Mardi 2 février 2021

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 35.

Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci, mes chers collègues, d'être aussi nombreux alors que la séance publique est en cours. « Plus grande est l'incertitude, plus grandes seront nos options de décider. Face aux doutes, on peut parvenir à maîtriser ses peurs et à se saisir de la liberté ainsi offerte pour y déceler les opportunités. L'incertitude est un formidable moteur. » Cette citation de Pierre-Marie Lledo, chercheur en neurosciences à l'Institut Pasteur et au CNRS, éclairera nos échanges, monsieur le ministre. Dans le contexte de très grande incertitude que vivent les Français, et surtout les acteurs économiques, il était essentiel de vous entendre sur les orientations économiques de la politique du Gouvernement, non seulement d'un point de vue conjoncturel, pour faire face à la crise de la covid, mais également d'un point de vue beaucoup plus structurel : non seulement sur l'actualité immédiate - sur le confinement, ou l'absence de confinement - mais sur le long terme.

Vous conviendrez sûrement que, pour que des opportunités deviennent des réalités, il faut probablement réformer notre pays, le rendre plus agile, plus flexible, plus audacieux aussi. Nous devons lui donner une capacité à investir dans des innovations de rupture, en termes de recherche, bien sûr, mais aussi de déploiement. Quelles sont les réformes de structure que vous jugez encore utiles non seulement pour limiter la casse, mais surtout pour relancer l'économie française et améliorer ses performances quand cette crise sera derrière nous ? C'est bien le thème central de cette audition. Bien sûr, nous traiterons de l'actualité, si vous le souhaitez, mais je souhaiterais vous entendre avant tout sur la préparation de l'après-crise, qui nous laissera vraisemblablement avec un million, ou plus, de chômeurs supplémentaires, des bouleversements structurels majeurs de notre économie et une compétition internationale de plus en plus féroce dans ses méthodes.

Je vous propose d'organiser nos échanges de la manière suivante : je vais commencer par vous interroger sur la politique économique générale et quelques grands dossiers industriels, puis les membres de la commission vous interrogeront à leur tour selon une formule un peu différente de celle dont nous avons l'habitude, puisque nous procéderons par questions et réponses directes, avec des interventions brèves, auxquelles je vous invite à répondre également de manière brève. Afin que chacun puisse s'exprimer dans le temps imparti, et pour éviter les frustrations occasionnées par des auditions précédentes, j'invite chaque collègue, au nom d'une forme de solidarité entre nous, à n'intervenir que pendant deux minutes au maximum, et à ne pas reposer des questions qui auraient déjà été posées.

L'évolution de la pandémie de covid-19 et la possibilité d'un nouveau confinement font obstacle à la reprise rapide que vous anticipiez il y a encore quelques mois. Elles invalident surtout les prévisions économiques faites pour le budget 2021 et le plan de relance. Quelles conséquences en tirez-vous ? Faut-il doubler la mise du plan de relance ? C'est ce qu'a proposé Xavier Ragot, le président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui souligne que l'opération est désormais possible puisque le coût du service de la dette diminue. Faut-il croire Olivier Blanchard, auquel le Président de la République a confié un rapport, attendu en mars, sur l'économie post-covid ? Il parle d'un nouveau paradigme budgétaire. Au fond, peut-on dire qu'il n'y a plus de limites budgétaires ? Dans ce cas, comment ne pas répondre aux revendications, souvent justifiées, des uns et des autres ? Je pense notamment aux nouveaux secteurs touchés par la crise, mais aussi aux différents services publics qui ont été lourdement sollicités ces derniers mois, comme les hôpitaux ou la police, ou aux différentes priorités pour l'avenir de notre pays, parmi lesquelles figurent les nouvelles technologies, la transition énergétique, le spatial et bien d'autres domaines encore. En résumé : jusqu'où va le « quoi qu'il en coûte » ?

Deuxième sujet : notre souveraineté industrielle. L'une des premières leçons de la crise est la nécessité de promouvoir l'innovation française dans des secteurs vitaux pour la Nation. Or, lorsque l'on voit les difficultés de Sanofi, ou qu'on apprend l'abandon du principal projet de vaccin de l'Institut Pasteur, on a le sentiment qu'en France, nous avons du mal à transformer le résultat de nos recherches en développement industriel. Quand on le fait, comme dans le cas de la société Valneva, de Loire-Atlantique, issue de l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae), cela profite finalement peu à la France : en 2021, les vaccins de cette société bénéficieront exclusivement à la Grande-Bretagne ! Comment expliquez-vous cette situation ? Plus généralement, cela fait plusieurs années que les entreprises de la biotechnologie nous alertent sur l'absence d'un marché de capital-risque suffisant pour leur développement. Pensez-vous avoir fait suffisamment pour qu'émerge un écosystème favorable à ce type d'entreprises innovantes ? Celles-ci se délocalisent encore aujourd'hui aux États-Unis pour trouver des investisseurs. Ainsi, de Moderna, que nous aurions bien aimé garder en France...

Le Gouvernement a annoncé la semaine dernière l'abandon de la session des Chantiers de l'Atlantique à Fincantieri. Notre commission s'en réjouit, mais le dossier est loin d'être clos. Selon la presse, vous auriez créé une cellule chargée d'étudier un projet alternatif. Comment cette cellule est-elle composée ? Les élus des territoires, les sous-traitants y sont-ils associés ? Quel avenir envisagez-vous pour les Chantiers ? Peut-on envisager de mettre en place ce que nous appelions de nos voeux, c'est-à-dire un capitalisme qui redonne aux collectivités territoriales un rôle plus important en matière économique ?

Vous vous êtes opposé au rapprochement entre Carrefour et Couche-Tard, entraînant l'abandon de ce qui était à peine un projet. Vous avez évoqué des inquiétudes relatives à la sécurité alimentaire, considérée comme stratégique pour la Nation. Pourtant, le Canada est un pays ami, avec lequel l'Union européenne a récemment signé le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), traité de libre-échange que vous soutenez fermement. La semaine dernière, Alstom a finalisé le rachat de Bombardier, une entreprise canadienne, qui était en discussion depuis plus d'un an, et ce mariage s'est réalisé sans obstacle. Votre intervention dans ce dossier ne risque-t-elle pas d'avoir des conséquences sur d'autres dossiers, sur nos relations économiques avec le Canada et, plus généralement, sur l'attractivité de notre pays pour les investisseurs ?

Je voudrais également évoquer l'accord de principe conclu ce mois-ci entre l'Union européenne et la Chine en matière d'investissements. Les uns présentent cet accord comme une opportunité à saisir pour les Européens, avec l'ouverture du marché chinois ; les autres le voient comme une porte grande ouverte pour les acquisitions prédatrices chinoises. Nous entendons qu'il est très bon pour l'Allemagne et pour son industrie automobile. Qu'en est-il pour nos entreprises et notre territoire ? Les deux tiers des investissements chinois en Europe seraient le fait d'entreprises d'État. Cela ne représente-t-il pas de vrais risques en matière de souveraineté ?

Je souhaite aussi évoquer le document de travail sur le projet d'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur. Quelle est la position du Gouvernement sur cet accord ? Envisagez-vous vraiment de l'accepter sans le renégocier en profondeur ?

Sur tous ces sujets, je vous rappelle que la loi Pacte oblige le Gouvernement à remettre au Parlement un rapport annuel sur son action en matière de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation, et plus particulièrement sur le filtrage des investissements étrangers. Depuis l'adoption de cette loi, le Gouvernement n'a pas été inactif : il a abaissé le seuil de contrôle des opérations et élargi le champ des secteurs stratégiques. Mais le Parlement n'a pas reçu ce rapport, malgré plusieurs rappels ! Nous comprenons que l'actualité est chargée, mais auriez-vous la gentillesse de nous indiquer quand nous le recevrons ?

