Mercredi 3 mars 2021

- Présidence de M.  Jean-Marc Boyer, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Audition de Mme Valérie Baduel, directrice générale de l'enseignement et de la recherche au ministère de l'agriculture et de l'alimentation

M. Jean-Marc Boyer, Président. - Nous tenons aujourd'hui la première audition de notre mission d'information sur l'enseignement agricole en accueillant Mme Valérie Baduel, directrice générale de l'enseignement et de la recherche au ministère de l'agriculture et de l'alimentation.

Je vous rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat.

Nos prochaines réunions plénières auront lieu la semaine prochaine :

- le mardi 9 mars à 16 h 30 pour une table ronde avec les syndicats agricoles ;

- le mercredi 10 mars à 16 h 30, pour une table ronde sur l'orientation vers l'enseignement agricole et son attractivité.

Mes chers collègues, cette première audition intervient à un moment symbolique. C'est en effet cette semaine qu'aurait dû se tenir le Salon international de l'agriculture, annulé en raison de la pandémie de covid-19. Je veux à cet instant, en votre nom à tous, adresser un message de soutien aux agriculteurs et aux acteurs des filières agroalimentaires, qui contribuent de manière essentielle à l'économie de notre pays et au développement de nos territoires.

Cette mission d'information a été créée à l'initiative du groupe RDSE dans le cadre du droit de tirage annuel dont disposent les groupes politiques.

Madame la directrice générale, vous avez pris vos fonctions tout récemment, au début du mois de janvier. Vous étiez auparavant, depuis 2011, directrice générale adjointe de l'enseignement et de la recherche. Vous êtes vétérinaire de formation mais vous avez occupé au cours de votre carrière de nombreuses fonctions, tant sur le terrain, en direction des services vétérinaires, qu'en administration centrale, à la direction générale de l'alimentation, et en agence, en tant que directrice générale adjointe de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, puis de l'Agence nationale de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

Madame la directrice générale, avec mes 22 collègues membres de la mission, nous sommes convaincus que l'enseignement agricole est une chance pour de nombreux jeunes et un outil indispensable pour l'avenir de nos filières agricoles et alimentaires.

Vous connaissez l'engagement de longue date du Sénat en faveur de l'enseignement agricole. Vous avez pu le mesurer encore tout récemment, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021. Notre rapporteure, Nathalie Delattre, avait alors tiré la sonnette d'alarme !

Au cours de nos travaux, nous souhaitons analyser comment l'enseignement agricole, technique et supérieur, devrait répondre aux besoins des filières agricoles et alimentaires, afin de leur permettre de relever les défis auxquels elles sont confrontées. Nous souhaitons évaluer la capacité de l'enseignement agricole à remplir cette mission aujourd'hui, notamment au regard des contraintes qui pèsent sur lui.

Le Sénat étant le représentant des collectivités territoriales, nous prêterons une attention particulière aux enjeux territoriaux, mais aussi à la perspective européenne. Je sais que vous êtes vous-même particulièrement attachée aux coopérations européennes et internationales.

Je vous propose de nous dresser un panorama de l'enseignement agricole et des enjeux que vous percevez, à partir du questionnaire qui vous a été adressé par notre rapporteure.

Peut-être pourrez-vous ainsi nous présenter, en préambule, la raison d'être de l'enseignement agricole et sa valeur ajoutée, alors que la concurrence entre l'enseignement agricole et les établissements relevant du ministère de l'éducation nationale est souvent relevée.

Je passerai ensuite la parole à notre rapporteure Nathalie Delattre afin qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions. Puis je donnerai la parole à l'ensemble de nos collègues qui le souhaitent.

Mme Valérie Baduel, directrice générale de l'enseignement et de la recherche au ministère de l'agriculture et de l'alimentation. - Merci, Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs. Je voulais vous dire que par ma voix, j'exprime toute la gratitude envers vous de la communauté des hommes et des femmes qui sont la cheville ouvrière de l'enseignement agricole, d'avoir lancé cette mission. Pour nous, c'est un signe fort de reconnaissance de l'enseignement agricole.

Le financement de l'enseignement agricole - le secondaire, le supérieur court, le supérieur long et la formation professionnelle continue - est assuré par le ministère de l'agriculture par deux programmes : le programme 143 qui dépend de la mission interministérielle « Éducation scolaire » (MIES) et le programme 142 qui dépend de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (MIRES).

Sur le programme 143, nous finançons des emplois de titre 2 à hauteur de près d'un milliard d'euros pour 15 000 agents, dont 12 000 sont des enseignants. Les crédits hors titre 2 s'élèvent à 500 millions d'euros, dont 350 millions d'euros pour l'enseignement agricole privé - une partie des enseignants de l'enseignement agricole privé sont payés par des crédits hors titre 2 - et 90 millions d'euros d'aides sociales.

Concernant l'enseignement supérieur agricole, financé par le programme 142, nous avons également un financement direct d'emplois à hauteur de 225 millions d'euros pour 2 800 équivalents temps plein travaillé (ETPT) et, hors titre 2, 135 millions d'euros dont 25 millions sont destinés à l'enseignement supérieur agricole privé, 17 millions à l'aide sociale et 32 millions aux opérateurs de recherche. Je veux à cet égard souligner que, parmi les crédits consacrés à l'enseignement supérieur agricole, une grande partie finance des activités de recherche.

Au total, ces chiffres représentent, pour le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, plus de 30 % de ses crédits et 60 % de ses agents.

Environ 210 000 apprenants (élèves, étudiants, apprentis) sont formés par l'enseignement agricole, dont 190 000 par l'enseignement agricole technique (secondaire et supérieur court) avec une quasi-parité femme/homme (45 % de femmes). La particularité du secteur est de recenser 62 % des élèves, étudiants et apprentis dans des établissements privés. Notre formation couvre un large spectre, allant de la quatrième au doctorat. Toutefois, une majorité de ces effectifs sont en lycée professionnel, de la seconde à la terminale. Par ailleurs, nous offrons une large palette de titres de formation qui répondent aux enjeux d'aujourd'hui. L'enseignement regroupe la formation initiale par voie scolaire en passant par la formation initiale par apprentissage, la formation initiale par alternance qu'on appelle « rythme approprié », avec les maisons familiales rurales (MFR) et les établissements dépendant de l'Union nationale rurale d'éducation et de promotion (UNREP), et la formation professionnelle pour adultes (14 millions d'heures). Nous avons une palette de formation qui répond aux enjeux actuels. Nous avons le souci de former les jeunes, mais également les adultes dans leurs évolutions de parcours, dans leur souci de reconversion, voire de réinsertion.

