Mercredi 3 mars 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Transformation des services bancaires et conditions de leur accès - Audition de M. François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), MM. Denis Beau, premier sous-gouverneur de la Banque de France, et Matthieu Robin, chargé de mission banque et assurance à l'UFC-Que Choisir

M. Claude Raynal, président. - Notre matinée est consacrée à l'évolution des services bancaires et à l'avenir de la banque de détail, autour de deux tables rondes successives.

Avant la crise sanitaire, la profession bancaire faisait l'objet de transformations profondes, sur lesquelles notre commission a déjà travaillé à plusieurs reprises. Les facteurs sont connus : les évolutions réglementaires, l'apparition de nouveaux acteurs, le contexte durable de taux bas ou encore la transition numérique.

La période que nous traversons depuis un an accélère encore cette mutation. Une étude récente du cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG) estime qu'avec la crise sanitaire, l'évolution des services bancaires vers des canaux digitaux s'opère trois à quatre fois plus rapidement.

Certaines évolutions peuvent correspondre aux demandes des consommateurs, aux nouveaux usages des outils numériques, mais elles peuvent résulter aussi d'une démarche des acteurs bancaires eux-mêmes pour améliorer leur rentabilité. Ainsi, en novembre dernier, à l'occasion d'un discours sur les institutions financières françaises face à la crise, le gouverneur de la Banque de France, M. François Villeroy de Galhau, a souligné que, pour les banques françaises, « la bataille doit porter sur la rentabilité plus que sur la solvabilité », appelant pour cela à « l'adaptation des modèles d'affaires ».

La recherche d'une rentabilité accrue risque de se répercuter sur le consommateur en termes de coût et de facilités d'accès aux services bancaires et il appartient au législateur de rester vigilant face aux carences et exclusions qui pourraient en résulter.

Notre matinée s'organisera en deux temps : un premier temps sera consacré aux services bancaires et à leur accessibilité, en s'intéressant en particulier à la demande des clients particuliers et professionnels et à la manière dont les acteurs bancaires y répondent ; un second temps se concentrera sur le modèle bancaire en lui-même, en associant les banques dites traditionnelles et les acteurs innovants qui les concurrencent.

Pour faire le point sur la transformation de l'offre et de la demande de services bancaires, nous avons le plaisir d'accueillir quatre intervenants, que je remercie pour leur présence : M. Denis Beau, premier sous-gouverneur de la Banque de France ; Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF) ; et, en visioconférence, M. François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ; et M. Matthieu Robin, chargé de mission banque et assurance à l'UFC-Que Choisir.

Je cède tout d'abord la parole à M. Denis Beau pour un bref propos liminaire sur les évolutions structurelles et conjoncturelles observées par la Banque de France en matière de services bancaires.

M. Denis Beau, premier sous-gouverneur de la Banque de France. - Dans le cadre de la mission que leur a confiée le législateur de soutenir l'inclusion financière, la Banque de France et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) suivent l'évolution des services bancaires avec pour objectifs de veiller à l'équité de leur accès et de prévenir les difficultés financières pour leurs souscripteurs les plus fragiles.

J'organiserai mes observations sur l'évolution des services bancaires les plus courants - comptes, moyens de paiement, crédit - au regard de ces deux objectifs, en soulignant les points forts et d'amélioration de la situation actuelle et les opportunités et les risques crées par l'accélération en cours de la numérisation des services financiers.

En termes d'équité d'accès, une récente enquête du Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) pour le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) montre que la quasi-totalité de la population française dispose aujourd'hui d'un compte de paiement et que cette situation s'est améliorée depuis vingt ans. C'est le résultat combiné d'une offre large des établissements bancaires français, qui s'est encore enrichie avec l'apparition de nouveaux acteurs et de l'attention constante des pouvoirs publics à ce sujet.

Dès 1984, la loi a institué le droit au compte, dont la mise en oeuvre a été confiée à la Banque de France et qui concerne tant les particuliers - qui représentent 80 % des bénéficiaires - que les professionnels ou personnes morales. L'an passé, un peu plus de 36 000 désignations de banques ont été réalisées par la Banque de France au titre du droit au compte. Avec son corollaire, les services bancaires de base, c'est un outil d'inclusion financière qui demeure indispensable.

La dynamique positive en termes d'équité d'accès bénéficie également de l'action de la Banque de France en matière de moyens de paiement ; nous veillons à ce que tous nos concitoyens aient une liberté de choix et bénéficient pleinement et en toute sécurité des innovations technologiques dans ce domaine. C'est tout l'objet également de la stratégie portée par le Comité national des paiements scripturaux, qui réunit l'ensemble des parties prenantes, dont d'ailleurs les entités présentes à cette table ronde, et qui vise à stimuler et à faciliter la modernisation des paiements au bénéfice de tous.

S'agissant des financements, il n'existe pas de droit au crédit, mais un accès large qui favorise l'activité économique et l'insertion sociale. La Banque de France promeut le microcrédit pour les ménages, qui trouve une traduction tant pour des projets d'insertion sociale que pour des projets professionnels. Mais l'attention de la Banque de France est également forte vis-à-vis des entreprises et notamment des très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) : ces dernières années, les entreprises ont toujours eu un large accès au financement bancaire, et à des conditions de taux très favorables, y compris au regard des autres pays européens.

Pour les entreprises qui ne parviennent pas à obtenir la mise en place ou le renouvellement d'un crédit, la Banque de France assure la mission de médiation du crédit qui a connu une forte poussée des saisines en 2020 avec un taux de succès d'environ 50 %. Notre action a complété une couverture déjà très large de distribution des prêts garantis par l'État (PGE) en soutien aux entreprises pendant cette crise : plus de 130 milliards d'euros ont été accordés à 650 000 entreprises - à 94 % des TPE ou PME.

Le travail de prévention des difficultés financières réalisé depuis 2013 par l'Observatoire de l'inclusion bancaire (OIB) a permis de sérieuses avancées, via la promotion et la mise en oeuvre attentive d'un dispositif institué par la loi : l'identification des clients en situation de fragilité financière, le plafonnement des frais d'incident, qui a progressé à compter de 2019 avec les engagements des professionnels au profit des clients fragiles et de ceux titulaires de l'offre spécifique, et une offre spécifique de services bancaires. Cette volonté commune des pouvoirs publics et des acteurs privés a fait avancer ce sujet important : plus de 3,4 millions de clients étaient identifiés comme fragiles fin 2019, bénéficiant ainsi des mesures de plafonnement des frais d'incidents pour ceux d'entre eux payant de tels frais, et 512 000 d'entre eux avaient souscrit l'offre spécifique, soit une hausse de 46 % en deux ans, et qui devrait se poursuivre.

Quel impact anticiper de l'accélération de la digitalisation en cours des services financiers ? Cette accélération impulsée par la demande et par l'offre a été encore intensifiée par la crise sanitaire. Elle peut contribuer à améliorer encore l'accès aux services financiers, par exemple via des appareils mobiles, et grâce à la collecte et au traitement sécurisés de données de plus en plus nombreuses et de meilleure qualité, à concevoir des produits mieux adaptés et mieux tarifés au bénéfice des clients fragiles.

Mais l'accélération de la digitalisation est également porteuse de risques. Le premier a trait à la fracture numérique. Même si l'usage du digital s'est sensiblement accru au sein de la population française, il y a une fraction de la population pour laquelle la possibilité d'accéder aux services financiers de proximité, en présentiel, demeure non seulement importante mais parfois nécessaire. C'est pourquoi en matière de traitement du surendettement, de droit au compte, d'information générale du public sur les opérations et les pratiques bancaires, d'accompagnement des TPE et PME, de médiation du crédit, la Banque de France conserve pour sa part une pluralité de canaux : internet, courrier, téléphone mais aussi présence dans chaque département.

Si on élargit le champ aux services bancaires, maintenir un bon équilibre entre numérique et proximité apparaît utile et légitime, même si naturellement les décisions relatives à l'organisation des réseaux bancaires relèvent de la responsabilité des établissements eux-mêmes. Garantir l'accessibilité de tous aux moyens de paiement fait également partie intégrante de la stratégie nationale des paiements, dans un contexte où la sophistication des modes de paiement ou de leur sécurité ne doit pas compromettre leur utilisation par les populations les plus fragiles.

La qualité du service apporté au client ne doit pas être remise en cause. L'ACPR veille à ce que la même qualité de conseil soit apportée lors des décisions d'investissement, de souscription de produits d'assurance, ou de crédits quel que soit le canal de distribution retenu ou la technologie utilisée.

La cyber sécurité des acteurs financiers est essentielle, en particulier celle des sites web et des applications pour smartphones sur lesquelles les clients passent leurs ordres et consultent leurs comptes. Plus généralement, c'est l'ensemble des environnements informatiques des établissements financiers qui requiert une protection élevée face aux risques d'intrusion informatique. L'ACPR, soit au titre de ses missions nationales, soit en soutien de la Banque centrale européenne, pousse donc les établissements financiers à disposer d'un niveau de sécurité élevé.

L'ACPR contribue aussi à la lutte contre les arnaques financières, en mettant en garde le public contre les offres frauduleuses. Ces arnaques sont en forte augmentation, l'usage des vecteurs digitaux constituant un terreau favorable à la démultiplication des sites frauduleux, utilisant pour certains des visuels et caractéristiques très proches de ceux des acteurs dûment agréés, quand ils n'en usurpent pas carrément l'identité. Les entreprises comme les particuliers sont visés. En 2020, 1 081 sites frauduleux ont été inscrits sur les listes noires des acteurs non autorisés publiées par l'ACPR.

Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF). - Je vous remercie pour cette invitation à une table-ronde qui nous permettra d'aller vraiment au fond du sujet et d'échanger sur les services bancaires du quotidien pour accompagner les citoyens dans leurs projets.

Les banques sont des acteurs indispensables de notre société et de notre économie. Je centrerai mon propos sur trois termes : solidité, utilité et proximité de nos services.

Il est important d'avoir des acteurs bancaires sources de confiance et qui ont un dispositif d'évolution continue de leurs services, que ce soit spontanément dans la relation commerciale ou dans le cadre des très nombreuses instances d'échange entre les parties prenantes, comme le Comité national des paiements scripturaux, l'OIB ou le CCSF. C'est une partie de la spécificité française. Le service bancaire est d'abord une réponse aux besoins de la population et à la façon dont la banque voit évoluer ses clients au quotidien. Cela se construit également dans un cadre collectif, comme le montre la présence de la CPME et d'UFC-Que choisir : nous devons écouter les demandes et les critiques, et rester au contact.

Cette façon de faire « à la française » est à la fois une relation commerciale mais aussi une relation de parties prenantes. Ce modèle français est singulier par sa très forte couverture et son universalité. Ne le remettons pas en cause aujourd'hui, alors que cette solidité et cette confiance sont reconnues par les Français qui ont une bonne image de leur banque à 89 % et des banques françaises en général à 68 %. Le rôle de financeur et de bonne réponse au service est reconnu par 82 % des Français, selon le sondage de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) que nous commandons chaque année. Cette enquête montre aussi une attente importante de banques fournissant des services à la fois en proximité physique et en digital : 83 % des clients des banques souhaitent que leur banque continue à offrir les deux ; environ 9 % souhaitent uniquement des services physiques, 8 % uniquement des services digitaux - mais 15 % chez les jeunes.

L'objectif des banques françaises est de répondre à ces attentes extrêmement diversifiées. On ne peut pas parler de standardisation totale des services : nous avons la chance d'avoir un secteur bancaire fort concurrentiel avec de grandes banques. Cette concurrence s'exprime de multiples manières, par des tarifs faibles et qui diminuent - 0,4 % du budget des ménages, contre le double il y a une dizaine d'années. Les taux sont également bas en raison de l'environnement général de taux, mais aussi de cette concurrence. Or il nous faut pouvoir continuer à fournir l'ensemble de ses services et à financer une présence physique très exigeante. Tout l'enjeu des banques françaises, c'est de maintenir cet équilibre et cette approche de services massifs à la population, tout en continuant à dégager des résultats pour pouvoir cumuler des fonds propres. Il y a donc une boucle vertueuse - services, tarification adaptée, couverture générale de la population, résultats et solidité financière - qui permet aux banques de fonctionner au bénéfice de l'ensemble de leurs clients.

Permettez-moi quelques chiffres sur l'utilité des banques, et notamment pour le financement des entreprises : 1,3 million de PME sont financées par le crédit, pour un encours de plus de 500 milliards d'euros, avec des taux favorables. Au total, les prêts à l'habitat s'élèvent à 1 100 milliards d'euros. Actuellement, un nombre record de ménages détiennent un crédit et ont pu accéder ainsi à la propriété.

Nous avons également de très nombreux services bancaires innovants dans le domaine des paiements. Nous sommes fiers d'avoir des services de paiement et un traitement des données personnelles qui inspirent confiance. Parmi l'ensemble des acteurs économiques, c'est aux banques que les Français accordent le plus leur confiance en matière de sécurisation de leurs données personnelles.

Notre enjeu est donc de rester au niveau de l'ensemble de ces exigences.

Vous connaissez peut-être notre brochure Banques et territoires illustrant la diversité de notre présence sur tous les territoires. La France est l'un des pays dans lequel le nombre d'agences diminue le moins - nous sommes d'ailleurs parfois critiqués pour cela : pourquoi conserver une présence physique alors que tout peut se faire à distance ?

Cette présence évolue avec les Français : vous aurez des créations d'agences dans les bourgs nouveaux et des fermetures - tout en cherchant des solutions de compensation - dans les lieux dans lesquels la population diminue ou utilise moins ces services. Les points alternatifs d'accès ont augmenté de plus de 10 % l'année dernière. Les services bancaires s'adaptent à la vie des Français, à leur âge, à leur localisation. Nous avons actuellement 36 000 agences, chiffre qui s'est érodé de quelques points de pourcentage depuis dix ans, alors qu'en moyenne cette baisse a atteint 30 % chez nos voisins européens.

