020 à l'unanimité des présents, dont notre commission s'était également saisie pour avis et pour laquelle elle avait bénéficié d'une délégation au fond de la commission des finances pour traiter deux des cinq articles que le texte comprenait initialement.

La proposition de loi des députés que nous examinons aujourd'hui concerne l'un des champs privilégiés de l'expertise de notre commission, à savoir la prévention des risques naturels, et six des huit articles qui le composent entrent dans le champ de la délégation reçue par notre commission au moment de l'examen du texte de Nicole Bonnefoy et des membres du groupe SER. Il ne contient pas de disposition fiscale ou de disposition relative à des lois de finances, qui avaient justifié le renvoi de la proposition de loi du groupe SER à la commission des finances.

Ce texte a cependant été envoyé au fond à la commission des finances, au regard de certaines dispositions assurantielles dont elle avait eu à connaître dans le cadre du texte du groupe SER.

La commission des finances nous a délégué au fond trois articles : il s'agit des articles 2, 4 et 7, sur lesquels notre collègue Pascal Martin a été désigné en qualité de rapporteur. Notre commission a également décidé de se saisir pour avis des articles 1er et 8, sur lesquels Nicole Bonnefoy a été désignée comme rapporteure pour avis.

Je crois savoir que les deux corapporteurs de la commission ont travaillé en concertation, ce dont je me réjouis s'agissant d'un sujet très important pour les communes et les sinistrés d'évènements climatiques exceptionnels.

Le calendrier était resserré puisque le texte sera examiné en séance le 21 octobre prochain. Je vous remercie donc de la disponibilité dont vous avez fait preuve et sans plus attendre vous laisse la parole pour présenter votre rapport et la position que vous proposerez à la commission de définir. Je salue aussi la présence parmi nous de Christine Lavarde, rapporteur pour la commission des finances.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis. - Nous sommes amenés à nous prononcer pour la deuxième fois en deux ans sur la réforme du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

Vous connaissez l'implication qui a été la mienne, la nôtre, sur ce sujet et les travaux de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques, dont j'étais rapporteure et qui était présidée par notre ancien collègue Michel Vaspart.

Je rappelle que ce travail avait été à l'époque unanimement salué et que la proposition de loi, conçue pour traduire une quinzaine de propositions de la mission sur une cinquantaine de propositions au total, avait été adoptée à l'unanimité des présents par le Sénat en janvier 2020.

Au moment d'examiner le texte qui nous est soumis par les députés et le Gouvernement, qui a d'ailleurs engagé la procédure accélérée pour tenter de le faire aboutir avant les élections de 2022, je suis partagé entre deux sentiments contradictoires.

Le premier est la satisfaction de voir que nous allons enfin avancer dans le sens d'une plus grande transparence sur la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, dans le sens d'un meilleur accompagnement des élus par les services de l'État face aux évènements climatiques exceptionnels - qui deviennent de plus en plus fréquents - ou encore dans le sens d'une meilleure indemnisation des sinistrés.

Le second sentiment est la déception et j'ai plusieurs regrets à la lecture de ce texte.

Un regret sur la procédure d'abord : je regrette que le Gouvernement ne soit pas reparti du texte que nous avions transmis aux députés il y a plus d'un an pour conduire cette réforme nécessaire de l'indemnisation des catastrophes naturelles. Je comprends l'argument de la procédure accélérée, qu'il n'était pas possible d'engager après la première lecture du texte au Sénat. Toutefois, je considère que le Gouvernement ne s'est pas donné les moyens de travailler le texte que nous lui avons soumis dans des délais sereins et ne s'est pas donné les moyens de le faire aboutir dans le cadre d'une procédure normale de bicamérisme, qui fait la force du travail parlementaire, alors que cela aurait été possible.

Ensuite, je regrette que la proposition de loi des députés n'aille pas aussi loin que je l'aurais souhaité sur deux sujets. D'abord, la dimension financière du texte est limitée au volet « indemnisation des sinistrés », qu'elle traite d'ailleurs partiellement, et ne comporte pas de mesures d'accompagnement sur le volet prévention pour soutenir les particuliers dans le diagnostic de la vulnérabilité de leurs habitations puis dans le renforcement de la résilience de leurs bâtiments. Je ne retrouve pas d'éléments importants tels qu'un crédit d'impôt ou de nouvelles aides pour soutenir les particuliers. En outre, les dispositions de l'article 5, dont nous aurons l'occasion de reparler en séance, ne me semblent pas satisfaisantes pour traiter la situation des sinistrés exposés aux mouvements de terrain consécutifs du retrait-gonflement des argiles.

Second point : les dispositions relatives au traitement du retrait-gonflement des argiles issu des phénomènes de sécheresse-réhydratation des sols sont clairement en deçà des enjeux. Les députés nous proposent une demande de rapport du Gouvernement au Parlement alors que le rapport est quasiment déjà rédigé par plusieurs inspections. Lorsque j'avais interrogé les services de l'État, en particulier Bercy à travers la direction générale du Trésor, sur la prise en charge de ce risque, on m'avait dit : « Attendez encore un peu, 6 mois, 1 an, et nous vous proposerons une réforme ». Lorsque nous avons mené les auditions sur ce texte avec Pascal Martin, les mêmes arguments ressortent : « Nous travaillons sur ce sujet depuis 30 ans mais laissez-nous encore 6 mois, 1 an, pour proposer une réforme ». J'avoue que je m'interroge parfois sur l'activité réelle de ces services ou alors sur leur volonté de répondre aux préoccupations d'intérêt général de nos concitoyens, ce qui doit pourtant être la boussole des fonctionnaires, sauf erreur de ma part.

Je rappelle que la proportion de dossiers « sécheresse » est supérieure à 60 % dans les dossiers traités chaque année par la Commission interministérielle de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle depuis 2017. Si les nouveaux critères posés pour la sécheresse depuis la circulaire du 10 mai 2019 ont conduit à une hausse importante du taux de reconnaissance en catastrophe naturelle des épisodes de sécheresse, il reste encore beaucoup à faire. Je rappelle également que le nombre de recours gracieux déposés contre les décisions de non-reconnaissance varie entre 300 et 400 par an et concerne à plus de 90 % le phénomène de sécheresse-réhydratation des sols. En outre, au 1er janvier 2021, sur les 466 recours contentieux pendants devant les juridictions administratives, 93 % concernent des décisions adoptées par la Commission interministérielle en matière de sécheresse-réhydratation des sols.

Notre corapporteur Pascal Martin nous proposera des amendements intéressants sur le sujet, qui vont dans le sens d'une meilleure connaissance des risques et de leur appréhension par les services de l'État, les communes et les habitants mais les règles constitutionnelles, notamment de recevabilité financière des amendements, nous empêchent malheureusement d'aller beaucoup plus loin et de traiter le volet indemnitaire.

En outre, les délais très contraints pour l'examen de ce texte ne nous permettaient pas de mener des consultations nécessaires avec les parties prenantes pour définir un régime adapté et ambitieux.