À quoi forme l'enseignement agricole ? Historiquement, l'enseignement agricole a été mis en place pour l'agriculture. C'est le premier système de formation professionnelle de France, créé en 1848. Aujourd'hui, les formations ne se limitent plus à l'agriculture ou l'alimentation. Elles couvrent également des formations aux services, notamment en milieu rural et à la personne, qui représentent 42 % des effectifs en voie scolaire. Les formations à la production agricole représentent 35 % de nos effectifs en voie scolaire, 47 % en apprentissage. Les formations à l'aménagement des espaces et à la protection de l'environnement représentent 19 % des effectifs en voie scolaire et 36 % en apprentissage. Enfin, les formations en transformation alimentaire représentent 4 % des effectifs dans les deux voies. J'insiste sur la diversité des métiers et des domaines auxquels nous formons.

L'enseignement agricole poursuit trois grands objectifs. Le premier, c'est d'apporter aux jeunes une garantie de réussite scolaire, d'insertion professionnelle, mais aussi - et toute la communauté éducative de l'enseignement agricole y est particulièrement attachée - de former au développement personnel, à l'épanouissement, de former des citoyens. Notre deuxième priorité concerne les territoires. Les établissements d'enseignement agricole sont des acteurs essentiels de la vie des territoires et de leur développement, particulièrement dans la ruralité et dans les outre-mer. Le troisième volet, c'est le « développement durable » de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt.

La réussite scolaire est assurée par une tradition d'innovations pédagogiques. L'enseignement agricole a souvent été qualifié de « laboratoire d'innovations ». Il s'appuie sur une pédagogie pratique et concrète. On forme par les gestes. Dans les établissements publics, des exploitations agricoles et des ateliers technologiques favorisent l'expérimentation pédagogique. Nous avons une tradition d'enseignements pluridisciplinaires. Des accompagnements individualisés et du mentorat complètent cet enseignement. Cela se traduit par un taux de réussite aux examens, qui pour l'ensemble de nos formations (CAP agricole, bac pro, bac technologique, bac S), sont supérieurs à la moyenne nationale. De même en 4ème et 3ème, nous accueillons souvent des élèves qui ont été en échec scolaire dans l'Éducation nationale. Pourtant leurs taux de réussite au diplôme national du brevet sont les mêmes que ceux de la moyenne nationale. Notre approche pédagogique a donc fait ses preuves.

Concernant la formation humaine, nous travaillons sur la construction et le développement de l'estime de soi, le vivre ensemble, la citoyenneté, l'ouverture aux autres et au monde. L'éducation socio-culturelle est très importante dans nos enseignements. Les coopérations internationales et européennes constituent également un axe fort et sont inscrites dans nos missions d'enseignement agricole. Cette ouverture apporte aux jeunes, qui souvent sont peu mobiles, une autre façon de penser et de produire. Notre système d'enseignement est plutôt épargné par les épisodes de violences scolaires. Par ailleurs, le sport est tout aussi présent. 35 % de nos élèves sont licenciés à l'Union nationale du sport scolaire (UNSS), dans 147 sections sportives. 9 % des établissements sont labélisés Génération 2024. Avec 60 % des jeunes en internat, au-delà d'être des acteurs de formation, nous sommes des acteurs d'éducation.

Pour les formations du CAP au BTSA, le taux net d'emploi à 33 mois affiche un résultat compris entre 80 et 95 %. Dans l'enseignement agricole long (ingénieur, paysagiste), ce chiffre avoisine les 89 à 98 % pour l'obtention d'un emploi dans l'année. Cet excellent taux est le résultat d'un lien étroit avec le monde professionnel. En effet, les professionnels sont des acteurs impliqués dans nos établissements. La commission professionnelle consultative (CPC) qui travaille sur les compétences, la rénovation des diplômes et des certifications comporte de nombreux professionnels. Notre enseignement s'appuie sur des stages. 8 % des apprentis de France sont dans l'enseignement agricole. Un jeune sur 6 en formation initiale dans nos établissements est un apprenti, avec une augmentation de 17 % depuis 5 ans. L'enseignement agricole s'adapte en permanence aux besoins actuels ou futurs des emplois. D'ailleurs, nous venons de créer deux certificats de spécialisation : responsable d'usine de méthanisation et conduite de machines d'abattage en forêt.

Par ailleurs, notre enseignement est extrêmement inclusif, avec non seulement des jeunes en échec scolaire, mais également l'accueil de jeunes en situation de handicap. Un dispositif de soutien financier et humain est mis en place avec des animatrices, des méthodes, des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), des dépenses multipliées par 9 qui s'élèvent à 17 millions d'euros pour soutenir l'accueil des élèves en situation de handicap. C'est un travail important avec des jeunes qui ont parfois de très lourds handicaps mais qui parviennent au succès avec des pédagogies adaptées.

Nos établissements sont des acteurs essentiels de la vie des territoires et de leur développement. Nous sommes également très présents dans les outre-mer.

La loi a prévu explicitement que nos établissements aient pour mission l'animation et le développement des territoires. C'est une mobilisation très forte des établissements pour accueillir des débats publics ouverts sur leur territoire, notamment dans le cadre du film Petit Paysan qui a donné lieu à des discussions importantes. Nous sommes partie prenante de l'agenda rural avec la question des établissements de service, maison des territoires.

Nous avons pour mission d'être des acteurs résolus de ce développement durable face à des défis aigus, comme le renouvellement des générations d'agriculteurs (50 % des agriculteurs partiront à la retraite dans les 10 ans), les revenus des agriculteurs, le projet agroécologique pour la France, et des enjeux de souveraineté alimentaire dont la crise de la covid-19 a révélé l'importance pour les citoyens.