Solidité, proximité et utilité des services sont au coeur de notre évolution. Il serait extrêmement dommageable de renoncer à cette approche inclusive très importante.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur François Asselin, qu'attendent les petites et moyennes entreprises en matière de services bancaires et de relations à la banque ? Je vous demanderai, ainsi qu'à M. Matthieu Robin, de vous positionner par rapport au cadre général et au fonctionnement des banques présenté précédemment. Correspondent-ils bien aux besoins des entreprises et des ménages ?

M. François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). - La relation des banques avec leurs clients, qu'ils soient particuliers ou entreprises, relève presque de l'intérêt général, puisqu'ils ne peuvent avancer dans la vie sans compte bancaire.

Pousser jusqu'au bout la numérisation ne répond pas complètement à cette mission d'intérêt général, parce qu'à certains moments, il faut se parler. Cette numérisation a été incroyable : qui aurait pu imaginer, il y a vingt ans, avoir dans sa poche un central bancaire décentralisé ? C'est impressionnant. Pour autant, la numérisation galopante n'a pas vraiment enlevé le lien physique que les particuliers ou les entreprises peuvent avoir avec leur banquier. Selon un sondage Ifop, plus une entreprise grandit, plus elle a des relations qualitatives avec son banquier. À l'inverse, plus l'entreprise est petite, plus la relation est perfectible. Cela vient des deux côtés : peu d'entrepreneurs savent organiser la relation avec leur banquier et mettre en place une sorte de rituel pour inviter régulièrement son banquier et lui présenter son entreprise et son avenir. Faire le point, ce n'est pas très compliqué et malheureusement peu de chefs d'entreprise sont sensibilisés à cela. De l'autre côté, certains banquiers ne savent pas se tourner vers leurs clients.

Toutefois, depuis mars 2020, nous avons collectivement - avec la FBF et la Banque de France - réussi quelque chose d'incroyable ; sans mouvement volontaire dynamique des banquiers en direction de leurs clients, cela aurait pu mal se passer, car une énorme inquiétude montait dans les entreprises. Finalement, tout s'est passé paisiblement. Là où cela a été plus tendu, la médiation du crédit a bien travaillé.

Les mesures qui maintiennent aujourd'hui les acteurs économiques en suspension vont progressivement être débranchées, et la relation client-banque risque de se tendre. Nous allons donc avoir besoin de beaucoup de bienveillance de la part de nos banquiers. Un sondage réalisé à la mi-janvier auprès de nos adhérents a montré que 220 000 entreprises avaient activé leur PGE, mais que 80 000 à 100 000 d'entre elles commençaient à avoir des doutes sur leur capacité de remboursement de ce « mur de dettes ». Cela n'est pas surprenant, car la sinistralité a été particulièrement basse en 2020 et elle va bien évidemment augmenter en 2021. Nous avons besoin que l'on élargisse la palette des mesures de soutien pour permettre à ces entreprises viables de rebondir.

Il faut aussi s'occuper de l'entrepreneur lui-même. Nous avons fait une série de onze propositions, parmi lesquelles la non-automaticité de l'inscription au fichier des incidents de paiement en cas de défaillance - notamment lorsqu'il n'y a pas eu de faute de gestion -, le droit des cautions ou encore l'intégration de la dette sociale - qui est aujourd'hui considérée comme une dette personnelle du dirigeant - dans la procédure de défaut de paiement.

Globalement, la présence physique bancaire se maintient et les banquiers continuent de se déplacer, certes sur des territoires plus grands. Nous sommes très sensibles à la stabilité de la relation humaine et le turn over des chargés de clientèle n'est pas très apprécié.

Le taux auquel les entreprises françaises empruntent est très compétitif en Europe, mais l'on constate des hausses de tarification de la gestion de compte dans certaines banques. Cette tarification manque souvent de transparence.

M. Matthieu Robin, chargé de mission banque et assurance à l'UFC-Que Choisir. - Je vous remercie de votre invitation. Nos 140 associations locales nous font des remontées de ce qui se passe sur le terrain. La technologie évolue et les usages des consommateurs aussi. Mais leurs attentes restent immuables : disposer d'une information claire sur la nature et le coût des services financiers ; avoir un accès simple au relevé annuel de frais sur l'ensemble des applications ; payer le juste prix pour des prestations conformes à leurs attentes ; être en sécurité avec leurs dépôts, dans un contexte marqué par l'augmentation des fraudes ; avoir accès à des conseils suffisants, alors que les souscriptions en ligne, sans conseiller, se développent ; et enfin, pour les personnes vulnérables, avoir accès aux services financiers à un coût modéré. À cet égard, le plafonnement des frais d'incidents bancaires est une mesure utile. Malheureusement, certains critères - comme le revenu à prendre en compte pour donner droit à ce plafonnement - sont laissés à l'appréciation des banques. Nous regrettons aussi l'érosion du nombre d'agences bancaires et les difficultés d'accès aux points de retrait d'espèces, par exemple lorsque le distributeur automatique installé dans votre commune n'est pas celui de votre agence.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le Sénat s'intéresse de longue date à la question de l'accessibilité aux services bancaires sur le territoire, en particulier pour l'accès aux espèces. Les travaux conduits jusqu'à présent sous l'égide de la Banque de France insistent sur le caractère ponctuel des carences identifiées. Pourtant, nous sommes nombreux ici à avoir en tête des situations locales problématiques. Surtout, les analyses convergent pour considérer que le mouvement de réduction du nombre d'agences en France, moins marqué jusqu'à présent que dans d'autres pays européens, pourrait s'amplifier au cours des prochaines années. Face à cette situation, comment pouvons-nous anticiper pour garantir un égal accès aux services bancaires sur tout le territoire ?

La transition vers le numérique ne saurait être intégrale : l'agence reste un moyen de tisser une relation de proximité. Dans d'autres pays, les banques ont fait un choix différent, afin d'utiliser la connaissance de leur clientèle, en complétant la nature des services proposés en agence : conseils aux PME, réservation de billets de train, service aux personnes âgées, etc. Une telle évolution en France vous semblerait-elle pertinente ?

L'ACPR a récemment constaté que l'absence de plateformes dédiées aux services financiers constituait une singularité française. Cela pose la question de l'ouverture des données et des interfaces bancaires. Quelle est la demande des clients pour de tels services ? En quoi les nouveaux acteurs bancaires répondent-ils mieux à certains besoins que les banques traditionnelles ?

M. Claude Raynal, président. - Nous allons aborder la phase très délicate, mais qui risque aussi d'être très brutale, de la sortie des PGE : comment bien analyser la viabilité des entreprises ? Avec qui cette analyse est-elle conduite ? Les experts-comptables sont-ils sollicités ?

M. Hervé Maurey. - Je m'étonne du tableau idyllique brossé par la directrice générale de la FBF : il me semble en décalage avec ce que l'on observe dans les territoires ruraux. Le nombre de banques y a considérablement diminué et 80 % des communes ne disposent pas de distributeur automatique de billets, ce qui a pu poser des problèmes pendant la période de confinement. Des entreprises de transport de fonds commencent à se positionner sur ces distributeurs : comment l'expliquez-vous ? Ne pourrait-on pas trouver de solutions pour installer des distributeurs dans les communes qui souhaitent offrir ce service à leur population, quitte à ce que le déficit de fonctionnement soit partagé entre la banque et la commune ?

M. Claude Nougein. - Il faut bien reconnaître que les banques font des efforts en matière de taux, à l'exception toutefois des PGE pour lesquels il est envisagé un taux de 2 % à 2,5 %, alors qu'il pourrait n'être que de 1 % pour correspondre aux conditions de marché. Certes, les entreprises sont nombreuses à n'avoir pas consommé leur PGE, mais c'est problématique pour les autres.

La relation bancaire est d'intérêt général et la banque n'est pas un commerce comme les autres. La tarification de la gestion de compte est un maquis impressionnant. En janvier dernier, une banque parisienne spécialisée dans les hôtels-restaurants a augmenté ses frais administratifs de 61 euros à 75 euros, soit 23 % de hausse en un an ! Et les frais de virement sont passés de 17 centimes à 20 centimes, soit plus de 17 % de hausse ! C'est certes légal, mais est-ce bien moral ? On ne change pas de banque aussi facilement que de supermarché...

M. Antoine Lefèvre. - En tant que président du groupe interparlementaire d'amitié France-États-Unis, je m'inquiète de la situation des 40 000 Français qui sont Américains accidentels et qui se trouvent confrontés à l'extra-territorialité de la législation fiscale américaine. Or, depuis mars 2020, l'ambassade américaine a fermé ses services et ne délivre plus les documents qui leur permettraient de conserver leurs comptes ouverts ou de souscrire des produits d'épargne. Quels assouplissements sont envisageables ?

Une étude de l'association 60 millions de consommateurs a souligné l'opacité des commissions bancaires prélevées sur les dossiers de succession des clients décédés. Ces commissions s'échelonnent de 75 euros à 450 euros. Ces tarifs ne pourraient-ils pas être régulés ?

M. Michel Canevet. - En tant que rapporteur pour la commission des finances sur la proposition de loi du groupe socialiste relative au plafonnement des frais bancaires examinée l'an dernier, j'ai pu constater que les tarifs bancaires étaient bien souvent opaques. Depuis, une nouvelle grille tarifaire a été diffusée, mais les associations de consommateurs ne semblent pas considérer qu'elle soit beaucoup plus lisible...

Lors de la crise des « Gilets jaunes », les banques s'étaient engagées à plafonner leurs frais au profit des 3,4 millions de personnes en situation de fragilité financière. Quelles tendances avez-vous observées en 2020 ? Les engagements pris fin 2018 ont-ils été tenus ?

M. Éric Bocquet. - Le nombre de distributeurs automatiques de billets ne cesse de baisser : rien qu'en 2019, 2 100 distributeurs automatiques de billets (DAB) ont été supprimés.

Certaines communes s'efforcent d'obtenir la réinstallation d'un distributeur dans le cadre d'une politique de redynamisation des commerces de centre-bourg. Dans le Nord, une de ces communes, après s'être heurtée au refus de toutes les banques, a conclu une convention avec la Brink's, mais à des conditions contraignantes : 1 300 euros mensuels à sa charge, majorés de 200 euros si le nombre minimal de retraits n'est pas atteint. Ainsi, c'est la collectivité qui doit supporter une charge et un risque, parce que les banques n'ont pas répondu présent...

Cette dérive, qui touche notamment les territoires ruraux, est inquiétante du point de vue de l'aménagement du territoire !

M. Vincent Segouin. - Dans le cadre du PGE, certaines entreprises ont emprunté jusqu'à 25 % de leur chiffre d'affaires. Les PME réalisant un bénéfice de l'ordre de 2 % à 4 %, j'ai beau tourner l'équation dans tous les sens, je ne vois pas comment elles pourront rembourser leur PGE en cinq ans...

Par ailleurs, on a de plus en plus l'impression que les banques se concentrent sur l'activité de dépôt, plus rentable, et cherchent à supprimer les charges et effectifs liés à la banque de détail. Cette tendance, préjudiciable aux services du quotidien pour les entreprises et les territoires, va-t-elle se poursuivre ?

M. Jérôme Bascher. - Jusqu'à présent, on avait peu à peu renforcé la sécurité des moyens de paiement des particuliers : avec les chèques d'abord, qui exigent une signature, avec les cartes bancaires ensuite, qui nécessitent un code. Désormais, n'importe qui peut, en s'emparant de votre téléphone portable, prendre en main votre compte bancaire ! Le risque cyber pesant sur le consommateur n'est-il pas excessif ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Ma vision du secteur bancaire est un peu moins positive que celle de Mme Atig... En ce qui concerne les DAB, j'ai eu, moi aussi, une expérience très décevante. Et l'année dernière, lorsque l'association des maires de mon département, que je préside, a voulu acheter un stock de masques, aucune banque n'a consenti à lui accorder un prêt - sauf une, à condition que le prêt soit garanti par le département à hauteur de 80 %. Quand on a besoin d'elles, les banques ne jouent pas toujours leur rôle d'entreprise citoyenne...

Le secteur bancaire n'échappe pas à la numérisation généralisée, mais quel rôle joue-t-il dans la lutte contre l'illectronisme ? Vos guichets sont-ils capables de repérer les clients qui rencontrent des difficultés ? Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), près de 14 millions de Français ne sont pas à l'aise avec les outils numériques. Pouvez-vous les identifier pour les orienter vers des lieux de médiation numérique ?

M. Victorin Lurel. - Seuls deux réseaux bancaires sont encore présents sur mon territoire : la Banque postale et le Crédit Agricole. Toutes les communes ne disposent pas d'un distributeur, faute d'une coordination entre les banques.

En outre, les prestations bancaires sont toutes plus chères dans les outre-mer que dans l'Hexagone, malgré les mesures que, ministre, j'avais prises pour une convergence des tarifs. Or ces différences de coût ne s'expliquent pas par la distance : sont-elles liées à un risque plus élevé ?

Comme la plupart des filiales ont perdu leur autonomie, à partir de 50 000 euros, les décisions se prennent à Paris. Résultat : les services manquent de rapidité - les entreprises ultramarines en savent quelque chose... Le Médiateur du crédit a un rôle éminent à jouer dans les outre-mer, où son action pourrait être plus efficace.

