Mardi 11 mai 2021

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Audition de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique

Mme Sophie Primas, présidente. Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Barbara Pompili pour échanger sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit « Climat et Résilience ».

En préambule, je rappelle que notre commission considère la lutte contre le réchauffement climatique comme un enjeu essentiel pour notre pays, pour l'Europe et pour le monde. C'est la raison pour laquelle nous donnerons toujours la priorité, lors de l'examen de ce texte, à l'efficience réelle et mesurée des dispositifs législatifs proposés, à leur impact quantitatif sur nos émissions, à un haut niveau d'ambition, mais également à leur soutenabilité économique et sociale. C'est ce prisme - ambition, efficience, soutenabilité - qui nous guidera.

Ainsi, la décarbonation de notre économie est une priorité bien identifiée par notre commission : en juin 2020, nous avions proposé avant et, à l'époque, contre le Gouvernement, un ambitieux plan pour relancer notre économie en accélérant sa décarbonation, sans tarder et sans attendre le grand soir. C'est donc avec un très grand intérêt que nous vous accueillons, la moitié des dispositions de ce projet de loi relevant des compétences de notre commission, sur des sujets très variés tels que la consommation, l'agriculture et la forêt, l'urbanisme, le logement et la rénovation énergétique, les énergies renouvelables et les mines. Nous serons ainsi saisis au fond sur 86 articles et nous prendrons un avis sur 46 autres.

Comme vous le savez, à la différence du choix opéré à l'Assemblée nationale de créer une commission spéciale, le Sénat a préféré s'appuyer sur l'expertise et sur la mémoire des commissions permanentes. Nous avons donc confié ces articles à quatre rapporteurs spécialistes de leur secteur : Mme Anne-Catherine Loisier, sur les sujets concernant la consommation, l'alimentation et l'agriculture, dans le prolongement des travaux menés sur la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim) qu'elle a rapportée ; Mme Dominique Estrosi Sassone, sur les questions de logement, qui a notamment été rapporteur de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN) ; M. Daniel Gremillet, sur les questions d'énergie, dans la continuité de ses travaux sur la loi relative à l'énergie et au climat ; et M. Jean-Baptiste Blanc, sur l'objectif de zéro artificialisation nette, dans le prolongement du groupe de travail du même nom qu'il pilote. J'excuse l'absence de ce dernier, élu du Vaucluse, qui se trouve aux cérémonies en cours à Avignon.

Ce texte accélère des évolutions nécessaires, car la transition écologique n'est pas une option, mais une nécessité et offre des opportunités ; il comporte également des dispositions qui nous paraissent moins utiles, sauf en matière de communication ; il contient enfin des éléments plus ambivalents : certaines dispositions semblent déjà exister, d'autres laissent augurer des difficultés réelles quant à leur application, d'autres, en revanche, sont absentes.

Ce projet de loi n'intervient pas dans un contexte nouveau. À la suite du travail de notre commission, le Sénat a adopté la loi relative à l'énergie et au climat d'un commun d'accord avec l'Assemblée nationale, fin 2019. Il s'agissait d'un texte ambitieux, qui a placé la France sur le chemin de la neutralité carbone, mais dont l'application fait encore défaut : 30 % des textes sont attendus et 20 % des ordonnances ont été abandonnées. En outre, 20 % de ses dispositions s'apprêtent à être modifiées par le présent projet de loi. Madame la ministre, ne pensez-vous pas que l'inflation et l'instabilité normatives sont préjudiciables à la transition écologique qui nécessite de vastes et très lourds investissements du secteur public comme du secteur privé et par conséquent de la visibilité à long terme ? Nos citoyens comprennent-ils ce que nous faisons quand nous modifions des règles qui ont à peine eu le temps d'être appliquées ? La crise des « gilets jaunes » a montré le retard que des décisions à la fois imposées et fluctuantes pouvaient nous faire prendre. Les acteurs économiques et nos concitoyens sur le terrain nous disent qu'ils ont besoin d'un cap clair pour engager la transformation de notre modèle économique. Cela ne signifie pas qu'il faudrait ne rien changer, mais il faut le faire à un rythme compatible avec les capacités d'amortissement des investissements pour les entreprises, mais aussi pour les citoyens.

Le projet de loi tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale n'est pas exempt d'ambiguïtés. L'examen d'un projet de loi au Parlement est l'occasion d'évaluer, d'une part, la cohérence entre les objectifs poursuivis et les dispositifs proposés, d'autre part, les inévitables effets de bord des textes qui nous sont soumis, de sorte que nous puissions mettre en balance les avantages et les inconvénients de ces nouveaux dispositifs législatifs et, éventuellement, les calibrer par rapport au but recherché. Sur le plan de la cohérence, ce texte manque d'un cap stratégique. Nombre de dispositifs importants adoptés en séance publique à l'Assemblée nationale n'ont fait l'objet d'aucune évaluation ni d'aucune concertation préalables. Je vous indique que nous nous en tiendrons autant que possible à la recommandation du Haut Conseil pour le climat (HCC) de signaler l'impact des mesures quant à l'objectif de neutralité carbone. D'autres dispositifs nous semblent être à contre-courant, au regard de la crise économique que nous traversons. On voit mal l'urgence qu'il y aurait à rigidifier le tissu commercial ou à interdire les terrasses chauffées, alors que la crise de la covid-19 fait encore sentir ses effets.

Enfin, le projet de loi présente plusieurs angles morts : il ne dit rien de l'énergie nucléaire et pas beaucoup plus de l'hydroélectricité, notre première source d'énergie renouvelable. Sur ces deux sujets essentiels pour atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050, le Sénat a été plus actif que le Gouvernement puisqu'il vient d'adopter une proposition de résolution sur l'énergie nucléaire et une proposition de loi sur l'hydroélectricité. Sur la forêt, nous aurons aussi des propositions.

Madame la ministre, vous pouvez compter sur nous pour être force de proposition. Êtes-vous prête à accueillir positivement ces initiatives sénatoriales qui ne manqueront pas d'animer nos débats ?

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. - Ce texte important nous offre une opportunité historique d'engager définitivement la France dans ce nouveau siècle, de répondre à l'appel de la jeunesse, des citoyens, du pays tout entier pour associer écologie, démocratie et développement économique et agréger toutes les volontés afin de relever l'immense défi de notre génération.

L'Amazonie émet dorénavant davantage de carbone qu'elle n'en capture, par la faute des hommes ; il y a urgence à inventer un autre avenir que celui des sombres prévisions scientifiques, à sortir d'un modèle dépassé qui ne promet que le malheur aux futures générations, à tourner le dos à un système qui ravage la planète, le climat et la biodiversité, qui prépare déjà les canicules de cet été et les pandémies de demain ; il y a urgence à atteindre l'âge de raison, celui où l'humanité prend conscience de son poids et des liens entre les différentes composantes du vivant, l'âge de transformer nos modes de vie. C'est aujourd'hui possible, la société est mûre, les décideurs sont conscients et les Français attendent. Je vois partout, sur le terrain, des patrons, des maires, tout un tissu économique et social se mettre en mouvement, avec la certitude que l'écologie n'est pas une contrainte, mais le gage des réussites de demain. Saisissons cette opportunité, nous avons tout à y gagner !

Avant vous, parlementaires, 150 citoyens tirés au sort s'y sont essayés. Ils venaient de partout, ils étaient artisans, pilotes de ligne, lycéens, retraités, médecins, sans emploi, ils ont travaillé neuf mois durant et leur travail porte le retour en force du beau mot de « citoyenneté » : se confronter aux problèmes, sortir des postures, chercher les solutions qui marchent, c'est cela qui fonde notre République. À présent, un autre temps s'ouvre, le vôtre, celui du Parlement. C'est à vous qu'il incombe de reprendre ce fil et de le tisser un peu plus avant. Beaucoup diront que l'on ne va pas assez vite, d'autres que l'on va trop vite, mais à mon sens, le grand soir de l'écologie, cela n'existe pas. Je crois aux transformations incrémentales, à une écologie de bon sens, réaliste et concrète, loin du tout ou rien qui fait trop souvent florès dans notre pays, une écologie qui ne renie rien, mais qui se fait avec les 67 millions de Français et pour eux.

La transformation sans précédent que nous sommes en train d'opérer impose de prévoir des accompagnements pour chacun. Nous sommes la première génération à être à ce point consciente de la crise écologique et peut-être la dernière à pouvoir l'enrayer ; notre siècle sera celui de cette crise et nous devons y préparer les futurs citoyens. Cela commence à l'école de la République, c'est pourquoi cette loi fera entrer l'écologie dans les salles de classe, pour former les écocitoyens de demain ; pour ceux d'aujourd'hui, ces mesures leur permettront de devenir acteurs des changements au quotidien en favorisant une autre manière de consommer. Tel est le sens du titre Ier.

Cette transition est une chance pour l'économie. Avec ce texte, nous allons porter l'écologie au coeur des entreprises, nous allons intégrer des clauses environnementales dans les marchés publics afin d'en faire des vecteurs du verdissement de notre économie, nous allons réformer le code minier pour une exploitation minière responsable qui ne détruise pas l'environnement tout en produisant les matériaux nécessaires à la transition énergétique. C'est l'ambition du titre II.

Nous allons plus loin, pour protéger la santé des Français, qui respirent un air pollué qui tue chaque année 40 000 de nos concitoyens. Ainsi, nous créons des zones à faibles émissions dans toutes nos grandes villes, auxquelles s'ajoute, après la première lecture à l'Assemblée nationale, une prime à la conversion permettant d'acquérir un vélo électrique ou un vélo cargo ; nous interdisons les trajets en avion vers des destinations qui peuvent être atteintes en train en moins de deux heures trente. Telles sont les avancées concrètes du titre III.

Certains pourraient dire que c'est trop, mais c'est seulement le retour du bon sens, qui nous dit de préférer le train à l'avion, le vélo à la voiture, qui nous dit que nous ne pouvons plus continuer à croire que le monde est infini, à étendre nos villes. C'est pourquoi nous allons diviser par deux le rythme d'artificialisation des sols. Le bon sens, c'est aussi de regarder en face la réalité des deux millions de foyers qui vivent dans des passoires thermiques. Ceux-ci souffrent du froid, de la chaleur et le payent cher, tout en émettant du carbone dans l'atmosphère. À cette fin, le premier axe sera d'interdire progressivement la mise en location des biens concernés pour inciter les propriétaires à réaliser les travaux nécessaires, selon un calendrier clair et précis, depuis la classe G, en 2025, jusqu'à la classe E, en 2034. Il s'agit donc d'un cadre clair et prévisible, qui laisse à chacun le temps de s'organiser.

Nous souhaitons accompagner l'ensemble des propriétaires dans la durée. Pour cela, nous inscrivons dans la loi un principe d'engagement financier de l'État, garantissant un reste à charge faible, et nous créons des « accompagnateurs rénovation » agréés par l'État. C'est là une grande avancée : demain, les propriétaires disposeront d'un soutien, un allié de terrain, de la conception de leur projet jusqu'au dernier coup de marteau.

Ces rénovations, je le rappelle, représentent des milliers d'emplois dans nos territoires, des emplois locaux, durables et non délocalisables.

Le titre V porte encore davantage de possibilités pour nos territoires, au travers de la transformation de notre modèle agricole et alimentaire, avec une agroécologie pour et par les territoires, une lutte renforcée contre la déforestation, une alimentation plus saine et plus équilibrée.

Avec le titre VI, nous mettrons fin à l'impunité des pollueurs. Demain, ils seront poursuivis et sévèrement punis.

Enfin, l'insertion d'un titre VII lors de la première lecture à l'Assemblée nationale nous prouve que le temps du travail parlementaire, tel que nous le prenons ensemble, est le gage des vraies lois, de celles qui marquent, durent et transforment. Ce titre ancre les effets de cette loi dans le temps long. L'évaluation annuelle de sa mise en oeuvre sera un excellent moyen de maintenir nos efforts, notre exigence et nos ambitions.

Ce projet de loi est une nouvelle étape dans la construction d'une République écologique qu'il est de notre devoir de construire. Il fait suite à des décisions courageuses d'abandon de grands projets datés et se combine à un plan de relance historique, à l'adoption récente d'autres lois fondant l'avenir et à la mobilisation de la France au niveau international pour pousser sans relâche l'agenda pour le climat et la biodiversité.

Il vous revient désormais de poursuivre ce travail.

Nous cherchons, non pas à rigidifier, mais à donner des perspectives, et je partage votre point de vue, Madame la présidente : il faut maintenant des règles claires, qui puissent être appliquées dans le temps et apporter de la visibilité. Il faut aussi que nous ayons à coeur d'embarquer tout le monde ; on ne peut laisser personne au bord de la route, comme l'a rappelé la crise des « gilets jaunes » - d'où les dispositifs d'accompagnement prévus dans ce texte. Nous avons systématiquement veillé à l'application concrète de la loi et à son acceptabilité. La transition écologique n'est pas pour quelques-uns ; elle est pour tout le monde !

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - L'article 1er tend à revenir sur certaines mesures concernant l'affichage environnemental de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), votée voilà quelques mois. Pourquoi ne pas avoir choisi d'attendre les résultats des expérimentations prévues dans le cadre de cette loi ? Comment vous assurer que la France ne fera pas cavalier seul sur ce sujet au niveau européen ?

À l'article 6, pourquoi organiser le retrait de l'État en matière de police de la publicité extérieure, alors que les communes n'en ont pas fait la demande et n'auront pas forcément les moyens d'assurer ces responsabilités ?

Le fait que le critère prévu à l'article 11 pour le vrac repose sur le nombre de références ne risque-t-il pas de placer, encore une fois, les marques distributeurs aux premières places, ce qui viendrait contrecarrer les objectifs de la loi Égalim ?

L'article 56 concerne les aires protégées. J'ai déjà eu l'occasion de vous interroger sur votre définition de l'aire protégée « stricte » ou « forte ». Comme vous ne m'avez pas vraiment répondu, je réitère ma question. Qu'en est-il de la compatibilité de cette mesure avec d'autres dispositifs législatifs, comme la réglementation environnementale (RE2020) ? Combien de forêts pourraient passer sous aire protégée « forte » ?

S'agissant de la lutte contre la déforestation, si le dispositif proposé dans le projet de loi est remarquable, nous sommes tous conscients de son impact limité, et ce d'autant que l'Union européenne ne s'est pas encore positionnée. Pourquoi ne pas attendre juillet et le projet de règlement européen ?

Avez-vous mesuré l'impact du déploiement des repas végétariens ? À ce jour, seulement 30 % des fruits et légumes proviennent de France ou d'Europe dans la restauration collective. Ce déploiement pourrait donc entraîner une explosion des importations.

Enfin, une observation en lien avec la question de l'artificialisation des sols. Vous rappelez souvent que le secteur de la construction est responsable d'environ 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais les objectifs affichés en termes de réduction de l'artificialisation des sols pourraient aboutir à un manque à construire de 100 000 logements nouveaux chaque année. L'étude d'impact ne mentionne rien de ces conséquences. Un travail a-t-il été mené sur la question ? Pourquoi avoir retenu la cible de 50 %, qui peut paraître trop arbitraire et uniforme ? Ne risque-t-on pas de réduire à néant les efforts réalisés depuis plusieurs années pour résorber la crise du logement en France ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Avant d'évoquer le titre IV sur le logement, j'observe que bon nombre de professionnels, d'élus, d'associations, d'acteurs m'ont dit à quel point ce projet de loi leur paraissait important. Mais, tel qu'issu des travaux de l'Assemblée nationale, celui-ci présente déjà à leurs yeux des difficultés d'application, une certaine complexité et un manque de lisibilité. Nous aurons donc à coeur ici, au Sénat, de clarifier et simplifier certaines mesures.

En matière de trajectoire de rénovation, le projet de loi tend à déclarer « indécents » les logements de catégorie F, E et D et à interdire leur location. Le Gouvernement mobilisera-t-il les financements nécessaires à la rénovation de ces logements ? La trajectoire est-elle réaliste ? Accepteriez-vous d'introduire des souplesses, en particulier pour les logements en copropriété ? En effet, doit-on pénaliser un propriétaire de bonne foi qui n'aura pas pu se mettre en règle, faute de réalisation des travaux collectifs ? Ne serait-il pas pertinent d'aller au-delà de l'échéance de 2034, prévue pour les logements de catégorie D, et traiter les logements de catégorie C, dans la perspective de 100 % de bâtiments bas carbone en 2050 ?

Par ailleurs, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale introduit trois définitions différentes - la rénovation performante, la rénovation globale et la rénovation complète -, rendant ainsi le dispositif peu lisible. Plusieurs acteurs du secteur observent qu'une rénovation permettant d'obtenir l'étiquette C serait « performante et globale », alors qu'elle ne permettrait pas d'atteindre l'objectif BBC en 2050, ce qui traduit un recul de l'ambition initiale. Quelle est votre position sur le sujet ?

S'agissant des dispositifs de soutien à la rénovation énergétique, le projet de loi pose la question de l'universalité des aides, en conditionnant celles-ci à la notion de rénovation performante ou au recours à des accompagnateurs. Quelle est l'intention du Gouvernement ? Est aussi posée la question de l'autonomie des collectivités territoriales, l'article 43 prévoyant un strict encadrement par l'État du service public de la performance énergétique de l'habitat. Quelles sont les perspectives sur ce sujet ?

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Comment justifier les nombreux recours à la législation par ordonnance dans le texte, notamment pour la réforme du code minier, pourtant attendue par les acteurs économiques et les associations de protection de l'environnement depuis très longtemps ? Je pense également à la lutte contre la fraude aux certificats d'économies d'énergie (CEE), dont les modifications ponctuelles mériteraient une inscription en « dur » dans la loi.

La transposition du « paquet d'hiver » de la Commission européenne fait l'objet de critiques de la part des acteurs de terrain, car elle présente un risque de sur-réglementation. Comment garantir que la ratification des ordonnances prévues par le projet de loi ne pénalisera ni les professionnels du secteur des énergies renouvelables, ni les collectivités territoriales en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'électricité ?

Le Sénat a récemment adopté à l'unanimité une proposition de loi sur l'hydroélectricité, une énergie à la fois renouvelable, stockable et territoriale - s'il est une énergie non délocalisable, c'est bien celle-là, et les turbines sont françaises ! Ma question est simple : soutenez-vous les dispositions votées par le Sénat sur cette question ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous donne lecture des questions de Jean-Baptiste Blanc.

Les mesures proposées dans le cadre du projet de loi, censées traduire les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, s'en éloignent un peu. Ainsi, l'objectif « zéro artificialisation nette » a été fixé par le Gouvernement, et non défendu par la Convention. Celle-ci a retenu comme échelon pertinent pour la lutte contre l'artificialisation les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU) ou plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), alors que le projet de loi donne au schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), document récent et encore non éprouvé, un pouvoir prescriptif. Troisième exemple, tous les projets commerciaux artificialisant des sols sont soumis à moratoire alors que la Convention ne visait que les nouvelles zones d'activité en entrées de ville.

L'esprit de votre texte relève davantage de contraintes et n'offre que peu de moyens dédiés à la sobriété foncière, alors que les coûts supplémentaires de « désartificialisation » et de « ville sur la ville » peuvent représenter jusqu'à quatre fois le coût d'une opération normale. Vous imposez des bilans chiffrés obligatoires aux maires, mais un outil de mesure n'arrivera qu'en 2023 au mieux, et la production de données est renvoyée à des décrets. Les besoins en ingénierie ne sont pas traités, alors même que vous demandez la révision de tous les documents d'urbanisme de France. Les collectivités sont prêtes à agir, mais l'État sera-t-il au rendez-vous des moyens et de l'accompagnement, dans un contexte de fiscalité locale déjà tendu ? Dans mon département, par exemple, nous venons de terminer des PLUi, très longs et très chers, et dont la mise en oeuvre pose un problème de moyens.

Qui plus est, cette approche coercitive est extrêmement centralisée. Mieux vaudrait respecter la décentralisation plutôt que de confier aux Sraddet la tâche de fixer un objectif chiffré dont le niveau est défini par l'État. Nous considérons qu'il faut respecter la différence des territoires, et le choix d'imposer une réduction uniforme de l'artificialisation de 50 %, dans toutes les régions de France, quels que soient les enjeux et les efforts déjà réalisés, nous semble discutable.

Enfin, je ne suis pas convaincu de la pertinence du ciblage des mesures ni de leur caractère opérationnel. Pour le gel de l'implantation de nouveaux centres commerciaux, vous retenez comme critère la surface de vente - cela n'a rien à voir avec l'impact environnemental - plutôt que l'emprise au sol. Cela pénalisera les projets vertueux réalisés en élévation.

Autre exemple, la définition même de l'artificialisation n'est pas aboutie. Elle a été modifiée à chaque stade des travaux sur ce texte, lors de la concertation, de l'avant-projet, de la discussion en commission et de l'examen en séance à l'Assemblée nationale. Elle n'est toujours pas opérationnelle, ni pour les maires, ni pour les particuliers, ni pour les constructeurs.

Enfin, nous devons être attentifs aux injonctions contradictoires faites aux élus. Par exemple, en zone tendue, le PLU devrait être renforcé pour imposer des quotas de surface non artificialisée sur chaque terrain, ce qui reviendrait presque à refaire un plan d'occupation des sols (POS), alors que celui-ci avait été supprimé par Mme Duflot. Il faudrait en parallèle élargir les dérogations de droit au PLU. La loi ÉLAN, en 2018, voulait produire « plus de logement et plus vite » ; la loi Climat, en 2021, veut réduire par deux la construction nouvelle. Il convient, également, de ne pas oublier de limiter la hausse des prix des terrains. L'équation est difficile. Madame la ministre, comprenez que personne ne s'y retrouve...

Mme Barbara Pompili, ministre. - Madame Loisier, en ce qui concerne l'affichage environnemental, des mesures ont déjà été lancées et nous souhaitons nous inscrire dans leur continuité. Il ne s'agit pas de réécrire la loi AGEC, mais d'améliorer et de faire converger les expérimentations qui ont été déployées dans ce cadre. Certaines sont en cours, notamment dans le secteur de l'habillement, avec l'entreprise Decathlon, par exemple. Il nous faut privilégier un affichage uniformisé qui permettra aux consommateurs d'y voir clair.

C'est la raison pour laquelle nous avons inscrit dans la loi que les expérimentations pourront donner lieu à une obligation d'affichage, en fixant une date butoir de cinq ans. Une fois que certaines expérimentations auront produit leurs effets, nous pourrons avancer plus rapidement.

Vous avez également mentionné celles qui s'inscrivent au niveau européen. Nous participons aux différents groupes de travail sur l'affichage qui ont lieu dans ce cadre. Cependant, du retard a été pris, et nous ne pouvons plus nous permettre d'attendre. Nous avançons donc, au niveau national, en tentant de maintenir une cohérence avec le niveau européen, et nous procéderons à des ajustements, si nécessaire. L'affichage environnemental existe déjà dans certains secteurs, comme l'automobile ou le bâtiment.

Nous avons fait le choix politique de donner la possibilité aux maires de réglementer la publicité dans leurs territoires. Ils sont le plus à même de le faire. La loi prévoit toutefois des garde-fous, puisque le maire peut notamment déléguer sa compétence à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Certains craignent que ce choix n'ait pour conséquence de tuer le commerce dans les centres-villes. Qui connaît les maires sait bien qu'ils veilleront à travailler en lien avec les commerçants des centres-villes ! D'autres redoutent, à l'inverse, que les commerçants n'exercent trop de pression sur les maires, ce qui aboutira à défigurer les centres-villes. Or les maires sont en relation constante avec la population.