L'enseignement agricole s'insère dans un dispositif de formation, de recherche et de développement agricole qui fait système. La DGER assure le pilotage de cet ensemble d'acteurs : enseignement agricole technique, enseignement supérieur long, établissements de recherche, avec en particulier l'institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), les établissements de recherche appliquée, les instituts techniques et les centres techniques agroalimentaires, les chambres d'agriculture. Nous travaillons en permanence à renforcer les liens entre les différents maillons de cette chaîne pour assurer le développement durable de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt. Différents dispositifs existent pour cela : unités mixtes de recherche, unités et réseaux mixtes technologiques, participation conjointe à des projets CASDAR (compte d'affection spéciale développement agricole et rural), systèmes d'expérimentations...

Nous avons également mis en place un plan « Enseigner à produire autrement » qui a pour but de généraliser l'agroécologie. Nos établissements d'enseignement technique sont extrêmement actifs en la matière. Le bac professionnel « conduite et gestion de l'exploitation agricole » et le BTSA « analyse, conduite et stratégie de l'exploitation agricole » ont été revus afin d'inclure ces notions d'agroécologie. Toutes nos exploitations sont résolument engagées dans ce plan, avec 25 % de notre surface agricole utile en agriculture biologique. 70 % de nos exploitations ont abandonné le glyphosate. Cela dénote un engagement vigoureux de notre part.

Pour conclure, notre défi est d'assurer une meilleure connaissance et reconnaissance de l'enseignement agricole en adoptant un plan d'action résolu pour renforcer ce dispositif précieux, véritable atout pour la France. Pour paraphraser une ancienne publicité, connaître l'enseignement agricole, c'est l'aimer. Le problème c'est qu'il n'est pas assez connu. Nous mettons en place des partenariats étroits avec le ministère de l'éducation nationale et avec l'office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP). Une campagne de communication sur le terrain, « L'aventure du vivant », a été lancée. Le camion mis sur les routes s'est malheureusement arrêté du fait de la crise de la covid. Une campagne de communication numérique sur les métiers est également en cours.

Je suis heureuse et reconnaissante que vous vous soyez saisis de cette question.

M. Jean-Marc Boyer, président. - Merci de cette présentation synthétique et rapide qui retrace les enjeux de l'enseignement agricole. Je donne la parole à notre rapporteure, Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure- Merci de cet état des lieux, Madame Baduel. Merci de vos mots gratifiants sur la constitution de cette mission d'information. Vous avez dressé un panel très général. J'aimerais entrer aujourd'hui dans des questions plus spécifiques. J'ai pu constater lors de l'examen du PLF 2021, que votre ministère avait perdu un certain nombre d'arbitrages avec Bercy. Où en est-on ? Comment les discussions qui ont été amenées par le Sénat vis-à-vis de cet enseignement agricole ont été perçues au niveau du gouvernement ? Vos relations avec Bercy sur les arbitrages se sont-elles améliorées ? Quels sont les moyens dont vous disposerez demain pour l'enseignement agricole ? Vous avez souligné l'excellence de l'enseignement agricole, mais elle est due à l'engagement des établissements qui tentent de faire avec les moyens du bord et pas forcément avec les moyens à bord. Allez-vous mettre un frein à cette baisse des ETP ? Les MFR sont en cours de reconventionnement : quelles sont les marges de manoeuvre dont vous disposez financièrement sur ce point ?

Concernant les différentes formations, nous avons découvert une forte concurrence avec des filières ouvertes par l'Éducation nationale qui viennent concurrencer celles proposées par l'enseignement agricole. Quelle analyse faites-vous de cette répartition de l'offre sur l'ensemble du territoire et de cette concurrence de l'Éducation nationale ?

Quelles sont vos projections pour la prochaine rentrée, sachant que l'enseignement agricole privé, notamment, a eu de grosses déconvenues financières puisque tous les produits qui aident les établissements à fonctionner financièrement (mise à disposition des chambres, de l'internat, manifestations extérieures pour les week-ends, vente des produits) ont cessé. Comment allez-vous assurer la rentrée scolaire avec une baisse d'effectifs et une compensation financière ?

Mme Valérie Baduel. - Tout d'abord, vous avez mentionné une perte d'arbitrage mais je n'emploierais pas ce terme. Nous évoluons dans un contexte de fortes contraintes sur les finances publiques. Aujourd'hui, nous avons pris les mesures nécessaires pour que nos établissements arrivent à remplir leurs missions et atteindre les objectifs, tout en respectant cette trajectoire. Comme vous l'avez indiqué, un de nos enjeux est d'enrayer la baisse des effectifs d'élèves, étudiants et apprentis, qui a recommencé avec la crise de la covid en 2020. En effet, les spécificités qui faisaient la richesse de l'enseignement agricole, en particulier les internats, ont été vues par certains élèves ou certains parents comme des handicaps. De plus, l'année dernière comme cette année, l'absence de journées portes ouvertes en présentiel pour valoriser la qualité de l'environnement a été dommageable pour le recrutement de nouveaux apprenants.

En ce qui concerne la projection pour la rentrée prochaine, je peux uniquement vous dire ce que je souhaite : augmenter les effectifs. L'ensemble des moyens qui sont en notre possession sont mis en oeuvre pour augmenter le nombre d'élèves, étudiants et apprentis. Les établissements ont organisé des journées portes ouvertes virtuelles. Nous lançons une campagne de communication numérique, pas uniquement à cause des contraintes sanitaires, mais également pour toucher davantage de jeunes grâce à ce vecteur de communication. Les collégiens qui vont faire des choix sur AFFELNET (affectation des élèves par le net) pour rentrer en seconde sont la cible principale. Il est impossible de prédire le résultat de ces campagnes. En fonction des effectifs, les trajectoires budgétaires pourront être revues et cela fera l'objet d'une discussion interministérielle.

Vous avez indiqué que nous venons d'arriver à la fin d'une saison de protocole avec l'Union nationale des maisons familiales rurales (UNMFR). Il est clair que l'enseignement privé de temps plein et en rythme approprié a souffert de la décroissance des effectifs des apprenants agricoles ces dernières années. Nous allons avoir un dialogue très constructif ces prochaines semaines ou prochains mois pour renégocier le prochain protocole, avec une ambition partagée que les MFR augmentent leurs effectifs et que nous puissions soutenir ce développement.