C'est pourquoi j'ai déposé deux amendements au nom du groupe SER, qui traitent de ce sujet et reprennent des dispositions adoptées par le Sénat lors de l'examen de la proposition de loi que nous avions déposée avec le groupe SER en 2019, à savoir la mise en place d'un crédit d'impôt et l'instauration d'une prescription quinquennale, en matière assurantielle, pour les dommages résultant du retrait-gonflement des argiles (RGA). Ils seront examinés par la commission des finances demain.

Après cette introduction, où je tenais à rappeler le contexte d'examen de ce texte, j'en viens à la présentation des deux articles dont la commission m'a confié l'examen pour avis et sur lesquels je n'aurai pas de proposition d'amendements à vous soumettre, car je considère que le texte qui nous est proposé par les députés est globalement satisfaisant.

L'article 1er vise à modifier la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle en prévoyant la motivation systématique des décisions interministérielles de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, là où les communes sont parfois dans l'incompréhension face aux décisions des ministres. L'article clarifie également les conditions dans lesquelles il sera possible d'accéder aux rapports d'expertise ayant fondé cette décision, ainsi que les voies pour former un recours contre la décision interministérielle, le cas échéant. Ces dispositions explicitent le droit en vigueur et apportent certains ajustements qui vont dans le bon sens.

L'article 8 constitue une reprise intégrale de trois alinéas de l'article 4 de la proposition de loi que nous avions déposée avec le groupe SER. Il permet d'allonger de 18 à 24 mois le délai laissé aux communes pour présenter une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, ce qui est particulièrement nécessaire dans le cas des phénomènes de sécheresse-réhydratation des sols, dont les effets peuvent mettre du temps à apparaître.

Comme je vous le disais, je n'ai pas d'amendement à vous proposer sur ces deux articles. Les amendements déposés par le rapporteure de la commission des finances apportent des ajustements à la marge, qui n'appellent pas d'observation particulière de ma part à ce stade.

Les dispositifs qui me tiennent le plus à coeur concernent le crédit d'impôt pour les particuliers et la prescription quinquennale pour le risque sécheresse, car c'est actuellement, à mon sens, la seule solution à impact que nous ayons en l'absence de proposition du Gouvernement.

Avant de conclure, je souhaite remercier Pascal Martin pour la collaboration qui a été la nôtre sur ce texte. Nous aurons l'occasion de rediscuter de certains sujets en vue de l'examen du texte en séance publique la semaine prochaine. Il est probable que je redépose certains amendements, en fonction des résultats de l'examen du texte qui aura lieu en commission des finances demain.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Au moment de présenter mon rapport sur cette proposition de loi, je voudrais remercier la commission, et en particulier Jean-François Longeot et Didier Mandelli, de m'avoir fait confiance pour cette tâche.

J'avais déjà eu à connaître de ce sujet lors de l'examen du projet de loi « Climat et résilience » au Sénat mais nous n'avions pas pu maintenir en commission mixte paritaire les dispositions introduites dans le texte du Sénat compte tenu de l'opposition du Gouvernement et des députés.

Si je connaissais quelque peu le sujet, je dois dire que les conditions de préparation du rapport sur ce texte ont été contraintes, avec à peine deux semaines pour organiser des auditions et définir une position politique et technique.

Je veux remercier Nicole Bonnefoy pour notre collaboration et le travail d'auditions que nous avons mené ensemble malgré ces délais très contraints. Je salue une nouvelle fois son engagement sur ce sujet de l'indemnisation des catastrophes naturelles et de l'appréhension du risque de sécheresse-réhydratation des sols.

Les travaux qui ont été conduits au Sénat sont riches et m'ont permis de comprendre rapidement les enjeux de ce texte. Je pense à la mission d'information sénatoriale sur la gestion des risques climatiques, présidée par notre ancien collègue Michel Vaspart et dont Nicole Bonnefoy était rapporteure, et à la proposition de loi adoptée par le Sénat en janvier 2020, à l'initiative de nos collègues du groupe SER et dans un esprit transpartisan.

Avant de vous présenter le contenu des trois articles dont j'avais la charge et les orientations des amendements que je proposerai à la commission d'adopter, je voudrais vous faire part d'un sentiment général mitigé sur ce texte : certes, les dispositions que les députés soumettent à notre examen vont dans le bon sens, car elles permettront de faciliter les démarches de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, de renforcer la transparence sur cette procédure et sur les décisions ministérielles actuellement jugées opaques et complexes, de mieux accompagner les communes sur le terrain face à ce type d'évènements et d'améliorer - un peu - l'indemnisation et la prise en charge des sinistres par les assureurs. Toutefois, l'ambition globale du texte me paraît insuffisante et certaines dispositions sont en deçà de ce que l'on pouvait attendre, notamment sur l'indemnisation des sinistrés, tandis que des sujets sont largement ignorés.

Je pense en particulier au traitement des risques de mouvements de terrain consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols, phénomènes que nous appelons également le retrait-gonflement des argiles (RGA).

Alors que cette problématique est identifiée, d'après ce que nous dit Bercy, depuis de nombreuses années, je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement n'est toujours pas en mesure de proposer une réforme globale pour améliorer l'appréhension et la gestion de ce risque, traitant de l'ensemble des aspects du phénomène, de la connaissance fine des risques et de la vulnérabilité du bâti, jusqu'aux conditions d'indemnisation des sinistrés.

À cet égard, je rappelle que la nouvelle cartographie de ce risque, réalisée par les services de l'État en 2019, montre que 70 % des communes sont exposées faiblement à ce risque, soit 24 000 communes, 84 % exposées moyennement soit 29 000 communes et 35 % exposées fortement, soit 12 000 communes. Les enjeux sont donc énormes, avec près de 4 millions de maisons fortement exposées et 19 millions de maisons exposées au total.

Pour illustrer encore un peu plus l'ampleur du problème, je donnerai un chiffre : s'il fallait équiper de micropieux ou de mesures préventives et réparatrices toutes les maisons actuellement situées en zone d'aléa fort de retrait-gonflement des argiles (RGA), soit 4 millions de maisons, le coût global pourrait atteindre environ 285 milliards d'euros, 70 000 euros par maison en moyenne. C'est donc un véritable défi qui est posé à notre politique de prévention des risques naturels majeurs et qui ne trouvera, je le regrette, qu'une réponse partielle, un début de réponse, avec ce texte.

J'en viens maintenant à la présentation des articles dont j'avais la charge et des orientations des amendements que je propose à la commission d'adopter.

L'article 2 tend à instituer un référent à l'indemnisation des catastrophes naturelles auprès du préfet de département, pour informer, accompagner et conseiller les communes face aux évènements climatiques exceptionnels reconnus, le cas échéant, comme catastrophes naturelles. Il prévoit également la mise à disposition des communes de documents à destination des habitants pour améliorer la connaissance du public sur la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

La solution proposée par les députés de créer ce référent auprès du préfet me semble intéressante. Elle rejoint l'idée de Nicole Bonnefoy d'instituer une cellule de soutien aux maires dans chaque département, tout en étant plus souple. Sur cet article, je vous proposerai des améliorations rédactionnelles qui tendent à marquer l'importance de l'enjeu de la prévention des sinistres, ainsi qu'un amendement visant à prévoir que le référent devra également conseiller et accompagner les communes qui n'auraient pas vu leurs demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle satisfaites. Je vous proposerai enfin que les communes soient informées régulièrement de l'utilisation des crédits du fonds « Barnier », car l'accès à cette information peut être difficile pour les maires.