Enfin, les frais liés aux successions posent problème. Lorsque j'ai perdu mon fils, le Crédit Agricole a mis neuf mois pour régler une succession d'à peine 5 000 euros, en prenant 400 euros de frais... L'association UFC-Que Choisir a publié un bon dossier sur la question. Il y a matière à légiférer ou à réglementer !

M. Philippe Dallier. - En Seine-Saint-Denis aussi, les fermetures d'agence s'accélèrent. Dans ma commune, il n'y en a plus que deux, contre cinq il y a une quinzaine d'années ; on se demande ce qu'il en sera dans deux ans... Cette évolution est particulièrement inquiétante sur un territoire dont les populations sont souvent très fragilisées et accèdent plus difficilement au numérique.

La FBF mène-t-elle une réflexion en la matière ? Serait-il possible de traiter différemment les départements ruraux et ceux, comme le mien, confrontés à des problématiques particulières ?

Mme Maya Atig. - La diversité de vos questions reflète toutes les exigences que vous défendez : maintien d'une présence territoriale constante, voire accrue, innovations, lesquelles supposent des investissements et de la formation, permanence des services classiques, tarifs faibles pour tous et à tout moment... Au même moment, le renforcement des exigences prudentielles impose de réaliser plus de résultats ou de baisser davantage les coûts pour disposer des coussins de fonds propres permettant de maintenir l'activité à haut niveau.

Il n'y a pas de plan prédéfini pour fermer des agences à tel ou tel endroit. Les évolutions - généralement, des regroupements - sont décidées selon une approche plus dynamique. Par exemple, les conseillers professionnels peuvent avoir leur bureau à un endroit, mais se déplacer auprès de leurs clients. Ce qui compte, ce sont les services rendus par une agence, indépendamment d'une localisation.

Au demeurant, le nombre d'agences bancaires baisse de seulement 1,9 % sur un an. En Espagne, il a baissé de 46 % en dix ans, et aux Pays-Bas de 60 % ! Dans notre pays, le mouvement est beaucoup moins volontariste et tient compte de l'évolution de la fréquentation des agences et de leurs services.

S'agissant des distributeurs de billets, c'est l'évolution de leur usage qui conduit à des décisions. Étant entendu que le niveau global de services reste considérable, puisque 99 % de la population métropolitaine réside dans une commune disposant d'un automate ou située à moins de quinze minutes en voiture de la commune équipée la plus proche. Certes, quinze minutes, ce n'est pas rien, mais il est rare qu'on se déplace uniquement pour retirer des espèces. Par ailleurs, le paiement sans contact est en train de changer considérablement la donne dans les commerces, même si les retraits de petits montants ne disparaîtront pas.

Sans remplacer tout à fait un DAB, les services alternatifs répondent à une très grande majorité des besoins. Par exemple, j'ai vu, en Auvergne, une banque conclure un accord avec l'épicier le plus proche de l'agence fermée, dont le DAB était utilisé à 80 % par les clients de la banque ; les 20 % restants auront au maximum quinze minutes de voiture à faire, comme lorsqu'ils vont aux courses. En somme, nous nous efforçons de trouver un équilibre pour adapter l'accès à nos services, sous leurs multiples formes, en tenant compte de l'évolution des clients eux-mêmes.

S'agissant de l'illectronisme, 10 % environ de la population n'est pas à l'aise avec les innovations. Quand un client n'utilise pas un service ou ne le télécharge pas, il est assez facile de le repérer. Les conseillers passent du temps avec ces clients pour les aider à se familiariser. Par ailleurs, les informaticiens travaillent à rendre les outils digitaux toujours plus simples d'utilisation. D'après le sondage Ifop que j'ai déjà cité, 96 % des Français consultent régulièrement le site internet ou l'application de leur banque. Les banques françaises offrent le choix entre les deux options, car les populations utilisatrices ne sont pas exactement les mêmes, notamment en termes d'âge.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué la possibilité de mettre les agences à la disposition d'autres activités, d'en faire des sortes de tiers lieux. Les initiatives locales en la matière sont assez nombreuses ; nous en parlons dans notre brochure Banques et territoires. À Montpellier, par exemple, j'ai visité une agence qui met régulièrement ses locaux à la disposition d'associations, ce qui est extrêmement apprécié dans le quartier.

S'agissant enfin des PGE, nous avons bien perçu la nécessité de nous mobiliser collectivement et fortement. C'est une fierté pour nos 360 000 concitoyens qui exercent le métier de banquier de voir leur utilité reconnue. Des discussions ont eu lieu, en amont même de la médiation du crédit, sur la nécessité d'expliquer les mécanismes en cas de refus de crédit et de minimiser le nombre de ces refus. On anticipait 10 % de dossiers de PGE examinés au cas par cas, et beaucoup pensaient que nous n'y arriverions pas. Or les banquières et les banquiers l'ont fait, avec une grande énergie : la semaine dernière, nous avons dépassé le 800 000ème dossier examiné !

Banques et clients sont donc capables de se parler, dans les bons comme dans les mauvais moments. Il est important qu'on n'ait pas peur d'entrer dans une agence, même avec un dossier compliqué à présenter - surtout au début d'une période où nombre d'entreprises auront besoin de sécurité.

En matière de PGE, les entreprises disposent de deux grandes souplesses : amortir sur six ans - beaucoup le feront sans doute, même quand elles n'en auraient pas besoin - et reporter d'un an le début de l'amortissement.

Quant aux frais de succession, c'est un sujet que nous allons regarder très attentivement, en liaison avec les parlementaires qui l'ont soulevé.

M. Denis Beau. - Pour ce qui est du risque cyber, soulevé par M. Bascher, un effort collectif constant doit être mené pour limiter l'impact de la digitalisation sur la sécurité des particuliers. La Banque de France, responsable de la sécurité des moyens de paiement, veille à ce que dispositifs techniques appropriés soient mis en place, à l'instar de l'authentification forte, qui permet d'initier une opération sans risque d'usurpation d'identité.

Parallèlement à ce renforcement des méthodes d'authentification, les utilisateurs doivent faire preuve de vigilance. L'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement, présidé par le gouverneur de la Banque de France, rappelle régulièrement les bonnes pratiques en la matière.

En ce qui concerne les PGE, dans le premier temps de la gestion de la crise, un soutien massif en liquidités a été assuré à tous ceux qui en avaient besoin - le gouverneur a parlé d'un « pont de liquidités ». Je remercie M. Asselin pour son appréciation positive sur l'engagement de la Banque de France, notamment à travers la médiation du crédit, mais aussi notre action d'accompagnement auprès des entreprises. Dans un second temps, ce soutien devra évoluer pour devenir plus sélectif et centré sur le renforcement de la structure financière des entreprises, notamment en termes de fonds propres. Des dispositifs sont en cours d'élaboration, importants pour assurer la solidité de notre système économique et financier.

M. Claude Raynal, président. - Les questionnements de M. Robin ont été relayés par nombre de nos collègues. De fait, en ce qui concerne la tarification, sa transparence et l'accès à l'information, même si des améliorations ont pu être réalisées, j'ai l'impression qu'on peut encore mieux faire...

M. Mathieu Robin. - En matière de lisibilité, force est de constater qu'il ne reste plus grand-chose des efforts qui avaient été engagés : l'extrait standard des tarifs ne figure plus dans de nombreuses brochures.

S'agissant du risque cyber, la Banque de France s'est dotée d'un plan d'action, mais, aujourd'hui, seul un consommateur sur deux bénéficie d'un dispositif d'authentification renforcée.

S'agissant de l'accès aux espèces, il faut s'intéresser à la tarification des retraits déplacés. Quant aux points de retrait privatifs, ils sont, en effet, une piste intéressante pour les usagers, notamment dans les territoires ruraux.

Les frais sur les successions, très variables, sont opaques. Il y a sans doute matière à mieux les encadrer.

La concurrence de nouveaux acteurs est tout à fait bénéfique pour les consommateurs : elle élargit leur choix pour des services parfois de niche, mais dont la tarification est très opaque - je pense aux transferts d'argent internationaux.

Enfin, il est fâcheux que, en matière de plafonnement des frais d'incident bancaire, certains critères soient laissés à la main des banques, notamment celui du revenu, parfois extrêmement restrictif : dans certains établissements, le seuil de fragilité est fixé à 1 100 euros mensuels, ce qui exclut nombre de clients du bénéfice du plafonnement.

M. François Asselin. - Ma conclusion portera sur le PGE. Certaines entreprises, pourtant viables avant la crise sanitaire, ne pourront faire face au report de charges fiscales et sociales, qui s'ajoute au report de loyers ou de remboursements d'emprunt et à l'amortissement du PGE, bref à un mur de dettes. La situation sera très compliquée pour elles, même si le remboursement du PGE est étalé sur quatre ou cinq ans, et celui des charges fiscales et sociales sur trois ans. C'est pourquoi la CPME milite pour le regroupement de tout ou partie des dettes dans un prêt de consolidation, afin de les étaler pendant dix ans si nécessaire. Mais, comme cela a été souligné, comment fait-on pour sélectionner, si je puis dire, les entreprises qui pourraient bénéficier de cette facilité ? On pourrait recourir à des tiers de confiance, à savoir les experts-comptables et les commissaires aux comptes, pour apprécier la situation de l'entreprise. Toutefois, le législateur ou le Gouvernement doit prévoir ce nouvel outil qu'est le prêt de consolidation.

Demain matin, Bruno Le Maire va annoncer la mise en place de prêts participatifs. Nous considérons qu'il s'agit d'un autre outil financier tout à fait intéressant pour les PME, sur lequel nous avons beaucoup travaillé avec l'exécutif. Il importe que ces prêts soient rapidement mis en place, à des taux d'intérêt qui ne soient pas usuraires.

Mesure de soutien et mesure d'abondement en fonds propres sont les deux leviers à actionner. Mais n'oublions pas la méthode...

M. Claude Raynal, président. - Nous en sommes tous conscients, nous entrons dans une phase sensible pour les entreprises.

Merci à tous de votre participation à cette table ronde.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Évolution du modèle bancaire et avenir de la banque universelle - Audition de Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), MM. Denis Beau, premier sous-gouverneur de la Banque de France, Paul de Leusse, directeur général d'Orange Bank, et Alexandre Prot, cofondateur et président-directeur général de Qonto

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons notre matinée consacrée à l'évolution des services bancaires, en nous concentrant désormais sur les professionnels du secteur eux-mêmes.

Le modèle traditionnel de la banque universelle est mis à mal par l'émergence de nouveaux acteurs. En concurrençant les banques sur des segments ponctuels, ils menacent les péréquations de marges sur lesquelles repose la banque universelle. En réaction, les banques traditionnelles s'interrogent sur le maintien d'infrastructures qu'elles assument et sur lesquelles les acteurs innovants viennent souvent s'appuyer.

C'est pourquoi, en tant que législateurs, nous nous questionnons sur l'équilibre à trouver pour assurer la coexistence de ces opérateurs et préserver un égal accès aux services bancaires pour tous nos concitoyens. Nous avions eu le débat lors de l'examen du projet de loi ratifiant l'ordonnance ayant transposé la deuxième directive sur les services de paiement, dite « DSP 2 » : où placer le curseur pour l'accès aux données bancaires ?

Pour faire le point sur ces questions, nous retrouvons M. Denis Beau, en qualité de président désigné de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), et Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française, qui ont déjà participé à notre premier échange. Nous avons également le plaisir d'accueillir deux autres intervenants, que je remercie pour leur présence : M. Paul de Leusse, directeur général d'Orange Bank et M. Alexandre Prot, cofondateur et président-directeur général de Qonto, une néobanque pour les petites et moyennes entreprises (PME) et travailleurs indépendants.

Sans plus tarder, je cède la parole à M. Denis Beau pour connaître le regard du régulateur sur les perspectives du modèle bancaire.

M. Denis Beau, président désigné de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. - Depuis la grande crise financière, les activités d'intermédiation financière ont repris leur développement à un rythme soutenu, de l'ordre de 4 % en France, comme en Europe. Mais cette croissance s'accompagne d'une évolution des services, d'une diversification des intermédiaires qui les fournissent et d'une complexification de leurs relations.

Ces transformations soulèvent de nombreuses questions d'intérêt général. Je voudrais partager quelques observations sur trois d'entre elles qui, de mon point de vue de superviseur et de banquier central, sont importantes : va-t-on vers la fin de la domination en Europe d'une intermédiation centrée sur les banques ? Quelles conséquences sur l'efficacité et la stabilité de notre système financier ? Faut-il faire évoluer le cadre de régulation du système financier ?

En réponse à ma première question je voudrais faire trois observations. La première observation concerne le dynamisme des acteurs non bancaires de l'intermédiation financière depuis la crise financière de 2008. Ce dynamisme s'est d'abord traduit par le développement du financement non bancaire qui a progressé dans la zone euro à un rythme annuel de 7,5 % en moyenne entre 2013 et 2019. Depuis 2002, la part des crédits bancaires dans l'endettement de la zone euro a été divisée par deux et ne représentait plus que 37 % de l'endettement de la zone euro en 2019. Ce dynamisme s'est accompagné de l'émergence de nouveaux acteurs, en particulier les entreprises technologiques. Le modèle de ces entreprises se fonde sur la décomposition des activités de la banque universelle traditionnelle en une série de fonctions essentielles distinctes, telles que l'acheminement des paiements, la fourniture de financements, le partage des risques et la répartition des capitaux, qui sont réassemblées sur une plateforme en ligne, qui assure l'interface avec l'utilisateur. Dans ce modèle, le contrôle de la plateforme est plus stratégique que l'offre de services financiers elle-même, qui peut être externalisée à des tiers, comme les banques.