Concernant la concurrence avec les filières ouvertes par l'Éducation nationale, je pense que ce n'est pas tant un problème de concurrence que de marge de progrès en matière de coordination. Tout l'enjeu avec la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale est de renforcer le dialogue à l'échelle locale pour optimiser les processus d'orientation et l'organisation des cartes de formation. Je ne sais pas à quelle formation vous faites référence mais souvent, sous des intitulés un peu proches, des différences sont notables. Par exemple, nos formations en matière de services à la personne sont fortement liées à la ruralité. Nous sommes attachés à renforcer la concertation et le dialogue au niveau local entre les acteurs de la construction des offres de formation et les acteurs de l'orientation. Et enfin, nous renforçons les passerelles entre les deux systèmes.

Vous avez souligné les problèmes financiers rencontrés par les établissements privés. Les établissements publics ont également connu des difficultés, notamment du fait de leur statut public, qui ne leur permettait pas d'être éligibles à des dispositions de chômage partiel. Nous avons quand même dégagé l'année dernière près de 14,5 millions d'euros de crédits supplémentaires, sur lesquels plus de 10 millions d'euros ont été accordés aux établissements (7 millions au public et 3 millions au privé), sur la base de la réalité de leur situation financière, vue avec les établissements. Nous comptons bien apporter cette année encore ce soutien qui sera sans doute nécessaire.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Cette enveloppe a été élaborée pour les établissements classés en priorité 1 (« P1 »), qui étaient en rupture de trésorerie et presque au bord de la fermeture. Allez-vous aider les P2 et les P3 ? Un classement des établissements en grande difficulté a été réalisé en octobre dernier. Les établissements P1 regroupaient ceux qui risquaient d'être en faillite à très court terme. Mais les P2 et P3 sont également dans une situation financière fragile, voire précaire.

Mme Valérie Baduel. - Nous sommes en train de faire un point très détaillé de la situation effective à date de tous nos établissements pour identifier les besoins et, de nouveau, établir une priorité et un plan d'action. En 2021, nous sommes dans une démarche d'apporter un soutien aux établissements qui sont le plus en difficulté. Il se peut d'ailleurs que certains établissements en P1, déjà aidés, doivent l'être à nouveau.

M. Joël Labbé. - Madame la directrice générale, merci beaucoup de cette présentation. Un certain nombre de jeunes aspirent à s'installer en agriculture biologique. Est-il prévu une formation spécifique, au-delà du tronc commun, vers l'agriculture biologique ?

Dans le même sens, beaucoup aspirent au travail en circuit court. Est-il prévu une formation adaptée pour ces projets, au niveau de la transformation, de la vente ?

Par ailleurs, est-il prévu une formation adaptée aux acteurs jeunes et moins jeunes non issus du milieu agricole ? Nous aurons besoin de cette population qui souhaite s'inscrire dans la profession agricole pour assurer le renouvellement des générations.

Mme Françoise Férat. - Nous terminons une mission intitulée « agriculteurs en situation de détresse », qui traite de la souffrance au travail pouvant conduire au pire. Au fil de nos auditions, il est apparu que certains de nos interlocuteurs semblaient regretter une formation qu'ils jugeaient insuffisante sur le volet administratif. Comment la formation de l'enseignement agricole prend-elle en charge la formation administrative des agriculteurs aujourd'hui ? Avec la numérisation et les normes environnementales et européennes, la gestion administrative s'étoffe encore. Comment former ces jeunes pour en faire des chefs d'entreprise aguerris et, ainsi, devenir de véritables « managers de la ruralité » ?

Mme Marie-Christine Chauvin. - Merci, Madame la directrice générale, pour votre exposé prononcé avec passion et motivation. Vous insistez sur le déficit de notoriété des établissements d'enseignement agricole et la baisse du nombre d'apprenants. Pour ma part, il me semble que les MFR sont particulièrement touchées par ces deux pénalités. Une remontée des MFR de mon département concerne l'accueil des jeunes avant 14 ans. Elles accueillent des élèves de 4ème et de 3ème, mais regrettent de ne pouvoir accueillir d'élèves avant 14 ans car les MFR accueillent sous le statut de l'apprentissage, qui se retrouvent alors en décrochage scolaire. Une dérogation peut-elle être envisagée ?

Mme Valérie Baduel. - Madame Férat, je partage évidemment vos inquiétudes quant au suicide des agriculteurs. Nous nous attachons à contribuer activement à sa prévention par la formation humaine, les notions de groupe, de collectif, d'équipe, de confiance en soi et de solidarité. Ces valeurs sont essentielles pour rompre la solitude de l'agriculteur dans son exploitation face à ses problèmes. Nouer un collectif et un réseau de solidarité est extrêmement important. Par ailleurs, concernant les compétences administratives et de gestion, après une consultation menée en 2019 et 2020, nos formations évoluent et apportent des compétences sur la réalité d'un coût, le calcul de la rentabilité, la gestion économique, la chaîne de valeur, les autres voies de distribution et de commercialisation. Cet enrichissement de nos formations permet à nos élèves, étudiants et apprentis d'être mieux armés qu'auparavant.

En ce qui concerne le numérique, notre enseignement agricole propose des TIM (technologies informatiques et médias) qui ont été développées pour que nos jeunes soient compétents dans la manipulation de ces outils.

Quant à la question de M. Labbé sur l'agriculture biologique, nous la considérons comme un des développements d'une approche agroécologique. Il est fondamental que tous nos élèves aient une approche de la production conçue sur une approche intégrée des cycles biologiques. Si certains veulent aller plus loin et se lancer dans l'agriculture biologique, il faut au préalable qu'ils aient la boîte à outils de base de l'agroécologie. Pour certains diplômes, des mentions « agriculture biologique » existent et peuvent être délivrées. Une convention existe également avec la filière bio pour développer ce type de modules ou de formations complémentaires. Un quart de notre surface agricole utile est déjà en agriculture biologique. Cela démontre notre engagement clair dans ce processus. Cela ne signifie pas que toute l'agriculture de demain doit être en bio : il faut que l'agriculture française soit diverse mais, a minima, toute l'agriculture française doit être agroécologique.

Sur les circuits courts, il s'agit de munir les jeunes et les moins jeunes d'un bagage leur permettant de ne pas être uniquement dépendants d'opérateurs de distribution qui leur imposeront un modèle et de pouvoir, le cas échéant, développer leur propre modèle. Les circuits courts sont une source de revenus complémentaires pour nombre d'agriculteurs.