L'article 4 inscrit dans la loi la Commission interministérielle chargée d'émettre un avis sur les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle formulées par les communes, qui a été créée par une circulaire du 27 mars 1984, et tend à créer une Commission nationale consultative des catastrophes naturelles, chargée d'émettre annuellement un avis simple sur la pertinence des critères retenus pour déterminer cet état de catastrophe naturelle.

Nous savons tous que cette procédure soulève des critiques pour son caractère opaque et la technicité parfois inadaptée des critères retenus pour constater l'état de catastrophe naturelle.

Cet article va donc dans le bon sens et permettra de disposer d'une analyse critique sur l'activité de la Commission interministérielle.

Sur ces dispositions, je vous proposerai trois amendements.

Le premier vise à prévoir explicitement la présence de représentants des sinistrés au sein de la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles, à supprimer la présence de parlementaires en son sein et à lui permettre de procéder à l'audition de toute personne qui pourrait éclairer ses travaux.

Le deuxième amendement tend à prévoir explicitement que la Commission nationale consultative sera chargée d'évaluer les conditions effectives de l'indemnisation des sinistrés par les assureurs et la Caisse centrale de réassurance, afin d'aborder de manière transparente les sujets de refus de prise en compte de sinistres par les assureurs et de disposer de données partagées sur les montants d'indemnisation réellement accordés.

Le troisième amendement vise à accroître la transparence sur le fonctionnement et les travaux de la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles et de la Commission interministérielle de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle en prévoyant la transmission de documents qu'elles produisent tantôt au Conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs, qui comprend notamment six parlementaires - trois députés, trois sénateurs -, tantôt directement au Parlement.

Enfin, l'article 7 prévoit la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement sur la prévention et le traitement, notamment indemnitaire, des dommages causés par le retrait-gonflement des argiles.

Nous avons appris, lors des auditions, qu'un rapport inter-inspections serait bientôt rendu au Gouvernement sur le sujet, mais qu'il ne propose pas, à ce stade, de pistes de réforme concrètes pour bâtir un régime juridique et financier permettant de traiter globalement le problème. L'Assemblée nationale a par ailleurs demandé à la Cour des comptes de réaliser un rapport sur ce sujet, en application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Cela fait beaucoup de rapports, mais encore trop peu d'actions !

Aussi, pour avancer sur ce sujet sans pour autant inscrire des dispositifs qui n'auraient pas pu faire l'objet des concertations suffisantes avec les assureurs et les représentants des sinistrés, compte tenu des délais d'examen pour ce texte, je vous proposerai deux amendements à titre principal.

Le premier amendement vise à améliorer l'appréhension du phénomène de RGA par les pouvoirs publics en prévoyant : l'établissement d'une liste des EPCI à fiscalité propre les plus exposés à ce phénomène - l'aléa fort, représentant au total 12 405 communes, soit 35,2 % des communes ; l'obligation, pour le préfet de département, de réaliser un schéma de prévention des risques naturels majeurs spécifiquement pour ces territoires exposés au RGA, alors que l'élaboration de ce schéma est une faculté et que seule une dizaine de départements utilisent cette possibilité à l'heure actuelle ; la réalisation d'une cartographie locale, à la maille intercommunale, par le référent institué à l'article 2 de la présente proposition de loi, permettant une connaissance plus fine des effets potentiels de ce phénomène ; enfin, l'intervention d'un décret pour préciser les conditions dans lesquelles les habitants des zones concernées pourront être accompagnés sur les plans technique et financier dans la connaissance de la vulnérabilité de leurs biens, notamment par la réalisation de diagnostics, et pour le renforcement de la résilience de leurs habitations.

Enfin, le second amendement vise à compléter la demande de rapport prévu par cet article, pour que ce rapport propose des pistes permettant d'établir un régime juridique et financier global traitant de l'ensemble des aspects liés aux phénomènes de retrait-gonflement des argiles et soutenable sur le long terme, et non simplement un enchaînement de constats.

Voici les éléments dont je souhaitais faire part à la commission. Sous réserve de l'adoption des amendements que je vous présenterai, je propose à la commission d'adopter les articles que nous examinons au fond et de donner un avis favorable à l'adoption de ce texte.

Mme Christine Lavarde, rapporteur de la commission des finances. - Au fil de nos auditions, nous avons eu l'impression que l'on avait perdu du temps depuis l'adoption de la proposition de loi de Nicole Bonnefoy par le Sénat au début de l'année 2020 : plus d'un an déjà, alors que le texte actuel s'inspire largement de ses dispositions... Il aurait été plus efficace de poursuivre la navette parlementaire ! Nous aurions déjà un texte opérationnel.

Ensuite, ce texte ne traite pas l'aléa qui suscite le plus de contentieux, celui lié au retrait-gonflement des argiles (RGA). Tous les services de l'État n'ont pas la même position : certains estiment qu'il conviendrait de créer un régime d'indemnisation spécifique, d'autres que l'on peut corriger le dispositif « CatNat » actuel.

Il importe de réfléchir à la manière de nous préparer collectivement à ces risques. Les travaux de prévention pour renforcer la résilience du bâti face aux aléas climatiques sont très coûteux pour les particuliers, souvent supérieurs à la valeur de l'habitation lorsqu'il s'agit de RGA. Faut-il alors reconstruire l'existant en cas de catastrophe, ou bien favoriser une installation dans une région moins exposée ? La proposition de loi ne tranche pas la question.

De même, pour les nouvelles constructions, est-ce aux particuliers de payer les surcoûts liés à la construction d'un bâtiment résilient ? N'oublions pas que la majeure partie du territoire est concernée par le risque de RGA, y compris, je l'ai découvert à l'occasion de l'examen de ce texte, la ville de Boulogne !

Une action de l'État serait sans doute nécessaire pour nous adapter à ces nouveaux aléas, encourager de nouvelles pratiques, etc. Mais cela implique de quitter le dispositif assurantiel pour développer une logique de prévention. C'est une question essentielle pour notre politique d'aménagement du territoire, qui doit répondre aux aspirations d'une partie de nos concitoyens à vivre hors des villes. Si nous ne proposons pas de solution concrète, nous ne pourrons pas soutenir ce mouvement.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Il me revient enfin de proposer à la commission un périmètre pour le texte, en application de l'article 45 de la Constitution. Au regard des articles traités par la commission, je vous propose de considérer que le texte de la proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale comporte des dispositions relatives à la composition, aux missions, à l'organisation et au fonctionnement des instances chargées de l'instruction des demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, aux modalités d'instruction des demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et d'évaluation des critères retenus pour constater l'état de catastrophe naturelle ; à la connaissance, à la prévention et à l'indemnisation des dommages causés par les mouvements de terrain consécutifs du retrait-gonflement des argiles, en particulier les pistes de réforme pouvant être envisagées dans le cadre d'un rapport du Gouvernement au Parlement ; enfin, à l'information des collectivités territoriales, des habitants, des entreprises et des associations de sinistrés, et à l'accompagnement des collectivités territoriales, en particulier des communes, concernant les démarches visant à mobiliser les dispositifs d'aide et d'indemnisation susceptibles d'être engagés après des événements climatiques exceptionnels pouvant donner lieu à la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

M. Didier Mandelli. - Comme nos rapporteurs, je ressens une certaine amertume : que de temps de perdu, que d'énergies dépensées en vain lors du travail de la mission sénatoriale sur la gestion des risques climatiques présidée par Michel Vaspart et dont Nicole Bonnefoy était rapporteure, et sur la proposition de loi qui a suivi... Cela mériterait un courrier de protestation formelle de la part du Sénat. La navette aurait pu se poursuivre.