Enfin, je voudrais dire quelques mots du rapprochement entre Veolia et Suez, qui est entré dans une nouvelle phase, puisqu'un projet alternatif a été mis sur la table par les fonds Ardian et GIP. Quels sont le rôle et l'objectif de l'État dans ce dossier ? Après sa volte-face sur la cession des parts d'Engie, puis sa relative impuissance à faire naître une discussion amicale, continuez-vous à pousser les deux entreprises au dialogue ? Le cas échéant, Bpifrance ou la Caisse des dépôts seraient-elles prêtes à participer à un tour de table pour soutenir un projet alternatif pour Suez ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance. - Si vous le permettez, plutôt que de faire un exposé liminaire, je vais répondre directement à vos questions. Je commencerai simplement par une brève introduction.

Je souhaite avant tout vous dire ma confiance profonde dans l'économie française. Je sais que les temps sont extrêmement difficiles pour les Français, et pour beaucoup d'entrepreneurs, qui ont les volets fermés et ne peuvent pas exercer leur activité pour des raisons de sécurité sanitaire. Ils sont extrêmement difficiles pour des centaines de milliers de salariés qui ont perdu leur emploi - même si nous avons amorti le choc. Pour autant, la France a une capacité de rebond économique exceptionnelle, et je ne voudrais pas que nous cédions, par fatigue, par lassitude, à un discours défaitiste que n'attendent pas les Français et qui ne correspond pas à la réalité de ce que les entrepreneurs français, les salariés français essaient de faire tous les jours sur vos territoires. Nous avons des capacités de rebond exceptionnelles, et nous l'avons montré au troisième trimestre 2020, où nous avons connu plus de 18 % de croissance. Nous l'avons montré avec une récession moins importante que prévu en 2020 : 8,3 % au lieu des 11 % que nous attendions. Nous l'avons montré aussi par le très fort rebond de la consommation des ménages en décembre. Surtout, ne confondons pas un problème conjoncturel lourd, difficile, qui est celui de la pandémie et des règles sanitaires qui vont avec, avec la réalité structurelle de l'économie française. L'économie française a des fondamentaux solides et que nous avons considérablement améliorés en trois ans, en transformant la fiscalité française, en faisant du territoire français le plus attractif de tous les pays européens, en améliorant notre compétitivité, en recréant, pour la première fois depuis plus de dix ans, des emplois industriels, et en faisant baisser massivement le chômage. Donc, ayons confiance.

Cela ne nous interdit pas de réfléchir, comme vous m'y avez invité, à des transformations structurelles qui restent nécessaires. Il est évident que nous devons encore améliorer ce qui est fait en termes de formation et de qualification des salariés. Beaucoup a été fait par Élisabeth Borne mais, dans un moment de grande transition technologique, il est indispensable de permettre aux salariés de changer plus facilement d'emploi et d'acquérir plus facilement une qualification. Puis, je reste convaincu que la somme globale de travail fournie par la Nation française est insuffisante par rapport à celle de ses grands partenaires développés. Si nous ne voulons pas voir notre pays s'appauvrir, nous devons tous travailler davantage. Je ne dis pas cela en critiquant l'un ou l'autre, bien sûr, et je sais que les salariés français travaillent beaucoup, qu'ils ont fait des efforts considérables. Mais vous pouvez tourner le problème dans tous les sens, tant que nous aurons un niveau de chômage aussi élevé, des travailleurs qui partent à la retraite plus tôt que dans d'autres pays et des jeunes qui entrent si difficilement sur le marché du travail - réalité encore plus cruelle aujourd'hui - nous risquons de ne pas garantir aux générations qui viennent, à nos enfants et à nos petits-enfants, le même niveau de vie que le nôtre. Or je pense que l'une des responsabilités fortes que nous avons, c'est de garantir à nos enfants et à nos petits-enfants un niveau de vie meilleur que le nôtre. Et ce n'est certainement pas en mettant sous le tapis les problèmes structurels de l'économie française que nous pourrons y arriver. Voilà ce que je voulais vous dire sur la question des réformes de structure. Vous voyez que je change assez peu de conviction sur le sujet...

Vous avez évoqué le plan de relance. Certains ont proposé de le multiplier par deux. Pardonnez-moi de trouver cette idée surprenante. Nous avons conçu, et vous avez voté il y a quelques semaines - à une large majorité, ce dont je vous remercie - un plan de 100 milliards d'euros. La vraie difficulté, aujourd'hui, n'est pas de rajouter des milliards fictifs, mais de faire en sorte que l'argent arrive sur les territoires, dans les entreprises, dans les PME, pour la formation des salariés, chez les jeunes, pour qu'ils puissent être embauchés, chez les apprentis, pour qu'ils puissent trouver une place, etc. Et, croyez-moi, il est beaucoup plus difficile de garantir la bonne exécution du plan de relance que d'annoncer, à grand renfort de roulements de tambours et de sonneries de trompettes, qu'on va y ajouter encore 20, 30, 40 ou 100 milliards d'euros. Or je préfère toujours, dans la vie politique, la difficulté à la facilité. Ma responsabilité, aujourd'hui, c'est de faire en sorte que l'argent soit décaissé, pour qu'il donne des résultats en termes d'emploi et de croissance pour nos compatriotes.

Certaines politiques ont du succès. Ainsi, de celle encourageant la digitalisation des PME. Nous y avions affecté 280 millions d'euros. Il se trouve que des milliers de PME ont demandé ce crédit d'impôt pour la digitalisation, et que nous aurons sans doute 800 millions d'euros à décaisser. Tant mieux ! Je préfère me concentrer sur la recherche de crédits pour abonder le financement de cette politique, que de chercher à ajouter de nouveaux milliards, qui risquent fort d'être fictifs, au plan de relance. Autre exemple : les appels à la relocalisation industrielle fonctionnent aussi très bien. Vous avez dû être saisis, dans vos territoires, par des entreprises qui n'ont pas été sélectionnées alors qu'elles présentaient un beau projet. J'ai fait le point aujourd'hui avec les préfets. Il apparaît que nous avons largement épuisé l'enveloppe prévue, et qu'il sera nécessaire de réallouer des fonds depuis des politiques qui fonctionnent moins bien vers des politiques qui remportent un grand succès, comme aussi MaPrimeRénov', ou la prime à la conversion, la prime pour l'embauche des jeunes ou encore la prime pour l'embauche d'apprentis : plus d'apprentis ont été embauchés en 2020, en pleine période de crise - 485 013 exactement - qu'en 2019 !

Toutes les propositions sont les bienvenues, et les instituts sont dans leur rôle lorsqu'ils formulent des propositions, mais nous ne devons pas céder à la facilité. Pour l'heure, le vrai défi est de s'assurer que les euros déjà programmés sont dépensés intelligemment, rapidement et de manière efficace pour nos compatriotes.

Vous avez évoqué la question de l'endettement. Est-il raisonnable, aujourd'hui, de s'endetter ? Oui. D'abord, parce que le coût de l'endettement est faible : en moyenne, sur les obligations du Trésor à dix ans, nous empruntons à un taux d'intérêt, négatif, de - 0,33 %. Le coût de l'endettement est donc limité pour les finances publiques. Ensuite, nous avons besoin d'investir. Même, si notre politique devait se résumer en trois mots, ce serait : l'investissement, l'investissement et l'investissement ! Or les entreprises ne sont pas nécessairement prêtes à investir, car l'environnement économique est trop incertain et il y a trop d'inquiétudes. Le rôle de la puissance publique est de soutenir l'investissement, y compris par de la dépense publique. La dette, donc, si elle finance de l'investissement, est une bonne dette.

En revanche, je ne suis pas favorable à de l'endettement qui financerait des dépenses de fonctionnement pérennes. Le rôle de l'État est bien de se substituer à de la dépense privée quand les investisseurs hésitent, ou de soutenir l'investissement des entreprises, notamment en leur donnant accès à des fonds propres - en particulier par les prêts participatifs, dont j'annoncerai le fonctionnement dans les prochains jours, et qui créeront une incitation à investir pour l'entreprise, à financer de la recherche. Ce n'est pas de créer de nouvelles dépenses pérennes de fonctionnement qui pèseraient durablement sur les finances publiques, nous empêcheraient de rétablir leur équilibre, et dégraderaient la situation du pays. C'est la ligne de partage, très claire, que nous avons fixée avec le Président de la République et le Premier ministre : nous endetter pour investir, oui ; nous endetter pour la dépense de fonctionnement, non.