Nos formations sont déjà adaptées pour des personnes non issues du milieu agricole. En effet, dans nos effectifs, seule une petite partie des jeunes sont issus du milieu agricole, y compris dans les formations de production agricole. Cela fait donc des années que nous accueillons des jeunes issus de milieux urbain et péri-urbain. Toute notre pédagogie est déjà conçue pour les intégrer. Il en va de même pour les moins jeunes, issus du milieu urbain, qui seront de plus en plus nombreux. Nous ressentons une tendance de cette population en pleine réorientation et en quête de sens dans leur travail.

Par ailleurs, s'agissant des MFR, je précise que nous travaillons activement avec elles dans le cadre de la baisse des effectifs. Je comprends votre raisonnement sur l'accueil des jeunes de moins de 14 ans et dans une certaine mesure, j'y adhère. Toutefois, la réglementation est liée à la sécurité dans ces formations professionnalisantes. Même avec les plus de 14 ans et un plan de mise en sécurité des apprenants, l'accidentologie est non négligeable. Il faut trouver un seuil, un équilibre entre le souci d'insérer les jeunes et de les protéger. Donc, aujourd'hui, nous ne sommes pas dans une trajectoire pour essayer d'obtenir une dérogation à cette limite d'âge.

Mme Marie-Pierre Monier. - Je rebondirais sur les propos de Mme Delattre. J'insiste sur le budget et la suppression des 300 postes. Nous étions unanimes au Sénat pour voter contre le budget proposé. Nous avions auditionné des enseignants qui révélaient une difficulté à appliquer les réformes récentes du lycée en apprentissage. Avez-vous un retour sur ces réformes du baccalauréat d'apprentissage dans le cadre de l'enseignement agricole ?

Vous avez mentionné une campagne numérique pour promouvoir l'enseignement agricole. Avez-vous ciblé également les chefs d'établissement des collèges et lycées ?

Concernant la transition écologique, constatez-vous une évolution des attentes de la jeune génération dans ce domaine ?

Avec 62 % des élèves en internat, quel est votre retour sur la mise en oeuvre des protocoles sanitaires dans les classes pendant la crise de la covid-19 ? Un aménagement a-t-il été proposé aux élèves dans leur recherche de stage ? Ont-ils bénéficié d'un soutien psychologique pour les accompagner ?

Vous avez mentionné une enveloppe de 10,2 millions d'euros. Seuls les établissements en urgence financière ont été aidés. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Avez-vous des retours sur l'état de leur trésorerie à ce jour ?

Vous avez évoqué 45 % de femmes présentes dans l'enseignement agricole. Je crois que cela couvre une réalité très hétérogène selon les filières et les niveaux de formation. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Et enfin, quelle est la place des nouveaux entrants en reconversion dans l'enseignement agricole ?

Mme Annick Billon. - Je m'associe aux remerciements de la rapporteure pour vos mots en début de séance. Vous avez dressé, Madame la directrice générale, un tableau très idyllique de l'enseignement agricole, avec un état des lieux assez complet en termes de chiffres, avec des moyens humains et financiers en augmentation. À travers cette présentation, l'enseignement agricole rime avec épanouissement, débouchés professionnels, enseignement inclusif, réussite. Nous percevons à travers vos mots que vous êtes engagée pour que cette présentation soit la réalité du terrain.

Ma première question est la suivante. L'enseignement agricole est dispensé dans une variété d'établissements. Pensez-vous que cette variété participe à la richesse des méthodes pédagogiques ou que cela nuit à une certaine lisibilité dans l'orientation pour les jeunes ?

Ma deuxième question porte sur les établissements privés, qui accueille majorité des effectifs. Sont-ils plus à même de dispenser des méthodes alternatives pédagogiques ?

Je crois que le réseau MFR a été extrêmement fragilisé par la pandémie. Je ne suis pas persuadée que les MFR sont aujourd'hui dans une situation confortable. Pouvez-vous revenir sur leur situation ?

Dans le prolongement des propos tenus sur la connaissance et la reconnaissance de l'enseignement agricole, n'est-elle pas liée au fait que l'Éducation nationale est parfois en compétition et qu'elle a une mauvaise connaissance de l'enseignement agricole, et peut-être une non-reconnaissance de celui-ci ?

Pour finir, je reprends la question de Mme Monier. L'orientation de l'enseignement agricole n'est-elle pas extrêmement stéréotypée pour les jeunes filles ?

Mme Valérie Baduel. - Je répondrais dans un premier lieu à la question sur les jeunes filles. En effet, derrière le pourcentage global se cache une certaine diversité. Elles sont plus nombreuses dans les filières services et métiers en lien avec les animaux. Nous sommes très inclusifs et les messages sont indépendants du genre. Au sein même des formations et des établissements, nous avons un travail important sur l'égalité des genres, les diversités et le respect de l'autre. Nous essayons de casser ces stéréotypes une fois que les jeunes sont dans notre enseignement. Même si nous n'avons pas de cible genrée, nous subissons les stéréotypes que certains ont acquis en amont. Pour autant, nous accueillons beaucoup de jeunes filles, y compris dans nos filières production et agroéquipement. Nous valorisons leurs témoignages.

Nous veillons à ce que le protocole sanitaire contre la covid-19 soit appliqué. Les DRAAF ont un rôle essentiel à jouer en la matière. Tous nos établissements ont joué le jeu. Nous n'avons pas de remontées particulières. Évidemment les mesures ont été difficiles à gérer entre confinement, déconfinement, demi-jauge, instructions qui évoluent toutes les semaines. Je tiens à saluer la mobilisation et la réactivité de toute la communauté de l'enseignement agricole qui a adapté les formations et les modalités d'accueil. Les exigences en matière de stage ont été adaptées que ce soit pour l'enseignement technique ou supérieur. Nous avons aussi adapté les modalités d'examen.

Quant aux « aides covid », nous avons dégagé 10,2 millions d'euros que nous avons apportés aux établissements classés en priorité 1. Elles ont été réparties comme suit : 6,9 millions d'euros pour le public, 1,8 million pour les MFR, 1,2 million pour le Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP), 278 000 euros à l'Union nationale rurale d'éducation et de promotion (UNREP). Parmi les établissements privés, les MFR ont donc reçu l'aide la plus importante. Je ne voudrais pas minimiser les difficultés rencontrées par les établissements publics qui ne bénéficiaient pas de certaines aides, comme le chômage technique. Nous allons essayer de reproduire ce soutien. Les MFR, outre la difficulté économique, ont également souffert pour leur recrutement. La baisse observée entre 2019 et 2020, qui a brisé les efforts que nous avions faits auparavant, portait essentiellement sur les MFR, 4ème, 3ème, Bac Pro, filière services à la personne.