Au lieu de cela, nous devons refaire le travail à nouveau. Ce n'est pas une bonne façon de procéder. Il ne faut pas s'étonner que nos concitoyens s'éloignent de la politique.

Le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) dit fonds « Barnier » vise à traiter les causes, la prévention, quand le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles traite les conséquences, la prise en compte des dommages. Les crédits de ce fonds ont été intégrés au budget général : or, sur cette somme, environ un milliard d'euros, en comptant les crédits à disposition des préfectures, très peu d'argent sera consacré à la prévention des risques naturels dans les faits. Les enjeux sont pourtant considérables, comme l'ont encore montré les travaux de l'Association nationale des élus du littoral (Anel). Il est dommage que le Gouvernement ne prenne pas ce problème suffisamment au sérieux.

Mme Nadège Havet. - Ce texte s'inscrit dans un contexte marqué par la multiplication d'intempéries toujours plus violentes, qui provoquent des drames matériels et humains considérables. Il est vrai que l'on aurait pu gagner du temps dans la procédure. Ce texte est utile et très attendu, tant par les élus que par les citoyens. Notre devoir est d'accompagner les victimes. J'espère que nous saurons unir nos forces.

M. Ronan Dantec. - Ce n'est pas en procédant de la sorte que l'on unit nos forces ! On ne peut que déplorer les mauvaises manières de l'Assemblée nationale...

Comme avec la loi « Climat », on agite de grands mots - « résilience », « indemnisation des catastrophes naturelles », etc. -, sans traiter les problèmes. Le périmètre de ce texte n'est pas le bon. Je m'abstiendrai donc sur la définition du périmètre proposée par le rapporteur pour avis. On ne peut plus se contenter de bricolages, sur des aspects partiels, alors que les enjeux financiers sont considérables et qu'il en va de la solidarité entre les territoires. Les collectivités sont laissées seules face à la multiplication des risques : RGA, montée des eaux, etc. L'État doit les accompagner et les aider. Il conviendrait de fixer un cadre d'actions global pour tous ces risques, pour intégrer les documents d'urbanisme et les différents mécanismes d'information et d'indemnisation.

Mme Pompili a annoncé une nouvelle loi « Énergie-Climat » en 2023, avec un volet consacré à l'adaptation. Une concertation va s'engager et des groupes de travail vont se mettre en place. Il faudra que cette loi comporte un dispositif complet de mise en cohérence de l'ensemble des mécanismes existants et des financements. Mais tout cela implique de définir une recette financière pérenne...

EXAMEN DES ARTICLES

Article 2 (délégué)

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-21 tend à améliorer la rédaction des alinéas 2 à 4 du présent article et à prévoir l'intervention du référent auprès des communes pour les soutenir après un évènement climatique exceptionnel, même lorsque celles-ci n'ont pas vu leurs demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle satisfaites.

L'amendement COM-21 est adopté.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-22 vise à marquer l'importance de la mission d'information des collectivités territoriales par le référent préfectoral, notamment sur l'utilisation du fonds « Barnier », alors qu'aujourd'hui les élus peinent à accéder à cette information. L'amendement marque également l'importance de la prévention des catastrophes naturelles et pas seulement de leur « gestion ».

L'amendement COM-22 est adopté.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-23 vise à améliorer la rédaction de l'alinéa 8.

L'amendement COM-23 est adopté.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Avis favorable à l'amendement COM-7 rectifié qui reprend l'article 5 de la proposition de loi de Nicole Bonnefoy, adoptée par le Sénat en janvier 2020, et vise à créer une cellule de soutien aux élus. Le référent institué à l'article 2 de la PPL permettra d'accompagner concrètement les communes face aux catastrophes naturelles et il existe par ailleurs une Commission départementale des risques naturels majeurs (CDRNM), composée notamment d'élus locaux. La proposition de créer une cellule de soutien aux élus s'inscrit donc dans une logique de complémentarité.

La commission proposera à la commission des finances d'adopter l'amendement COM-7 rectifié.

La commission proposera à la commission des finances d'adopter l'article 2 ainsi modifié.

Après l'article 2 (délégué)

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-8 rectifié vise à créer un portail internet unique regroupant l'ensemble des informations sur la prévention et la gestion des risques naturels. À ce stade, j'émets un avis défavorable à cet amendement, car il s'insère mal dans le texte en l'état. Je proposerai cependant une nouvelle rédaction à notre collègue Dominique Estrosi-Sassone en vue de la séance publique, pour qu'elle puisse déposer un amendement auquel je donnerai un avis favorable.

M. Ronan Dantec. - Il existe déjà le portail DRIAS. L'État et Météo France travaillent aussi sur un portail unique qui devrait être présenté fin novembre.

La commission proposera à la commission des finances de ne pas adopter l'amendement COM-8 rectifié.

Article 4 (délégué)

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-24 vise à prévoir explicitement la présence de représentants des sinistrés au sein de la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles et à lui permettre de procéder à l'audition de toute personne qui pourrait éclairer la conduite de ses travaux. L'amendement vise aussi à supprimer la présence de parlementaires au sein de cette Commission : nous devons rationaliser notre présence dans les organismes extraparlementaires (OEP) pour concentrer notre action sur le travail parlementaire et ne pas nous retrouver en porte-à-faux par rapport à l'activité et aux décisions de ces organismes, qui dépendent tout de même du Gouvernement. En outre, inclure des parlementaires dans la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles ne me semble pas nécessaire : il y a déjà trois sénateurs et trois députés qui siègent au sein du Conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs et je vous proposerai un amendement qui prévoit la transmission de certains documents de la Commission nationale consultative et de la Commission interministérielle à ce Conseil d'orientation et au Parlement, donc cela revient au même et les parlementaires seront informés.

L'amendement COM-24 est adopté.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-25 vise à préciser et renforcer le rôle de la nouvelle Commission consultative nationale des catastrophes naturelles, en prévoyant explicitement qu'elle sera chargée d'évaluer les conditions effectives de l'indemnisation des sinistrés par les assureurs et la Caisse centrale de réassurance. C'est un enjeu très important, surtout pour le risque de sécheresse-réhydratation des sols.

L'amendement COM-25 est adopté.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Comme je vous l'annonçais, cet amendement COM-26 prévoit la transmission des travaux de la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles et de la Commission interministérielle de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, tantôt au Conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs, qui comprend notamment six parlementaires, tantôt directement au Parlement.