Vous m'interrogez également sur l'indépendance économique de notre pays. Nous avons, avec cette crise, une opportunité unique de nous interroger sur les chaînes de valeur françaises. Quand on regarde de la manière la plus objective possible notre situation économique, on constate que ces chaînes de valeur souffrent de deux défauts.

D'abord, elles ne sont pas suffisamment nombreuses. En fait, nous nous reposons depuis à peu près 30 ans sur les mêmes chaînes de valeur, excédentaires à l'exportation, qui irriguent tout notre territoire. Ce sont autant de motifs de fierté, mais dont le petit nombre nous expose terriblement à un retournement de conjoncture. Il s'agit essentiellement, vous le savez, de l'agroalimentaire, de l'aéronautique, du luxe et de la chimie. Ces quatre secteurs sont exportateurs et économiquement solides. Mais quand il y a une pandémie, les avions sont cloués au sol, et l'aéronautique, par conséquent, souffre. Lorsqu'un Donald Trump accède au pouvoir et impose des tarifs douaniers de 25 % sur nos exportations de vins, c'est toute la filière agroalimentaire, dans laquelle les vins et spiritueux représentent une part très importante, qui se retrouve fragilisée. Et lorsque vous n'avez plus de composants critiques, notamment dans le secteur médical, c'est tout le secteur de la santé, et celui de la chimie médicale, qui lui est lié, qui sont en difficulté. Il est donc indispensable de créer de nouvelles chaînes de valeur, et de ne pas nous reposer sur nos lauriers. Nous travaillons depuis près d'un an, avec la direction générale des entreprises, des chercheurs, des économistes, à définir de nouvelles chaînes de valeur.

Notre deuxième défaut est un manque d'indépendance et de souveraineté, dont nous nous sommes aperçus à la faveur de cette crise. Non seulement nous étions exposés parce que nos richesses reposaient sur un nombre trop limité de filières, mais nous étions trop dépendants de l'approvisionnement extérieur. Par exemple, le véhicule électrique décolle, et les achats progressent fortement. Or le tiers de la valeur d'un tel véhicule, c'est-à-dire la batterie électrique, vient à 85 % de Chine ou de Corée du Sud. C'est un problème stratégique : la valeur n'est plus créée en France, elle est importée ! On parle de relocalisation, mais il s'agit surtout de recréer des chaînes de valeur en France, c'est-à-dire de la production qui repose sur du savoir-faire, des technologies, de la formation, dont dépend la création de valeur et d'emplois dans notre pays. Il ne s'agit pas d'installer en France une industrie automobile française qui se contenterait de faire la carrosserie et les pneus... D'où la décision, que nous avons prise, de créer nos propres batteries électriques, avec l'alliance créée par PSA, Total et SAFT, qui aboutira à l'ouverture d'une première usine en 2022, dans les Hauts-de-France.

Deuxième exemple : l'hydrogène. C'est très bien de se dire qu'on aura en 2035 un avion décarbonné. Mais, pour cela, il faut des piles à hydrogène. Il nous faut donc maîtriser la production d'hydrogène en France. Or il s'agit d'investissements qui se chiffrent en milliards d'euros. Nous avons décidé de faire de l'hydrogène l'une des chaînes de valeur critiques dans notre pays. De même, le quantique, les télécommunications, la nanoélectronique ou les biothérapies font partie de ces chaînes de valeur dans lesquelles la France a des avantages comparatifs considérables. C'est pourquoi nous avons prévu d'investir, pour le seul plan d'investissements d'avenir, 11 milliards d'euros dans les deux années qui viennent.

J'ajoute deux points importants. D'abord, ces chaînes de valeur supposent une véritable stratégie industrielle de long terme. Les choix n'ont pas été faits par le ministre de l'économie et des finances, tout seul dans son bureau. Tout est venu du terrain, des entreprises, des chefs d'entreprise, des chercheurs, des économistes, sous réserve de trois critères, remplis par chacune de ces chaînes de valeur. D'abord, il faut qu'il y ait un marché. On ne va pas développer des chaînes de valeur sur des marchés qui n'existent pas. Pour l'hydrogène, par exemple, il y a les transports collectifs, l'avion, les bus, les trains à l'hydrogène : c'est une technologie porteuse d'avenir, pour laquelle il existe un marché et une demande.

Deuxième critère : il faut que la France dispose déjà de technologies et d'investissements en cours de réalisation. Il ne s'agit pas de partir de rien. Pour le quantique, par exemple, nous avons une école de mathématiques exceptionnelle. Le Président de la République s'est rendu il y a quelques jours sur le plateau de Saclay : nous avons un avantage comparatif considérable.

Enfin, il faut que la France compte des industriels qui puissent développer ces technologies. Dans le domaine médical, pour les vaccins, c'est bien ce qui nous a manqué. Mais, pour l'hydrogène, nous avons au moins deux entreprises : Air Liquide, très grande et mondialement connue, et McPhy, plus petite, moins connue, mais très performante. Ainsi, si nous investissons dans la recherche, le développement industriel ne se fera pas à l'étranger mais en France, car nous avons déjà les briques industrielles. L'expérience de cette crise nous a montré que ce qui manque à la France est un lien plus étroit entre recherche et développement industriel. Nous nous sommes battus dans le cadre de la loi Pacte pour resserrer ce lien. Bien sûr qu'il est important de lutter contre les conflits d'intérêts. Mais il ne l'est pas moins de faire vivre un lien étroit entre recherche et développement industriel. Sinon, nous nous ferons systématiquement doubler par les Américains, les Chinois, voire d'autres pays européens. Nous avons tous, comme responsables politiques, à nous interroger sur les barrières, peut-être excessives, que nous avons mises entre le monde de la recherche et le développement industriel.

Deuxième point : ces développements industriels nécessitent des financements importants. Le ticket d'entrée, pour une start-up qui veut se développer dans des domaines aussi compétitifs, et notamment dans le domaine médical, n'est pas la dizaine ou la centaine de millions, mais le milliard d'euros. Nous devons donc être, en matière de capital-risque, de financement de l'investissement, d'union des marchés de capitaux, beaucoup plus ambitieux. Si nous ne mettons pas de l'argent à disposition des entreprises qui veulent faire grandir des technologies d'avenir, nous nous ferons doubler, une nouvelle fois, par des start-up adossées à des géants qui se trouvent aux États-Unis et en Chine.

Troisième élément de la stratégie, qui doit nous permettre de tirer les leçons de ce qui s'est passé pendant cette crise économique et sanitaire : il faut jouer collectif avec nos partenaires européens. Les enjeux financiers sont tels que c'est uniquement en travaillant main dans la main, notamment avec nos partenaires allemands, qu'on peut espérer atteindre une taille critique face aux deux autres continents que sont la Chine et les États-Unis. Si nous tirons les leçons des retards que nous avons pris dans le développement de certaines technologies et en reconnaissant la nécessité d'un lien plus étroit entre recherche et industrie, l'importance de développer notre capacité de financement, et celle de nous associer au niveau européen, nous avons tout lieu d'espérer que nous serons au même niveau que les États-Unis et la Chine dans les décennies qui viennent.