Pour répondre à Mme Billon sur la diversité des établissements, je ne pense pas que ce soit un handicap. Une diversité d'établissements recouvre souvent une diversité de pédagogies, en particulier la pédagogie par alternance. Celle-ci est peut-être plus connue que les autres par l'Éducation nationale. Cette diversité est utile et permet d'accueillir des publics très diversifiés avec des formations variées.

Concernant les enseignements privés et leur capacité à proposer une méthode alternative pédagogique, la réponse est positive mais c'est également le cas pour le public.

Vous évoquiez une compétition avec l'Éducation nationale. Pour ma part, je parlerais de connaissance à renforcer. Il y a encore des progrès à faire. Les retours sont très variables selon les établissements et les régions. Dans notre plan d'action, nous devons renforcer notre capacité à nous faire connaître et reconnaître à l'échelle du département, car les directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN) interviennent à cette échelle.

Pour ce qui est de la campagne de communication, cette dernière ne cible pas les établissements. La campagne numérique que nous allons lancer ce mois-ci cible prioritairement les jeunes. Ce sera un bénéfice indirect pour toucher des prescripteurs, mais ils ne sont pas la cible première. Nous essayons de toucher les prescripteurs grâce à la mobilisation de l'Éducation nationale, notamment la direction générale de l'enseignement scolaire, et de l'ONISEP, qui connaît parfaitement et reconnaît l'enseignement agricole. Les professeurs jouent un rôle croissant dans le processus d'orientation.

Quant à la question sur les nouveaux entrants dans l'enseignement agricole, effectivement nous avons beaucoup de jeunes et moins jeunes qui s'orientent vers l'agriculture alors qu'ils ne sont pas issus de ce milieu. Nous les préparons et c'est un enjeu majeur pour le renouvellement des générations.

Mme Pascale Gruny. - Merci, Madame la directrice, pour l'optimisme que vous nous avez partagé, même si ce n'est pas forcément ce que nous entendons sur le terrain, et votre volonté de faire avancer ces sujets.

J'ai pris connaissance de l'approche psychologique et de prévention du suicide chez les agriculteurs à travers vos propos. Vous avez également souligné l'accent mis dans l'enseignement agricole sur le savoir-être et l'estime de soi. En revanche, pour les parents qui ont des enfants qui décident d'aller dans la filière agricole, cette décision est parfois difficile à accepter. L'agribashing est bel et bien présent. Les lycées de mon département ont des difficultés à recruter des apprentis, alors que les exploitations en ont besoin. L'agriculture souffre d'une mauvaise image.

Par ailleurs, un autre constat s'est imposé dans un lycée que j'ai visité récemment. Aucun élève ne souhaitait être chef d'exploitation. Ce point est à étudier pour le renouvellement des générations d'agriculteurs.

Enfin, je souhaite souligner la difficulté pour les lycées d'obtenir des financements pour rénover des bâtiments. En fonction de leur statut, il faut s'adresser à la Région, à la Chambre d'agriculture, etc. Cette différence de statut entraine des complexités.

M. Vincent Segouin. - Madame Baduel, avez-vous visionné l'émission E=M6, lundi soir, qui mettait en évidence la différence entre l'agriculture conventionnelle, l'agriculture de conservation et l'agriculture biologique ? Dans cette étude, il est démontré les traces de résidus dans les farines et les valeurs gustatives du pain. C'est la première fois que j'entends une émission aussi objective sur le sujet. Ce type d'expérimentation est-il suivi dans les lycées professionnels agricoles ?

Par ailleurs, j'ai l'impression que les élèves qui sortent de l'enseignement agricole ne sont pas armés pour étudier un bilan comptable et faire des choix de rentabilité économique. Il serait facile d'organiser des cours d'expertise comptable pour armer nos jeunes pour leur avenir professionnel.

Le principal défaut chez les agriculteurs est la commercialisation des produits. Leur formation couvre-t-elle ce champ d'activité ?

Enfin, quel sentiment portez-vous sur le regard de l'Éducation nationale par rapport aux MFR ?

M. Frédéric Marchand. - Je voudrais revenir sur les propos que vous avez tenus en introduction sur la présence dans les territoires et l'importance des établissements pour la ruralité. Avec la crise, il se crée une nouvelle appétence du milieu urbain pour les questions agricoles. Cette accroche en direction d'un monde urbain fait-elle partie de vos priorités et des pistes que vous exploitez ? J'ai bien entendu que les apprenants, en majorité, ne sont pas issus du monde agricole. L'agriculture urbaine est une réalité dont de nombreuses collectivités territoriales s'emparent. Est-ce une piste suivie par l'enseignement agricole ?

Mme Céline Brulin. - Madame la directrice générale, vous avez effectivement fait preuve d'un grand enthousiasme communicatif mais qui ne m'a pas convaincue sur tous les points. Je vais revenir sur certaines questions. J'entends dans vos propos que l'enseignement agricole doit regagner des élèves pour regagner des moyens. Pourtant à la lecture des chiffres, j'émets un doute sur le raisonnement consistant à conditionner l'attribution de moyens supplémentaires à une croissance des effectifs. En effet, même lorsque les effectifs augmentent, cela ne se traduit pas systématiquement par plus de postes. Ce manque de moyens a un impact sur l'objectif même de rendre l'enseignement plus attractif. Des filières qui pourraient ouvrir n'ouvrent pas. Des options ne peuvent être mises à disposition. Vous avez mentionné des pédagogies innovantes, beaucoup de pratique. Mais le manque de moyens joue également sur ces points. Nous avons l'impression que tout ce qui faisait les atouts de l'enseignement agricole est terriblement impacté par ces décisions budgétaires et que les atouts finissent par s'affaiblir.

Je reviens également sur la question des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), qui sont plus mal rémunérés dans l'enseignement agricole que dans l'Éducation nationale. C'est une chose que l'on doit corriger. Vous avez raison de dire que vos établissements travaillent sur l'inclusion, mais cela passe par la reconnaissance des AESH - qui sont souvent des jeunes femmes - qui les accompagnent.