L'amendement COM-26 est adopté.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-9 rectifié propose que les comptes rendus de la Commission interministérielle soient rendus publics. Avis favorable.

La commission proposera à la commission des finances d'adopter l'amendement COM-9 rectifié.

La commission proposera à la commission des finances d'adopter l'article 4 ainsi modifié.

Article 7 (délégué)

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-27 vise à améliorer l'appréhension du phénomène de retrait-gonflement des argiles par les pouvoirs publics en prévoyant : l'établissement d'une liste des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre les plus exposés à ce phénomène ; l'obligation, pour le préfet de département, de réaliser un schéma de prévention des risques naturels majeurs spécifiquement pour ces territoires exposés au RGA, alors que l'élaboration de ce schéma est actuellement une simple faculté ; la réalisation d'une cartographie locale, à la maille intercommunale, par le référent institué par l'article 2 de la présente proposition de loi, permettant une connaissance plus fine des effets potentiels de ce phénomène ; enfin l'intervention d'un décret pour préciser les conditions dans lesquelles les habitants des zones concernées pourront être accompagnés sur les plans financier et technique dans la connaissance de la vulnérabilité de leurs biens et le renforcement de la résilience de leurs habitations.

L'amendement COM-27 est adopté.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-28 vise à prévoir que le rapport qui sera remis au Parlement devra également proposer des pistes permettant d'établir un régime juridique et financier global traitant de l'ensemble des aspects liés aux phénomènes de retrait-gonflement des argiles.

L'amendement COM-28 est adopté.

La commission proposera à la commission des finances d'adopter l'article 7 ainsi modifié.

Le sort et avis des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Proposition de loi visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles

TITRE Ier : Faciliter les démarches de reconnaissance de l'État de catastrophe naturelle
et renforcer la transparence des décisions

Article 2

Auteur

Objet

Sort / avis de l'amendement

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

21

Améliorer rédaction alinéas 2 à 4 et prévoir l'intervention du référent y compris auprès des communes qui n'auraient pas vu leurs demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle satisfaites

Adopté

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

22

Renforcer l'information des collectivités territoriales sur la prévention et la gestion des catastrophes naturelles et sur l'utilisation du fonds « Barnier »

Adopté

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

23

Améliorer rédaction alinéa 8 sur la mise à disposition des communes de supports de communication présentant la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle

Adopté

Mme ESTROSI SASSONE

7 rect.

Instituer une cellule départementale de soutien à la gestion des catastrophes naturelles pour les maires

Favorable

Article(s) additionnel(s) après Article 2

Mme ESTROSI SASSONE

8 rect.

Créer un portail internet interministériel unique sur la prévention des risques, la gestion de crise et l'indemnisation des sinistrés

Défavorable

TITRE II : Sécuriser l'indemnisation et la prise en charge des sinistrés

Article 4

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

24

Prévoir la présence de représentants des sinistrés au sein de la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles, supprimer la présence de parlementaires en son sein et lui permettre de procédure à l'audition de toute personne utile à ses travaux

Adopté

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

25

Prévoir que la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles sera chargée d'évaluer les conditions effectives de l'indemnisation des sinistrés

Adopté

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

26

Accroître la transparence sur le fonctionnement de la Commission nationale consultative et sur de la Commission interministérielle en prévoyant la transmission de documents qu'elles produisent tantôt au Parlement, tantôt au Conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs

Adopté

Mme ESTROSI SASSONE

9 rect.

Prévoir que les comptes rendus des débats de la Commission interministérielle sont rendus publics

Favorable

TITRE III : Traiter les spécificités du risque sécheresse-réhydratation des sols
en matière d'indemnisation et de prévention

Article 7

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

27

Évaluer et gérer les risques de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse ou à la réhydratation des sols (identification des EPCI à fiscalité propre fortement exposés, réalisation obligatoire d'un schéma de prévention des risques, réalisation d'une cartographie locale, prévoir les conditions de soutien aux particuliers pour l'identification des risques et le renforcement de la résilience du bâti)

Adopté

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

28

Prévoir que la demande de rapport devra proposera des pistes de réforme

Adopté

La réunion est close à 18 h 20.

Mercredi 13 octobre 2021

Enjeux de la COP 26 - Audition de M. Stéphane Crouzat, ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, pour les énergies renouvelables et la prévention des risques climatiques

M. Jean-François Longeot, président. - Après notre audition de la semaine passée des experts français du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), nous poursuivons aujourd'hui notre cycle d'auditions consacré à la 26e conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 26), qui se tiendra à Glasgow en novembre prochain.

Nous avons le plaisir de recevoir M. Stéphane Crouzat, ambassadeur de France chargé des négociations sur le changement climatique, pour les énergies renouvelables et la prévention des risques climatiques. Cette rencontre est l'occasion d'aborder les enjeux de cette COP et, plus singulièrement, de dialoguer sur la position française et européenne lors de ce sommet. J'en profite pour signaler à M. Crouzat que notre assemblée examinera le 2 novembre prochain une proposition de résolution au titre de l'article 34-1 de la Constitution consacrée à ces négociations, dont l'objet est d'affirmer la nécessité d'un accord ambitieux lors de la COP 26 de Glasgow afin de garantir l'application effective de l'Accord de Paris.

Tout d'abord, permettez-moi, monsieur l'ambassadeur, de rappeler quelques éléments de contexte.

Premier accord international sur le climat à caractère universel, l'Accord de Paris, adopté en décembre 2015 lors de la COP 21, consacre l'objectif d'un maintien de la température moyenne de la planète à un niveau bien inférieur à 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels. Il appelle les États parties à poursuivre les efforts pour limiter encore davantage l'augmentation de la température à 1,5 degré Celsius. Pour atteindre ces cibles, il instaure un mécanisme ascendant, reposant sur l'engagement des États à travers des contributions déterminées au niveau national, actualisées tous les cinq ans, dans la perspective d'un relèvement continu de l'ambition visant à tendre vers l'objectif collectif de long terme de neutralité carbone au cours de la deuxième moitié du siècle, les États se devant de respecter leurs propres engagements.

À plusieurs égards, la COP 26, qui se déroulera à Glasgow du 1er au 12 novembre 2021, après un report d'un an causé par la pandémie de covid-19, sera la COP la plus lourde d'enjeux depuis l'adoption de l'Accord de Paris. Elle interviendra après les échecs de la COP 24 de Katowice et de la COP 25 de Madrid, qui n'ont pas permis de trouver un consensus sur l'application de l'Accord de Paris, en particulier de ses articles 6 - relatif à la coopération interétatique - et 13 - portant sur le cadre de transparence dans l'application du traité. Cinquième conférence depuis l'adoption de l'accord, Glasgow doit également être la COP du relèvement de l'ambition et constitue de ce fait un test majeur de la robustesse du mécanisme ascendant créé à Paris en 2015. Elle marquera enfin le retour des États-Unis
- deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre - à la table des négociations, après plusieurs années de ralentissement de la négociation climatique sous la présidence Trump.

