Mercredi 24 mars 2021

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Audition de Mme Laure de la Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir Laure de la Raudière, nouvelle présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

Quelques semaines après le début de votre mandat à la tête du régulateur des télécoms, permettez-moi tout d'abord de vous féliciter pour cette nomination. Nous formulons le voeu que vous puissiez avancer avec volontarisme sur les sujets qui nous préoccupent : la couverture numérique du territoire et la réduction de l'empreinte environnementale du numérique.

Ces dernières années, votre prédécesseur M. Sébastien Soriano nous avait tenus informés de l'avancée des programmes de déploiement. Il l'avait reconnu devant nous : l'Arcep s'était beaucoup appuyé sur nos travaux pour élaborer le New deal mobile. C'est peu dire que l'Arcep et notre commission ont noué des relations particulières au fil du temps. Nous espérons que ce dialogue se poursuivra sous les meilleurs auspices.

Dans un premier temps, je souhaiterais que nous abordions les sujets liés à la couverture numérique du territoire, en commençant par les réseaux fixes. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les rythmes de déploiement pour l'année 2020 et les perspectives pour 2021 ? Il semblerait que la crise sanitaire n'ait jusqu'ici provoqué qu'un ralentissement modéré des travaux de déploiement.

Je rappelle également que la fin de l'année 2020 a été marquée par des échéances importantes. La première est l'objectif de couverture intégrale des zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII) par Orange et SFR. Sébastien Soriano avait affirmé que SFR pourrait enregistrer un semestre de retard sur cet objectif. En ce qui concerne Orange, le retard pourrait s'élever à une année. Confirmez-vous ce diagnostic ? L'Arcep se réserve-t-elle la possibilité d'activer son pouvoir de sanction ?

La deuxième échéance concernait la couverture intégrale du territoire en « bon » haut débit pour tous. Notre rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire, Jean-Michel Houllegatte, avait déploré, lors du débat sur le dernier projet de loi de finances, le manque de visibilité de ce volet du plan France Très Haut Débit.

Les derniers chiffres dont nous disposons remontent à septembre 2019. 95 % des Français étaient alors éligibles au « bon » haut débit. Disposez-vous d'éléments chiffrés actualisés ? Vous êtes-vous dotés d'outils dédiés au suivi de cet objectif ?

De manière plus générale, les rythmes de déploiement actuel permettront-ils d'atteindre les objectifs d'une couverture intégrale du territoire en très haut débit d'ici à 2022 et en fibre optique d'ici à 2025 ?

Madame la Présidente, je vous laisse la parole pour répondre à ces premières questions.

Mme Laure de la Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). -Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de m'accueillir au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

La crise sanitaire a montré à quel point l'accès à un Internet fixe et mobile de qualité était indispensable pour assurer la résilience de notre pays, que ce soit pour le télétravail, la télé-éducation, les consultations en matière de santé....

Je souhaite tout d'abord rappeler les objectifs du New deal mobile, car ils participent à la couverture généralisée du territoire :

- l'amélioration de la couverture des axes de transport ;

- l'amélioration de la couverture mobile à l'intérieur des bâtiments : le dispositif du Voice over Wifi permet d'émettre et de recevoir des appels voix et des SMS via un réseau wifi ;

- la généralisation du très haut débit mobile 4G sur l'ensemble des sites mobiles existant d'ici à la fin 2020 ;

- le dispositif de couverture ciblée.

Globalement, les opérateurs ont généralisé la 4G sur leurs antennes. Nous pouvons donc affirmer que les objectifs ont été atteints sur ce volet du New deal. Pour les sites déployés dans le cadre du programme « zones blanches - centres bourgs », l'objectif était fixé à 75 % de couverture ; or, près de 80 % de ces sites sont aujourd'hui couverts.

En ce qui concerne le dispositif de couverture ciblée, 600 zones ont été identifiées dans les arrêtés en 2018, 700 en 2019 et 800 en 2020. Dans la majorité de ces zones, les pylônes et les équipements actifs sont mutualisés. Ainsi, les zones qui étaient très mal couvertes peuvent désormais proposer une offre de grande qualité.

Les sites sont mis en service progressivement. Les opérateurs disposent de deux ans pour le faire à compter de la publication des arrêtés. Quelques dizaines de sites identifiés par le premier arrêté de 2018 accusent du retard, malgré le report de trois mois et demi accordé afin de tenir compte des décalages liés à la crise sanitaire, qui sont très souvent dus à des difficultés de raccordement électrique.

S'agissant des sites en retard, l'Arcep mène des enquêtes auprès des opérateurs pour déterminer les causes du retard. À ce jour, la quasi-totalité des cas correspond à des blocages liés aux collectivités, pour diverses raisons : l'absence d'accord sur le choix d'implantation de l'antenne, le refus de la population, etc.

Dans le dispositif de couverture ciblée, un comité de pilotage a été mis en place au niveau du département pour assurer le pilotage du New deal. Celui-ci doit associer à la fois les opérateurs et des représentants des collectivités. Il est pour nous très utile de bénéficier de ce relais de proximité, afin de pouvoir recouper les informations qui nous sont rapportées par les opérateurs à propos des difficultés rencontrées.

Les axes routiers prioritaires à couvrir ont été recensés par les opérateurs dans le cadre du New deal. Au premier semestre 2021, l'Arcep va s'employer à vérifier les informations des opérateurs par une campagne de mesures. En janvier 2022, des objectifs de couverture à l'intérieur des véhicules seront fixés à Orange et SFR.

L'année 2021 a été marquée par la préparation des enchères 5G en métropole. Nous saluons la manière dont certaines mairies ont conduit les travaux avec les opérateurs pour avancer sur l'installation des antennes. À ce jour, 9 000 communes sont couvertes en 5 G.

Les stratégies diffèrent selon les opérateurs. Free a ouvert le plus grand nombre de sites 5G, mais a choisi de les ouvrir majoritairement en bande 700 mégahertz, alors que les concurrents utilisent les autres bandes de fréquence à leur disposition.

Selon les bandes de fréquence utilisées, le service 5G n'est pas le même en matière de débit. L'Arcep intervient pour rappeler les enjeux de transparence dans la communication sur le service 5G proposé au consommateur. L'Arcep contrôlera le respect des obligations prises au titre des fréquences de 5G.

Les objectifs de déploiement de la 5G incluent bien des objectifs de couverture des territoires ruraux, et des objectifs de couverture des territoires d'industrie, hors des principales agglomérations. En effet, l'un des enjeux de la 5G consiste à apporter de nouveaux services, grâce à sa faible latence qui permettra de nouveaux usages dans le domaine industriel.

Je vous propose à présent de réaliser un point d'étape sur le déploiement des réseaux fixes. La croissance des abonnements de très haut débit est portée par la fibre. L'année 2020 a été une année record en termes de déploiement des lignes fibres. Les opérateurs ont déployé 5,8 millions de lignes en 2020.

Les zones très denses sont couvertes à 92 % en très haut débit à environ 85 % en fibre. Dans les zones moins denses d'initiative privée, la couverture en très haut débit s'élève à 86 % ; la progression correspond à celle de la fibre, qui s'élève à 80 %. Dans les zones moins denses d'initiative publique, la moitié de la population est couverte en très haut débit ; la couverture fibre s'élève à un peu moins d'un tiers.

Dans les zones AMII, les opérateurs ont opéré un déploiement massif, avec près de 3,5 millions de lignes fibres en 2020. Orange ne répond pas à ses objectifs en zones AMII : 80 % des zones sur lesquelles Orange s'était engagé étaient couvertes fin 2020, alors que l'opérateur devait atteindre un taux de couverture de 92 % à cette date. Quant à SFR, il atteint presque son objectif.

Je rappelle que les zones AMII correspondent à des engagements volontaires des opérateurs contractualisés avec le Gouvernement. Dans les négociations, une discussion à trois doit s'opérer, car les engagements ont été souscrits non auprès de l'Arcep, mais avec le Gouvernement. Nous souhaitons donc que ce soit le gouvernement qui nous saisisse.  

Nous sommes passés d'une version bêta à la mise en ligne d'une version opérationnelle du site « Ma connexion internet. » Celui-ci vous permet de déterminer, pour chaque adresse, quelle est la meilleure technologie disponible.

En France, 60 % des locaux sont éligibles à la fibre ; 4 % sont éligibles au câble, mais pas à la fibre ; 7 % sont éligibles à un très haut débit sur le cuivre, mais pas au câble ni à la fibre.

Certaines collectivités ont déployé le Très Haut Débit (THD) radio, qui n'est pas une connectivité filaire. Celui-ci permet d'obtenir un débit supérieur à 30 mégabits par seconde. 2 % de la population n'est pas connectée par une technologie filaire au très haut débit, mais dispose du THD radio.

Toutes les habitations qui ne disposent pas de technologie de très haut débit peuvent obtenir le « bon » haut débit par le cuivre (16 %) et la 4G fixe (9 %). 2 % sont inéligibles au « bon » haut débit.

La qualité de service du réseau cuivre représente une de mes préoccupations majeures, au même titre que les enjeux de couverture numérique du territoire en très haut débit fixe et mobile. Elle le restera encore pendant quelques années, en attendant la fermeture du cuivre.

Sur certains territoires, il s'agit d'un réel calvaire pour les populations ; cette situation n'est pas acceptable. Le sujet reste difficile à appréhender avec les outils juridiques dont dispose l'Arcep.

Monsieur le Président, vous m'avez interrogée sur les enjeux environnementaux du numérique. Je souhaite tout d'abord féliciter le Sénat pour ses travaux. L'Arcep a initié une réflexion sur cet enjeu dans le cadre prospectif du sentier « Réseaux du futur » à partir d'octobre 2019.

L'Arcep a travaillé sur ces sujets tout au long de l'année 2020, notamment en mettant en place une plate-forme de travail, « Pour un numérique soutenable », avec 130 contributeurs. Ce travail a fait l'objet d'un rapport d'étape fin 2020.

Nos propositions s'orientent sur trois volets :

- mieux connaître et surveiller l'empreinte écologique des acteurs du numérique ;

- intégrer l'enjeu environnemental dans les choix de régulation ;

- accroître les incitations économiques, notamment pour les équipementiers et les utilisateurs.

Je souhaite à présent laisser le temps aux échanges. Je vous remercie.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Lors de sa dernière audition, votre prédécesseur nous avait fait part de ses inquiétudes quant au rythme de déploiement de la fibre dans certaines zones très denses.

Malgré le niveau de couverture moyen de 92 % que vous avez évoqué, certaines zones, telles que la Seine-Saint-Denis, restent mal couvertes par les opérateurs. Disposez-vous de chiffres sur les « zones blanches » à l'intérieur des zones très denses ? Dans notre rapport budgétaire de novembre dernier, nous avions estimé que si ces difficultés venaient à persister, il faudrait organiser de nouveaux AMII au sein des zones très denses pour stimuler les opérateurs. Ces AMII pourraient faire l'objet d'engagements contraignants. Cette piste vous semble-t-elle envisageable ?

Nous avions également évoqué le mode STOC, qui permet aux grands opérateurs de sous-traiter le raccordement final de la fibre jusqu'à l'abonné. Un nombre croissant de collectivités territoriales pointent la qualité déplorable du raccordement opéré par ces sous-traitants. Des mesures correctives ont-elles été prises à cet effet ?

Enfin, pouvez-vous confirmer que dans le cadre du New deal mobile, ce sont bien les 55 000 kilomètres de route qui sont couverts, avec un taux de 98 % ? Ce point mériterait vérification. Le New deal prévoit également que les 23 000 kilomètres de lignes du réseau ferré doivent être couverts en 2025. Avez-vous des informations complémentaires à nous communiquer sur ce point ?

M. Guillaume Chevrollier. - Je souhaite aborder la question de l'empreinte environnementale du numérique, qui a fait l'objet d'une proposition de loi adoptée à la quasi-unanimité par le Sénat en janvier dernier.

Je vais aborder divers articles de notre proposition de loi afin de vous faire réagir, notamment l'article 14 bis. Cet article renforce l'information du consommateur concernant les offres subventionnées, qui associent l'achat d'un smartphone à la souscription d'un forfait mobile, pour une période d'engagement allant souvent jusqu'à 24 mois.

Je souhaite également vous faire réagir sur l'article 16, qui prévoit la création d'un référentiel général de l'écoconception, auquel devront se conformer les fournisseurs dont les services numériques excèdent un certain seuil de trafic.

L'article 23 prévoit que les opérateurs souscrivent à des engagements environnementaux auprès de l'Arcep, au plus tard en 2023. Les opérateurs devraient notamment s'engager dans ce cadre à réduire les impacts environnementaux associés à la fabrication et à l'utilisation des box mises à la disposition de leurs abonnés.

L'article 23 bis doit permettre à l'Arcep de récolter les données qui lui seront nécessaires à la régulation environnementale des réseaux et des services numériques prévus par la proposition de loi.

Enfin, l'article 24 prévoit d'ajouter les impératifs de préservation de l'environnement parmi les éléments dont doit tenir compte l'Arcep dans l'attribution des licences mobiles, à l'instar des besoins d'aménagement du territoire.

Telles sont mes questions sur l'empreinte environnementale du numérique. En complément des propos de M. Houllegatte, je souhaite relayer les interpellations récentes d'élus locaux sur la qualité du réseau cuivre et sur le déploiement de la fibre. Le régulateur doit exercer une vigilance et un contrôle accrus sur les sous-traitants.

Vous avez fait état de la disponibilité de l'Arcep pour les parlementaires. Or j'ai été saisi par des collègues qui ont écrit à l'Arcep il y a quelques mois et qui n'ont pas obtenu de réponse. Je vous remercie de faire diligence pour leur répondre.

Mme Laure de la Raudière. - Parfois, les réponses prennent du temps, car nous devons effectuer des recherches. D'autres fois, une réponse orale est plus justifiée qu'une réponse écrite.

Il est avéré qu'une partie des zones très denses n'est pas couverte. Étant donné qu'il n'existe pas d'obligation de complétude, l'Arcep ne dispose pas de réel moyen d'agir. La solution réside certainement dans le champ politique ; c'est vous qui avez la possibilité d'agir dans ce domaine.

Le mode STOC a été mis en place à la demande des opérateurs des réseaux d'initiative publique (RIP) et de certains opérateurs commerciaux. Des modes de fonctionnement ont été établis entre l'opérateur d'infrastructure et l'opérateur commercial.