La seconde observation concerne l'impact, qui s'annonce différencié, des fintech et des Bigtech sur l'intermédiation financière. Les start-ups du secteur de la fintech n'ont pas les ressources en capital suffisantes pour perturber les acteurs en place et leur rôle sera probablement déterminé par l'alternative suivante : coopérer voire passer sous le contrôle d'un acteur établi ou entrer en concurrence sur des segments de niche, tel que le financement participatif, l'activité de prêt en ligne ou les paiements. L'impact s'annonce tout autre avec les Bigtech qui disposent de ressources financières massives, d'une forte image de marque, d'une clientèle constituée à l'échelle mondiale et d'un accès privilégié aux technologies de pointe.

La troisième observation concerne l'avenir de l'intermédiation bancaire, en particulier dans le monde de la vente au détail : si les Bigtechs disposent des capacités nécessaires pour remodeler significativement l'intermédiation financière, cela ne signifie pas que les banques seront nécessairement évincées, mais qu'elles pourraient être interfacées par les plateformes des Bigtech. Cette évolution est par exemple déjà bien engagée en Chine.

Au lieu d'éliminer l'intermédiation, la force exercée par les entreprises technologiques, si on lui laisse le champ libre, peut plus probablement conduire à rebattre les cartes de l'intermédiation financière, autour de la combinaison de plusieurs modèles qui incluraient le modèle traditionnel d'intermédiation bancaire, le modèle d'intermédiation financière non bancaire mis en oeuvre par le secteur de la gestion d'actifs, notamment pour financer le secteur des entreprises, un modèle dit « réintermédié », dans lequel fintech et Bigtech jouent le rôle d'intermédiaire pour les banques, vis-à-vis de la clientèle de détail en particulier, et un modèle intégralement désintermédié reposant sur la technologie blockchain.

J'en viens maintenant aux conséquences de ces transformations sur l'efficacité et la stabilité de notre système financier. Ces transformations, dans la mesure où elles s'accompagnent effectivement de meilleures « expériences-utilisateurs » et d'un financement plus diversifié de l'économie, sont susceptibles d'avoir un impact positif à la fois sur l'efficacité et la stabilité de notre système financier. Mais elles sont également porteuses de risques.

Concernant les acteurs bancaires, un risque important concerne leur rentabilité. L'environnement de taux bas dans lequel nous évoluons désormais, pour des raisons conjoncturelles et structurelles, réduit les perspectives de marge de revenu net d'intérêt et contribue à expliquer l'érosion de la valorisation des banques européennes sur les marchés financiers. Les banques européennes disposent néanmoins et heureusement de leviers pour faire face à ce défi. Ils reposent en particulier sur la réduction des frais généraux, via notamment l'ajustement de la taille des réseaux et les investissements dans les technologies digitales. La consolidation du système financier européen constitue un levier additionnel pour permettre des économies d'échelle et un meilleur amortissement des coûts fixes d'innovation et d'investissement.

Concernant l'intermédiation financière non bancaire, force est de constater que son développement a augmenté le caractère systémique de ses activités et les interconnexions, avec des désordres possibles, vis-à-vis du financement de l'économie réelle, comme en attestent les tensions intervenues en mars et avril derniers sur les fonds monétaires.

Cette observation m'amène à mon dernier point : quelles conséquences en matière de régulation du système financier et de contribution des banques centrales ? J'en retiens trois principales. La première conséquence concerne le périmètre de la réglementation. Du fait de la conjonction d'interconnexions croissantes - financières et opérationnelles - entre acteurs, dont une partie seulement est régulée, et de la digitalisation en cours du système financier, l'exposition du système financier au risque cyber s'accentue. En outre, son exposition à de nouveaux risques apparait, comme le risque de stabilité financière et de souveraineté monétaire associé à la diffusion de nouveaux crypto-actifs comme les « global stable coins ». Dans ce contexte il serait utile de déployer un cadre réglementaire et de surveillance applicable aux principaux prestataires de service informatiques, notamment les fournisseurs de service de Cloud, ainsi qu'aux émetteurs et distributeurs de stablecoins, indexés sur une ou plusieurs devises. La Commission européenne a pris au niveau européen des initiatives avec les propositions de règlements DORA et MiCA qui apparaissent de ce fait bienvenus.

La seconde conséquence concerne le contenu de la règlementation applicable aux intermédiaires non bancaires. Une intermédiation financière non bancaire solide offre une alternative aux services offerts par les banques, à condition que sa résilience soit renforcée et que les fonds ne soient pas un facteur d'amplification procyclique des chocs. C'est dans cette perspective qu'un renforcement de la réglementation et une approche macroprudentielle étendue aux intermédiaires financiers non bancaires pour mieux encadrer leurs risques de liquidité seraient utiles pour éviter des comportements procycliques qui pénaliseraient le financement de l'économie.

La troisième conséquence concerne les conditions dans lesquelles les banques centrales donnent accès à la monnaie qu'elles émettent, pour préserver le rôle d'ancrage que celle-ci joue pour assurer la stabilité du système financier. La numérisation des marchés financiers et des paiements doit les conduire à réfléchir aux conditions de mise à disposition de leur actif de règlement. C'est le sens des expérimentations que la Banque de France a engagées pour mettre à disposition des intermédiaires financiers une monnaie numérique de banque centrale (MNBC), et des travaux que conduit la Banque centrale européenne (BCE), auxquels la Banque de France participe, sur une MNBC à destination du grand public.

M. Claude Raynal, président. - Je cède désormais la parole à Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), pour connaître le point de vue des banques dites « traditionnelles » sur ce sujet - même si elles sont capables de modernité !

Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF). - Je suis ravie de retrouver un adhérent de la FBF, Orange Bank : c'est une de nos particularités, la fédération ne représente pas que les banques traditionnelles, même si le marché français comprend six très grands groupes bancaires, qui comptent parmi les premiers mondiaux. Étant par ailleurs directrice générale de l'Association française des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (AFECEI), je suis fière que le secteur financier fasse l'objet d'une unité de représentation par-delà les modèles économiques des entreprises. C'est une chance pour les Français, qui ont accès à une gamme étendue de services.

Je voudrais commencer mon propos en revenant sur les innovations du secteur bancaire. Les services bancaires relèvent de canaux très différents, avec des outils variés et en évolution. Comme l'a montré notre dernier sondage réalisé par l'Institut français d'opinion publique (IFOP), 85 % des Français considèrent que les banques intègrent de plus en plus de nouvelles technologies. Pour 81 % d'entre eux, les Français estiment que cela va dans le bon sens, ce qui signifie que 19 % de nos concitoyens restent attachés aux techniques traditionnelles. Il faut donc répondre à leurs attentes.

La question soulevée par Denis Beau d'une évolution possible vers des acteurs universels proposant l'ensemble des services, et, en parallèle, des acteurs spécialisés les grignotant sur différents segments, se pose dans tous les pays européens. Face à cette situation, l'approche prise par les banques françaises est plutôt positive : loin d'être perturbées, elles évoluent sur un large panel de services. Pour cela, il est important de mesurer dans le temps comment ces services évoluent. Je prendrais un exemple : les solutions de portefeuille électronique - ou « e-wallet » -, qui étaient initialement développées par des entités en dehors du système bancaire, sont aujourd'hui développées par certaines banques françaises. Or, il est intéressant de voir que seulement 50 % des Français affirment avoir confiance dans de tels outils. Il faut donc faire en sorte que les systèmes institutionnels donnent confiance pour développer ces innovations et ainsi éviter la coexistence de deux mondes distincts. Il en va de même pour les robots conseillant les personnes, qui ne recueilleraient la confiance que de 35 % des Français aujourd'hui. Cela ne veut pas dire que les banques traditionnelles ne doivent pas le proposer, mais elles doivent le développer dans les conditions adéquates.

Comme le président de la FBF, Philippe Brassac, a eu l'occasion de vous l'indiquer il y a deux semaines, l'enjeu central est de définir le modèle de financement que l'on souhaite promouvoir. Laissez-moi vous présenter quelques chiffres : le financement des entreprises s'élève à 1 200 milliards d'euros quand le financement participatif correspond à quelques centaines de millions d'euros. Ce type de financement répond certes à des besoins et génère des idées, mais selon une ampleur nettement plus restreinte. Il faut donc savoir si l'on souhaite, sur l'économie traditionnelle très cantonnée, multiplier les règles et contraindre la rentabilité de ces services - ce qui conduira nécessairement à fermer davantage d'agences qu'aujourd'hui - ou si l'on privilégie un équilibre entre activités, ce qui justifie de définir des règles comparables à activités comparables.

Cet enjeu de régulation s'exprime d'autant plus fortement que les règles prudentielles définies à l'occasion de la finalisation des accords de Bâle III, qui diffèrent sensiblement du modèle européen, vont bientôt s'appliquer. Il est essentiel que la transposition au sein de l'Union européenne prenne en compte les spécificités du financement européen.

Je conclurai mon propos en soulignant que toutes les banques françaises vont continuer à innover au bénéfice de leurs clients, avec une attention cruciale à la sécurité. C'est bien la boucle vertueuse sécurité, confiance et innovation, qui permettra de développer de nouvelles entreprises.

M. Claude Raynal, président. - Je cède désormais la parole à M. Paul de Leusse, directeur général adjoint du groupe Orange, en charge des services financiers mobiles. Il nous précisera le point de vue sur ces questions d'une néobanque, qui, ces derniers jours, a fait l'actualité.

Paul de Leusse, directeur général adjoint du groupe Orange, en charge des services financiers mobiles. - Je souhaite commencer par un mot rapide d'introduction, afin de présenter l'activité d'Orange Bank. Au total, Orange Bank compte 1,3 million de clients en Europe et, après six mois d'exploitation en Afrique, 500 000 nouveaux clients sur ce continent. Le lancement des activités bancaires d'Orange répond à un objectif de démocratisation de l'innovation, qui constitue l'une des racines du groupe.

En France, les trois quarts des ouvertures de compte ont lieu au sein de nos boutiques et points de vente physiques. Le profil des clients procédant à des ouvertures de comptes en boutique est assez différent de celui des clients captés par le canal digital. Pour l'essentiel, ce sont des clients qui n'auraient pas forcément fait le choix d'une banque digitale sans une prise de contact physique en boutique.

En Afrique, Orange a développé une offre à destination des 80 % d'Africains qui n'ont pas accès aux services bancaires. Il s'agit de démocratiser le crédit et l'épargne en les rendant accessibles avec un simple téléphone à touche sans nécessité de disposer d'un smartphone.

De plus, nous pensons qu'il est possible de réaliser une hybridation entre le monde des télécoms et le monde bancaire. Nous avons ainsi pu mettre en oeuvre des solutions de financement et d'assurance mobile mais également exploiter, avec l'accord du client, la donnée télécom dans une optique d'octroi de financements. Alors que la France est un des pays les plus régulés en la matière, nous sommes très heureux de pouvoir octroyer des prêts sur la base du comportement télécom des utilisateurs.

Par ailleurs, je ne pense pas qu'il faille opposer néobanques et banques traditionnelles. Il me semble plutôt que l'opposition à faire aujourd'hui est celle qui distingue les acteurs installés en France, régulés selon les normes nationales et les acteurs étrangers qui ne sont pas soumis aux régulations françaises mais peuvent opérer sur le territoire. L'écart de niveau d'exigences de régulation est nuisible tant aux néobanques qu'aux banques traditionnelles.

Par exemple, sur l'entrée en relation, les règles applicables aux acteurs établis en France et à l'étranger divergent. Les banques installées dans certains autres États membres bénéficient en effet de contraintes documentaires plus souples.

Un deuxième exemple d'asymétrie concerne la réglementation applicable au métier de banquier stricto sensu. Plusieurs entreprises de fintech offrent des services que l'on qualifie de parabancaires. Alors que le métier de banquier est très régulé, les professions parabancaires le sont en réalité très peu. Les conseillers Orange réalisant l'ouverture d'un compte Orange Bank doivent ainsi avoir suivi quatre-vingts heures de formation. Si Orange s'était limité à des offres parabancaires comme des prestations de paiement, les collaborateurs n'auraient eu à suivre aucune formation. Sur ce point également, il y a une asymétrie nuisible par rapport aux entreprises installées à l'étranger.

Enfin, mon dernier exemple concerne l'Afrique où Orange a été approché par l'un des principaux acteurs mondiaux du numérique pour lancer une monnaie adossée au dollar. Orange a refusé de participer à cette association mais il s'agit d'un exemple d'innovation non régulée qui peut conduire à un affaiblissement des monnaies nationales.

M. Claude Raynal, président. - Je passe la parole à M. Alexandre Prot, cofondateur de l'entreprise Qonto, afin qu'il nous en dise davantage sur les conditions de développement d'une fintech. Quels sont vos objectifs et quelles sont, selon vous, les avantages d'une néobanque par rapport au secteur traditionnel ?

Alexandre Prot, cofondateur de l'entreprise Qonto. - Qonto étant sans nul doute moins connu qu'Orange Bank, je vais d'abord revenir rapidement sur nos activités et notre développement. Qonto est un établissement de paiement réglementé, basé à Paris.

Il s'agit d'un établissement de paiement actif depuis désormais quatre ans, servant 120 000 clients qui sont essentiellement des TPE, des PME et indépendants à la fois en France mais aussi en Allemagne, en Italie et en Espagne. Les effectifs de Qonto représentent près 300 personnes à Paris.

L'entreprise connait un très fort développement de son chiffre d'affaires et du nombre de clients. Cette croissance nous a valu d'être intégrés en début d'année dans le Next 40, indice créé par le Gouvernement français pour identifier les futures licornes, soit les entreprises en forte croissance, dont la valorisation parvient à dépasser le milliard d'euros. L'objectif affiché par le président de la République est d'atteindre la création de vingt-cinq licornes françaises d'ici 2025.