Les Chantiers de l'Atlantique sont un fleuron industriel français, qui fait notre fierté. En grande difficulté économique, ils avaient été cédés en 2008 à un acteur coréen nommé STX. Celui-ci a fait faillite en 2016. Un accord a été signé, lors du précédent mandat présidentiel, prévoyant une reprise de STX par l'Italien Fincantieri, avec un partage 54/46 en faveur de la partie italienne. En 2017, lors d'un déplacement sur place, le Président de la République a indiqué qu'il estimait que cette cession à 54/46 était déséquilibrée, et il a demandé à son ministre de l'économie et des finances, que vous avez devant vous ce soir, de renégocier les modalités de cet accord avec la partie italienne. Après plusieurs semaines de négociations, nous sommes arrivés le 27 septembre 2017 à un accord prévoyant que les Chantiers de l'Atlantique seraient partagés à 50/50 entre l'Italie et la France, avec 1 % qui serait prêté par l'État français, pour une durée de douze ans, à la partie italienne. Si, après douze ans, l'ensemble des conditions que nous avions fixées à la partie italienne étaient remplies, celle-ci pourrait prendre la majorité. Évidemment, depuis 2017, la situation a profondément évolué. Le tourisme a été touché de plein fouet par la crise sanitaire, et les croisiéristes avec lui. Dans ces conditions, il nous a semblé, en France comme en Italie
- comme au sein de la Commission européenne - que l'opération perdait de sa pertinence. Nous avons donc décidé, il y a quelques jours, au regard des nouvelles conditions de marché, d'abandonner le projet de fusion entre Fincantieri et les Chantiers de l'Atlantique. Nous devons donc trouver un partenaire pour les Chantiers de l'Atlantique, qui sont désormais détenus à plus de 80 % par l'État français. J'ai reçu l'ensemble des acteurs locaux, et nous agirons en toute transparence avec eux. Nous voulons trouver des partenaires économiques et industriels pour les Chantiers de l'Atlantique, nous le ferons en coordination étroite avec les élus locaux et nous le ferons sans précipitation.

Nous estimons que les conditions ne sont pas remplies pour une signature de l'accord avec le Mercosur, madame la présidente, en particulier au vu de la déforestation en Amérique du Sud - surtout que des liens commencent à être établis par certains chercheurs entre la déforestation massive et les risques de pandémie. Il ne nous paraît pas raisonnable de signer et de ratifier un accord dans lequel des mesures drastiques ne sont pas prises pour lutter contre la déforestation en Amérique du Sud.

Le rapport que vous avez évoqué doit vous être transmis dans les tous prochains jours. C'est effectivement un engagement vis-à-vis du Parlement qui doit être respecté.

Sur le rapprochement entre Carrefour et Couche-Tard, je vais être très simple : si j'avais à le refaire, je prendrais la même décision. L'enjeu est la sécurité alimentaire des Français, je le dis autant comme ministre de l'économie et des finances que comme ancien ministre de l'agriculture rompu aux négociations commerciales entre la grande distribution et les filières agricoles. La grande distribution française a bâti un modèle dont nous devons être fiers. Elle a su inverser, au cours des dernières années, une tendance à l'approvisionnement en produits ne venant pas nécessairement de France et ne valorisant pas nécessairement la production française. Toutes les enseignes françaises ont compris - et je salue leur engagement sur ce point - qu'il fallait valoriser les filières agricoles françaises. Carrefour ne fait pas exception, et cette entreprise a obtenu de très bons résultats économiques. C'est aussi ce que fait Leclerc, ce que fait Intermarché, avec des modèles différents, mais auxquels je suis attaché, car ce modèle de distribution français valorise la production agricole française. Carrefour représente 35 % de l'ensemble des contrats de filière entre la filière agricole et la grande distribution française. Qu'on le veuille ou non, il y a donc bien un enjeu stratégique, et céder l'intégralité de Carrefour à un acteur, aussi respectable soit-il, comme Couche-Tard, sans avoir de garantie que ces 35 % de contrats des filières agricoles seront renouvelés, et que c'est bien ce modèle-là qui sera défendu, est un risque que je n'étais pas - et que je ne suis pas - prêt à prendre. J'ajoute que Carrefour est le premier employeur privé français, avec 105 000 postes. Je ne crois pas, pour prendre une comparaison, que le gouvernement américain laisserait Walmart se faire racheter par un acteur étranger. Je ne vois pas pourquoi l'on pousserait des cris d'admiration devant la manière dont les États-Unis arrivent à défendre leurs intérêts stratégiques alors qu'on ne serait pas capable, en France, de prendre le même genre de décision pour le premier employeur français.

Enfin, vous avez évoqué le rapprochement entre Veolia et Suez. Il y a un enjeu en termes d'emploi, encore plus sensible avec une crise économique de cette ampleur. Il y a aussi un enjeu, auquel vous serez tous sensibles en tant qu'élus locaux, de concurrence sur le marché du traitement de l'eau et des déchets. Et il y a un enjeu industriel, parce que ce sont deux grands acteurs industriels, dans des activités qui demandent du savoir-faire et des compétences. J'ai toujours indiqué que ce rapprochement entre Veolia et Suez devait se faire dans un cadre amical. Je continue de penser qu'une solution amiable est possible, à portée de main. Il faut simplement que tous les acteurs fassent preuve de bonne volonté. Je souhaite qu'ils s'y emploient, pour que ce rapprochement se fasse de manière amicale.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci. Je donne d'abord la parole à Jean-Marc Boyer.

M. Jean-Marc Boyer. - Merci pour votre optimisme sur le rebond et la reconquête ! La France compte 110 villes thermales, qui génèrent une centaine de milliers d'emplois. Ce sont principalement de petites villes, de 5 000 habitants en moyenne, et chaque curiste représente dix emplois. L'activité thermale a été touchée de plein fouet par la crise sanitaire et a été mise à l'arrêt pendant presqu'un an. L'espoir d'une prolongation d'activité fin 2020 a été anéanti par le deuxième confinement. Les thermes s'attendent à rouvrir en mars ou avril. Ils s'y sont préparés avec un protocole sanitaire très strict, en espérant qu'il n'y ait pas un troisième confinement. Malgré les mesures du plan de relance ou le chômage partiel, les chiffres d'affaires sont amputés de 65 à 70 %, et les établissements thermaux ont stoppé les investissements prévus. Quelles mesures de soutien envisagez-vous pour compenser ces pertes, non seulement pour les établissements privés, mais aussi pour les thermes gérés en régie directe ? Quelles mesures de soutien pour les communes, touchées aussi par une perte d'activité considérable ?

M. Serge Babary. - Merci pour ce vaste tour d'horizon sur la situation économique, et pour le message de confiance et d'espoir. La Commission européenne vient de prolonger jusqu'au 31 décembre 2021 l'encadrement temporaire des aides d'État, de relever les plafonds d'aides allouées aux entreprises et de permettre la conversion de certains instruments remboursables en subventions directes. Comment le Gouvernement envisage-t-il de se saisir de ces assouplissements ? Un renforcement de la décentralisation de l'action publique doit être envisagé, avec le développement de fonds d'investissement en fonds propres au niveau local par les collectivités territoriales. Le capitalisme territorial est l'une des réponses à la crise actuelle de nos territoires, qui subissent une désindustrialisation rampante. Quelles mesures envisagez-vous afin d'encourager fiscalement l'orientation de l'épargne de proximité des Français vers les entreprises, dans les territoires ?

M. Franck Montaugé. - Le Gouvernement met l'accent dans sa stratégie sur les industries d'avenir sur les nouvelles chaînes de valeur : faut-il comprendre que vous renoncez à relocaliser certaines productions à caractère stratégique ou de souveraineté nationale ? Quels sont vos objectifs pour la part de l'industrie dans le PIB à moyen terme, l'emploi, la formation et la recherche publique et privée ? La loi de programmation de la recherche ne nous rassure guère. Le rapport de France Stratégie pointe la fiscalité comme facteur d'explication de notre situation. Qu'en pensez-vous ?