À titre liminaire, j'aimerais connaître votre appréciation générale des pré-négociations qui doivent nous conduire sur le chemin de Glasgow. L'analyse que nous pouvons en faire est pour le moins contrastée.

Côté pile, plusieurs partenaires de la France semblent aujourd'hui jouer le jeu du relèvement de l'ambition prévu par l'Accord de Paris. C'est le cas de l'Europe, qui vise désormais un objectif de réduction des émissions de 55 % en 2040 par rapport à 1990, contre 40 % auparavant. C'est aussi le cas des États-Unis : le président Biden a annoncé une cible de baisse de 50 % à 52 % des émissions de gaz à effet de serre du pays d'ici à 2030, par rapport à 2005, accroissant considérablement l'ancien engagement de Washington d'une diminution de 26 % à 28 % d'ici à 2025. C'est aussi le cas du Japon ou encore du Royaume-Uni, hôte de la COP 26, qui vise une baisse des émissions de 68 % d'ici à 2030 ! C'est un signe fort que le mécanisme créé à Paris fonctionne, au moins pour partie.

Côté face, les Nations unies estiment que cette deuxième salve de contributions nationales n'empêcherait pas une hausse considérable des températures, d'environ 2,7° C d'ici la fin du siècle. De plus, l'atteinte de cette cible suppose que les États respecteront ces engagements, ce qui n'est pas certain. Cela pose bien sûr la question du cadre de transparence, point sur lequel nous pourrons revenir dans nos échanges. De plus, plusieurs États importants n'ont toujours pas soumis leur nouvelle contribution nationale. Je pense évidemment à la Chine, qui a, malgré tout, annoncé il y a un an viser la neutralité carbone d'ici à 2060 et un pic d'émissions « autour de 2030 ».

D'où ma question : les conditions sont-elles vraiment réunies pour atteindre un accord ambitieux à Glasgow en novembre prochain ?

Sur quels partenaires extra-européens la France peut-elle s'appuyer ? Les Britanniques, hôtes de la COP, ne sont-ils pas nos meilleurs alliés, en dépit de la crise diplomatique que traversent nos deux pays ?

M. Stéphane Crouzat, ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, pour les énergies renouvelables et la prévention des risques climatiques. - Merci de cette invitation à deux semaines et demie de la COP 26. Pourquoi celle-ci est-elle importante ? Pour des raisons juridiques, d'abord, parce que l'Accord de Paris signé en 2015 prévoit un rehaussement de l'ambition tous les cinq ans. Nous y sommes. De plus, l'urgence climatique est avérée : paru en août dernier, le sixième rapport d'évaluation du GIEC estime que la fourchette basse de 1,5 degré Celsius en plus serait atteinte autour de 2030, soit dix ans avant les prévisions. Nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire, la conférence de Glasgow doit être une COP de l'ambition.

Le premier volet, concernant l'atténuation, est le plus visible par l'opinion publique. Serons-nous capables de rester sur la trajectoire de 1,5 degré Celsius ? Les nouvelles sont mauvaises : le dernier rapport de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) estime que les contributions déterminées au niveau national disponibles impliquent une hausse des émissions de 16 % entre 2010 et 2030, alors que le GIEC estimait nécessaire une diminution de 45 % pour rester sur la trajectoire de 1,5 degré Celsius. Le même rapport estime que pour le groupe des États ayant soumis des contributions déterminées au niveau national actualisées ou nouvelles au 30 juillet dernier, les émissions pourraient baisser de 12 %, loin, donc, des 45 % nécessaires. Des pays sont au rendez-vous : le G7, avec les annonces de l'Union européenne, des États-Unis, du Canada, du Japon, qui sont en ordre de bataille. Parmi les pays du G20, qui concentrent 80 % des émissions mondiales, on peut déplorer le manque d'ambition de la Russie, du Brésil, de l'Indonésie, de l'Australie, du Mexique, tandis que d'autres pays n'ont pas même rendu leurs nouveaux engagements, comme la Chine, la Turquie, l'Arabie saoudite et l'Inde.

Dans ce paysage lugubre, il y a cependant de bonnes nouvelles qui me donnent des raisons d'espérer pour le G20, qui doit se tenir fin octobre, et pour la COP de Glasgow : la Turquie a annoncé, à la surprise générale, la ratification de l'Accord de Paris, que le Parlement turc a réalisée en une semaine ; la Chine a fait une annonce très significative, au-delà de celles qu'elle avait déjà faites, avec l'engagement de ne plus construire de centrales à charbon à l'étranger ; l'Afrique du Sud a fait une nouvelle contribution très ambitieuse, pour une trajectoire conforme à l'Accord de Paris ; les Émirats arabes unis ont annoncé une neutralité carbone pour 2050, la Corée du Sud rehausse ses ambitions avec 40 % d'émissions de gaz à effet de serre en moins en 2030 par rapport à 2018. En tout, nous constatons donc une dynamique à l'approche de la COP 26, sous l'effet d'une pression diplomatique des pays du G7 en particulier.

Un deuxième sujet concerne la finance climat. En 2009 à Copenhague, les pays développés se sont engagés à mobiliser, à partir de 2020, 100 milliards de dollars par an pour aider les pays en développement dans leur action climatique. Or les calculs de l'OCDE estiment que l'aide s'élevait à 79,6 milliards de dollars en 2019 et nous confirment que le rendez-vous de 2020 devrait être manqué. Ce sujet sensible pollue les négociations, car les pays en développement disent, à bon droit, que les pays développés doivent respecter leurs promesses. François Hollande a pris l'engagement en 2015 que la France mobiliserait 5 milliards d'euros en 2020 pour la finance climat. Nous avons atteint cet objectif et nous l'avons même dépassé en 2019 grâce à des décaissements de fonds multilatéraux, pour atteindre 6 milliards d'euros. Le Président de la République a annoncé, le 12 décembre dernier, que nous porterions notre effort à 6 milliards d'euros dans les années à venir, dont 2 milliards pour l'adaptation. La France respecte donc son engagement. La présidence britannique, consciente de l'enjeu de la finance climat, a fait appel au Canada et à l'Allemagne, qui vont rédiger un delivery plan, après consultation des pays donateurs, pour confirmer la voie des 100 milliards de dollars annuels. Les informations dont je dispose sont positives, nous atteindrons, puis nous dépasserons, l'objectif dans les cinq prochaines années. Nous avons enregistré des engagements de l'Italie, de la Suède, et des États-Unis, qui sont revenus dans les politiques climatiques - le président Biden a annoncé un quadruplement de l'aide américaine, qui sera ainsi portée à 11,4 milliards de dollars en 2024. Ce sujet des 100 milliards de dollars revient de façon récurrente, la finance climat en compte d'autres, par exemple la mobilisation de la finance privée, l'alignement sur les objectifs de l'Accord de Paris des banques multilatérales de développement ; la Banque européenne d'investissement (BEI) l'a fait, la Banque mondiale a annoncé qu'elle le ferait dorénavant.