Qonto vend à ses clients la mise en place d'un compte courant qui permet de réaliser des paiements et des prélèvements et qui est associé à une offre de cartes de paiement, simple ou premium, avec des plafonds et des assurances différenciés.

Les procédures se font intégralement en ligne, soit sur le site internet, soit sur les applications mobiles. Que ce soit l'ouverture de compte, les échanges avec les conseillers, ces opérations sont réalisées à distance et dans cinq langues différentes : français, allemand, espagnol, italien et anglais.

Selon nous, la raison de l'afflux de clients tient à trois éléments : d'abord, la fluidité des applications qui rend très simple l'ouverture du compte, l'ajout de bénéficiaire ou encore la réalisation de virements.

De plus, le service client est particulièrement réactif et disponible. Le support client est ouvert sept jours par semaine, de neuf heures à dix-neuf heures les jours ouvrés et sur des plages plus restreintes le week-end. Le service est disponible quand le client en a besoin.

Concernant la tarification, celle-ci est particulièrement simple : tous les tarifs sont directement accessibles sur le site internet. Proposant une offre plus restreinte que les banques traditionnelles, il est aussi plus simple d'avoir une offre plus claire pour les clients, sans surprises et sans commissions qui ne soient pas comprises. Notre force réside dans la combinaison d'une application très fluide, un support particulièrement disponible et une tarification transparente.

Parmi les clients de Qonto, 70 % d'entre eux sont des entreprises existantes au moment de l'ouverture du compte et qui disposaient déjà d'un compte dans une banque traditionnelle. La moitié d'entre elles a ensuite fait le choix de ne conserver que leur compte Qonto. Les 30 % d'entreprises restant se créent et s'immatriculent directement avec Qonto. En France, 800 000 entreprises se créent par an et notre objectif est de leur offrir un outil simple et fluide pour se lancer et facturer leurs clients rapidement.

Afin de financer cette forte croissance, alors que nous ne sommes pas encore rentables, nous avons déjà levé un total de 136 millions d'euros, avec des profils d'investisseurs assez divers, français, américains, anglais, et même chinois avec un investissement en capital du géant technologique chinois Tencent.

Qonto reste cependant un acteur indépendant des grands groupes traditionnels, et souhaite le rester. Parmi nos investisseurs, nous comptons notamment le directeur financier d'Adyen, entreprise néerlandaise qui montre bien le succès que peuvent atteindre certaines entreprises de la fintech avec une valorisation de plus de 65 milliards d'euros. Notre objectif est de rester indépendant sans d'adosser à un grand groupe.

Pour moi, il est particulièrement important de veiller à la compétitivité des entreprises françaises et du marché français par rapport aux autres acteurs européens ou basés dans un autre État membre. Le dispositif de passeport européen permettant d'opérer dans tous les États membres, cela crée une asymétrie de concurrence pour les entreprises installées en France. Il est nécessaire que les règles imposées aux acteurs basés en France soient similaires à celles imposées aux acteurs basés à l'étranger. Alors que nous avons fait le choix de nous localiser en France, certains acteurs réalisent des choix différents et il est indispensable de parvenir à uniformiser les règles.

Un second point de vigilance concerne les types d'acteurs ou d'agrément : il me semble incohérent de constater qu'en tant qu'établissement de paiement, nous ne pouvons par réaliser un certain nombre d'opérations qui relèvent exclusivement des établissements de crédit. Tel est notamment le cas des dépôts de capital social des entreprises donnant à lieu à une attestation de dépôts des fonds, et qui ne peuvent être réalisés qu'au sein des établissements de crédit. C'est un exemple de ce qui pourrait être ajusté pour faciliter l'innovation et pour encourager davantage la création d'entreprises en France.

Pour conclure, je souhaite simplement rappeler que la frontière entre banque et néobanque n'est pas toujours parfaitement nette mais qu'il y a bien une continuité dans les services apportés.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Puisque l'on parle de modèle bancaire, ma première question portera sur la rentabilité des banques : comment expliquer la faible rentabilité des banques européennes - et françaises en particulier - par rapport aux banques américaines ?

J'observe par ailleurs une segmentation des usages bancaires : les clients recourent de plus en plus à des acteurs innovants pour leurs opérations quotidiennes, tandis que les banques traditionnelles restent les interlocuteurs privilégiés pour certaines grandes étapes de la vie - emprunt pour un achat immobilier, constitution d'une épargne. Cependant, les nouveaux acteurs s'appuient bien souvent sur le maillage territorial des banques traditionnelles pour proposer leurs services, sans en assumer les contraintes - je pense par exemple à la distribution des espèces, que nous avons évoquée lors de la première table-ronde. En quoi les nouveaux acteurs contribuent-ils à maintenir ce réseau ? N'y a-t-il pas là une stratégie de « coucou » qui pourrait être dommageable ?

Enfin, lors de notre première table-ronde, j'ai rappelé le constat dressé par l'ACPR de la singularité française tenant à l'absence de plateformes dédiées aux services financiers. En la matière, M. Denis Beau a rappelé les enjeux de sécurité. Ces derniers sont souvent invoqués par les banques pour justifier des restrictions à l'ouverture de l'accès aux données bancaires. Ma question s'adresse donc directement aux représentants des nouveaux acteurs : quelles sont les difficultés constatées en la matière ? Plus largement, l'affirmation croissante des géants du numérique sur le secteur des paiements ne risque-t-elle pas de bouleverser la donne ?

M. Vincent Segouin. - On distingue deux métiers au sein de la banque : le dépôt et le détail. Il apparaît clair que la banque de dépôt offre la meilleure rentabilité, là où la banque de détail doit supporter un certain nombre de contraintes et de charges. Je relève que la banque à distance limite ce type de coût mais conduit inévitablement à un appauvrissement des territoires et accélère le phénomène de déshumanisation du paysage bancaire français. Le premier sous-gouverneur de la Banque de France nous a indiqué qu'il apparaissait nécessaire de réguler rapidement ce secteur. Je partage ce point de vue.

J'ai bien entendu le cofondateur et président?directeur général de Qonto nous indiquer que sa banque n'était pas encore rentable. Je m'interroge sur ce point alors que Qonto n'a pas à supporter de frais importants ni mis d'importants moyens en oeuvre. Nous échangeons par ailleurs beaucoup avec les représentants d'Orange sur nos territoires. Ceux-ci nous font régulièrement part de leurs impératifs d'économies afin de mieux résister à la concurrence internationale... au risque d'accélérer cette terrible déshumanisation.

Je suis très inquiet d'une telle évolution. Il me semble indispensable que le législateur intervienne.

M. Marc Laménie. - Je suis très attaché à la présence de la Banque de France au sein de nos territoires. Dans le département des Ardennes, les élus sont régulièrement consultés par le directeur de l'antenne locale sur l'accès au financement des entreprises par exemple.

Ma question portera sur les conditions d'accès au crédit. Les taux d'intérêts diminuent mais le phénomène de surendettement subsiste. Que justifie notamment l'écart entre les taux de crédits pour des prêts immobiliers par exemple et ceux constatés pour les crédits à la consommation ? Je note par ailleurs que l'obtention d'un prêt pour les particuliers et les entreprises peut relever du parcours du combattant, au regard du nombre de documents à fournir.

Les collectivités territoriales n'ont pas été abordées dans nos échanges. Mais celles-ci, en tant que donneurs d'ordres, ont un rôle important à jouer dans la relance économique, notamment en faveur de la reprise au sein du secteur du bâtiment et des travaux publics. Or je note là encore que l'accès au crédit peut être difficile, avec un écart entre les analyses financières sur la solvabilité des collectivités territoriales fournies par la direction générale des finances publiques et celles élaborées par les banques...

Je profite également de la présence d'un représentant d'Orange pour aborder la question de l'accès aux services de base en matière de téléphonie. Le parti pris en faveur de la fibre ne doit pas rendre difficile l'accès aux services de base pour les petites communes qui n'y sont pas éligibles. Nombre de leurs habitants, souvent des personnes âgées, utilisent leurs téléphones pour des services d'alarme et se retrouvent confrontés à des difficultés d'accès à ces prestations essentielles.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je ferai pour ma part un focus sur les fintech. Il existe un mouvement tectonique, qu'il convient de mettre en lumière tant il rappelle celui ayant abouti à l'affirmation des GAFAM et que nous n'avions pas vu venir. Je relève ainsi que Tencent est montée au capital de Qonto. L'ambition de Tencent est claire : elle veut s'affirmer comme la banque mondiale de la donnée personnelle. Son entrée au capital d'une banque en ligne n'est donc pas anodine. Pourquoi les pouvoirs publics mais aussi les investisseurs ne s'alarment-ils pas d'une telle montée en puissance ?

M. Philippe Dominati- Ma question portera sur la Bourse d'Amsterdam. Dans le contexte post-Brexit, celle-ci tend à venir concurrencer la place financière de Paris, jugée insuffisamment compétitive et attractive. Je comprends que certaines difficultés financières concourent à cette appréciation. Quel regard portent les représentants des nouvelles technologies sur cette concurrence ?

M. Victorin Lurel. - Le premier sous-gouverneur de la Banque de France pourra peut-être nous indiquer quel est, selon lui, l'avenir de la banque universelle. J'ai, pour ma part, l'impression que son temps est compté. Une partie du secteur a été réglementée en 2013 à l'occasion de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Il reste les hedge funds ou fonds de gestion alternative, toujours peu contrôlés. La politique accommodante de la BCE a favorisé un phénomène de surliquidité, facilitant le refinancement des établissements bancaires et la possibilité pour eux d'investir dans le secteur non-réglementé. Un risque de spéculation avec les dépôts des particuliers n'est-il pas à craindre ? Il convient sans doute de mieux séparer les secteurs à l'image de ce qu'ont réalisé les autorités américaines.

M. Claude Raynal. - Je vais d'abord me tourner vers M. Alexandre Prot. Les interrogations soulevées ne l'ont probablement pas étonné compte tenu des préoccupations portées par le Sénat. Une des questions, qui a d'ailleurs été posée lors de la première table-ronde, a trait aux répercussions sur les territoires des modifications du fonctionnement des banques dont la présence physique constitue l'un des éléments importants de l'équilibre de ces territoires. Est-ce que vous avez conscience des impacts territoriaux des évolutions en cours et avez-vous le sentiment d'y participer ? Avez-vous une réponse à apporter à ces préoccupations ?

Une autre question vous a également été posée sur la façon dont vous êtes en mesure d'assurer le contrôle des bases de données individuelles. Vous allez sans doute pouvoir nous rassurer sur ces sujets.

M. Alexandre Prot. - Sur le sujet des territoires et de la localisation des services nous n'avons pas la prétention de dire que nous allons régler tous les problèmes. En revanche, il y a un problème que l'on contribue à régler, c'est la question de la gestion financière des petites entreprises. Celles-ci y consacrent souvent beaucoup de temps et peut-être pas assez à développer leurs produits, leurs services et être au contact de leurs clients. Ce que nous apportons à ces petites entreprises c'est un service fluide, rapide, à un tarif simple et transparent, un service 100 % en ligne car c'est ce qui fonctionne le mieux aujourd'hui et d'autant plus dans un contexte de pandémie durant lequel les personnes ont été confinées chez elles pendant de longs mois au cours des derniers trimestres. Il y a un an j'aurais déjà eu le même discours mais l'importance de proposer un service en ligne est encore plus vraie aujourd'hui. Il apparaît évident qu'un service à distance a tout son sens, y compris, évidemment, pour des services financiers. Il est important de préciser le point suivant.

Nos 120 000 clients sont localisés dans quatre pays européens, en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne. Une très large majorité se situe en France, où nous servons des clients dans l'ensemble des régions, y compris évidemment dans les outre-mer ainsi que dans toutes les villes ou villages. Il n'est pas nécessaire d'avoir une agence bancaire au coin de la rue pour détenir un compte chez Qonto. Aussi, l'autre manière de voir les choses est de considérer que nous, nous sommes « à portée de clic » pour n'importe quelle personne qui dispose d'un smartphone ou d'un ordinateur.

Évidemment cela pose la question de l'accès à internet. Une question a notamment été posée sur le développement de la fibre et sur la problématique des déserts numériques. Je pense que c'est un sujet un peu différent. En ce qui nous concerne, il suffit de disposer d'un smartphone ou d'un ordinateur pour ouvrir un compte pour son entreprise et se lancer.

Nous fluidifions beaucoup l'accès ainsi que les conditions d'utilisation des services de paiement pour les entrepreneurs. Il se trouve d'ailleurs que nombreux sont ceux, parmi nos clients, qui n'ont pas pu ouvrir de compte dans une banque traditionnelle. Parmi nos clients, nous avons aussi des primo entrepreneurs, ou des entrepreneurs qui ont créé une nouvelle activité après avoir dirigé des entreprises qui n'avaient pas nécessairement bien fonctionné dans le passé. Pour ces entrepreneurs il n'est pas forcément évident d'ouvrir des comptes. Aussi, ils le font chez nous et sont très content de pouvoir le faire. Nous contribuons à aider et à fluidifier l'accès à des services de paiement pour de nombreuses entreprises et de nombreux entrepreneurs, justement car nos services ne nécessitent pas de se déplacer physiquement dans une agence qui a des horaires d'ouverture précis et suppose certaines contraintes. J'ai plutôt envie de voir le verre à moitié plein et de considérer que l'on intervient en complément d'autres offres, d'autres canaux déjà existants et, évidemment, notre activité répond à un vrai besoin.