Depuis l'année dernière, l'Arcep anime un groupe de travail entre les opérateurs pour résoudre les problèmes de procédure. En revanche, il incombe aux opérateurs de contrôler leurs sous-traitants. De plus, nous estimons qu'il relève de l'opérateur d'infrastructure d'éventuellement bloquer l'accès de son réseau à l'opérateur commercial.

De nouvelles conventions entre opérateurs ont été mises en place. La plupart des conventions entre les opérateurs d'infrastructures et les opérateurs commerciaux ont été signées.

Nous allons à présent suivre les indicateurs de taux de raccordement défaillant sur l'ensemble du réseau fibre. Nous rendrons ces résultats publics afin d'identifier les problèmes, de focaliser l'action sur les difficultés posées et de déterminer si certains opérateurs fonctionnent mieux que d'autres.

Nous nous trouvons dans une phase de déploiement de grande ampleur. Les opérateurs ont déployé près de 6 millions de lignes l'année dernière. Néanmoins, le taux d'échec en raccordement que nous rencontrons aujourd'hui n'est pas acceptable.

Nous allons explorer une piste de pré-branchement, c'est-à-dire le fait que le raccordement soit déjà préparé chez le client avant la vente. Nous examinons avec attention cette pratique qui a déjà été mise en place dans certains territoires.

S'agissant de la couverture des axes routiers et de la SNCF, l'Arcep a prévu une campagne pour vérifier la réalité des chiffres. J'aurai plaisir à revenir pour vous en présenter les résultats.

Concernant la proposition de loi du Sénat dont vous êtes les rapporteurs, MM. Chevrollier et Houllegatte, certaines dispositions sont reprises dans les objectifs de la feuille de route « Numérique et environnement » du Gouvernement. Nous sommes donc très favorables à la progression de cette disposition législative.

Dans la feuille de route, nous devons étudier les modalités de mise en place d'obligations environnementales dans le cadre de l'attribution des fréquences 5G de 26 Gigahertz.

Concernant les terminaux, le Gouvernement nous a demandé d'étudier les pratiques commerciales des opérateurs et des distributeurs et leur impact sur la durée de vie des terminaux. Mon point de vue n'est pas arrêté sur le sujet.

Le subventionnement est régulièrement pointé du doigt, car il impliquerait un renouvellement plus fréquent des terminaux en France. Nous allons mener une étude afin de documenter l'impact de ces pratiques commerciales sur la durée de vie des terminaux.

Mme Cécile Dubarry, directrice générale de l'Arcep. -  Le taux de la zone très dense s'établit à 92 %. L'hétérogénéité est toutefois très importante selon les territoires. Dès qu'ils seront disponibles, je vous enverrai les liens vers les publications correspondantes.

M. Bruno Rojouan. -Je représente le département de l'Allier, qui compte beaucoup sur ces réseaux pour compenser sa faible densité de population.

Dans des départements tels que le mien, un retard important a été pris concernant la fibre.

Parmi les indicateurs, j'identifie ce que je nomme les « faux pourcentages de couverture ». En général, un habitant lambda souscrit un abonnement chez un opérateur, et lorsqu'il se déplace dans un autre département, il se rend compte que cet opérateur ne couvre pas la totalité du territoire. Il faudrait prendre des abonnements chez divers opérateurs pour obtenir une couverture à 90 %.

Les taux qui nous sont présentés semblent tout à fait favorables, mais dans la réalité, il faut appliquer la notion de RAN-Sharing, c'est-à-dire l'obligation pour un opérateur d'obtenir la couverture des autres opérateurs. Ainsi, l'ensemble de la ruralité pourrait être couvert.

L'autre indicateur que je considère comme défaillant est celui de la pénétration à l'intérieur des bâtiments. Une fois encore, des taux de couverture tout à fait satisfaisants sont annoncés, alors que dans la réalité nous ne parvenons pas à établir de contact à l'intérieur des bâtiments fréquentés par nos populations.

Mme Patricia Demas. - J'ai une question à poser à propos des appuis aériens dans le cadre du déploiement de la fibre. À l'heure où les collectivités sont de plus en plus enclines à effacer ces appuis, le déploiement de la fibre doit suivre le parcours des réseaux cuivre.

Or, il arrive bien souvent que les appuis aériens soient ajoutés, car les opérateurs ne peuvent effectuer les branchements sur les existants. Il en résulte un problème important du point de vue de l'intégration paysagère, car les poteaux prolifèrent.

Je souhaiterais connaître les solutions réglementaires qui pourraient être envisagées pour soutenir la démarche d'effacement de ces poteaux par les collectivités.

Ma deuxième question concerne le déploiement de la 5G. Je suis sénatrice des Alpes-Maritimes. La ville de Nice a été la première à opérer le déploiement de la 5G sur son territoire. De nombreuses questions intéressent les risques sanitaires et les conséquences de ce déploiement au niveau environnemental.

Je souhaite savoir si vous avez connaissance des premières conclusions de l'étude qui est actuellement menée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

Enfin, ma dernière question est liée à la dépose du cuivre. Il y a un mois, l'Arcep a indiqué qu'un groupe de travail allait être créé entre l'Arcep et l'opérateur Orange pour cadrer cette dépose. Quel est l'état d'avancée de cette procédure ?

M. Pierre Médevielle. - Lors d'une audition des opérateurs Orange et SFR, il y a quelques années, nous avions assisté à un numéro d'autosatisfaction. Il nous avait été indiqué que plus de 92 % de la population était couverte par le déploiement de la 3G et de la 4G. Votre prédécesseur avait alors tempéré ces résultats.

Je représente la Haute-Garonne, qui est un département déséquilibré, caractérisé par une métropole et des zones montagneuses. L'Arcep avait fait remarquer que ces 92 % de couverture de la population ne correspondaient en réalité qu'à 56 % de couverture du territoire.

Avec la 5G, allons-nous subir les mêmes inégalités ? Ne pourrons-nous pas intégrer un critère de couverture du territoire ? Depuis la crise de la Covid, nous mesurons l'importance de la couverture du territoire, avec la généralisation du télétravail.

De quelle manière attirer des entreprises et de nouveaux habitants, dans ces zones qui se dépeuplent, si l'on ne peut pas y passer un appel téléphonique correctement ? Ne pouvons-nous pas inclure dans le plan de relance ces ambitions de couverture ?

Mme Denise Saint-Pé. - L'Arcep vient de mener une consultation sur le modèle proposé par La Poste pour actualiser la méthode de sélection des points de son réseau accessible, au motif que les évolutions démographiques et économiques des territoires rendraient celle-ci obsolète.

Je suppose qu'il est un peu tôt pour vous demander la synthèse de cette consultation. Néanmoins, avez-vous une position par rapport à cette demande ? À titre personnel, je crains que La Poste ne profite de cette démarche pour poursuivre son désengagement dans les territoires ruraux, où les élus peinent à conserver leur bureau de plein exercice.

De quels moyens disposez-vous pour faire en sorte que La Poste respecte ses obligations dans le cadre de sa mission d'aménagement du territoire ?

M. Stéphane Demilly. - Madame la Présidente, je souhaite vous poser trois questions simples. La ligne ferroviaire Amiens-Paris est l'une des plus importantes de France en termes de fréquentation. Or, on ne peut pas travailler dans le train, car il est impossible de s'y connecter à Orange.

Mon deuxième point concerne le fait que nous avons été amenés, pendant la crise sanitaire, à travailler de plus en plus à domicile. Or, 13 millions de nos concitoyens ne sont pas bien connectés à Internet. Avez-vous prévu un calendrier précis pour satisfaire les demandes légitimes de nos concitoyens d'ici à 2022 ?

Ma troisième question est liée à l'environnement. Dans cette commission, nous avons reçu Apple et Google, qui ont été interrogés sur les efforts de verdissement qu'ils entreprennent et les objectifs fixés dans ce domaine : atteindre la neutralité carbone d'ici à 2020 pour Apple ; alimenter l'ensemble des centres de données par de l'électricité 100 % «  décarbonée  » d'ici à 2030 par Google.

Nous craignons toutefois que ces bonnes intentions affichées s'apparentent à des opérations de communication qu'on pourrait qualifier de green washing. Avez-vous réfléchi à des outils de mesure pour vous assurer que ces engagements environnementaux des GAFA seront bel et bien tenus ?

M. Hervé Gillé. - Madame la Présidente, entre les données collectées via les opérateurs et la perception du terrain, les écarts s'avèrent parfois importants.

Une enquête est-elle menée auprès des collectivités locales et territoriales pour évaluer la réalité de la perception sur le terrain ? Si ce n'est pas le cas, avez-vous l'intention d'en mener une de manière régulière, ce qui permettrait de confronter une analyse de terrain avec les données ?

Les opérateurs téléphoniques et numériques seront les grands gagnants des effets économiques de la pandémie. Pensez-vous qu'il faudrait réviser leurs engagements pour tenter d'améliorer l'accessibilité des déploiements du numérique dans notre pays ?

M. Joël Bigot. - Je souhaite pour ma part vous interroger sur le déploiement de la 5G. De nombreuses communes ont demandé un moratoire, car ce sujet pose quelques questions.

Vous avez indiqué que 9 000 communes étaient couvertes par la 5G à l'heure actuelle. Disposez-vous d'une cartographie précise des communes couvertes ? Il serait intéressant que les collectivités locales puissent en être informées.

S'agissant des usages de la 5G, l'Arcep prévoit-elle de mener des évaluations sur les premiers retours d'expérience en termes de services et d'usages de la 5G ? Êtes-vous favorable à une régulation, ou du moins à une priorisation de certains usages, notamment la télémédecine et le télétravail ?

Vous avez également indiqué que les zones denses étaient parfois peu couvertes. Une priorisation des usages n'aiderait-elle pas à la mise en place d'un maillage plus rationnel du territoire ?

Mme Laure de la Raudière. - Je vais revenir sur les questions liées aux indicateurs, aux cartes de couverture et aux taux de couverture, qui constituent pour moi des sujets de préoccupation majeure.

En ce qui concerne sa carte de couverture, intitulée « monreseaumobile.fr », l'Arcep a pris en compte un premier niveau d'attentes, en prévoyant deux couleurs de couverture distinctes pour la 2G et la 3G : la bonne couverture et la très bonne couverture. La très bonne couverture peut correspondre à une qualité indoor, la bonne couverture correspondant plutôt à de l'outdoor.

Cette carte est plus difficile à établir pour la 4G. Doit-on mesurer la qualité indoor/outdoor, le débit, etc. ? J'ai demandé aux services de l'Arcep de prévoir plusieurs niveaux de couverture 4G (intérieur et extérieur), afin de faire preuve de transparence vis-à-vis des utilisateurs. Au cours de l'année 2021, nous allons envisager l'articulation des notions de bonne et de très bonne couverture, y compris pour la 4G.

S'agissant des appuis aériens, il est vrai que le déploiement d'un réseau coûte beaucoup moins cher en aérien qu'en génie civil. Vos propos sont aussi vrais pour les RIP que pour les zones AMII. La totalité des déploiements effectués en zones AMII utilise les appuis aériens. Les opérateurs sont parfois amenés à planter de nouveaux poteaux. Nous devons étudier les moyens d'assurer certains effacements ; ce sujet relève d'un partenariat entre les collectivités et les opérateurs. Aucun outil réglementaire n'existe dans ce domaine.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué les problèmes engendrés par le déploiement de la 5G vis-à-vis de la population. Concernant les risques sanitaires, vous m'avez interrogée sur le rapport de l'Anses. Je ne dispose pas de ce rapport, qui est attendu dans le courant du mois. L'Arcep l'examinera avec un grand intérêt.

À ce jour, aucune corrélation n'existe entre la puissance d'émission des antennes dans le cadre réglementaire appliqué en France et un quelconque risque sanitaire ; des milliers d'études ont été réalisées sur le sujet par le passé, et nous disposons d'une trentaine d'années de recul.

Les enjeux de couverture ont également été évoqués, notamment la possibilité de prendre en compte des taux de couverture du territoire au lieu des taux de couverture de la population. Nous pouvons le faire via le suivi des indicateurs. Dans l'objectif d'aménagement numérique du territoire, l'option retenue par le New deal consiste à arrêter de fixer des objectifs de couverture de la population et du territoire.

Dans le cadre du dispositif de couverture ciblée, laissons aux collectivités le soin de choisir les zones retenues, en concertation avec l'État. Les taux de couverture de territoire et de population constituent des indicateurs de suivi intéressants, qui ne s'imposent néanmoins pas aux opérateurs dans le cadre de l'aménagement numérique du territoire.

J'ai également été interrogée sur l'axe Amiens-Paris. Je vérifierai que cet objectif a bien été fixé par la SNCF. J'espère que c'est le cas et que la situation va s'améliorer prochainement.

La question de l'obtention d'un calendrier précis rejoint celle de l'intégration des prévisions de couverture dans les cartes de couverture et dans l'information donnée aux citoyens. En travaillant hier avec les équipes à « Ma connexion internet », nous avons échangé sur l'intégration de prévisions de déploiement. L'Arcep l'a bien compris comme étant une préoccupation de la population et des élus.

S'agissant du verdissement d'Apple et de Google, nous ne disposons pas des données et nous n'avons aucun moyen juridique de les collecter. Nous attendons d'obtenir ce pouvoir législatif pour pouvoir les interroger et mettre en place un baromètre complet de l'empreinte environnementale du secteur numérique.

Pour assurer la fiabilité de nos cartes de couverture, nous avons augmenté le degré de fiabilité : nous réalisons des campagnes de mesure pour vérifier la qualité des cartes de couverture que nous transmettent les opérateurs. La fiabilité est passée de 95 à 98 %.

En 2020, nous avons ouvert nos cartes de couverture aux données des collectivités. Ainsi, les campagnes de mesures réalisées par les collectivités répondent aux mêmes critères de mesures techniques que celles de l'Arcep, et les données sont ainsi comparables sur une même carte.

En ce qui concerne les 9 000 communes couvertes par la 5G, nous pouvons obtenir l'information et vous la transmettre. Un grand nombre de ces communes sont couvertes en 700 mégahertz. Enfin, La Poste compte 17 000 points de présence prévus par la loi. Pour compléter les bureaux de poste, elle a mis en place des points de contact La Poste et des agences postales communales.