Mon troisième point a trait à la mise en oeuvre même de l'Accord de Paris, c'est-à-dire les décisions d'application, analogues aux décrets d'application dans notre droit interne. L'essentiel du travail a été fait dès la COP 24, mais il reste certains points, en particulier l'article 6 de l'Accord de Paris, relatif au système d'échange de réductions d'émissions de gaz à effet de serre. C'est d'autant plus important que la plupart des pays qui rehaussent leurs engagements disent qu'ils le feront en utilisant un tel système d'échange, donc en vendant ou en achetant des quotas et en réalisant des projets spécifiques pour comptabiliser les réductions d'émission. Le diable est dans le détail, et nous avons identifié ici bien des diablotins, en particulier sur le double comptage des projets, ou le report de crédits acquis sous le régime du protocole de Kyoto : que va-t-on en faire ? Enfin, comment financer le fonds d'adaptation prévu par cet article 6 ? Faut-il étendre la contribution financière ? Dans quelles conditions ? Beaucoup de sujets sont sur la table depuis deux ans, il faut maintenant avancer, nous avons l'espoir d'y parvenir, en particulier parce que les Américains sont de retour, parce que les Chinois paraissent prêts à négocier, et parce que des pays qui bloquaient toute avancée, comme le Brésil, par exemple, semblent plus isolés qu'auparavant.

Parmi les autres sujets négociés, il y a la transparence, c'est-à-dire les modalités de calcul qui fondent la comparaison entre les contributions nationales de réduction ; il faut s'entendre très précisément sur les définitions et sur les adaptations pour les pays en développement. D'autres sujets comme les calendriers communs, les objectifs d'adaptation, ou encore la finance climat après-2025 ne feront pas les gros titres des journaux, mais ils sont essentiels pour assurer l'intégrité de l'Accord de Paris.

Quelques mots, enfin, sur l'organisation de la COP 26. Elle a été préparée dans des conditions particulièrement difficiles par le Royaume-Uni, qui a su s'adapter à la crise sanitaire sans empêcher l'action des délégations, en accordant suffisamment de facilités pour l'octroi de visas et pour les vaccins.

M. Guillaume Chevrollier. - Quelles sont les conséquences du décalage d'un an de la COP 26 ?

L'article 13 de l'Accord de Paris prévoit l'établissement d'un cadre de transparence, permettant de s'assurer du respect par chaque État des engagements souscrits auprès des Nations unies. Il est certes important que toutes les Nations fournissent des contributions ambitieuses, mais il faut également être certain que les objectifs annoncés soient bien atteints. Sans cela, l'Accord de Paris ne fonctionnera pas. L'article 13, qui doit donc être le garant de la réciprocité dans l'application de l'accord, constitue aujourd'hui un des axes importants de la négociation. En la matière, les discussions avancent-elles ? Quels sont les points bloquants ? Concrètement, quelle position porte la France à ce sujet ?

Ensuite, quelle est notre position sur l'aide de 100 milliards de dollars aux pays en développement pour le climat ? Comment renforcer la finance climat ?

Enfin, quel espoir d'avancer avec la COP 26 nourrissez-vous et en quoi les parlementaires peuvent-ils vous aider ?

M. Ronan Dantec. - Merci, monsieur l'ambassadeur, d'avoir fait une intervention technique, car la COP est d'abord une réunion technique, même si l'enjeu est éminemment politique. Ce qui se joue, c'est l'importance de cette COP dans un moment de durcissement très fort de la guerre économique entre les États-Unis et la Chine, et alors même que les questions environnementales sont devenues un élément de cette guerre. Dans cette perspective, certains acteurs multilatéraux vous paraissent-ils des régulateurs plus utiles à mobiliser ? L'Organisation mondiale du commerce (OMC), par exemple, facilite-t-elle les choses ? Si ce n'est pas le cas, comment peut-on faire pour qu'elle le fasse ? La taxe carbone est sur la table en Europe, mais aussi aux États-Unis, des enceintes internationales sont-elles en soutien ?

Ensuite, il y a de quoi s'inquiéter ces dernières semaines sur la question de la convergence entre les COP climatiques et les COP relatives à la biodiversité. Le lancement de la COP 15 biodiversité se fait actuellement a minima, on ne connaît pas le contenu de la COP suivante en Chine - est-ce lugubre, comme vous le dites, ou bien est-ce avant tout du théâtre, en préparation de ce qui va se jouer ?

M. Stéphane Crouzat. - Le report d'un an n'a pas eu de conséquence juridique, mais chaque jour sans action climatique contribue au problème. La science nous dit que nous avons dix ans pour agir, le retard d'un an en prend une partie, mécaniquement. En revanche, ce délai supplémentaire a permis à la présidence britannique de se mobiliser pleinement, ce qu'elle n'aurait probablement pas pu faire si la COP 26 s'était tenue l'an dernier : on sent une mobilisation forte pour que cet événement soit important.

La France s'est engagée pour 6 milliards d'euros annuels de finance climat, dont 2 milliards pour l'adaptation, c'est beaucoup plus qu'auparavant, même si le secrétaire général de l'ONU demande une parité entre l'atténuation et l'adaptation.

La France est en pointe pour les synergies entre l'action pour le climat et pour la biodiversité, le Président de la République s'est engagé dans ce sens et l'Agence française du développement vise à ce que 30 % de son soutien au climat aillent au soutien de la biodiversité. Cela a des conséquences très concrètes, par exemple la recherche d'actions bénéfiques sur plusieurs plans. La restauration d'une mangrove aux Philippines, par exemple, répond aux trois dimensions : l'atténuation, grâce au stockage de carbone, l'adaptation, avec la stabilisation des côtes, et la biodiversité, avec la restauration d'écosystèmes.

La mobilisation des parlementaires est nécessaire, pour que l'exécutif se mobilise effectivement, à la hauteur des ambitions affichées.

La question de la Chine est cruciale, ce pays représentant le quart des émissions mondiales. En amont de la COP 21, l'entente sino-américaine avait été décisive pour faire avancer les choses, en plus de l'activité très intense de la diplomatie française. Il se trouve que les États-Unis et la Chine ont désigné les deux mêmes négociateurs pour la COP 26 - John Kerry et Xie Zhenhua - mais le contexte a changé, les relations sino-américaines se sont compliquées et il est difficile de sanctuariser le climat. La position chinoise est difficile à évaluer, la Chine et l'Inde n'étaient pas en présentiel lors de la réunion préparatoire à Milan, c'est un signe dont il est difficile de dire la portée. La Chine réfléchit, dit-on, à remettre une nouvelle contribution déterminée au niveau national à l'ouverture de la COP 26, avec un pic d'émission atteint en 2025 et une diminution immédiate plutôt que reportée à quelques années. L'Inde, de son côté, continue à construire des centrales à charbon tout en ayant de grandes ambitions sur la transition énergétique, avec en particulier 430 gigawatts en éolien.

Des organisations multilatérales jouent le jeu, par exemple l'OCDE avec son programme international pour l'action sur le climat (IPAC), pour évaluer et conseiller les pays sur les bonnes pratiques en matière de réduction des gaz à effet de serre et l'élaboration de leur contribution déterminée au niveau national. La Russie et le Brésil sont intéressés, c'est nouveau. Le FMI propose un prix plancher international sur le carbone. Je rappelle que le marché chinois carbone, circonscrit à l'électricité, est devenu le plus grand du monde.