Une deuxième question portait sur le fait que nous ne sommes pas encore rentables. Nous avons des coûts, des coûts de développement, des coûts liés à nos 300 personnes en contrat à durée indéterminée, des coûts de marketing et de développement de notre notoriété parce que nous ne sommes pas encore très connus du grand public et des entreprises en France et en Europe qui constituent notre marché potentiel. Cela nécessite de faire de la publicité, en ligne, à la radio et - bientôt - à la télévision. Tout cela nécessite des investissements.

Par ailleurs, comme pour toutes les entreprises innovantes, notre modèle économique consiste à lever des fonds, à les investir et à espérer que nous devenions rentables après quelques années. Nous nous sommes lancés il y a quatre ans et je compte bien que dans les prochaines années nous devenions rentables. C'est le modèle du capital risque : les investisseurs qui ont investi chez Qonto font le pari, comme nous, que, d'ici quelques années, nous serons rentables. Ce modèle est commun à de nombreux secteurs. Le fondateur français de Moderna le rappelle souvent : des investisseurs, notamment américains, ont investi un milliard de dollars avant qu'un jour, la société Moderna devienne rentable et s'apprête, grâce au vaccin à ARN messager qu'elle a développé, à faire d'importants profits dans le cadre de la crise sanitaire actuelle. Dans un autre secteur, notre expérience est similaire. Nous avons levé des fonds et espérons devenir rentables.

Sur le troisième sujet relatif à la sécurité des données de nos clients, évidemment nous respectons toutes les réglementations françaises et européennes ainsi que toutes les préconisations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) puisque nous sommes basés en France. Je pense qu'il est important de mentionner que nos investisseurs, que ce soit Tencent, qui est très minoritaire, ou tous nos autres investisseurs, n'ont évidemment accès à aucune de nos données clients. Ils sont destinataires d'une déclaration mensuelle leur permettant de connaître le nombre de nos clients, notre chiffre d'affaires et notre avancée dans nos plans de développement, mais ils n'ont évidemment accès à aucune donnée de nos clients.

M. Claude Raynal. - Il me semble que notre collègue renvoyait plutôt à une préoccupation liée à un actionnaire dormant, par exemple un grand groupe, qui, à un moment donné, pourrait, de par sa position, prendre une place plus significative dans l'entreprise. L'idée, me semble-t-il, était de souligner qu'il convenait d'être attentif à l'actionnariat d'une entreprise comme la vôtre. C'est plutôt d'ailleurs vous reconnaître un certain talent.

M. Alexandre Prot. - La question est légitime. Étant une entreprise réglementée par l'ACPR, tout changement de contrôle de notre entreprise serait soumis à l'approbation de ce régulateur. Donc s'il y avait un jour un rachat, il serait soumis au régulateur et je suppose qu'à ce moment-là ces questions se poseraient. Mais actuellement la question ne se pose pas véritablement selon moi.

M. Claude Raynal. - Je voulais que l'appréciation de l'angle de la question soit bien claire. Il est à souligner par ailleurs que les données clients, confidentielles bien entendues, constituent la richesse et l'actif de l'entreprise.

Monsieur de Leusse, les questions vous concernant ont largement débordé le cadre d'Orange Bank. Mais, malgré tout, le sujet de l'accès aux services numériques reste important et en lien avec votre activité. Je vous laisse y répondre.

M. Paul de Leusse. - Je vais commencer par répondre à la question de l'accès aux services numériques puis, dans un second temps, je répondrai plus spécifiquement sur les sujets concernant directement Orange Bank. Je suis banquier depuis vingt ans et je ne suis opérateur télécom que depuis deux ans, donc vous me pardonnerez le fait que je ne sois pas aussi sachant sur cette question que mes collègues du comité exécutif d'Orange ! Effectivement, des engagements ont été pris sur l'équipement en France et Orange est de très loin l'opérateur qui investit le plus pour « fibrer » la France en complément du réseau cuivre existant. Ces engagements, ils ont été pris et ils sont tenus. Ils représentent des milliards d'euros d'investissements pour Orange mais cela fait partie de ce que l'opérateur doit à ses clients et, à ce titre, cet investissement est justifié. Cela prend du temps mais, y compris pendant le confinement, nous avons continué à travailler pour « fibrer » la France. C'est un investissement pluriannuel qui mobilise des ressources extrêmement importantes chez Orange quand bien même toute la France n'est pas encore fibrée.

Je voudrais revenir sur le sujet des territoires. Nous avons effectivement la conviction que nous devons avoir une présence sur les territoires. En particulier car, nous le voyons, parmi les clients que nous gagnons, au nombre d'environ 40 000 nouveaux clients par mois, ceux que nous récupérons par le canal digital sont très différents que ceux que nous récupérons par le canal des boutiques. Sur le canal digital, nous récupérons des clients qui auraient pu aller dans la plupart des autres néobanques. Quand on regarde leur profil en termes d'âge, de genre ou de revenu, on retrouve un certain type de clients. Les clients que nous récupérons via les boutiques sont d'une sociologie très différente. Ils ont des revenus plus faibles, ils sont plus âgés et ce sont souvent des clients qui n'auraient pas spontanément choisi d'aller vers une banque digitale. Ils l'ont fait parce qu'un vendeur en boutique leur a expliqué les bénéfices associés à cette banque digitale. Donc, nous avons la conviction très forte qu'en France, et encore plus en Afrique, un réseau physique permet de toucher des personnes qu'autrement on ne toucherait pas. Nous avons aussi la conviction que nous créons de l'emploi en France. Orange Bank représente 750 emplois en France, dont 500 emplois à Montreuil, où est basé le siège, et 250 à Amiens où nous avons un centre d'appel. Je pense que le sujet n'est pas d'imaginer les néobanques comme des « coucous » qui viendraient profiter d'une infrastructure financée par les banques traditionnelles sans en payer le coût. Ce n'est pas du tout notre vision.

Toutefois, la forme d'injustice qui peut exister, c'est au regard de néobanques qui opéreraient depuis l'étranger et qui ne satisferaient pas aux exigences françaises, des néobanques qui, quand bien même elles ont des clients en France, et parce qu'elles opèreraient depuis l'étranger, ne seraient pas assujetties à la même réglementation. Là, je trouve qu'il existe une forme d'iniquité et ce, d'autant plus que si la réglementation européenne est uniforme en termes prudentiels, c'est à dire de fonds propres, elle ne l'est pas en termes de lutte anti-blanchiment. Cela signifie que des néobanques qui opèrent en France depuis l'étranger appliquent des critères moins-disants en termes de lutte anti-blanchiment que ce que nous essayons d'appliquer parce que nous opérons en France. Donc, la présence sur le territoire est nécessaire mais l'iniquité est très forte vis à vis de ces néobanques qui ne créent pas d'emplois en France. Sur cette question, je trouve que l'Europe ne joue pas pleinement son rôle.

Un mot sur la rentabilité. Nous ne sommes pas encore rentables, et pour des raisons qui sont exactement les mêmes que celles qu'évoquait Alexandre Prot, parce que nous avons beaucoup investi sur notre informatique et sur le marketing pour nous faire connaître auprès des clients. En plus, nous payons le réseau de boutiques lorsque nous l'utilisons, ce qui est normal puisque nous leur prenons du temps commercial. Nous ne sommes pas encore rentables mais nous avons fortement réduits nos pertes. Nos pertes en France ont été réduites de 25 % en deux ans. Nous nous acheminons vers la rentabilité et nous serons rentables un jour, c'est certain.

J'ai deux remarques par rapport à ce sujet. Le premier c'est que l'Europe ne nous aide pas non plus. Quand vous êtes une néobanque aux États-Unis, vous opérez sur l'ensemble du territoire américain. Quand vous êtes une néobanque en France vous pouvez opérer sur le territoire français. Mais lorsque vous voulez vous déployer dans un autre pays, sauf à procéder par le passeport européen mais avec les limites que j'ai évoquées sur la lutte anti-blanchiment, vous devez créer des succursales dans chaque pays. Et si vous voulez opérer sur le métier du crédit, qui n'est pas harmonisé au niveau européen, vous devez satisfaire aux réglementations de chaque pays. Celles-ci sont toutes différentes. Pour la même somme investie dans une néobanque, en France vous n'aurez accès qu'au marché français alors qu'aux États-Unis vous aurez accès à l'ensemble du marché américain.

Toujours sur le thème de la rentabilité, le deuxième élément qui me frappe toujours, c'est qu'on se félicite quand une fintech ou une néobanque lève de l'argent. On a raison parce que cela signifie que l'on draine de l'épargne qui va être productive, qui va être investie sur un actif, certes risqué, mais qui a toutes les chances de réussir, comme c'est le cas de Qonto. Mais quand une entreprise traditionnelle comme Orange investit dans Orange Bank, aucun journaliste ne se félicite de l'investissement de l'entreprise. Au contraire, nos pertes sont pointées alors que ce sont pourtant exactement les mêmes que celles d'une néobanque indépendante dans laquelle des investisseurs en capital-risque auraient investi. Mais dans la mesure où c'est l'argent d'Orange, la décision est mal considérée. Je trouve que c'est là un esprit un peu franco-français qui fait que l'on ne valorise pas le risque qu'une entreprise est prête à prendre pour se lancer dans un nouveau métier. D'un côté on déplore que les acteurs traditionnels ne soient pas aussi innovants que les acteurs fintech mais d'un autre côté, quand ils mettent un peu d'argent pour l'être, on estime que c'est dommage et qu'ils perdent de l'argent. Je trouve que l'on a le devoir de faire savoir que c'est une bonne chose lorsqu'une entreprise privée investit sur son propre métier, que c'est presque aussi positif que quand un capital-risqueur investit dans un nouvel établissement.

Mme Maya Atig. - Les différentes interventions permettent de compléter ce qui a été dit tout à l'heure. Notre activité s'effectue dans un cadre extrêmement exigeant, lié à l'exigence des clients. Les 360 000 banquiers sont exigeants avec eux-mêmes d'ailleurs. Couplés aux exigences de la réglementation, ces éléments peuvent conduire à une équation économique complexe. En huit ans, les banques françaises ont renforcé leurs fonds propres à hauteur de 40 milliards d'euros, qui ne seront donc pas servis aux actionnaires ou aux sociétaires. Ceci permet de renforcer la sécurité et la confiance. Nous cherchons un équilibre entre un modèle qui doit servir de manière universelle et pour lequel les actionnaires se contentent d'une rentabilité plus faible et un autre dans lequel ils se satisferont d'une absence temporaire, mais au prix d'une rentabilité supérieure par la suite.

Je tiens également à rappeler la nécessité d'avoir des règles comparables entre les pays. L'équation de la rentabilité n'est pas écrite pas de la même façon partout. L'activité bancaire nécessite intrinsèquement des sommes importantes. S'ajoute de surcroît, pour les acteurs bancaires, la contrainte d'être présents partout. Je voudrais donc signaler ce point qui sous-tend nos exigences réglementaires.

M. Denis Beau. - Sur la comparaison des rentabilités entre l'Europe et les États-Unis, il existe des différences significatives qui expliquent les écarts, comme la différence d'intégration du marché aux États-Unis et en Europe. D'autres facteurs d'explication tiennent au modèle d'activité et au modèle de revenu. Les acteurs américains sont par ailleurs mieux protégés contre l'environnement de taux bas. Il existe également un facteur, plus conjoncturel, lié aux fluctuations économiques, qui ne sont pas les mêmes et affectent le potentiel de croissance, qui est plus fort aux États-Unis. Enfin, on constate que les coûts d'exploitation des acteurs bancaires sont moins élevés aux États-Unis qu'en Europe. Cela peut également résulter des stratégies de présence territoriale différentes.

En écho à ce que disait Maya Atig, sur le modèle de financement, je souligne également que nous sommes confrontés à une évolution qui nous éloigne du modèle de financement que nous avons connu il y a encore peu de temps, dans lequel l'Europe est dominée par le financement bancaire, à hauteur de 80 %, tandis que les États-Unis privilégient le recours au marché. La réalité est sensiblement différente. L'Europe n'a pas rejoint le modèle américain, loin de là, mais la part des acteurs non-bancaires augmente, avec différents types d'acteurs. Du point de vue du superviseur, cette diversification comprend un certain nombre de mérites.

L'enjeu aujourd'hui est aussi lié aux leçons tirées de la crise de 2008. La gestion du risque de liquidité des acteurs non-bancaires, notamment, est un sujet de préoccupation de notre part.

Sur l'avenir de la banque universelle, lorsqu'on regarde les modèles d'affaires des grandes banques européennes, elles ne sont pas les plus nombreuses mais restent de loin les plus importantes en termes d'actifs et de résultats. Elles interviennent dans un environnement plus concurrentiel qu'il y a dix ans.

Enfin, s'agissant de la compétitivité des places financières, il faut signaler le rôle de l'écosystème et d'une multitude de facteurs. À ce stade, la place de Paris fait partie des acteurs de la zone euro importants vers laquelle des actifs significatifs ont été relocalisés à l'issue du Brexit. On s'oriente vers un système financier multipolaire au sein de la zone euro. Cette diversification est encore un élément de solidité pour l'avenir.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Claude Raynal, Jean-François Husson, Albéric de Montgolfier, Vincent Segouin, Jean-Michel Arnaud, Mme Isabelle Briquet et M. Thani Mohamed Soilihi comme membres titulaires, et de M. Jérôme Bascher, Mme Christine Lavarde, MM. Arnaud Bazin, Bernard Delcros, Rémi Féraud, Christian Bilhac et Éric Bocquet comme membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée d'examiner les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement.

La réunion est close à 12 heures.

Jeudi 4 mars 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 11 h 30.