Le projet Gaïa-X a été présenté comme un élément essentiel pour notre souveraineté sur les données numériques, une sorte de cloud souverain depuis longtemps espéré. Mais les géants du numérique américains et chinois, les Gafa, en font aussi partie ; or ces entreprises sont soumises à des lois extraterritoriales qui rendent fragiles la sécurité de l'hébergement des données sensibles. Cette initiative est-elle ainsi de nature à renforcer notre souveraineté numérique ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - La crise a un impact très fort, en effet, pour les activités thermales. Les centres sont fermés et l'activité touristique s'est effondrée. Elles sont éligibles aux mesures de maintien de l'activité partielle comme au fonds de solidarité : elles peuvent toucher dans ce cadre une indemnisation représentant 20 % de leur chiffre d'affaires, avec un plafonnement à 200 000 euros par mois.

Le fonds de solidarité est le pilier de notre action en faveur des entreprises, notamment celles des secteurs fermés, de l'hôtellerie, de la restauration, du tourisme, du sport ou de la culture. Nous avons déjà reçu 680 000 demandes au 15 janvier au titre du mois de décembre. Le niveau moyen des aides est passé de 2 400 euros en octobre à 5 400 euros en moyenne par dossier, ce qui est révélateur des besoins des entreprises, mais aussi la conséquence du déplafonnement des aides. Les dossiers de demandes supérieures à 30 000 euros font systématiquement l'objet d'un traitement manuel de la DGFiP et de la direction générale des entreprises. Nous avons reçu en janvier 4 600 demandes supérieures à 30 000 euros : 2 600 ont été traitées en quinze jours ; les deux tiers ont été rejetées, car il s'agissait de fraudes - des entrepreneurs ont déposé, pour le même mois, plusieurs dossiers avec des chiffres différents ; certains demandent des aides, mais n'ont pas réalisé de chiffre d'affaires de référence les années précédentes... Nous veillons donc à concilier rapidité et efficacité, tout en limitant les fraudes.

Le plafond des aides autorisées par la Commission européenne a été relevé de 3 à 10 millions d'euros. Nous utiliserons cette faculté pour aider, au cas par cas, des entreprises qui ont des charges fixes importantes dans les secteurs les plus touchés par la crise. Les remontées mécaniques, par exemple, profiteront de ce déplafonnement, tout comme - c'est encore à l'étude - les grands magasins parisiens ou les grandes surfaces, qui viennent d'être fermés et qui ont des loyers élevés.

La part de l'industrie dans le PIB a baissé de 18 % à moins de 12 % en une dizaine d'années, mais s'est maintenue en Allemagne ou en Italie. Il n'y a donc nulle fatalité, simplement les politiques publiques ne répondaient pas aux besoins de l'industrie française qui souffre à la fois d'un problème de compétitivité prix et d'un problème d'offre. Nous voulons nous y attaquer. La désindustrialisation a été un renoncement collectif et une faute économique autant que politique. Elle fait des ravages sociaux. Je me battrai pour l'industrie, car elle fait partie de notre culture. Mais on ne peut pas la défendre avec des impôts de production sept fois plus élevés qu'en Allemagne : c'est pourquoi nous les avons baissés de 10 milliards d'euros en 2021 et en 2022. Cela ne suffira pas toutefois à la réindustrialisation. Nous devons aussi mener une politique d'innovation beaucoup plus ambitieuse. Le crédit d'impôt recherche est un atout. Le programme d'investissements d'avenir (PIA) a doublé. L'industrie a besoin de nouvelles technologies et de technologies de rupture. Nous devons aussi valoriser nos atouts. La filière nucléaire en est un, avec des dizaines de milliers d'emplois et des technologies que nous avons mis des décennies à maîtriser. Le nucléaire n'est pas contradictoire avec le développement des renouvelables et l'amélioration de notre mix énergétique.

Pour réindustrialiser, il faut aussi traiter la dimension culturelle, expliquer aux jeunes que l'industrie est un secteur d'avenir, où se déploient l'impression 3D, l'intelligence artificielle etc. Sinon, nous manquerons des formations et des compétences nécessaires à l'industrie de demain. L'équilibre économique français passe par la défense de notre industrie, de notre souveraineté alimentaire, et la valorisation des métiers de service qui représentent une part importante de notre richesse.

Gaïa-X est un très beau projet. Une entreprise a besoin à la fois de stocker ses données numériques et de les valoriser. Or, les entreprises américaines ou chinoises ont un monopole en la matière et il sera sans doute difficile de les rattraper. C'est pourquoi nous devons séparer le stockage souverain des données et leur valorisation. Tel est l'enjeu. Les discussions sont longues, nous devons parvenir à un accord avec les Gafa pour qu'ils acceptent que les données qu'ils stockent ne soient pas valorisées et que s'ils les valorisent, ils n'en maîtrisent pas la propriété.

M. Daniel Gremillet. - On entend tout et son contraire sur le projet Hercule de réforme d'EDF. Pensez-vous réformer cette entreprise, dont vous avez estimé lors de vos voeux qu'elle « allait dans le mur », avant la fin du quinquennat ? Selon quel calendrier et quelles modalités ? L'enjeu est notre indépendance énergétique, la compétitivité de nos entreprises et l'attractivité de notre territoire, mais il est aussi social avec la question de la précarité de certains de nos concitoyens. En outre, dans quelles conditions les entreprises rembourseront-elles la dette du PGE ?

M. Pierre Cuypers. - Vous avez décidé de renégocier certains contrats photovoltaïques. Cette remise en cause de la parole de l'État aura des effets délétères sur toute la filière. Le Gouvernement précisera par arrêté les installations concernées et les dérogations envisageables. Où en est-on ? Selon vous, il y a eu des effets d'aubaine, cependant ils ne sont pas le fait des entreprises, mais de l'État !

M. Patrick Chaize. - La crise sanitaire amplifie la chute de l'activité courrier et met La Poste en situation délicate. Le déficit entraîné par ses missions de service public grève la compétitivité de l'entreprise, dont la survie même est menacée. Si je me félicite des avancées contenues dans le projet de loi de finances à la suite d'une saisine que je vous avais adressée en tant que président de l'Observatoire national de la présence postale, il convient désormais de trouver une solution pérenne aux impasses de financement des missions de service public. Comment comptez-vous réformer l'entreprise ? Comment résorber le déficit lié au service universel, estimé à plus d'1,5 milliard d'euros en 2020 ? Tiendrez-vous compte de l'accessibilité numérique ?

M. Daniel Laurent. - Ma question portera sur les sanctions américaines et leurs conséquences sur la filière viticole. Je me félicite que le Gouvernement s'engage dans la voie du dialogue avec les États-Unis afin d'obtenir la levée des pénalités sur les vins, car les viticulteurs n'ont rien à voir avec le conflit entre Boeing et Airbus. Mais il faut aussi convaincre la Commission européenne de jouer la carte de l'apaisement, car la taxation du bourbon américain à 50 % contre 25 % est toujours d'actualité dans le cadre du contentieux lié à l'acier et à l'aluminium... Il est urgent de s'entendre, car la filière souffre.

La prochaine stratégie décennale de lutte contre le cancer sera publiée bientôt : pouvez-nous assurer que la fiscalité sur le vin n'augmentera pas ? Enfin, en ce qui concerne le remboursement des PGE, certaines banques envisagent d'instaurer une indemnité de remboursement anticipé, pouvant aller jusqu'à 5 %. Est-ce normal ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous allons confier une mission à une personnalité pour réfléchir à l'avenir du service minimum postal, car les coûts de fonctionnement de La Poste explosent, alors que le volume du courrier baisse.

J'ai eu un échange avec Janet Yellen, nouvelle secrétaire au Trésor, son homologue chargé du commerce n'ayant pas encore été officiellement nommé : je lui ai indiqué que la surtaxation était une priorité pour la France et que nous voulions sortir de la logique des conflits commerciaux qui nous pénalisent mutuellement et favorisent in fine la Chine. Je plaide pour un fonds de compensation européen pour dédommager les viticulteurs européens : il n'est pas normal qu'ils ne soient pas indemnisés. Nous avons écrit, avec le ministre de l'agriculture et le ministre du commerce extérieur, à la Commission à ce sujet.