J'ai rencontré la maire d'une petite commune, au sud de Lyon, composée pour une petite partie d'un coeur de village et pour le reste d'une zone commerciale. Elle a adapté la réglementation de la publicité aux particularités de sa ville, en définissant une zone réservée dans la partie basse de la ville, et en veillant à conserver une certaine harmonie visuelle dans le dispositif. Le résultat est très réussi. Ce genre d'initiative ne peut intervenir qu'au niveau local. Faisons confiance aux maires !

L'article 11 sur le vrac a donné lieu à des débats nourris à l'Assemblée nationale. Ceux-ci ont permis de clarifier le texte, et vous pourrez encore l'améliorer. Les commerces de vente au détail d'une surface supérieure ou égale à 400 mètres carrés devront consacrer 20 % de leur surface de vente à des produits en vrac. Un décret précisera les objectifs à atteindre et les exigences sanitaires à respecter.

À l'Assemblée nationale, nous avons ciblé les produits pour lesquels il existe un potentiel de vente sans emballage. Le décret prévu à l'article L. 441-4 du code de commerce limite la quantité de produits concernés. Les articles de bricolage, les meubles et les vêtements ne sont pas concernés, mais les produits d'entretien le sont. Nous avons inclus d'autres produits, comme ceux vendus à la découpe assistée en magasin.

Nous avons également assoupli la manière de calculer l'objectif de 20 % de la surface de vente, en autorisant notamment des équivalences en part de produits référencés par le commerce ou en pourcentage de chiffre d'affaires.

M. Laurent Duplomb. - Cela risque d'être compliqué !

Mme Barbara Pompili, ministre. - Nous prévoyons une adaptation par voie réglementaire pour tenir compte de la spécificité de certains commerces où il sera plus difficile d'instaurer la vente en vrac, par exemple ceux qui vendent des produits de beauté. Nous procèderons commerce par commerce.

L'objectif que nous visons, c'est la fin du suremballage et du tout plastique. Nous consommons chaque année jusqu'à 1,2 million de tonnes de plastique pour les emballages ménagers, et le vrac ne représente que 0,8 % de la part de marché des produits de grande consommation. Or la vente en vrac a réalisé un chiffre d'affaires en augmentation de 41 % en 2019 et de 8 % en 2020, malgré la crise de la Covid. La loi doit servir à mieux encadrer, à faciliter et à accélérer la lutte contre le plastique.

Dans la Stratégie nationale pour les aires protégées, une aire sous protection forte se définit comme « un espace naturel dans lequel les pressions engendrées par les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques de cet espace sont supprimées ou significativement limitées de manière pérenne ».

La réglementation environnementale RE 2020 a été conçue pour s'appliquer de manière progressive, selon une trajectoire permettant de concilier les objectifs. La filière du bois français est encore en cours de développement. Nous devons éviter d'importer du bois pour la construction.

Concernant les repas végétariens, il faut préciser que l'importation des produits pour la restauration collective ne se limite pas aux fruits et légumes. Julien Denormandie a rappelé que nous importions jusqu'à 90 % des volailles que nous consommions en France, et les importations de viande de boeuf sont également élevées. La marge de progrès possible est significative.

Nous avons généralisé le champ d'application de la loi Égalim, en prévoyant notamment un menu végétarien par semaine dans toutes les cantines. Les conséquences d'une telle mesure sont connues, car l'expérimentation s'exerce depuis déjà deux ans. Les retours sont globalement positifs. Le gaspillage ne s'est pas accru et les coûts sont tenables.

Pour limiter les importations, nous avons choisi de privilégier les concertations locales et les projets alimentaires territoriaux, et de favoriser ainsi les circuits courts. Nous proposerons jusqu'à 60 % de viande de qualité, labellisée et produite par des agriculteurs français dans les cantines.

Madame Estrosi Sassone, nous devons effectivement clarifier la manière dont la rénovation des logements interviendra. Nous avons détaillé les trajectoires, G en 2025, F en 2028 et E en 2034. Il conviendra de mieux aider les particuliers qui souhaitent mettre en oeuvre cette rénovation, d'où les initiatives que nous avons lancées, comme l'assistance à la rénovation, l'accompagnateur Rénov', ou le prêt avance mutation pour le reste à charge.

Nous devons aussi développer une filière structurée, capable de se mettre en ordre de marche. À cette fin, un article programmatique a été ajouté à l'Assemblée nationale : l'État continuera de financer les aides pendant dix ans. Ce délai est suffisamment long, d'une part pour que les entreprises se forment, d'autre part pour que les filières d'éco-matériaux se développent. Ainsi, les particuliers disposeront d'un meilleur logement. Ils réduiront à la fois leurs factures d'énergie et leurs émissions de gaz à effet de serre.

La définition des rénovations est un véritable sujet. Elle a fait l'objet de longs débats en séance à l'Assemblée nationale. Le présent texte introduit désormais les notions de rénovation performante, de rénovation globale et de rénovation complète afin d'orienter une partie des aides financières vers des chantiers plus ambitieux. Par le passé, on a dépensé beaucoup d'argent à ce titre sans atteindre les objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre : les rénovations restaient trop partielles. Ces définitions reposent sur les notions suivantes : le nombre et le type de gestes ; la temporalité selon laquelle les travaux se déroulent ; et surtout le gain énergétique attendu. Pour mon ministère, le but est clairement d'encourager les rénovations à fort impact écologique et social. On doit mettre en oeuvre ce devoir collectif en continuant de financer les rénovations par gestes et en orientant l'essentiel des travaux vers les rénovations performantes.

Le débat n'est pas terminé et je serai attentive aux améliorations que vous proposerez. Pour ma part, je suis très pragmatique. Le système issu des travaux de l'Assemblée nationale permet déjà certaines clarifications, mais je suis tout à fait ouverte à poursuivre le travail, à condition que l'on garde en tête l'objectif fixé.

L'article 43 a pour objet le service public de l'efficacité énergétique (SPEE). Ce dernier est déjà actif dans certaines régions, notamment la mienne, à l'instar du réseau Éco habitat, qui accompagne de A à Z des personnes économiquement très fragiles en assurant une forme de maîtrise d'ouvrage. Ce travail de fourmi est absolument extraordinaire. À présent, il convient de couvrir l'ensemble du territoire français : tous nos concitoyens doivent bénéficier de ce service.

Bien sûr, on agira en lien avec les collectivités territoriales. Le principe sera l'agrément des différentes structures à même d'assurer ce service. Les conseillers « Faire » accomplissent un très bon travail, mais ils ne sont pas assez nombreux pour massifier la rénovation. Les demandeurs doivent pouvoir disposer d'un interlocuteur physique en passant un simple appel téléphonique. Ils ne sauraient se contenter d'une interface informatique.

Monsieur Gremillet, vous vous inquiétez du nombre d'ordonnances auxquelles le texte renvoie. Mais, sans les ordonnances, certaines réformes hautement nécessaires risqueraient de ne pas être achevées avant la fin du quinquennat : ainsi de la réforme du code minier ou des mesures relatives au trait de côte. Il s'agit de mettre un terme à divers contentieux, portant notamment sur la Montagne d'or : il faut adapter très vite le code minier pour sortir de l'imbroglio et limiter la facture.

Ce travail est très lourd : c'est pourquoi nous avons opté pour les ordonnances. Un certain nombre de dispositions structurantes, comme les mesures d'après-mine, seront dans le dur du projet de loi. D'autres sont techniquement très pointues, mais peu intéressantes d'un point de vue politique - ainsi du toilettage d'un certain nombre de codes. Évitons d'alourdir les débats. Toutefois, si vous souhaitez que certaines dispositions d'ordre plus politique figurent dans le projet de loi, je serai ouverte à la discussion. Il faut examiner ces questions au cas par cas.

Je soutiens pleinement l'hydroélectricité, première source d'énergie renouvelable en France. Si nous n'obtenons pas de solution à Bruxelles, les contentieux gelés le temps de la discussion seront rouverts et nous serons obligés de remettre en concession nos centrales hydroélectriques. Je souhaite que les discussions aboutissent pour qu'EDF continue de les gérer.

Je n'oublie pas non plus la petite hydroélectricité. Les moulins ont fait l'objet d'importants débats à l'Assemblée nationale, mais la rédaction retenue est insatisfaisante, car elle opère une grave régression en matière de biodiversité. Si un propriétaire veut procéder à un effacement, il n'en a plus la possibilité. Il faut donc retrouver une rédaction acceptable pour tout le monde.

La petite hydroélectricité peut être une solution dans certains territoires ; mais, à grande échelle, elle ne nous permettra pas seule d'atteindre nos objectifs. En la matière également, il faut être très pragmatique en raisonnant territoire par territoire.

Monsieur Blanc, le « zéro artificialisation nette » est un objectif à l'horizon de 2050. Ce que propose ce texte, c'est une division par deux du rythme d'artificialisation d'ici à dix ans.

Sur ce sujet, prenons garde aux idées reçues. Au total, 3,5 millions d'hectares sont artificialisés en France, soit 6,5 % du territoire national ; mais, à population égale, nous totalisons 15 % d'artificialisation de plus que l'Allemagne, 57 % de plus que le Royaume-Uni ou l'Espagne. En France, l'artificialisation augmente presque quatre fois plus vite que la population : depuis 1981, elle a bondi de 70 %, alors que le nombre d'habitants a, lui, progressé de 19 %. Surtout, certains territoires perdent des habitants cependant que leur taux d'artificialisation augmente. Contrairement à ce que l'on peut penser de prime abord, les deux phénomènes ne sont pas liés. Ce constat m'a surpris moi-même.

Chaque région sera chargée d'atteindre cet objectif de division par deux, en le traduisant dans les Sraddet et en le déclinant dans les territoires. Nous avons inscrit dans le texte un certain nombre de mesures ménageant le temps d'agir en ce sens en évitant des effets de bord : il ne faudrait pas que des collectivités ayant accompli de grands efforts pour contenir l'étalement urbain soient, en quelque sorte, punies, et qu'elles ne puissent plus artificialiser en cas de besoin. Les vertueux ne doivent pas être pénalisés.

Le principe, c'est de changer d'état d'esprit : dans tel territoire, un lieu se prête-t-il particulièrement à tel projet commercial, à telle construction de logements ? J'en ai parlé avec beaucoup de maires. Un grand nombre d'entre eux m'ont affirmé que ces préoccupations n'existaient pas il y a dix ou quinze ans. D'autres sont assez démunis, car la réhabilitation des friches coûte plus cher que la construction sur des terrains agricoles.

Dans le cadre du plan de relance, nous avons mis en place un fonds « Friches » de 300 millions d'euros. Ce dispositif fonctionne très bien : c'est la preuve qu'il répond à une demande. En outre, nous avons créé une aide destinée aux maires densificateurs.

Mme Sophie Primas, présidente. - Mais l'aide aux maires bâtisseurs a été supprimée en 2007 !

Mme Barbara Pompili, ministre. - Je vous assure que cette aide est l'une des lignes du plan de relance : nous l'avons recréée.

Ces dispositifs permettront d'accompagner notre action. D'autres mesures relèveront des documents d'urbanisme. Bien sûr, il ne s'agit pas de refaire tous les PLU et les PLUi : ces documents complexes ont demandé beaucoup de travail. Il s'agit simplement de les modifier de manière ponctuelle.

M. Daniel Laurent. - Élu d'un département conchylicole, je m'interroge sur la juxtaposition de deux droits de préemption, qui inquiète la profession : elle pourrait affaiblir la loi pour la protection foncière des activités agricoles et des cultures marines, votée en 2019, et complexifier les procédures. Un amendement visant à permettre aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) de poursuivre leurs missions dans les territoires littoraux en préservant les espaces et les activités agricoles du littoral a été rejeté, au motif qu'il n'est pas possible d'accorder un droit de préemption de premier rang à la fois aux collectivités et aux Safer. Quelles assurances pouvez-vous apporter à la profession ?

Le réseau agricole des îles atlantiques a attiré notre attention sur les difficultés d'accès au foncier et aux infrastructures agricoles dans ces territoires, en raison de l'empilement réglementaire, de l'absence d'espace rétrolittoral et d'une forte pression immobilière. Or le maintien d'activités agricoles est indispensable pour répondre aux enjeux de préservation des paysages, d'autonomie alimentaire et d'emploi à l'année. Qu'en pensez-vous ?

Vous venez d'évoquer l'objectif de limitation de l'artificialisation des sols. Président du groupe d'études Vigne et vin du Sénat, je prendrai l'exemple des régions viticoles. Pour suivre la demande des marchés, la filière est appelée à construire des bâtiments industriels en dehors des zones urbaines ou périurbaines. Sans de tels bâtiments, il est impossible de répondre aux enjeux de qualité et à la demande des clients : les pertes de parts de marchés remettraient en cause un pan entier de l'économie locale. Vos explications et, surtout, l'application de la future loi dans nos territoires m'inquiètent.

En outre, pour ce qui concerne la consigne, le secteur souhaite que le caractère volontaire du bilan économique et social soit pris en compte. Pour le vrac, confirmez-vous que le secteur des boissons alcoolisées sera exclu ? Je ne vois pas servir le cognac à la tirette !

Enfin, l'article 57 bis A exempte du droit de préemption des Safer les donations « au profit d'une personne morale reconnue d'utilité publique dont l'objet principal est la protection de l'environnement et de la biodiversité ». Cette disposition n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact et la définition des bénéficiaires est très large : ne conviendrait-il pas d'en rester au droit existant ?

M. Jean-Pierre Moga. - Je souhaite vous interroger sur notre retard dans le solaire. En 2020, la filière a passé le cap des 10 gigawatts de capacités installées, quand la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) impose un doublement des capacités d'ici à 2023 et un quadruplement d'ici à 2028. Or de nombreux projets sont actuellement à l'arrêt ou ralentis. Dans mon département, un projet de ferme photovoltaïque d'une puissance de plus d'1 gigawatt ne parvient pas à voir le jour. Comment expliquer un tel paradoxe ? De manière plus générale, comment expliquer les contraintes qui freinent le développement bienvenu de l'agrivoltaïsme ?

Le projet de loi prévoit des mesures visant à promouvoir les alternatives à la voiture et à améliorer le transport routier de marchandises. S'agissant de ce dernier, nous savons que le dernier kilomètre est le talon d'Achille de la logistique.

Vous avez défendu à l'Assemblée nationale un amendement visant à élargir la prime à la conversion à l'acquisition de vélos cargos. Comptez-vous élargir encore ce dispositif à d'autres solutions, comme les remorques électriques intelligentes, qui peuvent être tractées manuellement ou par des vélos ? Il s'agit d'une innovation française qui pourrait permettre de résoudre de nombreux problèmes, notamment lorsque l'accès est difficile.

M. Joël Labbé. - Je n'ai, pour ma part, aucun doute quant à votre sincérité et à votre détermination, madame la ministre.

L'article 65 du projet de loi précise que les objectifs de différentes stratégies nationales doivent être compatibles avec ceux de la politique agricole commune (PAC). Ainsi, nous ne pourrons atteindre ni les objectifs du plan Ambition bio ni ceux de la stratégie « Farm to Fork ».

Selon les premières informations qui nous ont été communiquées, le projet de plan stratégique national (PSN) de la PAC prévoirait une diminution de 66 % des aides aux exploitations bio sur le volet maintien. Concernant la conversion, si la directrice générale de la performance économique et environnementale des entreprises nous a annoncé que les enveloppes devraient augmenter, elle n'a pas précisé de montant. Ces éléments montrent hélas ! un manque d'ambition criant en matière d'agriculture biologique. Quelle est votre position quant à l'article 65 ?

M. Laurent Duplomb. - Dans un sondage récent, 70 % de Français se sont déclarés opposés à un référendum leur proposant de « garantir » la protection de l'environnement dans la Constitution. Contrairement à ce que vous avez indiqué, il ne me paraît pas évident que la totalité des Français comprend la gravité de la situation.

Je relève plusieurs paradoxes dans ce projet de loi. Par exemple, quand la loi Égalim prévoyait un repas végétarien par semaine, vous en prévoyez un tous les jours. Ce faisant, nous ouvrons un peu plus grande la porte des importations de produits qui ne respectent pas nos normes. Dans mon rapport sur le sésame, j'ai prouvé qu'à force d'interdire sans contrôler, nous finissons par manger ce que nous avons interdit, après avoir tué des filières entières.

Au travers de ce projet de loi, vous condamnez l'agriculture française à davantage d'écologie punitive : que ce soit en matière d'irrigation et de drainage ou de taxe azote, cela se traduira pour les agriculteurs français par un accroissement des charges, alors qu'ils sont en concurrence avec d'autres agriculteurs européens soumis à des normes moins contraignantes. Pourtant, s'agissant de l'azote, de nombreux efforts ont été réalisés, tels que le fractionnement, la mesure des reliquats en fin d'hiver ou l'incorporation de l'azote au plus près de la plante et au meilleur moment de manière à limiter les pertes.

Au lieu de nous préoccuper de ce que nous devrions continuer de faire, pourquoi ne pas nous préoccuper de ce que nous devrions faire tout de suite ? Par exemple, nous attendons toujours le décret, annoncé il y a déjà plusieurs mois, qui doit porter le seuil du guichet ouvert à 500 kilowatts crête pour le photovoltaïque, une énergie verte et renouvelable qui permettrait d'améliorer les résultats des entreprises dans de nombreux secteurs.

De même, nous ne savons toujours pas quels assouplissements seront apportés à la RE 2020. Ainsi, les élus qui souhaitent construire des logements, qu'ils soient individuels ou collectifs, ne savent toujours pas s'ils peuvent prévoir de les chauffer au gaz.

Mme Martine Berthet. - L'Assemblée nationale a adopté des amendements visant à interdire le polystyrène. Êtes-vous en accord avec cette interdiction ? Vise-t-elle toutes les productions ou uniquement le vrac ? La portée économique d'une telle interdiction a-t-elle été examinée, le polystyrène étant le matériau utilisé prioritairement par les fabricants de produits laitiers frais ?

Certains éleveurs baissent les bras du fait des massacres de leurs troupeaux d'ovins, de caprins et à présent de bovins. Des mesures fortes visant à lutter contre la présence du loup trop près des maisons et des troupeaux sont nécessaires. Affichez-vous un soutien clair au pastoralisme, et si oui, de quelle façon envisagez-vous de lui venir en aide ?

M. Franck Menonville. - Le projet de loi prévoit la mise en place d'une redevance sur les engrais azotés minéraux si les objectifs annuels de réduction des émissions d'ammoniac et de protoxyde d'azote ne sont pas atteints. Cette perspective inquiète nos agriculteurs, car cela risque d'engendrer des charges supplémentaires, de créer une distorsion de concurrence, notamment au sein de l'Europe, et donc, de peser sur le revenu des agriculteurs. Pouvez-vous préciser la trajectoire de baisse des émissions ainsi que l'assiette éventuelle de cette taxe ?

Par ailleurs, une taxe doit être assortie de solutions alternatives et d'incitations. Or une étude a récemment indiqué que le gisement de matières fertilisantes d'origine organique ne permettra pas de couvrir l'ensemble des besoins. Plus qu'une nouvelle taxe, il paraît donc nécessaire de promouvoir les avancées technologiques telles que le fractionnement de l'azote et l'agriculture de conservation qui contribue au stockage du carbone dans le sol.

Mme Viviane Artigalas. - Si le projet de loi prévoit d'interdire la location de logements considérés comme des passoires thermiques, seuls un audit et un chiffrage des travaux de rénovation sont prévus dans le cas d'une vente. Ne faudrait-il pas prévoir un dispositif plus contraignant ?

Par ailleurs, ne conviendrait-il pas de prévoir un délai plus long que ceux de douze mois pour une rénovation globale et dix-huit mois pour une rénovation complète retenus dans le texte afin de mieux s'adapter à la capacité financière des ménages ?

M. Serge Babary. - L'article 30 du projet de loi risque de fausser davantage la concurrence en matière de transport de marchandises avec des pays voisins comme l'Allemagne ou l'Espagne, aggravant les difficultés d'une filière déjà très fragilisée. Où en sont les discussions européennes sur ce sujet ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - Alors que notre pays a connu l'une des plus fortes désindustrialisations d'Europe, un effort particulier doit être mené pour réimplanter des activités industrielles dans nos territoires, dans les zones urbaines, mais aussi dans des territoires moins denses. Comment concilier ce besoin de revitalisation économique avec les fortes restrictions qui pèsent sur les constructions nouvelles ? Les territoires aujourd'hui peu industrialisés sont-ils condamnés à ne pas accueillir de nouvelles entreprises faute de terrains disponibles ?

La transition énergétique de notre économie nécessite une accélération du déploiement des énergies renouvelables sur le territoire français. Pourtant, les méthaniseurs rencontrent des difficultés à mobiliser du foncier, y compris du foncier déjà artificialisé. Les objectifs de lutte contre l'artificialisation s'appliqueront-ils aux dépens de la réindustrialisation et de la transition énergétique ? Comment entendez-vous améliorer le projet de loi pour articuler ces impératifs ?

M. Jean-Claude Tissot. - Franck Montaugé m'a prié de poser deux questions en son nom. 

L'État va engager un programme de diminution de l'impact climatique de nos territoires avec les collectivités locales, notamment les régions, pour un montant de 40 millions d'euros. Les actions de ce programme alimenteront les futurs contrats de plan État-région (CPER). Comment envisagez-vous de gérer ce processus ? Prévoyez-vous de contractualiser ces objectifs locaux en rapport avec la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ? Comment allez-vous effectuer le suivi des résultats ? Les évaluations donneront-elles lieu à une actualisation des CPER si nécessaire ? Quels outils envisagez-vous de mettre à la disposition des collectivités pour mesurer les niveaux de résilience et de transition énergétique de leur territoire ?

Je vous poserai, pour ma part, une question relative à la réforme du code minier. Vous faites le choix d'effectuer cette réforme attendue depuis de nombreuses années par voie d'ordonnances. Ce faisant, vous évitez la concertation avec les acteurs concernés et le débat au Parlement. L'Association des communes minières de France (ACOM) s'est fortement étonnée de cette décision. Quels objectifs poursuivez-vous au travers de cette réforme, en particulier pour la gestion de l'après-mine ? Tous les territoires miniers étant concernés par cette question difficile, je souhaite avoir une réponse précise.

M. Henri Cabanel. - L'Assemblée nationale a approuvé la création d'un délit d'écocide ; la Convention citoyenne avait proposé d'en faire un crime. On discute de ce concept depuis une dizaine d'années et le Parlement européen a adopté en janvier dernier une résolution appelant à en faire l'un des crimes dont pourrait être saisie la Cour pénale internationale, à l'instar du génocide. Le Gouvernement durcit certes le cadre légal, mais faire de l'écocide un simple délit et échoue à donner leur pleine mesure aux ambitions écologiques des citoyens et de l'Europe.

J'approuve l'objectif de diminution de l'artificialisation des sols, mais à l'heure où les dispositions de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) concernant l'offre de logements ne sont toujours pas appliquées par certaines communes, comment ce texte peut-il, en l'état, favoriser le renouvellement urbain ? Un problème de surcoût se pose. Nos collectivités s'adaptent sans cesse aux moyens et aux objectifs changeants de l'action publique. Pour éviter des efforts contradictoires, comment établir une culture des enjeux qui soit commune à l'administration et aux élus locaux, afin de mieux coordonner les initiatives de tous les acteurs ?