Audition de Mme Mairead McGuinness, commissaire européenne chargée des services financiers, de la stabilité financière et de l'union des marchés des capitaux

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Avec nos collègues de la commission des affaires européennes et son président, Jean-François Rapin, que je remercie d'avoir pris cette initiative, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Mairead McGuinness, commissaire européenne chargée des services financiers, de la stabilité financière et de l'union des marchés de capitaux.

Il y a quelques semaines, nous avons examiné et adopté le projet de loi autorisant l'approbation de la décision relative au système des ressources propres. Cette décision doit permettre de concrétiser rapidement la mise en oeuvre de « Next Generation EU », l'instrument européen de relance coordonnée.

Le portefeuille dont vous avez la charge traite de sujets complémentaires à ces mesures de soutien public : stabilité financière et bon accès des entreprises aux financements privés. Vous avez compétence à ce titre sur les questions relatives à l'union bancaire et à l'union des marchés de capitaux, mais aussi sur les négociations avec le Royaume-Uni en matière de services financiers ou encore sur les propositions de transposition des accords de Bâle.

Nous souhaitons connaître l'état d'avancement de ces dossiers, notamment des négociations avec le Royaume-Uni sur le sujet des équivalences, ainsi que la manière dont vous envisagez la finalisation des accords de Bâle III, en vue de laquelle vous devriez formuler vos propositions au printemps. Les banques françaises nous ont fait part d'inquiétudes à cet égard. Par ailleurs, toujours en matière bancaire, nous aimerions savoir comment l'Union européenne pourra, selon vous, faire face au risque d'augmentation du nombre de prêts dits « non performants » dans le contexte de crise sanitaire que nous traversons.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Madame la commissaire, après une longue expérience au Parlement européen, vous avez reçu, en octobre dernier, la charge des services financiers, de la stabilité financière et de l'union des marchés des capitaux. Ces sujets, parfois considérés comme techniques, ont pourtant une importance majeure pour l'économie européenne. En effet, la stabilité financière conditionne la prospérité et permet le financement de l'économie ; inversement, la crise actuelle fait craindre des défauts généralisés dans l'économie réelle, susceptibles de poser un risque systémique sérieux pour la stabilité financière.

De fait, l'agenda européen concernant les services financiers est particulièrement riche : l'Union économique et monétaire appelle à parachever l'union bancaire et l'union des marchés de capitaux. Aussi la poursuite de l'élaboration du cadre réglementaire européen en ces matières représente-t-elle un défi au long cours. Divers chantiers s'annoncent dans les prochains mois, concernant, notamment, l'architecture de gestion de crises et la transposition des règles de Bâle III, qui inquiète fortement nos banques : les exigences en capital plus sévères que celles-ci auraient alors à respecter pourraient les désavantager par rapport à leurs concurrentes américaines et menacer le financement du secteur public local.

Ce travail de longue haleine se trouve bousculé par le choc financier lent lié, d'une part, à la crise induite par le covid-19, qui a notamment conduit à la mise en place anticipée du filet de sécurité du mécanisme européen de stabilité (MES) et à des allégements temporaires des exigences liées aux fonds propres et, d'autre part, aux conséquences du Brexit sur la sphère financière. À ce sujet, nous serions intéressés de connaître les intentions de la Commission européenne en matière d'octroi d'équivalences et de rapatriement ou de développement d'infrastructures de marché stratégiques sur le continent européen.

La mise en place du plan de relance européen massif, assis sur un emprunt mutualisé, soulève aussi de nouveaux enjeux. Elle conduit notamment à ranimer les débats autour de l'instauration d'une taxe européenne sur les transactions financières dans le cadre de la création de nouvelles ressources propres. Sur ce sujet également, nous souhaiterions savoir quelle est votre vision.

Mme Mairead McGuinness, commissaire européenne chargée des services financiers, de la stabilité financière et de l'union des marchés de capitaux. - Je vais me concentrer sur les sujets prioritaires. Le premier est la covid-19 et la relance économique.

Cette pandémie a obligé les États membres de l'Union européenne à imposer des restrictions sanitaires larges. Il y a un an, quand les premières mesures ont été introduites, nous pensions en sortir rapidement ; malheureusement, alors que certains États membres font désormais face à une troisième vague de l'épidémie, celles-ci sont toujours nécessaires pour sauver des vies. Le secteur financier a su rester résilient durant cette crise ; les mécanismes de soutien mis en place par les gouvernements ont permis des extensions de crédits alors que les autorités régulatrices ont enjoint les banques à faire preuve de toute la flexibilité possible vis-à-vis des emprunteurs.

La Commission européenne s'est jointe aux efforts mondiaux pour stabiliser le système financier et maintenir le flux de crédit vers l'économie. Ceci s'est traduit par un paquet bancaire en avril 2020 qui a offert une flexibilité ciblée sur les règlements prudentiels et un train de mesures de relance par les marchés de capitaux, en juillet 2020, afin d'aider les entreprises européennes dans leur redressement après la crise. Des amendements ciblés à la directive concernant les marchés d'instruments financiers facilitent la vente de produits financiers de base à un vaste éventail d'investisseurs de détail, et ont été introduites de nouvelles règles sur le financement des petites et moyennes entreprises (PME) pour leur permettre de bénéficier d'une plus grande visibilité aux yeux d'un nouveau panel d'investisseurs. Le prospectus de relance a été introduit pour permettre la recapitalisation des entreprises européennes. Enfin, ce paquet de mesures est venu faciliter la titrisation des prêts dits « non performants », et offrir des manières plus simples et plus transparentes de transférer le risque à des investisseurs externes afin de libérer la capacité de prêt des banques.

Il est vital d'assurer une relance rapide pour tous les États membres de l'Union européenne, et c'est pourquoi la Commission européenne a souhaité mettre en avant la facilité pour la reprise et la résilience. Cet instrument rend disponibles 672,5 milliards d'euros sous la forme de prêts et de subventions aux États membres et, par le biais d'un soutien financier de grande ampleur pour les investissements et les réformes, il a pour but d'aider la reprise dans les États membres en encourageant l'investissement pour une économie durable et numérique. Il nous permettra également de soutenir la demande et de nourrir la croissance dans les années qui viennent.

S'agissant du plan d'action sur les prêts non performants, le secteur financier a aidé à minimiser la crise, mais l'Europe a besoin d'une stratégie claire pour maintenir la santé et la robustesse du secteur bancaire et préparer les nouveaux défis. De ce point de vue, protéger le crédit aux entreprises et aux ménages est une priorité. L'impact de la pandémie sur l'économie va sans doute se traduire par des augmentations de ces prêts non performants et des défaillances. La Banque centrale européenne (BCE) prédit ainsi que ces prêts devraient atteindre 1,4 trillion d'euros dans la zone euro. Pour le moment, le ratio de prêts non performants demeure stable, en dépit de prêts importants consentis par les banques tout au long de la crise.

Afin d'éviter leur croissance dans les bilans des banques, nous avons adopté un plan d'action en décembre dernier. Un premier train de mesures visait à améliorer la liquidité, la transparence et les transactions sur les marchés secondaires de prêts non performants, tout en protégeant les emprunteurs. Le deuxième entendait améliorer et coordonner les cadres juridiques de l'insolvabilité, de manière que le recouvrement des prêts puisse être efficace. Le troisième volet concerne les sociétés de gestion d'actifs ; la Commission européenne a émis des recommandations à destination des États membres qui décideraient de mettre en place des sociétés de gestion d'actifs nationales. Enfin, quatrièmement, nous souhaitons clarifier l'application de la résolution bancaire et des cadres sur les aides d'État ainsi que des mesures de précaution.

La Commission européenne va avancer sur le volet bancaire avec les réformes issues de Bâle III, dont elle a repoussé la mise en oeuvre dans l'Union européenne, un accord étant intervenu pour un délai complémentaire d'un an. Notre engagement à réaliser ces réformes, à moyen et à long terme, n'a pas changé ; nous entendons toutefois tenir compte des spécificités de l'Union européenne pour préserver l'intégrité des cadres existants. Comme nous l'avons dit en avril 2020, nous allons prendre en compte l'impact de la crise de la covid-19 sur la situation financière des banques. L'Autorité bancaire européenne a donc actualisé son analyse de la mise en oeuvre de Bâle III et la Commission européenne va avancer une proposition en juillet.

S'agissant de l'union bancaire, son avancement et son achèvement restent des priorités pour la Commission européenne ; la crise a démontré l'importance d'un cadre de gestion robuste pour les banques et de filets de sécurité financiers conséquents, financés par l'industrie, pour renforcer la confiance des déposants. La Commission européenne travaille donc sur un cadre de gestion de la crise et d'assurance des dépôts. Nous avons lancé une consultation publique en février à cet effet et notre ambition concernant le système européen d'assurance des dépôts n'a pas changé. : un mécanisme, garantissant également la mutualisation des pertes, est absolument nécessaire à l'union bancaire ; à défaut, nous risquons une renationalisation bancaire. Il nous faut donc travailler à un modèle hybride dans un premier temps, basé sur la coexistence de fonds de garantie des dépôts nationaux, à côté d'un fonds de l'Union européenne plus centralisé. Les deux systèmes cadres d'assurance des dépôts et gestion de crise sont étroitement liés, la priorité étant de préserver la stabilité financière et de soutenir la confiance des déposants, tout en limitant l'utilisation des deniers du contribuable.

Pour ce qui est de l'union des marchés de capitaux, la crise a démontré qu'il existait une réelle opportunité. Nous l'avions constaté après la crise de 2008 : les États-Unis avaient connu une relance plus rapide que l'Europe, parce que leurs marchés de capitaux étaient plus développés. Les États membres de l'Union européenne ont compris qu'il y avait là urgence et nous avons insisté, durant le sommet européen, sur le besoin de développer cette union des marchés de capitaux. Notre objectif le plus urgent est de favoriser la relance post-covid et de soutenir nos entreprises, en particulier les PME, mais l'union des marchés de capitaux est essentielle pour financer également les transitions numérique et durable. Nous devons être exhaustifs et ambitieux, mais également réalistes : cette union des marchés de capitaux demeure un projet à long terme, qui doit être construit étape par étape. Nous devons progresser sur certains points délicats qui demandent du temps, comme la solvabilité, sujet central au regard du risque d'augmentation des défaillances et des faillites après la crise de la covid. La supervision est donc essentielle, même s'il est vrai qu'elle constitue, avec la retenue à la source, un obstacle très ancien à l'union des marchés de capitaux. Nous nous y sommes confrontés dans le plan d'action, mais des difficultés subsistent dans les discussions entre les États membres et nous aurons besoin du soutien de tous, y compris du Sénat français, si nous voulons vraiment progresser sur ces points politiquement sensibles.

L'union des marchés de capitaux est également nécessaire à l'établissement d'une finance plus durable en ce qu'elle permettrait de mobiliser les investissements très importants dont nous aurons besoin pour atteindre nos objectifs sur le climat et sur l'environnement. Dans ce domaine, le Pacte vert, la taxonomie de l'Union européenne, les obligations vertes et notre stratégie financière durable nous permettent de raisonner à un horizon 2030-2050.

Avant de conclure, j'aimerais dessiner quelques perspectives stratégiques pour le système économique et financier de l'Union européenne. Nous évoluons dans un contexte géopolitique multipolaire, avec certains pays qui s'éloignent du multilatéralisme et qui suivent leurs propres priorités. La pandémie et le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ont mis en lumière certaines vulnérabilités au sein de l'Union comme dans le système économique et financier mondial, parmi lesquelles le fait que nous dépendons trop d'opérateurs étrangers, en particulier dans le domaine de la compensation et du règlement des dérivés financiers, dont la plupart s'effectuent au Royaume-Uni et sont financés en dollars américains. Durant les dernières années, nous avons également constaté que le statut du dollar en tant que monnaie de réserve avait parfois été politisé, rendant plus difficile pour les entreprises européennes de s'engager légitimement avec des pays tiers, cibles de sanctions extraterritoriales illégales. La Commission européenne a donc publié en janvier une communication intitulée « The European economic and financial system: fostering openness, strength and resilience ». Elle y préconise, tout d'abord, de renforcer le rôle international de l'euro, ensuite, de continuer à développer les infrastructures de marchés financiers, d'améliorer notre résilience et, enfin, d'assurer la mise en oeuvre uniforme et cohérente des sanctions de l'Union. Je sais que la France est un soutien majeur de l'autonomie stratégique ouverte ; nous sommes très confiants et impatients de travailler avec vous sur ce point. Des sujets importants demeurent, comme le reporting pays par pays. Comme commissaire, mais aussi comme députée européenne pendant très longtemps, je considère qu'il nous revient de surmonter nos quelques divergences pour travailler de concert.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ma première question concerne l'accord conclu à la fin de l'année 2020 entre l'Union européenne et le Royaume-Uni sur leur relation future, qui prévoit notamment la conclusion d'un protocole d'accord sur les services financiers d'ici à mars. Nous y sommes. Le Royaume-Uni a perdu le passeport lui permettant de commercialiser ses services financiers au sein de l'Union européenne et ces discussions devaient porter sur le régime des équivalences. Où en sont les discussions à ce sujet ? La Commission européenne s'oriente-t-elle vers l'octroi d'équivalences temporaires et, si oui, à quelle échéance celles-ci seront-elles révisées ?

Seconde question, notre commission des finances a organisé une table ronde sur la mobilisation de l'épargne financière des ménages afin de soutenir la relance. Les représentants du secteur bancaire nous ont indiqué que la finalisation de Bâle III risquait d'entraver le financement des entreprises non cotées, en raison d'une harmonisation des règles d'évaluation des risques entre le système financier européen et le système anglo-saxon, au détriment des entreprises européennes. Partagez-vous ce constat ? Plus largement, comment entendez-vous tenir compte de ces contraintes dans vos propositions en la matière, qui sont attendues pour ce printemps ?