Nous sommes favorables au développement du photovoltaïque et nous le soutiendrons conformément à la programmation pluriannuelle de l'énergie. Les renégociations des contrats de 2010 ne concerneront que les grandes exploitations, car le taux de retour sur investissement était devenu trop élevé.

Concernant le projet Hercule, je lis beaucoup de choses erronées sur les intentions du Gouvernement : nul ne veut démanteler EDF, ce serait injuste, inefficace et inacceptable. Notre ambition est de permettre à l'entreprise de se développer, comme l'ont fait ses concurrents européens. EDF peut faire mieux si on lui en donne les moyens. Notre seul objectif est de permettre à l'entreprise de se développer, en assurant la couverture des coûts d'exploitation, de maintenance et de démantèlement du parc nucléaire, tout en investissant plus vite dans les renouvelables. Nous voulons aussi accélérer l'électrification des usages des ménages et des entreprises pour accélérer par exemple la décarbonation des processus industriels ou pour inciter les particuliers à recourir à des transports électriques. Pour cela, il ne faut pas que les prix explosent. C'est l'objet de la régulation des prix afin de protéger les consommateurs. En tout cas, évitons les malentendus sur nos intentions : nous sommes fiers d'EDF, qui est une des très grandes entreprises publiques françaises, mais son endettement constitue un vrai boulet au pied. Avec Barbara Pompili, nous avons entamé des négociations avec Bruxelles depuis plusieurs semaines, elles sont intenses, mais nous ne transigerons pas.

Pour le PGE, la règle initiale était que le remboursement était différé d'un an puis étalé sur cinq ans, soit une durée totale de six ans, à des taux préférentiels. Toutefois, comme la crise se prolonge, beaucoup d'entreprises ne pourront commencer à le rembourser en 2021 ; c'est pourquoi nous avons prévu un différé de remboursement de deux ans, afin que les entreprises puissent commencer à rembourser à partir de 2022, et non 2021. Dans les secteurs les plus touchés, où la reprise risque d'être plus lente, comme l'aéronautique, la durée de quatre ans risque d'être dure à tenir, c'est pourquoi nous exploiterons toutes les marges de flexibilité permises par la Commission européenne, pour mettre en place un étalement supérieur à quatre ans, et donc une durée du prêt supérieure à six ans.

M. Claude Malhuret. - Les défaillances d'entreprises ont, paradoxalement, baissé en 2020, grâce aux mesures de soutien, mais le risque est grand que les entreprises « zombies », qui ne sont pas viables, déposent le bilan dès que les aides cesseront. Comment estimez-vous ce phénomène ? Quelles mesures envisagez-vous ?

Dans nos centres-bourgs et centres-villes, de nombreux gérants de commerces de proximité exercent en pluriactivité : le bar-restaurant peut aussi être une épicerie. Certaines de leurs activités, déjà mal en point avant la crise, sont aujourd'hui à l'arrêt. Beaucoup de gérants se plaignent des difficultés d'accès aux aides, ou de leur insuffisance. Nos communes ont pourtant besoin de ces commerces. Il s'agit donc autant d'un problème d'aménagement du territoire que d'un problème économique. Le Gouvernement envisage-t-il des aides spécifiques pour ces microentreprises essentielles dans la ruralité ?

M. Franck Menonville. - Le PGE et le fonds de solidarité ont été une bouffée d'oxygène pour les TPE-PME. Outre le différé de remboursement de deux ans, envisagez-vous des prêts de consolidation, remboursables sur huit à dix ans, sortes de quasi-fonds propres qui renforceraient le bilan des entreprises et soulageraient leur trésorerie en étalant le remboursement tout en permettant la poursuite des investissements ? Que pensez-vous de fonds souverains à l'échelle des régions ? Enfin, la cotation de la Banque de France guide les banquiers pour octroyer des prêts. La crise se prolongeant, beaucoup d'entreprises risquent d'être en difficulté. Avez-vous prévu des mesures à cet égard ?

M. Rémi Cardon. - Je veux attirer votre attention sur la difficulté d'accès à la commande publique de nos entreprises du numérique. Un cinquième du plan de relance européen sera consacré à ce secteur. La France et l'Europe devraient privilégier les entreprises domestiques dans les marchés publics, comme le font les États-Unis ou la Chine qui ont une préférence nationale. Quelle est la part des marchés publics accordée à des acteurs étrangers en Europe ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous avons déjà décentralisé 500 millions d'euros d'aides en régions dans le cadre de France Relance : nous avons doté les fonds régionaux d'investissement de 250 millions pour investir principalement dans les TPE, conformément à la demande des présidents de région, et nous avons prévu 300 millions au titre du programme d'investissements d'avenir pour investir localement dans des entreprises technologiques. Je présenterai bientôt nos mesures concernant les prêts participatifs. L'idée est effectivement de doter les entreprises de quasi-fonds propres pour leur permettre de continuer à investir sans grever leur bilan. Nous sommes en train de négocier avec Bruxelles les taux et la durée : nous espérons obtenir une durée supérieure à huit ans, sous certaines conditions. Ces prêts seront un levier important pour soutenir l'investissement des entreprises, d'autant plus que le différé de remboursement sera de quatre ans. J'ajoute que la garantie de l'État ne sera pas plafonnée et dépendra du montant des demandes, afin de ne pas limiter l'investissement.

Le classement Fiben de la Banque de France a été réalisé sur la base de 2019, soit avant la crise. La Banque de France s'efforcera de réaliser progressivement la notation 2021 sur les bases de 2020 avec prudence, pour ne pas affecter entreprises, mais la ligne de crête est étroite car ce classement est aussi fondamental pour l'évaluation du bilan des banques et la stabilité du système financier.

Le nombre de défaillances a en effet baissé en 2020 : 35 000, contre 50 000 en 2019, grâce aux aides que nous avons mis en place. L'enjeu est d'éviter la multiplication des faillites en sortie de crise. Nous avons fait le choix de privilégier le maintien de l'activité, des compétences et des salaires. Ce n'est pas l'État qui accordera les prêts participatifs, mais les banques, même si nous conserverons un moyen d'action direct pour des cas particuliers. Cette procédure devrait nous prémunir contre le risque de « zombification ».

Les entreprises locales en multi-activité sont éligibles aux aides si la part de l'activité fermée représente plus de 50 % du chiffre d'affaires total.

Le plan de relance vise à financer la relance en France et en Europe. Il ne sert pas à financer des logiciels, car cela correspond à des dépenses de fonctionnement et cela reviendrait, de fait, à subventionner des entreprises américaines ou asiatiques. Le niveau local est privilégié dans la passation des marchés pour favoriser les PME. Par exemple, pour le verdissement du parc automobile de l'État, les marchés pour l'installation ou la maintenance des bornes sont passés au niveau régional, et non national.

M. Jean-Jacques Michau. - L'ordonnance du 23 mars 2020 introduit certaines adaptations afin de faire face à l'épidémie, en matière de délégations de service public, d'occupation du domaine public, etc. Plusieurs de ces dispositions concernent directement les collectivités territoriales. Ainsi l'ordonnance suspend les redevances dues par les entreprises exerçant une délégation de service public lorsque leur activité est fortement dégradée en raison de l'épidémie. Le manque à gagner est considérable pour de nombreuses collectivités, car les redevances servent à rembourser les emprunts. Quelles compensations le Gouvernement entend-il mettre en place ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Je veux vous interroger sur la situation des entreprises françaises installées à l'étranger : 30 % ont déposé leur bilan. Les entreprises de droit local ne bénéficient d'aucune aide française. Dans une dizaine de pays africains, elles peuvent bénéficier des PGE par le biais de l'Agence française de développement. Pourtant ces entreprises participent au rayonnement de la France et vendent nos produits. Pourrait-on envisager des prêts de Bpifrance, avec des taux différenciés selon les pays et leur activité ?