M. Jean-Marc Boyer, président. - Je vais compléter avec deux questions. Dans l'enseignement agricole, il y a 20 ou 30 ans, les élèves avaient un projet d'installation. 60 à 70 % des élèves étaient issus du milieu agricole et venaient avec une idée précise. Aujourd'hui, le chiffre est moindre. Que pensez-vous de cette évolution ?

Concernant l'impact de la pandémie de covid-19, vous avez parlé de souveraineté alimentaire. Mais le phénomène de retour à la campagne ne va-t-il pas entraîner de nouvelles motivations d'installation de jeunes ? Cela peut-il être une source de recrutement pour des élèves qui reviennent s'installer dans les territoires ruraux ?

Mme Valérie Baduel. - Pour ce qui est du phénomène de retour à la campagne, nous devons saisir comme des opportunités certaines conséquences de la crise. Les Français ont compris que l'alimentation était essentielle et que vivre à la campagne offrait une qualité de vie.

Nous développons des travaux, y compris dans l'enseignement supérieur agricole, sur l'agriculture urbaine. Pour exemple, le potager sur le toit d'AgroParisTech, rue Claude Bernard. Certes, ces projets répondent à une demande sociétale, mais ce n'est pas avec l'agriculture urbaine que l'on nourrira la France demain. C'est parfois un autre mode de culture et une autre approche.

Monsieur Segouin, je n'ai pas vu l'émission de M6. Je suis donc démunie pour vous répondre avec précision. Cependant, je suis particulièrement concernée par la question de la valeur gustative et des traces de contaminants. Il est important pour nous d'assurer pour nos jeunes une formation fondée sur la science. Outre cette formation scientifique avec un socle à jour, nous les formons également sur les controverses sociétales vives et les débats. Avec les TIM, ils apprennent également à aller chercher l'information sur le net, à faire le tri et à avoir une approche critique.

Concernant l'agribashing, la formation de l'enseignement agricole pâtit de la mauvaise considération que peuvent avoir l'agriculture et l'alimentation dans une partie de la population. J'ai indiqué que nous avions lancé une grande campagne de communication sur les formations. Une campagne sur les métiers et la noblesse du métier et de l'agriculture va également suivre. C'est un travail permanent du ministère qui a réussi à mobiliser d'importants crédits du plan de relance sur cette communication.

Quant à la difficulté des lycées d'avoir des apprentis, là aussi, c'est un travail permanent. Toutefois, cette difficulté est variable selon les établissements. L'important est de développer la communication sur ces formations et d'organiser des visites. Or nous sommes encore handicapés par cette interdiction d'organiser des journées portes ouvertes en présentiel.

Concernant la question des jeunes qui ne seraient pas armés pour la gestion, l'économie et la commercialisation des produits, je ne partage pas cette perception. Dans nos formations, nous avons d'importants modules d'économie et de gestion. Ils évoluent en permanence. Il est possible que les anciens diplômés n'aient pas bénéficié d'une formation aussi solide que celle délivrée aujourd'hui. Cependant, nous avons pour mission de faire de nos jeunes de vrais gestionnaires, pour générer des revenus et le cas échéant diversifier leur production.

Je pense que l'originalité du modèle pédagogique des MFR est identifiée par nombre d'acteurs de l'Éducation nationale qui montrent un intérêt, une curiosité pour cette pédagogie. Pour preuve, les différents ministres de l'éducation nationale s'intéressent à ces dispositifs et, au-delà des MFR, aux innovations pédagogiques de l'enseignement agricole, telles que la pluridisciplinarité ou l'acquisition progressive des diplômes par blocs de compétences. Dans certains cas, l'enseignement agricole est pris comme poisson-pilote. Dans l'enseignement supérieur, nous avons conduit une réforme sur la semestrialisation du BTS. Le ministère de l'enseignement supérieur était très intéressé par cette expérience. Je réaffirme l'idée selon laquelle nous sommes complémentaires et non en concurrence.

M. Jean-Marc Boyer, président. - Je donne souvent l'exemple de la mise en place du bac en contrôle continu que l'Éducation nationale semble découvrir. Dans l'enseignement agricole, cela existe depuis 1985, preuve de l'innovation de l'enseignement agricole.

Mme Valérie Baduel. - Vous venez de faire l'éloge de notre système !

Vous avez évoqué la question du projet d'installation et de l'absence de désir d'être chef d'exploitation. Au-delà du fait que les jeunes ne sont plus en majorité issus du milieu agricole, les jeunes d'aujourd'hui ne sont plus les jeunes d'hier. Au niveau de l'enseignement technique et supérieur, une plus grande partie des jeunes privilégie une position de salariat. Cela peut désarçonner le milieu professionnel. Il faut s'adapter aux évolutions des ambitions et des exigences des jeunes. Cela vaut aussi pour les vétérinaires.

Vous avez l'impression qu'en coût unitaire, les AESH sont moins payés par l'enseignement agricole, mais tout dépend des données et des ratios. En effet, en pratique les textes sont les mêmes, avec un statut et une rémunération identique. Je tiens à signaler les efforts pour soutenir le handicap. La ligne du programme consacrée à la prise en charge du handicap a été fortement augmentée (94 % entre 2018 et 2020), ainsi que le nombre de semaines de travail prises en compte dans la rémunération avec plus de recours à des contrats à durée déterminée (CDD) de 3 ans qu'auparavant. L'alignement est total par rapport à l'Éducation nationale. Nous avons mis fin aux contrats aidés. Nous avons augmenté les moyens avec 715 équivalents temps plein (ETP) d'auxiliaire de vie scolaire dans notre dispositif. Le sujet des AESH donne lieu à des échanges réguliers avec les représentants du personnel au niveau national. Certes, la position de CDD n'est pas facile à vivre, mais il s'agit du statut des AESH qui n'est pas propre au ministère de l'agriculture. Cette situation de CDD est liée au fait qu'il est impossible de prévoir d'une année sur l'autre la répartition et la nature des handicaps des jeunes qui seront dans nos établissements.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Nous avons été trois à vous poser la question sur les ETP. Vous n'y avez pas répondu. Je repose la question de façon claire. En prévision, il y aura 110 ETP en moins en 2022, allez-vous les supprimer ou non, face aux difficultés que rencontrent les établissements ? La chute des effectifs des professeurs a été plus forte que la décroissance des effectifs des élèves. Clairement quelle est votre réponse par rapport à cette baisse des ETP ? Nous pensons que ce n'est pas sage de continuer dans ce prévisionnel.