Mme Mairead McGuinness. - Je vous remercie de porter à mon attention les auditions que vous avez menées ; j'ai également eu un certain nombre d'entretiens avec plusieurs parties prenantes qui nourrissent des inquiétudes sur la mise en oeuvre de Bâle III. L'objectif, à mon sens, est de renforcer et de rendre plus résilient le système bancaire. Toutefois, il faut tenir compte de certaines spécificités du système européen, encore plus dans le contexte de la covid. Dans notre étude d'impact, nous nous pencherons sur certaines de ces questions.

En ce qui concerne l'économie de l'Union européenne, vous avez évoqué les PME non cotées ; il nous faut ainsi nous assurer que celles-ci ne seront pas privées de financement, c'est très important pour la relance et nous en avons bien conscience. De même, il nous faudra être attentifs à la situation des banques de l'Union européenne à long terme et éviter une approche spéculative des fonds propres. Il est également important que les industries stratégiques soient soutenues.

Je voudrais donc vous rassurer sur un certain nombre de points ; nous sommes conscients des implications de Bâle III et nous allons prendre tout cela en compte dans notre étude d'impact, mais il faut être très clair : l'Union européenne a évoqué encore récemment l'importance du multilatéralisme. Dès lors qu'il s'agit d'un accord de niveau international, nous devons remplir nos engagements. Notre proposition va encore évoluer, nous allons prendre en compte les inquiétudes qui se sont manifestées et nous allons tirer parti du délai pour écouter toutes les parties prenantes. Nous devrons mettre en oeuvre ce processus de manière cohérente avec nos structures et en répondant aux questions qui se posent dans le système bancaire.

Pour ce qui est des relations avec le Royaume-Uni et, plus spécifiquement, du protocole d'accord, il n'y a pas, pour le moment, d'accord global sur les services financiers, puisque cela ne faisait pas partie de la négociation initiale. Nous en sommes à des discussions techniques sur ce que sera ce protocole et sur son évolution. Il s'agit encore de la structure de nos relations futures, et pas du contenu lui-même, qui fera l'objet d'un examen ultérieur.

Pour autant, avant la fin de la période de transition, la Commission européenne s'est penchée sur l'impact de la séparation sur notre système financier; pour l'heure, nous n'avons pas constaté de perturbation. Cela nous a permis de prendre le temps de travailler sur le protocole d'accord. Pour le moment, si nous pensons qu'un accord est possible, il y a deux options disponibles. Nous avons échangé avec nos collègues britanniques et ils ont échangé avec nous, il reste à modérer ces options en privilégiant ce qui pourra fonctionner pour l'Union européenne. Quand cela aura été fait, nous examinerons chaque point spécifique concernant les services financiers. Nous n'allons donc pas négocier un seul paquet, mais étudier, pour chaque domaine du système, l'impact des mesures en identifiant notre intérêt. Le chancelier britannique a décidé de changements réglementaires importants dans le système financier de son pays, dans l'objectif d'être une Grande-Bretagne « mondiale » (Global Britain).

S'agissant des équivalences, nous ne tolérerons toutefois pas de divergences, et, à mon sens, le Royaume-Uni comprend cela. Nous observons également de près les infrastructures sensibles sur lesquelles nous avons déjà accordé des équivalences limitées dans le temps et nous discutons de tout cela avec les parties prenantes.

La Grande-Bretagne reste une place financière importante, mais n'est plus la place financière globale qu'elle était. À nos yeux, il est important de travailler à la stabilité, à la résilience et à l'émergence d'opportunités. Il est vrai que, en raison du type de Brexit que le Royaume-Uni a choisi, certaines infrastructures ont été transférées à Amsterdam. Sur les équivalences, dans l'immédiat, comme sur tous les paquets du processus, nous étudions les différents sujets. Nous avons déjà obtenu quelques éléments de réponse de la part du Royaume-Uni, mais ce n'est pas encore suffisant. Nous travaillons donc à ce protocole d'accord, mais nous devons aussi travailler avec les États membres au sein du Conseil et il est très important pour moi d'en discuter avec vous. Nous n'allons pas recréer pour le Royaume-Uni le marché intérieur unique dont ils ont bénéficié jusqu'à maintenant pour les services financiers, il est donc très important que l'Union européenne s'assure que tout soit fait en préservant son intérêt.

M. Richard Yung. - Deux questions courtes : la première concerne la mise en place du filet de sécurité du MES, dont le déclenchement paraît extrêmement compliqué, laissant deviner des réticences, dans les faits, à son utilisation. Envisagez-vous d'en faire évoluer les conditions d'utilisation et de rendre celle-ci plus aisée ?

Le sujet, ensuite, de la garantie des dépôts nous occupe depuis de longues années. Deux questions : quel est le calendrier de passage des fonds de garantie nationaux au fonds européen ? De quel niveau sera ce dernier et comment seront calculées les règles de répartition entre les États ?

M. Éric Bocquet. - Vous avez évoqué les services financiers, absents de l'accord final entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. La City reste une place financière de premier plan, c'est vrai au niveau mondial comme au niveau européen. Il y a quelques mois, le gouvernement de Boris Johnson a fait part de sa volonté de créer sur le territoire britannique dix ports francs, à l'image de ceux qui se mettent en place en Suisse, au Luxembourg ou à Singapour. Quelle est votre appréciation quant au risque de voir émerger une espèce de « Singapore-on-Thames » aux portes de l'Union européenne ?

Deuxième question, un journal français, Le Monde, a publié une enquête très fouillée sur les pratiques fiscales du Luxembourg, OpenLux, dont vous avez sans doute entendu parler. Je n'ai pas vu de réactions de la part de la Commission européenne à ce sujet. Quelle analyse faites-vous de cette situation, qui concerne un État majeur de l'Union européenne, l'un de ses membres fondateurs ? Quelle est la réaction officielle de la Commission européenne sur ce sujet ?

Troisième point, enfin, je souhaite vous interroger sur l'existence, au sein du continent européen, d'États qui ne sont pas membres de l'Union européenne comme Jersey, Guernesey, l'île de Man dont les pratiques sont très particulières en matière de fiscalité, de création de sociétés, d'ouverture de compte en banque. Il est très facile de consulter sur un smartphone des sites qui proposent des créations de sociétés dans des délais très courts, avec un impôt à 0 %. Il s'agit clairement, pour employer le terme poli, d'optimisation fiscale, pour un coût très modique : 2 750 livres. Comment l'Union européenne appréhende-t-elle l'existence de ces territoires au sein de l'Europe ?

M. Victorin Lurel. - Mes questions concernent les initiatives privées en matière de paiement de détail utilisant la technologie de type « blockchain » et les cryptoactifs. La Commission européenne a-t-elle une position sur ces initiatives ? A-t-elle, notamment, des positions sur les « stablecoins » tels que Libra et d'autres services de paiement de ce type, notamment en matière de paiements transfrontières ?

Enfin, la BCE a-t-elle l'intention d'émettre une monnaie numérique de banque centrale ?

Mme Mairead McGuinness. - Beaucoup de réflexions et de travaux sont menés par la BCE sur les implications d'un euro numérique. Beaucoup de partenaires dans le monde se penchent sur ce sujet. Nous travaillons avec la BCE. Si nous allons dans cette direction - et c'est probable -, nous sommes éminemment conscients des implications et de la possibilité de conséquences imprévues. Pendant la crise de la covid, nous avons vu que le changement des systèmes financiers s'était grandement accéléré. On doit donc réfléchir à une monnaie numérique et à un cadre de régulation.

Nous avons une proposition sur les cryptoactifs avec le règlement MiCA. Même sans cadre réglementaire pour l'heure, les bitcoins et les investissements spéculatifs qu'ils représentent font partie de notre réalité. Il est possible que de grandes entreprises technologiques rejoignent le secteur financier et veuillent jouer selon leurs propres règles. Il est très important que nous suivions cela de près. L'Union européenne a été pionnière sur ces évolutions et il est important qu'il y ait une prise de conscience.

L'idée du Brexit était de se retirer de l'Union européenne pour ne plus avoir à suivre ses règles. Si j'écoute attentivement, l'idée de Global Britain est de s'en éloigner et de ne plus coopérer avec elle. Londres reste un centre financier proche géographiquement ; aussi, nous examinons tous les risques potentiels. Notre prudence sur les équivalences est due au fait que nous voulons savoir ce que les Britanniques ont derrière la tête. Le récent discours du ministre des finances britannique a pour but de donner un coup d'accélérateur à la place financière de Londres en révisant un certain nombre de règles.

Le monde n'est pas prêt pour inverser complètement la régulation financière, qui est essentielle. Nous avons vu les conséquences d'une régulation insuffisante pendant la crise. Notre cadre réglementaire nous a beaucoup aidés et soutenus pendant la pandémie que nous sommes encore en train de traverser.

Nous suivons de très près ce qui se passe au sein de l'Union européenne et au-delà. Le blanchiment et les pratiques sur lesquelles nous ne pouvons fermer les yeux sont une autre raison, encore, de disposer d'un cadre suffisamment robuste sur les systèmes financiers.

J'ai dit que je voulais mettre le consommateur, le client, le citoyen, au coeur de notre système financier. Une partie de notre travail est l'éducation à la finance, sur fond de développement exponentiel du numérique.

Nous avons des propositions, mais nous voulons pouvoir avancer sur le système européen de garantie des dépôts. Nous savons quel est l'état des lieux. Notre approche serait acceptable pour certaines parties prenantes, mais pas pour d'autres. Nous allons devoir prendre des décisions difficiles et entendre les inquiétudes. Nous devons avancer pour faire progresser tout le monde. C'est peut-être le point le plus délicat pour achever l'union bancaire, mais il est essentiel. Il y a eu un changement total d'atmosphère, peut-être dû à la covid et au soutien plus fort que jamais à l'économie. Je suis très vigilante quant aux difficultés qui peuvent se présenter. Nous avons besoin du soutien des parlements nationaux et du Sénat français pour progresser dans notre travail.

M. Jean-François Rapin, président. - Quelles sont les orientations de la Commission sur la surveillance des risques ? Nous sommes en situation de risque systémique assez sévère et il est important de disposer d'outils d'évaluation et de contrôle.

M. Claude Raynal, président. - Comment envisagez-vous la supervision sur le cadre européen de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ? Il y a une prise en compte de ces sujets par la Commission européenne, mais aussi une certaine difficulté à obtenir un consensus des États membres sur l'autorité compétente en la matière. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Mairead McGuinness. - La pandémie a eu un impact certain sur notre économie et nous devons être à l'affût des risques qui pourraient émerger. Bien que nous soyons fragilisés, il y a un très haut niveau d'épargne, notamment en France. Il y a toute cette demande retenue pour l'instant, qui devrait évoluer grâce à la vaccination. On pourrait assister à une relance comme dans les années 1920, une époque florissante.

Pour ce qui est de la sensibilité politique, beaucoup de PME avec des bons modèles ont été complètement détruites à cause de la covid. Nous devons faire attention à la façon dont nous gérons cela.

Des tests de résistance du système bancaire viennent d'être lancés et nous devrons nous pencher sur leurs résultats, en juillet. Nous devrons mener une analyse très pointue. S'il y a des risques systémiques dans certains secteurs économiques fragilisés par la pandémie, il nous faudra faire preuve de finesse, mais aussi faire attention à ne pas retirer notre soutien alors que nous ne sommes pas encore sortis de la situation - je pense par exemple aux aides d'État.

Nous sommes face à des temps difficiles. Nous savons que des entreprises ne survivront pas. Le taux de faillite a diminué dans l'Union européenne, peut-être grâce aux mécanismes de soutien, mais nous anticipons des problèmes liés à des prêts non performants au cours du deuxième semestre.

D'abord, les banques et les emprunteurs doivent se manifester maintenant. Certaines entreprises vont devoir se restructurer. Ensuite, on ne peut pas accepter un poids trop important des prêts non performants dans le bilan des banques. Avec la protection des emprunteurs à l'esprit, nous espérons le transfert de ces prêts non performants vers des marchés secondaires.

Nous allons nous assurer du soutien de la BCE. Nous savons qu'à un moment, tout cela va changer. Il va falloir regarder le niveau d'emprunt, voir où en sont nos entreprises, dans le cadre d'une relance plus durable et numérique. Les entreprises feront donc face à de nouveaux défis. Nous devons être en alerte, mais également actifs et même proactifs. Il ne faut pas attendre.

Sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, il y a de réelles insuffisances dans l'Union européenne et les États membres. Bien que nous ayons une législation en place, ces derniers ont continué à faire les choses différemment les uns des autres, ce qui gêne les banques qui travaillent de façon transfrontière. Les investigations financières ne sont pas coordonnées. Il faut plus de coopération dans la lutte contre le blanchiment. Nous pensons que cela doit faire l'objet d'un règlement pour que ce soit très clair pour les États membres. En dépit de différends passés, il me semble qu'un consensus émerge maintenant sur une infrastructure de surveillance à l'échelon européen. Dans la lutte contre le blanchiment, il nous faut aussi nous assurer que nous ne nous concentrons pas seulement sur le système financier.

À la fin de mon mandat en tant que commissaire, j'aimerais qu'on voie que l'on a agi contre toutes les personnes qui oeuvrent dans le blanchiment. Ce n'est pas seulement moralement condamnable, mais aussi très préjudiciable pour nos systèmes financiers. Le blanchiment d'argent est un processus destructif et dommageable et je pense que les États membres sont maintenant d'accord sur ce point.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci de votre participation. La situation empêchant une prospective à moyen terme, nous vous solliciterons certainement dans les prochains mois pour un nouveau point.

Mme Mairead McGuinness. - Merci beaucoup.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 35.