M. Daniel Salmon. - Vous avez invoqué une « écologie de bon sens », mais bon sens ne rime pas toujours avec science ! Le réchauffement climatique coûte déjà cher et il coûtera toujours plus cher ; il faut donc agir tout de suite. Ce texte va dans le bon sens, mais on est au milieu du gué.

Un rapport de France Stratégie publié en février dernier met en évidence les nombreux impacts négatifs des entrepôts de e-commerce, parmi lesquels l'artificialisation de nombreux hectares. Quand pensez-vous les faire rentrer dans le droit commun des surfaces commerciales ?

M. Jean-Marc Boyer. - L'interdiction à compter de 2025 du polystyrène pour les emballages à usage unique ne prend pas en compte l'ouverture en France, dès 2023, d'une unité de recyclage de ces déchets, technologie de rupture développée par le groupe Michelin. L'Assemblée nationale a même avancé cette interdiction à 2021, contre l'avis du Gouvernement. Pensez-vous faire entendre raison à votre majorité parlementaire pour que cette interdiction n'entre pas en vigueur avant 2023 ?

Le transport aérien est crucial pour l'aménagement du territoire et le développement économique de nos régions. Le numérique émettra bientôt plus de CO2 que ce secteur : envisagez-vous de réduire la prolifération de tablettes, de téléphones et d'ordinateurs portables ? La reprise de la construction de lignes TGV a été annoncée par le Premier ministre, alors que Toulouse est aujourd'hui plus près de Paris que Clermont-Ferrand ! Le maintien de lignes aériennes essentielles pour la desserte des régions situées à plus de deux heures et demie de Paris en train, en particulier l'Auvergne, est-il garanti ?

Mme Sylviane Noël. - Nous partageons l'objectif d'accélération de la lutte contre l'artificialisation des sols et l'étalement urbain. En Haute-Savoie, nous avons déjà divisé par deux et demi la consommation foncière en dix ans, en dépit de notre croissance démographique. La mise en oeuvre d'un tel dispositif ne peut se faire n'importe comment : je m'étonne que la définition de l'artificialisation nette et les modalités de compensation afférentes soient renvoyées à de futurs décrets et ordonnances. Le Parlement ne peut constamment faire des chèques en blanc au Gouvernement !

Les élus locaux sont inquiets des effets collatéraux de ces mesures. On peut redouter que les territoires ruraux et périurbains ne servent de caution environnementale au développement des grandes métropoles. Dans des zones déjà tendues et soumises à des contraintes réglementaires spécifiques, en montagne ou sur le littoral, on risque une nouvelle inflation des prix du foncier. Tout cela risque de remettre le feu aux poudres, peu après la crise des « Gilets jaunes ».

M. Yves Bouloux. - Depuis quelques années, on multiplie les obligations d'information du consommateur sur les produits mis en vente. Cela ne risque-t-il pas de générer du suremballage ?

Mme Patricia Schillinger. - Ce texte très dense se situe sur une ligne de crête entre la prise en compte de l'urgence climatique et un pragmatisme visant à ne laisser personne au bord du chemin. Son article 38 demande aux compagnies aériennes d'utiliser des crédits carbone pour soutenir des projets d'absorption situés de préférence sur le territoire français. Certains parlent de greenwashing ; d'autres nous alertent sur une trop forte pénalisation des constructeurs d'avions. Pouvez-vous nous rassurer quant à la cohérence de cette mesure ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Comment favoriser l'innovation et le développement d'activités propices à la lutte contre le changement climatique ? Je veux vous signaler la situation de l'entreprise HACE, spécialisée dans l'énergie houlomotrice et la production d'hydrogène vert. Lauréats de plusieurs concours européens, ils ont demandé à l'État 2 millions d'euros d'aide au titre du soutien à l'innovation, afin de passer à la production d'un prototype, mais on leur répond que cette technologie n'est pas encore assez mature. C'est typique : nos hauts fonctionnaires croient savoir où l'innovation est possible et où elle ne l'est pas ! Pouvez-vous examiner ce dossier ? Plus largement, comment nous montrer plus ouverts à une innovation qui n'entre pas dans un encadrement préétabli ?

La volonté de faire figurer des clauses environnementales dans les marchés publics me semble encore très floue. Surtout, il faut intégrer les intrants dans le bilan carbone des entreprises ; cela permettrait de prioriser des entreprises locales.

M. Olivier Rietmann. - Nous avons été plusieurs à être choqués par vos propos sur la viande servie dans les cantines françaises. Vous avez affirmé que la viande labellisée serait meilleure pour les enfants français. Tous les éleveurs français, que leur viande soit bio, labellisée, raisonnée, ou conventionnelle, produisent une viande de très haute qualité ! Prétendre qu'il y a une différence notable de qualité entre viandes françaises est une insulte faite à nos éleveurs. Demandez plutôt à ce qu'on serve dans nos cantines de la viande française !

Mme Barbara Pompili, ministre. - Monsieur Laurent, concernant les droits de préemption relatifs au trait de côte, celui des collectivités affectées sera bien prioritaire sur celui des Safer, mais la réforme concernera bien tous les acteurs. Les Safer garderont des droits, mais il fallait donner aux collectivités les moyens d'agir en la matière.

Quant au foncier agricole sur les îles, si nous voulons des circuits courts et de la production localisée, nous devons à l'évidence préserver du foncier pour l'agriculture sur tous les territoires. Cela dit, des règles spécifiques sont nécessaires, d'autant que les îles sont différentes entre elles.

Beaucoup de questions m'ont été posées sur l'artificialisation. Vous évoquez les bâtiments nécessaires pour pérenniser l'activité viticole. Le principe n'est pas d'arrêter toute construction, mais de déterminer où il y a des besoins réels et où l'on peut ralentir le rythme de l'artificialisation. Le besoin de bâtiments viticoles peut tout à fait être entendu. Par ailleurs, il ne faudrait pas défavoriser les territoires qui ont déjà fait des efforts. Nous ne voulons pas non plus encourager une métropolisation qui se ferait au détriment des territoires plus ruraux, qui doivent se développer. Les territoires déjà plus développés ont en général plus de friches, qu'il convient de réutiliser.

Le principe en matière de consigne est de faire son bilan environnemental produit par produit, dans la suite de la loi AGEC. Aujourd'hui, on rajoute la possibilité de consigner le verre, mais il faut le faire de manière intelligente et pragmatique. Il serait absurde de soumettre à consigne des contenants pour lequel ce serait inadapté, comme les flacons de parfum ou certaines boissons surtout vendues à l'étranger. Il faut s'en tenir aux cas où la consigne a un réel intérêt, au terme d'études spécifiques. Quant aux contenants en verre non alimentaires, ils ne représentent que 1 % de tous les contenants : la mise en place de tout un système de consigne spécifique est-elle bien nécessaire ? En revanche, il faut aller le plus loin possible quand c'est nécessaire. Pour sortir du tout jetable, il faut recycler ou, mieux encore, réutiliser, ce qui demande beaucoup moins d'énergie et de technologies. Pour autant, la réutilisation n'est pas toujours la solution la plus efficace. Mettons-la en place là où elle est utile !

Monsieur Moga, la filière photovoltaïque a montré sa résilience en 2020 : 973 mégawatts ont été raccordés, contre 962 en 2019, malgré la crise sanitaire. Certains chantiers ont été affectés, des retards ont été pris dans l'instruction des dossiers, mais on devrait revenir à la normale cette année. Plusieurs mesures qui seront finalisées en 2021 permettront d'accélérer le développement de cette filière. Les nouveaux cahiers des charges des appels d'offres de mon ministère vont offrir un cadre renouvelé, avec des volumes en hausse : près de 3 gigawatts seront ouverts chaque année pour les projets au sol, sur bâtiments innovants et en autoconsommation. Le projet d'arrêté tarifaire évoqué par M. Duplomb est en phase de prénotification à la Commission européenne ; nous avons pour objectif de le publier cet été. Nous allons le plus vite possible, mais nous ne maîtrisons pas tous les délais : il faut attendre la réponse de la Commission.

Les gros projets menés en dehors des dispositifs de soutien sont soumis au droit commun de l'urbanisme et de l'environnement : on considère leur impact sur la biodiversité et les sols, on essaie de concilier tout cela. Ce texte soumet les nouveaux bâtiments commerciaux et ceux qui subissent une rénovation lourde à une obligation de mise en place de panneaux solaires, dès 500 mètres carrés. On sent une évolution sur ces sujets dans les territoires, de plus en plus de projets sont lancés, car chacun y trouve son compte. L'État soutient ces initiatives très inventives.

Concernant la prime à la conversion, l'Assemblée nationale en a élargi le bénéfice aux vélos cargos. Pour les véhicules utilitaires légers, le système actuel n'était pas assez intéressant pour les entreprises ; les modifications apportées seront notamment utiles pour mettre en place les zones à faibles émissions sans empêcher la mobilité de nos artisans. Les vélos-cargos comptent parmi les solutions qu'on leur propose. Mon ministère a été saisi du cas des remorques électriques : pourront-elles rentrer dans le cadre des aides à l'achat de vélos-cargos ? Réglementairement, ces remorques ne sont pas considérées comme des cycles, alors qu'elles ont la même fonction et s'attellent à des vélos. Mes services étudient les solutions juridiques qui permettraient de les aider au même titre que les vélos-cargos. Il faut y parvenir, car c'est une innovation qui va dans le bon sens !

M. Jean-Pierre Moga. - Et française !

Mme Barbara Pompili, ministre. - Monsieur Labbé, je suis évidemment très attentive aux négociations sur la future PAC et au projet de PSN afférent. On discute encore entre ministères du niveau des enveloppes, mais une chose est sûre : il faut une ambition écologique accrue dans les deux piliers. Nous avons insisté pour que le bio soit bien soutenu ; les mesures en sa faveur seront meilleures qu'auparavant. L'obligation de compatibilité du PSN et de la PAC avec nos ambitions écologiques édictée à l'article 65 ne paye pas de mine, mais forcera l'État à se montrer vigilant en la matière : toute incompatibilité pourra être attaquée ! Par ailleurs, au cours du onzième programme des agences de l'eau, celles-ci prévoient d'engager 521 millions d'euros en faveur du développement de l'agriculture biologique, dont 461 millions d'aides individuelles ; en comparaison, pendant le dixième programme, elles n'avaient engagé que 284 millions d'euros à cette fin.

Monsieur Duplomb, je vous avoue mon agacement face à l'expression « écologie punitive ». J'ai pu constater que ceux qui l'emploient - je ne vous compte pas parmi eux ! - sont en général ceux qui veulent que rien ne bouge. La vraie écologie punitive, c'est ce qu'ont vécu les habitants de la vallée de la Roya, c'est ce que l'on vit dans ma région, où les maisons se craquellent sous l'effet des sécheresses.

M. Laurent Duplomb. - Les catastrophes naturelles ne sont pas toutes dues à l'homme !

Mme Sophie Primas, présidente. - Mieux vaut ne pas entrer dans ce débat, si l'on veut clore cette réunion avant minuit !

Mme Barbara Pompili, ministre. - Les catastrophes que j'ai évoquées sont dues au changement climatique. Je vous invite à lire les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), ainsi que ceux de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), instructifs sur les liens entre la déforestation, les trafics d'espèces et l'apparition de zoonoses et de pandémies. Ce qui se passe ailleurs a un impact ici !

En matière de menus végétariens, ce qui a été voté, c'est la généralisation de l'offre d'un menu végétarien par semaine dans toutes les cantines. Par ailleurs, un choix végétarien a été ajouté dans les cantines gérées par l'État, dont celles des universités. Il est important d'avoir le choix et de le donner à tous ceux qui fréquentent ces cantines : c'est normal et c'est sain. Dans un menu végétarien, on ne remplace pas simplement la viande par des fruits et des légumes. Pour qu'il soit équilibré, il faut remplacer les protéines de la viande par d'autres types de protéines.

M. Laurent Duplomb. - Des insectes !

Mme Barbara Pompili, ministre. - Ce n'est pas le choix qui a été fait en France, car ce n'est pas vraiment dans notre culture ! On trouvera plutôt ces protéines dans des légumineuses, ou encore dans une omelette aux pommes de terre. Il ne s'agit pas simplement de retirer la viande de l'assiette ! Le ministre de l'agriculture a par ailleurs annoncé un plan protéines végétales qui vise à améliorer notre autonomie alimentaire en la matière.

Concernant la taxe sur les engrais azotés, la mesure proposée vise à accompagner les agriculteurs dans une trajectoire de réduction des émissions d'ammoniaque. Celle-ci nous est imposée par une directive européenne, à hauteur de 13 % à l'horizon 2030. C'est aussi un enjeu de qualité de l'air et de santé publique : il faut prendre les décisions qui s'imposent pour la santé de nos enfants. Or les émissions d'ammoniaque proviennent essentiellement du secteur agricole, au travers de la gestion des déjections bovines et de l'épandage de fertilisants minéraux et organiques. Les incitations sont importantes, mais elles ne sont pas toujours suffisantes : depuis 2000, ces émissions ont très faiblement diminué. Si le travail d'accompagnement que nous comptons mener auprès des agriculteurs ne permet pas à lui seul de respecter la trajectoire imposée, pendant deux années consécutives, et qu'une mesure équivalente n'a pas été déjà mise en place à l'échelle européenne, alors seulement une redevance sera mise en place afin de modifier les comportements d'achat d'engrais azotés minéraux au profit de formes moins émettrices d'ammoniaque. S'il faut en fin de compte instaurer cette redevance, il est essentiel que son produit soit redistribué au monde agricole : il ne s'agit pas de punir les agriculteurs, mais de les motiver. Un meilleur usage des engrais permettra en outre de diminuer les émissions de protoxyde d'azote, gaz à effet de serre 260 fois plus puissant que le CO2.

Madame Berthet, l'interdiction du polystyrène n'était pas prévue dans la version initiale de ce texte, mais a été rajoutée par l'Assemblée nationale. Ce qui me pose problème dans cette interdiction, c'est qu'elle ne tient pas compte du recyclage. La loi AGEC prévoit de tendre vers 100 % de plastiques recyclés d'ici au 1er janvier 2025, ce qui suppose que les résines employées soient recyclables et qu'une filière de recyclage soit opérationnelle. Une telle filière n'existe pas encore en France pour le polystyrène, mais il peut être recyclé en Espagne. Plusieurs projets de recyclage chimique ont été annoncés ou sont à l'état pilote en France. Aucune interdiction générale n'est prévue par la directive européenne sur les plastiques à usage unique. De telles interdictions de principe ne sont pas une bonne solution, car elles seraient contraires au droit européen : seuls les emballages non valorisables peuvent être interdits. Toute interdiction serait vue comme une restriction à l'importation, ce qui est prohibé par le droit européen. En revanche, la France a joué un rôle moteur pour inscrire dans le droit européen la possibilité de mettre en place des incitations économiques à l'écoconception des emballages, sous la forme de bonus-malus fixés dans le cadre des filières à responsabilité élargie du producteur (filières REP). Une pénalité est applicable aux emballages qui ne peuvent intégrer une filière de recyclage. C'est ainsi qu'on pourra favoriser les emballages écoconçus. Un bonus est aussi offert pour l'incorporation de plastique recyclé dans le polystyrène comme dans d'autres résines. Par ailleurs, la toxicité du polystyrène a été soulevée lors des débats à l'Assemblée nationale : de fait, ce n'est pas lui, mais un monomère de ce polymère, qui est toxique : c'est donc lors de sa production qu'il faut prendre des précautions pour protéger les travailleurs. Il n'y a en revanche pas de risque de dégradation du polymère qui mettrait en danger le consommateur. Le Gouvernement travaille avec la filière de l'emballage pour avancer sur toutes ces questions ; on pourra avoir ce débat en séance, mais il me semble qu'une interdiction sèche telle que celle qu'a adoptée l'Assemblée nationale pose problème.

Quant au pastoralisme, rappelons qu'une de mes premières sorties en tant que ministre de la transition écologique a été pour aller dans les Hautes-Alpes à la rencontre des éleveurs durement touchés par des attaques de loups. J'ai voulu leur dire que j'étais à leurs côtés et que le Gouvernement souhaite protéger et encourager le pastoralisme. L'écologie, c'est aussi l'entretien des espaces et des paysages. Grâce au pastoralisme, non seulement on mange de bons produits, mais on préserve aussi des prairies très riches en biodiversité. Je suis aussi obligée de protéger le loup. On a réfléchi à des solutions qui permettraient aux éleveurs de mieux se protéger, jusqu'aux prélèvements. Il faut aussi qu'ils soient indemnisés ; en 2016, lors de mon arrivée au ministère, ces indemnités étaient versées avec des retards de plusieurs années ! Ce n'est heureusement plus le cas. On ne pourra pas avancer en opposant les uns aux autres, il faut travailler ensemble. Le loup est revenu sur notre territoire ; on ne peut pas avoir une politique de protection des grands prédateurs à l'étranger et ne pas l'appliquer chez nous. Ce n'est pas facile, mais il faut continuer le travail.

Mme Martine Berthet. - Je vous invite à venir dans le massif des Aravis, où de jeunes femmes éleveurs pourront vous expliquer comment elles doivent protéger leur troupeau chaque nuit contre des loups qui viennent narguer leurs chiens. Elles veulent bien discuter, mais quel accord est possible ? Il n'y a pas de compatibilité entre loup et pastoralisme ! Nous tenons tous à protéger l'environnement et nos espaces de montagne ; les enclos mènent au surpâturage et à la destruction de la flore, les chiens s'en prennent à la petite faune ; c'est contre-productif en matière de biodiversité.

Mme Barbara Pompili, ministre. - Je connais les situations difficiles que rencontrent ces exploitations familiales, mais je ne serai pas la ministre qui dira qu'il faut éradiquer les loups pour sauver le pastoralisme. Cela n'aurait pas de sens et irait à l'encontre de nos engagements internationaux : on ne peut pas décider de la vie et de la mort d'une espèce ! Il faut faire en sorte que tout se passe bien. Des mesures existent déjà quand des loups sont dangereux, on doit pouvoir trouver celles qui sont les plus appropriées. Il y a des pays européens où la question ne se pose même pas. L'usage des chiens a suscité des problèmes, notamment avec les promeneurs, mais on observe une amélioration significative de la situation.

Madame Artigalas, le délai de dix-huit mois pour une rénovation complète me paraît adapté : c'est un gage de performance réelle des travaux réalisés. L'allonger augmenterait le nombre d'étapes de la rénovation ; il y aurait des phases intermédiaires, pendant des hivers successifs. Cela risque de conduire à une rénovation peu performante à terme, car on risque de faire l'impasse sur les interfaces et les interactions entre les différents postes des travaux. Des travaux supplémentaires souvent complexes sont alors requis, ce qui alourdit d'autant le coût pour les ménages. Une étude récente a montré qu'il était généralement possible d'atteindre le niveau de performance « BBC rénovation » en une ou deux étapes ; la consommation moyenne du parc augmente en revanche de 30 % lorsque les travaux sont réalisés en trois ou quatre étapes. À l'inverse, un délai rabaissé à douze mois serait trop court pour la mise en place de toute une rénovation.

Monsieur Babary, nous voulons que les discussions européennes sur le transport routier aboutissent pendant la présidence française de l'UE, au premier semestre de 2022.

Monsieur Redon-Sarrazy, concernant l'artificialisation, il faudra examiner la situation territoire par territoire : l'idée n'est pas d'empêcher toute artificialisation, mais de faire preuve de bon sens et d'aller d'abord chercher des terrains déjà artificialisés qu'on pourrait réutiliser. Ce réflexe à lui seul permettrait d'économiser énormément de béton.

Je vérifierai ce qu'il en est précisément des méthaniseurs. Nous voulons développer cette technologie, tout en mettant en place des garde-fous sur les cultures dédiées ; ils peuvent évidemment être améliorés. Cette filière se développe, ce qui engendre forcément de petites difficultés. On étudie les retours de terrain sur les emprises, les rejets, ou encore la concertation avec le public : dans tous ces domaines, nous entendons bientôt préciser la réglementation. Il va falloir faire comprendre à tous que la méthanisation a un double intérêt : elle offre un revenu complémentaire aux agriculteurs et permet une baisse de consommation de gaz naturel au profit d'un gaz issu d'une source renouvelable.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Faisons attention aux changements de destination des sols !

Mme Barbara Pompili, ministre. - Tout à fait, comme pour les agrocarburants. À force d'incitations, on a pu rencontrer des problèmes de cet ordre. Nos terres agricoles ne sont pas infinies ; c'est une autre raison de stopper l'artificialisation.

Monsieur Tissot, nous débattrons en séance de la réforme du code minier, mais sachez déjà que nous avons tenu à faire figurer tout ce qui concerne l'après-mine dans le dur de la loi. Dans bien des territoires de France métropolitaine, il faut gérer les conséquences d'une exploitation minière passée. Issue moi-même du bassin minier, je suis très attentive à ces questions.

Monsieur Cabanel, le crime d'écocide doit bien être envisagé à l'échelle internationale : on ne peut pas convoquer M. Bolsonaro devant un tribunal français pour son action en Amazonie ! En revanche, les atteintes locales à l'environnement, notamment les pollutions durables de rivières, qui affectent des écosystèmes entiers, sont une forme d'écocide qui ne relève pas, à l'évidence, du crime, mais peut être définie comme un délit. L'un n'empêche pas l'autre !

Monsieur Salmon, les entrepôts de e-commerce ne sont pas traités de la même manière que les zones commerciales parce que la procédure pour ces dernières est construite autour de la surface de vente et de l'accessibilité du lieu à la clientèle. Cela dit, je conviens évidemment qu'il y a un besoin de planification sur ce sujet. C'est pourquoi les députés ont proposé d'inscrire ce principe dans les SCoT, à travers le document d'aménagement commercial et logistique. On s'est peu posé jusqu'à présent la question de l'impact environnemental de la logistique. Une mission vient de rendre ses conclusions ; on étudiera ses recommandations en lien avec les professionnels. Le constat est clair : les entrepôts liés au e-commerce contribuent aujourd'hui au flux d'artificialisation annuel à hauteur de 0,5 % ; cette contribution existe, mais elle est faible. Les préfets auront désormais la possibilité de mieux encadrer un projet d'entrepôt au regard des risques d'artificialisation des sols qu'il présente. Les entrepôts peuvent aussi être source d'émissions de gaz à effet de serre. Il faut développer un e-commerce plus durable ; on ne peut pas demander aux gens d'arrêter de commander en ligne ! L'enjeu crucial se joue autour de la livraison, au dernier kilomètre ; c'est pourquoi le Gouvernement a lancé une mission sur la logistique urbaine durable et mis en place des aides en la matière, notamment en faveur des livraisons à vélos.

Mme Sophie Primas, présidente. - Cela ne peut marcher que dans les villes. Pour transporter les produits sur de plus longues distances, il faudra d'autres solutions.

Mme Barbara Pompili, ministre. - Certes, il faut penser aux zones rurales, mais on ne peut pas non plus oublier le milieu urbain, où vit la majorité de la population. Les deux sont importants ! Nous avons confié à Anne-Marie Idrac une mission de concertation avec les acteurs pour faire émerger des filières logistiques plus responsables et formaliser des engagements en la matière.