Les 17 000 points de présence de La Poste sont garantis par la loi. L'Arcep n'a toutefois aucune compétence sur ce contrôle.

Mme Martine Filleul. - Je suis membre de la commission supérieure du numérique et des postes. Je participe, année après année, aux auditions de l'Arcep. J'ai vu évoluer progressivement la mesure de cette mission de service public.

La Poste se débat avec des difficultés très importantes : les exigences des élus locaux, les économies demandées par le Gouvernement, l'évolution de ses missions et la déperdition de certaines de ses recettes.

Face à la mission de service public de La Poste, qui est sous-compensée de 200 millions d'euros chaque année, de quelle manière envisagez-vous son évolution ?

J'ai formulé des suggestions au Gouvernement afin que La Poste soit reconnue pour ses vertus de médiation sociale et numérique. Malheureusement, je n'ai jamais été entendue.

M. Bruno Belin. - Je souhaite vous faire part de ma grande insatisfaction. Je fais partie des parlementaires qui, lorsqu'ils envoient un courrier, souhaiteraient obtenir une réponse écrite.

En écoutant mes collègues, je me rends compte que l'État crée une inégalité au droit à l'accès aux réseaux de communication dans ce pays. J'attends une ambition au service de tous les habitants de ce pays, y compris en territoire rural. Or nous observons une vraie fracture en France.

Il a été question de la 5G ce matin. Je suis élu d'un territoire au sein duquel nous serions déjà heureux d'obtenir la 2,5G.

Vous avez parlé de la fibre. Avec mon collègue sénateur M. Favreau, nous avons été présidents de conseils départementaux. Heureusement que nous n'avons pas attendu d'aides extérieures. Si les collectivités n'avaient pas pris l'initiative d'installer la fibre partout, comme nous l'avons fait en quelques années, jamais elle n'aurait été mise en place.

Quant à la situation de la téléphonie mobile, elle s'avère dramatique. Celle-ci existe depuis 26 ans sous la forme que nous connaissons à l'heure actuelle. Or nous accusons un retard important dans ce domaine.

Le Gouvernement avait annoncé la mise en place de 5 000 pylônes en janvier 2019. Or combien sont aujourd'hui posés et en état de fonctionnement ? J'attends qu'une réponse soit donnée à ce sujet devant notre commission. L'autorisation de pose d'un pylône prend deux ans en France.

J'ai été quelque peu choqué que vous placiez la responsabilité sur les communes rurales. Je peux vous assurer que les maires qui se trouvent en zone de non-accès au droit font tout pour trouver des solutions.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Le comité de projet de la Sarthe avait prévu 70 pylônes pour couvrir entièrement le territoire. Or, à chaque demande effectuée, c'est un nombre de pylônes inférieur qui est livré. De nombreux territoires restent non couverts.

Le besoin doit réellement se concevoir par départements, car l'ensemble de l'organisation est départementale. Il faut savoir où sont répartis ces 5 000 pylônes, et déterminer les besoins pour les années à venir.

La crise de la Covid montre à quel point il s'avère indispensable de disposer d'une excellente couverture, que ce soit en fibre ou en téléphonie mobile. Je souhaite également attirer votre attention sur l'inquiétude des élus concernant le lien entre les pylônes proposés dans le cadre du New deal et les pylônes privés des opérateurs.

Il apparaît parfois que deux pylônes sont implantés à 50 mètres l'un de l'autre. Or lorsqu'on demande que la pose soit regroupée sur un même pylône, pour des questions environnementales et esthétiques, on nous répond que ce n'est pas possible.

Il règne actuellement une forme d'anarchie totale, dont nous ignorons qui la contrôle. Est-ce l'Agence nationale de la cohésion des territoires ou les comités de projet ? Ce contrôle s'opère-t-il au niveau régional, départemental, etc. ? Il serait vraiment nécessaire de faire preuve de clarté, d'organisation et de transparence dans l'action des opérateurs et de l'État au cours des prochains mois.

M. Didier Mandelli. - Je relaie deux questions de M. Patrick Chaize, président du groupe d'études Numérique, qui n'est pas membre de cette commission.

La première question, à laquelle vous avez partiellement répondu, porte sur la dépose du réseau cuivre. Un seul abonné continue de consommer dans un répartiteur 70 % de l'énergie du répartiteur plein. Par conséquent, pour un seul abonné, on continue à consommer énormément.

Le fait de déployer la fibre permettra-t-il d'imposer rapidement l'extinction du réseau dans un certain nombre de cas ? L'échéancier prévu me paraît quelque peu lointain.

Ma deuxième question concerne la mise en place des pylônes. Plus de 30 000 pylônes devraient être posés, pour 20 000 existants. Dans certains secteurs, nous sommes confrontés à l'absence de mutualisation des pylônes. Des chartes sont signées ici et là, par des élus locaux et des opérateurs.

Je reste convaincu que la mutualisation peut s'accentuer, malgré les barrières techniques. Chaque pylône donne lieu à une consommation d'énergie importante. L'absence de mutualisation occasionne 30 à 50 % de déperdition énergétique supplémentaire.

Je vais vous transmettre dans les 24 heures une proposition de loi que j'ai préparée. Dans une commune du littoral très fréquentée l'été, les opérateurs souhaitaient installer 11 pylônes supplémentaires l'été prochain, sans aucune concertation. Je pense que cela n'est plus possible aujourd'hui.

Je souhaiterais que l'Arcep soit partie prenante de cette réflexion.

M. Jean-Claude Anglars. - Madame la Présidente, je souhaite vous interroger au sujet de l'entretien du réseau cuivre téléphonique d'Orange. Avec le sénateur du Massif central, nous avons interrogé la ministre de l'aménagement du territoire sur ce sujet.

Depuis la fin de la convention entre Orange et l'État, le 27 novembre 2020, nous attendons toujours de savoir de quelle manière l'entretien du réseau cuivre d'Orange sera assuré, en attendant le déploiement total de la fibre.

Mme Christine Herzog. - Nous avons été sensibilisés par un courrier sur un projet de suppression des services de proximité de La Poste dès 2024.

Madame la Présidente, vous souhaitez amender le contrat de présence postale territoriale. Grâce aux actifs florissants de 2,2 milliards d'euros engrangés en 2020, vous pourrez ainsi procéder en 2024 à des acquisitions massives à l'étranger et ouvrir à l'international ses activités, qui ne manqueront pas d'échapper à tout contrôle.

Je vous interroge sur les garanties d'une telle décision. Quel est votre pouvoir sur ce projet ?

M. Éric Gold. - Une étape importante a été franchie le 3 décembre dernier, avec la loi DDADUE, qui a transposé le service universel dans le droit français, élargissant ainsi son périmètre à l'accès au haut débit internet.

L'Arcep doit jouer un rôle majeur, d'abord à travers sa mission de déploiement du réseau. En outre, elle doit garantir un service à un coût abordable, y compris pour les ménages à faibles revenus, ce qui participe à la réduction de la fracture sociale.

L'inclusion numérique, problématique centrale aujourd'hui, est plus large que la notion d'accès au réseau à un coût acceptable.

Je souhaite vous demander si la mission de l'Arcep vous permet d'intervenir ou d'émettre des pistes d'évolution dans ces secteurs de l'inclusion autrement que par le seul déploiement, et si oui de quelle manière.

Mme Nassimah Dindar. - J'interviens dans le contexte de la consultation initiée par l'Arcep sur les modalités d'attribution des fréquences dans la bande 700 Mégahertz et la bande 3,5 Gigahertz, à La Réunion et à Mayotte.

Je souhaite attirer votre attention sur la situation de l'opérateur réunionnais Zeop. Parmi les quatre opérateurs de France, Zeop est le seul à ne pas disposer de fréquence basse.

La procédure d'attribution actuellement prévue par vos services va certainement aboutir à un marché très largement dominé par les trois grands opérateurs, puisqu'ils vont obtenir la moitié des fréquences de 700 Mégahertz.

De plus, leur assise capitalistique leur permettra d'acquérir sans difficulté l'autre moitié des fréquences mises aux enchères. Ils disposeront in fine de 90 % du marché de l'ensemble des fréquences basses.

Le paramétrage de cette procédure empêche l'opérateur local d'avoir accès au domaine public hertzien, et dès lors lui interdit de pouvoir jouer à armes égales avec ses concurrents nationaux.

Est-il envisageable de modifier cette consultation en abaissant le seuil de détention maximal de fréquence basse ?

Pouvons-nous envisager un moratoire pour les DOM séparant la 4G de la 5G, principalement en ce qui concerne le déploiement des pylônes ? Un déploiement anarchique d'antennes est en effet à craindre.

M. Jean Bacci. - Je souhaite revenir sur les critères de définition de la couverture des territoires. Je vais prendre deux exemples.

Les Gorges du Verdon représentent un territoire très peu peuplé tout au long de l'année, mais sur-fréquenté l'été. Or, les touristes qui rencontrent un quelconque problème dans les Gorges ne peuvent pas utiliser leur téléphone portable, car il n'existe aucune couverture.

De la même façon, nos villes ont accès à Internet l'hiver. Toutefois, l'été, lorsque la population est multipliée par 10 ou 15, il est impossible de se connecter.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Madame la Présidente, je souhaite revenir sur le sujet de la mutualisation. Dans certains secteurs, nous assistons à des aberrations, avec le déploiement de deux réseaux, là où un seul pourrait suffire. Pensez-vous que nous pouvons aller plus loin sur la question de la mutualisation des infrastructures entre opérateurs ?

Il existe peu d'outils d'organisation et de planification liés aux infrastructures. Pensez-vous qu'il serait opportun de mettre en place de nouveaux outils de planification ?

Par ailleurs, la 5G est amenée à faire apparaître de nouveaux services, tels que les véhicules autonomes. Ces services impliquent une consommation énergétique, et donc des conséquences sur le climat. Une étude d'impact a-t-elle été réalisée en lien avec le déploiement de la 5G ?

M. Gilbert Favreau. - Madame la Présidente, vous avez évoqué la fin du réseau cuivre en 2030 ou 2032. Qu'en sera-t-il des réseaux d'alarme sur les ascenseurs et des abonnements de télé-sécurité concernant les particuliers qui risquent de ne plus avoir de solution à ce moment-là ?

Mme Laure de la Raudière. - Je vous remercie pour toutes ces questions. Je vais commencer par répondre à celles qui concernent La Poste.

La question de l'évolution des missions de service public renvoie aux deux missions actuellement en cours : celle de M. Launay, à l'Assemblée nationale, celle de M. Chaize, au Sénat. L'Arcep s'intéressera de près à ces deux études, n'ayant pas directement réalisé de travaux sur les évolutions des missions de service public au sein de La Poste.

Il revient au Parlement d'effectuer les choix politiques d'évolution des missions de service public que vous souhaitez voir se développer pour La Poste, en fonction des évolutions de son secteur d'activité et de la baisse du courrier. Il n'incombe pas à l'Arcep de faire ces choix.

S'agissant d'une consultation publique liée à La Poste, l'Arcep ne dispose d'aucun pouvoir sur le sujet des services de proximité, mais uniquement celui d'évaluer les coûts de l'aménagement du territoire.

La consultation consiste simplement pour nous à répartir au sein d'un modèle les points de présence entre les réseaux du service universel et les réseaux de l'aménagement du territoire. Cela ne modifie en rien le nombre de points de présence postale, qui est fixé par la loi.

Les autres questions ont trait à l'aménagement numérique. En ce qui concerne l'outre-mer, l'Arcep souhaite lancer en 2021 l'attribution des fréquences pour la bande 700 Mégahertz et la bande 3,5 Gigahertz.

Nous avons réalisé une analyse juridique précise qui ne nous permet malheureusement pas de diminuer le seuil maximal de fréquence pour chaque opérateur dans les bandes basses.

S'agissant des objectifs de couverture du territoire, 579 antennes avaient été mises en service au titre du New deal au 31 décembre 2020 sur les sites qui avaient fait l'objet d'arrêtés. Il faut utiliser les dispositifs de couverture ciblée pour prioriser les zones que vous souhaitez couvrir en priorité.

Le dispositif du New deal est une révolution par rapport à ce qui existait. Auparavant, l'État avait décidé de maximiser sa recette financière au moment de l'attribution de fréquences.

Les objectifs fixés aux opérateurs ont été cadencés : 600 sites la première année en 2018, 700 en 2019, 800 en 2020 et 800 en 2021. D'autres arrêtés identifieront des zones à couvrir. Je suis convaincue que le New deal sera certainement insuffisant. Travaillons donc dès à présent ensemble à la couverture complémentaire nécessaire.

J'étais élue locale en Eure-et-Loir et je connais les mêmes insatisfactions que vous. Il faut prendre en compte les mesures qui ont déjà été prises, qui permettent d'améliorer la situation, pour envisager ensuite une étape qui sera satisfaisante pour l'ensemble des citoyens. Je me tiens à votre disposition pour travailler sur les futurs mécanismes si nécessaire.

Certaines questions ont porté sur l'extension du réseau cuivre. Ce projet incombe à Orange, car il est propriétaire de ce réseau. Orange a annoncé un décommissionnement du cuivre d'ici à la fin 2030.

L'Arcep est garante du bon déroulement de cette opération, à un rythme soutenu, en fonction du déploiement de la fibre, que ce soit pour des enjeux économiques ou écologiques. Plus les citoyens disposeront rapidement d'un réseau proposant une qualité de service à très haut débit, meilleur sera le développement numérique de notre pays.

De nombreuses questions ont porté sur le déploiement en milieu rural et la multiplication du nombre de pylônes. Nous avons voté des dispositifs liés aux obligations de mutualisation. Dans le cadre du New deal, lorsqu'un site est arrêté pour les quatre opérateurs, la mutualisation des pylônes est obligatoire.

À chaque fois que nous le pourrons, nous utiliserons ce moyen. Les règles d'urbanisme devraient peut-être être revues pour éviter certains cas rencontrés dans les territoires, avec des pylônes installés à 200 mètres les uns des autres.

Nous sommes concernés par le sujet de l'inclusion numérique, car il s'agit d'un enjeu de société majeur. Néanmoins, l'Arcep n'a pas de compétence particulière dans ce domaine.