Nous souhaitons aborder un autre point. Certes au départ, l'Éducation nationale n'était pas en concurrence avec les formations agricoles. Mais aujourd'hui, c'est le cas, notamment à cause de la covid-19. En effet, les MFR sont rarement reliées par une ligne de bus et beaucoup de parents ont fait le choix, compte tenu des enjeux de mobilité et des obligations sanitaires et financières, de rapatrier leurs enfants sur des formations dans des établissements de l'Éducation nationale. Peut-être trop d'offres sont-elles disponibles, compte tenu de ce nouvel état de fait sanitaire ? Cela a montré la fragilité de l'enseignement agricole.

On vous laisse par ailleurs le temps de répondre par écrit au questionnaire que nous vous avons adressé.

Mme Valérie Baduel. - Concernant la trajectoire d'emplois, vous évoquez la période récente, alors qu'il faut regarder sur un temps beaucoup plus long. Ces dernières années ont vu des mouvements d'emplois. On ne peut pas lier les effectifs d'élèves aux effectifs des enseignants et ETP. Nous nous sommes inscrits dans la trajectoire qui nous avait été fixée. À ce jour, nous arrivons à tenir cette trajectoire grâce à la mobilisation des autorités académiques et des directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) qui ont fait un travail de réflexion sur l'offre et l'utilisation des moyens.

Nous avons également pu actionner différents leviers, dont la question de la réforme des seuils. Cela a déjà été évoqué par Mme la sénatrice Férat dans son rapport : elle relevait que nombre d'établissements avaient des demandes de jeunes non honorées à cause de ces seuils. Dans un contexte où notre ambition est d'augmenter notre activité, il était suicidaire de conserver ces seuils de censure. Nous avons donc procédé à une réforme de ces seuils en les rendant indicatifs et en nous remettant à la sagesse et à l'intelligence des équipes de terrain. Nous avons remis le pouvoir de choix, de décision et d'orientation au niveau des établissements, sous la supervision des DRAAF qui veillent à assurer que les choix aient du sens. Ils assurent en plus une vision globale entre les différents établissements et types de formations. Ce système de régulation de l'offre de formation permet d'éviter que les établissements se fassent concurrence entre eux. Les ouvertures de classes dépendent de l'offre déjà présente et des besoins d'insertion professionnelle du territoire. Je n'ai pas connaissance que le schéma d'emplois ait empêché les établissements d'accueillir les élèves dans des conditions satisfaisantes. En revanche, la réforme des seuils n'a pas été appliquée pour les apprentissages dangereux, afin de garantir la sécurité.

Nous avons également bénéficié des marges de manoeuvre que nous ont offertes les réformes des baccalauréats techniques, technologique et général, qui ont permis de libérer de la dotation globale horaire (DGH). Alors même que nous avions ce schéma d'emploi à opérer, nous avons pu apporter aux établissements de la DGH libre non affectée afin de pouvoir répondre aux enjeux locaux et, par exemple, développer un nouveau module de formation.

Selon moi, le schéma d'emploi est gérable et géré même si évidemment, il serait plus facile pour tout le monde d'avoir des effectifs constants ou en augmentation. Mais ce n'est pas la trajectoire actuelle. Si nos campagnes de communication devaient entraîner des hausses importantes d'apprenants, il y aurait nécessairement une clause de revoyure.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Vous bénéficiez d'un effet d'aubaine, car aujourd'hui les apprentis disparaissent de votre enveloppe. En effet, les aides à l'apprentissage ne sont plus sur votre enveloppe 142. Les établissements ont pris l'option apprentissage qui représente une aide conséquente. Là aussi, un effet de concurrence opacifie les chiffres.

Mme Valérie Baduel. - L'apprentissage est aussi une voie de réussite des jeunes. Nous nous réjouissons de l'augmentation d'élèves apprentis depuis plusieurs années dans l'enseignement agricole technique. Cependant, elle ne compense pas les baisses des élèves en voie scolaire. Ce ne sont pas des vases communicants. Nous veillons à ce que la prise en charge financière de l'apprentissage ne soit pas une perte pour les établissements.

Existe-t-il un risque pour les établissements à renforcer l'apprentissage cette année ? Malheureusement, à ce jour, je ne suis pas en mesure de vous donner le nombre d'apprentis - c'est d'ailleurs un défi technique pour nous. Je ne pense pas voir un bond énorme de l'apprentissage à cause de ces opportunités. Je ne pense pas que les établissements seront mis en difficulté. Si les mesures prises sur l'apprentissage peuvent renforcer l'adhésion de tous à cette formule, je m'en réjouirais. Je considère que l'apprentissage est une voie aussi noble que la voie scolaire.

Pour finir, vous avez mentionné la concurrence de l'Éducation nationale sur les MFR. Les MFR ont énormément pâti des conséquences de la crise. Le fait que les jeunes soient conduits à être internes et donc éloignés de leurs parents a conduit nombre d'entre eux à opter pour d'autres types d'établissements à la rentrée 2020. Ce qui était autrefois un atout représente aujourd'hui un désavantage. Selon moi, ce n'est pas tant la concurrence de l'Éducation nationale, mais plutôt des parents qui ont choisi un établissement plus proche de chez eux, à la fois pour des raisons économiques et aussi par repli et peur. Les atouts de l'enseignement agricole, comme l'internat ou un campus dans la nature et donc peu accessible à pied, constituent des obstacles en ce moment.

M. Jean-Marc Boyer, président. - Nous avons épuisé les questions. Nous attendons votre retour sur le questionnaire qui vous a été adressé. Prenez le temps de le compléter. Je pense qu'à la fin de l'ensemble des auditions d'ici le mois de juin, nous serons peut-être amenés à nous revoir. Si vous êtes volontaire et disponible pour revenir, ce sera avec plaisir que nous vous accueillerons à nouveau. Nous vous remercions de nous avoir rejoints ce soir.

Mme Valérie Baduel. - Merci, Monsieur le président. Je vous confirme que je suis tout à fait disposée à revenir vous parler de l'enseignement agricole, à votre convenance.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 30.