Monsieur Boyer, concernant le transport aérien, nous avons décidé de limiter à un temps de trajet ferroviaire de 2 heures 30 les interdictions de lignes aériennes nationales, parce que certains territoires ont besoin de ces liaisons pour leur désenclavement. Quant à la part de l'aviation dans les émissions de gaz à effet de serre par rapport au numérique, vous avez raison, l'empreinte du numérique va croissant ; elle provient notamment de la fabrication des terminaux. Nous avons donc mis en place avec Cédric O une feuille de route visant à faire baisser cet impact environnemental, non pas en interdisant les nouveaux téléphones, mais en développant les filières de reconditionnement et en incitant à d'autres comportements : ne pas changer son téléphone dès la sortie d'un nouveau modèle, décourager les offres à un euro.

M. Jean-Marc Boyer. - Vous n'empêcherez pas ces achats !

Mme Barbara Pompili, ministre. - On ne gagne que les batailles qu'on mène !

Mme Sophie Primas, présidente. - Le débat pourrait encore être long sur ce sujet. Rappelons que le Sénat a adopté la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, qui sera soumise à l'Assemblée nationale.

Mme Barbara Pompili, ministre. - Madame Noël, bravo pour les résultats de votre département ! Il faut que les autres en fassent de même, sans territoires perdants.

Monsieur Bouloux, je ne vois pas de lien entre les mesures que nous mettons en place et un risque accru de suremballage.

Madame Schillinger, concernant l'impact économique de la compensation prévue des émissions de carbone pour les vols effectués à l'intérieur du territoire national, le montant dû pour un aller-retour international depuis Nice via Paris Charles-de-Gaulle serait de 0,8 euro seulement dans l'hypothèse d'une valorisation de 5 euros par tonne de CO2 et de 4 euros dans l'hypothèse d'une valorisation à 30 euros. Il ne faut évidemment pas entraver la compétitivité du hub de Paris Charles-de-Gaulle ni affecter la pérennité de certaines liaisons long-courrier. Il s'agit d'émissions bien réelles et comptabilisables grâce aux critères d'éligibilité qui seront définis par voie réglementaire, notamment le critère d'additionnalité des réductions d'émissions des projets de compensation permettant de s'assurer que ces gains n'auraient pas lieu en l'absence du projet. Le critère limitant le double compte permet en outre de s'assurer que les réductions ne sont comptabilisées qu'une fois.

Madame Lienemann, je partage votre point de vue : il ne faut pas restreindre les innovations. Je vais regarder le dossier de l'énergie houlomotrice, mais je connais d'autres exemples d'initiatives qui sont intéressantes, même si elles ne sont pas mûres, et méritent d'être fouillées. Il convient peut-être simplement d'orienter les demandes d'aides vers les bons fonds : le plan de relance se concentre sur les filières matures, de manière à ce que l'industrialisation soit lancée cette année ou l'année prochaine.

Monsieur Rietmann, vous êtes scandalisé par ma position sur les viandes labellisées. Je me refuse à rentrer dans les débats sans fin qui opposeraient défenseurs de la viande et défenseurs du veganisme ou de je ne sais quoi. Pour ma part, je défends l'environnement, le bien-être et la bonne bouffe ! J'adore la viande et je ne me prive pas d'en manger ! Simplement, manger trop de viande n'a pas un grand intérêt, d'autant que cela implique souvent que c'est une viande de moins bonne qualité : c'est mauvais pour la santé et pour l'environnement ; on sait que l'élevage bovin, en particulier, a un impact très fort sur l'environnement. On peut se voiler la face, ou essayer de trouver la meilleure solution. En France, la filière d'élevage est diversifiée et nous offre des viandes de qualité : pourquoi nous en priverions-nous ? On devrait se réjouir du choix que l'on offre à tout le monde dans ce texte, entre menus carnés et végétariens. Nous favorisons dans tous les cas la production locale, qu'il s'agisse de viande ou de légumes. Il existe des viandes de terroir succulentes ! Vous ne ferez donc pas de moi une ennemie de quiconque. Je veux à l'inverse que tout le monde s'y retrouve : les éleveurs, les citoyens et nos enfants.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour vos réponses, madame la ministre. Concernant l'étiquetage environnemental, vous nous dites prendre de l'avance sur les décisions européennes. Je vous signale que le Sénat a adopté une proposition de loi en la matière il y a dix-huit mois en anticipation de ces décisions, mais on attend toujours les décrets. Par ailleurs, on nous avait reproché d'anticiper les décisions européennes en matière d'empreinte du numérique : deux poids, deux mesures ! Enfin, à propos de la réforme du code minier, je vous ferai remarquer que les ordonnances ne vont pas plus vite que les lois, bien au contraire ; le risque de sortie du champ de l'habilitation est en outre réel, comme votre collègue Julien Denormandie peut en attester.

La réunion est close à 17 h 25.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 12 mai 2021

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente.-  L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal.

Mme Esther Benbassa, auteure de la proposition de loi. - Je me réjouis de participer à votre commission, pour vous présenter cette proposition de loi pour laquelle nous avons fait de nombreuses auditions avec votre rapporteure, ce dont je la remercie.

Ce texte conjugue le bien-être animal et celui de l'agriculteur, il promeut l'agriculture, une agriculture paysanne. Nous y avons beaucoup travaillé depuis dix-huit mois pour parvenir à cet équilibre, nous l'avons modifié pour lui donner ses chances d'aboutir, afin de faire cesser ce que l'on voit dans l'élevage industriel, chacun de nous sait ce qu'il en est de la condition animale.

L'article 1er vise à faire évoluer les modes d'élevage en rendant obligatoire d'ici 2026 un accès des animaux au plein air et en fixant un seuil de densité maximale par élevage, avec une date butoir fixée à 2040 pour laisser le temps aux éleveurs de s'organiser et passer au plein air. Nous savons que le bien-être animal et le bien-être de l'éleveur sont liés, il faut soutenir les agriculteurs dans la transition vers l'élevage en plein air.

L'article 2 limite le temps de transport des animaux à huit heures sur le territoire national.

L'article 3 interdit l'élimination, y compris par gazage, des poussins mâles et des canetons femelles vivants, à compter du 1er janvier 2022, une date que nous avons retenue après consultation du ministère pour laisser le temps de déployer des techniques alternatives qui sont déjà au point, en particulier le sexage des oeufs - nous avons auditionné des entreprises du secteur, ces techniques sont éprouvées.

L'article 4 prévoit la création d'un fonds de soutien à la transition pour accompagner les acteurs économiques, et d'abord les éleveurs. Ce fonds serait défini par décret avec l'objectif d'encourager l'abattage de proximité et la transformation des systèmes d'élevage.

Le groupe écologiste, parallèlement aux travaux de la rapporteure, a auditionné une dizaine d'associations qui nous ont dit l'importance de ce texte, comme premier pas pour changer la donne sur la condition animale, mais aussi sur la vie des agriculteurs.

Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteure. - Ce texte, sur lequel nous avons effectivement conduit des auditions de concert, vise à trouver un équilibre entre les impératifs des éleveurs et la recherche de meilleures conditions d'élevage. Je crois que nous en partageons par certains aspects la philosophie et les objectifs, c'est-à-dire la recherche de meilleures conditions d'élevage en prenant en compte les contraintes des éleveurs, sans les stigmatiser davantage. Je vois dans la proposition d'un fonds d'accompagnement une piste intéressante. Mais il faut dire les choses franchement, nous ne partageons pas les moyens choisis pour atteindre cet objectif.

Je commencerai mon propos en ayant une pensée pour les éleveurs, pour qui l'année 2020 a été très dure avec la baisse des cours du lait, des jeunes bovins, des broutards, de la carcasse de porc, avec la fermeture des restaurants, avec l'épidémie de l'influenza aviaire pour les canards, mais aussi avec la hausse des charges liée à la sécheresse estivale, qui n'a pas été, tant s'en faut, répercutée dans les prix de vente, notamment en grande distribution.

Se lever tous les matins pour perdre de l'argent, personne ne peut le supporter. Bien sûr, certaines filières s'en sortent sur quelques segments de marché, je pense bien entendu à la filière de lait à Comté du Jura par exemple. Mais, en majorité, la filière souffre. Nos auditions au sein du groupe d'études Élevage le démontrent à chaque fois. Et c'est ce qui explique que la décapitalisation du cheptel se poursuive dans certaines filières, notamment au sein du troupeau allaitant comme du troupeau laitier.

Si cette situation perdure, notre souveraineté alimentaire en élevage est menacée. J'en veux pour preuve les derniers chiffres sur nos importations : la France importe 45 % de sa consommation de poulet, 25 % de sa consommation de porc, notamment ses jambons, 55 % de sa consommation de moutons, un tiers de ses produits laitiers ! Le rapport de Laurent Duplomb a tiré la sonnette d'alarme en 2019. La tendance s'aggravera si rien n'est fait, car nous perdrons les externalités positives de notre élevage pour l'aménagement du territoire, le stockage de carbone, la réduction de la vulnérabilité aux aléas naturels, ou encore la biodiversité des races cultivées.

C'est pourquoi il faut être très vigilant aux négociations en cours sur la prochaine politique agricole commune (PAC). Si la réforme des aides couplées conduit à une réduction massive des aides à la filière bovine notamment, notre élevage pourrait ne pas s'en relever.

Ce contexte devait être rappelé pour garder à l'esprit qu'il faut être à l'écoute de nos éleveurs. Lors de nos auditions, tous nous ont affirmé ne pas comprendre pourquoi ils sont toujours cloués au pilori, sans que leurs efforts ne soient valorisés, en particulier ceux qu'ils font pour lutter contre la maltraitance animale, qui concerne une partie infinitésimale des éleveurs et qui relève de comportements délictueux.

On parle beaucoup de bien-être animal et à raison. Mais nous parlons insuffisamment du bien-être des éleveurs, M. Cabanel et Mme Férat nous l'ont très bien expliqué.

Le bien-être animal, c'est tous les jours en agriculture ! Il y a quelques anomalies, des exemples existent, mais comme dans toute profession. Mais, tous les jours, des progrès sont réalisés par nos éleveurs pour améliorer les conditions d'élevage de nos animaux. C'est en cela que nous partageons la préoccupation que vous exprimez dans ce texte. Cette préoccupation se traduit très concrètement dans le quotidien des éleveurs - et ils ne nous ont pas attendus pour améliorer les conditions d'élevage, heureusement !

Prenons l'exemple des poules pondeuses : les élevages alternatifs représentent désormais 53 % des poules pondeuses contre 19 % en 2008. La filière a même atteint ses objectifs en avance de deux ans sur son plan initial.

Les élevages au sol, que les consommateurs plébiscitent, se développent rapidement. Des élevages expérimentaux progressent, pour éviter l'élevage de lapins en cage, la filière s'étant dotée d'un objectif ambitieux, salué par tous, de passer de 1 % à 25 % de lapins issus d'élevages alternatifs d'ici 2022. Rappelons aussi que 94 % des vaches laitières et 67 % des vaches allaitantes ont accès à l'extérieur, tout comme 100 % des volailles de chair sous signe officiel de la qualité. En matière de volailles, la France a un taux de 20 % de volailles élevées en plein air, le second pays européen étant seulement à 5 %.

Toutes les filières interprofessionnelles se sont engagées dans un plan bien-être animal. Je citerai l'initiative « France, terre de lait » du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel), la mise en place, par l'interprofession porcine Inaporc, du socle de base du porc français intégrant des critères de bien-être animal minimums - lumière, matériaux manipulables, abreuvement - leur non-respect entraînant le paiement de pénalités au sein de la filière, le pacte sociétal de la filière élevage et viande sous l'égide d'Interbev, l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes.

Toutes les filières développent des outils de diagnostic bien-être animal sur les exploitations afin de mieux mesurer les progrès à réaliser. Ces démarches très intéressantes vont aboutir à des mesures concrètes, au fur et à mesure. Elles ne seront pas médiatiques, j'en suis sûre, mais elles changeront, au jour le jour, la face de nos élevages.

La préoccupation d'améliorer les conditions d'élevage des animaux est donc au coeur des objectifs de nos filières d'élevage et de la vie de nos éleveurs.

Ce propos général doit être dans nos esprits à l'heure d'examiner des propositions pour interdire certaines pratiques d'élevage, de transport ou d'abattage.

En intitulant cette proposition de loi « pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal », vous sous-entendez qu'il n'existe pas d'élevage éthique et soucieux du bien-être animal aujourd'hui en France. Cela ne correspond pas à la réalité du terrain, j'espère l'avoir démontré.

Venons-en au contenu de la proposition de loi.

Il y a deux ans, Mme Benbassa avait déposé un premier texte avec le même titre, comportant 14 articles ; le périmètre en a été réduit et la proposition compte désormais quatre articles visant à interdire certaines pratiques d'élevage, de transport et d'abattage, tout en mettant en place un fonds d'accompagnement.

Je crois pouvoir dire que nous partageons tous, parlementaires comme les filières elles-mêmes, l'objectif d'accompagner à de meilleures conditions d'élevage : toutes les filières ont souligné qu'elles avaient en tête ces préoccupations et que leurs plans d'action visaient à mieux les prendre en compte. Améliorer les conditions de transport des animaux est un sujet consensuel, ce que démontre d'ailleurs l'adoption très large et transpartisane de résolutions du Parlement européen sur le sujet. De même, favoriser l'essor d'élevages alternatifs aux cages quand c'est possible est une piste que toutes les filières développent et que nous soutenons tous. Enfin, il faut trouver une solution viable au broyage massif de poussins.

Sur l'élevage plein air, l'article 1er entend interdire toute construction de nouveau bâtiment d'élevage sans accès à l'extérieur des animaux à compter de 2026 et interdire tout élevage sans accès au plein air à horizon 2040. Les filières ont presque toutes émis des réserves inquiètes sur cette proposition qui leur paraît irréaliste. Le plein air impliquerait la mise en place d'un parcours pour les animaux qui est fortement consommateur de foncier, notamment quand les parcours doivent être très larges pour certaines espèces comme le porc.

Sur le transport des animaux, l'article 2 entend plafonner les durées de transports des animaux vivants sur le territoire français à huit heures pour tous les animaux de rente, à l'exception des volailles et des lapins dont la durée de transport serait plafonnée à quatre heures. Une dérogation pourrait être accordée, après avis d'un vétérinaire, pour une durée plafonnée dans tous les cas à douze heures.

La réglementation relative au transport des animaux vivants relève d'un règlement européen. Ce dernier, mis en oeuvre depuis 2005, pose ce principe simple à son article 3 : « Nul ne transporte ou ne fait transporter des animaux dans des conditions telles qu'ils risquent d'être blessés ou de subir des souffrances inutiles ». Il en découle de nombreuses prescriptions liées à la formation des chauffeurs, à l'équipement des transports de manière à permettre une ventilation, une luminosité, un abreuvement et une alimentation minimales adaptés aux besoins des espèces, à des règles pour le chargement et le déchargement des véhicules ainsi qu'à la durée des transports. Cette dernière est aujourd'hui limitée en principe à huit heures pour toutes les espèces domestiques sauf les volailles. Cette durée peut être portée à un niveau supérieur si certaines conditions supplémentaires sont respectées. L'objectif de la proposition de loi est double : descendre le plafond maximal à douze heures pour toutes les espèces ; mettre en place un plafond de principe pour les volailles à quatre heures, mais le tout au seul niveau national, et c'est tout le problème.

L'article 3 entend interdire toute élimination de poussins mâles et de canetons femelles vivants, sauf épizooties, au 1er janvier 2022.

À cet égard, les techniques de recherche de sexage dans l'oeuf ont considérablement évolué et permettent d'envisager, effectivement, de tourner la page du broyage à court terme.

Pour les poussins mâles, trois techniques ont été développées. La première, développée par l'entreprise allemande Seleggt, permet de percer la coquille de l'oeuf incubé, d'en prélever une partie du liquide lequel, par dosage hormonal et réaction chimique, révèle le sexe du poussin in ovo. Le coût serait d'environ 4 euros la poule. Cette technique, qui fonctionne sur toutes les poules, a commencé à être mise en oeuvre pour quelques oeufs coquille en France.

La seconde, développée par une autre entreprise allemande, AAT, permet par imagerie spectrale de repérer les différences de coloris de l'embryon des poules brunes, les poussins en résultant étant plus bruns pour les femelles et plus jaunes pour les mâles. De même, quelques oeufs coquilles français sont commercialisés avec cette technique qui n'est pas invasive contrairement à la précédente et qui est moins onéreuse puisqu'elle reviendrait à environ 1 euro la poule.

La troisième, en cours de développement en France par l'entreprise Tronico, permet, en récupérant la membrane de la coquille d'un oeuf, d'en effectuer une analyse ADN pour identifier les chromosomes mâles et femelles. Cette technique, sans doute relativement onéreuse, n'a pas encore franchi le cap industriel.

Pour les canetons femelles, les techniques consistent, par imagerie spectrale à repérer la couleur des yeux du caneton dans l'embryon, si ces derniers sont clairs, l'embryon serait de sexe féminin ; à l'inverse, si les yeux sont de couleur foncée, l'embryon serait de sexe masculin. Les deux principaux couvoirs français ont mis en place cette technique, les petits couvoirs espérant pouvoir la déployer prochainement, mais cela a un coût important.

Les filières n'ont donc pas attendu une interdiction pour agir, cet exemple démontre combien le progrès technique ne s'oppose pas à l'écologie et au bien-être animal.

J'en viens à notre position sur cette proposition de loi. Si nous partageons unanimement ses objectifs, je crois qu'il faut en contester les modalités de mise en oeuvre et ses potentiels effets de bord. Je vous proposerai par conséquent de rejeter le texte pour quatre raisons.

D'abord, ce texte comporte des effets de bord importants. Sur le plein air, par exemple : des éleveurs de poules pondeuses viennent d'investir près de 500 millions d'euros pour passer des cages aux élevages alternatifs ; doit-on remettre en cause leurs investissements avec cette interdiction en 2040 ? Le plein air n'est, de plus, pas forcément adapté à toutes les espèces. Les filières lapins et porcines s'inquiètent du tout plein air pour leurs espèces. Le tout plein air pose des difficultés en matière de biosécurité, on l'a vu avec l'influenza aviaire récemment, avec une exposition plus forte aux risques épidémiques - le Sud-Ouest a été très touché alors que l'Ouest de la France, où le plein air est moins développé, a plutôt été épargné. Notre résilience et notre souveraineté se jouent aussi dans la complémentarité de nos élevages. Je suis donc favorable à aller vers davantage de plein air progressivement ; mais pas à marche forcée avec l'objectif d'un plein air unique et sans adaptation pour certains territoires.

Même chose pour le transport : l'article 2 réglemente les durées de transport seulement sur le territoire national ; dès lors, il deviendrait plus rentable de s'approvisionner auprès d'abattoirs étrangers, en faisant faire plus de route aux animaux, à l'opposé de l'objectif poursuivi par ce texte... Les bassins de production sont parfois très éloignés des abattoirs, nous connaissons tous la difficulté d'installer des abattoirs de proximité aujourd'hui. En limitant la durée des transports à quatre heures pour la volaille ou le lapin, dont les couvoirs et les abattoirs sont presque exclusivement dans l'Ouest, on s'interdira tout élevage de ces espèces ailleurs que dans cette partie de la France : est-ce ainsi que nous favoriserons les circuits courts et la diversification de notre agriculture ?

Le deuxième motif de rejet, c'est que cette proposition de loi accroîtrait les importations de produits qui ne respectent pas les normes que nous aurons imposées à nos éleveurs, je viens d'en donner l'exemple pour les transports.

Pour le broyage des poussins, je crois qu'il faut faire confiance aux accouveurs qui vont faire évoluer leurs modèles pour s'adapter au marché. Imposer un surcoût fort sur l'ensemble de la filière, c'est renchérir le coût des ovoproduits issus d'élevage français qui représentent 40 % de la production totale. Or, pour ces produits, le prix est essentiel : à aller trop loin, nous renforcerions la compétitivité des ovoproduits polonais qui inonderaient notre marché, alors que les poussins continueraient d'être broyés là-bas.

Pour le plein air, le problème est le même : les normes supplémentaires représenteront un surcoût considérable pour les élevages, qu'il faudra répercuter sur les prix ou compenser aux éleveurs, ce que le droit européen nous interdit.

Le risque d'un tel système édicté par le haut serait d'avoir une société scindée entre les Français qui pourront se payer une alimentation de qualité, plein air et bio, et ceux qui ne le pourront pas et qui devront consommer une alimentation importée qui ne respecte aucune norme imposée aux éleveurs français. Ce modèle est aux antipodes de celui que la France propose aujourd'hui, permettant une alimentation saine, durable et accessible à tous, présente sur toutes les gammes. Je préfère consommer un poulet français dont je suis sûre des modes d'élevage plutôt qu'un poulet polonais pour lequel nous n'avons pas prise sur les modes d'élevage, l'affaire des steaks hachés traitée par Fabien Gay en 2019 nous l'a rappelé.

Troisième motif de rejet, cette proposition de loi n'est pas réaliste. Le fonds prévu à l'article 4 est une bonne idée, parce qu'il vaut bien mieux accompagner le changement que d'y contraindre. Mais comme ce fonds est avant tout fléché sur les interdictions énoncées par les articles de ce texte, j'ai interrogé les filières sur les conséquences de celles-ci. Rien que pour le porc, le passage au tout plein air en 2040 représenterait un coût de 13 milliards d'euros et une consommation foncière équivalente à un département français ; pour les poules pondeuses, il faudrait trouver l'équivalent de la surface de la ville de Paris pour satisfaire à l'obligation. Quand on connaît les difficultés liées à l'artificialisation des sols, ces chiffres parlent d'eux-mêmes.

Le quatrième motif de rejet, enfin, qui est le plus important, est que cette proposition de loi n'est pas à la bonne échelle, qui est européenne. À défaut d'agir à cette échelle européenne, on alourdira encore les contraintes sur nos agriculteurs français, tout en exportant chez nos voisins les pratiques que la loi condamnera, en important davantage de denrées venues de chez eux. Cela ne fera aucun gagnant en matière de bien-être animal, et réduira notre souveraineté alimentaire ainsi que le bilan environnemental de notre alimentation. L'Union européenne doit nous faire collectivement évoluer, pour limiter les distorsions de concurrence.

Ce travail est d'ailleurs déjà en cours, le Parlement européen ayant adopté deux résolutions très fortes sur le transport des animaux, engageant la Commission à travailler sur le sujet. De même, l'idée d'un consortium franco-allemand pour mettre en commun les connaissances sur le sexage in ovo et faciliter ainsi la mutualisation de nos forces pour réussir le passage au stade industriel est une bonne solution, qui a été mise entre parenthèses durant la période de Covid-19, il faut la relancer.

Je ne crois pas, en revanche, que la surtransposition n'ait jamais été une solution dans le domaine agricole.

C'est pour toutes ces raisons que je vous propose de rejeter la proposition de loi.

Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de loi. - Merci pour ce rapport. Je suis optimiste, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas de débat en séance plénière sur le sujet, ni pourquoi nous devrions nous contenter de renvoyer le sujet au cadre européen : notre rôle, c'est aussi de prendre des initiatives pour faire évoluer les règles européennes. Vous craignez qu'on scinde la société ? Mais vous avez entendu comme moi les industriels nous dire que le sexage des oeufs coûterait 1 centime par oeuf, un coût que le conditionnement pourrait absorber. En fait, la société est déjà scindée, le sexage des oeufs ne la scindera pas davantage, mais assurera qu'on mange mieux, que toute la société mange mieux : c'est bien là notre objectif, car pourquoi, alors que nous avons les moyens de changer les choses, faire perdurer cet état des choses où bien des gens n'ont pas accès à une alimentation de qualité ?

Ce texte est consensuel, nous l'avons conçu avec des agriculteurs que nous avons auditionnés, j'ai rencontré des agriculteurs, je pense à une ferme près de Saint-Etienne, qui m'ont démontré qu'un abattage de proximité et un élevage éthique étaient possibles et que c'est même grâce à une transition vers ce type d'élevage, qu'il était devenu possible à l'agriculteur de prendre des vacances et même de recruter. Le bien-être animal, ensuite, on ne peut le limiter à une partie seulement de l'élevage et aux seuls animaux domestiques. Nous avons besoin d'un objectif à atteindre, les dirigeants de filières ont convenu qu'ils devront y venir, vous les avez entendus comme moi - avec ce texte, nous voulons les aider à aller de l'avant, dans le dialogue.

Je vous remercie pour votre écoute, et je ne doute pas que l'avenir soit à l'élevage éthique.

Mme Marie Evrard. - Merci pour cet excellent rapport. J'accueille cette proposition de loi avec bienveillance, elle répond à une attente des consommateurs, mais il ne faut pas brûler les étapes. Nous vous rejoignons sur le fond, mais pas sur la méthode. L'action est déjà engagée depuis la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « Egalim », toutes les filières ont déjà des actions concrètes pour l'accès au plein air, l'enrichissement en lumière, l'alimentation animale. En janvier 2020 la filière a annoncé la fin du broyage des poussins, sans qu'il ait fallu légiférer. Le plan de relance est l'occasion d'accélérer le mouvement, le plan de modernisation des abattoirs également. J'ai visité l'abattoir de la coopérative Sicarev à Migennes, dans l'Yonne, l'un des huit abattoirs de la région Bourgogne-Franche-Comté retenus dans le cadre du plan France relance, et j'y ai constaté les engagements très concrets comme la mise en place d'équipements de confort et de surveillance.

Les agriculteurs ont pris la mesure de cette nouvelle exigence du bien-être animal, il faut les soutenir et les encourager à aller plus loin dans ce sens plutôt que de leur imposer de nouvelles obligations, c'est pourquoi ce texte ne nous paraît pas aller dans le bon sens.

M. Franck Menonville. - Je félicite notre rapporteure pour son travail, nous suivrons son avis, contre cette proposition de loi. Ce texte fait abstraction des progrès accomplis depuis des années, des nombreux investissements dans les équipements, les abattoirs, notamment dans le cadre du plan de relance. Son intitulé me déplaît également, l'élevage éthique est complexe à définir, et, en réalité, les éleveurs ont tous une éthique de leur métier. Enfin, comme vous le soulignez, l'enjeu est européen, il faut avancer avec progressivité et de manière concertée pour ne pas aggraver les distorsions de concurrence.

M. Henri Cabanel. - Le sujet est important et je remercie Mme Benbassa d'avoir parlé aussi du bien-être des éleveurs, c'est d'autant plus crucial que la période est très difficile pour les agriculteurs en général. Le contexte est difficile, on compte deux départs à retraite pour une arrivée, il y a un problème de rentabilité évidente, et finalement de souveraineté alimentaire. Les agriculteurs s'adaptent à la volonté de la société, ils s'acheminent vers une agriculture vertueuse, plus respectueuse de l'environnement, et durable. Les contraintes économiques sont très dures, et l'échelle des solutions est européenne, d'autant que les enjeux économiques sont inextricablement liés aux enjeux sociaux, environnementaux et de santé.

Je ne m'opposerai donc pas de manière catégorique à ce texte, mais je crois que le moment n'est pas le bon pour l'adopter.

M. Joël Labbé. - Je trouve désolant de savoir à l'avance qu'un texte auquel on croit ne passera pas... même si nous aurons pour l'occasion un débat de société. En politique, je suis un homme pressé - il y a quelques années j'étais énervé, je le suis moins. Nous savons bien que les éleveurs font des efforts et que la situation évolue, mais nous voulons aller plus loin. Vous évoquez les poules pondeuses, effectivement il y a eu des progrès, mais vous oubliez de dire que ces progrès, on les doit beaucoup à l'action d'associations qui ont fait connaître les réalités au public et qui se sont battues pour le changement. Je travaille sur la sortie des cages de mise bas pour les truies, pour des maternités liberté, car la cage de maternité pour les truies, c'est abominable, les professionnels le reconnaissent. Le plein air est devenu le mode courant pour les poules sous labels, c'est donc qu'on peut y arriver.

Il faut un certain temps pour le changement, certes, mais il y a urgence. Je suis ulcéré par les dimensions prises par l'élevage industriel : dans le Morbihan, un élevage compte 172 800 poulets, une représentante de la profession nous dit qu'à 80 000 poulets, on ne rémunère qu'un mi-temps : mais où va-t-on ? Il faut s'en sortir par le haut, nous n'y parviendrons qu'en travaillant aussi sur le bien-être animal.

Les abattoirs étaient autrefois assimilés à un service public, avec un maillage territorial suffisant pour une proximité, désormais il faut déplacer les animaux. Nous devons revenir à un abattage de proximité, il y a des expérimentations d'abattage à la ferme qui fonctionnent bien. J'ai suivi notre groupe de travail « Agriculteurs en situation de détresse », il y a un lien entre les pratiques agricoles et le suicide des agriculteurs, un modèle d'agriculture plus proche pose bien moins de problèmes aux agriculteurs, il fait plus sens.

Nous devons relocaliser l'élevage et l'alimentation, c'est dans cette perspective qu'il faut comprendre - et soutenir - cette proposition de loi.

M. Laurent Duplomb. - Je crois, pour commencer, qu'il y a sur le sujet un problème de langage, parce qu'on confond bien-être et maltraitance animale : la société s'émeut sur des images et des témoignages qui montrent de la maltraitance, et on ne parle pas de tous les progrès accomplis pour le bien-être animal. La maltraitance est condamnée, elle relève d'ailleurs non pas d'un seul type d'exploitation, mais se rencontre à toutes les échelles - j'ai vu en Haute-Loire des élevages de 20 vaches où les animaux étaient maltraités, la maltraitance peut être partout.

Ensuite, ce qui me révolte, comme agriculteur, c'est de voir combien les progrès massifs accomplis ces dernières années ne sont absolument pas reconnus, et qu'on en demande toujours plus aux éleveurs. Ceux qui demandent toujours plus, d'ailleurs, ne veulent subir aucun inconvénient : on demande des animaux en plein air, des abattoirs à proximité... mais loin de chez soi, bien entendu.

S'interroge-t-on au moins sur l'acceptabilité de ce « toujours plus » pour l'éleveur ? Dans une société qui travaille de moins en moins, où l'effort est toujours moins reconnu, on en demande toujours plus aux éleveurs : il y a un moment où ce n'est plus acceptable, au nom même de la fraternité. Avant d'accuser les éleveurs, commençons donc par regarder si ce qu'on leur demande est acceptable. Or certaines demandes sont absurdes, même sur le plan matériel : s'il faut un territoire grand comme un département pour mettre tous les cochons en plein air, on voit bien que ce n'est pas possible ! Et à travers de telles demandes, ne vise-t-on pas, en réalité, l'interdiction de l'élevage dans son ensemble ? Nous sommes en démocratie, chacun peut penser ce qu'il veut, mais il faut alors le dire clairement, pour que chacun puisse se prononcer dans le débat en connaissance de cause.

M. Daniel Salmon. - Cette proposition de loi, nous l'avons travaillée pour aider à recoudre notre société fracturée. Nous en avons soupesé les mots, nous avons consulté largement, avec le sens de l'équilibre. C'est pourquoi je trouve notre rapporteure bien sévère, je maintiens que nos propositions aideront aussi à ce que les agriculteurs vivent mieux. Car s'il y a des problèmes de recrutement dans l'agriculture, ce n'est pas d'abord parce que le travail y est dur, intense, mais parce qu'il n'y est pas suffisamment rémunérateur, on ne surmontera ce problème qu'en changeant les mécanismes. Nous savons bien, aussi, que les agriculteurs n'aiment pas voir les animaux souffrir et qu'ils sont, en réalité, pour les mesures de bien-être animal.

Laurent Duplomb va trop loin dans son interprétation, je suis pour l'élevage, même si on peut penser qu'on a beaucoup de nourriture carnée, mais je suis pour le respect du bien-être animal, qui forme un ensemble, de la naissance à l'abattoir - il faut tout prendre en considération. La maltraitance suppose l'intention, alors que le bien-être, c'est un ensemble dont toutes les parties sont à considérer.

Cette loi est perfectible, il est dommage que vous la rejetiez en bloc car nous devons avancer ensemble. La France a su être un précurseur, elle a une place très importante dans l'Union européenne, à nous d'aller plus loin. Voilà nos ambitions.

M. Daniel Gremillet. - Le débat est riche, le sujet est majeur. Nous avions été unanimes pour rejeter les importations venues d'autres pays de l'Union qui ne respectent pas les exigences que nous imposons à nos agriculteurs.

Il faut sortir des chocs d'images. La maltraitance existe partout, mais pas plus dans la production agricole qu'ailleurs. On ne montre jamais les images d'un agriculteur en pleurs devant l'animal qu'il vient de perdre, on ne raconte pas la vie de tous ceux qui font tout ce qu'ils peuvent pour soigner leurs bêtes - alors que ce quotidien existe, il est dur à entendre, mais c'est la réalité des fermes. On veut faire mieux, ça se comprend, mais regardons où nous en sommes par rapport à nos voisins : je suis convaincu que nous sommes loin devant pour le bien-être animal, il faut le voir pour prendre les mesures adéquates.

M. Franck Montaugé. - Ce texte a le mérite de poser une question de société qui prend toujours plus d'ampleur pour nos concitoyens. Je suis convaincu que l'éthique ne fait jamais de mal, qu'elle aide à bien poser les questions qui nous concernent - elle participe aux transformations agro-écologiques dont nous avons besoin. Cependant, il faut prendre en compte les enjeux de l'élevage en France, en particulier les conséquences de la réforme de l'unité gros bétail (UGB) sur le cheptel bovin, j'espère que le Gouvernement saura défendre les éleveurs.

Il faut reconnaître les progrès accomplis et le chemin qui reste à parcourir. Je suis opposé à la disparition de l'élevage et je suis convaincu que les éleveurs ont intérêt à valoriser la prise en compte du bien-être animal ; il faut les y aider, par des mécanismes adaptés. Enfin, je souscris au parallèle entre le bien-être animal et le bien-être humain des éleveurs.

Nous prendrons position sur ce texte en séance plénière.

Mme Anne-Catherine Loisier. - L'intitulé de cette proposition de loi sous-entend que la majorité des éleveurs ne se soucieraient pas du bien-être animal et que l'élevage n'aurait aucune éthique, il culpabilise les éleveurs en faisant comme s'ils entretenaient des pratiques de maltraitance alors qu'en réalité, les choses évoluent rapidement, comme dans tous les secteurs d'activité. Ensuite, en ajoutant des contraintes, des obligations, on prend toujours le risque qu'elles soient contournées, et que le marché préfère importer des produits qui ne les respectent pas.

Je signale que nous avons installé une section d'études sur le bien-être animal, qui va travailler en relation étroite avec le groupe d'études sénatorial sur l'élevage, pour bien identifier les progrès possibles.

Sur ce texte, le groupe UC suivra notre rapporteure.

M. Pierre Louault. - Je suis choqué par l'efficacité de certains lobbies qui accusent toujours plus les paysans et qui font croire à l'opinion que si tout va mal, c'est toujours la faute des paysans. Il faudrait comparer la condition animale et la condition humaine sur plusieurs décennies. Depuis soixante ans que j'ai vu la situation dans des fermes, je peux dire que les choses se sont beaucoup améliorées : j'en ai vu alors, des brutes avec les animaux, des conditions qui passaient pour normales et qui choqueraient de nos jours ! Aujourd'hui, un éleveur est heureux si ses animaux sont dans le bien-être. On se focalise sur des paysans acculés à la faillite, à la dépression et qui se mettent à maltraiter leurs animaux. Mais regardez les humains, qui, il y a cent ans, étaient proches des animaux, qui élevaient des lapins, des poules, parfois un cochon et qui, aujourd'hui, ne cultivent quasiment plus rien par eux-mêmes. Et à imposer toujours plus de normes, on avantage toujours plus l'industrialisation, en tapant au passage sur les paysans...

En réalité, les choses avancent. Quand la technique permettra d'éviter le broyage des poussins, elle sera utilisée, et pareil pour les oeufs. Mais imaginer qu'avec une agriculture baba-cool on va nourrir la France, ce n'est qu'une illusion. Sur le marché, on voit bien qui peut acheter quoi - aidons les agriculteurs à faire plus de qualité, arrêtons de caricaturer ce que font les paysans.

M. Olivier Rietmann. - Je ne voterai pas cette proposition de loi, qui rend trop facilement le monde agricole responsable du mal-être animal. En réalité, les éleveurs prennent plus soin de leurs animaux que d'eux-mêmes. Cette proposition est empreinte de contre-vérités. Je suis vice-président d'une coopérative de transport et je peux vous assurer que la durée du transport n'est pas en elle-même un problème pour les animaux, toutes les études montrent que le stress se produit au chargement et au déchargement et que la durée n'est pas un facteur important dès lors que le camion est équipé ; pour améliorer le bien-être animal dans le transport, il vaut donc mieux agir pour la formation des bouviers, des chauffeurs, plutôt que d'obliger à réduire la durée du transport, ce qui a bien d'autres conséquences.

Ensuite, les abattoirs sont soumis à des contraintes sanitaires si poussées que les petits établissements n'ont pas les moyens de suivre et qu'on assiste alors à une concentration du secteur, qu'on déplore aussitôt, sans voir que les normes sanitaires ont un rôle direct dans le mouvement.

Enfin, le plein air ne peut pas être un objectif en soi, car des animaux ne se trouvent pas bien en plein air, selon les saisons de l'année. Et quand un éleveur laisse les chevaux dehors en hiver, on explique que c'est de la maltraitance, alors que les chevaux préfèrent l'extérieur dès lors qu'ils mangent bien... Le raisonnement vaut aussi pour les cages de maternité pour les truies : il y a quarante ans, les truies vivaient attachées et si l'on a fait des cages à maternité, c'est pour éviter qu'elles n'écrasent leurs petits dans les premiers jours, l'objectif est donc bien, ici encore, le bien-être animal, quoiqu'on en dise...

M. Fabien Gay. - Je remercie les auteurs de ce texte et notre rapporteure. Nous sommes à la croisée d'un débat citoyen, d'un débat sur la consommation, d'un débat sur l'environnement, et d'un débat sur la condition sociale des agriculteurs. À l'Assemblée nationale, le groupe Les Républicains propose de créer un code du bien-être animal, c'est bien le signe que tous les groupes politiques sont concernés.

Au passage, Madame la présidente, j'ai lu dans la presse que le Sénat bloquerait la proposition de loi contre la maltraitance animale, adoptée fin janvier à l'Assemblée nationale à l'initiative du groupe majoritaire de La République en Marche. Je signale que, s'agissant d'une proposition de loi, n'importe quel groupe peut l'inscrire à l'ordre du jour du Sénat, en particulier le groupe RDPI. On nous a dit aussi qu'il fallait voter conforme la proposition de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, ou bien que si nous la modifiions, nous empêcherions le référendum ; c'est faux, on peut tout à fait modifier le texte qui sera alors en navette. Je le dis sans détour : attention à ne pas tirer sur les institutions, ou bien on encourage la défiance et, finalement, le vote extrême.

Ensuite, je trouve ce rapport injuste envers cette proposition de loi. Il lui reproche une écologie punitive, mais la proposition est équilibrée, en particulier son article 4, qui donne toute leur place aux agriculteurs, c'est suffisamment rare dans les lois pour qu'on le souligne. Même chose pour l'interdiction sur le plein air d'ici 2040 : ce délai ouvre une période de transition, l'investissement est possible d'ici là. Ce qu'il faut parvenir à dépasser, c'est un certain type d'élevage où les animaux ne voient jamais le jour.

Nous accompagnerons ce texte en séance plénière.

M. Laurent Somon. - En tant que vétérinaire, je me réjouis de voir que nous savons dépassionner ce débat nécessaire. Les progrès pour le bien-être animal sont considérables depuis quarante ans, les éleveurs ont fait les améliorations dont ils avaient les moyens, ils font un métier de passionnés où l'amour de l'animal a toute sa place. Le métier n'est pas attractif faute de revenus suffisants, y compris dans bien des élevages de grande taille. Les éleveurs connaissent et aiment leurs bêtes, je le vois dans mon métier, ils apprennent à détecter quand un animal est bien, ou mal, ils améliorent leurs conditions de confort quand cela leur est possible. Pensez-vous qu'ils préfèrent avoir des animaux malades ou malheureux ? Le bien-être est une condition de leur succès économique même. Deux éleveurs laitiers ont arrêté leur activité dans mon village, c'est dommage pour tout le monde -alors prenons garde à ne pas décourager la profession.

M. Bernard Buis. - Merci à tous pour ce débat de qualité. Une remarque : il n'est pas exact de dire que les contraintes sanitaires imposent une concentration des abattoirs ; dans le Diois, nous avons monté un abattoir de proximité, qui est aux normes et qui fonctionne bien, c'est possible lorsque l'on s'en donne les moyens.

Mme Anne Chain-Larché. - Cette proposition de loi concerne un sujet de société qui nous concerne tous. Je déplore que le Sénat fasse l'objet de fake news qui visent à discréditer le travail de fond, la prise en compte du temps long, la réflexion, tout ce qui nous fait échapper à la course de l'actualité. Je suis rapporteure de la proposition de loi sur la maltraitance animale, adoptée par l'Assemblée nationale et il faut rétablir la vérité : ce texte peut tout à fait être inscrit à l'ordre du jour du Sénat par un groupe, mais ce sera alors pour quatre heures seulement de débat, ce qui paraît court pour examiner 40 articles ; en revanche, si le Gouvernement y tient, il peut l'inscrire lui-même à l'ordre du jour, et le débat pourra se prolonger en tant que de besoin.

Je signale également que le groupe d'études Élevage a créé une section d'étude « Animal et société », qui entend travailler sur tous les sujets dont nous parlons aujourd'hui.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le député Loïc Dombreval, rapporteur de la proposition de loi sur la maltraitance animale que l'Assemblée nationale a adoptée en janvier dernier, a dit que le Sénat se refusait à inscrire ce texte à son ordre du jour : j'ai téléphoné à notre collègue député pour dénoncer cette fake new et lui rappeler que chaque groupe pouvait inscrire le texte de son choix et que nous n'avions pas la main sur l'agenda du Gouvernement. Nous avons nommé une rapporteure sur ce texte, j'ai demandé trois fois à Marc Fesneau et à Julien Denormandie s'ils comptaient l'inscrire à l'ordre du jour, sans obtenir de réponse, j'ai signalé le problème lors de la dernière conférence des présidents, on m'a répondu qu'il y a de l'encombrement. Merci donc de m'avoir donné l'occasion de remettre les pendules à l'heure...

Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteure. - Merci pour ce débat riche. Dans toute profession, dans tout mandat, on médiatise les difficultés, pas les succès quotidiens. Le combat doit être européen, il ne faut pas surtransposer ou bien les effets de la loi seront minimes voire feront du mal à nos agriculteurs. La volonté au niveau européen fait d'ailleurs avancer les choses, le Parlement européen a voté deux résolutions sur les transports d'animaux et la Commission travaille sur le sujet.

L'article 4 accompagne l'interdiction, et nous voulons tous des fonds pour accompagner les bonnes volontés : nous sommes pour l'incitation plutôt que la punition.

Avant de proposer ces interdictions, n'ignorons pas la réalité : la proximité, tout le monde est pour, mais on connaît les difficultés d'installer des élevages et des abattoirs ; l'ovo-sexage a des surcoûts, qui peuvent être trop importants pour l'ovoproduit, au point de menacer la filière.

Merci à Daniel Gremillet d'avoir rappelé combien les chocs d'images négatives sont terribles, et qu'il faut voir aussi l'amour pour les bêtes, la communion de l'éleveur et du bovin : soyons fiers de nos agriculteurs, soutenons-les ! Toutes les professions cherchent à faire mieux, dommage de ne pas le médiatiser davantage.

Je vous propose d'arrêter, conformément au vade-mecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, le périmètre indicatif du projet de loi. Selon moi, sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé les dispositions relatives aux modalités d'élevage, d'abattage et de transport des animaux de rente.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le périmètre est ainsi arrêté. Aucun amendement n'a été déposé sur cette proposition de loi. Je vous propose donc de suivre la proposition de notre rapporteure de ne pas adopter de texte. En conséquence de quoi la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi.

Objectif de « zéro artificialisation nette » à l'épreuve des territoires - Présentation du rapport d'information

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous propose d'entendre à présent nos collègues Jean-Baptiste Blanc, Anne-Catherine Loisier et Christian Redon-Sarrazy pour la présentation de leur rapport à trois voix sur l'objectif de « zéro artificialisation nette » à l'épreuve des territoires. C'est bien sûr un sujet que nous aurons l'occasion de discuter lors de l'examen du projet de loi Climat et Résilience.

M. Jean-Baptiste Blanc. - Nous avons travaillé tous les trois sur l'objectif de zéro artificialisation nette à l'épreuve des territoires, et vous constaterez que nous proposons de développer le titre de ce rapport en reprenant trois propositions : territorialiser, articuler et accompagner. Au cours des auditions, nous avons rencontré des acteurs d'un bout à l'autre de la chaîne. Ce rapport vous est proposé comme une feuille de route, un outil préalable au travail législatif que nous allons mener sur le projet de loi Climat et Résilience.

M. Christian Redon-Sarrazy. - La mission qui nous était confiée était de mettre l'objectif de « zéro artificialisation nette », porté par le Gouvernement, à l'épreuve de nos territoires. Nous avons mené pendant près de deux mois une trentaine d'auditions. Sur ce sujet si vaste, nous avons reçu les associations d'élus, les représentants du Gouvernement et de la Convention citoyenne bien sûr ; mais aussi des urbanistes, des aménageurs publics et privés, les principaux syndicats agricoles, l'Office de la biodiversité, les représentants de la grande distribution et les logisticiens, les architectes, des professeurs de droit, des organismes de logement social, des bureaux d'études... Nous avons souhaité entendre toutes ces voix, car elles permettent de prendre la mesure de l'ampleur des enjeux soulevés. Elles reflètent aussi le dynamisme et la diversité des écosystèmes locaux. Ce sont tous ces acteurs qui font vivre les projets de territoire au quotidien, avec comme fers de lance, les collectivités locales qui sont chargées de la planification en matière d'urbanisme et d'aménagement et de sa mise en oeuvre concrète. Un dernier mot sur la méthode : notre commission examinera dans quelques semaines le projet de loi Climat et Résilience, qui comporte désormais près d'une trentaine d'articles relatifs à la lutte contre l'artificialisation. Notre rapport d'information n'a pas pour objet de se substituer au travail législatif que la commission mènera sur le texte. Il ambitionne de préparer ce travail en tirant les constats, en nuançant parfois les chiffres mis en avant par le Gouvernement, et à offrir une grille d'analyse. Il entend surtout proposer un « fil conducteur », c'est-à-dire des orientations sur lesquelles nous pourrions tous nous accorder pour entamer l'examen du projet de loi et y imprimer la marque de notre assemblée sénatoriale.