S'agissant du projet de fermeture du cuivre, une expérimentation est en cours dans une petite commune de 1 800 habitants située dans la vallée de Chevreuse. D'ici à la fin mars, celle-ci aura fait basculer la totalité de ses clients cuivre vers la fibre. Il s'agit d'une zone 100 % fibrée ; les quatre opérateurs y sont présents. Des expérimentations sont bien prévues avant la fermeture du réseau cuivre pour régler les problèmes opérationnels de lignes téléphoniques d'ascenseurs et de téléalarmes. L'annonce a été réalisée en amont par Orange pour prévenir l'ensemble des structures en charge de ces systèmes.

M. Jean-François Longeot, président. -- Je vous remercie, Madame la Présidente, pour cet échange particulièrement fructueux.

J'ai bien noté votre disponibilité ; nous n'hésiterons donc pas à vous saisir sur des sujets émanant de nos territoires et à vous rencontrer régulièrement pour faire le point sur l'avancement de ces dossiers.

Je vous remercie pour vos réponses et pour votre engagement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 45.

- Présidence conjointe de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale -

La réunion est ouverte à 16 h 50.

Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement - Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur le ministre, pour vous entendre sur le projet de loi complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement. Nos deux commissions sont réunies pour la circonstance, et je salue la présence du rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Guillaume Chevrollier. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Nous répartirons les questions à l'unité près entre la commission des lois et celle de l'aménagement du territoire et du développement durable !

M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le garde des Sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier le président François-Noël Buffet pour cette audition commune à nos deux commissions : merci de nous faire partager l'expertise reconnue de votre commission en matière constitutionnelle. Il s'agit en effet de la première révision constitutionnelle dont la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ait à connaître.

Nos collègues députés ont adopté le 16 mars dernier, sans modification, le projet de loi constitutionnelle que le garde des Sceaux a patiemment défendu dans l'hémicycle et dans les médias. Force est de vous reconnaître une grande force persuasive, monsieur le garde des Sceaux, talent que vous avez certainement forgé pendant vos années de plaidoirie.

Les révisions constitutionnelles sont des temps forts de l'activité parlementaire, le législateur n'ayant que rarement l'occasion de revêtir les habits du constituant. Quand il le fait, surtout au Sénat, c'est avec rigueur, sérieux et sens critique : les dispositions constitutionnelles irriguent non seulement tout notre droit et son interprétation par les juges, mais disent également quelque chose des valeurs communes partagées par l'ensemble des citoyens, celles qui fondent notre contrat social. Il importe donc que chacun perçoive ce que tout changement constitutionnel implique et comment l'ordre juridique en serait modifié. La Constitution est un tout cohérent, chaque disposition s'appréciant à l'aune des autres principes constitutionnels.

Le projet de révision qui nous occupe aujourd'hui porte sur l'insertion, à l'article 1er de notre Constitution, d'une nouvelle phrase qui dispose que « [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

Monsieur le garde des Sceaux, nous avons à décortiquer avec vous cette phrase, cette unique phrase. Mais chaque mot de celle-ci compte, d'autant plus qu'elle a vocation à figurer au sommet de notre hiérarchie des normes, à la place symbolique de l'article 1er, celui où les plus éminents principes de notre pays sont affirmés. Cet article agit comme un miroir, qui renvoie l'image de la République à l'ensemble des citoyens. Pour paraphraser Montesquieu, sa modification ne doit être faite que d'une main tremblante, à l'issue d'un raisonnement qui, lui, ne tremble pas.

Comme pour une analyse littérale, il nous faut peser au trébuchet les implications de chaque mot de cette phrase et en particulier la force de chacun des deux verbes qu'elle contient. Car ils recèlent des risques contentieux et ouvrent l'accès au prétoire constitutionnel à de nouveaux types de requérants. Il importe que la représentation nationale puisse débattre de l'articulation d'un nouvel étage de droits environnementaux avec les autres principes constitutionnels consacrés par notre texte fondamental.

Monsieur le garde des Sceaux, nous vous laissons la parole pour présenter au public exigeant que sont les sénateurs la réforme constitutionnelle que vous portez au nom du Président de la République.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, à l'heure où nous assistons à la sixième extinction de masse des espèces vivantes - due, pour la première fois, à l'action humaine -, le Gouvernement entend être à la hauteur des enjeux auxquels les générations actuelles et futures seront confrontées. C'est la raison pour laquelle il souhaite inscrire à l'article 1er de notre loi fondamentale la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique.

C'est une réforme ambitieuse, qui consiste à rehausser la place de l'environnement dans notre Constitution, à le placer au coeur de toutes nos politiques publiques. Compte tenu de l'urgence climatique, de l'urgence environnementale, le Gouvernement entend fixer aux pouvoirs publics des obligations plus fortes que celles qui existent actuellement.

Comme vous le savez, la protection de l'environnement est un principe inscrit dans la Charte de l'environnement résultant de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Cette Charte, mentionnée dans le préambule de notre Constitution, fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel lui a progressivement fait produire le maximum de ses effets juridiques. Il a ainsi jugé, dans sa décision du 31 janvier 2020, que la protection de l'environnement ne constituait plus un simple objectif d'intérêt général, mais un objectif de valeur constitutionnelle, de nature à justifier les limitations apportées par la loi à d'autres exigences constitutionnelles, et notamment à la liberté d'entreprendre.

Toutefois, et vous le savez bien, un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d'une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, ne comporte aucune obligation de moyens, et nécessite pour sa mise en oeuvre l'intervention du législateur. Un objectif à valeur constitutionnelle ne peut pas davantage être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le projet de révision constitutionnelle que nous vous soumettons, en érigeant la protection de l'environnement et la lutte contre le dérèglement climatique en véritable principe constitutionnel, entend aller plus loin que les textes et la jurisprudence actuels.

L'inscription de ces principes à l'article 1er de notre Constitution, proposée par les membres de la Convention citoyenne pour le climat lors d'un exercice inédit de démocratie participative, présente une valeur symbolique forte. Que les choses soient claires, il ne s'agit pas aujourd'hui d'opposer démocratie représentative et démocratie participative. Je l'ai déjà dit dans le cadre d'autres débats. Renforcer la démocratie participative ne revient pas à affaiblir la démocratie. Au contraire, plus nos concitoyens sont associés au débat public, plus la légitimité de ceux qu'ils élisent est renforcée.

Certains enjeux doivent pouvoir nous réunir et le climat en fait partie. En effet, la préservation de l'environnement et de la diversité biologique, la lutte contre le dérèglement climatique doivent désormais être au coeur de nos politiques publiques. Je souligne à cet égard que la Charte de l'environnement est muette sur ce dernier point.

Le Gouvernement n'entend toutefois pas introduire d'échelle de valeurs entre les principes constitutionnels. Demain comme hier, tous les principes constitutionnels seront de valeur égale. C'est d'ailleurs pour ce motif que le Président de la République a décidé de ne pas donner une suite favorable à la proposition de modification du préambule de la Constitution qui avait été présentée par la Convention citoyenne pour le climat. L'objectif est en réalité de donner plus de poids à la protection de l'environnement, en la conciliant avec les autres principes à valeur constitutionnelle que nous connaissons.

Il ne s'agit pas davantage de créer un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière environnementale. Un tel principe existe dans la loi, mais il n'a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement veut en effet laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d'autres principes constitutionnels, à l'instar de la protection de la santé. Dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons aujourd'hui, cela peut être particulièrement important.

Toutefois, le Gouvernement entend fixer un véritable principe d'action pour les pouvoirs publics, nationaux comme locaux, en faveur de l'environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique. C'est dans cette optique, et en conscience que l'article unique du projet qui vous est soumis prévoit d'inscrire à l'article 1er de la Constitution que les pouvoirs publics doivent garantir la préservation de l'environnement et la diversité biologique et lutter contre le dérèglement climatique.

Les conséquences de l'emploi de ces verbes ne sont pas neutres. Et telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des impacts que cela pourra avoir sur l'engagement de la responsabilité des pouvoirs publics en matière environnementale. Il s'agit de mettre à leur charge, comme l'a souligné le Conseil d'État, une quasi-obligation de résultat.

J'insiste sur ce point, car je sais qu'il a fait débat lors de vos précédentes auditions. Et je rappelle que ce sont les mots employés par le Conseil d'État. Aujourd'hui, la préservation de l'environnement doit déjà conditionner l'action des pouvoirs publics, et la responsabilité de l'État peut être engagée à ce titre. Pour m'en tenir à deux exemples récents, citons l'arrêt du 10 juillet 2020 par lequel le Conseil d'État a ordonné au Gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution de l'air, sous astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard, ou le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021 à propos de l'« affaire du siècle » : le tribunal a reconnu l'existence d'un préjudice écologique lié au changement climatique, et jugé que la carence partielle de l'État français à respecter les objectifs qu'il s'est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité.

Ce projet de loi constitutionnelle consacre encore davantage la responsabilité des pouvoirs publics en promouvant la protection de l'environnement au statut de garantie constitutionnelle. Comme vous le savez, le texte du projet de loi constitutionnelle a été débattu à l'Assemblée nationale pendant près de vingt heures. Il a été adopté en l'état la semaine dernière. Il vous appartient de débattre sur ce texte qui, s'il est adopté par les deux Chambres dans les mêmes termes, sera ensuite soumis aux Français par la voie du référendum, conformément à l'engagement du Président de la République.

C'est pourquoi je suis heureux et honoré de débattre aujourd'hui de ces questions avec vous.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - En tant que représentant de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, je puis vous dire que nous sommes très mobilisés pour la préservation de l'environnement et la reconquête de la biodiversité.

Nous disposons depuis 2005 d'une Charte de l'environnement, qui a déjà pleine valeur constitutionnelle. Quel est l'intérêt de la révision constitutionnelle au regard des dispositions qui existent et qui sont déjà constitutionnalisées ? On comprend que cette réforme relève d'un symbole fort, avec l'inscription d'un nouveau principe à l'article 1er de notre texte fondamental. Qu'attendez-vous de cette constitutionnalisation ? Quels effets juridiques supplémentaires produira-t-elle ? L'affirmation de tels principes d'action à deux endroits de notre Constitution a-t-elle pour but de contrer la carence des pouvoirs publics et du législateur ? Qui mesurera l'efficacité des actions menées en faveur de la diversité biologique et pour lutter contre le dérèglement climatique ? Cette réforme donnera-t-elle un pouvoir d'appréciation accru au juge ?

Les mots ont leur importance, surtout dans une phrase unique. Quelle est la prescriptivité juridique du verbe « garantir » ? N'allons-nous pas ouvrir le champ à un nouveau type de contentieux environnementaux, qui limiteraient l'appréciation du législateur quand il a la charge, difficile, de concilier des objectifs parfois contradictoires ? Pensez-vous vraiment que la France seule puisse offrir des « garanties » sur des sujets aussi vastes que les questions climatiques ?

L'avis du Conseil d'État parle d'une quasi-obligation de résultat. N'est-ce pas susceptible d'entraver la liberté d'action de nos entreprises sur le territoire national ? Cette disposition n'instaure-t-elle pas une hiérarchie implicite des principes à valeur constitutionnelle ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - L'introduction, à l'article 1er, du verbe « garantir », doit être interprétée - en tous les cas, un sens doit lui être donné. En droit des contrats, en matière civile, nous connaissons la distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat. La première contraint à tout mettre en oeuvre pour atteindre le but que l'on s'est donné ; la seconde, à obtenir réellement le résultat visé, sauf force majeure. La garantie, c'est y aboutir à coup sûr. Or vous avez déclaré que la rédaction, telle qu'elle était proposée par le Gouvernement, instaurait une quasi-obligation de résultat. Nous avons besoin d'être éclairés sur le sens qui est donné par le Gouvernement au verbe « garantir »... Une obligation de moyens, c'est une chose ; une obligation de résultat, c'en est une autre. Et ce ne peut pas être les deux ! S'il y a une obligation absolue, le législateur pourra être sanctionné par le Conseil constitutionnel au moindre écart. En réalité, c'est au Conseil constitutionnel qu'il reviendrait d'en décider... Bref, nous avons besoin d'y voir clair.

M. Philippe Bonnecarrère. - Quels sont les nouveaux champs de responsabilité qui seront ouverts par l'article 1er ainsi réécrit ? Pouvez-vous nous donner des exemples, monsieur le ministre ? L'intérêt de la réforme serait d'aller au-delà de la jurisprudence du Conseil d'État, à laquelle vous avez fait référence. Avez-vous évalué le coût pour les pouvoirs publics, et notamment pour les collectivités territoriales, de ces nouveaux champs de responsabilité ?

Par ailleurs, avez-vous réalisé un recensement des dispositions législatives qui, avec ce nouvel article 1er, seraient susceptibles d'être déclarés inconstitutionnelles ? Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Mme Nadège Havet. - Je souhaite d'abord saluer les travaux remarquables réalisés par la Convention citoyenne pour le climat. Depuis 2005, une Charte de l'environnement existe, qui a été intégrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel dès 2008. Celui-ci a indiqué que l'ensemble des droits et devoirs définis par la Charte de l'environnement ont valeur constitutionnelle et s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétences respectives. Quel serait l'apport d'une inscription de l'environnement dans la Constitution ?

Mme Brigitte Lherbier. - Compléter la Constitution pour y intégrer des principes de préservation de l'environnement et pour lutter contre le dérèglement climatique est une très bonne idée, en soi, en phase avec notre temps et les enjeux à venir. On ne peut qu'y souscrire. Je me demande néanmoins si cette modification de la Constitution aura une portée normative. Si c'est le cas, je crains d'éventuelles conséquences pour les entreprises françaises, déjà soumises à une rude concurrence internationale. Seront-elles soumises à de nouvelles obligations qui ne s'appliqueraient pas aux pays voisins qui sont nos concurrents économiques ? Nous sommes dans une période difficile, il faut prendre garde de ne pas les handicaper. Le cas échéant, y aura-t-il des possibilités d'aménager à plus ou moins long terme leurs obligations ?