Mme Sylviane Noël. - Permettez-moi d'associer à mes propos Martine Berthet, sénatrice de la Savoie, retenue en séance. Le tout-ski, c'est fini, mais sans le ski, tout est fini ! Cette phrase résume le tsunami vécu par les territoires de montagne au lendemain de l'annonce de la fermeture des remontées mécaniques. De nouvelles mesures de compensation ont été annoncées hier, mais elles ne sont pas encore à la hauteur de la saison blanche que vous nous imposez. Le Gouvernement annonçait que l'intégralité des acteurs de la montagne seraient compensés à hauteur de 70 % des frais fixes. Or cette indemnisation ne concerne que les hôtels, les cafetiers et les restaurateurs, et pas les innombrables autres professionnels qui subissent les effets collatéraux de cette fermeture, et pour lesquels l'aide se limitera à 20 % de leur chiffre d'affaires. Les collectivités locales sont également très inquiètes. Je souhaite attirer votre attention sur la situation particulière des régies autonomes de remontées mécaniques, qui ne peuvent bénéficier du chômage partiel financé par la solidarité nationale. Vous annoncez également une compensation intégrale des pertes supportées par les communes de montagne dans cette crise mais, là encore, vous ne pouvez pas vous limiter uniquement aux redevances des remontées mécaniques et aux taxes de séjour ! Qu'en est-il des recettes tarifaires liées aux différents services directement en lien avec le fonctionnement des remontées mécaniques, comme les redevances de parking ou celles liées aux consommations d'eau, elles-mêmes directement liées à la présence de la population touristique sur nos territoires ?

M. Alain Chatillon. - Le fonds Ace Aéro Partenaires fonctionne très bien pour Airbus et l'ensemble de la filière aéronautique. L'utilisation des fonds de revalorisation est intéressante aussi. Ne serait-il pas possible d'alimenter un fonds de rebond ? Les fonds de revitalisation sont appropriés pour les sommes importantes, mais il y a des possibilités d'acquérir de petites activités à forte valeur ajoutée qui permettraient de diversifier les PME qui sont aujourd'hui sous-traitantes dans l'aéronautique. Parmi ces TPE, il y a également des entreprises qui travaillent en sous-traitance. Il paraît qu'un tel fond de rebond existe en Bourgogne.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Les entreprises créées après le 30 septembre 2020 ne sont pas éligibles au fonds de solidarité, comme votre cabinet nous l'a confirmé. C'est un trou dans la raquette qui pose problème, car, même s'il n'y a pas encore de nouveau confinement, ces entreprises doivent faire face à la crise économique, souvent sans ressources issues de leur activité, ni aide de l'État. La situation étant amenée, pour l'heure, à perdurer, pensez-vous mettre en place un dispositif spécifique ? Si oui, lequel ?

Vous êtes intervenu sur l'opération de rachat qui visait Carrefour, et vous avez rappelé le 22 janvier dans Les Échos que l'État avait un rôle de régulation de l'économie, et qu'il était là pour définir les règles économiques et défendre l'intérêt général. Comment entendez-vous décliner cette vision dans nos territoires ? Le projet de fusion entre la Société Générale et le Crédit du Nord a été confirmé le 7 décembre dernier, et pourrait entraîner la disparition de la Banque Tarneaud, une filiale du Crédit du Nord dont le siège social se trouve dans mon département, à Limoges. Ce sont près de 150 emplois qui sont menacés par cette fusion, et en particulier des métiers administratifs, qui pourraient être regroupés pour le bassin d'emploi de Limoges. Ces suppressions de postes auraient un effet dramatique dans le contexte économique actuel. Comment l'État exercera-t-il son rôle de régulateur dans ce dossier ?

M. Michel Bonnus. - Les PGE ont été contractés au mois d'avril 2020. Quand les établissements rouvriront, cela fera plus d'un an. Si l'on avait su que cela durerait si longtemps, on aurait agi complètement différemment. Le vrai problème, c'est la reprise, car on a ajouté de la dette à de la dette. On a demandé aux Français d'emprunter pendant un an et, ensuite, on leur donne leur salaire, mais ils continuent à payer l'emprunt. Inacceptable ! Je veux bien emprunter pour deux mois, quitte à rembourser après, mais pas pour un an ! On a ouvert au mois de juin, avec le PGE, et on a refermé au mois d'octobre, tout en le conservant. Lorsque vous sifflerez le coup de sifflet final et qu'on rouvrira, que se passera-t-il ? Un événement, un congrès, un salon, un loisir, cela se programme, et le tourisme va être très impacté.

M. Jean-Claude Tissot. - Un journal du soir a récemment annoncé le blocage de vos négociations avec la Commission européenne sur le projet Hercule. Où en est-on aujourd'hui ? On entend dire que ce projet serait arrêté jusqu'en 2022... Les enjeux énergétiques sont cruciaux pour notre économie, et doivent être considérés avec beaucoup d'attention. Le Président de la République a parlé de guerre à propos de la crise de la covid. Nous sommes à présent quasiment dans l'après-guerre. Il est temps de mettre en place un plan Marshall, avec des mesures exceptionnelles, notamment pour la rénovation énergétique. Avez-vous des ambitions particulières en la matière ?

M. Joël Labbé. - Sur les commerces de proximité, vous avez donné une réponse limpide, et une règle claire : 50 % du chiffre d'affaires. Mais il se trouve que beaucoup de commerces de proximité, en milieu rural, sont en grande difficulté. J'en connais un, dans le Morbihan, dont la perte de chiffre d'affaires s'élève à 87 000 euros, et c'est le seul commerce du centre-bourg. Il y a beaucoup de situations comparables en France. Cette règle pourrait-elle être revue d'une manière ou d'une autre ?

M. Jean-Pierre Moga. - Pour certaines entreprises, il va être très compliqué de résister à la conjoncture, notamment pour les cafés, hôtels et restaurants. Dans certains cas bien précis, pour sauvegarder des secteurs de notre économie qui risquent de disparaître complètement, pourriez-vous envisager de transformer, en tout ou partie, les PGE en subventions ?

M. Fabien Gay. - Une minute, une fois par an, c'est court, monsieur le ministre ! Nous n'avons pas pu nous voir lors du budget rectificatif ; les questions écrites ne trouvent jamais de réponse... Pourtant, nous pourrions débattre de beaucoup de choses. Surtout que j'ai vu que la crise sanitaire ne vous a pas ébranlé dans vos convictions : vous restez un libéral de droite ! Comment allez-vous trouver des débouchés pour les jeunes si vous proposez comme seul horizon aux aînés de travailler trois ans de plus ? Vous avez dit à juste titre que la réindustrialisation et la relocalisation ne sont pas exactement la même chose. En tout cas, il faudra avoir sur le sujet un débat politique exigeant. Mais ne pourrait-on pas commencer par éviter la casse sociale qui se déroule dans le pays et dans tous les secteurs ? Je n'arrête pas de me déplacer : Fonderie du Poitou Fonte, SKF, Renault, Air France... Vous refusez d'interdire les licenciements, de conditionner les aides aux entreprises à la question sociale et environnementale, vous refusez même de rétablir l'autorisation administrative ! Comment, dès lors, éviter les drames humains et la perte des savoir-faire ? C'est la priorité, avant de se demander comment réindustrialiser le pays.

M. Yves Bouloux. - Le 27 janvier dernier, le journal Marianne s'est fait l'écho des oubliés du fonds de solidarité : les entrepreneurs qui ont créé un commerce et ceux qui en ont racheté un. Sans historique de chiffre d'affaires, ils n'ont droit à rien, tandis que les charges sont là. Pour les premiers, qui partent de zéro, il serait toutefois possible de tenir compte du prévisionnel accepté par les banques. Pour les seconds, la situation est totalement incompréhensible. Ils ont racheté un fonds de commerce. Pourquoi ne pas tenir compte du chiffre d'affaires du fonds racheté ? Avez-vous prévu d'intégrer ces oubliés du fonds de solidarité, et de leur donner accès au PGE ?