Venons-en tout d'abord aux constats. Sans vouloir citer trop de chiffres, voici les principaux : la France artificialise en moyenne 28 000 hectares par an. Selon les données, entre 5 % et 9,5 % du territoire français seraient aujourd'hui considérés comme artificialisés. Comment expliquer cette dynamique d'artificialisation ? Un temps tirée par la croissance des villes et de l'activité économique, la consommation d'espace agricoles, naturels et forestiers est aujourd'hui très majoritairement liée à la construction de logements dans les zones périurbaines. L'artificialisation est en effet le reflet des évolutions de la société : le développement des périphéries des métropoles, des zones littorales, la forte demande de logement individuel, la relative déprise agricole, mais aussi la cherté des prix du foncier qui éloigne de plus en plus les ménages.

Le rythme d'artificialisation soulève des inquiétudes légitimes. Du point de vue environnemental, elle affaiblit les continuités écologiques et détruit des réserves de biodiversité. Elle augmente le ruissellement de l'eau et appauvrit les sols du point de vue organique. Le revêtement des sols entraîne la création « d'îlots de chaleur ». D'un point de vue économique, elle pourrait interroger, à terme, la capacité de la France à assurer sa souveraineté alimentaire, alors que la surface agricole utile ne cesse de décroître. L'artificialisation peut aussi générer des « inefficacités », car l'espace n'est pas optimisé et les distances s'allongent. Or, ce sont souvent les collectivités qui portent, ensuite, l'extension des réseaux, des transports ou de certains équipements. Nous partageons bien entendu ces inquiétudes. Les modèles de développement urbain hérités des années 1970 ne sont pas durables : on ne peut pas uniquement compter sur les lotissements en zone agricole pour faire la ville. Il faut réduire non seulement le rythme de consommation d'espaces, mais aussi les actes d'artificialisation au sein même des espaces. Les Français demandent aujourd'hui davantage de responsabilité lorsque l'on fait la ville à la compagne, et ils souhaitent intégrer davantage de nature en ville.

La Convention citoyenne s'est fait l'écho de ces préoccupations légitimes. Elle a formulé treize propositions en matière de lutte contre l'artificialisation des sols, allant d'un objectif chiffré de réduction de l'artificialisation nouvelle, au gel de l'implantation de nouvelles zones commerciales et artisanales, en passant par une obligation d'étudier la réversibilité des bâtiments avant leur démolition. Certaines de ces mesures sont traduites dans le projet de loi Climat et Résilience. Sans rentrer dans les détails, nous souhaitons toutefois souligner qu'il existe d'importantes divergences entre les propositions de la Convention et celles du Gouvernement, à la fois sur la méthode, les outils et les cibles. Deux exemples : si la Convention propose de réduire de 25 % l'artificialisation par rapport aux vingt ans passés, le Gouvernement propose 50 % par rapport aux dix ans passés. De plus, le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi l'objectif de « zéro artificialisation nette » en 2050, qu'il défend depuis 2018 ; alors que cet objectif n'est pas explicitement porté par la Convention citoyenne.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Nous avons conçu ce rapport comme un outil d'aide à la réflexion qui permette à nos collègues de s'appuyer sur une analyse récente et factuelle de ce qui a été fait, ou pas, jusqu'à aujourd'hui pour lutter contre l'artificialisation. Notre rapport souligne que les propositions de la Convention citoyenne ne s'écrivent pas sur une page blanche, loin de là. L'effort de sobriété foncière est déjà enclenché depuis de nombreuses années dans nos territoires. Certains de nos collègues se souviendront sans doute des débats parlementaires passionnés lors des lois Grenelle II ou ALUR, textes qui avaient considérablement renforcé les volets environnementaux des documents d'urbanisme. Nous avons vécu, dans chacun de nos territoires, l'élaboration des premiers PLU, des premiers SCoT, et la longue liste d'exigences de diagnostics, d'études préalables à conduire pour chacun d'entre eux ; la fixation d'objectifs chiffrés ; les bilans périodiques... De fait, le cadre législatif a été considérablement renforcé au cours des vingt dernières années, et il est impossible aujourd'hui, pour une commune ou un EPCI, d'ignorer l'impératif de réduction de la consommation d'espaces agricoles, naturels et forestiers. Plus récemment, vous avez peut-être déjà ressenti au niveau local l'impact de la circulaire de 2019, qui a demandé aux préfets la plus grande fermeté sur le contrôle de l'urbanisation nouvelle. Ainsi, près de 60 % des SCoT se sont déjà fixé un objectif de réduction de la consommation d'espace de 50 % au moins. Dans les PLU, les ouvertures à l'urbanisation sont strictement encadrées : des études de densification doivent être conduites et les ouvertures dûment justifiées. Le rapport présente de nombreux exemples de communes et EPCI qui ont déjà « rétrozoné » en zones naturelles ou agricoles des centaines d'hectares auparavant classés « à urbaniser ».

Au niveau des projets individuels, les exigences d'évaluation environnementale et de compensation ont été significativement renforcées. Les règles de constructibilité liées au zonage sont aujourd'hui assez restrictives, ce que déplorent d'ailleurs nombre de nos élus ruraux. Les initiatives concrètes se multiplient en faveur de la densification, de la revitalisation des bourgs, de la rénovation de logements, de la maîtrise des surfaces commerciales, du recyclage de friches ou encore de la végétalisation des villes. Bien sûr, tous ces efforts ne produiront leur plein effet que dans le temps long de l'urbanisme : les documents ont mis du temps à se transformer, et les projets émergent. Mais une évolution favorable du rythme d'artificialisation se dessine depuis 2009. La consommation des terres agricoles a ralenti de 58 % depuis 1990. Nos territoires sont donc déjà fortement responsabilisés à la sobriété foncière, et construisent les villes de demain, pas celles d'hier. Il n'en reste pas moins que ces efforts doivent se poursuivre.

Notre travail révèle toutefois que la lutte contre l'artificialisation peut mettre les collectivités face à de vrais dilemmes. En effet, les sols sont le carrefour des politiques publiques. Dans notre pays, qui connaît toujours une importante crise du logement, le foncier est au centre de l'attention. C'est sa rareté et sa cherté qui contraint souvent l'offre de logement. Dans les communes de zones tendues ou soumises à la loi SRU, une forte restriction de la constructibilité nouvelle pourrait rentre très difficile l'atteinte des objectifs de mixité sociale. En outre, les maires nous alertent sur l'empilement de législations, dont les effets cumulés pourraient conduire à « geler » le développement de certains territoires : quelles seront les marges de manoeuvre dans les communes soumises à la fois à la loi Montagne, la loi Littoral, la loi SRU, et à des objectifs très ambitieux de lutte contre l'artificialisation ? Il y a là d'importants enjeux de cohésion territoriale et sociale. Nous savons que des pans de nos territoires sont trop souvent regardés comme « périphériques ». Il faut garantir à tous les territoires les mêmes opportunités de développement démographique et économique et répondre au besoin fort de proximité. Il est vital de permettre l'installation de jeunes ménages dans les communes rurales, qui trouvent aujourd'hui un regain d'attractivité qu'il faut encourager. Il faut permettre à l'activité économique, notamment industrielle, de se réimplanter dans les bassins locaux. À défaut, le risque serait de créer des « laissés pour compte », voire des gilets jaunes de la lutte contre l'artificialisation... Rappelons au passage que plus de la moitié des Français sont propriétaires fonciers et souhaitent construire. Or nous calculons que ce pourraient être jusqu'à 100 000 terrains, chaque année, qui deviendraient inconstructibles si l'on applique l'objectif de réduction proposé par le Gouvernement. Cela pourrait avoir un impact énorme sur le patrimoine de nos concitoyens et leurs projets de vie. Tout le monde ne souhaite pas vivre dans les métropoles, et le besoin de proximité à la nature est très fort.

M. Jean-Baptiste Blanc. - Alors, partageant une ambition forte de sobriété foncière, mais ayant à l'esprit les nombreux enjeux que nous venons de décrire, quelle est notre « feuille de route » pour un effort supplémentaire de lutte contre l'artificialisation ? Nous la résumons en trois principes : territorialiser, articuler, accompagner.  

Territorialiser d'abord, car il nous semble que c'est l'échelon de proximité qui est le plus pertinent pour mener cette bataille. Les élus connaissent leur territoire et la multiplicité d'enjeux. Les taux d'artificialisation varient de 4 à 20 % selon les régions, et les rythmes aussi. Les différences sont encore plus marquées entre intercommunalités. Or, le Gouvernement entend fixer, au niveau régional, un objectif uniforme de 50 % de réduction sur dix ans, inscrit dans les SRADDET et prescriptif pour les SCoT, PLU et cartes communales. Cette approche comptable et centralisée n'est pas acceptable. Respectons les compétences décentralisées des collectivités, qui fixent, en responsabilité, les objectifs les plus adaptés à leur réalité. Les discussions à l'Assemblée se sont empêtrées sur une liste de critères de répartition de ces « quotas » d'artificialisation : on se trompe de débat. Plutôt que d'instaurer des dérogations sans fin, appuyons-nous sur la connaissance du territoire et les dynamiques locales déjà enclenchées. En outre, le Gouvernement n'a pas pris la mesure de ce que cela impliquerait : réviser une grande partie des documents d'urbanisme de France dans des délais intenables et des coûts toujours plus importants... Nous savons le temps et le coût que ces évolutions représentent. Si l'on veut que les efforts de sobriété foncière payent, il faut s'assurer de l'adhésion tant des élus que des citoyens, sur la méthode et sur le fond.  

Articuler ensuite, car nous avons vu que l'artificialisation est le symptôme de tendances de fond. Il est impensable de chercher à la réduire sans traiter le vrai sujet de la rareté du foncier, sans prendre en compte les objectifs en matière de logement. Nous estimons que la construction de logement pourrait être réduite d'un quart si l'on applique la cible fixée par le Gouvernement. A l'heure où l'on parle de relocalisation, de revitalisation des territoires, il ne faut pas traiter les sujets en silo. L'approche décentralisée que nous défendons permet de réaliser cette articulation des politiques publiques à un niveau de proximité. Les documents d'urbanisme existants doivent déjà opérer cette conciliation entre protection des espaces, développement économique, logement, mobilités... Nous recommandons d'ailleurs de faire une revue des « injonctions contradictoires » de politique publique. La fiscalité par exemple, en matière de logement et d'aménagement, a souvent des effets incitatifs à l'artificialisation. A l'inverse, il ne faudrait pas réduire à néant les efforts en faveur des zones de revitalisation rurale par un gel de la construction.  

Accompagner enfin, car il nous semble que les propositions du Gouvernement doivent entrer dans le concret : il ne suffit pas de fixer un objectif surplombant aux collectivités, il faut s'assurer que les moyens sont là. Nous relevons par exemple que personne ne s'accorde sur la définition même des terres artificialisées. Celle proposée dans le projet de loi nous semble inopérante et incompréhensible pour les maires. Il faut fournir une définition opérationnelle du point de vue de l'urbanisme, pour intégrer cet enjeu à la planification locale. Accompagner, c'est évoquer les outils réglementaires qui doivent être complétés, voire inventés, pour répondre aux besoins des maires. L'ensemble des documents d'urbanisme doit s'inscrire dans une logique d'évaluation périodique au regard des objectifs fixés. Le ciblage du zonage pourrait être affiné, pour mieux identifier par exemple les zones à « désartificialiser » ou à réhabiliter. Le traitement des friches doit être facilité, et les opérations vertueuses encouragées tant par la fiscalité que par des « bonus » réglementaires. Le recours aux établissements publics fonciers locaux (EPFL) doit être facilité et leur couverture territoriale améliorée. Ensuite, le modèle économique de la lutte contre l'artificialisation doit être repensé. Trop souvent, la charge en incombe aux seules collectivités, déjà impactées par la réforme de la fiscalité locale et l'extension de leurs champs d'action. Certains programmes partenariaux pourraient être étendus, comme Petites villes de demain, pour aider à concrétiser les projets de territoires. Nous demandons aussi la pérennisation du « Fonds friches » créé dans le cadre de la relance, qui ne pourra financer que 150 hectares de réhabilitation. Il nous semble par ailleurs que l'impact des objectifs de lutte contre l'artificialisation sur les budgets locaux devra être précisément évalué et suivi. Enfin, la sensibilisation, tant des élus que des citoyens, sera clef pour assurer l'adhésion de tous et l'acceptabilité des nouveaux efforts.

Voici donc, chers collègues, les trois principes que nous défendons pour un effort supplémentaire de lutte contre l'artificialisation. La prise de conscience est là et l'ambition est partagée. Mais l'approche centralisée et uniforme défendue dans le projet de loi Climat et résilience n'est pas, selon nous, la bonne, elle ne sera pas opérationnelle. Nous proposons donc une alternative : une politique de lutte contre l'artificialisation co-construite avec les collectivités, qui la porteront, en responsabilité, dans les territoires. Alors que le projet de loi « 4D » devrait être soumis au Sénat en juillet prochain, nous souhaitons mettre en application dès maintenant ses objectifs : différencier, décentraliser, déconcentrer et décomplexifier.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour la qualité de votre travail. J'abonde dans votre sens : nous aurons effectivement ces discussions sur l'objectif de « zéro artificialisation nette » en séance publique dans le cadre du projet de loi Climat tandis que le projet de loi 4D sera simultanément examiné en commission.

Mme Valérie Létard. - Ce travail synthétise tous les enjeux, interrogations, préoccupations des élus et acteurs économiques et institutionnels dans nos territoires. Si cet objectif de zéro artificialisation nette est louable et partagé, sa mise en oeuvre suscite de vraies inquiétudes du fait d'une approche très normative et descendante.

Dans mon territoire, nous avons appliqué dans les années 2008-2010 un SCoT « grenellisé » qui prévoyait une réduction de la consommation d'espace par un facteur 4. Demain, qui sait quelle période sera prise en compte pour comptabiliser ce qui a déjà été fait ? Nous avons mené un vrai travail de requalification et Toyota est aujourd'hui le poumon économique de notre territoire, avec 4000 emplois et le double d'emplois induits. L'implantation a nécessité 250 hectares de terres agricoles qui ont été intégralement compensés. S'il avait fallu aujourd'hui appliquer des règles prescriptives et descendantes avant de pouvoir mobiliser ces terres, Toyota se serait installé ailleurs et la mutation industrielle de notre territoire sur des véhicules propres n'aurait pas eu lieu. J'irai même plus loin : aujourd'hui, nous avons prévu dans notre SCoT une réserve qui n'est pas urbanisée mais identifiée pour la relocalisation potentielle d'une entreprise industrielle. C'est capital car nous sommes dans un territoire où il existe une culture industrielle, une main d'oeuvre et des capacités. Pour trouver un équilibre entre les enjeux sociaux et environnementaux, économiques et écologiques, les territoires doivent conserver des marges de manoeuvre. Ce qui a été dit sur les zones de redynamisation rurale est également vrai pour la production de logements sociaux : dans certaines zones tendues avec peu de surface disponible, pour atteindre les objectifs de la loi SRU, les communes doivent racheter des logements individuels pavillonnaires et les raser pour reconstruire des logements collectifs : c'est une politique d'urbanisme qui interroge.

Nous devons être vigilants : le texte qui nous vient de l'Assemblée est prescriptif. Dans les SRADDET, l'objectif est dans le fascicule du schéma, il s'impose strictement à tous les territoires. Comment va-t-il être mis en oeuvre et décliné sur le plan territorial ? Certains territoires vertueux, mais très denses, ne pourront pas satisfaire leurs besoins de surfaces.

L'objectif est vertueux et fait consensus, mais n'excluons pas les territoires de la règle du jeu. Ne laissons pas l'État arriver avec sa feuille de route et ses exigences sans prendre en compte la réalité du terrain. Il faut conjuguer vertu et adaptation territoriale.

Mme Sophie Primas, présidente. - Cela posera évidemment la question de la déconcentration et du soutien local de l'État dans chaque territoire.

M. Daniel Gremillet. - Pour avoir assisté à quelques auditions, je souhaite remercier les rapporteurs pour la qualité de leur travail, mené avec beaucoup de raison. Effectivement, il faudra traduire ce travail dans le texte qui arrive, et prendre en compte ce qui a déjà été fait dans les territoires par les élus locaux. Ce sujet de l'artificialisation des sols doit tous nous rassembler, car il concerne tant le milieu rural que le milieu urbain, la production agricole tant alimentaire que forestière. Si ce sujet est mal traité, le développement économique et la présence humaine seront menacés. Quand les enfants du village ne peuvent pas y construire, on s'achemine vers la mort du village ! Il nous faut une capacité d'intervention sur le droit de propriété et cela nécessite des moyens.

Mme Sylviane Noël. - Avec Jean-Baptiste Blanc, nous avons eu l'occasion de mener avec les élus de mon département une réunion très constructive sur le sujet. Ils sont extrêmement inquiets des conséquences de ce dispositif, ne serait-ce que pour répondre aux injonctions nombreuses de l'État en matière d'objectifs de construction de logements sociaux, de réalisation d'aires d'accueil des gens du voyage, d'application de la loi Montagne et de la loi Littoral. Il y a une véritable schizophrénie qu'il faut dénoncer. Cela pose également la question du mode de financement futur de nos collectivités locales, puisque les ressources propres de nos communes sont encore dépendantes du foncier. Qu'en sera-t-il demain si ce n'est plus le cas ? Enfin, je crains vraiment que nos territoires ruraux paient un lourd tribut à ce dispositif et ne deviennent que les cautions environnementales du développement des grandes métropoles.

Mme Valérie Létard. - Je souhaite compléter mon propos par la question des moyens. Reconquérir la ville sur la ville, requalifier des friches industrielles polluées pour les réaffecter à une seconde vie coûte très cher. Dans ma région, le « Fonds friches » s'élève à 8 millions d'euros par an, soit la moitié de la somme nécessaire pour requalifier une seule des huit friches du site de Vallourec à Valenciennes. Ce fonds est donc notoirement insuffisant : l'État ne peut instruire que les petits dossiers de reconquête de friches car l'enveloppe n'est pas dimensionnée pour des projets de grande envergure, alors même qu'il serait plus utile de se concentrer sur ces derniers. Il faudra dégager des moyens à la hauteur des ambitions, pour sortir de ces injonctions contradictoires et aller plus loin dans la reconquête des friches.

M. Daniel Salmon. - Nous sommes face à la quadrature du cercle, avec cette nécessité d'arrêter l'hémorragie des terres agricoles et l'expansion infinie des villes qui les grignotent. Toutefois on ne peut pas partir d'une page blanche pour des territoires historiquement très différents. Certains d'entre eux possèdent des centaines, voire des milliers d'hectares de friches industrielles, d'autres très peu voire aucune. « Le Fonds friches » de 300 millions d'euros permet la réhabilitation de 600 hectares ce qui est très peu. Développer ce fonds sera une obligation, car nous ne pouvons pas continuer à voir des zones d'activités s'étendre tout en étant à moitié vides. Il faudra également différencier l'affectation des sols entre le logement, l'utilisation commerciale ou industrielle. Nous nous abstiendrons sur ce rapport.

M. Henri Cabanel. - Nous devons être conscients des abus en matière d'artificialisation. En 40 ans dans l'Hérault, 25 % de la surface agricole utile a été perdue. Toutefois, il est incompréhensible que la même méthode soit imposée à tous. Les études d'impact ne sont pas les mêmes dans la métropole montpelliéraine qu'à La Salvetat-sur-Agout ! De plus, il est impératif de différencier les communes vertueuses de celles qui ont abusé de l'artificialisation. Un changement de méthode s'impose, d'autant que l'inquiétude des élus est vive.

M. Daniel Salmon. - Je souhaite revenir sur la question du logement. Nous devrons nous saisir du sujet des trois millions de logements vacants en France, lié au sujet de la nécessaire rénovation thermique. Enfin, une autre situation interroge : celle des territoires comme certaines zones littorales de Bretagne qui comprennent 80 % de résidences secondaires occupées un mois dans l'année. Ceux qui travaillent sur le littoral et dont les revenus sont souvent peu élevés, doivent résider à l'intérieur des terres à 40 km de là, cela pose un problème d'égalité.

M. Joël Labbé. - Notre groupe va s'abstenir pour le vote de ce rapport, mais il s'agit d'une abstention positive. Je reconnais le travail de fond mené par les trois rapporteurs, avec une recherche d'objectivité et d'efficience. Les compléments apportés par Valérie Létard étaient également pertinents. La question de la territorialisation se pose de façon majeure : certes, il y a les grandes lignes de l'État, mais la déclinaison dans les territoires doit s'opérer dans un cadre bien défini. Sur ce type de débat, nous pourrions arriver à une expression du Sénat, avec peut-être certaines adaptations. La consommation d'espace ces vingt dernières années a été terrible ; sans passer d'un excès à un autre, il faut en tirer les leçons.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je souhaiterais insister sur le triptyque développé par Jean-Baptiste Blanc, car il s'agit d'une inversion de la méthode aujourd'hui proposée dans le projet de loi Climat et Résilience, avec une logique ascendante qui part des territoires et non l'inverse. Ce mouvement a du sens, nous le retrouverons également dans la loi « 4D ».

Je voudrais également évoquer la sensibilisation des territoires. Il est souvent question de la réalité des élus, mais l'approche des populations me semble sous-estimée, car derrière la lutte contre l'artificialisation se cache la problématique d'un nouvel habitat et d'une autre façon de vivre en ville et à la campagne. Un travail en lien avec nos concitoyens permettra une meilleure acceptation sur les territoires.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous n'avons pas épuisé le sujet, car nous auditionnerons cet après-midi Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du Logement. Je vais mettre au vote ce rapport, dont l'intitulé est le suivant : « La lutte contre l'artificialisation à l'épreuve des territoires : territorialiser, articuler, accompagner ».

Le rapport est adopté et je remercie les rapporteurs pour leur travail.

La commission des affaires économiques autorise la publication du rapport d'information.

Vote sur la proposition de création d'une section d'études « Pêche et produits de la mer »

Mme Sophie Primas, présidente. - J'ai été récemment saisie d'une demande de notre collègue Alain Cadec tendant à créer une section d'études « Pêche et produits de la mer », au sein du groupe d'études « Agriculture et Alimentation ». Cette structure pérenne de réflexion serait consacrée à la pêche marine et à l'aquaculture marine dans leurs divers aspects, dans un contexte d'incertitude avec le Brexit et les changements dans la politique commune de la pêche. Alain Cadec dispose d'une très bonne connaissance de ces dossiers en tant qu'ancien président de la commission pêche au Parlement européen. Je rappelle que plus de 13 500 emplois de marins sont liés à la pêche française, c'est un enjeu important pour notre commission.