M. Ronan Dantec. - Au début, j'étais perplexe, car un certain nombre de constitutionnalistes disaient que tout cela ne servait à rien. Au vu des réactions que suscite cette phrase aujourd'hui, j'ai l'impression, au contraire, qu'il est plus qu'urgent de l'inscrire dans la Constitution ! On voit qu'une partie de la représentation politique, et peut-être de la société française, ne veut pas engager le pays dans la reconquête des grands enjeux environnementaux, alors qu'on sait très bien que si on ne le fait pas, c'est l'avenir des générations futures, voire de nos enfants, qui est menacé. Pour une fois que le Gouvernement reprend une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, je crois que vous avez fait oeuvre utile ! À partir du moment où le débat montre qu'il est nécessaire d'écrire ainsi les choses dans la Constitution, vu les inquiétudes qui s'expriment, le Gouvernement tiendra-t-il ferme sur ce libellé, ou une version édulcorée est-elle encore une possibilité ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - Pourquoi ne pas se contenter du droit actuel ? L'inscription de la préservation de l'environnement à l'article 1er de la Constitution aurait une valeur symbolique très forte. Elle a été voulue par les membres de la Convention citoyenne pour le climat. Il s'agit de renforcer le poids constitutionnel de la protection de l'environnement. J'ai distingué tout à l'heure la règle constitutionnelle, avec son caractère impératif, et l'objectif à valeur constitutionnelle, qui n'a pas la même force. Il s'agit d'instaurer un véritable principe d'action des pouvoirs publics. C'est l'engagement du Président de la République et du Gouvernement.

Il y a bien sûr la sempiternelle question du sens de chaque mot. L'article 1er comporte dix-huit mots. Nous y avons passé plus de dix-huit heures. Une heure par mot ? Non, nous avons passé dix-huit heures sur deux verbes : « garantir » et « lutter ». Qu'est-ce qu'une quasi-obligation de résultat ? Ce mot a été choisi par le Conseil d'État lui-même. À mon avis, c'est plus qu'une obligation de moyens et moins qu'une obligation de résultat, mais cela s'approche de l'obligation de résultat : tout doit être fait pour que... Le Gouvernement, bien sûr, a pris connaissance de l'avis du Conseil d'État. Et il a souhaité aller plus loin que la norme constitutionnelle actuelle, en introduisant une véritable obligation d'action positive à charge des pouvoirs publics, qualifiée de quasi-obligation de résultat par le Conseil d'État.

Ce risque, nous souhaitons le prendre. La maison brûle, avait dit le Président Chirac, il y a bien longtemps. Des choses ont été faites, incomplètement en ce qui concerne la Charte, notamment sur le dérèglement climatique. Nous souhaitons aller plus loin, parce que la maison brûle encore davantage, et que l'incendie en a dévoré déjà une partie ! Il y a à la fois une volonté politique et une nécessité d'aller plus loin.

Je ne peux pas vous dire ce qui sera sanctionné comme étant inconstitutionnel, n'étant pas médium. Mais je sais que le législateur fera attention, comme il le fait habituellement, de ne pas voter une loi dont on pourrait a priori penser qu'elle serait inconstitutionnelle. Quant aux collectivités territoriales, l'article 34 de notre Constitution confie à la loi la fixation des principes fondamentaux de la préservation de l'environnement. La garantie posée par le projet de loi pèse donc d'abord sur l'État. Bien sûr, si une collectivité territoriale viole les obligations fixées, elle pourrait engager sa responsabilité. Il existe déjà des contentieux, d'ailleurs, et la judiciarisation est en cours.

Notre volonté, c'est d'aller plus loin. L'environnement est désormais une préoccupation à laquelle personne ne peut se soustraire. Il suffit de regarder les conditions météorologiques pour se rendre compte de la dégradation du climat, davantage encore que lorsque la Charte a été adoptée - même si l'on pouvait déjà la pressentir. Certains ont été visionnaires. Aujourd'hui, il faut aller plus loin. La rédaction peut-elle évoluer ? Oui, si le Sénat estime qu'une autre rédaction est préférable : je ne peux pas imposer les deux mots auxquels je tiens. C'est vous qui votez la loi ! La rédaction que nous proposons a été adoptée par l'Assemblée nationale ; elle est issue de la Convention citoyenne pour le climat ; et elle correspond exactement au renforcement souhaité par le Gouvernement.

M. Dany Wattebled. - En tant qu'élus de la Nation, nous avons tous à coeur la prévention de l'environnement. L'intention du Gouvernement d'inscrire la défense de l'environnement dans l'article 1er de la Constitution est louable, mais réformer la Constitution n'est pas un acte anodin. Alors que la protection de l'environnement est déjà consacrée par le préambule de la Constitution qui fait référence à la Charte de l'environnement adoptée en 2005, ce nouveau changement interroge à plusieurs titres, comme l'a souligné le Conseil d'État.

Quels effets juridiques le Gouvernement attend-il de cette révision constitutionnelle ? Pouvez-vous nous garantir que le principe de préservation de l'environnement ne prendra pas le dessus sur la défense des libertés publiques ou d'autres droits, comme le droit au logement ou à la propriété ? Ce changement constitutionnel ne va-t-il pas aboutir à de nouveaux contentieux, qui bloqueront tout projet futur ? Dans la crainte, plus personne ne bougera...

Mme Angèle Préville. - On ne peut se soustraire à l'impératif d'agir, vu la situation actuelle. Et la dimension symbolique est forte : c'est un signal important qui est envoyé à toute la société. Pourquoi parlez-vous de diversité biologique et non de biodiversité ? Garantir la diversité biologique alors qu'on assiste à la sixième extinction signifie-t-il que toute mesure législative à venir devra ne pas contribuer à la perte de biodiversité ? En ce qui concerne la lutte contre le dérèglement climatique, est-ce à dire que toute mesure qui ne serait pas conforme à la stratégie nationale bas-carbone sera proscrite ? Quelle articulation avec la liberté d'entreprendre ? Vous avez parlé d'obligation d'action. Quelle différence avec une obligation de moyens ?

M. Philippe Bas. - J'entends bien, à travers toutes les questions posées, qu'il y a parmi nous beaucoup d'interrogations sur la conciliation entre les principes. Vos réponses ne m'ont pas complètement rassuré sur ce point. Cette quasi-obligation de résultat signifie qu'on fera prévaloir la préservation de l'environnement, de la biodiversité, sur le progrès économique et social. Or j'ai lu dans l'article 6 de la Charte de l'environnement que la définition même du développement durable, c'est la conciliation entre ces principes. Par conséquent, peut-on laisser co-exister l'article 6 de la Charte de l'environnement avec l'ajout que proposez à l'article 1er de la Constitution ? Une règle fondamentale du droit constitutionnel est de concilier les principes ; encore faut-il que leur rédaction elle-même n'écarte pas cette conciliation.

Le Sénat a le choix entre trois solutions. La première serait d'adopter conforme le texte issu de l'Assemblée nationale. Le Président de la République a déjà annoncé que, dans ce cas, il y aura un référendum. Le Sénat pourrait aussi rejeter sans autre forme de procès le texte. En ce cas, la révision constitutionnelle s'arrêterait-elle là ? Une troisième voie, qui correspond assez bien à l'esprit constructif des sénateurs, serait d'amender votre texte. Est-il à prendre ou à laisser ? Si nous l'amendons, le texte du Sénat sera-t-il inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour poursuivre le processus de révision constitutionnelle ? Sur ce point, nous n'avons pas encore entendu la parole publique ni du Président de la République ni du Gouvernement. Nous saurions à quoi nous en tenir sur l'utilité de notre travail.

Mme Nicole Bonnefoy. - Le groupe socialiste a déposé une proposition de loi constitutionnelle le 5 mai 2020 visant à introduire la notion de bien commun à l'article 1er de la Constitution. Lors du débat en séance en décembre dernier, la ministre de la transition écologique a rejeté notre proposition. Force est de constater que le texte que vous nous présenterez au mois de mai s'est inspiré de nos travaux - et c'est tant mieux. L'intention du Gouvernement, d'après l'exposé des motifs, est bien de favoriser la protection de l'environnement, la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique. Nous partageons donc les mêmes objectifs. Mais nous n'y affectons pas les mêmes moyens : la proposition de modification de la Constitution que nous avions proposée était plus ambitieuse, puisqu'elle intégrait les biens communs mondiaux, y compris informationnels. Nous considérons en effet que les enjeux de protection de nos biens communs environnementaux sont capitaux. Il faut donc aller plus loin. Pourtant, votre Gouvernement et la majorité à l'Assemblée nationale ont rejeté systématiquement les amendements tendant à renforcer le texte. Allez-vous accepter les améliorations que le Sénat pourrait apporter à ce texte à la suite des travaux que nous avons déjà engagés sur le sujet ?

Dans ce contexte de crise sanitaire, alors que se pose la question du report des élections régionales et départementales prévues en juin, comment peut-on envisager la tenue d'un référendum dans le cadre prévu par la Constitution ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - Le verbe « garantir » figure déjà à plusieurs reprises dans le préambule de 1946, notamment en ce qui concerne la santé. Et ce principe se concilie avec les autres. Il ne s'agit pas de hiérarchiser les normes. Il ne s'agit pas de ne plus entreprendre. Nous savons que l'activité humaine, par définition, peut polluer. Vous le savez bien, monsieur Bas, puisque vous déclariez, lors des débats sur la Charte...

M. Philippe Bas. - J'ai été élu sénateur en 2011 !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - Je vais vous citer des propos que vous avez tenus en 2014. Vous allez vous reconnaître. Vous disiez : « Certains sceptiques y ont vu une forme de désarmement unilatéral dans la compétition économique. Pourtant, nul ne conteste aujourd'hui, notamment au travers des effets de plus en plus tangibles du réchauffement climatique, que l'humanité doit inventer de nouveaux modes de développement pour assurer son avenir. »

Nous estimons que le temps est arrivé et que la portée de la Charte n'est pas suffisante, notamment sur la question du dérèglement climatique. C'est ce qui justifie la proposition que nous soumettons au Parlement.

Vous estimiez aussi à l'époque, monsieur le sénateur Bas - et je ne peux que vous rejoindre - qu'il était bien logique que la France fasse partie des nations pionnières. Ce que nous vous proposons d'inscrire à l'article 1er de la Constitution fera de la France un pays pionnier. Peu de pays, pour ne pas dire aucun, ont eu cette audace.

Monsieur le sénateur Wattebled, je le redis, il nous faut concilier les principes sans créer de hiérarchie. Par ailleurs, le code de l'environnement considère que les termes « biodiversité » et « diversité biologique » sont synonymes. Il n'y a donc pas de difficulté de ce point de vue.

Monsieur le sénateur Bas, vous m'avez interrogé sur l'articulation entre l'article 6 de la Charte de l'environnement et le projet de révision constitutionnelle. Il n'y a ni concurrence ni contradiction entre les deux textes, mais complémentarité. Le projet de loi constitutionnelle ne vise en aucun cas à concurrencer ou à remplacer la Charte, mais à instaurer un véritable principe d'action en faveur de l'environnement à la charge des pouvoirs publics.

Vous m'avez posé une autre question, monsieur le sénateur Bas, beaucoup plus politique... Lors des débats à l'Assemblée nationale, le député Julien Aubert n'a eu de cesse de me dire que nous faisions tout cela pour rien, puisque le Sénat n'allait pas voter le texte dans la rédaction sur laquelle j'étais, disait-il, arc-bouté. Il l'avait lu dans une interview du président Larcher au Journal du dimanche... Je lui ai répondu qu'il avait une étrange vision de la navette parlementaire. M. Aubert dit maintenant que le Sénat votera le texte, mais que le Gouvernement serait battu au moment du référendum. Je lui dis : rendez-vous dans les urnes !

Il est logique que je ne souhaite pas qu'on modifie le texte et je pense, monsieur le sénateur Bas, que c'est la même chose pour vous vis-à-vis de la proposition de loi constitutionnelle que vous avez déposée avec le sénateur Retailleau. Vous êtes attaché aux mots sur lesquels vous vous êtes décidé. En l'espèce, cela va plus loin, puisque les termes viennent de la Convention citoyenne pour le climat et du Président de la République.

Le Conseil d'État nous renforce d'ailleurs dans l'idée qu'il faut aller loin et qu'il faut instaurer une quasi-obligation de résultat. Si le législateur souhaite amender le texte, il le fera bien évidemment, mais il me semble que les verbes « garantir » et « lutter » sont meilleurs.

M. Philippe Bas. - Par conséquent, monsieur le garde des Sceaux, si nous amendons le texte, vous arrêtez tout ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - Ce n'est pas ce que j'ai dit, monsieur le sénateur. Par ailleurs, il ne vous aura pas échappé que je ne suis pas Président de la République. Comme le disent les procureurs, à chaque jour suffit sa peine !

M. Alain Richard. - Monsieur le garde des Sceaux, vous avez répété à plusieurs reprises l'expression « aller plus loin ». C'est donc que l'équilibre actuel des normes constitutionnelles ne paraîtrait pas satisfaisant au Président de la République et au Gouvernement.

Faut-il vraiment invoquer l'avis du Conseil d'État dans ce débat ? Celui-ci joue un rôle de conseil qui est nécessairement très retenu en matière constitutionnelle. Lorsqu'il utilise l'expression « quasi-obligation de résultat », je ne suis pas sûr qu'il en fasse une préconisation. Ma lecture est qu'il en fait plutôt un avertissement. Je ne voudrais pas qu'on se pare de l'expression figurant dans cet avis comme d'un argument positif.

Ce qui me préoccupe, c'est le fait que vous disiez que l'article 1er va « plus loin », ce qui signifie qu'il aura la prééminence, alors que vous parlez parallèlement de conciliation entre les normes de fond de l'article 1er et celles de la Charte. Je reprends par conséquent la question de Philippe Bas : est-ce que l'équilibre de l'article 6 de la Charte, soigneusement délibéré à l'époque, reste le même ? Je déduis de nos débats que cet équilibre est changé. Sinon, pourquoi insérer le terme « garantir » ?

Le contrôle constitutionnel sur le contenu des lois va donc changer et ce sera dans un sens potentiellement déstabilisateur pour la conduite des politiques publiques. Je vais prendre deux exemples et je souhaiterais un commentaire de votre part sur ces deux exemples.

Tout d'abord, nous avons adopté, laborieusement, une dérogation temporaire et très partielle - elle concerne 3 % des terres cultivables - à une loi qui portait sur la biodiversité. Je me reproche d'ailleurs d'avoir voté ce dernier texte, parce qu'il ne prévoyait pas la possibilité de dérogations, alors qu'il était déjà flagrant à l'époque que nous en aurions besoin. Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution cette dérogation. Si le verbe « garantir », qui porte justement sur la biodiversité, était introduit, pensez-vous que la décision du Conseil constitutionnel serait la même ? Il me semble que l'expression « plus loin » que vous avez utilisée pourrait plutôt conduire à considérer que cette dérogation serait contraire à la Constitution.