M. Laurent Duplomb. - Je voudrais vous parler de vos contradictions. Vous avez interdit le rapprochement entre Carrefour et Couche-Tard, et je vous approuve, mais vous avez accepté celui d'Aldi et de Leader Price. Vous faites l'éloge du nucléaire, mais Fessenheim a fermé. Vous interdisez les chaudières gaz, alors que l'entreprise Frisquet est bien française et que des réseaux de gaz ont été tirés à grands frais dans toutes nos communes.

Vous nous avez dit qu'il fallait éviter les faillites. Pourtant, en Haute-Loire, toutes les entreprises me disent que les banques leur demandent de reprendre le paiement des mensualités d'emprunt, qui avait été repoussé jusqu'alors. Pour un restaurateur qui ne peut pas ouvrir, malgré le PGE et les aides, si la banque exige le paiement des mensualités, c'est la fermeture d'office. Ce n'est pas une question d'avenir, c'est une question de réalité très précise, et d'aujourd'hui. Comment y répondez-vous ?

M. Laurent Somon. - Quelle est la réflexion sur la mobilisation de l'épargne des ménages, qui n'a jamais été aussi importante, en faveur des entreprises et de l'innovation ? En sortie de crise, c'est souvent vers l'immobilier que ces fonds s'orientent. Quelle réflexion est menée dans votre ministère sur le rôle du Label France « Made in France », à l'image de ce qui a pu se faire dans d'autres pays ? Les mesures qui ont été prises pour les communes de montagne vont-elles être étendues à d'autres collectivités ? Je pense en particulier aux départements qui ont en gestion des sites de loisirs ou des musées frappés par une fermeture administrative, ce qui les empêche de percevoir les recettes, alors qu'ils ne sont éligibles ni au PGE ni aux indemnités.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Cela fait longtemps, en effet, que je n'ai pas ferraillé avec Fabien Gay ! Cela me manquait beaucoup. Libéral de droite ? Un grand journal économique disait que j'étais devenu un interventionniste de gauche... Je ne me suis jamais défini que comme gaulliste, ce qui doit être à un point d'équilibre entre le libéral de droite et l'interventionniste de gauche ! L'État, l'ensemble des pouvoirs publics et, surtout, les contribuables français, ont évité dans toute la mesure du possible la casse sociale qu'aurait dû entraîner cette crise économique, qui est la plus lourde que le pays ait connue depuis 1929. La grande différence entre la plus grande crise économique du XXè siècle, celle de 1929, et la crise actuelle, c'est que nous avons retenu une leçon : l'État doit protéger. Nous avons protégé au maximum, et nous continuerons à protéger au maximum les salariés et les entreprises qui en ont besoin.

Une telle récession, d'une ampleur inédite depuis 1929, aurait dû entraîner une explosion du chômage : il a certes augmenté, mais nous avons amorti le choc sur l'emploi, même si la situation reste compliquée, avec parfois des situations de précarité. On aurait aussi dû assister à un tsunami de faillites...

M. Fabien Gay. - Il arrive !

M. Bruno Le Maire, ministre. - ...ce ne fut pas le cas. Les défaillances ont été moins nombreuses en 2020 qu'en 2019. Nous avons aussi aidé les grandes entreprises, comme Renault ou Air France, et nous avons ainsi limité la casse sociale. Certes on peut toujours faire mieux, mais, comme l'ont souligné le FMI, l'OCDE ou l'Ordre des experts comptables, l'État a été au rendez-vous. Les choix politiques du Président de la République et du Premier ministre méritent d'être salués.

La mobilisation de l'épargne des Français est une question importante, car son montant est équivalent à celui que nous consacrons au plan de relance. Le label « Relance » a été créé pour flécher l'épargne des Français vers les entreprises françaises. Dès que les règles sanitaires sont levées, la consommation repart ; c'est bien la preuve que nous avons protégé le pouvoir d'achat des Français, même si cela masque une grande diversité de situations individuelles.

J'ai reçu le président de Frisquet, entreprise de 800 emplois qui est installée en Seine-et-Marne : nous étudions ce que nous pouvons faire pour l'aider à se diversifier.

En ce qui concerne le remboursement des prêts, nous avons demandé à la Fédération bancaire française, un différé de paiement pour le remboursement du capital des PGE de un à deux ans. Pour les prêts précédents, nous avons demandé d'étudier au cas par cas des possibilités de délais supplémentaires pour les entreprises qui en auraient besoin. Le médiateur du crédit veillera à ce que les demandes soient traitées correctement.

Lorsque nous avons ouvert l'éligibilité au fonds de solidarité le 15 janvier, plus de 100 000 dossiers sont arrivés à la DGFiP dès le premier jour. Notre système de couverture est très large et si nous trouvons des failles, nous nous efforçons de les compenser rapidement.

Soyons prudents sur la transformation des PGE en subventions. N'oublions pas qu'ils sont garantis par l'État, et qu'en cas de défaut, c'est le contribuable qui paie ; cette solution ne peut être qu'une solution de dernier recours. Notre ligne restera de ne pas exposer inutilement le contribuable tout en protégeant les entreprises.

En ce qui concerne la pluriactivité dans les commerces ruraux, je plaide pour une interprétation souple des critères : si le chiffre d'affaires de la part fermée est légèrement inférieur au seuil de 50 %, je n'ai pas d'opposition à ce que l'on fasse preuve de souplesse dans l'appréciation pour rendre le commerce éligible au fonds de garantie, si cela peut le sauver.

Nous consacrons 6,5 milliards d'euros à la rénovation énergétique à la fois des bâtiments publics et privés avec MaPrimeRenov'. Ceux qui réclament un plan Marshall en la matière devraient être satisfaits.

Il n'y a pas de blocage avec Bruxelles sur EDF. Les négociations sont serrées, car les enjeux sont importants. J'entretiens d'excellentes relations avec Mme Vestager, avec qui je suis en contact régulier, et je ne doute pas que nous avancerons.

En ce qui concerne les entreprises créées après le 30 septembre 2020, nous avons prévu un délai de deux mois entre la date de création de l'entreprise et l'éligibilité au fonds de solidarité pour éviter les effets d'aubaine.

Le fonds Ace Aéro Partenaires est spécialisé dans l'aéronautique. L'idée d'un fonds de rebond complémentaire peut être étudiée. Il faut en tout cas prolonger la durée des dispositifs dans l'aéronautique, car la crise s'installant, la durée de deux ans initialement prévue semble trop courte.

Les stations de ski bénéficient d'un dispositif dérogatoire, justifié par la saison blanche qui leur est imposée pour des raisons sanitaires : tous les commerces sont éligibles au fonds de solidarité avec une indemnisation de 20 % du chiffre d'affaires, comme les commerces fermés. Le nouveau plafond défini par la Commission européenne permet de répondre aux attentes des remontées mécaniques pour la prise en charge de leurs frais fixes. Les mesures de compensations sont donc massives. Nous avons aussi comblé des failles concernant les indépendants ou les moniteurs de ski. Je transmettrai votre question sur l'application des mesures de maintien de l'activité partielle pour les régies autonomes des remontées mécaniques à Mme Borne.

N'hésitez pas à me transmettre vos propositions pour soutenir les entreprises françaises à l'étranger. Il est vrai que l'essentiel de nos mesures vise avant tout des entreprises installées en France, afin de protéger l'emploi dans notre pays.

Nous avons accordé une aide de 4,2 milliards d'euros aux collectivités pour compenser les pertes de recettes au titre de l'année 2020-2021 et soutenir les autorités organisatrices de la mobilité locale - je pense au STIF en Île-de-France par exemple. Nous avons apporté un soutien à l'investissement de 2,6 milliards d'euros avec la dotation de soutien pour l'investissement public (DSIL) et les mesures pour la rénovation thermique, tandis que 3 milliards d'euros du plan de relance sont destinés exclusivement aux collectivités territoriales.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Anne Chain-Larché rapporteure sur la proposition de loi n° 326 (2020-2021) visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, adoptée par l'Assemblée nationale.

La réunion est close à 19 h 30.