Ainsi que le prévoit la procédure de création d'une section d'études, j'ai recueilli l'avis de notre collègue Laurent Duplomb, président du groupe d'études « Agriculture et alimentation » auquel serait rattachée cette section. Il revient désormais à la commission des affaires économiques de se prononcer sur cette demande. En cas d'approbation, le Bureau du Sénat prendra acte de la création de la section d'études, qui sera appelée à se reconstituer très prochainement.

La proposition de création de la section d'études a été adoptée.

La réunion est close à 11 h 50.

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Audition de Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement

Mme Sophie Primas, sénatrice des Yvelines, présidente de la commission des affaires économiques. - Après avoir entendu Madame Barbara Pompili, nous auditionnons aujourd'hui Madame Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement auprès de la ministre de la transition écologique, sur le projet de loi portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets, dit « Climat et résilience »

Nous allons nous focaliser sur le titre IV « Se loger » du projet de loi, soit presque 60 articles, et les articles 39 à 55 qui sont presque entièrement délégués au fond à notre commission. Ce volet comprend deux sujets principaux : la rénovation énergétique des bâtiments et la lutte contre l'artificialisation des sols.

Notre commission et notre assemblée entament l'examen de ce projet de loi dans un esprit constructif avec deux critères : efficacité et ambition. Premièrement, les dispositions proposées par le Gouvernement et enrichies par l'Assemblée nationale sont-elles à même d'avoir un effet réel en faveur du climat ou s'agit-il plutôt d'annonces, voire sont-elles contre-productives ? Sont-elles opérationnelles, c'est-à-dire conçues pour favoriser une prise en main rapide par les ménages, collectivités et acteurs économiques, en particulier les bailleurs ? Deuxièmement, ces mesures sont-elles à la hauteur de l'ambition de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) d'atteindre la neutralité carbone en 2050 ?

Dans le domaine de la construction, les défis sont grands. Le logement représente 27 % des émissions des gaz à effet de serre de notre pays.

En matière d'artificialisation, j'animais la semaine passée dans les Yvelines une réunion avec une quarantaine de maires en présence du Président Gérard Larcher et de plusieurs de mes collègues sénateurs sur la loi SRU. Beaucoup ont souligné les grandes difficultés soulevées par l'objectif de zéro artificialisation nette pour accueillir de nouvelles populations et développer l'activité économique de leur territoire, même s'ils sont conscients qu'un effort supplémentaire doit être réalisé.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée à la ministre de la transition écologique, chargée du logement. - Merci beaucoup Madame la présidente. Je souhaite vous remercier pour l'organisation de cette audition afin de débattre de ce projet de loi « Climat et résilience ».

Je suis en effet en charge du titre « Se loger » du projet de loi, et notamment des articles 39 à 45 et 47 à 55 qui relèvent du champ de mon ministère. Ce projet de loi est le fruit d'un processus démocratique inédit voulu par le Président de la République, celui de la Convention citoyenne pour le climat. Je souhaite saluer le travail des 150 citoyens tirés au sort qui ont travaillé pendant près d'un an sur 149 mesures structurantes, majoritairement reprises dans ce projet de loi.

C'est un texte qui porte des ambitions majeures très ancrées dans le quotidien de nos concitoyens. Ce projet de loi s'inscrit dans la continuité de l'action menée par le Gouvernement depuis 2017 en faveur de la préservation du climat et de l'environnement. Il doit s'appréhender dans une dynamique d'ensemble en complément de nombreux textes déjà adoptés depuis le début de la législature : les lois hydrocarbures, Egalim, ELAN, « Énergie-climat » et « anti-gaspillage pour une économie circulaire ». S'y ajoutent des mesures prises en dehors du cadre législatif avec la fin de projets qui ne sont plus compatibles avec nos attentes : EuropaCity, Notre-Dame-des-Landes, la Montagne d'or en Guyane ; nos quatre dernières centrales à charbon qui sont en cours de fermeture et la centrale nucléaire de Fessenheim qui est fermée.

Enfin, nous consacrons un tiers du Plan de relance à la transition écologique pour un montant sans précédent de 30 milliards d'euros. Aucun gouvernement n'a jamais investi autant de moyens sur une période si courte pour ce secteur. Dans le champ de mon ministère, nous consacrons près de 7 milliards d'euros à la rénovation des bâtiments tous sujets confondus et à la construction durable. C'est l'ensemble de toutes ces mesures qui nous permettront d'atteindre nos objectifs : ceux de l'accord de Paris transcrits en France dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) et ceux en cours de fixation au niveau communautaire.

Sur le volet rénovation énergétique inclus dans les mesures du titre IV « Se loger » du projet de loi qui sont au coeur de l'action écologique de mon ministère, nous poursuivons le développement d'une politique publique extrêmement ambitieuse. Je souhaite souligner les progrès effectués sur cette question centrale de la rénovation énergétique durant ces trois dernières années. Ces sujets n'avaient finalement pas été traités dans la loi ELAN et ont été introduits par les parlementaires dans la loi « Énergie-climat » à force de compromis. Seize mois plus tard, un chapitre entier du projet de loi leur sera dédié.

La question de l'habitat devient centrale dans la lutte contre le réchauffement climatique, à l'image de l'intérêt grandissant de nos concitoyens pour la rénovation. « MaPrimeRénov' », lancée le 1er janvier 2020, a connu un véritable succès malgré la crise sanitaire, avec 220 000 demandes déposées l'année dernière. En 2021, alors que « MaPrimeRénov' » n'était accessible qu'à la moitié des Français l'année précédente, elle est devenue accessible à tous avec un barème plus favorable pour les ménages les plus modestes. 270 000 demandes ont déjà été déposées depuis le début de cette année, soit quatre fois plus de dossiers prévus en 2021 qu'en 2020. C'est une dynamique extrêmement forte, soutenue par une prise de conscience écologique de nos concitoyens, mais aussi par une demande de confort dans le logement, renforcée par la crise sanitaire.

Nous prenons également de nombreuses mesures structurantes dans cette loi en faveur de la rénovation énergétique. Le principe d'une programmation pluriannuelle de la rénovation énergétique y a été inscrit dans l'article 39 bis C, et sera adossé à la loi pluriannuelle de l'énergie à partir de 2023. Nous consolidons également un référentiel ambitieux pour le diagnostic de performance énergétique (DPE) qui devient l'élément d'information, de confiance et d'évaluation de la rénovation énergétique en prenant appui sur ce que les Français connaissent. Ce DPE consolidé, applicable au 1er juillet 2021, sera désormais notre boussole pour évaluer la performance énergétique d'un logement.

S'agissant des travaux de rénovation à mener, nous avons distingué la situation des propriétaires bailleurs et celle des propriétaires occupants. Les propriétaires bailleurs sont des acteurs économiques et portent la responsabilité de mettre en location un logement suffisamment performant énergétiquement. Ainsi vient le critère de décence : l'article 42 prévoit l'interdiction effective des locations de « passoires thermiques » en 2025 pour les étiquettes G, en 2028 pour les étiquettes F, qui permettra la rénovation de 1,8 million de logements concernés en six ans. Cette mesure est importante, elle fixe un calendrier clair. Elle engage l'ensemble des parties prenantes dans la massification des travaux de rénovation. Nous consacrons également dans le Plan de relance 500 millions d'euros à la rénovation des logements sociaux afin que, dans ce calendrier, plus aucun logement social ne soit classé F ou G en France.

L'examen du texte à l'Assemblée nationale a permis de poursuivre cette trajectoire d'interdiction pour les logements E pour 2034. Cette dernière étape qui concerne plus de 2,5 millions de logements supplémentaires donne une perspective de long terme et encourage les propriétaires bailleurs des logements F ou G, et E à engager des rénovations suffisamment ambitieuses. À plus court terme, en 2023, un premier signal sera envoyé aux propriétaires bailleurs avec l'interdiction d'augmenter les loyers des logements F et G, ce qui permettra de protéger les locataires de la précarité énergétique.

Le propriétaire occupant devra être accompagné et convaincu d'effectuer des travaux de rénovation. Il est essentiel de l'aider dans ce parcours, plutôt que de le lui imposer. C'est le sens de la mission que le Gouvernement a confié à Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des dépôts et consignations, dont plusieurs propositions ont été inscrites dans le projet de loi lors de l'examen en séance publique à l'Assemblée nationale.

Nous avons ainsi fixé un cadre pour véritablement qualifier et massifier l'accompagnement à la rénovation énergétique, dans la continuité de la mise en place du service public de la rénovation énergétique dont nous précisons les bases. Les accompagnateurs seront des professionnels qualifiés, à l'écoute, qui pourront prendre en charge de bout en bout le parcours de travaux des ménages, et les encourageront dans des rénovations performantes. Sur le volet du financement du reste à charge, le Gouvernement s'est engagé à apporter la garantie publique pour les prêts avance mutation : les banques avanceront le reste à charge des travaux et le récupéreront lors de la vente du logement. Le fonds de garantie pour la rénovation énergétique doit permettre à ce type de prêt de décoller, notamment pour les ménages modestes, ou pour les ménages plus âgés qui ont un accès plus difficile aux crédits classiques.

Au-delà de ces mesures, le chapitre relatif à la rénovation porte d'autres dispositions essentielles pour favoriser le dépassement de travaux : l'obligation à partir de 2022 de réaliser un audit énergétique lors de la vente d'une maison individuelle classée F ou G, et en 2025 pour les maisons classées E, et l'obligation de déclencher un DPE et un plan pluriannuel de travaux pour les copropriétés.

Sur le volet de la lutte contre l'artificialisation des sols, nous entamons un changement de paradigme en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire. Réduire le rythme d'artificialisation des sols est nécessaire afin de préserver la capacité de stockage de carbone dans le sol et de réduire les émissions de gaz à effet de serre indirectes liées à l'augmentation des distances et des déplacements, et également afin de préserver nos terres agricoles et notre biodiversité. Il s'agit d'un enjeu d'aménagement majeur, avec pour objectif de concilier la qualité du cadre de vie, la préservation de la nature en ville, le maintien de services de proximité et le développement de nos territoires.

Nous inscrivons pour la première fois dans la loi l'objectif « Zéro artificialisation nette » en 2050, avec une trajectoire claire de réduction de 50 % du rythme d'artificialisation des sols pour les dix prochaines années dans les articles 47 et 48. Pour cela, nous nous appuyons sur les territoires et sur les documents de planification existants qui traduisent déjà cette stratégie, en établissant un mécanisme pragmatique. Dans les dix prochaines années, nous réduirons de moitié la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Nous laissons le temps aux collectivités de s'adapter à ces nouvelles destinations, celles des surfaces artificialisées, afin d'assurer le déploiement concret et effectif de la transition écologique dans les territoires.

Ce chapitre répond à l'ensemble des demandes législatives formulées par les membres de la Convention citoyenne. Je souhaite souligner le travail effectué, à l'Assemblée nationale, de l'ensemble des parties prenantes, notamment les élus locaux, afin de maintenir l'ambition et la lisibilité des mesures de ce chapitre. Cette partie du texte a extrêmement mobilisé les parlementaires avec 1 000 amendements en commission et autant en séance.

Le travail mené à l'Assemblée nationale a permis d'avancer sur l'enjeu de territorialisation. Tous les territoires n'ont pas les mêmes besoins ni les mêmes trajectoires. Nous devons tenir compte des efforts passés sur la réduction de l'artificialisation et des enjeux spécifiques des territoires ruraux. Le niveau régional a été retenu car il est l'échelon adéquat pour territorialiser les objectifs des bassins de vie des communes et des intercommunalités.

Ce projet de loi cadre l'exercice de cette responsabilité et enrichit la boîte à outils des collectivités pour qu'elles réussissent à réduire effectivement de 50 % le rythme d'artificialisation des sols sur leur territoire. Je pense à la création d'observatoires de l'habitat et du foncier au niveau intercommunal, mais aussi à l'adaptation du calendrier d'évaluation des documents d'urbanisme.

Ce projet de loi favorise aussi l'identification de zones préférentielles de renaturation. Je pense également aux mesures encourageant la densification qui sont proposées à la main des maires pour favoriser les opérations vertueuses là où elles sont les plus pertinentes : la transformation de bureaux en logements, la construction de logements à proximité des transports en commun, la construction d'étages supplémentaires pour les bâtiments existants.

Enfin, l'article 52 met fin à tout nouveau projet de centres commerciaux qui engendrerait une artificialisation des sols en dehors de cas de dérogations circonscrites. Ces projets seront ainsi conduits à s'implanter sur des zones déjà artificialisées, ce qui est un changement majeur pour les entrées de ville et pour la préservation des commerces de proximité.

L'examen du texte à l'Assemblée nationale a permis d'encadrer davantage le développement d'activités logistiques en les inscrivant dans des stratégies territoriales, et en complétant les documents d'aménagement artisanal commercial d'un volet dédié. Enfin, le projet de loi dote les élus locaux de moyens d'intervenir pour favoriser le recyclage des zones d'activités en obsolescence, en leur permettant après inventaire d'ordonner leur remise à niveau.

Le Titre IV du projet de loi « Climat et résilience » est concret, ambitieux et riche.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur du groupe de travail sur l'objectif de « zéro artificialisation nette » à l'épreuve des territoires, sénateur du Vaucluse. - Madame la ministre, je souhaite évoquer les « injonctions contradictoires » qui illustrent cette mandature. La loi ELAN enjoignait en 2018 à construire davantage et à libérer du foncier, et le projet de loi climat et résilience en 2021 demande de diviser par deux toute construction nouvelle.

Vous connaissez la crise du logement que traverse notre pays et vous avez fixé des objectifs ambitieux de construction de logements. Vous n'ignorez pas non plus les conséquences de la hausse du prix du foncier tant sur l'offre que sur le budget des ménages. Or, ce projet de loi entend fixer, dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), un objectif de réduction de consommation d'espace qui s'imposera aux maires et aux EPCI sur dix ans. La consommation devra donc diminuer de 50 % au moins dans toutes les régions françaises. En tout état de cause, ce sont 14 000 hectares chaque année qui seront retirés du foncier disponible, soit l'équivalent de 140 000 ménages pour qui le terrain ne sera plus constructible chaque année, ou 110 000 logements qui ne seront plus construits chaque année. Ces calculs n'ont pourtant pas été effectués dans le projet de loi. L'étude d'impact économique qui tient en quatorze lignes à l'article 49, sans aucun chiffre, est insuffisante.

Il est erroné de croire que le recyclage foncier, déjà artificialisé, suffira à combler les besoins et assurer le développement. Comment trouver du foncier dans des zones étendues déjà denses, déjà soumises à l'impact cumulé des lois SRU, littoral, montagne, et maintenant tenues de réduire encore leur consommation d'espace ? Si certains territoires au grand passé industriel comptent de nombreuses friches, ce n'est pas le cas de tous. Par ailleurs, le coût de la réhabilitation de ces territoires est souvent rédhibitoire. Le fonds « friches » du Plan de relance permettra de réhabiliter au mieux 150 hectares par an, ce qui est largement insuffisant. Le Gouvernement entend-il pérenniser tout cela, voire l'étendre ?

Les débats à l'Assemblée nationale se sont portés sur la territorialisation des objectifs. Les sénateurs préfèrent la décentralisation des objectifs. Le projet de loi semble oublier que les collectivités ont déjà mené des efforts considérables depuis vingt ans pour moderniser leurs documents d'urbanisme, les verdir, les rendre plus sobres, le tout dans le respect des compétences décentralisées. L'urbanisme est déjà la compétence des communes et des EPCI. Les trois quarts des SCOT ont déjà des objectifs de réduction de consommation d'espace d'au moins 35 %, voire 50 % pour la moitié d'entre eux. Ainsi, le rythme d'artificialisation baisse dès à présent même si l'urbanisme est une politique du temps long et que les territoires sont dans cet effort collectif. L'Assemblée nationale a fait un pas dans ce sens. Nous pensons au Sénat qu'il convient d'agir en responsabilité ascendante plutôt qu'en obligation descendante. Nous estimons ces SRADDET trop contraignants pour tous les échelons inférieurs (SCOT, PLU, PLUi).

Les mesures du projet de loi qui devraient entraîner de considérables transferts financiers vont modifier les bases fiscales des collectivités via la taxe foncière et grever les budgets des communes. La filière de la construction devra multiplier les études préalables et l'impact sera toujours plus marqué pour les ménages : un terrain constructible qui devient non constructible peut perdre une grande partie de sa valeur ; le prix du foncier constructible risque d'exploser. Aucune étude d'impact n'est produite dans le projet de loi. Certains spécialistes du secteur ont évoqué lors de leur audition un possible retour des Gilets jaunes si ces mesures venaient en application : les conséquences peuvent être vertigineuses pour nos territoires.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Beaucoup d'acteurs économiques ont relevé la volonté de massification énergétique du Gouvernement dans ce projet de loi. Ils ont également estimé la difficulté de sa mise en oeuvre prévue dans le projet de loi adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, son manque de lisibilité, et sa trop grande complexité qui pourrait être néfaste pour l'application des mesures qu'il prévoit.

Dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments évoquée dans les articles 39 à 45 quinquies du projet de loi, je souhaite évoquer la lisibilité de la loi, son ambition par rapport à l'objectif du label Bâtiment basse consommation (BBC) en 2050, et son financement.

Le texte de loi est complexe dans l'articulation technique et temporelle des outils et dans leur finalité. Des propositions de clarification seront faites par le Sénat pour les citoyens et les professionnels concernant les diagnostics de performance individuelle ou collective, l'audit énergétique, le diagnostic technique global, le projet de plan pluriannuel des travaux et le carnet d'information du logement. De même, les différents termes
- « performante », « globale » et « complète » - donnés à la rénovation énergétique, sont également un exemple de complexité.

L'ambition de la loi permet-elle réellement d'atteindre l'objectif d'un bâtiment « décarbonisé » en 2050 ? Atteindre la classe C est insuffisant pour plusieurs acteurs du secteur. Il faut viser au-delà et une perspective au-delà de 2034 pourrait être fixée.

Le projet de loi pose clairement la question de l'autonomie des collectivités territoriales. L'article 43 prévoit un strict encadrement par l'État du service public de la performance énergétique de l'habitat. Quelles sont les perspectives du Gouvernement sur ce sujet ? Les collectivités auront-elles les moyens de le porter ? Les « accompagnateurs Sichel » seront-ils gratuits pour les ménages et financés par les certificats d'économie d'énergie (C2E) ? Le prêt avance mutation sera-t-il à taux zéro ? Les aides seront-elles conditionnées à une rénovation globale, c'est-à-dire la mise en extinction ou une réforme profonde de « MaPrimeRénov' », ou continuera-t-on à aider les ménages dans une logique geste par geste et à garantir ainsi une forme d'universalité ? Peut-on aider les copropriétaires à épargner en organisant la portabilité du fonds travaux ? Enfin, pourquoi n'imposer que des interdictions aux propriétaires bailleurs et ne pas les accompagner en leur permettant de déduire plus largement leurs travaux de rénovation ?

A contrario, un grand nombre de logements sont en copropriété où les principales mesures de rénovation des murs, du toit, du chauffage, et parfois des volets, sont de leur ressort. Doit-on pénaliser un propriétaire de bonne foi qui n'aura pas pu se mettre en règle, faute de réalisation des travaux ? Se pose également la question du financement et du réalisme des obligations demandées que la loi va créer.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - J'aurai trois questions, Madame la ministre. La lutte aux C2E est un sujet majeur qui n'est abordé que sur la base de la législation par ordonnance dans le projet de loi. Ne faudrait-il pas faire davantage pour assainir, mais également simplifier l'écosystème des C2E, et si oui, comment ?

L'article 15 ter du projet de loi imposerait aux collectivités territoriales l'achat de matériaux « biosourcés » pour la construction et la rénovation à hauteur de 25 % d'ici 2028. Cette obligation paraît élevée au regard des capacités financières des collectivités, du degré de maturité de la filière biosourcée, mais aussi des exigences prévues par la réglementation environnementale RE2020. Pensez-vous qu'il faille modifier ou supprimer cette disposition ? Au Sénat, nous sommes très attachés à l'écobilan et au bilan carbone : la provenance extérieure de matériaux « biosourcés » n'est pas souhaitable.

L'article 46 quater prévoit d'interdire le financement de toute opération d'économie d'énergie produisant une hausse d'émission de gaz à effet de serre. Le Gouvernement a-t-il bien mesuré la portée de ce dispositif ? Doit-on attendre que le remplacement des chaudières à gaz par de plus performantes ne soit plus éligible à certains dispositifs de soutien ?

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Concernant l'artificialisation, je souhaite revenir sur la conciliation des politiques publiques. Beaucoup d'élus locaux nous ont fait part de leur inquiétude quant à l'impact cumulé des législations sur leur politique locale, en particulier dans les communes soumises aux obligations de mixité sociale de la loi SRU. Nous savons qu'un certain nombre d'entre elles peinent à atteindre les objectifs SRU en dépit de leurs efforts de création par réhabilitation ou construction nouvelle. Ces élus nous indiquent que les principaux gisements de réhabilitation ou de foncier artificialisé ont déjà été mobilisés lors des premières périodes de réalisation de la loi SRU. Ils craignent donc que les objectifs de réduction de moitié de l'artificialisation nouvelle proposés par le projet de loi les condamnent à rester ou à devenir carencés avec les sanctions que cela entraîne.

Le projet de loi « 4D » semble prévoir de modifier les dispositions de la loi SRU. Dans ce cadre, serait-il pertinent d'adapter spécifiquement la loi SRU aux obligations de consommation d'espace ? Par exemple, faudrait-il exclure du décompte de l'artificialisation les opérations de construction de logement social, ou faudrait-il dispenser les zones où le foncier est plus rare des obligations SRU, ou revoir les seuils d'application, dans un esprit de conciliation et d'efficacité de la politique publique ?

Dernier point, le texte issu de l'Assemblée nationale prévoit une zone tendue à coefficient de biotope. Chaque terrain devra donc être en partie végétalisé ou en pleine terre, ce qui pourrait induire de la raréfaction ou le renchérissement du foncier dans ces zones tendues rendant encore plus difficile l'accès au logement des ménages les moins aisés.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre. - La question posée par le sénateur Blanc concerne les injonctions contradictoires qui existeraient dans les différentes législations existantes et à venir. Je ne le pense pas. Il y a des solutions aux questions posées. Il est vrai que les politiques du logement et de lutte contre l'artificialisation que je porte posent des ambitions qui doivent être conciliées : une ambition forte de construction de logements, sociaux en particulier, et une ambition de réduction de la consommation des terres naturelles et agricoles et donc de lutte contre l'artificialisation. Les deux ne sont pas incompatibles. Nous devons trouver un modèle de construction durable. Il est difficile aujourd'hui de construire et de rendre les projets de construction acceptables. Nous avons besoin de trouver le bon équilibre entre d'un côté la nature, l'espace, la végétalisation et la prise en compte du cadre de vie et, de l'autre, le besoin de construction. La réponse est dans un ensemble de politiques publiques que sont la durabilité des normes de construction et notre approche sur l'urbanisme et l'aménagement.

Beaucoup de collectivités ont déjà adopté dans leurs documents d'urbanisme des règles de consommation d'espace plus économes. Beaucoup de PLU et de PLUi portent déjà des règles de réduction de l'artificialisation. La contrepartie est de construire avec plus de densité là où c'est possible. Aujourd'hui, là où le PLU ou le PLUi permettent une construction jusqu'à R+5, les constructions se limitent à R+3. C'est la raison de la perte de logements, particulièrement dans le collectif et les zones tendues. En reconstruisant à R+5 de manière plus durable conformément au PLU ou au PLUi, nous pourrons concilier un objectif de réduction de consommation de terres naturelles et un objectif de logements.