Ensuite, les articles 47, 48 et 49 du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, adoptés par la commission spéciale de l'Assemblée nationale, fixent des objectifs impératifs sur la réduction des surfaces artificialisables qui se traduisent dans l'ensemble de notre droit, jusqu'aux plans locaux d'urbanisme. Si une commune urbaine saturée est obligée d'artificialiser des terres, par exemple pour la mise en oeuvre du droit au logement ou pour construire un hôpital, et qu'une question prioritaire de constitutionnalité est déposée, est-ce que le Conseil constitutionnel ne pourrait pas décider que ces articles du projet de loi en discussion seraient contraires à la Constitution ? L'insertion du verbe « garantir » ne donne-t-elle pas prééminence au principe de préservation de l'environnement sur les autres principes constitutionnels, ce qui conduirait le juge à considérer qu'il faudrait arrêter, et pas seulement réduire, l'artificialisation des sols ?

J'aimerais finalement connaître votre appréciation des conséquences effectives de la rédaction du projet de loi constitutionnelle, en particulier de l'utilisation du verbe « garantir ».

M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le garde des Sceaux, je me permets de vous rappeler la question de Nicole Bonnefoy sur les biens communs et le référendum.

M. Didier Mandelli. - Ce projet de loi constitutionnelle traduit une commande du Président de la République qui reprenait lui-même la proposition - je ne parlerais pas d'injonction... - de la Convention citoyenne pour le climat.

Après les remarques d'Alain Richard, je veux de mon côté mettre en lumière le décalage qui existe entre votre volonté farouche de modifier la Constitution dans le sens que vous avez indiqué et le contenu factuel du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. On ne peut pas dire que ce projet de loi satisfasse beaucoup d'acteurs : tant le Haut Conseil pour le climat que les ONG et les membres de la Convention citoyenne eux-mêmes estiment que ce texte ne permettra d'atteindre, le cas échéant, que 40 % des besoins nécessaires à l'atteinte des objectifs fixés à l'occasion de la COP 21. Et je ne parle pas du Conseil d'État qui a émis un avis très réservé.

Par conséquent, quelles sont les incidences de la modification de la Constitution que vous proposez sur ce projet de loi ?

Mme Françoise Gatel. - Nul ne conteste ici l'exigence de préserver les richesses dont nous avons hérité et que nous devons transmettre. Il n'y a pas d'un côté des bienveillants et de l'autre des malveillants - vous l'avez dit.

Nul ne conteste non plus l'intérêt de la participation citoyenne. J'imagine que les membres de la Convention citoyenne pour le climat ont été informés que la Charte de l'environnement était adossée à la Constitution au même titre que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Or l'intégration de la Charte au sein du bloc de constitutionnalité n'a pas été sans conséquence. Récemment encore, trois décisions ont été prises sur ce fondement, notamment l'interdiction de la fabrication, de la vente et de l'importation de certains produits pharmaceutiques - le Conseil constitutionnel a estimé justifiée l'atteinte ainsi portée à la liberté d'entreprendre au nom de la protection de l'environnement - et, plus récemment, l'autorisation de l'utilisation provisoire de produits phytosanitaires. La Charte a donc montré son utilité, notamment pour l'articulation de différents principes.

Vous avez parlé de symbole, monsieur le garde des Sceaux. Estimez-vous nécessaire que le respect de l'environnement devienne un principe constitutionnel supérieur à d'autres principes dans notre hiérarchie des normes ?

Vous avez aussi indiqué vouloir « aller un peu plus loin ». Or parfois, la créature dépasse son créateur, si vous me permettez cette expression. Ne va-t-on pas geler, ce faisant, l'action des collectivités ? Je vais prendre plusieurs exemples, en me mettant à la place des élus locaux. Une commune élabore son plan local d'urbanisme et décide de geler 20 % de son territoire ; une association se constitue et estime que ce taux, trop bas selon elle, ne respecte pas la Constitution. Que se passera-t-il dans ce cas avec un article 1er modifié selon vos souhaits ? Autre exemple : si un jour l'État ou une région estime nécessaire de construire une nouvelle ligne ferroviaire pour favoriser le désenclavement, la rédaction que vous soutenez le permettrait-elle ? Enfin, quid des parcs éoliens, qui sont souvent contestés de nos jours ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - Il est vrai, monsieur le sénateur Richard, que l'expression « quasi-obligation de résultat » constitue un avertissement de la part du Conseil d'État et le Gouvernement assume ce choix, en souhaitant renforcer la protection de l'environnement. Ce projet de loi constitutionnelle changera en effet les équilibres, parce qu'on distingue généralement les objectifs à valeur constitutionnelle et les règles constitutionnelles proprement dites qui ont un caractère impératif. Aucun principe à valeur constitutionnel ne sera privilégié l'un par rapport à l'autre ; ce sera un équilibre.

Il ne s'agit donc pas d'une concurrence entre les principes, madame Gatel. Les pouvoirs publics choisiront en toute connaissance de cause. Cette modification ne signifie pas la fin de l'entreprise qui pollue ou de la voiture ! On ne peut pas dire que la protection de l'environnement écrasera toutes les autres libertés ayant valeur constitutionnelle.

Je vais prendre un exemple simple : si une nouvelle pandémie - je ne la souhaite pas bien sûr - exige demain la fabrication de produits chimiques extrêmement polluants, pensez-vous vraiment que la santé passera après la protection de l'environnement ? Il s'agit donc bien d'un équilibre, mais aucunement d'une hiérarchie entre les principes et valeurs.

Il est normal que les sénateurs posent des questions en partant d'exemples liés aux collectivités territoriales. Pour autant, je ne reviens pas sur mon explication précédente relative aux responsabilités respectives du Parlement et des collectivités territoriales. L'intérêt public continuera évidemment d'être pris en compte.

Ne faisons pas dire à ce texte que le principe constitutionnel que nous entendons insérer à l'article 1er vient écraser tous les autres ! Ce n'est pas du tout le sens de la réforme que je vous propose. Je le redis, ce texte ne vient pas contredire la Charte, il vient la compléter.

Monsieur Mandelli, on ne peut pas en même temps critiquer le projet de loi climat et résilience, au motif qu'il serait insuffisant, et contester la volonté de rehausser l'obligation de protection de l'environnement au niveau constitutionnel.

M. Didier Mandelli. - Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - Durant les débats en séance publique, je rappellerai évidemment ce que le Gouvernement a fait pour la protection de l'environnement.

En ce qui concerne la notion de bien commun, le Gouvernement estime que cette expression n'est pas suffisamment précise pour figurer dans la Constitution. Or nous avons besoin de consensus sur la portée des termes utilisés. À l'Assemblée nationale, nous avons beaucoup parlé de non-régression et de biens communs.

M. Alain Richard. - Précisons bien où nous en sommes. Monsieur le garde des Sceaux, vous nous avez dit tout à l'heure qu'il s'agissait de substituer à un objectif de valeur constitutionnelle une règle de valeur constitutionnelle. En outre, vous avez utilisé l'expression « aller plus loin ». Il me semble qu'il résulte de ces éléments une hiérarchie entre cette règle et les autres principes de valeur constitutionnelle. L'équilibre, non quantifié, qui figure dans l'article 6 de la Charte est donc bien modifié pour faire prévaloir l'exigence de garantir la préservation de l'environnement et de la diversité biologique.

Il me semble qu'il existe un glissement entre le début de votre propos et la suite. Je crains que ce ne soit le noeud du problème !

M. Philippe Bas. - Monsieur le garde des Sceaux, je vous prends au mot : aller plus loin, oui, mais où ?

Vous avez dit tout à l'heure pour nous rassurer - peut-être nous tendiez-vous une perche ? - qu'il fallait garantir « au mieux » la préservation de l'environnement et de la diversité biologique, en conciliant cette garantie avec d'autres principes. Si un amendement était déposé en ce sens, seriez-vous d'accord ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - L'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 « garantit à tous la protection de la santé ». Peut-être faudrait-il aussi modifier cet alinéa, si vous pensez que le mot « garantir » va trop loin ? La loi ne doit pas être bavarde ; nul besoin d'ajouter dans cette phrase « au mieux »... Comment garantir « en pire », monsieur le sénateur ? Je n'imagine pas qu'un amendement comme celui-là soit déposé.

De très nombreux amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale, que ce soit sur les crevettes, les éleveurs, les langues régionales ou encore le voile - j'en passe et des meilleurs. J'ai essayé de circonscrire le débat qui devenait d'une certaine manière assez cocasse et je suis sûr que de telles choses n'auront pas lieu au Sénat. Mais quand je voulais circonscrire le débat, on me répondait que ces sujets, variés, n'intéressaient pas le Gouvernement... C'était une très curieuse façon de faire. Certes, cela permettait aux députés de développer les sujets qui leur tenaient à coeur, pour ne pas dire parfois leurs marottes.

Monsieur le sénateur Richard, je me suis sans doute mal fait comprendre. Aujourd'hui, la préservation de l'environnement est un objectif d'intérêt général qui ne constitue pas une règle au sens constitutionnel.

M. Alain Richard. - Ce n'est pas exact !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - Si, monsieur le sénateur !

M. Alain Richard. - Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il s'agissait d'un objectif à valeur constitutionnelle.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - J'entends bien, mais comme vous le savez, il est difficile de faire aboutir une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de la Charte de l'environnement.

Je le redis, nous voulons aller plus loin. Pour autant, nous ne souhaitons pas créer de hiérarchie avec les autres règles à valeur constitutionnelle. Si demain il est nécessaire de construire un bâtiment, qui entraînerait pour je ne sais quelle raison une pollution importante, devrions-nous nous interdire de le faire au motif de protéger l'environnement ? Notre rédaction laisse beaucoup de libertés, puisqu'il n'y a pas de hiérarchie entre les valeurs. Nous proposons finalement d'intégrer des valeurs nouvelles - la protection de l'environnement et de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique.

Il est grand temps que cela figure dans notre Constitution. La France, pionnière en la matière, selon les voeux de M. le sénateur Bas en 2014, doit le rester.

M. Philippe Bas. - Je considérais que la France avait été pionnière en 2005...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - Mais nous avons maintenant du retard. Comme le disait à cette époque le Président Chirac, la maison brûle ; elle brûle encore davantage aujourd'hui. C'est une réalité.

M. Alain Richard. - Puisque vous évoquez le Préambule de la Constitution de 1946, je veux souligner qu'un changement substantiel a eu lieu depuis, c'est le développement du contrôle de constitutionnalité - il existait en principe avant 1958, mais il n'était pas effectif, et même les rédacteurs de la Constitution de la Ve République n'avaient pas forcément en tête ce qu'il est devenu...

Utiliser le verbe « garantir » dans le cadre constitutionnel actuel, notamment au vu des modalités d'exercice du contrôle de constitutionnalité, a un sens beaucoup plus autoritaire qu'en 1946. Je rappelle aussi que la Constitution de 1946 prévoyait de nombreux autres droits à caractère économique et social, ainsi que des nationalisations obligatoires, lorsqu'une entreprise avait un caractère de monopole...

J'ai donc beaucoup de mal à entendre que cette modification ne changerait rien à l'équilibre entre les principes constitutionnels.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Je vois qu'il nous faudra poursuivre nos travaux pour résoudre cette question qui n'est absolument pas tranchée... La conciliation entre les principes économiques, sociaux et environnementaux, inscrite à l'article 6 de la Charte de l'environnement, est clairement mise à mal par la nouvelle rédaction de l'article 1er proposée par le Gouvernement. On ne peut pas dire en même temps qu'il n'y a pas de hiérarchie et qu'il y a un changement des équilibres.

J'ajoute que le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré à l'article 1er de la Charte, peut tout à fait être invoqué dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité.

En tout cas, il est évident que notre débat reste ouvert, il sera intense. Pour autant, comme l'a rappelé Jean-François Longeot, citant Montesquieu, on ne doit modifier la Constitution que d'une main tremblante.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. - Seuls quatre articles de la Charte peuvent être invoqués en question prioritaire de constitutionnalité.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Mes chers collègues, je vous rappelle que le projet de loi constitutionnelle est inscrit à l'ordre du jour du Sénat les 10et 11 mai prochains. La commission des lois examinera son rapport le 5 mai et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable son avis le 4 mai.

La réunion est close à 18 h 5.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 5.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 18 h 45.

Audition de Mme Bérengère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

M. Jean-François Longeot, président. - C'est avec plaisir, madame la ministre, que nous vous recevons aujourd'hui pour évoquer la biodiversité ainsi que la stratégie nationale et diplomatique de la France pour la préserver. C'est un sujet qui nous tient à coeur et qui constitue en quelque sorte l'ADN de notre commission à « double propulsion » : aménagement du territoire et développement durable.

L'érosion de la biodiversité à l'échelle mondiale est plus que préoccupante : l'IPBES, plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, qui constitue ce que l'on pourrait appeler le « GIEC de la biodiversité », a alerté dans son rapport d'octobre dernier sur les liens entre perte de biodiversité et pandémies. Nous savions déjà que la biodiversité rendait de nombreux services à l'homme, en contribuant notamment à la diversité de notre alimentation et à l'habitabilité de notre cadre de vie, mais nous prenons désormais conscience que des pandémies plus fréquentes, meurtrières et coûteuses adviendront si la biodiversité continue de décroître.

Les experts à l'origine de ce rapport estiment que la mise en oeuvre d'une stratégie visant à réduire les risques, par la création d'aires protégées et des modes de production et de consommation plus durables, aura un coût bien plus faible que les épidémies qui pourraient advenir. Plus que jamais, il importe d'être ambitieux : la France doit s'appuyer sur une stratégie cohérente et concertée avec ses voisins et les autres pays, car les écosystèmes n'ont que faire des frontières humaines et les problématiques sont transnationales.

Ce sera d'ailleurs l'enjeu de la COP 15 sur la biodiversité, dont nous venons d'apprendre le report et qui devrait avoir lieu finalement du 11 au 24 octobre prochains à Kunming en Chine, afin de fixer la nouvelle feuille de route et un cadre global pour protéger la biodiversité. La présidence française de l'Union européenne, au premier semestre 2022, pourrait également être un temps fort pour faire rayonner la vision française en la matière. L'enjeu est de taille. Et c'est vous, avec votre ministre de tutelle, qui avez notamment à concevoir et défendre les mesures nécessaires face à ce défi immense, celui de notre siècle.

Des annonces ont déjà été faites, notamment avec l'élaboration de « Biodiversité 2030 », la troisième stratégie nationale pour la biodiversité, afin de préserver les écosystèmes et les espèces, notre santé et notre qualité de vie pour les dix prochaines années. Je pense également à la nouvelle stratégie nationale pour les aires protégées ou encore à la stratégie nationale bas-carbone. Nous voyons d'un bon oeil la déclinaison territoriale des mesures annoncées : les sénateurs sont toujours sensibles à la prise en compte des territoires et des élus locaux dans la définition des politiques publiques.

Cela m'amène à vous poser une première série de questions : quelle est la vision que vous portez par rapport à la nouvelle stratégie des aires protégées ? La précédente stratégie n'ayant pas atteint ses objectifs, comment comptez-vous faire pour réussir demain ? Sur la question des moyens, comment faire en sorte qu'une partie du plan de relance serve bien à la préservation de la biodiversité ? Quels nouveaux moyens humains y consacrerez-vous ? Quels sont les engagements de votre ministère en la matière ?

Notre commission est également attentive au sort de la proposition de loi tendant à réguler l'hyper-fréquentation des sites naturels et culturels patrimoniaux de notre ancien collègue Jérôme Bignon, adopté par le Sénat en novembre 2019. À cet égard, nous constatons non sans plaisir la fécondité des idées portées par notre assemblée : l'esprit de nos travaux a germé auprès de nos collègues députés, qui ont adopté un article 56 bis au projet de loi « Climat » permettant au maire ou au préfet de réglementer ou interdire l'accès des personnes, des véhicules et des animaux aux espaces protégés. C'est un signe fort que les mentalités évoluent : les difficultés juridiques et les réserves qui avaient alors été soulevées devant nous semblent avoir disparu. C'est la preuve indéniable que l'environnement est une cause qui a progressé, y compris jusqu'aux plus hauts niveaux et au sein des services du ministère de la transition écologique...

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. - Le calendrier législatif est très intense en ce moment sur le sujet de la biodiversité. Nous vivons un moment particulier : nous le savons, la dégradation de la biodiversité se poursuit à un rythme inouï. Les rapports font état de chiffres très alarmants. Les espèces protégées sont touchées, tout comme la biodiversité ordinaire. Nous aimerions que cette crise occasionne une prise de conscience identique à celle qui a eu lieu il y a quelques décennies sur les questions climatiques.

Aucun des objectifs d'Aichi, fixés en 2010, n'a été atteint. La première évaluation de la loi biodiversité de 2016 nous révèle les difficultés à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, malgré la montée en puissance de la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC), la mise en oeuvre des paiements pour services environnementaux et les obligations réelles environnementales (ORE) qui trouvent aujourd'hui toute leur place. Restent des chantiers beaucoup plus vastes, comme le financement de la biodiversité et la fiscalité environnementale qu'il va sans doute falloir revoir dans sa globalité.

La recréation de mon secrétariat d'État est un signal fort de la volonté du Gouvernement et du Président de la République. La protection des espèces, le partage de connaissances, les politiques de l'eau sont essentiels, tout comme l'éducation à la nature, les questions de justice, de police et de droit de l'environnement, les dossiers structurants comme la chasse ou la pêche, ou le bien-être animal et les grands prédateurs, qui sont entrés dans le débat public.

Ce secteur comporte un volet européen et international, avec l'honneur que me fait la France de m'avoir nommée vice-présidente de l'assemblée des Nations unies pour l'environnement. Cela implique une cohérence entre les objectifs et les moyens aussi bien humains que financiers. Nos opérateurs constituent les bras armés opérationnels du déploiement de nos politiques : l'Office français de la biodiversité (OFB), âgé d'à peine plus d'un an, mais qui s'ancre sur les territoires, développe une culture commune et dont le développement est très observé au niveau international ; les agences de l'eau qui, depuis longtemps, travaillent sur des projets de territoire et portent aujourd'hui un nouveau regard sur la gestion de la ressource en eau.

Ce secteur représente un travail extrêmement intense au niveau interministériel pour décloisonner nos politiques avec les ministères de la mer, de l'agriculture, de l'éducation nationale et de la santé, selon l'approche « One Health ». L'office national des forêts (ONF) est un opérateur en cotutelle entre le ministère de la transition écologique et celui de l'agriculture. Les forêts sont une vitrine de l'impact du réchauffement climatique et illustrent les équilibres à trouver entre impacts environnementaux et filière économique.

Nous devons nouer des partenariats avec les différents niveaux de collectivités territoriales, car l'État ne peut pas agir seul : les régions, chefs de file avec une compétence d'aménagement sur les aires protégées et le réseau de parcs naturels régionaux (PNR) ; les départements, qui peuvent être amenés à financer des projets sur la protection des espèces naturelles sensibles ; le bloc communal, porteur de projets et détenteur des compétences eau et assainissement.

Nous déployons la stratégie nationale pour la biodiversité avec ces différents niveaux de collectivités. Les départements ont ainsi adopté à l'issue des dernières assises de la biodiversité une motion en faveur des aires protégées et proposant des mesures réglementaires et des modalités de relations locales avec l'OFB. Nous avons introduit à l'article 57 du projet de loi « Climat et résilience » la possibilité du droit de transition sur les espaces naturels sensibles - nous sommes heureux de combler cette lacune qui mettait certains départements en difficulté. Les contrats de relance et de transition écologique agrègeront les différents dispositifs et deviennent avec les contrats de plan État-région (CPER) l'ossature de cette contractualisation territoriale qui doit se déployer.

Nous avons présenté en début d'année notre stratégie des aires protégées 2021-2030, avec un objectif réaffirmé de protection de 30 % du territoire terrestre et marin et de 10 % de protection forte - objectif très ambitieux devant nous amener dès 2022 à atteindre des objectifs que nous portons au niveau international, notamment au sein de la COP 15. Nous avons élaboré un plan d'action qui décline cette stratégie de manière opérationnelle, car il nous faut des points de rendez-vous et des actions concrètes, qui prennent la forme de plans d'action triennaux tant sur les aires protégées que sur la stratégie nationale pour la biodiversité. Cette contractualisation prendra la forme de chartes pour associer tous les niveaux de collectivités à la définition de nouveaux périmètres d'aires protégées, création ou extension, mais aussi à leur gestion. Pour l'avoir vécu lors de la création du onzième parc national de forêts, ce sont des espaces de discussions et d'échanges permettant d'apaiser les tensions.

L'année 2021 sera celle de la réécriture de cette stratégie décennale déclinée en plans d'action triennaux qui partent des territoires - ce qui a beaucoup dérouté, d'autant que le calendrier est très resserré. Je fais actuellement une tournée des régions de France, en participant aux comités régionaux de la biodiversité avec tous les acteurs pour établir un bilan de l'existant afin que chaque région puisse apporter sa contribution à la stratégie nationale pour la biodiversité, ces contributions constituant le matériau qui sera soumis aux instances nationales.

Dans le même temps, nous menons une consultation citoyenne et réunissons un comité interministériel qui doit accompagner les choix qui seront faits. Nous nous sommes dotés d'un outil, un site internet dont je vous annonce la mise en ligne dans les heures qui viennent, biodiversité.gouv.fr, rassemblant toutes les ressources concernant la biodiversité, sur lequel vous pourrez, soit en tant qu'individu, soit en tant que collectif, déposer des contributions.

Cela nous amènera à présenter une première version du texte de la stratégie nationale à l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), que nous amenderons à l'issue de la COP 15 à la toute fin 2021 ou au début 2022.

Autre stratégie importante : la stratégie nationale pour lutter contre la déforestation importée. Nous disposons de leviers d'action considérables : l'achat public peut en effet contribuer à 10 % du PIB et a une influence sur la déforestation à l'autre bout du monde. Nous avons aussi mis en place une plateforme permettant aux acheteurs de vérifier leur approvisionnement. Pour cela, nous avions besoin de données douanières. Une disposition du projet de loi « Climat résilience »nous permettra de les croiser avec les données satellitaires. Cela suppose aussi un accompagnement des pays producteurs vers des filières plus durables.

Nous avons édité un guide de l'achat public « zéro déforestation » dont je fais la promotion dans ma tournée des régions et que je vous incite également à promouvoir. Cette stratégie nationale « Déforestation importée » trouvera un écho au niveau européen - ce sera un des gros dossiers portés lors de la présidence française début 2022.

L'Office français de la biodiversité, créé en janvier 2020, constitue avec ses 2 600 agents et son budget de 516 millions d'euros un outil performant, au plus près du terrain et des territoires. Cet organisme a bénéficié d'un budget supplémentaire de 85 millions d'euros au titre du plan de relance, qui lui permettra de lancer des appels à projets y compris en Outre-mer, avec un volet sur l'eau potable et l'assainissement. Nous travaillons actuellement sur son contrat d'objectifs et de performance, qui doit aboutir courant 2021. Un arbitrage devrait nous permettre de calmer l'inquiétude sur les effectifs, avec vingt équivalents temps plein (ETP) pour les parcs naturels marins et vingt autres pour les parcs nationaux.

Les agences de l'eau travaillent sur la base d'une feuille de route des Assises de l'eau de 2019 qui décline les projets territoriaux de gestion de l'eau, qui doivent nous permettre de réconcilier les besoins concernant une ressource qui tend à s'amenuiser et doit donc être gérée de la manière la plus harmonieuse et raisonnée possible. Elles accompagnent techniquement et financièrement les territoires avec une mission d'appui qui vient d'être constituée d'inspecteurs généraux, un cadre réglementaire national qui doit sécuriser les décisions prises par les préfets en la matière, notamment en matière de gestion quantitative, matérialisé par un décret très attendu, envoyé cette semaine au Conseil d'État.

La politique de l'eau agit aussi pour la qualité de nos rivières et de nos ressources souterraines à laquelle le plan de relance consacre 250 millions d'euros - ces moyens sans précédent devant nous permettre d'intervenir notamment sur une meilleure connaissance de nos réseaux, avec une enveloppe de 47 millions d'euros sur le plan Outre-mer qui s'ajoutent aux 2,1 milliards d'euros de redevance affectée annuellement aux agences de l'eau.

C'est aussi la politique de continuité écologique, portée par les collectivités et les fédérations de pêche dont je souhaite saluer le travail, car elles sont nos yeux sur le terrain. Dès que nous rétablissons ces continuités, nous avons la satisfaction de voir revenir des espèces telles que les saumons et les anguilles : la nature reprend ses droits.

Nos forêts sont gravement fragilisées par le changement climatique ; le parc national de forêts sera l'une des vitrines d'expérimentation de cette politique relative aux forêts. La production durable de bois est soutenue à nouveau dans le cadre du plan de relance à hauteur de 200 millions d'euros pour le renouvellement forestier et la diversification des sylvicultures et des essences.

Nous devons inventer des solutions pérennes pour stabiliser le financement de l'ONF, qui doit se consacrer en priorité à la gestion durable et adaptative de nos forêts publiques. Nous signerons un contrat d'objectifs robuste avant l'été 2021 et, sans attendre, le ministère de la transition écologique a augmenté son financement de 9,2  millions d'euros dès 2021.

Un gros dossier de ce secrétariat d'État est celui de la chasse, patrimoine qui s'exprime dans les territoires. Les dégâts de gibier occasionnés par les sangliers et cervidés font l'objet d'un groupe de travail rassemblant agriculteurs et chasseurs pour formuler des propositions sur lesquelles il nous incombe aujourd'hui de statuer, que ce soit au niveau réglementaire, mais aussi législatif. Sur la question de la sécurité à la chasse, que l'actualité rappelle trop souvent à notre attention, nous devons encore travailler pour atteindre l'objectif de zéro accident, notamment via l'information des riverains et des autres usagers de la nature. Nous devons apaiser ces questions sur lesquelles une forme de violence se développe, ce qui m'inquiète. Il faut que ce débat ait lieu pour que chacun retrouve sa place dans ces espaces de nature sans agressivité. Les outils récents que constituent les comités d'experts de la gestion adaptative (CEGA) des espèces doivent être améliorés, mais ils contribuent à l'objectivation scientifique des populations animales.

Notre politique se déploie aussi sur la mer, la France possédant la seconde zone économique exclusive mondiale, avec une action aussi bien nationale qu'internationale. Nous devons travailler aux questions de police, de justice et de droit de l'environnement. Vous avez voté - et je vous en remercie - la création de pôles régionaux spécialisés près de chaque cour d'appel, qui prendront mieux en compte ces dossiers. Une convention judiciaire économique permettra aussi la résolution de certains contentieux pour pouvoir intervenir le plus rapidement possible. Les nouvelles prérogatives de police judiciaire pour les officiers judiciaires de l'environnement leur permettront de mener des enquêtes de bout en bout de la constatation jusqu'à l'audition ou d'éventuelles perquisitions. Je tiens à cet égard à remercier le général Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN).

Sont encore à l'étude une échelle des peines et la création des délits d'écocide et de mise en danger de l'environnement, et vous aurez tout loisir d'aborder ces sujets dans le cadre de l'examen du projet de loi « Climat résilience ».

- Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président -

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Dans le projet de loi de finances pour 2021, vous avez bien voulu voter une augmentation sans précédent des moyens du ministère de la transition écologique, en particulier pour la biodiversité, avec une enveloppe considérablement augmentée de 28,5 millions d'euros, une hausse de la dotation de 10 millions d'euros pour l'OFB, un renforcement d'un million d'euros des mesures de cohabitation entre les grands prédateurs et le pastoralisme. Le plan de relance prévoit aussi des budgets sans précédent : 300 millions d'euros pour l'eau et 250 millions pour la biodiversité, nous permettant d'accélérer les restaurations écologiques, la mise en place d'aires protégées, la protection du littoral ou encore le renforcement des barrages, tout en donnant du travail aux entreprises françaises. Côté moyens humains, l'augmentation de 40 ETP soulagera les parcs naturels marins et soutiendra la montée en puissance du parc national de forêts.

Le congrès mondial pour la nature de l'UICN se tiendra du 3 au 11 septembre à Marseille ; la COP 15 Biodiversité se tiendra à Kunming, en Chine, du 11 au 24 octobre suivants ; la perspective de la présidence française de l'Union européenne au premier semestre 2022 nous oblige à être irréprochables - un certain nombre de contentieux devront ainsi être réglés d'ici là - mais nous invite aussi à repenser nos partenariats, car seule l'action commune nous garantira d'atteindre nos objectifs.

M. Didier Mandelli, président. - Merci pour cette présentation exhaustive. Je donne la parole à M. Chevrollier, rapporteur pour avis des crédits budgétaires relatifs à la biodiversité.

M. Guillaume Chevrollier. - On le voit, la biodiversité est au coeur de beaucoup de préoccupations. La France doit élaborer une stratégie pour la réunion du congrès mondial pour la nature à Marseille et la COP 15.

Vous avez évoqué les ORE, sujet qui me tient à coeur. Elles peinent à démarrer ; comment les rendre opérationnelles ?

Vous souhaitez accélérer la mise en oeuvre d'aires protégées, notamment d'aires sous protection forte. Comment associerez-vous les territoires à la détermination des objectifs et à leur mise en oeuvre ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus à propos des chartes dont vous avez parlé ?

Vous évoquez la déforestation importée. Quelles actions prévoyez-vous pour la limiter, avec quels financements ? Travaillez-vous à un étiquetage des produits ?

Je suis également rapporteur pour avis de cette commission à propos du projet de loi constitutionnelle. Aujourd'hui, il est déjà fait mention de la biodiversité dans la Constitution, mais la révision projetée introduirait le terme de diversité biologique. Pourquoi dans un même texte constitutionnel utiliserions-nous deux termes différents ? Ne faudrait-il pas plutôt s'accorder sur un seul ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Pour la mise en oeuvre de la plateforme prévue par la stratégie nationale contre la déforestation importée, nous avions besoin d'accéder aux données douanières anonymisées et avons trouvé un accord avec les douanes. Nous avons développé un groupe de travail sur les labels : les consommateurs ont besoin de points de repère. Nous travaillons avec des filières comme celle du soja de manière à assurer la transparence sur son approvisionnement. Le travail continue avec la filière du chocolat. Cela permet d'obtenir des résultats satisfaisants. La stratégie nationale prévoit des mécanismes d'alerte au service des entreprises pour signaler des risques de déforestation liés à ces filières.

Concernant les aires protégées, l'article R. 332-2 du code de l'environnement invite déjà les préfets à consulter les collectivités dont le territoire est concerné ; je pense qu'il faut aller plus loin. Ceux d'entre vous qui auraient connu la création d'un parc national peuvent en témoigner, il est bénéfique d'embarquer les différents acteurs dans la construction des projets de création ou d'extension. C'est le rôle des chartes.

La diversité biologique recouvre le même concept que la biodiversité. Par souci de clarification, peut-être faut-il préférer celui de diversité biologique, qui me semble une expression plus juridique.

Les ORE souffrent d'un déficit de communication sur leur existence. Il faut que les acteurs s'en saisissent. Mais depuis 2016 l'engouement pour ce dispositif ne se dément pas. La loi de finances prévoit des incitations fiscales. Pas moins de 29 ORE ont été signées en 2019, et beaucoup de projets sont à l'étude.

Mme Marta de Cidrac. - Dans les Yvelines, la forêt représente 30 % de la surface du département. La forêt est un atout dans la lutte contre le dérèglement climatique : puits de carbone, elle constitue un milieu propice à la biodiversité. Le rapport d'information d'Anne-Catherine Loisier, Une nouvelle stratégie pour l'Office national des forêts et les forêts françaises, en 2019, soulignait déjà son importance. Dans son rapport de 2020, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) montrait son intérêt pour stocker le carbone dans les sols. Pourtant, elle n'est guère présente dans le projet de loi « Climat et résilience ». Certes plusieurs mesures relèvent du pouvoir réglementaire, mais les questions de l'avenir de l'ONF ou des aménités environnementales ont toute leur place dans une loi. Le Gouvernement entend-il aborder ces sujets dans ce texte ? Quelle sera la place de la forêt dans la prochaine stratégie nationale de la biodiversité ?

M. Jean-Paul Prince. - Si conserver la biodiversité et les sites naturels remarquables est une nécessité, envisager l'environnement sous le seul angle de la protection de la main de l'homme n'est pas satisfaisant, et conduit à considérer toute activité humaine de manière négative. Ainsi, le principe de continuité écologique des cours d'eau, apparu dans le droit européen en 2000 et transposé en droit national depuis, a eu pour conséquence la destruction de nombreux barrages et moulins, pour un gain environnemental très discutable. Ne faudrait-il pas clarifier l'articulation entre la préservation des milieux naturels et la poursuite des activités humaines, en réaffirmant que celles-ci ont aussi toute leur place sur le territoire ? L'État ne pouvant rien seul, comme vous l'avez dit, il conviendrait d'écouter les élus de terrain.

Mme Angèle Préville. - L'objectif de 10 % d'aires de protection forte vous paraît-il atteignable ? Cela revient à multiplier les surfaces par six d'ici à 2030 ! La stratégie de lutte contre la déforestation importée repose sur des engagements volontaires qui sont peu contraignants. L'Union européenne étant responsable du tiers de la déforestation importée, ne faudrait-il pas agir plus vite et différemment ?

L'Office français de la biodiversité a lancé des appels à projets. Beaucoup de territoires ne sont pas organisés pour y répondre et risquent donc d'être oubliés. Une approche mutualisée sur tout le territoire serait peut-être préférable. Enfin, pour lutter contre la pollution plastique, ne faudrait-il pas s'engager fortement en faveur d'un traité international, au moins en Méditerranée ?

M. Éric Gold. - On compte de nombreuses espèces invasives sur le territoire, à l'image du frelon asiatique qui se développe depuis quinze ans et menace les ruches d'abeilles. On ne possède pas de méthode efficace pour contrôler la prolifération de l'espèce et l'on manque d'une stratégie collective de prévention ou de lutte. Peut-on envisager des actions concrètes de lutte globale et cohérente, notamment au niveau international, ou bien doit-on se résigner au fait que le combat est perdu d'avance ?

Mme Évelyne Perrot. - J'ai été ravie de vous entendre décliner avec enthousiasme les objectifs. Je suis toutefois inquiète pour les parcs naturels régionaux qui doivent rénover leur charte : il s'agit d'un travail considérable qu'il n'est pas facile de mener dans le contexte sanitaire actuel. Les chartes sont aussi un outil en faveur de l'environnement.

Mme Martine Filleul. - Les objectifs affichés sont ambitieux, mais je ne sais pas si les moyens suivront : selon nos estimations lors du projet de loi de finances, votre ministère a perdu 4 000 ETP. La création de 40 ETP dans les parcs ne suffira pas à les compenser.

Comme Mme Préville, je me demande s'il ne faudrait pas privilégier des obligations pour lutter contre la déforestation importée, plutôt que de s'en remettre à la bonne volonté des industriels. Enfin, j'ai l'impression que le projet de loi « Climat » ne comporte pas beaucoup de mesures sur la biodiversité.

M. Ronan Dantec. - Le bilan en matière de lutte contre la biodiversité n'est pas bon, et celle-ci continue à régresser en France. La hausse des aires protégées ne suffit pas, il faut aussi qu'elles soient contiguës, si l'on veut éviter le fractionnement des milieux, comme l'avait souligné notre commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité. Nous avons donc besoin d'une stratégie foncière cohérente. Pour la nouvelle stratégie 2020-2030, on pourra s'appuyer sur les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Avez-vous prévu de vous appuyer sur des cartographies cohérentes du fonctionnement de l'écosystème français ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La forêt est un vaste sujet, qui dépasse le cadre d'une seule audition. La sylviculture est touchée par le réchauffement climatique, les parasites, etc. Nous devons mieux valoriser notre filière bois. La forêt fait l'objet d'une réflexion interministérielle et nous travaillons en commun avec le ministère de l'agriculture. Le rapport Cattelot sur la forêt et la filière bois, comme d'autres, nous fournit une base. Toutefois, je pense qu'une mention lacunaire dans le projet de loi « Climat », qui comprend déjà de nombreuses dispositions, ne serait pas satisfaisante. La forêt est à la fois un secteur économique important dans les territoires et un puits de carbone. Je milite pour une stratégie globale, même si j'ignore encore le calendrier. Pour y parvenir, nous devons avoir une action forte et concertée, à tous les niveaux, aussi bien entre les ministères concernés qu'entre les commissions compétentes au sein des assemblées.

Monsieur Prince, nous sommes tous très attachés au patrimoine bâti des moulins. Les destructions dans le cadre du rétablissement de la continuité écologique concernent uniquement les seuils des moulins. Nous disposons d'outils et d'ingéniosité pour trouver des solutions en termes de génie écologique : il doit être possible d'avancer sereinement sur ces questions.

En ce qui concerne les aires protégées, aussi bien terrestres que marines, notre ambition est forte. Il ne s'agit plus de mettre des territoires sous cloche ; l'originalité de la vision à la française est de chercher à articuler et réconcilier les pratiques humaines et l'environnement. L'équilibre devra être trouvé dans les chartes territoriales, par le biais de la concertation entre les différents acteurs, tout en reconnaissant l'importance de l'activité humaine dans la construction de nos paysages, patrimoine qui nous est cher. Nous disposons de tout un panel d'instruments d'action, d'outils de protection, de modes de gestion pour nous adapter aux situations locales. Il faut en effet tenir compte de la diversité des contextes géographiques ou territoriaux. Certains appellent à une homogénéisation des modes de protection et de la gouvernance, mais il me semble que nous avons intérêt à conserver cette diversité, qui permet d'associer tous les acteurs dans une démarche vertueuse, chacun à son rythme.

L'enveloppe consacrée aux appels à projets relève du plan de relance et s'ajoute aux crédits du ministère. Ce dispositif suppose toutefois, il est vrai, une grande réactivité de la part des acteurs. Le contexte de crise sanitaire et les mesures de distanciation ne facilitent pas les échanges. Je salue d'ailleurs l'engagement de tous les opérateurs, des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), de l'OFB, des agences de l'eau, etc., qui ne ménagent pas leurs efforts pour accompagner les porteurs de projet. En tout cas, on constate un grand nombre de demandes, ce qui est bon signe.

En ce qui concerne la pollution au plastique, le Président de la République a incité à la mobilisation internationale lors du One Planet Summit, et une coalition pour la mer Méditerranée s'est créée. Il faut accompagner l'élan. Le plan « zéro déchet plastique en mer » sur la période 2020-2025 y vise. Je compte travailler avec tous les acteurs : acteurs économiques, associations de protection de la nature, etc. Il s'agit aussi de veiller davantage à la continuité entre la terre et la mer dans toutes nos politiques : lorsque l'on améliore l'assainissement ou que l'on réduit le volume des déchets, on contribue à la préservation de la mer et des océans. Toute notre politique doit être cohérente.

Le frelon asiatique n'est pas un petit sujet. Des réglementations ont été mises en place : celle sur les espèces exotiques est pilotée par le ministère de la transition écologique, et celle sur les dangers sanitaires est pilotée par le ministère de l'agriculture. Les préfets ont le pouvoir de décider des opérations de destruction sur des propriétés privées. Le frelon est classé comme un danger sanitaire. Cela implique que l'élaboration d'une stratégie nationale de prévention, de surveillance et de lutte est de la responsabilité de la filière apicole. Cette stratégie a permis de réduire le nombre de nids et un travail de dentelle est effectué sur le territoire pour éviter qu'ils ne se reconstituent. Le prochain plan national d'actions pour la préservation des insectes pollinisateurs comportera plusieurs mesures pour améliorer la coordination et augmenter le nombre d'interventions.

Madame Perrot, avec la crise sanitaire, certains parcs naturels régionaux (PNR) ont du mal à fonctionner. J'entends leur inquiétude, qui est partagée par tous les acteurs, d'autant que les calendriers sont contraints et qu'il est difficile de mener à bien les concertations en cette période particulière. Pour autant, nous devons nous efforcer de tenir les calendriers. Les chartes doivent avoir été réécrites avant 2022. Nous avons identifié cinq ou six PNR qui ne tiendront pas les délais, et qui ont, en moyenne, cinq à six mois de retard : un amendement à loi « Climat » vise à donner à ces PNR six mois de délai supplémentaire.

Mme Filleul m'a interrogée sur les moyens humains. Je crois aux petits pas. Nous souhaiterions certainement tous une démultiplication immédiate des moyens, vu l'urgence, mais le fait est, malgré tout, qu'ils n'ont jamais été aussi élevés. Les problématiques du réchauffement climatique et de la biodiversité sont mieux prises en considération dans les politiques publiques. Elles sont d'ailleurs liées : le réchauffement climatique a des effets sur la biodiversité et, inversement, la préservation de la biodiversité est un outil dans la lutte contre le réchauffement. Ces politiques doivent être décloisonnées. Je constate que tous les acteurs, à tous les niveaux, ont pris conscience des enjeux, se mobilisent et rassemblent leurs forces.

Ronan Dantec m'a interrogée sur la stratégie foncière, la fragmentation des espaces, l'artificialisation des sols et les ruptures de continuité écologique. L'objectif « zéro artificialisation nette » est très ambitieux, mais cette ambition rejoint notre action en faveur de la rénovation énergétique ou en faveur des matériaux bio-sourcés. Nos politiques se rejoignent et visent à se renforcer les unes les autres. La cartographie devra être précisée. Un décret de 2019 a permis de préciser la place de la biodiversité et des orientations pour la continuité écologique dans les SRADDET.

M. Didier Mandelli, président. - Je vous remercie pour votre engagement et la qualité de nos échanges. Chacun a pu mesurer les enjeux et les actions engagées. Nous aurons à examiner d'autres mesures dans les textes dont nous aurons à débattre au cours des semaines à venir.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Quand j'ai été nommée, la Convention citoyenne pour le climat était réunie. Je me suis posé la question de savoir s'il fallait réunir une Convention citoyenne sur la biodiversité. Mais le calendrier ne s'y prêtait pas, car il semblait difficile que ses travaux puissent trouver une déclinaison législative à temps. J'espère donc que chacun s'exprimera dans le cadre de la stratégie nationale de biodiversité - nous avons prévu des outils pour cela - et que la mobilisation sera forte pour participer à la réflexion. Nous trouverons au fil des textes des véhicules législatifs adéquats, comme c'est déjà le cas, par exemple, avec les dispositions sur la justice environnementale dans le projet de loi sur le parquet européen, ou d'autres mesures dans le projet de loi « Climat » ou le projet de loi « 4D ».

La réunion est close à 20 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.