M. Bruno Belin. - Quand conciliera-t-on les objectifs de la COP et nos dépendances énergétiques françaises ?

Mme Angèle Préville. - Des pays sont menacés dans leur existence même par le changement climatique, comme les Maldives, qui pourraient disparaître sous les eaux, et les pays du Sud n'ont pas nos moyens pour s'adapter : comment leur redonner espoir, alors que leurs attentes peuvent être très fortes ?

L'article 6 de l'Accord de Paris, ensuite, prévoit un mécanisme d'échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre, comment pourrait-il fonctionner concrètement ? Y a-t-il des seuils, des limites ? Comment composer avec la réalité, en particulier avec l'incidence des événements climatiques eux-mêmes, les incendies par exemple, qui changent la pollution et le climat ? Comment s'assurer que les mécanismes d'échanges aient prise sur le réel, qu'ils soient effectivement corrélés à la situation des différents pays ? Enfin, quels peuvent être les garants pour que les fonds mobilisés soient utilisés efficacement ?

M. Joël Bigot. - La COP 26 part sous de bons auspices, optimistes, car les organisateurs veulent que cela se passe bien. Cependant, dès lors que les principaux émetteurs de gaz à effet de serre ne sont pas les pays de l'OCDE, mais la Chine et l'Inde, comment pensez-vous possible de rendre ces deux pays plus vertueux ? Ensuite, la plupart des pays africains demandant réparation avant toute adaptation - pour laquelle ils ne disposent d'ailleurs pas des ressources nécessaires -, comment estimez-vous qu'il serait possible de les accompagner ?

M. Frédéric Marchand. - À l'occasion d'une réunion interparlementaire de préparation à la COP 26, qui s'est tenue à Rome le week-end dernier, nous avons constaté une ambiance optimiste, traduisant une volonté de réussir cette échéance, en particulier dans le discours « America is back » de Nancy Pelosi, la présidente de la chambre des représentants américains. Nous avons également eu le sentiment que ces questions écologiques étaient devenues stratégiques, et qu'un multilatéralisme environnemental était en formation : qu'en pensez-vous ?

Mme Martine Filleul. - Alors qu'on a pris conscience tardivement de la dangerosité du méthane, ce dossier sera sur la table à Glasgow, la France et les États-Unis se sont engagés à réduire de 30 % leurs émissions de méthane ; d'autres pays se sont-ils engagés également ? Comment les pays pauvres qui ont beaucoup d'élevage pourront-ils suivre ? Comment faire pour réduire le méthane dans ce contexte ?

M. Stéphane Crouzat. -Le système européen d'échange de quotas (ETS) concerne quelque 11 000 entreprises à l'échelle du continent. Nous avons aussi, à l'échelle nationale, un objectif hors ETS concernant les émissions plus diffuses, en particulier dans l'agriculture : notre objectif national est ici de moins 37 % en 2030 par rapport à 2005 et la Commission européenne nous propose de passer à moins 47 %. Le défi est considérable : comment parviendra-t-on à réduire cinq fois plus rapidement nos émissions que nous ne l'avons fait entre 1990 et 2005 ? Les actions se sont, certes, démultipliées, elles concernent tous les secteurs - la mobilité, l'isolation des logements, les énergies nouvelles, en particulier l'hydrogène -, mais nous savons que ce sera très difficile.

Le sujet des pays vulnérables est très sensible. J'ai en tête le discours très émouvant du Premier ministre d'Antigua-et-Barbuda, expliquant que le dernier cyclone n'avait laissé aucun bâtiment debout à Barbuda. Cela pose la question des pertes et préjudices, un sujet ô combien complexe dès lors que des signataires, en particulier les États-Unis, se sont assurés que la rédaction de l'Accord de Paris ne permettrait pas de demander des réparations au titre du droit international. Un réseau de pays, dit « de Santiago », s'est constitué pour demander des réparations, il n'est pas très opérationnel, alors qu'il doit répondre aux attentes des pays les plus vulnérables.

L'article 6 de l'Accord de Paris vise précisément à ce que l'échange des quotas soit opérationnel, pour assurer, par exemple, qu'un projet de panneaux solaires aux Philippines, installé en lieu et place d'une usine à charbon, puisse comptabiliser précisément l'économie d'émission de gaz à effet de serre, et qu'il n'y ait pas de double comptage. En la matière, la négociation devra aboutir au résultat le plus concret possible. Aussi, les compromis devront être limités et de court terme, à l'instar du report des crédits carbone pour les projets lancés avant une certaine date ou de l'instauration d'un comptage spécifique pour les projets hors du champ des contributions déterminées au niveau national pendant une période donnée. Cela ne remettra nullement en cause l'Accord de Paris.

Vous avez évoqué la Chine et l'Inde. La Chine représente 25 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) et les États-Unis 15 %, mais, depuis l'ère préindustrielle, le pays est responsable d'un quart des émissions. Nous ne savons pas encore ce que la Chine et l'Inde présenteront à la COP 26.

Le sujet des pertes et préjudices aura une importance capitale.

L'Accord de Paris incarne le multilatéralisme environnemental par son caractère quasi universel. Seuls l'Irak, l'Iran, l'Érythrée, la Libye et un pays faiblement émetteur ne l'ont pas ratifié. Menacé un temps par le retrait des États-Unis, désormais de retour, il représente un socle fort.

Le méthane est responsable de 20 % des émissions de GES. Il disparaît de l'atmosphère après douze ans, contre plusieurs siècles pour le CO2, mais ses effets sur le réchauffement climatique sont, sur vingt ans, quatre-vingt-cinq fois plus puissants. Il faut traiter le sujet en luttant contre les fuites de méthane, notamment en Russie et au Turkménistan. L'Union européenne et les États-Unis ont proposé une réduction collective de 30 % des émissions de méthane à l'échéance de 2030. La France a rejoint cette initiative, malgré l'effort qu'elle implique. En effet, l'objectif français se limitait à une diminution de 15 % des émissions, dans la mesure où celles-ci concernent majoritairement le secteur agricole.

Mme Angèle Préville. - Vous n'avez pas répondu sur les émissions de gaz à effet de serre dues à la fonte du pergélisol, lesquelles, combinées à une moindre absorption du CO2 du fait de la baisse du niveau des océans et des feux de forêt, vont naturellement augmenter, sans lien direct avec une activité humaine. Comment allez-vous alors les comptabiliser ? 

M. Stéphane Crouzat. - Il s'agit effectivement d'un sujet de préoccupation majeur. Le pergélisol occupe une part significative du territoire russe. L'augmentation des températures multipliera les fuites de méthane. Nous pouvons désormais les identifier par images satellitaires.

Ce risque doit nous inciter à oeuvrer pour limiter le réchauffement climatique à 1,5° C. En 2018, le rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) était éloquent : chaque dixième de degré supplémentaire entraîne des conséquences exponentielles. Nous n'avons pas de temps à perdre !

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie de la qualité de vos réponses.

Je forme le voeu que nous trouvions un accord ambitieux à Glasgow, à la hauteur des défis.

La réunion est close à 19 h 10.