La lutte contre l'artificialisation fait aussi référence à la renaturation à l'intérieur des villes et à l'accès à la nature qui est nécessaire pour le cadre de vie. C'est en effet une contrainte ajoutée à une contrainte déjà existante. Mais c'est une contrainte qui s'impose car l'artificialisation est à la fois négative pour la biodiversité et la réduction des gaz à effet de serre.

L'objectif de zéro artificialisation nette n'est pas à atteindre immédiatement, mais d'ici 2050. La première période ne prévoit qu'une baisse de 50 %. Nous sommes en deçà des demandes de la Convention citoyenne.

Sur la territorialisation, les SRADDET tiennent leurs objectifs avec une réduction de l'artificialisation de 50 % d'ici 2030 dans neuf régions sur treize dont l'Occitanie d'ici 2040. Mais je partage le souci de la territorialisation au niveau infrarégional. La réduction de l'artificialisation n'est pas tenue d'être uniformément réduite de 50 % sur chaque commune ou intercommunalité. Les efforts déjà effectués dans certains territoires doivent être pris en compte. L'artificialisation peut répondre à des besoins essentiels, l'activité économique en particulier. Alors que c'est une ressource que nous considérions comme inépuisable, gratuite et sans valeur environnementale, nous devons la traiter comme précieuse et rare dorénavant.

Le fonds « friches » fonctionne parfaitement avec 300 000 euros dédiés et un réabondement envisagé. Il a déjà permis d'identifier 2 000 hectares en six mois qui vont permettre la construction de 20 000 logements supplémentaires. L'accès au logement abordable se fait par la construction neuve, mais également par la mobilisation de logements vacants et la réhabilitation d'anciens immeubles, particulièrement dans les villes de taille moyenne.

Concernant la rénovation, où la volonté de massification du Gouvernement a été soulignée et encouragée, les aides financières sont principalement rassemblées dans « MaPrimeRénov' » qui doit être l'aide de référence pour les ménages.

Dans le domaine du diagnostic qui est la caractéristique de base du logement, nous avons fait un travail partenarial très important pour ajouter les gaz à effet de serre au DPE, et pour l'améliorer et le rendre visible. La nouvelle étiquette énergétique aura une indication sur le coût mensuel ou annuel d'une consommation moyenne. L'audit est le cheminement pour parvenir à la rénovation la plus performante d'un logement.

Sur les concepts, je suis très attachée au concept de la « rénovation performante » que nous avons redéfini. La rénovation « globale » doit être performante et réalisée rapidement. La rénovation « complète » est en effet la moins indispensable.

Concernant notre stratégie, j'ai interrogé mon administration pour savoir si des rénovations performantes nous permettent d'être au rendez-vous de nos objectifs climatiques. La réponse est oui. Une note d'analyse ministérielle a récemment indiqué que si des rénovations performantes sont réalisées (saut de deux classes et niveaux A, B ou C atteints) dans la SNBC, les objectifs seront atteints à l'horizon 2030 et 2050. Cela nécessite impérativement un investissement. J'ai beaucoup plaidé pour une augmentation du budget de la rénovation énergétique des ménages qui sera attribuée aux propriétaires occupants et aux propriétaires bailleurs au 1er juillet 2021. « MaPrimeRénov' » s'ouvre donc naturellement aux propriétaires bailleurs. L'avancée de ce texte est de prévoir une programmation, qui sera renvoyée à la loi de programmation énergie 2023 afin de donner de la visibilité et de l'inscrire dans le temps. Cette politique publique ne peut pas varier avec des aides et des politiques publiques différentes. C'est ce qui a été fait dans le Plan de relance avec « MaPrimeRénov' » boostée pour les exercices 2021, 2022 et les crédits avancés pour 2023.

L'interdiction des locations des « passoires thermiques » en 2025 pour les étiquettes G, en 2028 pour les étiquettes F, et en 2034 pour les étiquettes E, votée par l'Assemblée nationale, a provoqué des inquiétudes assez fortes chez les professionnels de l'immobilier et les propriétaires. Il ne me semble pas nécessaire d'aller au-delà et de s'en tenir à ses objectifs. Ajouter les étiquettes E pour 2034 est déjà un acte fort.

L'autonomie des collectivités locales n'est pas modifiée par rapport à la loi de 2015. Ce service public est organisé par les régions avec les départements et les EPCI. Un programme de contractualisation a été proposé avec des C2E pour financer les guichets, et permettre que les financements soient portés par les collectivités qui le souhaitent et par l'État. La montée en charge est importante aujourd'hui : les conseillers des espaces info-énergie sont beaucoup sollicités et doivent être renforcés. Cela reste à la main des régions qui contractualisent avec les départements, les métropoles ou les EPCI.

Notre volonté sur l'accompagnement prévu par le rapport Sichel est qu'il soit en partie gratuit. Il doit être totalement libre et neutre. Je ne suis pas favorable à conditionner les aides à la rénovation globale. Nous devons pouvoir continuer à aider les Français à rénover leur logement, en les incitant à le faire de façon globale. Mais une rénovation totale est toujours difficilement envisageable en une seule fois.

Le vote de l'Assemblée nationale d'un coefficient de biotope en zone tendue est simplement une possibilité offerte aux collectivités locales dans les PLU de demander de laisser une part d'un terrain en pleine terre.

La modification de la loi SRU est prévue dans le projet de loi présenté par Jacqueline Gourault et sera présentée au Sénat au mois de juillet. Pour l'instant, il ne convient pas d'exempter de la lutte contre l'artificialisation telle ou telle cause, même les plus nobles : le logement, social ou non, l'activité économique ou les projets structurants. Sinon, le principe de base sera amoindri pour des exceptions pourvu qu'elles soient justifiées. En revanche, les trajectoires SRU sont retravaillées pour plus de souplesse afin que les objectifs soient atteignables.

La lutte contre la fraude aux C2E est indispensable. Nous avons prévu de légiférer par ordonnance du fait de la complexité du sujet qui va nécessiter des articles longs. Nous avons renforcé fortement les contrôles dans la période récente avec davantage d'agents dans le pôle national des C2E et une meilleure interconnexion des contrôles spécifiques aux C2E et à ceux de la DGCCRF. Le démarchage téléphonique a été interdit dans la loi ASAP et la réduction des aides à un euro permet de limiter les fraudes.

L'obligation inscrite dans l'article 15 ter d'avoir systématiquement recours à des matériaux « biosourcés » est en effet excessive et nous sommes prêts à retravailler ce sujet. L'article 46 quater permet de limiter l'aide de toute opération d'économie d'énergie produisant une hausse d'émission de gaz à effet de serre. Nous sommes dans une logique cohérente avec nos objectifs climatiques, qui permet de regarder à la fois la consommation et les émissions, et qui vise des opérations industrielles.

M. Michel Laugier. - Madame la ministre, suite au vote du texte de loi en première lecture à l'Assemblée nationale, les représentants des associations de défense du patrimoine sont opposés au développement des éoliennes et sont très dubitatifs sur les travaux de rénovation énergétique qui risquent de nuire à l'aspect architectural du patrimoine ancien et régional.

Enfin, les architectes s'interrogent sur leur rôle avec la création des « accompagnateurs Rénov' » issus du rapport Sichel.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Madame la ministre, dans un rapport d'information rendu ce jour, mes collègues Anne-Catherine Loisier, Jean-Baptiste Blanc et moi-même nous interrogeons sur la pertinence de la définition de l'artificialisation. Elle nous paraît difficilement appréhendable par les élus, leurs documents d'urbanisme et les acteurs de l'aménagement. Le critère appelé « d'atteinte à la fonction des sols » apparaît dans une dimension plus scientifique qu'opérationnelle. Cette définition a évolué à tous les stades du projet de loi, de l'avant-projet à la séance de l'Assemblée nationale, et ne semble contenter personne. Ne faudrait-il pas viser l'efficacité avec une définition plus parlante et qu'elle puisse évoluer lors de son examen au Sénat ?

Le renvoi au décret d'une nomenclature d'établissement des sols apparaît comme un manque de transparence vis-à-vis du parlement. Elle aura pourtant un impact particulièrement important sur la façon dont les projets des collectivités seront comptabilisés. Ainsi, est-il pertinent pour un maire de lancer aujourd'hui un projet de parc en centre-ville si jamais la nomenclature considère demain que les parcs urbains deviennent des sols artificialisés ?

Plus généralement, il nous semble que cette définition est porteuse de contradictions. Nous craignons que l'utilisation du terme « artificialisation » au lieu de « consommation d'espace » ne décourage les densifications. Le remplissage des « dents creuses », défendu par votre Gouvernement dans la loi ELAN, sera dorénavant considéré comme de l'artificialisation. Il permet pourtant d'optimiser de l'espace déjà urbanisé. L'artificialisation découle également d'opérations vertueuses, notamment la densification, voire d'opérations nécessaires comme les équipements publics indispensables, mais incompatibles avec le voisinage. Comment entendez-vous résoudre ces différentes contradictions ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Madame la ministre, l'objectif de « zéro artificialisation nette réduite » va augmenter les prix du foncier et rendre plus difficiles les opérations de logement social. Ne serait-il pas plus judicieux, lorsque des terrains ont bénéficié d'aides publiques, de réserver pour le logement social une partie du foncier dégagé ? Je crains qu'à terme, il soit difficile de disposer de foncier disponible et de foncier abordable pour la construction de logement social qui s'impose, tout en faisant reculer l'artificialisation.

Le rapport Sichel n'est pas assez ambitieux concernant les copropriétés. Les organismes de foncier solidaire (OFS) pourraient avoir la possibilité d'être tiers financeur et de disposer d'un contrat global de réhabilitation pour les copropriétés qui ne seraient pas portées individuellement par chacun des copropriétaires, mais par une structure collective adossée à la copropriété, permettant aussi la transmission du bien avec une partie de la charge étalée dans le temps. Les systèmes classiques de tiers financeur ne sont pas suffisamment opérationnels. La fédération des Coop'HLM a établi des propositions sur le sujet.

Dans les mécanismes mis en place pour lutter contre le logement indigne et insalubre, les processus judiciaires et de recours ne peuvent être portés exclusivement par les locataires qui sont souvent vulnérables, lors du renouvellement du bail en particulier. Les dispositifs doivent donc être améliorés pour rendre opérationnelle l'intervention des collectivités locales en particulier, ou d'autres tiers, pour assurer le respect d'obligation de performance énergétique. Une graduation pourrait également être mise en place avant la suspension du paiement du loyer, de même qu'une réduction du loyer par le juge en cas de non-réalisation des travaux. Il faut durcir les capacités d'intervention de tiers externes d'intérêt public afin d'être plus efficace dans la lutte contre l'habitat insalubre.

Mme Sylviane Noël. - Madame la ministre, nous partageons tous l'objectif de la lutte contre l'artificialisation des sols, mais je m'interroge sur la méthode employée. Nous n'avons d'ailleurs pas attendu la loi pour le faire. Dans mon département de Haute-Savoie, nous avons divisé par plus de 2,5 la consommation foncière ces dix dernières années, en dépit d'une croissance démographique annuelle de 1,5 %.

La mise en oeuvre d'un tel dispositif ne peut être galvaudée et je m'étonne que des notions aussi essentielles que l'artificialisation nette et les modalités de compensation afférentes soient reportées à la rédaction de futurs décrets et ordonnances et ne soient pas discutées à l'occasion du débat parlementaire. Le Parlement ne peut se contenter de légiférer sur des sujets aussi importants en établissant des chèques en blanc au Gouvernement qui ne nous permettent pas de mesurer l'exacte portée des dispositions législatives.

Je souhaite être le porte-parole des inquiétudes fondées des élus locaux s'agissant des dommages collatéraux de cette mesure sur différents territoires. Nous pouvons en effet redouter qu'avec un tel dispositif, les territoires ruraux et périurbains ne deviennent à terme les cautions environnementales du développement des grandes métropoles. Dans des zones tendues comme les territoires de montagne et touristiques, déjà soumises à de très nombreuses contraintes réglementaires telles que les lois « Montagne » et « Littoral » qui limitent fortement l'urbanisation, l'application de telles mesures se révélera très difficile pour répondre aux nombreuses injonctions de l'État, telles que les objectifs de construction de logements sociaux ou la réalisation d'aires d'accueil des gens du voyage. Les élus ressentent une véritable schizophrénie en matière d'urbanisme.

Je vous alerte également sur les conséquences de l'inflation des prix du foncier et du logement dans des zones déjà sous tension. Nous devons veiller à ce qu'une mesure inventée par la convention citoyenne ne vienne pas réveiller les fractures territoriales exacerbées lors de la crise des Gilets jaunes.

Le Gouvernement a-t-il réfléchi sur les conséquences de ce dispositif sur le financement des recettes des collectivités locales qui sont aujourd'hui encore largement assises sur le foncier ?

Mme Micheline Jacques. - Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que les mesures d'adaptation pour l'outre-mer prévoient une extension des dispositions prévues à l'article 40, y compris aux bailleurs sociaux ultra-marins où l'enjeu de rénovation énergétique est important du fait d'un parc de logement vieillissant plus rapidement en raison des conditions climatiques ? Il est important d'adapter les normes DPE aux réalités locales.

De par leur éloignement, les territoires d'outre-mer restent soumis aux normes européennes et doivent importer leurs matériaux du continent européen avec un impact carbone très important. Alors que ces matériaux sont disponibles dans des pays limitrophes, il serait judicieux de favoriser le développement de filières innovantes localement, et parallèlement de décentraliser la certification afin de disposer d'équivalences pour la norme CE, sans devoir aller et revenir de métropole.

M. Franck Montaugé. - Madame la ministre, des propositions sont faites aux collectivités par des bureaux d'études indépendants du Gouvernement pour se doter d'un référentiel relatif à la résilience et à la transition qui permettrait de viser la sobriété énergétique. L'aménagement, le logement et l'urbanisme sont concernés par ces démarches. Quels outils envisagez-vous mettre à disposition des collectivités ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Madame la ministre, le projet de loi énonce de nombreuses exigences quant à la classe énergétique des logements, et prévoit une suppression à moyen terme des logements classés E, F et G. Pouvez-vous revenir sur le plan de rénovation, les modalités concrètes de transformation et indiquer l'évaluation des dépenses incombant aux propriétaires et aux locataires ? Ces exigences énergétiques portent aujourd'hui sur le logement et les particuliers. Une évolution est-elle prévue dans d'autres secteurs d'activité comme l'hôtellerie ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre. - L'adaptation des enjeux de ce projet de loi aux questions de défense du patrimoine est essentielle. Les obligations s'appliquent à tout type de bâtiment, mais les réponses sont différentes selon qu'il s'agisse de maisons individuelles ou de logements collectifs. Dans les deux cas, nous travaillons avec les différentes filières sur la mise en place de matériaux innovants, par le biais des crédits de mon ministère et ceux du plan d'investissement d'avenir. Les travaux sur l'isolation extérieure restent impossibles sur les bâtiments patrimoniaux. L'installation de panneaux photovoltaïques est également parfois impossible à moins d'user de techniques spécifiques dont disposent certaines entreprises françaises. Un important travail est donc à réaliser avec les filières industrielles concernant l'adaptation aux différents types de bâtiments. Je rappelle qu'en copropriété, il existe une obligation de moyens, mais pas d'obligation de résultats pour les propriétaires sur la mise en location. La loi prévoit déjà qu'un propriétaire doit solliciter l'accord de sa copropriété pour effectuer des travaux. En cas de refus, le propriétaire ne peut pas être sanctionné. Rénovation du patrimoine et isolation thermique doivent être conciliées avec souplesse.

Les architectes ont toute leur place dans la nouvelle profession « d'accompagnateur Rénov' ». Ces professionnels seront consultés et impliqués dans le processus de mise en place de cet accompagnement et de son financement.

Concernant la réduction de l'artificialisation, nous avons accepté lors des débats à l'Assemblée nationale que la première période de dix ans soit toujours calculée en consommation d'espaces naturels agricoles et forestiers et qu'elle s'effectue selon des notions connues dans les documents d'urbanisme. Un parc urbain aura vocation à compter en renaturation, ce qui n'est pas le cas actuellement. Sur la définition de l'artificialisation, le texte de loi a gagné en précision lors des travaux à l'Assemblée nationale en visant les différentes fonctions du sol qui renvoient à un décret d'application.

Il est important d'examiner précisément la destination des terrains qui bénéficient d'aides publiques pour la dépollution ou la lutte contre les friches. Dans certains cas, ces terrains ne sont pas adaptés à accueillir du logement. Une règle selon laquelle il faut systématiquement faire du logement n'est pas envisageable. Entre la loi SRU et les servitudes de mixité sociale, il existe assez souvent une obligation de construire des logements sociaux.

Nous progressons dans l'accompagnement des copropriétés. Dans un esprit de progrès, « MaPrimeRénov' » est dorénavant directement versée à une copropriété. Je suis tout à fait prête à intégrer les OFS dans le processus.

Il faut renforcer la lutte contre l'habitat insalubre et indigne. Une ordonnance sur la simplification et la réconciliation des différentes polices a été prise à l'initiative de mon collègue Julien Denormandie. Nous pouvons aller plus loin avec des mesures d'amélioration dans la lutte contre l'habitat insalubre et indigne. C'est un sujet important.

Les débats sur l'artificialisation foncière et le développement économique, qui renvoient au débat général, doivent aussi avoir lieu à l'échelle des territoires, des régions, des SCOT et des PLUi. L'impact sur les recettes des collectivités se pose également sur la construction de logements. Nous devons y travailler ensemble d'ici à la prochaine loi de finances et faire en sorte que nos assiettes fiscales soient cohérentes avec nos objectifs de politiques publiques.

Des adaptations seront prises pour l'outre-mer dont la situation est évidemment spécifique. Des délais supplémentaires seront accordés. Des filières de matériaux « biosourcés » localement et plus adaptées aux besoins de l'outre-mer sont prévues dans le plan logement outre-mer.

La loi prévoit un observatoire national de l'artificialisation et des observatoires locaux qui seront soutenus par le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Une base de données nationale sera établie. Les collectivités auront vocation à être accompagnées.

Des interdictions de location sont prévues pour les logements classés G, F et E, mais elles ne s'appliquent pas aux lieux occupés par les propriétaires. La pénalisation pour les propriétaires existe déjà par l'occupation de lieux mal isolés. L'incitation à rénover est donc largement suffisante.

Deux tiers des dossiers pour « MaPrimeRénov' » sont déposés par des ménages modestes ou très modestes. Les restes à charges sont diminués jusqu'à 10 % pour les ménages les plus modestes pour des opérations lourdes allant de 20 000 à 40 000 euros. Nous devons poursuivre dans ce sens : le prêt avance mutation sera accordé à des taux extrêmement bas et son remboursement sera différé à la cession du bien. Cela permettra aux bénéficiaires de profiter de la prise de valeur du bien au moment de sa vente. Toutes ces aides sont ouvertes au petit tertiaire. Le débat reste ouvert pour l'hôtellerie.

Mme Patricia Schillinger. - La sortie des logements les plus énergivores du parc locatif ne manquera pas de faire peser sur les bailleurs sociaux une obligation de mise aux normes des logements sociaux de ce type. Quel soutien l'État est-il prêt à accorder à ces acteurs essentiels du logement social ? Le soutien de l'État est d'autant plus nécessaire alors que la hausse du prix des matériaux atteint 30 % et que la capacité d'autofinancement de ce secteur a déjà été fortement sollicitée pour la mise en oeuvre de la réduction du loyer de solidarité.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je suis heureuse d'apprendre que l'ordonnance sur la simplification et la réconciliation des différentes polices a été prise alors que nous avons établi avec Dominique Estrosi Sassone un rapport sur le logement insalubre où nous demandions une simplification dans l'intervention des polices en ce domaine.

Qu'est devenu l'observatoire de la consommation des espaces agricoles prévu dans la loi de modernisation de l'agriculture de Stéphane Le Foll de 2013 ? S'il existe encore, quelle est l'articulation prévue avec les nouveaux observatoires prévus ?

J'ai bien compris votre volonté de corriger les injonctions contradictoires de l'État et des politiques publiques au niveau territorial. Dans ce cas, l'État doit accentuer la déconcentration et redonner des pouvoirs aux préfets et veiller à ce qu'ils ne soient pas désavoués par des agences nationales dans leurs arbitrages et leurs décisions.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre. - La rénovation énergétique doit s'appliquer au parc social et l'interdiction de la mise en location des logements classés G en 2025 et classés F en 2028 s'applique évidemment au parc social. Il ne devra y avoir aucun logement social sorti du parc locatif pour absence de mise aux normes. Les bailleurs sociaux n'ont pas attendu pour mener de vastes plans de rénovation de logements sociaux. La majeure partie d'entre eux a prévu de supprimer les logements « passoires thermiques » avant l'échéance prévue.

Il existe également des programmes spécifiques en bassins miniers avec un important investissement financier de l'État pour la rénovation des logements qui s'y trouvent. Une enveloppe de 500 millions d'euros est spécifiquement dédiée à la rénovation du parc social dans le Plan de relance. Les bailleurs sociaux ont jusqu'au 1er juin 2021 pour faire connaître leurs demandes. Un accompagnement des bailleurs est donc engagé au-delà de tout ce qui a été fait précédemment, tel que l'accord avec le groupe Action logement ou les titres participatifs de la Caisse des dépôts et consignations.

L'ordonnance sur la simplification et la réconciliation des différentes polices a été prise le 16 septembre 2020 avec un décret d'application au 24 décembre 2020.

L'Observatoire de la consommation des espaces agricoles existe et est piloté par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Les travaux seront mis en coordination avec ceux du Cerema.

La concentration est mise en application. Il existe dans notre domaine une commission nationale SRU qui donne un avis sur la carence de logements sociaux, mais la décision finale revient aux préfets de département.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Suite à l'audition des acteurs conventionnels avec mes collègues Christian Redon-Sarrazy et Anne-Catherine Loisier, nous vous confirmons que nous ne partageons pas votre définition de l'artificialisation, ni votre vision de l'efficacité des SRADDET sur la territorialisation.

Vous avez indiqué ne pas souhaiter entrer dans le champ des dérogations. Toutefois, lors du vote à l'Assemblée nationale, vous avez accepté une dérogation pour les zones de revitalisation rurale (ZRR). Quelles seront les conséquences de votre accord et appelle-t-il d'autres dérogations ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre. - Aucune dérogation n'a été acceptée favorablement par le Gouvernement lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Il s'agit de deux sujets distincts. Je ne suis pas favorable à sortir un objet quel qu'il soit
- logements, projets économiques ou de réindustrialisation - de l'enveloppe d'artificialisation. En revanche, pour la territorialisation de l'enveloppe, j'ai accepté d'ajouter la prise en compte des zones de revitalisation rurale (ZRR). Il ne s'agit pas d'une dérogation, mais d'une prise en compte politique de la diversité des territoires et des besoins de ruralité. La territorialisation ne doit pas aider que des zones à forte densité et urbanisées, mais également les territoires ruraux.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je reste dubitative sur le zonage alors que certaines communes rurales ne sont pas en ZRR. Mais nous aurons ce débat en séance. Je vous remercie, madame la ministre, ainsi que tous mes collègues qui ont participé à cette réunion.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures.