Mardi 3 novembre 2020

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Audition, en commun avec la commission des affaires économiques, de MM. Philippe Varin, président du conseil d'administration, et Bertrand Camus, directeur général de Suez

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous accueillons aujourd'hui, Philippe Varin, président du conseil d'administration de Suez et Bertrand Camus, directeur général de Suez. Cette audition, menée conjointement par nos deux commissions, est la première d'une série : nous entendrons demain le président du conseil d'administration d'Engie, et la semaine suivante le PDG de Veolia.

En outre, nos commissions ont constitué cette semaine un comité de suivi conjoint, dédié au rapprochement entre Veolia et Suez. Nos quatre collègues rapporteurs, qui vous poseront tout à l'heure leurs questions, examineront en détail et au long cours l'évolution du dossier.

Monsieur Camus, vous avez déclaré il y a quelques jours, selon des propos relayés par la presse : « Il n'y a actuellement pas de dialogue avec Veolia ». L'impression qui est la nôtre est, si vous me permettez l'expression, celle d'une guerre ouverte, et ce, même si Bruno Le Maire nourrit l'espoir d'un « accord amiable » entre votre groupe et Veolia.

Le 30 août, le groupe Veolia proposait à Engie de lui racheter 29,9 % du capital de Suez pour un montant de 2,9 milliards d'euros, offre que vous avez immédiatement qualifiée de « particulièrement hostile ». Tandis que Veolia défendait la constitution d'un champion des services à l'environnement, Suez dénonçait une « prise de contrôle rampante » par son principal concurrent et évoquait des risques de « démantèlement ». Une offre d'achat rehaussée à 3,4 milliards a finalement été acceptée par Engie le 5 octobre dernier, en dépit de l'opposition des représentants de l'État actionnaire au sein de son conseil d'administration. Veolia est donc désormais détenteur de ces 29,9 % de Suez, ce qui devrait n'être qu'une première étape vers une offre publique d'achat d'ici un an à un an et demi.

Voilà pour l'historique, mais c'est surtout sur l'avenir que nous souhaiterions vous entendre aujourd'hui. Nous voudrions comprendre la source du blocage actuel, et, peut-être, les voies possibles de sortie de ce blocage.

D'abord, pourriez-vous nous indiquer ce qui fait douter Suez de la teneur du projet défendu par Veolia ? Celui-ci évoque des complémentarités, une plus grande force de frappe dans le cadre des appels d'offres à l'international, une plus grande capacité d'investissement... Quelle est votre interprétation de ces « gains d'efficience » et pouvez-vous nous dire de manière concrète quels points du projet de Veolia vous contestez ?

Ensuite, alors que la deuxième phase du rachat, c'est-à-dire l'offre publique d'achat, est désormais engagée, comment comptez-vous influencer l'opération appelée à se dérouler ? Quelles sont vos lignes rouges, vos garde-fous ? En d'autres termes, vous rejetez une OPA « hostile », mais à quoi ressemblerait une OPA « amicale » susceptible d'être mieux accueillie par votre groupe ?

L'État interviendra-t-il dans la négociation qui s'annonce, et saura-t-il jouer un rôle facilitateur, alors que les dernières semaines ont montré que sa voix était parfois difficilement audible ?

Enfin, si l'OPA annoncée aboutit, et qu'une partie des activités de Suez est en conséquence cédée au fonds d'investissement Meridiam, quelle serait la viabilité de cette nouvelle entité sur le marché français et à l'international ? Un tel « petit poucet » fera-t-il le poids face au nouvel « ogre », et les clients d'aujourd'hui y trouveront-ils demain leur compte ?

M. Jean-François Longeot, président. - Depuis l'annonce par Veolia de son intention de racheter les parts détenues par Engie dans Suez, c'est peu dire que la perspective d'un rapprochement entre les deux groupes fait couler beaucoup d'encre.

C'est peu dire, aussi, que les positions exprimées sur ce sujet sont antagonistes, à commencer par celles du PDG de Veolia, Antoine Frérot, et de vous-même. Monsieur Camus : M. Frérot met en avant l'intérêt de constituer un nouveau champion mondial des services de l'environnement, mieux à même de se défendre dans la compétition internationale ; de votre côté, vous affirmez au contraire qu'avoir un seul acteur français, c'est avoir deux fois moins de chances d'obtenir des contrats internationaux. M. Frérot s'engage à préserver l'ensemble des emplois et des avantages sociaux des salariés de Suez ; vous estimez que le rachat pourrait se traduire par la destruction de 10 000 emplois dont 4 000 en France. Il affirme que le rachat de la branche Eau de Suez par le fonds d'investissement Meridiam et les cessions d'actifs dans le secteur des déchets permettront de garantir la poursuite d'une véritable concurrence ; vous doutez de la capacité de ce fonds à maintenir et à développer les savoir-faire de Suez et donc à exercer une pression concurrentielle.

Nous pouvons comprendre ce qui vous amène, l'un comme l'autre, à tenir des propos aussi opposés : il est sans doute dans son rôle lorsqu'il défend son projet de rachat, et vous dans le vôtre lorsque vous défendez votre entreprise et sa stratégie industrielle. Mais vous admettrez que cela ne facilite pas la bonne compréhension des enjeux, alors même qu'il est question de services publics essentiels, qui touchent au quotidien des Français.

C'est pour cette raison que nous avons souhaité, avec Sophie Primas, organiser cette audition et créer un comité de suivi chargé d'apprécier les conséquences que pourrait avoir un tel rachat.

Deux questions nous préoccupent particulièrement. La première, c'est celle de la préservation des emplois et des compétences du groupe Suez. Il serait inacceptable que la cession des actifs de Suez se traduise par des destructions d'emplois et une perte de savoir-faire. Les secteurs dans lesquels évoluent Suez et Veolia sont au coeur de la transition écologique ; il faut continuer à y investir et à innover.

La seconde, c'est celle du maintien d'un niveau de concurrence suffisant permettant de garantir aux usagers le meilleur service au meilleur prix. Les collectivités territoriales, qui organisent les services de gestion de l'eau et des déchets dans le cadre de délégations de services publics, sont particulièrement vigilantes sur ce point.

Nous souhaitons donc que vous puissiez revenir sur ce projet de rachat et ses conséquences, et que vous nous indiquiez les perspectives que vous entrevoyez pour les semaines et mois à venir.

M. Philippe Varin, président du conseil d'administration de Suez. - Je salue l'intérêt de la représentation nationale pour l'affaire Suez-Veolia, qui est d'une importance majeure. Nous avons eu l'occasion, avec Bertrand Camus, de nous exprimer le 23 septembre dernier à l'Assemblée nationale. La situation a évolué depuis puisque Veolia a acquis un bloc d'actions détenues par Engie représentant 29,9 % du capital de Suez. Il nous semble important de vous expliquer en quoi cette opération de rapprochement, initiée par Veolia, est source d'incertitudes majeures.

Le 30 août dernier, au milieu d'une année particulière à bien des égards, notre principal concurrent a lancé, par voie de presse - le groupe Suez n'ayant rien reçu -, une opération hostile visant à racheter Suez en deux temps. Dans un premier temps, le 5 octobre dernier, Veolia a acquis 29,9 % du capital au travers du rachat de la quasi-totalité des parts d'Engie. Cette opération inédite en deux étapes, apparemment dissociées, mais qui, en réalité, ne forment qu'un seul projet, est source de confusion et d'incertitudes pour les actionnaires, comme pour nos collaborateurs et nos clients. C'est à cause de ces incertitudes que le groupe Suez, avec le soutien plein et entier de son conseil d'administration, a décidé de la combattre.

Nous avons d'abord fait valoir auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) que l'approche de notre concurrent était de nature à léser la majeure partie des actionnaires de Suez. Si Engie a touché immédiatement 3,4 milliards d'euros, les autres actionnaires n'ont en effet reçu aucun engagement ferme et inconditionnel, avec les risques associés à un projet qui va durer au moins 18 mois. L'AMF a validé l'opération ; nous avons fait appel auprès de la cour d'appel de Paris.

En matière de droit du travail, Veolia et Engie se sont mis d'accord de leur côté, sans consultation ni information préalable des instances représentatives du personnel, alors que le projet implique de céder, dans un second temps, l'activité Eau France au fonds Meridiam. Vous conviendrez que la méthode peut être vivement critiquée. L'affaire a été portée devant les tribunaux par un référé-suspension. La justice a donné raison au comité social et économique de Suez en première instance. Si Veolia conserve, aux termes du verdict, la propriété des actions qu'elle a acquise, elle se voit privée des droits qui lui sont associés. Elle possède, en fait, la nue-propriété, mais se voit privée, pour le moment, de l'usufruit.

En matière de droit de la concurrence, ce montage en deux étapes est aussi susceptible de porter préjudice à la bonne marche des affaires de Suez en France et à l'international. En règle générale, l'acquisition d'un bloc d'actions peut être autorisée par la Commission européenne à la condition que l'activité de la société cible puisse être poursuivie sans perturbations, dans l'attente de l'autorisation de la deuxième étape. C'est loin d'être le cas, comme en témoigne la pression dont nous sommes quotidiennement l'objet, et encore ce soir dans un article du Monde.

C'est dans ce contexte que, le 23 septembre, alors que Suez était exclue des négociations entre Veolia et Engie, nous avons pris la décision de placer une action de chaque société concernée par l'activité de Veolia en France dans une fondation enregistrée aux Pays-Bas. Cette décision a suscité un certain émoi, voire des reproches. Il s'agit pourtant d'une mesure classique de défense et de préservation de l'intérêt social de Suez et de ses collaborateurs. Rien ne change en termes de gestion, d'aspects comptables ou fiscaux : contrairement à ce qui a pu être dit, nous n'avons pas transféré les activités dans un paradis fiscal ! Si nous avons pris cette décision, c'est parce que nous sommes, conformément à nos devoirs fiduciaires, responsables de l'intérêt social et que nous devons prendre des mesures de défense, en conformité avec la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises du 22 mai 2019, dite loi « Pacte », sans parler de la loi « Florange », même si celle-ci n'est pas applicable faute d'offre. Si nous n'avions rien fait, le conseil d'administration aurait pu se voir reprocher son inaction face à ce risque.

Nous considérons aussi que le processus d'acquisition du bloc des parts d'Engie est irrégulier : Engie a vendu son bloc en trente jours, alors que rien ne l'obligeait à le vendre aussi rapidement, et Suez n'a pas eu le temps de présenter une offre alternative. On n'a pas laissé le temps à la direction de la société, aux salariés, aux élus, ni aux Français d'étudier cette opération et d'en mesurer l'intérêt ou les risques. Il s'agit pourtant de services essentiels, et il aurait été préférable de ne pas confondre vitesse et précipitation ! Peut-être pourriez-vous demander demain au président d'Engie pourquoi il n'a pas organisé un processus de vente robuste, au regard de ces enjeux.

Veolia devra obtenir l'aval de l'autorité européenne de la concurrence, c'est-à-dire la Commission européenne, dont l'avis ne sera pas rendu avant au moins dix-huit mois. Autrement dit, cette opération incertaine risque de créer une démobilisation, à l'heure où notre pays a besoin de s'engager dans la relance économique.

Outre ces considérations juridiques, sociales ou commerciales, je conclurai en soulignant la charge émotionnelle extrêmement forte liée à ce projet. Je n'ai jamais connu cela au cours de mes quarante-deux ans passés dans l'industrie. La première raison est que l'opération a été initiée en période de crise sanitaire majeure, à l'heure où les entreprises des services essentiels devraient se consacrer pleinement à l'accompagnement des pouvoirs publics dans la gestion de la crise. Ensuite, le corps social de Suez éprouve un sentiment d'abandon de la part de sa maison mère qui a entériné la vente forcée de sa fille à son plus gros concurrent, et ceci dans une incompréhensible précipitation. Enfin, je ne peux que constater le cynisme de Veolia qui, près d'un an après l'adoption de la loi Pacte, n'accorde pas le respect élémentaire aux différentes parties prenantes, alors même que cette loi visait à repenser la gouvernance des entreprises à travers un prisme social et environnemental. Bel exemple...

Veolia n'a pas, pour l'heure, le contrôle de Suez et reste notre principal concurrent. La loi impose de respecter strictement cet état de fait et nous allons continuer à travailler à des options alternatives au scénario proposé par Veolia. Nous comptons aussi sur votre soutien pour faire en sorte que notre pays ne perde pas l'un de ses fleurons industriels.

M. Bertrand Camus, directeur général du groupe Suez. - Suez est un groupe qui va bien, qui se développe, qui investit et recrute en France comme ailleurs dans le monde. Nous sommes un fer de lance d'une filière d'excellence, l'école française de l'eau, qui constitue un écosystème solide et vivant de petites et moyennes entreprises et d'entreprises de taille intermédiaire françaises qui prospèrent à l'international. Suez est le numéro un mondial pour l'eau et l'assainissement en termes de population desservie ; le numéro deux mondial dans l'eau industrielle, à la suite de l'acquisition des activités de General Electric dans le domaine de l'eau, en 2017. Nous sommes aussi le numéro deux en matière de traitement des déchets en Europe. Nous déployons en ce moment un projet stratégique, avec l'ambition de devenir le leader mondial des services à l'environnement dans dix ans.

Notre modèle combine l'innovation, l'agilité et le partenariat. Le projet alternatif de Veolia ressemble beaucoup à la création d'un conglomérat. Notre stratégie est basée sur une prime à l'excellence, au service de nos clients, et non sur une course à la taille. Nous mettons tout en oeuvre pour que les circonstances actuelles ne freinent pas nos ambitions. Nos résultats du troisième trimestre sont bons, malgré la crise. Ils témoignent d'une véritable dynamique commerciale, non seulement en France, mais aussi à l'international : nous avons signé de nombreux contrats ces derniers mois - au Sénégal, en Ouzbékistan, etc. -, grâce au savoir-faire que nous avons développé sur le territoire national.

En cette année 2020, très particulière, nous avons deux priorités : être aux côtés des collectivités pour affronter la deuxième vague de covid-19 et prendre pleinement part à la relance verte. Nous faisons face aujourd'hui à un défi immense, celui d'une crise sanitaire mondiale sans précédent, que nos équipes ont su relever en France, comme ailleurs dans le monde. Nous avons d'ailleurs pu bénéficier de notre expérience acquise en Chine avant que l'épidémie ne gagne le territoire national au mois de mars. Pendant la période de confinement, nos équipes ont été au rendez-vous - pas un seul droit de retrait ! - pour assurer les services essentiels à nos concitoyens. En cette période de deuxième vague, je tiens à saluer la mobilisation de tous nos agents, qui contribuent chaque jour à la continuité des services publics de l'eau et des déchets.

Notre seconde priorité est de participer à la relance économique. Nous comptons prendre toute notre part au plan initié par le gouvernement. Nous serons aux côtés des élus pour être un acteur majeur de la relance des territoires. Dans le cadre de la définition du plan de relance, nous avons, au travers des filières industrielles, contribué à quantifier les niveaux d'investissements nécessaires pour atteindre les objectifs ambitieux fixés en termes d'économie circulaire et pour compenser le déficit d'investissement qui avait été identifié dans le cadre des Assises de l'eau : ces investissements supplémentaires s'élèvent à peu près à 25 milliards d'euros sur une période de cinq ans. Le plan France Relance prévoit seulement 4,3 milliards d'euros sur trois ans. Autant dire que cela est insuffisant car les défis sont immenses.

Chaque jour, nous répondons à des appels d'offre pour financer des projets dans les territoires afin d'améliorer l'environnement et la qualité de vie. Ainsi, la nouvelle station d'épuration de la communauté d'agglomération Sète Agglopôle Méditerranée est une station de nouvelle génération, qui éliminera les micropolluants avec des traitements membranaires. À La Réunion, avec Inovest, nous valoriserons 70 % des déchets de l'île en créant plus de 500 emplois, en appliquant les principes de l'économie circulaire. Nous sommes d'ailleurs un acteur majeur outre-mer, puisque nous desservons plus de la moitié de la population ultramarine, de Papeete à Cayenne. Nous proposons aussi de nouvelles offres en ce qui concerne la qualité de l'air : à Poissy, nous expérimentons un dispositif pour éliminer les particules fines dans la cour de récréation d'une école primaire en utilisant des algues pour capturer et éliminer les polluants. Nous proposons aussi des solutions aux élus pour éliminer les polluants dans l'eau, recycler le plastique ou purifier l'air. Nous sommes le premier acteur pour les sociétés d'économie mixte à opération unique (Semop) avec six contrats déjà signés. Nous sommes pionniers en matière de smart cities, comme à Dijon par exemple. Tous ces projets sont au coeur de la transition écologique et contribuent à améliorer la qualité de vie et la santé des Français. En investissant dans nos métiers, nous assurons la pérennité d'emplois locaux et non délocalisables.

Le projet de Veolia serait néfaste pour le rayonnement de la France. Ce projet est hasardeux, à contre-temps, voire à contre-courant. La concurrence internationale est rude. Si nous voulons que la France conserve son avance, qui est réelle, elle doit non seulement éviter la disparition d'un de ses fleurons, mais veiller aussi à ce que ses deux leaders ne ratent pas le train de l'investissement technologique à cause des perturbations qui ne manqueraient pas de découler de cette opération. À l'heure où la France souhaite miser sur son industrie, nous devons développer nos entreprises plutôt que de jouer au Meccano industriel !

Ce projet est aussi néfaste pour l'emploi : les experts que nous avons consultés estiment qu'entre 4 000 et 5 000 emplois directs sont menacés en France, sans compter les emplois indirects, et près du double au niveau mondial. En France, nos salariés et notre encadrement ont exprimé leurs inquiétudes légitimes : un tel projet ne peut se faire sans éliminer les doublons, sans toucher aux fonctions support, aux équipes de développement commercial ou d'encadrement.

Ce projet entraînerait aussi la cession de quasiment 70 % des actifs de Suez en France. On a beaucoup parlé de la cession de la branche eau en France mais, compte tenu de la position dominante des deux acteurs dans le domaine des déchets, il faudrait également vendre près de la moitié des activités de Suez dans ce secteur, soit des cessions représentant entre 1,5 et 1,7 milliard de chiffre d'affaires sur un total de 3,5 milliards. Nos entreprises possèdent, à deux, entre 60 et 65 % des unités de valorisation énergétique sur le territoire national, entre 60 et 65 % des unités d'enfouissement, 95 % des centres de traitement de déchets dangereux, etc. Les cessions seront donc considérables et cela bouleversera des organisations qui sont déjà mises sous tension par la crise que nous traversons.

Les équipes de R&D, qui sont principalement basées en France, seront aussi touchées : outre les suppressions des doublons avec notre concurrent, elles ne bénéficieraient plus du rayonnement mondial qu'elles ont aujourd'hui, dans la mesure où les technologies que nous utilisons sur le territoire national sont exportées et que, inversement, nos expériences à l'international profitent à nos clients français. Cette fusion fragiliserait l'innovation : un vrai gâchis, alors que nous sommes incontestablement leader en la matière. Suez investit deux fois plus par an que Veolia. Lorsqu'un président d'agglomération, un président de communauté de communes ou un président de région lance un appel d'offres pour la gestion de l'eau ou le traitement des déchets, il est sûr d'avoir en réponse deux belles offres qui lui offriront toute la technologie et les savoir-faire qui sont le fruit de la concurrence qui existe depuis des décennies. Si cette opération venait à se concrétiser, le choix disparaîtrait. La concurrence sur notre marché domestique est un moteur pour l'innovation qui nous donne la capacité de nous développer à l'international. Ce n'est pas en l'éliminant que nous aiderons le secteur à se renforcer face à la concurrence. Au contraire ! Oui, la concurrence chinoise existe, mais c'est par notre différenciation technologique et contractuelle, ainsi que par notre culture partenariale avec nos clients que nous l'emporterons. Nous sommes présents à Alger, Casablanca, Santiago du Chili, aux États-Unis, en Jordanie, etc. En France, nous sommes présents de Dijon à Créteil, de Toulouse à Saint-Étienne. Partout dans le monde, nos clients nous font confiance et nous tenons à préserver ce lien privilégié.

Nous ne croyons pas au mirage d'un super champion de la transition écologique dans un secteur où c'est l'agilité, l'innovation, les bons partenariats qui font gagner et non la taille. Le projet de notre concurrent revient à transformer deux champions mondiaux en un seul groupe endetté et affaibli. Il est simple, voire simpliste : démanteler Suez et affaiblir la concurrence. Les députés membres de la « mission flash » à l'Assemblée nationale ont fait le même constat la semaine dernière. Les failles et les dangers du projet de notre concurrent sont à mettre en relation avec la méthode, brutale et précipitée, qui a conduit à la cession des parts d'Engie le 5 octobre dernier. À l'heure où nous voulons réindustrialiser la France, pourquoi se priver des numéros un et deux mondiaux dans un secteur porteur et vital pour l'avenir ?

Nous restons combatifs : forts de nos 150 ans d'histoire, nous sommes convaincus du bien-fondé de notre projet industriel et je parle aujourd'hui au nom de l'ensemble des 90 000 collaborateurs du groupe qui sont particulièrement attachés à leur entreprise, à son savoir-faire et à sa spécificité. Enfin, comment ne pas être surpris du moment choisi par Veolia, alors que les activités de traitement de l'eau et des déchets sont des secteurs essentiels, que la crise sanitaire fait rage et que l'emploi et la relance économique sont des enjeux prioritaires. J'ai le sentiment d'une perte du sens des priorités.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour ces réponses qui révèlent votre engagement et vos convictions.

M. Alain Cadec. - La décision de céder les parts d'Engie à Veolia a été votée lors d'un conseil d'administration contre l'avis de représentants de l'État, pourtant actionnaire principal d'Engie. Comment expliquer que l'État n'ait pas été suivi ? Estimez-vous que l'État a fait preuve de neutralité ?

Meridiam est une société de gestion d'actifs. Elle n'a pas d'expérience dans la gestion de l'eau. Pensez-vous qu'elle dispose des moyens de ses ambitions ? Pourra-t-elle assurer le développement des activités Eau de Suez ? Celles-ci sont-elles menacées en cas de rachat ?

M. Hervé Gillé. - On peut s'interroger sur l'information et la concertation autour du processus de rachat dans un contexte sanitaire difficile. Quelle a été l'association des salariés et des actionnaires au cours du dernier mois ?

Vous avez placé les activités relatives à la gestion de l'eau en France dans une fondation de droit néerlandais, avec inaliénabilité des actifs pendant quatre ans, décision qualifiée de « pilule empoisonnée » par Antoine Frérot. Vous avez fait le choix de la confrontation. Certains actionnaires minoritaires de Suez estiment que cette décision leur porte préjudice et menacent d'engager la responsabilité civile ou pénale des membres du conseil d'administration. Que leur répondez-vous ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Vous avez essayé de trouver des investisseurs capables de soumettre une offre alternative. Le fonds Ardian avait manifesté son intérêt le 1er octobre et avait indiqué son souhait de constituer un consortium d'investisseurs. Est-ce par manque de temps qu'une offre de rachat n'a pu être déposée ? Avez-vous consulté d'autres investisseurs, comme Meridiam par exemple ?

Enfin, vous avez évoqué les conséquences sur le secteur de l'eau et des déchets : d'autres actifs devront-ils être cédés en cas de rachat ?

Mme Nadine Bellurot. - Vous avez expliqué qu'il y avait un risque de destructions d'emplois. Quels sont les emplois menacés ? Quel est le risque de perte de technologie ? Doit-on craindre une baisse de la qualité de services et une hausse des prix pour les usagers ?

Quelles seraient les garanties qui seraient susceptibles de vous faire changer d'avis sur cette opération ? Enfin, estimez-vous qu'il y a eu une collusion entre Veolia et Engie ?

M. Philippe Varin. - En ce qui concerne la cession des parts d'Engie contre l'avis de l'État, je ne peux que vous inviter à poser la question à M. Clamadieu ! Factuellement en tout cas, la manière dont ce vote s'est déroulé n'est pas claire... Il n'est jamais arrivé qu'une société dont l'État possède 23,4 % passe outre son avis. De plus, certains administrateurs ont quitté la salle au moment du vote. Bref, cela n'est pas clair.

Lorsque le 3 septembre, le Premier ministre, s'exprimant à propos du plan de relance, a indiqué, en réponse à une question de journalistes, que cette offre avait du sens, ces propos ont eu des conséquences immédiates pour nous. Nous recherchions alors des investisseurs pour former une offre alternative. Ils ont été dissuadés : nul investisseur français ne souhaite s'opposer à l'État. Le ministre de l'économie a corrigé cette position par la suite, indiquant que l'État resterait neutre, qu'il fallait donner du temps au temps et que l'offre ne devait pas être inamicale. À partir de ce moment, nous avons pu recommencer à discuter avec des investisseurs.

Mais le mal était fait, nous avions pris du retard, d'autant plus que l'échéance fixée au 30 septembre par Antoine Frérot était très brève. Il n'a d'ailleurs pas accepté de la repousser, sauf lorsque Engie a demandé un délai de cinq jours supplémentaires, jusqu'au 5 octobre. Il est quasiment impossible de trouver une offre alternative en deux semaines. Ardian avait déposé une lettre d'intention, et demandait un délai de quatre à six semaines pour parvenir à un accord engageant. Nous avons manqué de temps, d'autant plus que le président d'Engie a indiqué à la présidente d'Ardian qu'il considérait que sa démarche n'était pas amicale. Est-ce bien le rôle du président d'Engie de décourager des offres alternatives ?

M. Bertrand Camus. - Il faut distinguer la qualité d'un investisseur et l'entreprise. On sait que pour faire face au changement climatique, nous aurons à investir massivement dans les infrastructures d'eau. La Seine, par exemple, aura deux fois moins d'eau en été en 2040 : il sera donc nécessaire de doubler l'efficacité du traitement des eaux. La question du financement n'est pas première dans la mesure où ils sont plus facilement disponibles dans le monde d'aujourd'hui. La différence se fera dans le développement de capacités technologiques permettant de réaliser ces investissements à moindre coût et d'abaisser la facture pour l'usager, à l'image du photovoltaïque qui coûtait très cher au début et dont les coûts de revient ont été abaissés.

Il y a donc un enjeu lié au maintien des savoir-faire et à la maîtrise des technologies. Ainsi, pour traiter les micropolluants, on utilise des techniques membranaires assez poussées que nous maîtrisons dans notre portefeuille international, en particulier grâce à GE Water. Il faut donc se poser la question du découpage des activités de Suez Eau France et s'assurer que cette entité puisse être viable. C'est là où le bât blesse. Notre activité de gestion de l'eau en France, dans le cadre de délégations de service public (DSP), est associée à des activités de constructions de stations. C'est un héritage de la société Degrémont. Cette activité est déficitaire en France, mais rentable grâce à l'international, et c'est ce qui nous permet d'innover et d'investir. Il en va de même pour le digital, le comptage intelligent, les algorithmes de gestion dynamique des réseaux. Notre laboratoire de recherche, qui a trouvé la technique permettant de détecter la présence du virus de la covid-19 dans les eaux usées, est intégré dans un réseau mondial et on ne saurait l'isoler. Or, soit il sera récupéré par Veolia, auquel cas il ne restera plus qu'un seul acteur, soit il restera chez le repreneur des activités Eau, mais celles-ci ne permettront pas de financer son développement à terme.

Meridiam est un investisseur spécialisé dans les infrastructures. Nous avons d'ailleurs noué des partenariats avec lui à l'international, mais il n'a guère d'expérience en France et aucune dans l'eau. Il est aussi un petit peu bizarre que, dans cette opération, Veolia choisisse son futur concurrent - les meilleurs amis deviendront-ils les meilleurs ennemis ? - à un moment où de nombreux contrats vont devoir être renouvelés : en Île-de-France, ou dans de grandes villes qui ont annoncé leur passage en régie, comme à Lyon ou Bordeaux. Le marché de l'eau évolue et le portefeuille de Veolia sera touché.

Nos salariés n'ont pas été consultés. Ils ont déposé un recours. Le tribunal de Paris a ordonné le lancement d'une information-consultation du comité social et économique. La question sous-jacente est de savoir si l'acquisition d'un bloc de 29,9 % des parts d'Engie par Veolia peut être dissociée, ou non, de la totalité du projet de prise de contrôle de Suez. Dans ce cas, l'information des salariés est nécessaire quant aux conséquences sur l'emploi et sur l'entreprise, de manière assez détaillée, afin qu'ils puissent se prononcer. Le tribunal a statué le 9 octobre dernier, soit quatre jours après la cession des parts d'Engie. L'appel sera jugé ce jeudi. Les actionnaires salariés, qui possèdent 4 % du capital, ont un représentant au sein du conseil d'administration de Suez qui est pleinement informé de la situation et de la stratégie développée par le conseil d'administration. Nous avons également des contacts fréquents avec l'ensemble de nos actionnaires, y compris les activistes. Nous avons ainsi eu un long échange avec eux la semaine dernière après la présentation de nos résultats, ce qui nous a permis de les informer et de leur expliquer les prises de position de l'entreprise.

M. Philippe Varin. - La fondation de droit néerlandais constitue pour nous un outil de négociation qui permet au conseil d'administration de Suez d'exister durant la négociation autour d'un sujet majeur pour la société. Elle a été créée le 23 septembre. Sans cela, l'affaire aurait été pliée le 30 septembre. Nous n'avions guère le choix. J'ai demandé au président d'Engie de pouvoir être auditionné par son conseil d'administration afin d'expliquer notre position. Cela ne me semblait pas exorbitant... mais cela m'a été refusé. Dès lors n'étant informés ni par Veolia ni par Engie, nous avons pris cette décision.

Cette fondation est mise en place pour quatre ans. Elle est désactivable à tout moment par simple délibération du conseil d'administration de Suez. Je constate d'ailleurs que, depuis, Veolia a relevé le prix de son offre et que la question de l'activité eau en France a enfin été posée. Cette activité est au coeur de Suez. Elle recouvre non seulement l'activité opérationnelle, mais aussi la recherche et développement qui bénéficie de nos expériences industrielles dans le monde. Si l'on restreint le champ d'activité à la France, la recherche dépérira.

Les actionnaires minoritaires auxquels vous faites allusion représentent 0,5 % du capital. Nous avons rencontré les actionnaires. Les grands actionnaires ont bien compris que la fondation avait été créée pour répondre spécifiquement au problème posé par l'initiative de Veolia, mais qu'elle n'était pas destinée à servir de barrière contre d'autres offres. Il ne s'agit donc pas d'une pilule empoisonnée aux effets très larges.

Lorsque j'ai rejoint le groupe le 15 mai, Jean-Pierre Clamadieu m'avait indiqué que la part d'Engie dans Suez ne resterait certainement pas inchangée durant la durée de mon mandat. Avec Bertrand Camus, nous avons donc anticipé et contacté des investisseurs possibles, prêts à reprendre certaines tranches des parts d'Engie, et des partenaires habituels de Suez. Nous voulions, dans le consensus, trouver les bons investisseurs, y compris étrangers, pour renforcer l'entreprise. Lorsque le 30 juillet, M. Clamadieu m'a appelé pour me dire que son conseil avait décidé la vente du bloc de 31,7 %, on s'est dit qu'il fallait passer de la phase exploratoire à la phase opératoire. À l'époque, le président d'Engie disait qu'il n'y avait pas d'urgence, car Engie n'avait pas besoin de cash immédiatement. Il avait dit publiquement que son intention était de réaliser cette opération à l'horizon début 2021. Mais les choses se sont accélérées et le 30 août nous avons été confrontés à la proposition de Veolia, avec un délai extrêmement court. Ardian était porteur d'une offre qui rassemblait plusieurs investisseurs. Nous n'avons pas travaillé avec d'autres investisseurs.

M. Bertrand Camus. - L'offre de Veolia pourrait entraîner des dyssynergies
- c'est-à-dire des ventes d'activité - au regard du portefeuille d'activités de Suez. Elles pourraient notamment résulter des règles de la concurrence et des lois antitrust dans les différents pays. Une autre dimension qui n'est pas du tout prise en compte actuellement concerne l'approche politique du sujet : la plupart des pays ont, en effet, des législations limitant les investissements étrangers. Enfin, il ne faut pas oublier d'inclure les ventes d'actifs qui seraient nécessaires pour financer l'opération.

Les sujets antitrust concernent surtout l'Europe et seront examinés par la Commission européenne : entre 70 et 75 % de nos 5,5 milliards d'activités dans le traitement des eaux et des déchets en France devront être cédés. Il en va de même au Royaume-Uni ou en Australie. Au Maroc, Veolia et Suez traitent l'eau de la plupart des grandes villes : Casablanca pour Suez, Rabat, Tanger et Tétouan pour Veolia. Le ministère des finances marocain a déjà exprimé ses inquiétudes. En Chine, nous avons construit deux belles success stories, en partenariat avec des partenaires locaux et nous avons de nombreux projets dans l'eau, l'assainissement et les déchets. Comment leur expliquer que l'on fusionne pour créer un champion mondial destiné à les empêcher de se développer ? Au total, nous estimons que des cessions à hauteur de 40 % du chiffre d'affaires du groupe seront nécessaires.

Beaucoup d'emplois basés en France sont liés à notre activité internationale : au siège, dans les centres de recherche, etc. Dans la construction, par exemple, le coeur de l'activité mondiale de Degrémont est à Rueil-Malmaison, même si le groupe possède également une plateforme en Inde pour les dessins ou en Espagne sur le dessalement. Les risques de pertes d'emplois sont donc réels si l'activité mondiale disparaît.

Veolia entend aussi procéder à des ventes par appartement dans l'activité déchets, ce qui revient à conserver l'unité la plus performante des deux sociétés dans chaque région, et donc à vendre le reste à d'autres acteurs qui ont déjà des services support ou commerciaux et qui n'auront donc pas besoin de garder ces emplois.

Nous avons signé cet été un accord de vente à Veolia d'Osis, une filiale de curage de réseau, qui n'est pas une activité stratégique pour Suez, ce qui montre que nous n'avons pas les mêmes priorités.

Nous n'avons jamais eu de souci avec Veolia sur les transferts de personnels, qui ont lieu à chaque perte ou gain de délégation de service public, et qui sont encadrés par des statuts, définis sous l'égide des fédérations professionnelles comme la FP2E. Mais dès lors que l'on transfère des activités chez des acteurs qui ne sont pas régis par les mêmes statuts, on peut craindre une dégradation des conditions sociales, dans la mesure où Veolia comme Suez offrent des statuts avantageux, en raison de leur rayonnement mondial et de leur besoin de recruter des collaborateurs à l'international.

On estime que 4 000 à 5 000 emplois directs sont menacés en France, sans compter les emplois indirects, comme le gardiennage ou les services informatiques.

Nous avons en outre des savoir-faire et des technologies différentes. C'est le résultat de choix délibérés. C'est le cas du comptage intelligent : nous avons fait le choix de la radiofréquence, tandis que Veolia a choisi une autre technologie de transmission. Cette concurrence est stimulante. Dès lors, si l'un des deux acteurs disparaît, l'équipe France n'aura plus accès qu'à une seule technologie, en France comme à l'international. Veolia n'a pas été intéressée par le rachat de GE Water en 2017, car cela ne correspondait pas à sa stratégie. De même, nous sommes les seuls à pouvoir répondre à un appel d'offres à Singapour sur la télérelève intelligente.

Faut-il craindre une évolution des prix ou de la qualité de service ? En cas de difficultés, si le prix ne bouge pas, il faut craindre une détérioration de la qualité de service, et donc l'arrivée de nouveaux prestataires, espagnols par exemple.

M. Philippe Varin. - Il est important que Suez continue à fonctionner dans son intégrité, en stand alone. Le plan « Suez 2030 » donne de bons résultats et doit continuer à être mené, au-delà de la crise que nous traversons. Si des investisseurs étaient intéressés par Suez, il est aussi de notre rôle de les alimenter dans leur réflexion, comme nous l'avons fait avec Ardian.

Alors, quelles garanties Veolia pourrait-elle fournir pour nous amener à changer notre point de vue ? Trouvez-vous normal tout d'abord que le conseil d'administration de Suez n'ait pas reçu de la part de Veolia le moindre document récapitulant son offre ? En tant que président du conseil de Suez, j'ai un devoir fiduciaire d'instruire le dossier. Or, nous avons tout appris par voie de presse : le 30 août, le 5 octobre ou encore ce matin ! Curieuse manière de mener des négociations...

À partir du 30 août, sous l'impulsion du ministre de l'économie et des finances, nous avons été incités à discuter avec M. Frérot. C'est ce que nous avons fait, mais ce n'est pas allé bien loin. Nous étions très attachés à trouver une solution française. Mais, la piste n'a pas fonctionné et nous n'avons pas pu avancer. Depuis le 5 octobre, nous attendons qu'une offre formelle soit déposée. Nous invitons Antoine Frérot à le faire.

Nous serons alors attentifs au projet industriel global, au-delà du slogan sur la création d'un champion national : l'évolution de l'emploi, les synergies, l'investissement, les remèdes au regard du droit de la concurrence, etc. Encore faut-il avoir une proposition formelle, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui...

Quant au caractère amical mis en avant depuis le début, il est difficile de l'apprécier lorsque le président de Veolia dit que l'« on n'arrête pas un train lancé » ! L'agressivité et l'outrance verbale ne sont pas de bons moyens pour rapprocher les points de vue.

M. Fabien Gay. - Cette fusion est révélatrice du capitalisme de ces trente dernières années : des entreprises publiques qui détenaient des monopoles publics ont été démantelées avec la dérégulation, et finalement on obtient des monopoles privés ! En filigrane, le véritable enjeu pour le Gouvernement est la restructuration d'Engie et son démembrement au profit de Total. Je n'ai pas la même vision que vous sur la loi Pacte. Celle-ci ne pose aucun garde-fou au capitalisme financiarisé et aux OPA hostiles. C'est pour cela que Veolia agit, alors même que les délégations devront être renouvelées, notamment en Île-de-France.

Quelles sont les dates précises du premier échange avec M. Clamadieu et du premier échange avec le Gouvernement ? Travaillez-vous sur une solution autre que le fonds Ardian pour éviter la deuxième étape de l'OPA hostile ? Veolia pourrait faire élire un nouveau conseil d'administration plus favorable : la fondation aux Pays-Bas est un élément de négociation, mais c'est tout de même un tigre de papier.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Pour quelles raisons le groupe Veolia a-t-il enregistré une baisse substantielle de chiffre d'affaires - 1,7 milliard d'euros - au cours du troisième trimestre, en particulier pour son activité à l'international ? Quels sont les principaux points de votre stratégie de développement à l'international ? Quelles seraient les conséquences de la fusion sur cette activité internationale ?

M. Bertrand Camus. - À mon sens, leur baisse de chiffre d'affaires tient aux effets de la covid-19 sur leurs comptes au deuxième trimestre, marqués par un redémarrage très lent de la Chine et par la première vague du virus en Europe, y compris en Europe centrale. Les chiffres du troisième trimestre seront connus la semaine prochaine. Nous-mêmes avons vécu un deuxième trimestre difficile, avec une baisse de 9 % ; nous sommes à peu près revenus au niveau de 2019 sur le troisième trimestre.

Lorsque nous reprenons des contrats à l'international - c'est le cas au Sénégal depuis le 1er janvier de cette année -, nous avons des cadres, mais aussi beaucoup de techniciens supérieurs issus de nos exploitations non seulement françaises, mais également marocaines, pour assurer le redémarrage de l'activité. L'absence de contrat international aurait évidemment des effets sur nos structures.

Nous gagnons des contrats, car nous sommes positionnés sur des secteurs, des pays ou des activités où le groupe Veolia ne l'est pas. Avec deux acteurs, notamment sur des positionnements différents, il y a deux fois plus de chances de gagner des contrats à l'international.

M. Philippe Varin. - Comme Engie était notre grand actionnaire, j'avais pour habitude, en tant que président du conseil de Suez, d'échanger avec son président avant chaque réunion du conseil. J'ai ainsi évoqué avec lui courant juin le fait que nous commencions à rechercher des investisseurs potentiels. Le directeur général a également eu des contacts réguliers avec Engie en juillet. Nous avons eu un débriefing après son conseil le 30 juillet, et je l'ai eu au téléphone le 30 août.

Nous ne sommes pas une entreprise publique. Mais il nous est arrivé, avec Bertrand Camus, d'avoir des contacts avec les services de l'administration. À partir du moment où Bruno Le Maire avait retenu un principe de neutralité et indiqué qu'il était ouvert pour examiner d'autres options, nous avons travaillé avec lui, son directeur de cabinet et ses services pour faire en sorte d'avancer de manière coordonnée.

M. Jean-Paul Prince- Comment vos discussions avec Veolia à propos de la vente d'Osis se sont-elles passées ? Vous menez des actions de suivi de la présence du coronavirus dans les eaux usées, notamment dans les communes espagnoles. Qu'en est-il en France ?

Mme Viviane Artigalas-Veolia a annoncé que son projet de déposer une OPA sur les actifs de Suez n'interviendrait qu'après un accueil favorable du conseil d'administration de Suez et la désactivation de la fondation. Votre conseil d'administration n'est visiblement pas prêt de donner un tel accord. Mais Veolia a aussi indiqué attendre le résultat de la prochaine assemblée générale de Suez. Pensez-vous que cela ait des chances d'aboutir ? Si oui, à quelle échéance ?

M. Bertrand Camus. - Au mois de mars, nous avons fait le constat avec M. Frérot que les stratégies de nos deux groupes divergeaient. Nous avions indiqué qu'il n'y aurait pas de tabou à la vente d'un actif de Suez à Veolia si l'offre était bonne, en espérant une forme de réciprocité. La vente d'Osis s'inscrivait dans cette perspective. Il y avait trois entreprises, toutes trois françaises, en lice. Les négociations se sont conclues le 10 août. Comme ils avaient la meilleure offre, j'ai tenu parole, et nous avons signé.

La technique relative au coronavirus a été développée en partenariat avec plusieurs acteurs, en particulier l'université de Lorraine. Elle est déjà opérationnelle en Espagne. Pour la France, nous avons obtenu l'agrément la semaine dernière. Nous allons donc pouvoir passer à l'étape suivante : la mise en oeuvre auprès des collectivités qui le souhaitent.

M. Philippe Varin. - Vous comprendrez que je ne puisse pas répondre à la question sur les chances d'aboutir d'une telle opération lors d'une assemblée générale. Ce que vous lirez ce soir dans la presse n'apporte pas d'élément nouveau. On nous dit que l'offre ne sera émise qu'une fois la fondation désactivée et le conseil en situation d'accueil amical ; c'est un peu redondant... Encore une fois, tant qu'il n'y a ni offre formelle, ni projet industriel, ni précisions sur l'emploi, on ne pourra pas avancer. Évidemment, si le train est lancé à grande vitesse sans qu'on puisse l'arrêter, la négociation ne sera pas évidente.

Mme Dominique Estrosi Sassone- Quel est aujourd'hui l'état d'esprit de vos clients, les collectivités, notamment sur les appels d'offres en cours ? Comment l'incertitude actuelle est-elle ressentie sur le terrain ? Vous avez indiqué que vous prendriez toute votre part à la mise en oeuvre du plan de relance. Là encore, la situation présente n'est-elle pas de nature à vous empêcher de répondre à certains projets ? Continuez-vous de travailler à une recomposition alternative du capital ?

M. Jean-Claude Tissot. - M. Frérot déclare aujourd'hui que le seul obstacle à l'OPA est l'actuel conseil d'administration de Suez. Cette opération financière de grande ampleur nous inquiète particulièrement pour les salariés du groupe Suez, dont l'emploi ne doit pas être menacé. La disparition d'un siège social, la réduction des équipes de recherche et de développement et des équipes de terrain sont aussi des éléments préoccupants. À court terme, en vue des potentielles négociations à venir, que proposez-vous pour préserver les emplois ? À moyen terme, si jamais l'opération n'aboutit pas, que prévoyez-vous pour définitivement rassurer les salariés de votre groupe ?

M. Serge Babary- Avec Suez et Veolia, nous avons deux champions dans le domaine de l'eau. Quel est le rythme de développement du marché dans les secteurs d'activité qui sont les vôtres ? Pouvons-nous espérer conserver deux champions dans un marché en très fort développement ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Le journal Le Monde d'aujourd'hui indique : « [...] Antoine Frérot, a décidé de contre-attaquer. Dans un entretien au Monde, il appelle les autres actionnaires de Suez à débarquer le conseil d'administration récalcitrant ». Jusqu'à quel point votre conseil d'administration est-il solide ?

Me confirmez-vous que le ministère de l'économie a donné son accord au rachat de Suez par Veolia au mois de juillet ?

M. Bertrand Camus. - Nous avons l'obligation d'être des concurrents exemplaires, ne serait-ce que par rapport au droit européen. Les clients se disent : « Si je n'ai plus le choix, je vais peut-être faire différemment. Je ne veux pas ouvrir la porte à d'autres acteurs internationaux. Il y a tout ce qu'il faut en France en termes de compétences. » Le cas du Sénégal est un bon exemple. Nous avons battu un fonds d'investissement. En termes de prix, nous étions au deuxième rang, et Veolia au troisième, en étant 20 % plus cher. La perspective de l'avoir comme opérateur ne réjouit pas beaucoup nos interlocuteurs...

Philippe Varin faisait référence à notre devoir vis-à-vis de nos parties prenantes, c'est-à-dire de nos actionnaires, de nos salariés, mais aussi de nos clients. Toute solution, notamment s'agissant de l'eau ou des déchets, devra garantir leur protection, c'est-à-dire ne pas transférer l'activité à un acquéreur qui ne pourrait pas respecter les engagements du contrat.

Chez Suez, des activités se réduisent, mais d'autres emplois se créent, par exemple dans le domaine de l'analyse des données. Nous essayons à chaque fois de repositionner les équipes sur des activités nouvelles. En dix ans, il n'y a pas eu un plan social chez Suez, malgré l'intensification de la concurrence, en particulier sur le marché de l'eau, tandis que Veolia en a connu trois ou quatre.

Nous avons des ambitions de développement. Nous voulons nous positionner sur de nouvelles activités : l'air, la dépollution des sols... Nous appréhendons l'environnement dans un contexte global, pour aller chercher des relais de croissance. C'est créateur d'emplois, notamment localement, avec des niveaux de technicité de plus en plus importants. Il y a beaucoup de possibilités de développer l'emploi sur ces activités.

Le potentiel de développement des marchés est très important. Nous avons énormément travaillé la sélectivité : choisir les bons modèles pour les bons pays. Nous investissons plutôt dans les pays type OCDE, où les investissements sont protégés. En revanche, nous avons la capacité d'intervenir ailleurs, par exemple en Ouzbékistan, où c'est l'État qui finance les investissements nécessaires. À la fin de notre première vague de rotation d'actifs, le groupe avait une croissance organique de 1 % à 2 % par an. Nous visons 4 % à 5 % à l'horizon 2023.

Il y a de la place pour deux champions, mais chacun devra faire des choix. Nous avons décidé d'abandonner les activités sur lesquelles nous estimons que nous ne serons pas compétitifs dans le long terme. Avec l'émergence de la concurrence, notamment chinoise ou indienne, il faut se spécialiser, se recentrer : le temps où l'on pouvait espérer tout faire, partout, est révolu car les évolutions sont trop rapides. Sur des marchés en pleine explosion, avec des besoins partout, il y a vraiment de la place pour plusieurs acteurs compétents.

M. Philippe Varin. - Nous connaissions une certaine stabilité de notre capital, ce qui est plutôt bon signe ; cela signifie que nos actionnaires sont des actionnaires longs et solides.

Je préside le conseil d'administration depuis le 15 mai. J'en ai présidé d'autres auparavant. C'est un conseil où l'échange est très libre, mais qui partage la même boussole. Nous prenons nos décisions en essayant au maximum d'optimiser nos responsabilités vis-à-vis des actionnaires, du personnel et des clients. Le curseur sur certaines décisions n'est pas toujours évident. Mais cette boussole est absolument essentielle. En particulier, la loi Pacte nous inspire dans nos décisions. Je sens un très fort engagement. Nous avons 4,3 % d'actionnaires salariés. Ils sont représentés au sein du conseil d'administration. Nous avons récemment fait entrer deux nouveaux administrateurs : le président d'Atos et le président-directeur général d'Allianz France. Bien que les échanges soient souvent toniques, toutes les décisions ont été prises à l'unanimité depuis mon arrivée.

Je n'ai malheureusement pas la réponse à la question sur un éventuel accord du ministère de l'économie et des finances. Je peux simplement vous livrer un élément factuel : le représentant de la Caisse des dépôts et consignations au conseil d'administration de Veolia a voté, puisqu'il y a eu unanimité, la décision de faire une offre. Ce n'est sans doute pas complètement un hasard...

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 40.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Projet de loi de finances pour 2021 - Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer

M. Jean-François Longeot, président. - Madame la ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui pour votre première audition devant le Sénat en tant que ministre de la mer. Votre ministère a été créé en août dernier, ou plutôt recréé : la France a déjà disposé de l'appui d'un ministère de la mer autonome, mais ce n'était plus le cas depuis une trentaine d'années.

Vous le savez, notre commission porte la plus grande attention aux affaires maritimes, aux secteurs portuaire et du transport maritime, ainsi qu'à l'aménagement du littoral, qui relèvent, au moins en partie, des compétences de votre ministère. Vous pourrez d'ailleurs nous éclairer sur la répartition des sujets touchant de près ou de loin à la politique maritime et littorale de la France et sur la manière dont vous travaillez avec les ministères avec lesquels vous partagez des compétences, qui sont nombreux à en croire le décret d'attribution publié en juillet dernier. Je pense en particulier au ministère des transports.

Au-delà de ces aspects institutionnels, nous souhaitions vous entendre, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, sur les moyens qui seront consacrés aux affaires maritimes et aux ports. Nous avons pu observer combien la filière maritime a été - et est encore - mise à l'épreuve par la crise sanitaire et économique et combien un soutien de l'État est indispensable pour préserver ce secteur et assurer sa résilience.

Notre commission a adopté à l'unanimité en juillet dernier le rapport de la mission d'information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes, dont Martine Filleul était la présidente et Michel Vaspart le rapporteur. Cette mission a formulé dix propositions et quatre recommandations de court terme. Elle appelle notamment le Gouvernement à présenter rapidement la stratégie nationale portuaire annoncée depuis presque trois ans par le Premier ministre.

Pouvez-vous nous indiquer sous quel délai cette stratégie sera présentée et quels en seront les principales orientations et les objectifs ? La signature d'une charte d'engagement par les acteurs de la logistique voilà quelques semaines est un signal positif. Nous souhaitons qu'il soit amplifié.

Un autre sujet de préoccupation de notre commission concerne la pollution marine. D'après un rapport publié la semaine dernière par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), près de 230 000 tonnes de déchets plastiques seraient déversées en mer Méditerranée chaque année et cette situation semble s'aggraver alors même que nous savons combien ce type de déchets est particulièrement nuisible à la biodiversité marine. Quelles sont les pistes actuellement à l'étude par votre ministère pour mettre un terme à cette situation alarmante ?

L'Assemblée nationale et le Sénat ont fait de nombreuses propositions ces dernières années s'agissant de l'aménagement et de la protection du littoral, afin d'établir un cadre juridique et financier innovant permettant aux territoires littoraux de s'adapter au changement climatique. Je pense notamment à la proposition de loi de la députée Pascal Got, à la proposition de loi de notre ancien collègue Michel Vaspart relative au développement durable des territoires littoraux, au rapport du député de Vendée Stéphane Buchou ou encore au rapport de la mission d'information du Sénat sur les risques climatiques. Il y a également eu un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) sur la recomposition spatiale des territoires littoraux.

Les propositions sont donc sur la table, avec de nouveaux outils adaptés à la spécificité des territoires littoraux : les zones d'activité résiliente et temporaire (ZART), le bail réel immobilier littoral (Brili), la mobilisation du fonds Barnier, qui devrait être l'outil transversal de financement de la prévention des risques, ou encore l'inscription dans la loi de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte.

Que prévoit le Gouvernement sur ce sujet essentiel pour l'avenir de nos territoires littoraux ? Un projet de loi est-il à l'étude ? Quelles suites comptez-vous donner aux initiatives des parlementaires ?

Je vous cède la parole pour une intervention liminaire.

Mme Annick Girardin, ministre de la mer. - Je suis heureuse d'être au Sénat en tant que ministre de la mer. Vous l'avez souligné, la mer n'était plus un ministère depuis trente ans. Je travaillerai en lien étroit avec d'autres ministères. Ayant passé trois ans à la tête du ministère des outre-mer, j'ai l'habitude de l'interministérialité.

Une politique maritime nécessite des moyens à la hauteur des ambitions. Le ministère de la mer, créé en juillet dernier, n'a pas révolutionné le budget pour 2021, qui n'est pas modifié dans ses grands équilibres : nous parlons toujours des programmes 205 et 203. Toutefois, avec Jean-Baptiste Djebbari, nous nous sommes saisis de la question des ferries, durement touchés par la crise et, pour la Manche, par le Brexit.

Nous avons obtenu deux lignes dédiées dans le plan de relance : une de 200 millions d'euros sur les ports et la flotte des affaires maritimes, et l'autre de 50 millions d'euros sur la pêche. Je mène par ailleurs un travail de fond pour que le plan de relance bénéficie pleinement aux acteurs publics et privés du maritime. Nous pouvons émarger à au moins 650 millions d'euros dans l'ensemble de ce plan de relance. J'ai proposé des mesures de nature fiscale, dont certaines, comme l'externalisation du permis de plaisance, ont été votées en première lecture à l'Assemblée nationale. D'autres, comme la modernisation du droit annuel de francisation et de navigation et le prolongement du dispositif de suramortissement fiscal pour les équipements verts, seront examinées dans les prochains jours par les députés.

L'action 43 du programme 203 qui retrace les investissements au sein des grands ports maritimes, est largement préservée, à 100 millions d'euros hors fonds de concours. Le budget relatif au dragage est reconduit à 93 millions d'euros. Cette enveloppe avait connu une augmentation de 29 millions d'euros en 2019.

Le plan de relance prévoit en plus 200 millions d'euros pour les ports et l'administration de la mer, dont 175 millions d'euros pour les grands ports maritimes. Il s'agit de les rendre plus attractifs économiquement et exemplaires en matière de respect de l'environnement. Avec 175 millions d'euros sur deux ans, le budget portuaire sera doublé sur la période 2020-2022. Ces crédits sont une réponse forte à la crise épidémique du covid-19, qui a fortement dégradé l'activité portuaire française depuis 2000, se conjuguant aux conflits sociaux du début de l'année. Cela a perturbé l'exécution budgétaire de 2020 et a affaibli nos ports et nos parts de marché par rapport à nos principaux concurrents européens. Le maintien des crédits d'investissement et de fonctionnement est nécessaire, mais pas suffisant pour faire de nos ports de véritables portes d'entrée pour les trafics européens. C'est pourquoi j'ai relancé le travail sur la stratégie nationale portuaire, qui doit aboutir dans le cadre du prochain comité interministériel de la mer (Cimer), qui était prévu fin novembre et qui sera peut-être reporté. Avec mon collègue Jean-Baptiste Djebbari, nous avons signé une charte portuaire, afin d'inciter l'ensemble des acteurs à s'engager pour la compétitivité de nos ports.

Le programme 205 s'élève à 150 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 159 millions d'euros en crédits de paiement. La marge de manoeuvre est quasi nulle, puisque ce budget permet de donner aux services de l'administration de la mer les moyens de fonctionner. Il contient également les crédits d'investissement dans les moyens nautiques, ainsi que les dépenses d'exonérations de charges dont bénéficient les navires français soumis à une concurrence internationale. Le soutien de l'État à Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) est préservé, à hauteur de 10,7 millions d'euros. Il sera maintenu le temps nécessaire.

Les crédits du programme 205 seront abondés en loi de finances rectificative en faveur des mesures annoncées par le Premier ministre pour les entreprises de transport international de passagers. L'aide sera financée par le biais d'ouverture de crédits à hauteur de 19 millions d'euros et par un dégel de la réserve de précaution du programme 205. Au total, un maximum de 30 millions d'euros sera versé aux entreprises. La crise du covid-19 a eu de fortes conséquences sur certains secteurs de l'économie maritime, mais le Gouvernement est aux côtés des entreprises touchées.

Au-delà de l'urgence, je souhaite mener une concertation de fond sur la compétitivité de notre pavillon. J'ai eu l'occasion de l'annoncer la semaine dernière à l'assemblée générale d'Armateurs de France. Le lancement cette opération, que nous avons baptisée le « Fontenoy du maritime », serait pour le 9 novembre. Ce travail s'organisera autour de quatre thèmes : la feuille de route sociale du marin et du pavillon français ; le développement économique et la compétitivité du pavillon national ; la transition énergétique des navires et son lien avec l'écosystème industriel ; enfin, le rayonnement et la capacité d'influence permise par le pavillon français. Il s'effectuera d'abord avec les professionnels du secteur. Je souhaite que vous y soyez associés. Certains sujets pourront avoir besoin d'une traduction budgétaire, voire législative. Un accord de compétitivité doit être le résultat de ce travail inédit de consultation. C'est ensemble que nous pourrons apporter toutes les réponses, notamment sur la compétitivité de notre pavillon.

La crise sanitaire mondiale a montré que le système portuaire français était capable d'assurer la continuité des approvisionnements. Il constitue un actif stratégique indispensable à l'activité économique. C'est un instrument de souveraineté à renforcer. La stratégie nationale portuaire a une ambition offensive de reconquête de parts de marché sur nos concurrents étrangers. Elle a été élaborée avec les régions, en lien avec les professionnels. Elle prend en compte les ports décentralisés, pour limiter les effets de concurrence entre ports français et engager ceux-ci dans une dynamique commune de transition écologique et numérique. Le Cimer 2019 en a acté les principales ambitions : transition écologique, performance opérationnelle et maillon de la reconstruction de la chaîne logistique, développement économique des territoires et transition numérique. La stratégie doit être annoncée dans son intégralité lors du Cimer 2020, qui aura lieu avant la fin de l'année.

La pollution plastique en Méditerranée est un sujet important. Au ministère des outre-mer, j'avais lancé une trajectoire 5.0, avec un objectif de zéro déchet. Aujourd'hui, nous visons un objectif de zéro déchet plastique rejeté en mer d'ici à 2025. D'ici à 2040, les plastiques à usage unique seront interdits en France. Je salue le travail des communes du littoral, regroupées au sein de l'Association nationale des élus du littoral (ANEL), que j'ai pu rencontrer voilà quelques jours pour élaborer la charte « Plage sans déchet plastique » : actions de sensibilisation, de prévention, de ramassage et de nettoyage.

Dans le cadre de la mise en oeuvre du plan d'action européen sur l'économie circulaire, la France soutient les propositions de la Commission européenne en matière de lutte contre les microplastiques et de réduction des emballages.

J'ai le projet de mettre en oeuvre un plan d'action pour une Méditerranée exemplaire d'ici à 2030, avec un volet de lutte contre la pollution marine. L'objectif est de rallier un maximum de pays de la Méditerranée. Nous y travaillons en vue du One Planet Summit dédié à la biodiversité, qui doit avoir lieu en janvier 2021.

Deux missions ont été menées à la demande du Gouvernement sur le recul du trait de côte en 2019 : une mission d'inspection de l'Inspection générale de l'administration (IGA), de l'IGF et du CGEDD sur le financement des projets de recomposition de ces territoires et une mission parlementaire réalisée par Stéphane Buchou, député de la Vendée, sur la faisabilité et l'acceptabilité des propositions. Sur la base de leurs recommandations, des options ont été présentées lors du Conseil national de défense écologique du 12 février 2020 pour une meilleure information des populations et la mise en place d'outils adaptés, afin d'accompagner les projets de recomposition du littoral qui vont émerger dans les territoires. Le dispositif est en cours d'élaboration dans le cadre du dialogue interministériel, avec l'ambition de proposer une solution nouvelle de résilience des territoires littoraux. Le projet de loi « 3D » devrait apporter des réponses législatives en ce sens.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis des crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes. - Force est de le constater, en dépit des grands objectifs en matière de report modal, le compte n'y est pas sur l'intermodalité : plus de 80 % de préacheminements ou de post-acheminements portuaires reposent encore sur le routier. Dans un contexte où la part du marché des grands ports maritimes diminue par rapport à celle des grands ports européens, il nous semble urgent d'améliorer la compétitivité de nos ports. La stratégie nationale portuaire comportera-t-elle un volet spécifique relatif au report modal, avec des moyens dédiés ? Sera-t-elle étroitement liée à la stratégie pour le développement du fret ferroviaire ? Comment les régions et les autorités portuaires y seront-elles associées ?

L'Organisation maritime internationale (OMI) a trouvé un premier compromis dans la perspective de diminuer l'intensité carbone du transport maritime international de 40 % d'ici à 2030. Le Parlement européen s'est récemment prononcé en faveur d'une inclusion du transport maritime dans le marché carbone. Quel regard portez-vous sur ces propositions et leur niveau d'ambition ? Comment ces évolutions pourront-elles s'articuler ?

Quelle est votre évaluation de la présence des ammonitrates dans les ports français ? Y a-t-il en France des risques liés au trafic de nitrate d'ammonium, comme cela semble être le cas au Liban, après la catastrophe récente ?

M. François Calvet, rapporteur pour avis des crédits relatifs à la transition énergétique et au climat. - Pour le Méditerranéen que je suis, il est très important d'avoir un ministère de la mer. Les premiers parcs éoliens en mer, ceux de Saint-Nazaire et Fécamp, devraient être mis en service à l'horizon 2022 ou 2023, soit environ dix ans après les premiers appels d'offres. Qu'en est-il pour la Méditerranée ? La programmation pluriannuelle de l'énergie publiée en avril dernier prévoit l'attribution d'un gigawatt par an entre 2024 et 2028, qu'il s'agisse d'éolien posé ou flottant. Cet objectif sera-t-il tenu ? Nous avons pris beaucoup de retard. D'importants investissements ont été réalisés par les industriels et par les territoires portuaires, mais des inquiétudes demeurent, notamment en matière de planification des futures zones d'installation des parcs. Quelle est la stratégie du Gouvernement en la matière ?

M. Didier Mandelli, rapporteur de la mission commune d'information sur le sauvetage en mer. - Je me réjouis qu'il y ait un ministère à part entière pour la mer. Au cours des six dernières années, j'ai été rapporteur de différents textes en la matière, ainsi que de la mission commune d'information sur le sauvetage en mer.

M. Vaspart a déposé une proposition relative aux ports, dans le prolongement de la mission d'information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes. Quel regard portez-vous sur les évolutions envisagées dans ce cadre ? Que pensez-vous de la réforme de la gouvernance des grands ports maritimes, l'objectif étant de rendre plus lisible la parole de l'État et de mieux associer les acteurs du monde économique et les régions ? Quelle est votre appréciation sur l'inscription dans la loi de la stratégie nationale portuaire et sur la création d'un conseil national portuaire et logistique chargé de son suivi ?

Près d'un an après la publication du rapport de la mission sur le sauvetage en mer, quelles suites ont été données par l'administration aux différentes recommandations que nous avions pu formuler, notamment s'agissant de la relation entre l'État et la SNSM, qui remplit de facto une mission de service public ? Quand le pacte d'engagement pour les sauveteurs sera-t-il mis en place ? Sur le plan financier, au-delà du maintien des crédits budgétaires, envisagez-vous de mettre en place une ressource pérenne pour la SNSM, comme nous l'avions recommandé ? Même si vous prenez aujourd'hui l'engagement de préserver l'enveloppe pour financer les investissements et le renouvellement de la flotte, les modalités actuelles de financement sont non seulement insuffisantes, mais assez aléatoires pour certaines d'entre elles.

Mme Annick Girardin, ministre de la mer. - La question du report modal est au coeur d'une partie des 175 millions d'euros mobilisés dans le cadre du plan de relance. Mais vous avez raison : sur l'intermodalité, on n'est pas au rendez-vous. La stratégie portuaire traite bien du report modal. Elle sera articulée avec l'ensemble des travaux sur le ferroviaire.

La décarbonation du secteur maritime est une problématique mondiale. L'OMI a fixé un objectif de réduire de moitié les émissions du secteur en 2050 avant de les éliminer totalement au cours de ce siècle. La France est leader en la matière. J'ai eu l'occasion effectivement d'échanger sur ce sujet avec le secrétaire général de l'OMI. Les négociations ont été tendues, voire difficiles. Le compromis final n'est pas aussi ambitieux que ce que nous et nos partenaires européens aurions voulu, mais il constitue toutefois une étape importante. Il faut aller jusqu'au bout : rouvrir le sujet nous ferait perdre beaucoup de temps.

À long terme, la France promeut la mise en oeuvre de mesures plus incitatives à l'échelle mondiale permettant d'augmenter le prix du carbone dans le secteur maritime, afin d'accélérer le déploiement des carburants alternatifs et de pousser l'industrie à investir davantage. Une mission est en cours sur les ammonitrates, qui sont un sujet majeur ; nous vous en ferons parvenir les résultats.

Nous voyons bien aujourd'hui la nécessité du travail de négociations, notamment pour la planification des énergies renouvelables en mer, un grand programme que la France souhaite pousser. Le ministère de la mer co-maîtrisera l'ensemble des débats sur le sujet. Les zones à définir doivent être valables jusqu'en 2050. C'est ma responsabilité d'identifier avec l'ensemble des usagers les zones où l'on pourra développer ces énergies renouvelables.

On fait souvent de la gouvernance la cause de tous les maux, alors que la France doit à mon sens avoir une stratégie complète, touchant l'ensemble des ports. Nous aurons l'occasion de présenter cette stratégie dès le Cimer prochain.

Nous avons soutenu de manière indéfectible la SNSM, avec 10,7 millions d'euros de crédits en 2021, contre 2,5 millions d'euros en 2015. Ces ressources sont préservées pour les années à venir et pour le temps de leur investissement et du renouvellement de leur matériel. Nous avons aussi accompagné la SNSM avec des actions de formation. Le travail partenarial s'effectue en toute confiance avec la SNSM. Je les rencontre régulièrement sur le terrain. Je souhaite que nous puissions signer un pacte d'engagement avant la fin de l'année.

Mme Martine Filleul. - Je me réjouis à mon tour d'avoir une ministre de la mer. Dans la cadre de mission d'information que j'ai présidée, nous avons visité les grands ports maritimes et mené un grand nombre d'auditions. Nous avons constaté combien l'attente d'un État planificateur, stratège, donnant de la cohérence et de la complémentarité à l'action des ports français, était forte. Je me félicite qu'une stratégie nationale portuaire voie prochainement le jour. Quelle méthode avez-vous utilisée pour l'élaborer ? Des élus de la représentation nationale y ont-ils été associés ?

Ne craignez-vous pas que l'enchevêtrement des compétences entre M. Djebbari et vous-même ne ralentisse la mise en place, par exemple, de cette politique portuaire ?

Envisagez-vous de développer le transport fluvial, qui est écologiquement vertueux, et la connexion des ports avec le fluvial ? Le port de Dunkerque a opté pour une répartition uniforme des charges pour le fret fluvial, permettant un développement significatif du fluvial. Seriez-vous favorable à généraliser cela à tous les grands ports maritimes ?

J'ai aussi le sentiment que le compte n'y est pas sur l'intermodalité. Avec M. Vaspart et d'autres, nous avons estimé nécessaire de déployer un plan de soutien de 150 millions d'euros par an sur cinq ans pour les ports et un doublement des moyens consacrés par la LOM au report modal vers les transports massifiés de fret, pour atteindre près de 5 milliards d'euros sur dix ans. Le plan de relance que vous avez annoncé comporte un projet de verdissement de la flotte et des ports. C'est très bien, mais cela ne paraît pas à la hauteur de l'enjeu, au moins s'agissant du report modal. Allez-vous pérenniser et développer les moyens en faveur des ports dans les années à venir pour le report modal ?

M. Guillaume Chevrollier. - La France a la chance de disposer du deuxième espace maritime mondial et du premier domaine sous-maritime mondial. Il est donc bien légitime d'avoir un ministère de la mer, tant l'économie bleue renferme de potentiel ! Au sein du Gouvernement, vous avez souvent revendiqué votre appartenance aux territoires d'outre-mer, et appelé à un « réflexe outre-mer ». Depuis votre arrivée aux responsabilités, quelles politiques publiques avez-vous menées à destination spécifique des territoires ultramarins ? Dans vos fonctions de ministre de la mer, quelles politiques maritimes allez-vous mettre en place pour développer les territoires d'outre-mer ?

Je suis rapporteur des crédits concernant la biodiversité. Les territoires ultramarins représentent 80 % de la biodiversité française. Comment concevoir des politiques de développement proportionnées à leur richesse et à leur puissance maritime ? La biodiversité doit être préservée et valorisée durablement. Dans le cadre de la stratégie nationale pour les aires protégées, le Gouvernement français s'est engagé à placer 30 % de notre territoire en zone protégée et 10 % en zone de protection forte. Ces objectifs seront-ils atteints en mer ? En avez-vous les moyens budgétaires ? Il n'y a pas aujourd'hui de fiscalité propre pour financer ces aires protégées... Quelle est votre position sur l'exploitation des minerais en haute mer ? Comment arbitrez-vous entre industrialisation des fonds marins et préservation et valorisation de la biodiversité ?

Mme Nassimah Dindar. - J'évoque à mon tour les 5 000 kilomètres de côtes et les 10 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, qui font que la France dispose, grâce à ses outre-mer, du deuxième domaine maritime dans le monde. Vous avez aussi, madame la ministre, été ministre de l'outre-mer, et vous connaissez particulièrement bien tous les dossiers correspondants. Je me réjouis donc que vous soyez ministre de la mer.

Comment la stratégie nationale portuaire sera-t-elle déclinée dans les outre-mer ? La préservation de l'environnement marin dans l'océan Indien est aussi très importante, de même que la sécurité maritime : les abords de l'Afrique sont parfois infestés de pirates. Le ministère de la mer travaille-t-il en lien avec l'Europe pour que nous puissions éviter ce qui s'est produit à l'île Maurice ? J'ai bien entendu que nous allions disposer de 200 millions d'euros pour les ports maritimes. Des crédits spécifiques seront-ils alloués au port de La Réunion ? Développer le port français qui est à proximité du grand port de Tamatave et de celui de Maurice donnerait à la France une visibilité bien plus forte dans toute la zone économique de l'océan Indien.

Mme Annick Girardin, ministre. - Vous m'interrogez sur les compétences partagées entre M. Djebbari et moi-même. Pour moi, ce n'est jamais un problème d'être deux, au contraire ! Cela permet d'avancer encore plus vite, et c'est ce que nous avons fait sur la stratégie d'influence que nous voulons mettre en place. Que ce soit sur la stratégie nationale ou sur la charte, nous avons largement avancé en quelques mois, alors que ces travaux avaient déjà commencé quand nous sommes arrivés.

En ce qui concerne la méthode de la stratégie portuaire, je n'ai fait que prendre le relais d'un travail mené par mes prédécesseurs. C'est une méthode inédite, puisqu'il s'agit d'une co-construction complète, avec l'ensemble des acteurs concernés. Ce fut un véritable succès. Je ne sais pas comment les parlementaires ont été associés mais, à présent que la stratégie a été définie, je peux m'engager devant vous sur son suivi. Elle sera présentée, et je souhaite qu'avec l'ensemble des acteurs, nous constituions un groupe de travail qui puisse suivre sa mise en oeuvre. Avec la covid, celle-ci sera peut-être reportée de quelques semaines, mais je peux vous assurer que la stratégie sera présentée avant la fin du mois de décembre.

J'ai parlé des 175 millions d'euros consacrés aux grands ports maritimes, pour accélérer la transition écologique. Le plan de relance portuaire touche tous les grands ports, dans l'Hexagone comme en outre-mer, avec pour objectif d'aménager des infrastructures fluviales ou ferroviaires susceptibles de faciliter le report modal. On a une véritable réussite à Dunkerque, par exemple, où l'on a expérimenté avec succès un certain nombre de solutions. Je vais travailler, port par port, pour adapter de tels succès. La première des réunions que j'ai tenues était avec l'ensemble des grands ports de France. Nous avons échangé sur tous les sujets, avec des propositions et des partages de bonnes pratiques ou d'expérimentations. Nous devons effectuer un travail plus cohérent avec l'ensemble des ports, notamment sur le volet fluvial et sur la question du surcoût de manutention fluviale, qui pose un problème de compétitivité.

Sur les aires marines protégées et les zones de protections fortes, nous tiendrons l'engagement du Président de la République. Nous présenterons les 10 % concernés après un travail de concertation avec les territoires. Le plan de relance prévoit 60 millions d'euros pour accompagner les aires marines et terrestres. Avec Mme Pompili, nous avons insisté pour que cette somme soit complétée par des soutiens humains plus présents sur tous les territoires, car les aires marines protégées ont besoin de ressources humaines. Et nous allons saisir l'inspection du CGEDD et l'IGF pour disposer d'une analyse des ressources et des besoins nécessaires, en complément de ce qui a déjà été annoncé.

L'exploitation des grands fonds pose à la fois la question de leur préservation et de leur connaissance. Nous avons actuellement un manque de connaissance. Et ce n'est pas parce qu'on ne fera pas d'exploitation qu'on ne fera pas d'exploration. La France, en tant que grand pays maritime, doit avoir des compétences et des connaissances scientifiques. C'est pourquoi je souhaite soutenir les grands programmes de recherche concernant la haute mer et les fonds marins. Il ne faut pas être dogmatique, et je ne le suis pas ! Il faut aussi continuer le programme interministériel EXTRAPLAC (EXTension RAisonnée du PLAteau Continental), dans le cadre duquel nous avons déposé des dossiers aux Nations-Unies : il en reste encore cinq ou six à instruire, et nous aurons finalisé l'ensemble des demandes de la France en matière d'extension de son plateau continental. C'est un pari sur l'avenir. Qu'il s'agisse de protection ou d'utilisation de ces fonds marins, il nous faut d'abord, de toute façon, connaître nos limites et nos impacts sur l'ensemble de cet écosystème.

Chacun sait combien l'outre-mer fait partie de la richesse exceptionnelle dont dispose la France en matière de zones économiques exclusives, de plateau continental et de biodiversité. De plus, 80 % de notre biodiversité se situe dans les territoires ultramarins. J'avais dit un jour, en plaisantant, qu'il serait bien que 80 % des ressources financières pour protéger la biodiversité y soient affectées ! En tous cas, nous avons des efforts à faire en la matière, aux côtés des collectivités ultramarines. Les territoires ultramarins sont de formidables occasions pour la France de rayonner dans le monde. Nous sommes présents, grâce à eux, sur l'ensemble des océans, avec une extraordinaire richesse, un grand potentiel maritime lié à l'économie bleue, et une responsabilité de protection.

Le plan de relance prévoit des travaux dans l'ensemble des grands ports. Ceux de Guadeloupe, de Martinique, de La Réunion et de la Guyane sont concernés. Des propositions ont été faites et seront approuvées dans les jours qui viennent par les ministres concernés.

Chaque territoire d'outre-mer permet à la France d'avoir une politique de protection de l'environnement et de coopération dans différents bassins maritimes. À La Réunion, c'est l'Afrique du Sud, ainsi que Madagascar et le Mozambique, qui offrent d'extraordinaires possibilités de développement. La Réunion est une base avancée exceptionnelle dans l'océan Indien. Et le Président de la République a dit sa volonté de définir un axe de développement indopacifique, que nous devons nourrir et sur lequel nous travaillons. La Réunion a été aussi une base très utile pour l'ensemble des relèves de marins, qui nous ont posé beaucoup de problèmes pendant la crise de la covid. Je l'en remercie, car elle est restée ouverte aux changements d'équipages. La France a ainsi pu montrer qu'elle était un pays qui savait faire preuve de solidarité quand il le fallait : quelque 13 000 marins ont été relevés à La Réunion.

Qu'allons-nous faire en termes d'économie bleue ? Ce que veulent porter les territoires ultramarins. Je souhaite co-construire avec eux, comme je l'ai fait au ministère des outre-mer.

M. Joël Bigot. - Merci de la présentation de votre ministère, doté d'un périmètre extrêmement large, qui englobe la lutte contre les pollutions plastiques, la promotion des énergies renouvelables, le volet transport... Je souhaite vous interroger sur la filière pêche. Dans le cadre du plan de relance, vous consacrez 50 millions d'euros à sa performance environnementale. Ces crédits seront notamment consacrés à des appels à projets pour le développement de fermes piscicoles durables. Pouvez-vous nous en dire plus ? Comment comptez-vous associer la profession ?

M. Hervé Gillé. - Vous l'avez déclaré, vous l'avez répété : nous avons besoin d'une stratégie portuaire. Sur cette stratégie, vous nous renvoyez à la réunion du comité interministériel, que nous attendons avec beaucoup d'impatience. Le plan de relance prévoit quelque 200 millions d'euros. Quelle sera votre méthode pour les mettre en oeuvre ? Pour qu'un plan de relance ait une réelle efficacité, encore faut-il qu'il y ait une capacité à faire, et donc à produire des effets rapidement. Pour cela, il faut des porteurs de projets. Allez-vous vous appuyer sur un partenariat avec les collectivités locales qui sont parties prenantes ? Quand on interroge la gouvernance des ports, la place des régions est mise en question, tout comme celle des métropoles ou d'autres parties prenantes. Allez-vous lancé des appels à projets ? On voit bien qu'il y a un ensemble d'acteurs qui concourent à mettre en place des solutions d'intermodalité - et notamment les régions. Allez-vous développer ces partenariats pour créer un effet levier, ce qui conférerait une réelle efficacité à la mise en oeuvre du plan de relance ?

M. Frédéric Marchand. - Le 18 septembre, lors des journées d'étude de l'Association nationale des élus du littoral, vous avez remis en lumière le sentier du littoral, symbole de la liberté d'accès à la mer pour des millions de nos concitoyens - et, en cette période de pandémie, on a bien besoin de liberté ! Vous avez indiqué que 25 millions de Français vivent dans un département ayant une façade maritime, et que la mer borde plus de mille communes du littoral, de métropole et d'outre-mer. Vous avez annoncé le lancement d'une initiative acceptée par le Premier ministre, « France vue sur mer », visant à remettre en avant le sentier du littoral. Quelle est votre feuille de route ? Il s'agit d'un élément essentiel de notre patrimoine national.

Mme Annick Girardin, ministre. - Sur la pêche, je souhaite qu'on puisse travailler avec l'ensemble des professionnels, et notamment ceux de la filière piscicole. Je crois au développement de l'aquaculture. La France n'est pas au rendez-vous, l'Europe ne l'est absolument pas non plus. Nous avons deux objectifs : la pêche durable et l'aquaculture. On voit bien, avec la covid et le Brexit, poindre une volonté de penser les choses autrement.

Pour utiliser les crédits du plan de relance, il y a effectivement des appels à projets, mais je ne leur donne pas la priorité. Je pense plutôt à l'élaboration, avec FranceAgriMer, d'un catalogue, à l'issue d'un travail d'identification des besoins sur les territoires. Pour le plan de relance, nous avons deux ans. La plus grande difficulté est de faire remonter les projets. Il ne suffit pas d'avoir les financements ! La confection du catalogue prendra plus de temps que de simples appels à projets, mais nous regagnerons ce temps ensuite.

Oui, le sentier du littoral, ancien chemin des douaniers, est un capital de liberté essentiel dans le contexte actuel. Déjà, 5 800 kilomètres de cheminement sont ouverts, et 1 200 kilomètres sont en attente : je souhaite que leur ouverture soit financée par le plan de relance, ce qui devrait coûter 25 millions d'euros par an pendant deux ans. Il s'agit d'assurer la continuité du parcours, d'adapter les tracés en cas d'érosion ou de dérangement des habitats... Le recul du trait de côte, je l'ai vu sur le terrain, fait que nous avons perdu une partie de nos possibilités. Nous allons y travailler, et sensibiliser à l'environnement marin et littoral, par des projets pédagogiques accompagnant ce travail. Il s'agit aussi de valoriser aussi le patrimoine culturel qui se trouve sur ce sentier du littoral. Le projet que j'ai présenté a été soutenu par le Premier ministre, et nous faisons en sorte de rassembler les financements pour être au rendez-vous. Cela nous met au contact de nos concitoyens, en prise directe avec les maires de beaucoup de petites communes - c'est aussi cela qui m'intéresse dans ce ministère de la mer !

Sur la ventilation prévisionnelle des aides aux ports, je vais vous donner les chiffres : 4,5 millions d'euros pour la Réunion, 2,2 millions d'euros pour Strasbourg, 28 millions d'euros pour Dunkerque, 44,6 millions d'euros pour Le Havre, 20,1 millions d'euros pour Rouen, c'est 2,8 millions d'euros pour Paris, 10,5 millions d'euros pour Nantes et Saint-Nazaire, 4,2 millions d'euros pour La Rochelle, 8,1 millions d'euros pour Bordeaux, 33 millions d'euros pour Marseille, 5,9 millions d'euros pour la Guyane, 4,4 millions d'euros pour la Guadeloupe, et 6,5 millions d'euros pour la Martinique. La quasi-totalité de l'enveloppe a donc été attribuée aux différents grands ports. Dans le cadre de la stratégie des ports décentralisés, j'ai déjà eu une première rencontre avec l'ensemble des régions, puisque le contrat de plan État-Région est actuellement en négociation : nous devons apporter des financements pour que les ports décentralisés bénéficient aussi de ce coup de pouce. La stratégie globale sera inscrite en septembre 2021 dans le projet de loi de finances pour 2022.

M. Bruno Belin. - Je suis ravi de vous entendre parler de notre dynamique maritime extraordinaire, qui est une chance pour notre pays. Quel est l'état sanitaire des côtes et de l'ensemble du domaine maritime national, métropolitain et ultramarin ? Vous avez évoqué le plastique : je trouve qu'il est dommage d'attendre 2025. Et il y a aussi la question des rejets d'eaux usées, de produits chimiques, etc.

Mme Marta de Cidrac. - Merci pour toutes ces explications. Je fais partie de ceux qui se réjouissent que nous ayons enfin un ministère de la mer. Avec nos surfaces maritimes, il est évident que la France ne pouvait pas ignorer ce patrimoine. Ma question portera sur le volet diplomatique et géopolitique. Grâce à notre grand espace maritime, la France est présente partout : nous sommes une grande puissance maritime. Comment travaillez-vous à la diplomatie environnementale que nous appelons de nos voeux ? Pour jouer un rôle important en matière environnementale, la France doit aussi utiliser ce vecteur qu'est la mer. Travaillez-vous avec le ministère des affaires étrangères, au-delà des sujets stratégiques et de défense, à la diplomatie environnementale que la France pourrait porter de manière très forte sur la planète entière ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Même si je vis dans la métropole de Lyon, je suis très heureux qu'il y ait un ministère de la mer ! L'industrie de la transformation des produits de la mer dépend-elle de votre ministère ? D'où viennent les produits qu'elle transforme ? Nous sommes en plein Brexit, et celui-ci aura des conséquences, encore difficiles à évaluer. En avez-vous fait des simulations pour votre secteur ?

Mme Annick Girardin, ministre. - L'état sanitaire des côtes est bon, sur le plan écologique. L'enjeu dépasse la France, bien sûr, et se pense au niveau européen. Il y a un état des lieux des compétences des conseils maritimes de façade, avec lesquels nous avons réparti l'ensemble du travail que nous menons sur nos littoraux. Je travaille avec les pays méditerranéens sur la question de la pêche et des efforts en matière de pêche durable que nous devons faire dans les années à venir. La Méditerranée est extrêmement fragile, et largement touchée par un certain nombre de pollutions. Vous avez donc raison de soulever cette question. Je vous enverrai une carte précise pour y répondre.

Je me réjouis que nous ayons un ministère de la mer en partie aussi pour la dimension de diplomatie environnementale que vous avez évoquée. Il n'est jamais facile d'être suffisamment présent sur tous les chantiers européens ou internationaux. La voix de la France a été insuffisamment présente, me semble-t-il, et un ministre de la mer pourra la porter plus fortement, à l'OMI, aux Nations Unies, au niveau européen, dans le cadre de l'organisation du One Planet Summit qui se prépare sur les questions maritimes... La mer doit être un facteur de rayonnement. La future présidence française de l'Union européenne nous permettra également de pratiquer cette diplomatie sur les questions environnementales, et je travaille actuellement à cet effet sur des propositions sur la place de la mer. Des projets sur les questions maritimes vont commencer à être portés par le Portugal, qui exercera la présidence avant nous et dispose lui aussi d'un ministère de la mer. De tels ministères ne sont pas si fréquents dans les pays européens.

Vous m'avez interrogée sur l'industrie de la transformation. Mon ministère travaille à la fois sur l'amont et l'aval. Je travaille avec tous les échelons de la filière de la pêche, du mareyeur à la transformation, avec nos pêcheurs comme avec les industriels ou les transformateurs, notamment pour anticiper les conséquences du Brexit. J'espère de tout coeur que nous arriverons à un accord, car l'absence d'accord sera difficile à gérer. Un accord nous obligera à accompagner l'ensemble de la filière, en amont et en aval. Je travaille sur cet accompagnement avec le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), mais aussi avec les comités régionaux : les premières régions touchées seront la Bretagne, la Normandie les Hauts-de-France. Le Brexit peut avoir un impact négatif sur les pêcheurs : ce sont d'abord ces derniers qui seront touchés, puis l'ensemble de la filière. Et il y aura aussi les acteurs transmanche.

Nous sommes aux côtés de ces deux secteurs. Dans la crise sanitaire, nous veillons à apporter des aides suffisantes pour que chacun reste debout, et allons les accompagner encore davantage dans l'après-Brexit pour favoriser la transition vers d'autres types de pêche. Nous avons la volonté d'être au rendez-vous avec des outils nationaux et européens. Quelque 5 milliards d'euros ont été prévus pour accompagner les différentes filières après la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Sur cette somme, nous devrons débattre de ce qui reviendra à chacune. Je fais confiance à Michel Barnier, le négociateur européen, qui connaît bien le secteur de la pêche. La France a mis des lignes rouges, comme d'autres pays européens : nous sommes huit à avoir défini les mêmes. Dans les jours qui viennent, nous devrions voir des avancées sur ces négociations. Le Président de la République a dit il n'y aurait pas d'accord de libre-échange s'il n'y avait pas d'accord de pêche. Ce n'est pas aux pêcheurs français, ni aux pêcheurs européens, de payer la facture du Brexit. Le Gouvernement est et sera à leurs côtés.

Il y a aussi la question des ports, sur laquelle nous sommes également mobilisés. Ce sont 12 000 poids lourds, 13 000 véhicules légers et 60 000 passagers qui transitent chaque jour, soit 8 millions de véhicules et 22 millions de passagers par an, en provenance ou à destination du Royaume-Uni, qui transitent par les seuls ports des Hauts-de-France. L'accompagnement de cette région sera donc nécessaire : 70 % des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l'Union européenne transitent par le port de Calais, celui de Dunkerque et le tunnel sous la Manche. Nous avons donc plus de 8 000 entreprises, soit 11 % de la masse salariale de la région de Hauts-de-France, qui seront ou pourront être touchées à la sortie de cette négociation. Nous serons prêts, et nous montrerons à la hauteur dès le lendemain de l'accord.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour cet échange. Vous avez pu voir l'attention que mes collègues portent aux affaires maritimes, au secteur portuaire, à l'aménagement du littoral et à la pollution maritime... Nous avons devant nous un immense chantier, un immense travail, et vous pourrez compter sur la détermination et l'engagement des membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui y prendront toute leur part !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 50.

Mercredi 4 novembre 2020

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 heures 30.

Audition de MM. Xavier Giguet, directeur général « territoires et ruralités », Laurent Rojey, directeur général « numérique », de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et de représentants de diverses associations d'élus locaux sur la mise en oeuvre du plan de relance dans les territoires

M. Jean-François Longeot, président. - Mesdames et Messieurs les représentants des associations d'élus,

Messieurs les directeurs de l'Agence nationale de cohésion des territoires,

Mes chers collègues,

Nous continuons nos auditions sur la mise en oeuvre du plan de relance dans les territoires avec cette table ronde, qui est le premier point à notre ordre du jour. La semaine dernière, nous avons reçu la directrice du réseau de la Banque des territoires, pour une audition consacrée au plan de relance du groupe Caisse des dépôts et consignations.

Je remercie vivement l'ensemble des participants pour leur présence. Dans ce contexte difficile, il est nécessaire que nous poursuivions nos travaux, dans un format adapté, au moment où le Parlement doit se prononcer sur le budget de l'État pour 2021 ainsi que sur le plan de relance du Gouvernement.

Ce temps d'échange est d'autant plus important que la déclinaison du plan de relance dans les territoires est, selon les mots du Premier ministre dans sa circulaire du 23 octobre, « un gage d'efficacité, d'adaptabilité, d'équité et de cohésion ».

La table ronde d'aujourd'hui est également l'occasion de faire le point sur la mise en place de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), un an après sa création. D'ailleurs, nos collègues Josiane Costes et Charles Guené de la délégation aux collectivités territoriales ont rendu un rapport et 25 propositions sur ce sujet en juillet dernier, peu après la publication de l'instruction ministérielle relative aux modalités d'intervention de l'ANCT. Un débat en séance est prévu au Sénat le 18 novembre prochain.

Mes collègues vous interrogeront plus en détail sur les programmes que pilote l'ANCT - France Services, Action Coeur de Ville, Petites villes de demain, Fabrique de territoires, Territoires d'industrie, etc. - et sur les attentes des élus.

Je pense notamment à Louis-Jean de Nicolaÿ, qui était rapporteur de la loi portant création de l'ANCT au Sénat et qui est rapporteur pour avis des crédits budgétaires dédiés à la cohésion des territoires, et à Jean-Michel Houllegatte, rapporteur pour avis sur les crédits budgétaires de l'aménagement numérique du territoire.

L'objectif est d'avoir un échange libre pour comprendre ce qui fonctionne bien et moins bien sur le terrain, les projets et les besoins des élus ainsi que les points à améliorer.

Pour ma part, j'ai trois questions : d'abord, concrètement, quel est le rôle de l'ANCT dans la mise en oeuvre du plan de relance ?

Sauf erreur de ma part, la circulaire du Premier ministre du 23 octobre dernier ne mentionne pas l'ANCT en tant que telle, même si les préfets, délégués territoriaux de l'agence, ont un rôle de premier plan dans l'attribution des crédits. Le plan de relance fait référence à l'ANCT dans sa partie « dynamiques territoriales et contractualisation », avec une enveloppe de 250 millions d'euros sur deux ans et le budget de l'ANCT est en hausse d'environ 10 millions d'euros en 2021 sur la partie dédiée au soutien à l'ingénierie de projet, mais la place de l'ANCT dans le dispositif semble floue.

A-t-elle un rôle de coordination ? Est-elle un opérateur comme un autre ? Comment son action s'articule-t-elle avec celle de la Caisse des dépôts et consignations ? Je rappelle à cet égard que nous attendons toujours la transmission des conventions pluriannuelles liant l'ANCT et ses opérateurs partenaires.

Second point, qui concerne l'ensemble des participants : quels sont, selon vous, les sujets et territoires prioritaires à cibler pour la mise en oeuvre du plan de relance ? Je pense par exemple aux mobilités propres et actives, à la revitalisation commerciale, au développement des tiers lieux, à la rénovation énergétique des bâtiments ou encore aux circuits courts et à la territorialisation de la politique alimentaire.

Enfin, dernier point, concernant la couverture numérique du territoire, sujet que notre commission suit de longue date. Nous évoquerons plus spécifiquement, le volet du plan de relance consacré au déploiement de la fibre optique, mais permettez-moi de rappeler que le plan France Très Haut Débit (FTHD), lancé en 2013, vise la couverture intégrale de la population en très haut débit fixe d'ici fin 2022 et la couverture intégrale de la population en fibre optique d'ici 2025. En 2013, 3,3 milliards d'euros de soutien de l'État ont été mobilisés pour le déploiement des réseaux d'initiative publique via un « guichet » FTHD.

Ces crédits se sont avérés insuffisants pour atteindre les objectifs visés : en 2019, 25 départements n'avaient pas encore finalisé leur plan de financement pour la généralisation de la fibre optique d'ici 2025. En février 2020, le Gouvernement avait annoncé qu'une enveloppe de 280 millions d'euros supplémentaires allait ainsi être mobilisée. Notre commission avait néanmoins pointé qu'il ne s'agissait pas là de crédits additionnels, mais de crédits « recyclés » - dégagés des premiers déploiements - et de crédits hypothétiques, devant se concrétiser dans les mois et années à venir. De surcroît, ces moyens supplémentaires étaient jugés insuffisants par les acteurs du secteur et les collectivités territoriales, qui estimaient le besoin de financement à environ 500 millions d'euros.

Le Sénat avait ainsi demandé au Gouvernement de doter le plan FTHD de nouvelles autorisations d'engagement, afin de donner une plus grande visibilité aux territoires et d'assurer l'atteinte des objectifs. Le Gouvernement n'avait pas donné une suite favorable à cette proposition.

Il aura fallu une pandémie mondiale et un confinement généralisé de la population française pour que le Gouvernement accepte enfin d'écouter la demande du Parlement et des territoires : 30 millions d'euros d'autorisations d'engagement supplémentaires ont été ainsi accordés dans le troisième projet de loi de finances rectificative, à l'initiative du Sénat.

Surtout, le plan de relance consacre 240 millions d'euros au déploiement de la fibre dans les territoires. En cumulé, en ajoutant les crédits dégagés sur les premiers déploiements, ce sont ainsi 550 millions d'euros supplémentaires qui sont mis à disposition du plan FTHD. Cette rallonge offre enfin une visibilité aux collectivités territoriales et correspond peu ou prou aux moyens jugés nécessaires à l'atteinte des objectifs de couverture numérique du territoire.

Nous vous laisserons, monsieur Rojey, présenter les modalités de déploiement de cette enveloppe dans les départements n'ayant pas encore complété leur plan de financement. Nous aimerions également que vous nous présentiez un état des lieux de la couverture du territoire en très haut débit et en fibre optique à cette date. Pourriez-vous également présenter les chiffres de déploiement en zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII) ? Je rappelle que les opérateurs se sont engagés dans ces zones à une pleine couverture d'ici la fin de l'année. Enfin, pourriez-vous nous en dire plus sur les rythmes de déploiement pour cette année 2020 ? Ce nouveau confinement menace-t-il l'atteinte des objectifs de couverture numérique du territoire ?

Je vous donne la parole pour un propos liminaire resserré. Nous aurons ensuite une ou plusieurs séquences de questions-réponses. Je vous remercie.

M. Xavier Giguet, directeur général « territoires et ruralité » de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - Le 3 septembre dernier, le Premier ministre a annoncé un plan de relance de 100 milliards d'euros pour relancer l'économie, que le Gouvernement souhaite fortement territorialiser. Cette territorialisation correspond à la philosophie de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). L'agence ne se définit pas comme une structure descendante qui demanderait aux territoires d'appliquer des instructions. Elle est plutôt à la disposition des territoires pour les aider à construire leurs projets.

Le Premier ministre a échangé plusieurs fois avec les associations d'élus. Une circulaire a été publiée la semaine dernière sur la territorialisation du plan de relance. L'agence souhaite une articulation entre le national et le territorial afin que la relance ne descende pas de Paris vers les territoires, mais leur bénéficie directement.

M. Laurent Rojey, directeur général « numérique » de de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - La crise sanitaire a mis en exergue l'importance du numérique pour accéder à l'ensemble des services du quotidien : éducation, santé, accès aux services publics ou encore maintien du lien social. Tous ces enjeux figurent au centre des préoccupations des Français. Les programmes que nous portons, qui se verront renforcés par le plan de relance, visent à apporter une réponse à cette problématique.

En plus de ces questions, il existe un fort enjeu d'inclusion numérique des populations. À l'heure actuelle, environ 13 millions de Français se sentent exclus ou éloignés du numérique. En la matière, le plan de relance prévoit une enveloppe qui sera pilotée par l'ANCT en lien avec la Caisse des dépôts et consignations, pour un montant de 250 millions d'euros. Cela représente un accroissement considérable des moyens dédiés à cette politique, pour offrir une réponse complète à la fois sur le plan des infrastructures et des usages.

M. Xavier Giguet. - Il a été souligné que le dossier de presse remis le 3 septembre dernier ne citait l'ANCT qu'à une seule reprise, à propos des dynamiques contractuelles. Cela ne signifie pas que l'ANCT est impliquée uniquement sur ces sujets. Depuis sa création, l'ANCT a développé trois modes d'intervention principaux en faveur des territoires, des collectivités et des projets.

D'abord, des programmes nationaux. Leur ambition est territorialisée : Action coeur de ville, Territoires d'industrie, France Services, Petites villes de demain, Nouveaux lieux nouveaux liens, inclusion numérique. Ces programmes représentent autant d'outils pour agir concrètement avec les financeurs et collectivités concernés. Le programme « Action coeur de ville » a été lancé dans le cadre d'une rénovation des centres-villes et des centres-bourgs. Il rassemble l'ensemble des partenaires concernés : ANCT, Banque des territoires, Anha, Action Logement, qui apportent chacun des financements et des contributions.

Dans le dossier de presse, le programme « Action coeur de ville » est cité à plusieurs reprises. D'autres programmes de l'ANCT sont également cités de nombreuses fois. Ces programmes nationaux territorialisés représentent autant de vecteurs qui permettront de rassembler les financements existants.

Deuxième mode d'intervention de l'agence, les contrats territoriaux transversaux. Parmi eux figurent notamment le Pacte Ardennes, le Plan particulier pour la Creuse et l'Engagement pour le renouveau du bassin minier. Ces dynamiques transversales visent à revitaliser un territoire à travers l'ensemble des actions qu'il est susceptible de conduire. Les territoires bénéficieront du plan de relance dans le cadre des démarches contractuelles qui seront lancées, notamment dans le cadre des contrats de relance et de transition écologique.

Troisième mode d'intervention de l'agence : l'accompagnement sur mesure des collectivités. Il concerne des projets que les collectivités ne sont pas en mesure de développer, soit par manque de moyens financiers, soit faute de disposer de l'ingénierie technique nécessaire. Dans ce cadre, nous nous appuyons fortement sur l'administration centrale de l'État. Les maires n'ont en effet pas forcément conscience de l'existence de certains dispositifs au niveau local. À travers son articulation entre l'échelon national et les échelons territoriaux, l'ANCT intervient pour les accompagner.

La loi a inscrit que les préfets de département accèdent de droit au statut de délégué territorial de l'ANCT. Ils ont été sollicités pour désigner les délégués territoriaux adjoints, qui deviendront les interlocuteurs privilégiés de l'ANCT dans les territoires pour mettre en place des comités locaux de cohésion territoriale. Ces comités doivent désigner des parlementaires et des maires qui porteront les besoins locaux.

Résumer l'ANCT à sa composante nationale ne correspond donc pas à la manière dont nous souhaitons intervenir. L'ANCT s'appuie fortement sur ses délégués territoriaux, qui nous permettront de connaître les projets et de mettre en oeuvre la territorialisation de la relance.

M. Jean-François Longeot, président. - Ce n'est pas ce que nous ressentons sur le terrain. Je me suis entretenu hier avec un maire qui souhaitait accompagner la relance économique à travers un projet important. Or il se heurte à une masse de formalités administratives et ignorait l'existence de l'ANCT. Je pense donc que la déclinaison sur le terrain manque encore d'efficacité.

M. Xavier Giguet. - Je comprends votre point de vue : les retours du terrain ne sont pas forcément positifs. Les comités locaux de cohésion territoriale devaient être installés à partir de cette année, car les préfets de département souhaitaient tenir compte des élections municipales. Puisque les maires seront les principaux bénéficiaires de l'appui sur mesure, ces comités ne pouvaient être mis en place qu'à l'automne, le temps que les nouvelles équipes soient installées.

Une démarche d'installation département par département de ces comités locaux a été lancée à partir de septembre. Nous sommes conscients du besoin de reconnaissance et de visibilité de l'action de l'ANCT : Yves Le Breton, directeur général de l'agence, avait pris l'initiative de se déplacer sur le terrain au moins deux jours par semaine, pour montrer que l'agence n'était pas strictement parisienne et que le préfet joue pour celle-ci un rôle de représentant dans les départements.

Le contexte sanitaire nous oblige à interrompre ces déplacements sur le terrain. Les comités locaux de cohésion territoriale n'ont pas tous été installés, mais nous allons continuer à mettre en place les installations, malgré les difficultés qui peuvent être rencontrées.

Par ailleurs, la démarche selon laquelle nous souhaitons aider les collectivités, en partant des territoires vers les accompagnants aux projets, est récente. Sa mise en oeuvre demande du temps. L'ANCT n'est pas forcément citée dans les différents documents qui ont été évoqués, mais le préfet est présenté comme l'acteur de référence pour la territorialisation. C'est sous cette forme qu'il est fait référence à l'ANCT.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - La mise en place de l'ANCT comme « guichet unique » pour l'accompagnement, par l'État, des projets des collectivités territoriales devait permettre à toute commune ou collectivité de saisir le préfet pour répondre à leurs questions. Or nous avons du mal à comprendre le fonctionnement de ce guichet unique sur le terrain. Ne sachant pas qui saisir, les maires s'adressent au préfet, ignorant si ce dernier intervient en tant que coordonnateur de l'ANCT ou simple représentant de l'État. Il est donc important de clarifier cette problématique. Lors du dernier conseil d'administration de l'agence, le président du Conseil régional Grand Est avait souligné ce point.

La ministre Jacqueline Gourault a obtenu de Bercy des soutiens importants en matière d'ingénierie pour le fonctionnement de l'agence. Le montant alloué passerait ainsi de 10 millions d'euros en 2020 à 20 millions d'euros en 2021. En ajoutant ce qui n'a pas été dépensé, nous pourrions même dépasser les 20 millions d'euros. J'espère que ces soutiens permettront une forte territorialisation des financements de l'agence auprès des préfets, pour soutenir les collectivités locales.

Concernant le comité local de fonctionnement de l'agence, les élus espèrent de la réactivité. Il n'est en effet pas possible de devoir attendre six mois pour engager les investissements nécessaires sur le terrain. Il faut donc préciser le fonctionnement de ces comités locaux : sont-ils de simples chambres d'enregistrement des propositions des préfets ou de véritables outils pour montrer les actions des communes ?

Comme évoqué, il y a des interrogations fortes sur le fonctionnement de l'agence sur le terrain. Il est donc urgent de clarifier l'organisation de la réponse de l'État dans les territoires d'ici la fin de l'année. Je suis conscient que les réunions liées à la crise sanitaire prennent beaucoup de temps en ce moment, mais il est important de parler des investissements futurs de l'agence.

Je suis enfin inquiet de la territorialisation des crédits. Le préfet de la Sarthe m'a indiqué qu'il n'avait reçu que 3,8 millions d'euros pour la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) dans le cadre du plan de relance, alors qu'un milliard d'euros était prévu au niveau national, soit environ 10 millions d'euros en moyenne par département. Ce point de la relance sera-t-il traité par l'agence ou directement par le préfet avec les collectivités ? Les contrats seront-ils conclus par les régions ou par les départements ?

M. Xavier Giguet. - Les élus ne savent effectivement pas encore s'ils doivent saisir le préfet en tant que tel ou en tant que délégué territorial de l'agence. L'idée est de mettre en place les outils qui permettront de faire avancer les projets portés par les collectivités, peu importe sous quelle casquette intervient le préfet.

Il est essentiel que les comités locaux ne se contentent pas de rester des structures qui se réunissent deux fois par an sans que rien ne se passe entretemps. Chaque préfet doit désigner un délégué territorial adjoint. Une grande marge de manoeuvre leur a été laissée dans ce choix, certains d'entre eux ont désigné plusieurs délégués territoriaux adjoints pour que les demandes puissent être traitées au fil de l'eau.

Les comités locaux sont en train d'être installés, les premières réunions portant essentiellement sur la méthodologie. Nous donnons des conseils au niveau national, mais ne souhaitons pas imposer de règle à laquelle les préfets ne pourraient pas déroger. Nous partons du principe que les préfets demeurent les meilleurs connaisseurs de la réalité des territoires et qu'ils s'appuient sur les membres du comité local. C'est dans ce cadre que la méthodologie la plus adaptée doit être construite. Voilà pourquoi vous pouvez sentir ce tâtonnement, dont nous avons conscience.

Dans le cadre du plan de relance, une partie des crédits territorialisés le seront à travers une contractualisation. Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre avait formulé son souhait d'initier des contrats de relance et de transition écologique. Ces contrats seront déclinés à travers les accords régionaux de relance, en lien avec les contrats de plan État-régions (CPER). Les préfets de département seront ensuite chargés de réfléchir au meilleur maillage dans lequel ils pourront être déclinés. Dans certains cas, il n'est pas exclu que les contrats portent sur une échelle départementale. Dans d'autres, ils pourront être déclinés au niveau des intercommunalités. Une grande marge de manoeuvre est ainsi laissée aux acteurs des territoires pour adapter leurs efforts à la réalité des besoins locaux. Dans le cadre des CPER, une partie des crédits permettront d'incarner davantage la territorialisation de la relance.

M. Jean-Jacques Lasserre, président du département des Pyrénées-Atlantiques, membre du bureau de l'Assemblée des départements de France (ADF). - Nous abordons un sujet dont les contours ne sont pas complètement précisés. Nous travaillons en ce moment sur les perspectives du plan de relance. Certains sujets d'ordre générique concerneront tout le territoire ou des grands pans de l'activité. Nous restons particulièrement attentifs à l'approche territoriale. Nous sommes convaincus que ce plan de relance ne pourra fonctionner que si les acteurs de territoire obtiennent une responsabilité claire, avec des applications concrètes. Sur certains thèmes évoqués, nous possédons une vraie expertise politique et de nombreux sujets peuvent être traités rapidement.

Cette approche territoriale ne doit pas se limiter à un langage de séduction non suivi d'effet. Il nous appartient donc collectivement d'en clarifier les méthodes, dans le respect de l'esprit du plan de relance. Nous croyons beaucoup en l'approche départementale et considérons la transition écologique comme un bon périmètre. Une organisation des partenariats nous semble nécessaire.

Concernant le très haut débit, la plupart des départements sont très impliqués dans ces opérations pour résoudre la fracture numérique. Je compte sur vous, monsieur le président, pour que cette approche territoriale débouche sur des résultats positifs. Il revient au préfet de département de faire vivre le dispositif, qui devra également être clarifié auprès des différents acteurs.

Il convient de respecter l'esprit de ce plan de relance, en s'appuyant sur l'approche territoriale et en évitant les « recyclages financiers ». Veillons donc à créer le cadre d'un débat territorial satisfaisant. Les départements disposent de nombreux dossiers prêts à être mis en route. Je suis persuadé que nous parviendrons à trouver les équilibres nécessaires avec l'échelon régional, en évitant les confusions et les coûts d'opportunité.

M. Jean-François Longeot, président. - Pour notre commission, c'est précisément un point d'attention particulier.

M. Jules Nyssen, directeur général de l'association Régions de France. - Les régions s'étaient largement exprimées lors du débat parlementaire ayant mené à la création de l'ANCT.

Concernant la déclinaison territoriale du plan de relance, il est légitime que le préfet de département devienne délégué territorial de l'agence, mais la cohésion des territoires demeure la mission de tout le monde, notamment des régions, qui possèdent une responsabilité historique en la matière. Nous regrettons le manque de coordination à l'échelle régionale, d'autant que les structures associées à l'agence sont organisées à cette échelle. Je suis par ailleurs d'accord que l'ANCT est assez peu mentionnée dans la circulaire sur la territorialisation du plan de relance. J'entends les arguments qui ont été développés à ce sujet, mais dans la pratique nous avons du mal à identifier une organisation claire.

Le Premier ministre a plusieurs fois exprimé sa volonté de territorialiser le plan de relance, mais de nombreux obstacles devront être surmontés pour y parvenir. Il est question de territorialiser seulement 16 milliards d'euros de crédits sur les 100 milliards du plan de relance. De plus, l'argent du plan de relance provenant des ministères conduit à une forme de recentralisation de la prise de décision. Les services déconcentrés de ces ministères se sont appauvris au fil du temps, car les collectivités ont pris la main sur un certain nombre de responsabilités. Cela incite les ministères à conserver le pilotage des dispositifs. Nous devons donc rester vigilants. Sans l'expertise des collectivités locales, il sera difficile de dépenser 100 milliards d'euros en deux ans.

Nous nous satisfaisons de la mise en place d'un comité régional de pilotage et de suivi coprésidé par l'État et le président de région, qui associe les collectivités locales et les acteurs socio-économiques. Nous souhaitons cependant éviter que ce comité soit vidé de sens, notamment par les appels à projets pouvant être lancés par les opérateurs de l'État. L'ADEME et l'ANRU répondent à des stratégies nationales. Même en déconcentrant leurs appels à projets, il n'est pas évident que les solutions apportées répondent à des enjeux régionaux. Nous nous interrogeons donc sur le rôle du comité régional de pilotage par rapport à ces appels à projets spécifiques.

Le plan de relance prévoit également la transformation de tous les contrats infrarégionaux sous le label « contrat de relance et de transition écologique ». Ces contrats sont discutés à l'échelle départementale et parfois à l'échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Nous voyons mal comment s'organisera l'articulation entre ces contrats et la logique régionale de la relance.

Concernant l'économie, nous sommes très surpris que les services déconcentrés de l'État restent en charge de l'information et de l'accompagnement des entreprises pour l'ensemble des dispositions du plan de relance. Cela ne semble pas conforme à la pratique qui s'est installée. L'État pourrait abonder les dispositifs déjà existants, pour ensuite les mettre en oeuvre dans le cadre de conventions d'objectifs et de moyens.

Notre ambition n'est pas de nous approprier les moyens du plan de relance, mais de proposer les mécanismes pour que cet argent puisse arriver le plus vite possible aux bénéficiaires potentiels. Cela s'organise en parallèle de la négociation des CPER. Il a été énoncé que le premier volet des CPER correspondrait aux accords de relance 2021-2022 devant être signés avant la fin de l'année. Le délai est très court, mais chaque région souhaite associer le plus largement possible les différents partenaires. Il conviendra ensuite de discuter plus globalement du contrat de plan de long terme.

Les régions accompagnent les maîtres d'ouvrage. L'idée est de recueillir les besoins qui remontent du terrain. Nous sommes inquiets de constater que les crédits liés aux infrastructures de mobilité prévus dans le plan de relance sont affichés sur 2021-2022 : cette échéance paraît trop courte par rapport aux enjeux.

Certaines priorités sont apparues autour de la question des fonds propres, car les entreprises ont épuisé leurs possibilités d'endettement. Il convient donc de renforcer le haut de bilan des entreprises pour éviter les faillites.

Un sujet de digitalisation touche par ailleurs l'ensemble des entreprises et en particulier les commerçants. Des initiatives de type « cliquez et collectez » se développent, ce qui pose la question du très haut débit.

En matière de relocalisations d'entreprise, le sujet de la formation demeure essentiel. Si l'on souhaite réinstaller sur le territoire des activités considérées comme stratégiques, il convient d'investir en conséquence. Le programme Territoires d'industrie permettra en partie d'y parvenir, mais suffisamment de moyens devront être investis sur la formation pour que les entreprises accèdent aux compétences dont elles ont besoin. Les autres thématiques concernent l'énergie et les mobilités.

Mme Anne Terlez, vice-présidente de l'agglomération Seine-Eure et administratrice de l'Assemblée des Communautés de France (AdCF). - L'AdCF se réjouit du plan « France Relance ». Nous souhaitons y apporter six recommandations.

D'abord, envisager les intercommunalités comme des relais locaux de « France Relance ». En second lieu, s'appuyer sur les projets de territoires. En troisième lieu, favoriser une contractualisation globale et pluriannuelle plutôt qu'un foisonnement d'appels à projets. Quatrièmement, développer la régionalisation des outils de financement. Cinquièmement, clarifier le calendrier et la méthodologie. Enfin, prêter attention à l'ingénierie de projets pour les collectivités territoriales.

Concernant les intercommunalités, la majeure partie des orientations données par le plan de relance reposent sur les compétences que nous exerçons déjà. La loi NOTRe a consacré le couple région-intercommunalité. Sur les questions de mobilité ou de transition énergétique par exemple, l'échelon intercommunal s'avère très pertinent, car nous avons l'habitude d'exercer ces compétences. Nous plaidons donc pour la reconnaissance de l'échelon intercommunal.

En matière de développement économique, nous accompagnons les communes lorsqu'elles sont incluses dans le champ du programme « Action Coeur de Ville » et nous souhaitons une représentation des EPCI à tous les niveaux de « France Relance ».

Pour atteindre cet objectif de relancer l'économie française, la commande publique représente un puissant levier, notamment via le bloc communal. Je souligne par ailleurs la nécessité de sécuriser la partie européenne de « France Relance ».

La question de l'équité de traitement nous inquiète, car le lancement des projets nécessite de l'ingénierie. Même lorsque nos intercommunalités sont dotées de ressources humaines et techniques, elles peinent déjà à répondre aux appels à projets. Il ne faut donc pas sous-estimer l'importance du financement de l'ingénierie. Or il sera difficile de soutenir le rythme pour répondre à la territorialisation du plan de relance, en raison de la fatigue des agents, causée par la crise sanitaire.

Nous souhaitons favoriser une collaboration globale, pluriannuelle et fondée sur les projets de territoires. Il existe des contractualisations croisées qui se basent sur les projets menés par les EPCI dans plusieurs régions. À un foisonnement d'appels à projets, nous préférerions une contractualisation unique, en nous basant sur les projets capables d'émerger à l'échelle des EPCI. La plupart de ces EPCI sont dotés d'un projet de territoire. Les orientations annoncées correspondent globalement à celles proposées par le Gouvernement. Les régions et les départements apportent des financements croisés. Il convient de nous appuyer sur ces projets plutôt que de les distordre.

La régionalisation des outils de financement me semble importante, même si nos interlocuteurs demeurent les préfets départementaux. Il convient enfin de préciser le calendrier et la méthodologie. À l'heure actuelle, l'action de l'ANCT n'a pas encore débuté sur les territoires. Nous devons agir sans tarder.

M. Luc Bouard, maire de La Roche-sur-Yon, secrétaire de l'association Villes de France. - Villes de France se félicite de ce plan de relance. La gouvernance associant le préfet de région et le président de région nous semble intéressante, à condition d'y associer les autres strates, en particulier les villes moyennes. Celles-ci constituent la colonne vertébrale de la France.

Nous souhaitons éviter les écueils de ces dernières années, où les instances locales n'étaient pas suffisamment consultées avant de prendre des positions nationales. Pour ce faire, une place importante doit être accordée aux élus des villes moyennes et des agglomérations pour participer à la gestion du plan de relance.

Favoriser les projets engagés permettra de les voir aboutir et de continuer l'investissement local. Mais qu'en est-il des projets en phase de démarrage, qui seront structurants pour l'avenir de nos territoires ? Nous regrettons par ailleurs que la baisse des impôts de production porte essentiellement sur les finances locales et pas assez sur les finances nationales. Une fois de plus, la collecte locale d'impôt risque d'être mise à mal. Or l'investissement local représente la survie et le développement de nos entreprises sur nos territoires. Cette compensation devra être formalisée, en évitant à tout prix l'effet ciseaux d'augmentation des dépenses et de baisse des recettes. Il convient donc de préserver les capacités d'investissement de nos collectivités.

Le commerce de centre-ville doit être soutenu, sujet prioritaire en cette période de confinement. Nous ressentons une grande baisse de moral chez les commerçants. Des compensations financières devront leur être apportées, en y ajoutant des prêts à taux zéro dont les échéances pourront être reportées. La sortie devra être accompagnée par des campagnes de communication à l'échelle nationale.

En ces temps de crise sanitaire, les villes moyennes sont redécouvertes par les habitants de métropoles cherchant à se mettre « au vert » pour télétravailler. Cette tendance devra être accompagnée, en travaillant sur le développement et la rénovation de l'habitat et du patrimoine dans le cadre du plan de relance. Pour y parvenir, des moyens supplémentaires pourraient être accordés à l'Anah.

Le tissu industriel est généralement porté sur nos agglomérations et villes moyennes. Il s'agit d'un vecteur important de croissance à développer dans le cadre de la relance. Les intentions existent mais les moyens financiers ne suivent pas forcément.

En outre, les formations universitaires et supérieures sont très souvent dispensées dans nos villes moyennes, ce qui constitue un moyen de développement de nos territoires.

Une attention particulière devra également être accordée à l'écologie, en favorisant les mobilités douces et durables.

Dans nos villes médianes, l'accès aux soins pose souvent de gros problèmes. Dans ma ville de La Roche-sur-Yon par exemple, 8 000 habitants n'ont pas de médecin traitant. Le plan de relance devra traiter ce sujet, en donnant aux collectivités les moyens d'accompagner la relance médicale. La gouvernance des ARS devra également être revue, celle-ci demeurant très déconnectée de nos territoires. Il convient pour cela de faire participer les élus à la gouvernance, pour pallier le décalage entre la vision régionale et les réalités du terrain. Concernant les hôpitaux, les maires ou présidents d'agglomération occupent souvent la présidence du conseil de surveillance, avec de faibles marges de manoeuvre.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour votre contribution à ce débat sur le plan de relance, nous sentons que vos propositions viennent du terrain, ce qui est positif.

M. Xavier Giguet. - Je ne répondrai pas à l'ensemble des points évoqués, dans la mesure où certains dépassent le périmètre d'intervention de l'ANCT.

L'ANCT est particulièrement sensible à l'appui aux projets de territoires, qui doit servir de base aux démarches contractuelles à tous les niveaux. Des accords régionaux de relance seront signés d'ici la fin de l'année, la négociation devant aller de pair avec celle des CPER. Une déclinaison infra-régionale pourra donner lieu à des contrats départementaux. Dans certains cas, ceux-ci pourraient être signés au niveau de la maille infra-départementale. Il convient d'éviter d'appliquer un modèle type, mais de s'adapter aux réalités des terrains.

Un effort a été mené pendant plusieurs mois pour définir des projets de territoire au niveau départemental, en réfléchissant aux interactions entre les différents échelons. Dans certains territoires, l'intercommunalité sera privilégiée dans le cadre de l'élaboration des contrats de relance écologique. L'ANCT sera très présente sur ces contrats pour apporter son expérience en la matière, en lien avec le ministère de la transition écologique. Concernant la méthodologie, l'ANCT s'inscrit dans une logique d'accompagnement sur mesure.

M. Bruno Belin. - Je me demande si la création de l'ANCT n'aura pas pour seul effet de nous faire perdre du temps. Pour que la relance fonctionne, les projets doivent rapidement avancer sur les territoires. En ce début de mandature, les maires souhaitent lancer de nombreux projets, qu'il convient de faciliter plutôt que de ralentir par des formalités administratives. Un important travail pédagogique devra être mené, car je ne suis pas certain que beaucoup de maires connaissent l'ANCT.

Concernant les CPER, la loi prévoyait une clause de revoyure en 2018, qui n'a toujours pas eu lieu. Cette inertie pénalise les territoires.

Je conçois que l'année 2022 puisse être fixée comme échéance pour le très haut débit, mais il est insupportable d'attendre 2025 pour la fibre. Celle-ci demeure essentielle pour l'économie, l'éducation, la santé ou encore le tourisme. Le sujet devra être sérieusement accéléré. La fracture territoriale s'est transformée en rupture d'égalité : certains jeunes passent actuellement des concours en visioconférence, or l'accès aux cours diffère selon que l'on se situe dans une commune rurale ou dans une métropole équipée en fibre. Nous ne pouvons pas cautionner cela. La fibre doit devenir la priorité majeure de « France Relance ».

Concernant la lutte contre la désertification en matière de santé, des solutions existent et celles-ci devront être incluses dans le plan de relance.

Concernant l'aménagement mobile du territoire, je rappelle qu'une autorisation de pylône prend deux ans avant d'être délivrée. Un volet concernant la téléphonie mobile devra être ajouté dans le cadre du plan de relance pour rattraper le retard.

M. Éric Gold. - La récente mission d'information sur « l'illectronisme » et l'inclusion numérique a pointé que près de 15 millions de nos concitoyens n'ont pas accès aux démarches de base essentielles à leur quotidien, notamment du fait de la numérisation à outrance des services publics. Parmi les mesures du plan de relance figure un volet consacré à l'aménagement numérique, notamment l'accélération de la couverture très haut débit. Je souhaite insister sur l'importance de la médiation numérique pour atteindre l'équité en termes d'accès au numérique sur l'ensemble du territoire.

La question du déficit d'ingénierie et du calendrier des projets mérite d'être posée. Pouvez-vous m'assurer que les aides prévues dans le plan de relance seront accessibles dans l'ensemble des territoires ? Comment une partie de ces aides pourrait-elle être mobilisée pour passer du 100 % numérique au 100 % accessible ? Ces questions concernent l'ensemble des services publics, mais également la médecine, l'enseignement et le « cliquez et collectez » en cette période de crise sanitaire.

Mme Nadine Bellurot. - Pourriez-vous nous faire un point sur l'état d'avancement de l'agenda rural ?

Par ailleurs, le système de fonctionnement par appel à projets est très encadré, mais comment faire lorsqu'une commune n'entre pas dans ce programme et a besoin d'être aidée sur un projet d'intérêt général ? L'ANCT n'est pas encore connue de tous, mais a vocation à être à la portée de l'ensemble de nos collectivités territoriales. En outre, l'ingénierie demeure très insuffisante pour bon nombre de collectivités de petite taille.

M. Laurent Rojey. - Nous ressentons une forte impatience dans les territoires, renforcée par la crise sanitaire et le confinement. La situation devient de plus en plus insupportable pour les personnes n'ayant pas accès à une connexion internet de qualité.

Concernant les crédits de la relance, l'objectif est d'atteindre le 100 % très haut débit pour 2022 avec 80 % de fibre optique pour se diriger vers une généralisation de la fibre optique à horizon 2025. L'échéance peut paraître lointaine, mais ce chantier d'infrastructures majeures est comparable au déploiement des grands réseaux du siècle passé, comme le téléphone. Ce nouvel objectif de généralisation de la fibre optique est tout à fait remarquable.

Dans l'enveloppe initiale de 3,3 milliards d'euros prévue dans le plan, le seul objectif fixé était les 80 % de fibre optique en 2022, laissant les territoires ruraux se reposer sur d'autres technologies. Une accélération de la dynamique du plan a permis d'obtenir des engagements de la part d'acteurs privés, ce qui a diminué les besoins en financement publics initialement prévus. 280 millions d'euros de financements publics ont ainsi été dégagés. De plus, 30 millions d'euros ont déjà été votés par le Parlement en loi de finances et le plan de relance apporte 240 millions d'euros supplémentaires. L'ensemble de cette enveloppe nous permettra de financer pleinement cet objectif de généralisation de la fibre optique, avec deux volets :

- d'abord, la poursuite du financement des réseaux d'initiative publique (RIP). À l'heure actuelle, 21 territoires ne disposent pas encore de projet complètement financé pour généraliser la fibre. Le dispositif s'adressera en priorité à ces territoires. Ailleurs, nous avons déjà des projets qui s'inscrivent dans cette perspective ;

- ensuite, un dispositif fondé sur les raccordements complexes. Les locaux les plus isolés sont plus coûteux et difficiles d'accès. Certains de ces locaux hébergent des entreprises ou des particuliers avec des besoins pour lesquels la fibre optique s'avère nécessaire. Une réponse leur sera apportée.

La dynamique de déploiement demeure extrêmement forte. En 2019, 19 000 lignes de fibre optique ont été déployées chaque jour ouvré en France, pays européen qui déploie le plus de fibre optique. Pour 2020, les déploiements ont été affectés par la crise sanitaire, avec de nombreuses inquiétudes au début du confinement. Nous avons finalement constaté que malgré les ralentissements, la dynamique n'a pas été arrêtée. Selon l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), le déploiement s'élève à 2,5 millions de lignes de fibre optique en un semestre. Ce chiffre est en augmentation par rapport au même semestre en 2019. L'accélération demeure un peu moins forte que les années précédentes, mais la mobilisation de l'ensemble des acteurs a permis de maintenir les rythmes de déploiement.

Nous venons de franchir les 50 % de locaux du pays raccordables à la fibre optique. Il reste donc beaucoup de chemin à parcourir avant d'atteindre la généralisation évoquée. Dans les zones privées, ces déploiements sont encore majoritairement portés par les opérateurs, qui ont pris des engagements contraignants. Il appartient désormais au régulateur de faire respecter ces engagements. L'Arcep examinera la situation fin 2020 en zones AMII.

Les zones d'initiative publique connaissent une accélération significative des déploiements, avec malgré tout une hétérogénéité significative entre les territoires. Cela n'est pas forcément un problème, car il faut du temps pour démarrer ces projets. La mission France Très Haut Débit restera vigilante pour éviter des décalages trop importants entre les territoires.

La problématique des réseaux mobiles demeure un sujet majeur. Le « New deal mobile » a été conclu début 2018, accord dans lequel les opérateurs se sont engagés à réaliser un certain nombre de déploiements, en particulier dans les territoires ruraux.

En contrepartie, l'État a renoncé au produit des licences qui devait être perçu au titre de l'attribution des fréquences.

L'accord comporte également un volet au sujet de la généralisation de la 4G sur les pylônes existants à fin 2020, qui a déjà commencé à porter ses fruits.

Un autre volet que nous suivons de près concerne le « dispositif de couverture ciblée », pour lequel les opérateurs se sont chacun engagés à déployer 5 000 pylônes dans des zones choisies localement par des équipes projet. Ainsi, 600 à 800 pylônes seront mis en service chaque année. Plus de 300 pylônes ont déjà été mis en service et plus de 2 000 ont été identifiés dans le cadre de ce dispositif.

Le premier arrêté du « New deal mobile » concernait 485 sites mobiles en juillet 2018. Il faut ensuite obtenir les autorisations, trouver un terrain, monter le pylône, poser le raccordement électrique, etc. Il existe aussi des problématiques d'acceptation par les populations. Nous cherchons à accélérer la cadence, mais cela reste un challenge.

Concernant les questions d'inclusion numérique, une action très importante est menée dans le cadre du plan de relance, avec trois axes majeurs : la mise en place de 4 000 conseillers numérique sur les territoires ; le soutien aux réseaux locaux de la médiation numérique ; l'appui aux « aidants », les personnes qui accompagnent les Français au quotidien dans la réalisation de leurs démarches numériques.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je témoigne de la disponibilité et de l'implication du directeur général M. Le Breton, qui s'est déplacé dans la Manche en septembre dernier.

J'ai cru comprendre que vous n'avez pas de chiffres à nous faire partager sur les engagements contraignants pris par les opérateurs dans les zones AMII. Il serait souhaitable que vous nous communiquiez des éléments statistiques chiffrés quand vous le pourrez.

Dans le cadre du déploiement des 240 millions d'euros qui seront affectés dans le cadre du plan de relance, une modification du cahier des charges sera-t-elle opérée ? Les acteurs impliqués dans les réseaux d'initiative privée s'inquiètent d'une possible modification des assiettes des projets éligibles et d'une restriction des dépenses éligibles, ce qui conduirait à abaisser le cofinancement de la part de l'État.

Le mode Stoc (sous-traitance opérateurs commerciaux) a par ailleurs fait parler de lui. Ce mode désigne la pratique des opérateurs commerciaux, qui sous-traitent le raccordement final à divers opérateurs. Il est pointé comme étant responsable d'un certain nombre de malfaçons. Existe-t-il des évolutions dans ce domaine ? Est-il possible d'apporter un encadrement réglementaire pour limiter les dérives ?

Cédric O avait évoqué l'accompagnement de 4 000 médiateurs. Or l'inclusion numérique ne se résume pas à porter pendant deux ans des animateurs payés au Smic.

M. Guillaume Chevrollier. - Le plan de relance présente des aspects intéressants, mais je m'interroge sur sa mise en oeuvre effective dans les territoires. Quelle est l'articulation entre l'ANCT et les sous-préfets chargés de la relance ? Prenons garde à la complexité organisée qui pourrait nuire à l'efficacité du plan de relance. Les effets d'annonce devront se traduire par de l'ingénierie et une bonne tuyauterie budgétaire. Des primes à l'embauche ont par exemple été annoncées pour recruter des apprentis dans les collectivités locales, ce qui ne se traduit pas sur le terrain.

Les collectivités locales subissent une importante baisse de leurs recettes de fonctionnement et ont engagé d'importantes dépenses supplémentaires pour faire face à la crise sanitaire. Nous devons donc rester vigilants sur le budget de fonctionnement de celles-ci.

Mme Angèle Préville. - J'émets certaines réserves sur les appels à projets. Certaines inégalités sont pointées par l'Europe, notamment sur les inégalités de développement entre les territoires en termes d'accès aux subventions.

La dynamisation des territoires ne pourra se faire sans les petits commerces. Or nous sommes très inquiets de la situation des commerces de centre-ville, en particulier dans la ruralité. Le déploiement des antennes universitaires doit également se poursuivre, pour que les territoires restent vivants.

Dans les faits, tous les délégués territoriaux adjoints ont-ils été désignés ? Toutes les collectivités ont-elles été mises au courant ?

M. Laurent Rojey. - Des modifications devront être apportées au cahier des charges, pour mieux accompagner les projets de réseau d'initiative publique (RIP). Les ministres organiseront la semaine prochaine un comité de pilotage avec les collectivités territoriales et les opérateurs.

L'Arcep est chargée de collecter les chiffres de déploiement en zones AMII et de suivre les engagements pris par les opérateurs. Au deuxième trimestre, 735 000 lignes y ont été déployées, pour 1,26 million au niveau national.

Le mode Stoc est susceptible d'impacter à la fois les déploiements et la qualité des infrastructures. Nous suivons cela étroitement avec le régulateur. L'enjeu est à la fois d'avancer rapidement et de construire des réseaux qui résisteront à l'épreuve du temps. Cela pose une série de questions opérationnelles que nous suivons avec l'ensemble des parties prenantes.

M. Xavier Giguet. - Concernant l'agenda rural, 181 mesures avaient été arbitrées par le Gouvernement à la suite de la remise d'un rapport. Ces mesures sont très diverses et, dans l'ensemble, un tiers des mesures sont déjà mises en oeuvre, un tiers sont en bonne voie de l'être et un tiers demandent davantage de travail sur le temps long. Nous travaillons à la réunion prochaine d'un comité interministériel ruralité qui permettra de faire le point sur ces mesures et donner une nouvelle impulsion.

Le préfet reste le délégué territorial de l'agence, en tant que patron de l'administration de l'État dans son département. C'est donc lui qui est responsable de la coordination entre les différents services placés sous sa responsabilité. Le fonctionnement de l'administration préfectorale ne me laisse que peu de doutes sur l'existence de potentiels doublons. De plus, les sous-préfets à la relance arriveront prochainement dans les territoires.

La désignation des délégués territoriaux adjoints de l'agence présuppose que les titulaires des fonctions connaissent le territoire. Environ la moitié de ces délégués territoriaux adjoints ont déjà été nommés. Dans les deux tiers des cas, les fonctions sont exercées par les directeurs départementaux des territoires (DDT). La manière dont les préfets communiquent auprès des acteurs locaux dépend de chaque préfet. Généralement, la communication a lieu lors des comités locaux de cohésion territoriale.

M. Hervé Gillé. - L'impossibilité d'accès au droit numérique concerne 13 millions de personnes, soit environ 20 % de la population française. Dans certains territoires, le décrochage numérique est estimé à 30 % de la population. La question des données personnelles entre également en jeu. Nous ne pouvons penser que toutes les personnes seront en situation d'autonomie pour gérer leur dossier numérique. Un travail d'accompagnement devra donc être mené et celui-ci nécessite une qualification professionnelle pour ces nouveaux métiers. Une montée en puissance devra être opérée sur ces sujets. Des moyens sont accordés, mais nous ne voyons pas comment ils seront mis en oeuvre.

Nous avons besoin à la fois d'effets de levier immédiats et d'une vision stratégique partagée, notamment pour nous adapter aux enjeux climatiques et économiques.

Nous ne voyons pas bien comment cette articulation pourra se faire. Ce sujet de fond renvoie à la question de la méthodologie de travail. Les attentes des territoires mettent en évidence la nécessité d'adopter un « mode projet » partagé pour valider les projets en attente. Actuellement, les acteurs n'appréhendent pas de quelle manière ils sont impliqués pour mettre en place ce plan de relance.

M. Daniel Gueret. - Je suis ces questions de conduite de projet depuis une vingtaine d'années dans mon département. Le temps politique ne correspond généralement pas au temps des projets, ce qui pose problème. En région Centre, je constate que des élus de grandes villes ne savent pas comment fonctionne « l'usine à gaz » du CPER. Lors des réunions, le préfet de région finit par dire que ce qu'ils espéraient n'a aucune chance de se réaliser. Les élus comptent alors sur le plan de relance. Mais la verticalité de la gouvernance décidée par le Gouvernement pose de grandes difficultés. En Eure-et-Loir, une concertation avec les élus locaux sur le plan de relance prend la forme d'une conférence téléphonique rassemblant 280 élus. Nous sommes ainsi restés 4 heures 15 en réunion, sans toutefois pouvoir recueillir la totalité des questions des maires.

Il n'est pas facile d'envisager la relance lorsque l'on met le pays à l'arrêt tous les quinze jours. Dans le cadre des politiques conduites par les régions et départements sur les coeurs de ville, beaucoup de temps aurait pu être gagné en s'appuyant sur les équipes existantes des collectivités, qui connaissent le terrain. Il suffisait d'établir un système de conventionnement avec toutes les collectivités qui gèrent déjà les projets.

À l'heure actuelle, les élus des petites communes pensent qu'ils pourront s'insérer dans le plan de relance. Ils seront pourtant largement déçus lorsque les préfets leur apprendront que leurs projets ne sont pas éligibles. Nous risquons donc d'aboutir à une situation contraire à l'effet recherché. Il me paraît donc essentiel de travailler sur les questions de verticalité.

Concernant le numérique, des gouffres énormes existent sur le territoire, nous l'avons vu avec l'enseignement à distance pendant le confinement. Je ne comprends pas pourquoi l'État, qui s'est déchargé sur les collectivités d'un certain nombre de missions, ne parvient pas à gagner du temps en s'adressant à des spécialistes déjà en poste.

M. Jean Bacci. - Nous souhaitions que tous les noeuds de raccordement abonnés (NRA) de nos villages soient fibrés à horizon 2020. Le travail a été effectué sur les NRA. En revanche, l'opérateur Orange met un temps infini à les activer, ce qui empêche la fibre de fonctionner. Avez-vous un moyen de faire avancer les choses ?

L'État a mis en place le calcul de la richesse des territoires. Celle-ci se basait principalement sur des considérations fiscales et sur la comparaison des taux communaux avec la moyenne nationale. En raison de bases fiscales élevées, des territoires comme le nôtre ont reçu des taux relativement bas. Ceci a provoqué une disparation partielle voire totale de la dotation globale de fonctionnement (DGF), en plus d'une obligation de cotiser au fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). Par conséquent, des communes se retrouvent avec des impôts locaux qui ne servent plus à investir dans la commune, mais à rendre de l'argent à l'État. Ces communes se retrouvent alors sans autofinancement et ne pourront pas profiter des mesures que vous mettez en place. Des dispositions sont-elles prévues pour permettre à ces communes de continuer à se développer ?

M. Laurent Rojey. - Je partage ce qui a été dit sur l'inclusion numérique. Il existe un sujet de montée en compétences et de formation des personnes. À ce titre, nous cherchons à former tous les publics qui accompagnent les Français. Nous leur proposons des outils soit en leur fournissant des dispositifs facilement activables, soit avec des solutions numériques. À partir de 2021, nous allons par exemple généraliser « Aidants Connect », dispositif qui vise à remplacer le petit carnet dans lequel les aidants notent les mots de passe des personnes dont ils s'occupent. Avec le nouveau système, la personne aidée mandate un aidant sur un domaine précis, ce qui produira un système beaucoup plus simple et sécurisé.

Sur la question des déploiements des infrastructures, les opérations de montée en débit représentent une composante importante du plan FTHD. L'idée est de rapprocher l'abonné de la fibre tout en conservant le dernier segment sur le réseau téléphonique. Nous avons soutenu un grand nombre d'opérations de ce type dans le cadre du plan. Celles-ci sont bien encadrées par l'Arcep, mais vous pouvez nous faire remonter les difficultés le cas échéant.

M. Xavier Giguet. - Nous connaissons les besoins des collectivités et la bonne volonté qu'elles manifestent. Nous nous inscrivons dans une logique d'accompagnement et de co-construction sans perdre de vue les difficultés, notamment le manque de notoriété de l'ANCT.

Nous allons également tenter de nous appuyer au maximum sur les savoir-faire existant dans les territoires pour mener les projets. La mise en oeuvre d'un plan de relance de 100 milliards d'euros demande en tout cas un certain temps de préparation pour que la diffusion s'opère de la meilleure des manières.

Dans le cadre des échanges avec les différents acteurs, l'élu pourra juger s'il a besoin ou non d'être accompagné pour son projet. Les modalités de cet accompagnement seront évaluées par l'ANCT au cas par cas.

Mme Marta de Cidrac. - Le Gouvernement a accordé une rallonge de 240 millions d'euros au plan FTHD pour inciter les collectivités à lancer des nouveaux RIP. Outre cet effort budgétaire, 250 millions d'euros sont consacrés à l'inclusion numérique et à la lutte contre « l'illectronisme ». La répartition de ces montants passera-t-elle forcément par les maisons France Services ? Quels projets pourront être pris en charge par ces 250 millions d'euros ? Qu'en est-il des échéances ?

M. Laurent Rojey. - Nous travaillons encore aux modalités de mise en oeuvre du dispositif. L'esprit d'ensemble consiste à s'adapter aux spécificités locales. France Services regroupe des acteurs importants, nous veillerons à la bonne articulation du dispositif. Ce ne sera cependant pas le seul canal de mise en oeuvre de cette action, qui s'appuiera également sur les acteurs de l'inclusion numérique et les collectivités territoriales.

M. Jean-Jacques Lasserre. - Les réunions départementales devraient être l'endroit adéquat pour évoquer ces questions de fracture numérique. Nous devons nous mettre d'accord sur la méthode.

Une série de réflexions sont conduites autour des schémas départementaux. Nos publics ne sont pas suffisamment informés. Le sujet devrait être travaillé sur le plan territorial. Nous sommes prêts à réagir. La question des usages me paraît encore plus importante que celle des réseaux, qui prennent du temps à être mis en place.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci aux associations représentant nos collectivités et aux représentants de l'ANCT pour votre participation à ce débat sur la mise en oeuvre du plan de relance dans les territoires. Nous l'avons compris, pour que ce plan de relance réussisse, un soutien à nos acteurs locaux est nécessaire. La relance de l'économie et l'aménagement de nos territoires en dépendent.

Désignations de rapporteurs

La commission désigne M. Didier Mandelli rapporteur sur la proposition de loi n° 723 (2019-2020) relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français, présentée par M. Michel Vaspart et plusieurs de ses collègues.

La commission désigne MM. Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte rapporteurs sur la proposition de loi n° 27 (2020-2021) visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, présentée par MM. Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier, Jean-Michel Houllegatte et Hervé Maurey.

La réunion est close à 11 h 40.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition, en commun avec la commission des affaires économiques, de M. Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie

M. Jean-François Longeot, président. - Nous poursuivons notre cycle d'auditions consacrées au projet de rachat de Suez par Veolia en accueillant Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie.

Le 31 juillet dernier, Engie annonçait le lancement d'une revue stratégique de ses activités, incluant sa participation dans le groupe Suez. Un mois plus tard, Veolia proposait à Engie une offre pour l'acquisition de 29,9 % de ses parts dans Suez, première étape avant le rachat du reste du capital.

Cette annonce a immédiatement été qualifiée d'hostile par les dirigeants de Suez, qui ont mis en garde contre les dangers que présente à leurs yeux un tel rachat : démantèlement du groupe, destruction d'emplois et risque industriel.

Philippe Varin, président du conseil d'administration et Bertrand Camus, directeur général de Suez, ont réaffirmé hier devant nous leur opposition farouche à ce projet.

Après avoir refusé une première offre de Veolia, en raison d'un prix de rachat jugé trop bas, le conseil d'administration d'Engie a approuvé, le 5 octobre dernier, une deuxième offre pour un montant de 3,4 milliards d'euros.

Cette décision a été prise contre l'avis de l'État, pourtant actionnaire principal d'Engie. Celui-ci s'opposait à la cession en l'absence d'accord entre les deux groupes.

Bruno Le Maire avait d'ailleurs appelé à plusieurs reprises à ce qu'un accord soit trouvé, sans succès.

Nombreux sont ceux qui y ont vu un camouflet pour l'État. D'autres l'ont, au contraire, soupçonné d'avoir dénoncé publiquement cette opération tout en la soutenant dans les coulisses, sans quoi elle n'aurait pu aboutir.

Il est vrai que les conditions de ce rachat peuvent poser un certain nombre de questions.

Pourquoi ne pas avoir pris davantage de temps avant d'examiner l'offre de Veolia afin de permettre à des propositions alternatives solides d'être présentées ?

Pourquoi ne pas avoir attendu un accord amiable entre les groupes avant de procéder à cette cession ?

Quel rôle l'État a-t-il joué au cours de ce processus ?

Pourquoi avoir outrepassé le refus de l'État que cette cession intervienne avant qu'un accord soit trouvé?

Voilà une partie des questions que nous nous posons, monsieur le président, au regard des conséquences importantes qu'aurait le rachat de Suez par Veolia sur la structuration du marché de l'eau et du marché des déchets en France.

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le président, comme l'a justement indiqué le président Jean-François Longeot, la cession par Engie de ses participations dans Suez soulève de très nombreuses interrogations.

La première série d'interrogations renvoie aux conditions de cession des parts de Suez par Engie.

Entre l'annonce de la stratégie de recentrage du groupe en juillet de cette année, la présentation des offres successives de Veolia en août puis en septembre et la cession effective des participations en octobre, quelques semaines seulement se sont écoulées.

Ces délais très contraints étaient clairement insuffisants pour permettre un examen complet de l'impact de cette session, en particulier au regard du droit de la concurrence, et peut-être surtout au regard d'autres offres, le fonds d'investissement Ardian, par exemple, ayant renoncé à déposer une contre-offre. Vous pourrez peut-être aborder ce point.

Si nous nous interrogeons, c'est parce que nous souhaitons savoir quel est le devenir du capital détenu par Engie dans Suez, la question se posant depuis l'expiration du pacte d'actionnaires c'est-à-dire depuis 2013. Pourquoi avoir bouleversé en quatre mois une situation inchangée depuis sept ans ?

Pourquoi avoir agi dans l'urgence - pour ne pas dire dans une forme de précipitation -, vous exposant au risque que tout ceci soit interprété comme résultant d'un processus engagé et bouclé auparavant « en chambre » ?

Ainsi, on entend ainsi parler d'un « quasi-accord » entre M. Frérot et vous-même dès le mois de juin. Vous nous livrerez votre version.

Pourquoi cette cession n'a-t-elle pas fait l'objet d'une procédure transparente ?

Pourquoi ne pas avoir attendu, après le départ d'Isabelle Kocher, que la nouvelle directrice générale choisie par votre conseil d'administration, Catherine McGregor, qui prendra ses fonctions exécutives le 1er janvier prochain, ne prenne le temps de réaffirmer elle-même une stratégie opérationnelle pour Engie et d'engager cette cession si celle-ci entrait dans sa stratégie ?

Mme Kocher était venue présenter la stratégie d'Engie devant la commission des affaires économiques du Sénat le 6 juin 2018 - on pourrait penser il y a un siècle. Nous avions été plutôt convaincus par sa vision et satisfaits de voir ensuite que cette stratégie donnait des résultats.

En quoi le recentrage de la stratégie décidé après son départ appelait-il la cession des parts de Suez dans l'urgence ?

La deuxième série de questions concerne les relations entre Engie et l'État.

Avec un quart du capital et un tiers des droits de vote, l'État demeure le premier actionnaire d'Engie.

L'État avait légitimement fixé plusieurs conditions à la cession des participations dans Suez : son caractère amical, la préservation de l'emploi et le maintien sous contrôle français de cette société.

Seule cette dernière condition semblerait remplie par l'offre de Veolia.

Pourquoi est-on passé outre la demande initiale de l'État ? Comment est-il possible que l'État, votre premier actionnaire, ait pu accepter ? Avez-vous échangé avec l'État sur les conditions de la vente, avant la décision de votre conseil d'administration ?

Par ailleurs, cette cession a été adoptée d'extrême justesse au conseil d'administration par sept voix pour, quatre contre et deux abstentions.

Les administrateurs de l'État ont été défaits à cette occasion.

Pour autant, la presse a évoqué l'hypothèse selon laquelle l'État serait intervenu en faveur de ce vote auprès d'autres administrateurs.

Comment le vote s'est-il déroulé de votre point de vue ? Nous sommes, monsieur le président, un peu perdus !

La troisième interrogation a trait à la stratégie de recentrage poursuivie par Engie. Annoncée l'été dernier, cette stratégie vise à simplifier le groupe et à clarifier ses activités pour lui permettre d'investir davantage dans les énergies renouvelables et les infrastructures.

Pour ce faire, Engie a engagé une revue stratégique de ses « solutions clients », qui représentent les deux tiers de son chiffre d'affaires mais aussi de ses salariés.

Des activités non stratégiques - nous pourrions dire, au regard de l'actualité, « non essentielles » - pourraient in fine être « mises à distance », Engie ayant annoncé un programme de rotation d'actifs de 8 milliards d'euros d'ici 2022.

L'ampleur de ce chantier est telle que la presse s'inquiète de risques de « scission » du groupe. Certains d'entre nous, j'en suis sûr, évoqueront sûrement un « démantèlement ».

Dans le même temps, Engie a engagé une réflexion pour rééquilibrer ses activités de réseaux en France et à l'international et faire évoluer ses participations dans Gaz réseau distribution France (GrDF) - le distributeur de gaz - et Gaz de réseau de transport (GRT Gaz) - le transporteur.

Comment répondre aux inquiétudes suscitées par l'annonce de cette stratégie de recentrage et garantir que les 3,4 milliards d'euros dégagés par la cession de Suez soient effectivement alloués au financement des énergies renouvelables et des infrastructures ?

Enfin, cette cession n'est-elle pas le prélude d'un profond remaniement des activités d'énergie sur le marché du gaz si les participations de GrDF et GRT Gaz devaient à leur tour évoluer ?

Avant de vous laisser répondre, je voudrais dire que nous assistons peut-être aujourd'hui au contrecoup de la loi Pacte, qui avait été d'ailleurs - je le rappelle - rejetée par le Sénat. Le Gouvernement avait en effet souhaité dans ce texte abaisser la part du capital d'Engie devant être conservée par l'État.

Sur ce dossier, je m'interroge sur les changements de pied de l'État actionnaire, de l'État stratège, dont nous avons pourtant tant besoin, comme l'a souligné le Haut-Commissaire au plan, ce matin même, pour accélérer la reprise économique et réussir la transition énergétique.

M. Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie. - Voilà beaucoup de questions. Je vais essayer de vous apporter quelques éléments de réponse. Un mot de présentation. J'ai derrière moi une longue carrière d'industriel, essentiellement dans la chimie. J'ai été durant quinze ans dirigeant de deux groupes de chimie successifs, Rhodia puis Solvay, le second ayant racheté le premier. J'ai décidé, à soixante ans, d'exercer des fonctions non exécutives, c'est-à-dire des activités de conseil d'administration. Je suis aujourd'hui administrateur d'AXA, d'Airbus et, depuis deux ans, président du conseil d'administration d'Engie.

Deux précisions préalables, la première touchant à l'histoire entre Engie et Suez, et la seconde à la stratégie d'Engie.

Lorsque Gaz de France (GDF) et Suez, qui ne faisaient à l'époque pas partie du même groupe, se sont rapprochés, il y a maintenant douze ou treize ans, il a été décidé - je crois même que c'était une initiative de l'État, et peut-être même du Président de la République de l'époque - que les activités « environnement » seraient confiées à une société autonome dont le capital serait mis en bourse.

Engie - GDF Suez à l'époque - a conservé dans un premier temps une participation dans le groupe Suez dans le cadre d'un pacte d'actionnaires, qui est arrivé à échéance en 2013.

Depuis 2013, Suez constitue une simple participation financière pour Engie. Nous détenions 32 % du capital. Nous avions et avons toujours deux administrateurs siégeant au conseil d'administration de Suez mais il n'existe aucun lien opérationnel entre les deux sociétés. Nous réalisons une dizaine de millions d'euros d'activités sur des projets communs ce qui, pour des groupes qui génèrent 60 milliards d'euros de chiffre d'affaires s'agissant d'Engie ou une vingtaine de milliards s'agissant de Suez, représente une « tête d'épingle ».

Il existe quelques points de contacts entre les métiers de ces deux sociétés. Peut-être, dans certains des territoires que vous représentez, sommes-nous parfois ensemble. Pour l'essentiel, nous travaillons cependant de manière totalement séparée.

Depuis sept ans, avec la fin de ce pacte d'actionnaires, la question est effectivement régulièrement posée à Engie de savoir ce que le groupe va faire de sa participation dans Suez.

Lorsque je suis arrivé, ma première réaction d'industriel, en tant que président du conseil d'administration d'Engie, a été de considérer que détenir une participation de 30 %, c'était soit trop soit pas assez.

On constate en effet que nous n'avons pas d'activités communes, ni aucune raison de détenir une participation dans ce groupe industriel. Le temps des « noyaux durs » est loin. D'autres utilisations de ces capitaux sont possibles.

A l'inverse, nous aurions pu imaginer un rapprochement et une intégration des deux groupes. Beaucoup de débats ont eu lieu au sein de la direction et du conseil d'administration d'Engie sur ces sujets. Nous avons annoncé, avec Isabelle Kocher, en décembre 2018, que nous nous satisfaisions de notre position d'actionnaire à 32 % et que nous ne souhaitions pas, à court terme, la faire évoluer. Pourquoi ? Nous entrions dans la phase dans laquelle le conseil d'administration de Suez devait choisir un dirigeant - Bertrand Camus, que vous avez auditionné hier - puis, quelques mois plus tard, un président - Philippe Varin, que vous avez également entendu. Il nous paraissait important que ces choix s'effectuent dans un contexte de relative stabilité.

La stratégie d'Engie a fait l'objet de beaucoup de travaux de la part du conseil d'administration depuis environ un an. Je voudrais à ce propos revenir sur l'un de vos commentaires, qui me paraît quelque peu méconnaître la vie des affaires et la gouvernance : l'organe qui décide de la stratégie du groupe est le conseil d'administration. Le directeur général est chargé de mettre en oeuvre cette stratégie.

Le conseil d'administration en juillet dernier se sentait parfaitement légitime pour approuver de nouvelles orientations stratégiques pour Engie, qui ne constituent d'ailleurs pas un virage à 180 degrés par rapport à la stratégie que nous poursuivions jusqu'alors. Elles traduisent notre souci de simplifier le groupe et de le concentrer sur des métiers dans lesquels nous avons la capacité de nous positionner en tant que leader mondial.

Onze millions de foyers français reçoivent une facture assortie du sigle d'Engie mais nous sommes un groupe mondial dont le chiffre d'affaires s'élève à 60 milliards d'euros et le nombre de salariés à 170 000. Nous exerçons un vaste ensemble de métiers, à commencer par les infrastructures gazières, le transport et la distribution de gaz, essentiellement en France mais aussi un peu à l'étranger. Nous sommes aussi le premier générateur privé d'électricité, si l'on exclut de ce classement les acteurs historiques que sont EDF, Enel ou Iberdrola, notre capacité installée de production étant de 90 gigawatts. Nous produisons de l'électricité essentiellement au Benelux - en particulier en Belgique où nous disposons d'un parc de centrales nucléaires - et en Amérique latine, mais très peu en France.

Notre troisième métier concerne les énergies renouvelables, et le quatrième regroupe à la fois les activités d'infrastructures urbaines - réseaux de chaleur et réseaux de froid - et les activités de services.

Face à cet ensemble un peu complexe, le conseil d'administration a annoncé le 30 juillet dernier quelques simplifications et sa volonté d'accélérer nos développements dans les énergies renouvelables. En effet, ce marché décolle dans beaucoup de parties du monde. Nous sommes un très grand acteur au plan mondial, au niveau des plus importants que sont Enel, Iberdrola ou EDF, et nous avons la volonté de continuer à croître dans ces métiers. Pour cela, nous avons besoin d'y affecter des moyens financiers supplémentaires.

L'autre métier dans lequel nous avons choisi de croître, ce sont les infrastructures gazières à l'international mais aussi les infrastructures urbaines. Nous avons le sentiment que l'accompagnement des collectivités, en France ou dans les autres pays où nous opérons, autour de projets de réseaux de chaleur, de réseaux de froid, de réseaux de charge de véhicules électriques, de smart cities dans un certain nombre de cas, représente un potentiel très important pour contribuer à la transition énergétique. Le groupe souhaitait, là aussi, disposer des moyens nécessaires pour accompagner ces efforts.

En revanche, nous avons décidé de classer nos activités de services, qui représentent à peu près 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires, en deux catégories, celles véritablement liées aux problématiques énergétiques - qui ont vocation à rester dans le groupe et représentent le tiers de ce chiffre d'affaires - et celles qui se situent plus loin de la problématique énergétique : installations électriques, installations de climatisation, facility management notamment.

Nous avons donc, sur ce point, engagé une revue stratégique qui est en cours pour définir ce que peut être l'avenir de cet ensemble de métiers.

Nous avons annoncé, ce même 30 juillet, que nous nous interrogions sur nos participations financières dans quelques sociétés. Suez en faisait partie. Il s'agit de la plus importante de nos participations mais ce n'est pas la seule. À la question de savoir ce qui pouvait advenir de notre participation dans Suez, j'ai répondu que tout était ouvert et que nous regarderions les offres qui pourraient être faites.

Voilà l'histoire qui a conduit à cette communication, à la fin du mois de juillet.

Je précise, s'agissant de Suez - ce que ne vous ont peut-être pas dit hier Philippe Varin et Bertrand Camus - que, lorsque j'ai rencontré Bertrand Camus en mai 2019, après sa nomination en tant que directeur général de Suez avec le soutien d'Engie, je lui ai dit qu'il dirigeait une société industrielle où Engie, son actionnaire, n'allait sans doute pas rester dans la situation où il se trouvait.

Je lui ai même dit très explicitement qu'avant la fin de son premier mandat en 2022, nous aurions décidé, soit de monter au capital et d'intégrer Suez dans Engie, soit d'en sortir, et qu'il fallait qu'il s'y prépare. Si, dans la première hypothèse, la préparation ne dépendait sans doute pas de lui, dans la seconde, je lui ai fait valoir qu'il fallait qu'il soit prêt à imaginer un mécanisme permettant à Engie de sortir de cette participation dans les meilleures conditions possible.

Lorsque j'ai rencontré Philippe Varin, en janvier dernier, alors candidat à la présidence du conseil d'administration de Suez, je lui ai tenu à peu près les mêmes propos. Je lui ai dit qu'à un moment ou à un autre durant son mandat, la question de l'avenir de la participation d'Engie dans Suez allait se poser et qu'il nous faudrait un interlocuteur pour pouvoir en discuter. Depuis que Philippe Varin a été désigné président du conseil d'administration au mois de mai dernier, nous échangeons une fois par mois. Cette question est venue sur la table lors de toutes nos réunions. Je l'ai appelé, une semaine avant le 30 juillet, pour lui indiquer que le conseil d'administration d'Engie travaillait sur de nouvelles orientations stratégiques traduisant notre volonté de sortir du capital de Suez et qu'il fallait qu'il s'y prépare.

Les orientations stratégiques que nous avons présentées, le 30 juillet, ont été adoptées à l'unanimité du conseil d'administration. Bruno Le Maire a exprimé à plusieurs reprises, au cours du mois de septembre, son soutien à ces orientations, de même que les trois représentants des salariés et celui des salariés actionnaires.

J'ai reçu un appel d'Antoine Frérot dans les premiers jours du mois d'août. Il m'a indiqué qu'il avait entendu notre communication, qu'il était intéressé et qu'il pourrait avoir des idées sur la manière de nous aider à sortir de cette participation. Je lui ai dit de m'en parler dès qu'il aurait un projet. Je n'ai pas eu de contact avec lui en juin ni en août. En revanche, le dimanche 30 août, il m'a adressé une demande quelque peu pressante me faisant part de son souhait de me rencontrer. Lorsque quelqu'un vous demande un rendez-vous un dimanche, c'est généralement qu'il a envie de parler de quelque chose qui se traite plus facilement quand les bourses sont fermées que lorsqu'elles sont ouvertes. Cela signifiait qu'il avait sans doute préparé quelque chose d'important mais dont je n'avais pas connaissance avant que cette réunion ait eu lieu, près d'ici, le dimanche 30 août au matin.

J'ai été un peu surpris de la proposition qui était faite pour deux raisons. En premier lieu, plutôt que de racheter notre participation de 32 %, l'idée d'Antoine Frérot était de n'en racheter que 29,9 %. Il existe une nuance importante entre les deux proportions : racheter 32 % suppose de soumettre une offre à l'ensemble des actionnaires minoritaires, ce qui nécessite une autorisation des autorités de la concurrence.

Le rachat à hauteur de 29,9 % était une idée à mon sens astucieuse permettant de proposer à Engie de lui racheter l'essentiel de son bloc, sans aucun risque d'exécution, c'est-à-dire en étant certain que l'opération puisse se faire.

Ce qui m'a surpris, en second lieu, c'est l'extrême importance accordée au délai d'un mois durant lequel cette offre était ouverte.

Les opérations ont été largement publiques, Antoine Frérot ayant souhaité rendre cette offre publique, ce qui n'était pas absolument nécessaire. Je lui avais dit préférer une série de discussions et d'échanges discrets. Antoine Frérot a considéré que l'intérêt suscité par un tel projet rendait la confidentialité difficile et qu'il fallait lui préférer la publicité, ce qui est une très bonne chose lorsque l'on est attaché à la transparence. Cela étant, lorsque l'on négocie publiquement, on le fait sous un certain niveau de pression ou, à tout le moins, d'attention.

À partir du 30 août, nous avons agi dans deux directions. Nous avons indiqué à Veolia que l'offre ne nous paraissait pas acceptable en l'état. Elle a d'ailleurs été formellement refusée par le conseil d'administration d'Engie, autour du 10 septembre, considérant à la fois que le prix - de 15,50 euros - n'était pas assez élevé, que les garanties en matière d'emploi n'étaient pas suffisantes et que Veolia devait s'engager sur le caractère amical de ce projet.

Nous avons signifié à Suez que cette offre était sur la table et que nous étions désireux de voir une seconde offre se constituer. Je dis bien « désireux » car, lorsque l'on veut vendre quelque chose, il vaut mieux avoir en face de soi deux acheteurs qu'un seul. Il nous semblait par ailleurs nécessaire que Suez engage un dialogue avec Veolia pour connaître le contenu de leur offre et voir comment celle-ci pouvait être évaluée et améliorée.

Malheureusement, durant ce mois, il ne s'est pas produit grand-chose sur ces deux sujets. Vous l'avez entendu hier : Philippe Varin et Bertrand Camus ont refusé, avec beaucoup de force et de conviction, tout dialogue avec Veolia.

Par ailleurs, Suez n'a pas été en mesure de proposer une offre alternative. C'est vraiment dommage, et j'ai rappelé par voie de presse durant cette période combien une alternative aurait pu être intéressante.

C'est seulement le 30 septembre, le jour où expirait l'offre de Veolia, que nous avons reçu un document, que j'ose à peine qualifier d'offre qui était plutôt une expression d'intérêt émise par Ardian, ne contenant ni prix ni description du projet. Ce projet était très en rupture, l'idée d'Ardian étant de réaliser une opération consistant à retirer complètement Suez de la cote et d'en faire une entreprise privée, dans le cadre d'un fonds de private equity.

Ce n'était donc pas un projet anodin, et nous ne disposions, dans l'offre reçue le 30 septembre - une heure après le début du conseil d'administration -, d'aucun élément permettant de juger de celle-ci.

De notre point de vue, il n'était pas nécessaire de conclure cette opération à telle ou telle date. Engie dispose de liquidités et n'a pas besoin de 3,4 milliards d'euros, même dans une année un peu compliquée comme celle-ci.

En revanche, ce qui créait l'urgence, c'est le fait que Veolia indiquait vouloir retirer son offre le 30 septembre si elle n'était pas acceptée, pour lancer une offre publique - dans un contexte comme celui-ci, cela aurait représenté probablement entre 12 et 24 mois de délai - ou renoncer complètement au projet. Le cours de bourse de Suez, qui était monté de 12 euros à 16 ou 17 euros, allait probablement redescendre à sa valeur précédente, avec un risque de perte de valeur manifeste pour Engie.

Ce sont ces éléments que le conseil d'administration a mesurés, après avoir, à la demande des pouvoirs publics, obtenu un délai supplémentaire de cinq jours. Le conseil d'administration s'est retrouvé le 5 octobre avec une offre de Veolia dont le prix avait été amélioré- à hauteur de 18 euros - et comprenant des engagements en termes d'emplois. Ces engagements nous paraissent réels ; nous les avons examinés avec attention, et nos administrateurs salariés, qui ont demandé à y avoir accès, s'en sont déclarés satisfaits. S'agissant de l'amicalité, Veolia s'est par ailleurs engagé à ne proposer qu'une offre approuvée par le conseil d'administration de Suez.

Le conseil d'administration d'Engie ou, en tout cas, ses administrateurs indépendants, avaient le sentiment de se trouver face à une offre répondant aux conditions posées.

La vision de l'État était légèrement différente, Bruno Le Maire souhaitant, tout comme moi d'ailleurs, que cette offre soit amicale. Personne de sérieux n'éprouve de plaisir à voir deux grands groupes français s'invectiver par presse interposée.

Je vous ai indiqué avoir été dirigeant de Rhodia. Ce groupe a fait l'objet d'une offre non sollicitée de la part de Solvay. Nous nous sommes mis rapidement autour de la table, avons dialogué et trouvé un terrain d'entente, ainsi que les voies et moyens de réaliser une fusion qui, je le crois, s'est bien déroulée. Je suis convaincu qu'une fusion se réalise d'autant mieux qu'elle est amicale. Cela étant, il faut pour cela que les deux parties puissent engager le dialogue.

À la différence de Bruno Le Maire, qui souhaitait que l'amicalité précède la cession du bloc d'Engie, j'ai considéré qu'il était impossible d'obtenir un accord entre les deux parties dans un délai court avant que la cession de ce bloc puisse avoir lieu.

Il n'y a pas de grand mystère sur le vote du conseil d'administration d'Engie. Je n'ai pas vocation à rendre les votes du conseil d'administration publics. Toutefois beaucoup de commentaires ayant été entendus sur ce sujet, je peux rappeler quelques faits. L'État dispose de trois sièges au conseil d'administration, habituellement composé de quatorze administrateurs. Faute de directeur général, celui-ci étant administrateur, nous n'en avons actuellement que treize.

L'influence de l'État au sein du conseil d'administration est proportionnelle au nombre d'administrateurs dont il dispose. Je suis président de ce conseil : je dois défendre l'intérêt de tous les actionnaires. Je porte un intérêt tout particulier à mon premier actionnaire, l'État, qui détient 22 ou 23 % du capital, mais les autres actionnaires, qui en représentent 77 %, comptent tout autant sur moi pour défendre leurs intérêts.

Je considère que mon rôle consiste à trouver un bon alignement entre ces deux groupes d'actionnaires, ce qui est le cas sur l'essentiel des sujets. Sur ce point, les actionnaires autres que l'État faisaient valoir avec force que 18 euros par action constituait une valeur que nous ne retrouverions pas avant longtemps. Or le groupe a des besoins d'investissement, et les montants que l'on pouvait espérer dégager dans cette cession pouvaient être très utiles pour accélérer nos efforts dans le domaine des énergies renouvelables.

Nous nous sommes retrouvés dans une situation en définitive assez rare, dans laquelle l'intérêt social d'Engie était différent de l'intérêt de l'État, qui cherche à avoir - et c'est son rôle - une vision de l'intérêt public.

Avec Bruno Le Maire, nous avons constaté avant le début du conseil d'administration que l'on allait sans doute arriver à une situation dans laquelle le poids respectif des forces en présence allait conduire à ce qu'une décision différente de celle proposée par l'État soit prise.

Les administrateurs indépendants, qui sont au nombre de six, ont voté en faveur de la cession. Deux des trois représentants de l'État ont voté contre et le troisième s'est abstenu. Parmi les représentants des salariés, un seul a pris part au vote et s'est lui aussi exprimé en faveur de la cession. Sept voix se sont dégagées en faveur de la cession et deux contre. Je ne sais pas s'il s'agit ici d'une faible majorité.

Dans nos conseils d'administration, les abstentions comptent comme des voix contre. Il faut donc obtenir la majorité des suffrages exprimés. Onze administrateurs seulement ont pris part au vote. Il fallait six voix pour remporter cette décision. Nous en avons eu sept. C'est le fonctionnement normal du conseil d'administration.

Que va-t-on faire de cet argent, madame la présidente ? La réponse est simple, claire et précise : nous avons annoncé que nous dépenserions 8 milliards d'euros supplémentaires, au-delà de notre programme d'investissement normal, pour accélérer nos développements dans le domaine des énergies renouvelables et dans celui des infrastructures, en particulier urbaines. C'est bien ce que nous allons faire. Le groupe investit chaque année 6 à 7 milliards d'euros dans différents projets à travers le monde. Nous allons, pendant deux ou trois ans, accélérer et passer à un niveau d'investissement qui va nous permettre d'être un acteur encore plus important dans la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique.

Mme Nadine Bellurot, corapporteure. - Merci de votre intervention, monsieur le président.

On a lu dans la presse que vous aviez un besoin urgent de liquidités. Vous venez de répondre qu'il n'en était rien. On a pu penser que tout ceci avait été assez précipité, mais vous nous avez rappelé les faits.

Pouvez-vous en dire plus sur le recentrage des activités d'Engie et nous parler de ses conséquences en termes d'emploi ?

Le groupe Engie entend-il réduire ou céder ses participations dans le distributeur de gaz - GrDF - et le transporteur de gaz - GRT Gaz ? Si c'est le cas, quels partenaires extérieurs pourraient être pressentis au capital de ces sociétés ? Quelles sont les garanties qu'Engie envisage de prendre pour préserver les intérêts de la France dans le secteur de l'énergie ?

M. Hervé Gillé, corapporteur. - Monsieur le président, vous avez évoqué le contexte de la crise sanitaire. Je souhaiterais que l'on puisse approfondir ce sujet.

Ce contexte est-il vraiment propice à une cession des participations d'Engie dans Suez, dans la mesure où il déprime l'activité économique et donc le montant de l'action de la société ? Un prix supérieur à 18 euros par action n'aurait-il pu être obtenu, l'action de Suez ayant pu s'établir à des montants supérieurs par le passé ?

Par ailleurs, la crise économique actuelle, et plus spécifiquement la chute de la demande et des prix de l'énergie, a nécessairement une incidence négative sur l'activité, le résultat et les investissements d'Engie. Pouvez-nous nous éclairer à ce sujet ?

Enfin, les objectifs et les modalités de financement de la stratégie de recentrage du groupe sont-ils adaptés à ce nouveau contexte ?

Mme Florence Blatrix Contat, corapporteure. -Le fonds d'investissement Ardian a indiqué à la presse ne pas avoir eu assez de temps pour proposer une offre alternative. Pourquoi ne pas avoir accordé des délais supplémentaires à cette alternative ? Vous avez reçu une lettre d'intention que vous qualifiez d'assez sommaire. Plus de temps aurait sans doute permis de construire un dossier plus solide.

Par ailleurs, nous avons appris que Veolia, pour des raisons liées au respect du droit de la concurrence, serait obligé de céder sa branche « eau » au fonds Meridiam. Pourquoi ne pas avoir recherché une solution avec ce dernier pour la constitution d'une offre de reprise ?

J'ai bien compris qu'il existait dans tout cela une logique de recentrage, mais également une logique financière, avec un accroissement assez substantiel de la capitalisation boursière d'Engie à la suite de cette opération. Vous avez précisé que le cours de l'action était passé de 12 à 17 euros. Il s'agit donc d'une opération financière pour Engie. Néanmoins, pourquoi avoir retenu un calendrier aussi serré ? Cette accélération est-elle de votre fait, du fait de Veolia ou de celui de l'État ?

J'en reviens au rôle de l'État vis-à-vis d'Engie : comment concevez-vous l'articulation de votre activité au sein d'un groupe de grandes dimensions comme Engie face au rôle de l'État actionnaire ? Comment l'État actionnaire, alors que vous n'avez pas suivi ses préconisations, peut-il encore envisager un partenariat solide qui prenne en compte les intérêts de l'un et de l'autre ?

M. Alain Cadec, corapporteur. - Monsieur le président, vous avez fait remarquer à notre présidente, Sophie Primas, que nous n'avions pas, comme vous, connaissance de tous les arcanes des grands groupes. Nous ne sommes pas nous-mêmes administrateurs de trois grandes sociétés, mais cela ne nous empêche pas d'être très attachés à la transparence, notamment quand l'argent public est en cause et que l'État est impliqué. J'ai trouvé votre remarque désobligeante à l'endroit de notre présidente.

Ma première question sera directe et toute simple : l'État actionnaire vous a-t-il demandé de surseoir à la délibération concernant l'offre de Veolia pour évaluer l'impact de celle-ci au regard du droit de la concurrence ou pour envisager des offres alternatives ?

Deuxièmement, quelles activités vont faire l'objet d'une « mise à distance » dans le cadre de la stratégie de recentrage du groupe ? En quoi consiste précisément cette « mise à distance », des introductions en bourse et des cessions d'actifs ayant été évoquées ? Comment éviter que d'autres cessions d'actifs n'induisent de nouvelles difficultés, à l'image de celles qui touchent actuellement Suez ?

Enfin, la crise de gouvernance qui a frappé Engie cette année est-elle définitivement derrière nous avec la désignation de Catherine McGregor en tant que directrice générale, à compter du 1er janvier prochain ?

M. Jean-Pierre Clamadieu. - Je ne voulais pas du tout être désobligeant. Je pense simplement que le rôle des conseils d'administration des grandes entreprises privées est souvent méconnu.

Vous m'avez demandé si je pouvais prendre une décision sur la stratégie en l'absence d'un directeur général. La responsabilité première d'un conseil d'administration est de définir la stratégie. Oui, nous sommes parfaitement capables de définir une stratégie même en l'absence d'un directeur général. Je voulais le rappeler, car c'est un commentaire que j'ai souvent entendu.

Chez Engie, nous avons d'ailleurs fait le choix - et ce n'est pas tout à fait un hasard - d'arrêter nos orientations stratégiques fin juillet, avant de finaliser le recrutement d'un directeur général, qui a été annoncé à la fin du mois de septembre. Pourquoi ? Nous voulions un directeur général qui soit bien en ligne avec nos orientations stratégiques et qui arrive avec pour objectif de les mettre en oeuvre, plutôt que de faire l'inverse, c'est-à-dire nommer un directeur général et lui demander la stratégie qu'il compte appliquer.

Le rôle du conseil d'administration est de définir la stratégie du groupe. Je ne voulais être désobligeant vis-à-vis de quiconque. Je ne connais pas très bien les arcanes du travail sénatorial, et je pensais qu'il n'était pas inutile de vous rappeler comment fonctionne la gouvernance.

Pour le reste, nous n'avons pas un besoin urgent de liquidités. Le groupe a environ une trentaine de milliards d'euros de trésorerie disponible. Pour autant, lorsque l'on lance un projet, il faut essayer de le réaliser dans un temps relativement raisonnable.

S'agissant de la garantie de l'emploi, plusieurs questions concernent à la fois le plan stratégique d'Engie et la cession de notre participation dans Suez.

Le sujet de Suez est très particulier. Il s'agit simplement de la cession d'une participation financière. À nouveau, nous n'exercions aucun contrôle opérationnel sur Suez. Nous ne consolidions pas les résultats de Suez dans les nôtres. Nous percevions un dividende, comme tous les autres actionnaires, et n'avions donc pas d'impact direct sur l'activité de ce groupe.

Les garanties d'emploi données par Veolia sont assez simples : elles consistent à dire que, d'ici à la fin de l'année 2023, il n'y aura pas de perte d'emplois sur le périmètre de Suez France tel qu'il est aujourd'hui. L'exercice que nous avons mené avec les équipes de Veolia a consisté à identifier, par grands périmètres, ce que sont les effectifs de Suez aujourd'hui et à regarder comment ces engagements pouvaient être mis en oeuvre. Nous avons été, à la fin de cet exercice, convaincus que ces engagements avaient du sens.

Les administrateurs représentant les salariés siégeant au conseil d'administration d'Engie étaient évidemment très attentifs à ce sujet. Ils ont demandé à être destinataires des résultats de ces travaux et les ont jugés convaincants, ce qui les a amenés, pour certains, à exprimer un soutien à ce projet, pour d'autres à ne pas prendre part au vote, le quatrième administrateur s'y étant déclaré hostile.

S'agissant de l'évolution des activités de services d'Engie, nous avons annoncé que nous allions nous interroger sur l'avenir d'un ensemble d'activités qui représentent à peu près les deux tiers des activités de services du groupe et 12 milliards d'euros de chiffre d'affaires - soit un cinquième du chiffre d'affaires total d'Engie.

Cette revue stratégique est en cours. Nous ferons un point d'étape, à l'occasion de la présentation de nos résultats la semaine prochaine. Il est trop tôt pour se prononcer sur les aboutissants de cette revue stratégique. Celle-ci pourrait effectivement se traduire par une « mise à distance » du groupe de ces activités de services, qui pourrait avoir pour conséquence de constituer un tour de table dans lequel Engie reste partie prenante sans être seul. On pourrait penser qu'un autre acteur acquière ces activités de services mais je n'y crois pas beaucoup car il s'agit d'un ensemble de grande taille. On pourrait aussi imaginer sa mise en bourse progressive. Nous n'avons pas tranché ces différentes hypothèses et je pense que nous ne trancherons pas avant le début de l'année prochaine.

Il s'agit de nos équipes, de nos salariés, de nos métiers, de nos clients. Contrairement à Suez, où nous sommes dans une position d'actionnaires financiers un peu loin des opérations, nous sommes ici en première ligne, et il est de la responsabilité du conseil d'administration et du management de mener à bien ce projet dans les meilleures conditions possible, dans un contexte de dialogue social.

L'objectif que nous nous sommes fixé est d'être capables de débuter la consultation des instances représentatives du personnel au début de l'année 2021.

Pour ce qui est du gaz, les choses sont relativement simples. Nous avons aujourd'hui deux activités dans le domaine du gaz en France, le grand transport - GRTgaz - et les activités de distribution - GrDF.

S'agissant de GRT Gaz, nous avons déjà des partenaires au sein du capital, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et CNP Assurances. Dans les orientations stratégiques que nous avons annoncées au mois de juillet, nous avons indiqué que nous envisagions éventuellement la cession d'une tranche supplémentaire de capital mais en conservant le contrôle et la consolidation de cet ensemble, ce qui veut dire, en pratique, que l'on peut imaginer céder une dizaine de pourcents supplémentaires. La manière dont se passent les autres opérations rendra ceci utile ou non.

Nous n'avons pas du tout commencé à travailler sur cette hypothèse mais nous avons clairement dit que nous voulions rester l'actionnaire majoritaire, l'actionnaire de contrôle et, d'un point de vue comptable, être en situation de consolider les activités de GRT Gaz, ce qui signifie que l'évolution envisagée est à la marge.

Pour ce qui est de GrDF, nous n'envisageons aucune évolution capitalistique. La situation est donc relativement simple.

Je me permets d'ailleurs, ayant la chance d'être entendu par la représentation nationale, de vous dire que notre préoccupation, s'agissant des infrastructures gazières françaises - qui représentent à peu près la moitié des activités du groupe - réside dans la place du gaz dans le mix énergétique français dans les trente prochaines années.

Nous constatons souvent avec inquiétude que les instances publiques françaises font preuve d'un tropisme électrique qui nous paraît quelquefois excessif. Une transition énergétique efficace doit laisser sa place au gaz. Le jour le plus froid de l'hiver, il sort une fois et demie plus d'énergie des stockages de gaz d'Engie que de l'ensemble du parc nucléaire d'EDF.

Cette année, alors qu'EDF connaît un certain nombre de difficultés en matière de disponibilité de tranches, c'est grâce à Engie et au gaz que nous pourrons continuer à nous chauffer durant les jours les plus froids de cet hiver.

Soyons attentifs à ne pas créer une situation dans laquelle, progressivement, nous serions amenés à abandonner la desserte en gaz d'un certain nombre de territoires parce que nous n'aurions plus de volumes suffisants à y transporter.

J'en reviens aux questions posées sur la cession. Était-ce le bon moment de vendre ? D'un point de vue simplement financier, même si cette opération est plus industrielle que financière, 18 euros représentent la valeur maximum de l'action Suez sur les dix dernières années. Fin juillet, l'action valait 10 euros. Après nos annonces, elle valait 12 euros. En février, avant le début de la crise, elle était à 15 euros. Je pense qu'en termes de valeur - c'est ce que nous disent nos actionnaires -, nous avons réalisé une bonne opération. Ce n'était pas le seul critère mais c'était un critère important pour nous. Il faut beaucoup d'imagination pour envisager un scénario dans lequel l'action de Suez aurait pu dépasser ce niveau dans un avenir prévisible.

Vous m'avez également interrogé, s'agissant d'Engie, sur les impacts de la crise. Ils ont été très importants sur nos activités de services pour ce qui est du premier confinement. Ce sont des activités pour partie liées au bâtiment et aux travaux publics. Nous sommes en effet souvent sur les sites de nos clients industriels qui, pour beaucoup, ont été fermés à partir de la mi-mars.

Certaines de nos activités liées à l'énergie ont souffert parce que l'on a acheté par avance des volumes d'énergie que nos clients n'ont pas consommés, l'activité économique ayant chuté fortement durant cette période. Nous avons dû encaisser une forme de pertes sur ces activités de fourniture.

Nous avons toutefois été bien moins affectés que d'autres groupes. Je suis également administrateur d'Airbus, qui a pris cette crise de plein fouet. Pour ce qui est d'Engie, la crise a un impact - nous aurons l'occasion de le commenter dans nos résultats la semaine prochaine - sans remettre pas en cause les fondements du groupe.

Quant à nos projets d'investissement, la crise a plutôt montré l'importance des énergies renouvelables. Nous allons connaître de légères difficultés cette année parce qu'un certain nombre de chantiers ont été arrêtés, mais je pense que l'on assistera à une accélération des investissements dans ce domaine dans les prochaines années.

S'agissant des fonds d'investissement, à nouveau, j'aurais été ravi qu'Ardian nous fasse une offre. Philippe Varin ne vous l'a pas dit hier mais je l'ai appelé, juste après qu'Ardian a annoncé qu'il abandonnait l'idée d'une offre ferme, pour lui conseiller d'en solliciter une. Ardian m'avait dit être sur le point d'en faire une mais demandait six semaines d'analyses et d'expertises supplémentaires. Philippe Varin a appelé la dirigeante d'Ardian et m'a ensuite rappelé pour me dire que ceux-ci n'étaient pas décidés.

Tous ceux qui ont travaillé avec des fonds d'investissement savent que la seule manière d'obtenir un prix satisfaisant est de faire jouer la concurrence.

Lorsque Ardian nous disait d'abandonner l'offre de Veolia en nous assurant qu'il ferait une offre au même prix, très franchement, je n'y croyais pas un instant. Si l'on se retrouve seul face à Ardian, le prix qui est à 18 euros le premier jour termine à 14 ou 15 euros après six semaines d'analyses. Il faut forcément avoir une forme de concurrence. Ce qui est vraiment dommage en revanche, c'est qu'Ardian ne se soit pas mis au travail immédiatement.

Je sais que le management de Suez est passé par des moments difficiles, mais je pense qu'ils n'ont pas réagi suffisamment vite quand la question de l'avenir de notre participation s'est posée.

Bertrand Camus a dit publiquement avoir reçu deux appels téléphoniques d'Antoine Frérot pour lui proposer de discuter d'un rapprochement. Si un jour le patron de tel ou tel groupe d'énergie me passait un coup de téléphone pour me dire cela, après avoir raccroché et lui avoir dit non, je me préparerais immédiatement à réagir à l'étape suivant un tel appel. Je pense que Bertrand Camus n'a pas eu cette réaction et qu'ils ne se sont pas mis au travail, le 1er août, pour essayer de construire une offre alternative. En deux mois, on peut y arriver.

Je ne crois pas à la logique financière mais à la logique industrielle. Comment fait-on pour disposer de plus d'argent pour construire des éoliennes, des champs de panneaux photovoltaïques, des réseaux de chaleur ou des réseaux de froid dans les territoires que vous représentez ? C'est ce que l'on cherche à faire aujourd'hui. Engie est un groupe qui investit massivement. Nous souhaitons disposer de plus de ressources pour investir.

Pour en revenir au calendrier, c'est Veolia qui l'a fixé. J'ai essayé de le faire évoluer. J'ai finalement obtenu une petite semaine supplémentaire. Je pense que Bruno Le Maire a passé beaucoup d'appels téléphoniques à Antoine Frérot, dont certains très vigoureux, pour lui demander quinze jours ou un mois supplémentaires. Antoine Frérot a été inflexible. Je vous invite à lui poser la question la semaine prochaine pour savoir pourquoi. C'est lui qui a fixé ce calendrier.

Il aurait été très difficile pour le conseil d'administration d'Engie de renoncer à cette option. Face à cette situation, il a considéré que sa responsabilité était d'accepter cette offre tant qu'elle était disponible.

Nous avons travaillé en très bonne intelligence avec l'État, presque jusqu'à la fin, et je salue le rôle de Bruno Le Maire, qui en définitive a affirmé à peu près la même chose que moi. Il a indiqué qu'il fallait une seconde offre. Il a appelé au dialogue. Il n'a malheureusement pas été plus entendu que moi, ni sur le premier point, ni sur le second. Nous avons simplement eu, à la fin du processus, une divergence d'appréciation, qui a conduit effectivement à cette position.

Le rôle de l'État actionnaire dépend des conditions capitalistiques dans lesquelles il se trouve. Quand il est actionnaire d'EDF, l'État a beaucoup de pouvoirs. Quand il est actionnaire à 22 % du capital ou dispose de 30 % des droits de vote, il contrôle dans les faits l'assemblée générale et a donc un mot très important à dire dans les décisions qui relèvent de celle-ci, mais en revanche, au sein du conseil d'administration, il pèse à hauteur de son poids. C'est la règle du jeu en droit des sociétés. Que diraient nos autres actionnaires si nous leur disions que c'est l'État qui, avec ses 22 %, fait la loi et prend les décisions chez Engie ? Ils considéreraient, à juste titre, que leurs intérêts ne sont pas entendus.

Le rôle du conseil d'administration est de faire la synthèse de ces éléments et d'essayer de prendre des décisions dans l'intérêt de la société. Je ne veux pas vous donner le sentiment d'avoir une vision égoïste des choses, mais franchement cette décision est dans l'intérêt d'Engie, de toutes ses parties prenantes, de tous ses métiers, de toutes ses activités.

Transformer une participation financière dans un groupe qui ne nous rapporte qu'un dividende, avec lequel nous n'avons jamais réussi à développer des partenariats opérationnels concrets, en investissements, en actifs de production d'énergie renouvelables ou d'infrastructures, qui concourent à notre stratégie de développement, est vraiment dans l'intérêt du groupe ; j'en suis intimement persuadé.

La vie des affaires évolue et le rôle des conseils administration va croissant. Aujourd'hui, ils ont des responsabilités et essayent de les exercer le mieux possible. La crise de gouvernance est derrière nous.

Peut-être la présence de l'État au capital du groupe donne-t-elle le sentiment qu'il existe toujours une capacité à aller chercher une décision ou un arbitrage au-delà du conseil d'administration - même si c'est bien ce dernier qui a pris ses responsabilités et les décisions in fine sur tous les sujets traités cette année.

Néanmoins, le fait qu'un conseil d'administration, après un premier mandat de quatre ans d'un dirigeant, dise qu'il faut un style un peu différent est assez légitime. Ce sont des choses qui se passent assez régulièrement dans la vie des affaires. En l'espèce, elles ont pris une ampleur médiatique un peu inattendue mais ce n'est pas nécessairement de notre fait.

Je crois qu'il existe aujourd'hui un bon alignement ; au sein du conseil d'administration, il est total. Nos orientations stratégiques ont été approuvées à l'unanimité. Je pense que Catherine McGregor est un dirigeant qui arrive avec les savoir-faire nécessaires. Comme elle le dit avec humour, une stratégie n'est jamais que de l'encre sur une feuille de papier ou un transparent projeté sur un écran. Ce qui compte, c'est la manière dont on la met en oeuvre. Il y a énormément de choses à faire dans les prochaines années chez Engie, et il existe un très bon alignement entre le conseil d'administration et notre nouvelle directrice générale.

Je me suis exprimé, il y a quelques instants, sur l'avenir de nos activités de services. C'est un sujet que l'on étudie avec beaucoup d'attention.

Les activités de services que j'ai essayé de vous décrire tout à l'heure ressemblent beaucoup à celles d'un autre groupe français, Spie. Il va y avoir dans cet ensemble des activités très proches de celles de Spie ou encore de Vinci Énergies. L'ensemble aura toutefois environ deux fois la taille de Spie.

M. Guillaume Chevrollier. - Monsieur Clamadieu, je voudrais profiter de votre présence pour connaître votre perception de la crise sanitaire. Quelle leçon en tirez-vous en tant qu'administrateur de différents groupes et président de conseil d'administration ? Comment Engie a-t-il traversé la crise ?

Vous avez estimé que cette crise sanitaire peut constituer un facteur d'accélération dans la transition écologique. Comment percevez-vous le plan de relance dans ce domaine ? Comment Engie va-t-il s'inscrire dans ce plan ?

Vous avez récemment inauguré un centre de recherche appelé Engie Lab Crigen. On sait que la recherche et développement est fondamentale pour la compétitivité et la transition énergétique. Pouvez-vous nous parler de ce laboratoire ? Qu'en attendez-vous concrètement ?

M. Fabien Gay. - Monsieur le président, l'État est un actionnaire parmi d'autres, et vous avez travaillé avec lui jusqu'à la fin. Le Premier ministre a estimé qu'il s'agissait d'un bon rapprochement. Bruno Le Maire a plutôt dit l'inverse et les administrateurs de l'État se sont abstenus ou ont voté contre.

La loi Pacte, contre laquelle nous avons voté pour notre part, a autorisé l'État à descendre en dessous de 33 % de capital. Bruno Le Maire nous avait dit à l'époque de ne pas nous inquiéter. L'État devait, selon lui, détenir 22 % des parts mais 30 % des votes et rester actionnaire majoritaire grâce à la golden share, qui devait permettre de bloquer des décisions qui ne conviendraient pas. Pourquoi ceci n'a-t-il pas fonctionné ?

Par ailleurs, le président de Suez et ses salariés nous ont indiqué que ce rapprochement pourrait entraîner 4 000 à 5 000 pertes d'emplois sur notre territoire. Vous dites avoir étudié les choses avec Veolia et être sûr qu'il n'y aura pas de pertes d'emplois jusqu'en 2023. Qu'en est-il vraiment ?

Enfin, je pense qu'il s'agit là de la première partie du démantèlement d'Engie. Scinder l'entreprise en deux entités, New Engie et New Solutions, et faire entrer cette dernière en bourse revient à mettre en place le même procédé qu'EDF avec le projet Hercule. De quelles garanties dispose-t-on pour ne pas voir le groupe Engie être démantelé dans ce cadre ?

Mme Marta de Cidrac. - Mes questions concernent Engie, Veolia et Suez, qui constituent trois belles entreprises françaises. La première cède à la deuxième ses parts dans la troisième, ce que cette dernière ne souhaite pas !

Dans vos propos liminaires, vous avez fait part de vos regrets concernant la situation actuelle, que vous vivez, je suppose et tout comme nous, de manière inconfortable. Vous avez rappelé qu'Engie n'avait pas en réalité une nécessité urgente de céder ses parts dans Suez. La décision d'Engie est-elle aujourd'hui irrévocable, compte tenu de cet imbroglio ?

Nos territoires sont très attachés à ces trois entreprises. Vous devez également être sensible à la crise sanitaire, qui constitue aujourd'hui un sujet prégnant dans l'opinion publique. Derrière ces groupes, il y a des hommes et des femmes qui seront forcément touchés à un moment ou à un autre par les décisions prises, quelles qu'elles soient.

M. Yves Bouloux. - Monsieur le président, le tribunal judiciaire de Paris, saisi en référé par les comités sociaux et économiques du groupe Suez, a ordonné la suspension de l'opération résultant de l'offre d'acquisition par Veolia des actions de Suez détenues par Engie, ainsi que l'offre publique d'achat prévue dans la foulée. Cette suspension a été décidée tant que les comités sociaux et économiques de Suez et Suez Eau France, à l'origine de la procédure, n'auront pas été « informés et consultés sur les décisions prises ».

Si votre participation n'a pas vocation à être pérenne - on peut le comprendre - pourquoi avoir choisi de faire appel et ne pas vous être conformés à la décision du tribunal ? Pourquoi ne serait-il pas possible d'informer et de consulter les comités sociaux et économiques, comme l'a exigé le tribunal judiciaire, eu égard au droit des salariés, lesquels doivent d'ailleurs être assez inquiets ?

M. Gilbert Favreau. - Monsieur le président, trois groupes, dont Engie est sensiblement le plus important en chiffre d'affaires, sont ici concernés. Ces trois entreprises sont connues et se connaissent par ailleurs de longue date ; rappelons que la fusion de GDF-Suez résultait à l'époque d'une réponse à une offre publique d'achat hostile d'une société italienne. Ce qui me trouble, c'est le rôle de l'État ou d'un certain nombre d'actionnaires, au moment du vote de la cession des actions d'Engie à Veolia. L'État aurait fort bien pu, avec les droits de vote qu'il détient, surseoir ou faire en sorte qu'un vote positif sur la vente ne soit pas pris au moment du conseil d'administration. Il ne l'a pas fait.

Sa position est parfois surprenante, mais ce n'est pas la première fois. Vous avez récemment dit dans la presse que l'État est certes actionnaire de l'entreprise, mais qu'Engie n'est pas une entreprise publique - et je partage parfaitement votre point de vue.

Comment expliquer que l'État, alors qu'il disposait de près de 35 % des droits de vote, n'ait pas voulu prendre une position claire qui aurait permis de desserrer les délais ? Selon moi, il y a un consentement tacite de la part de l'État à la cession des actions d'Engie à Veolia.

M. Olivier Rietmann. - Monsieur le président, vous avez un parcours brillant. Vous avez repris en son temps la direction de Rhodia, qui était alors dans une situation de quasi-faillite à l'époque, et en avez fait une entreprise qui est devenue non seulement rentable, mais également un des leaders dans son domaine.

Vous avez ensuite conduit l'offre publique d'achat amicale de Solvay sur Rhodia, qui a constitué un exemple en la matière et qui a débouché sur un groupe international exceptionnel, dont vous avez pris assez rapidement la présidence.

Vous avez su redresser la situation de Rhodia et accompagner cette offre publique d'achat amicale qui s'est excellemment bien déroulée. Vous avez indiqué à Bertrand Camus et Philippe Varin qu'il faudrait s'attendre, soit à ce que vous vous retiriez de l'actionnariat de Suez, soit que vous augmentiez votre part. Pourquoi n'avez-vous pas saisi l'opportunité d'accompagner Suez plutôt que de vous retirer du jour au lendemain en le « jetant en pâture » à n'importe quel investisseur, sans avoir préparé le groupe à ce retrait du capital ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - Monsieur le président, la vente des parts de Suez va vous donner les moyens d'agir pour accélérer votre plan stratégique. Or le groupe Engie compte de nombreuses implantations territoriales, et les territoires sont les premiers à ressentir le « vent du boulet » lorsque des projets stratégiques se mettent en oeuvre.

On a bien compris qu'Endel était par exemple dans le périmètre. Cette filiale d'Engie représente 140 implantations en France et, même si son chiffre d'affaires n'est que de 750 millions d'euros, elle compte 6 000 salariés.

J'ai bien compris qu'Engie Solutions, soit 12 000 salariés, serait aussi dans le périmètre. Quel niveau d'exigence afficherez-vous par rapport aux futurs acquéreurs ? Quel dialogue allez-vous engager avec les territoires ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Monsieur le président, les sénateurs pourraient-ils disposer du procès-verbal du conseil d'administration du 5 octobre ?

Par ailleurs, où en est le référé déposé par les comités sociaux et économiques de Suez et Suez Eau France ? On a annoncé, dans les médias, la suspension de l'acquisition. Quel effet cela a-t-il sur la procédure ?

Enfin, j'ai entendu parler d'un signalement au parquet national financier. Qu'en est-il ?

M. Hervé Gillé, corapporteur. - La cession porte sur 3,4 milliards d'euros. L'impact est très relatif au regard de votre réserve financière de 30 milliards d'euros. Vous n'aviez donc pas forcément besoin de cette somme pour la mise en oeuvre de votre stratégie de recentrage. Votre décision s'explique-t-elle simplement par l'attractivité du prix de 18 euros par action car vous nous avez indiqué que la conjoncture était, selon vous, très favorable sur ce plan ? À l'évidence, vous n'aviez pas stratégiquement besoin de vendre cette participation, dont vous avez d'ailleurs indiqué qu'elle ne présentait qu'un caractère financier et non opérationnel.

M. Daniel Gremillet, président. - Monsieur le président, pouvez-vous nous confirmer qu'il n'y a eu aucun échange avec les dirigeants de Veolia entre les mois de mai et septembre ?

Par ailleurs, quelles sont les solutions clients dont Engie envisage la « mise à distance » - pour ne pas dire la cession ? Les solutions clients ainsi cédées n'ont-elles bien aucun lien avec le secteur de l'énergie ? Dans le cas contraire, nous serions dans une situation tout à fait paradoxale dans laquelle Engie ambitionnerait de devenir un leader de la transition énergétique tout en cédant ses activités d'efficacité énergétique réalisées au profit des entreprises ou des collectivités territoriales.

Dans le cadre de son activité législative, le Sénat est très sensible à l'enjeu de la transition énergétique. Or il est nécessaire de disposer d'une gouvernance claire et de capitaux suffisants pour promouvoir le verdissement du marché du gaz. J'insiste sur importance du biogaz et de l'hydrogène gazeux, auxquels le Sénat est très attaché, et pour lesquels il a fait adopter des dispositions non négligeables dans le cadre de la loi énergie-climat ou de la loi sur l'accélération et la simplification de l'action publique (ASAP). L'autre enjeu est celui de la souveraineté énergétique, autrement dit le maintien sous contrôle français de GrDF et de GRT Gaz car le domaine de l'énergie est un secteur stratégique. Comment appréhendez-vous ces enjeux ?

Enfin, ma dernière question porte sur la manière dont Engie fait face à l'évolution du mix énergétique européen. Electrabel, la filiale d'Engie, qui exploite la plupart des centrales nucléaires belges et représente la moitié de la production d'électricité de ce pays, y est confrontée à la sortie du nucléaire d'ici 2025. Pour s'y préparer, Electrabel installe notamment des centrales à gaz. Quel est votre point de vue sur cette situation et son impact sur l'activité du groupe ?

Mme Sylviane Noël. -Suez et Veolia représentent 60 % du marché privé de l'eau et de l'assainissement en France, la part restante se divisant entre la Saur et les entreprises de taille plus modeste.

Dans ces circonstances, vous comprendrez que les élus locaux et, à travers eux, les usagers, se montrent très inquiets face à la naissance de ce nouveau géant qui risque fort de dégrader les conditions de concurrence dans un marché déjà quasi-monopolistique.

La question du prix de service, mais aussi de la qualité du service, se pose également puisque, face à l'affaiblissement de la concurrence, la pression sur le concessionnaire sera forcément moindre.

Face à ces risques, de nombreux élus risquent de choisir finalement de reprendre la gestion de l'eau en régie, ce qui pourrait de fait conduire à un affaiblissement de votre groupe. Quelles garanties pouvez-vous aujourd'hui donner aux nombreux élus inquiets pour l'avenir ?

M. Jean-Pierre Clamadieu. - Plusieurs leçons sont à tirer de la crise sanitaire. Je suis, comme tout le monde, par moment effaré de son impact et de la vulnérabilité qu'elle fait apparaître dans nos sociétés.

Il est assez incroyable de voir que tous les échanges entre pays, en termes de personnes en tous cas, sont réduits à leur plus simple expression. Nos modes de travail se sont complètement transformés. J'étais hier dans la tour Engie : on peut y compter vingt personnes dans un lieu qui en accueille habituellement 3 000. Je pourrais ainsi multiplier les exemples.

Notre monde est vulnérable et le prochain grand risque sera le changement climatique. Je suis très heureux de voir que les gouvernements et l'Union européenne ont réagi, en appelant à rendre le monde plus résilient lors de la prochaine crise. Je suis persuadé que celle-ci sera climatique.

On est toutefois capable de réagir très vite face au danger. J'ai pris l'exemple assez triste d'une tour presque vide à La Défense. Je pourrais dire, de manière plus positive, qu'Engie a une seconde fois placé environ 40 000 personnes en télétravail en l'espace de 24 ou 48 heures. On arrive à le faire avec un impact presque nul sur notre qualité de service.

Je ne dis pas que c'est un mode de fonctionnement optimal, loin s'en faut : cela pose d'énormes difficultés mais, en revanche, on assure la sécurité d'approvisionnement et la relation avec nos 11 millions de clients français. On est donc capable, face à des situations exceptionnelles, de prendre des mesures extrêmement fortes. C'est un élément encourageant, même si je crois qu'il nous faut nous préparer à la crise climatique afin d'en atténuer les impacts, réduire le phénomène lui-même, et rendre notre monde plus résilient.

Les temporalités sont très différentes. La crise climatique va mettre quelques décennies à se cristalliser. La crise sanitaire s'est cristallisée en quelques semaines, mais il ne faut pas que cela nous donne le sentiment que l'on a le temps de s'y préparer. Je pense au contraire qu'il s'agit d'une vraie urgence. La crise climatique est irréversible, ce qui n'est pas le cas, je l'espère, de la crise sanitaire.

Priorité à la transition énergétique, on l'a dit. Beaucoup de choses nous conviennent dans le plan de relance, avec des mesures de très court terme autour de l'efficacité énergétique dans les bâtiments, jusqu'à des choses de plus long terme, comme l'introduction de l'hydrogène. Je trouve qu'il y a là un bon équilibre.

Que n'y trouve-t-on pas ? On aurait aimé voir une accélération du développement du biogaz. Vous avez rappelé que cette maison était attentive à ce type de projets. Je suis convaincu que le biogaz, à court terme, et l'hydrogène, à moyen terme, sont des éléments très importants du mix énergétique. Ils ont par ailleurs des effets importants sur l'aménagement du territoire qu'il faut être capable de faire valoir.

L'État n'a pas assez de ressources pour faire face à tous les projets de développement de biogaz qui sont en train de se développer sur le territoire. J'aurais espéré que le plan de relance contienne un volet permettant de faire face à toutes ces opportunités. Le commentaire vaut sur les énergies renouvelables, qu'il s'agisse de l'éolien ou du solaire : le plan de relance ne comporte pas non plus d'accélération dans ce secteur, mais une dynamique suffisamment forte est engagée pour que l'on n'ait pas d'inquiétude quant à ses effets et à ses retombées.

Quant à la recherche et développement, je suis un de ceux qui, au conseil d'administration d'Engie, considèrent que l'on n'en fait pas assez, probablement parce que je viens d'un métier - la chimie - dans lequel les entreprises dépensent 3 % ou 4 % de leurs chiffre d'affaires dans ce domaine. Or nos chiffres sont bien inférieurs. Le centre de recherche que vous avez évoqué, que j'ai inauguré dans le nord de Paris il y a quelques semaines, travaille autour des gaz renouvelables - biogaz, hydrogène -, mais aussi autour du développement du digital, qui s'applique dans beaucoup d'endroits et nous permet de mieux gérer nos propres installations de production ou de transport d'énergie, ainsi que l'énergie chez nos clients.

Ces travaux contribuent à faire de nous un leader dans ces problématiques de transition énergétique. Je pense qu'il nous faut probablement en faire davantage. Je suis frappé de la modestie de nos efforts dans le domaine du biogaz ou de l'hydrogène. Beaucoup de champs sont encore à investir, beaucoup de progrès à accomplir. Il nous faut être encore plus déterminés.

Pour avoir beaucoup échangé avec Catherine McGregor sur ce sujet, je pense qu'elle partage ce souci de développer plus de savoir-faire ou de technologies appartenant à Engie, alors que nous sommes souvent un ensemblier qui va chercher différentes solutions ici ou là. Dans certains cas, il faut que nous sachions développer nos propres solutions technologiques.

Chez Engie, l'État n'a pas de golden share. Dans la pratique, lorsque l'on possède 30 % du capital d'une société, on contrôle l'assemblée générale, où un peu plus de 50 % des actionnaires sont généralement représentés. Arithmétiquement, on a donc la majorité.

En revanche - et en bonne gouvernance - on ne contrôle pas le conseil d'administration. C'est d'ailleurs la situation que nous connaissions chez Suez, où nous détenions 32 % du capital et contrôlions l'assemblée générale de fait mais où, pour autant, nous avions - et avons toujours - deux administrateurs sur seize ou dix-sept.

Pour en revenir à Engie, je redis que l'État n'a pas de golden share, c'est-à-dire de droits spécifiques comme dans des sociétés liées à la défense nationale. Nous sommes soumis au code de commerce de la manière la plus simple et la plus directe.

L'État, pas plus que n'importe quel autre actionnaire, ne peut demander au conseil d'administration de retarder une décision sur un sujet ou de prendre une décision de telle ou telle nature. L'État est un actionnaire comme les autres, certes important, mais il ne peut faire la pluie et le beau temps.

Ceci étant rappelé, mon rôle en tant que président du conseil d'administration est bien sûr de trouver un alignement, ce qui est le cas sur beaucoup de sujets. Sur celui-ci, on a constaté au moment de la prise de décision qu'il existait des positions différentes qui ont conduit à ce que j'ai décrit tout à l'heure.

Pour ce qui est de l'impact sur l'emploi, nos administrateurs salariés nous demandent, dans le cadre des projets que nous avons aujourd'hui, de leur concéder les mêmes garanties que celles que Veolia est prêt à concéder à Suez dans le cadre d'un rapprochement. Cette position n'est pas surprenante.

Même si nous n'en sommes pas encore à parler de ce sujet, puisque nous sommes encore en train d'étudier la forme que pourrait prendre l'organisation de cette nouvelle société et la façon dont elle pourrait acquérir une certaine autonomie vis-à-vis d'Engie, nous serons, le moment venu, amenés à prendre des garanties comme on le fait traditionnellement.

Le démantèlement d'Engie n'est évidemment pas l'objectif. Je ne suis pas sûr que le fait de se recentrer sur les métiers qui sont au coeur des savoir-faire du groupe soit les prémices d'un démantèlement. Engie, dans sa culture, dans son ADN, est un groupe industriel, qui est à l'aise dans le développement de grands projets, la construction de grandes installations, leur exploitation dans le cadre de contrats à très long terme. Dans l'une de nos filiales, Ineos, la taille moyenne du contrat est de 10 000 euros. Il s'agit donc de petites activités.

Nous n'avons pas chez nous les savoir-faire pour gérer des activités aussi capillaires. C'est le constat que l'on fait aujourd'hui. Il n'est pas simple d'avoir des centrales nucléaires dans notre portefeuille d'activités et des gens qui réalisent des opérations de maintenance dans des immeubles, dont les facturations sont de l'ordre de quelques milliers d'euros. Ce sont des métiers très différents. Pour moi, il ne s'agit pas d'un démantèlement mais, au contraire, d'un renforcement d'Engie sur les métiers les plus importants.

La vente est-elle irrévocable ? Oui, la vente a été exécutée. C'était l'originalité de la proposition de Veolia : elle pouvait se faire très simplement. Elle n'était soumise à aucune forme d'autorisation. Sauf à imaginer une décision de justice qui casserait cette vente - mais je ne vois franchement pas sur quelle base une telle décision pourrait être prise - la vente est réalisée aujourd'hui.

La décision du tribunal judiciaire de Paris ne remet pas en question la vente mais demande de surseoir aux effets de celle-ci. Nous nous sommes demandé ce que cela signifiait. Pour Veolia, même si je ne suis pas sûr que cela leur plaise beaucoup, cela signifie qu'ils ne peuvent pas exercer les droits du propriétaire et ne peuvent pas voter en assemblée générale - mais il n'y en aura probablement pas très rapidement. Pour Engie, nous ne savons pas vraiment ce que la décision implique. Le texte nous semblant quelque peu ambigu, nous avons fait appel de cette décision pour obtenir des clarifications. Ce n'est pas Engie qui peut aller présenter le projet de Veolia devant les instances de Suez.

Vous comprenez la difficulté de l'exercice : au fond, la question qui est posée à travers cette décision est de savoir si le projet de rachat de 29,9 % et l'idée de prendre le contrôle et d'intégrer les deux sociétés forment un tout et nécessitent une consultation immédiate du comité social et économique ou si, au contraire, il s'agit de deux projets successifs ; auquel cas, le premier n'a pas vocation à donner lieu à consultation. Nous avons une décision de justice et un appel a été formé. On verra ce qu'il en est dans les prochains jours.

Vous m'avez demandé, d'une manière assez imagée, les raisons pour lesquelles on aurait « jeté en pâture » Suez. Aurions-nous pu faire les choses différemment ? A posteriori, oui, bien sûr. Cela étant, le conseil d'administration de Suez et le management ne nous ont pas beaucoup aidés dans cet exercice.

Malgré toute l'estime que j'ai pour Philippe Varin, que je connais depuis longtemps, et pour Bertrand Camus, qui est un dirigeant de grande qualité, malgré les appels à se préparer à la situation lancés depuis presque dix-huit mois, je crois qu'ils n'ont pas compris qu'elle pouvait se cristalliser et que les choses pouvaient avancer vite.

Pourquoi ne les a-t-on pas davantage accompagnés ? Je pense qu'ils souhaitaient garder leurs distances et leur indépendance et ne désiraient pas qu'on les prenne par la main.

On aurait peut-être pu faire les choses différemment, j'en conviens. Je suis de ceux qui pensent qu'il faut faire preuve d'esprit critique, y compris sur ses propres décisions. On aurait peut-être pu avoir un processus beaucoup plus formalisé le 30 juillet...

Très franchement, pour moi, à cette date, ce sujet n'était pas sur le haut de la pile. J'avais le sentiment que ce qu'on s'apprêtait à faire dans nos activités de service était plus important et plus complexe. On était directement à la manoeuvre. Je nous voyais plutôt passer notre automne à travailler sur ce sujet. J'ai été un peu surpris par l'offre de Veolia.

Il existe toutefois des règles du jeu dans le monde des affaires : quand vous voulez vendre un actif et que quelqu'un fait une offre, il faut se déterminer. Quand l'offre est bonne, il n'est pas facile pour un conseil d'administration de la refuser.

S'agissant de nos activités de services, je ne reviendrai pas sur tous les détails, mais nous avons annoncé, hors de ce projet, rechercher un acquéreur pour Endel, qui réalise des activités d'entretien en milieu nucléaire, mission très spécialisée qui emploie des personnes très qualifiées. Il exerce ses activités d'entretien industriel dans un environnement concurrentiel très fort. Nous recherchons donc un acquéreur pour cet ensemble, qui est très loin de nos métiers, y compris des métiers de services que j'évoquais tout à l'heure.

Les activités d'efficacité énergétique vont rester chez Engie. Cofely a en particulier vocation à être maintenue dans le périmètre d'Engie. Nous souhaitons conserver tout ce qui a trait aux problématiques d'optimisation des consommations d'énergie de nos clients, qu'il s'agisse d'entreprises ou de collectivités locales.

Les activités qui font l'objet de cette revue stratégique sont des activités d'installation - qui peuvent concerner les systèmes électriques dans les bâtiments -, de maintenance, de facility management - donc de gestion d'immeubles -, qui sont loin des métiers de l'énergie et pour lesquelles nous n'avons pas réussi, au fil des années, à créer des synergies suffisantes.

Nous aurons l'occasion, la semaine prochaine, lors de la présentation de nos résultats, d'en préciser un peu plus le périmètre. Le découpage, dans son principe, est très simple : tout ce qui touche à l'efficacité énergétique reste chez Engie, ce qui représente le tiers de nos activités de services, soit 7 milliards d'euros.

Ce qui ne concerne pas l'efficacité énergétique a en revanche vocation à constituer cette nouvelle société dont je disais, tout à l'heure, que les activités ressembleraient beaucoup à celle de Spie.

Pouvez-vous disposer du procès-verbal du conseil d'administration ? A priori, un procès-verbal est confidentiel. Existe-t-il des conditions dans lesquelles le Sénat pourrait nous le demander, et qui nous obligeraient à le lui donner ? Je donne ma langue au chat sur ce point. Je sais que les pouvoirs des commissions peuvent être importants, mais ce document n'est pas public. Si vous pouviez le lire, vous y verriez une succession d'expressions de très grande qualité de la part d'administrateurs qui se sont vraiment posé la question, en leur âme et conscience, de savoir ce que devait être leur position face à un tel sujet.

On a tous senti la gravité du moment et compris qu'on prenait une décision lourde de conséquences. J'ai été impressionné par la qualité de l'expression de nos collègues, qu'elle qu'ait été leur position. Ce sont des positions réfléchies.

La question ne m'a pas été posée, mais la presse s'en est fait souvent l'écho : on a parlé du fait que deux administrateurs salariés étaient sortis de la salle. Cela donnait une ambiance de pièce de boulevard, alors qu'un conseil d'administration est bien plus sérieux que cela.

La réalité est assez simple. Aujourd'hui, contrairement aux assemblées générales, la loi prévoit que, dans les conseils d'administration, l'abstention est considérée comme un vote contre. Quand quelqu'un veut réellement s'abstenir et être neutre face à une décision, il ne prend pas part au vote. Cela se produit assez régulièrement chez Engie. Quand j'ai été nommé président du conseil d'administration, un des représentants salariés n'a pas voulu s'exprimer. Il n'a pas pris part au vote. C'est une vraie position de neutralité, alors que s'il s'était abstenu, cela aurait été considéré comme un vote contre.

Étant donné l'importance des enjeux du conseil d'administration du 5 octobre, et pour éviter toute ambiguïté, j'ai effectivement demandé aux administrateurs qui ne prenaient pas part au vote de sortir de la salle, d'où les échos publiés dans la presse.

Quelles sont les procédures ouvertes aujourd'hui ? Il y a tout d'abord la procédure de référé devant le tribunal judiciaire, qui fait l'objet d'un appel, dont la première décision a été en effet de considérer que les effets de la vente étaient suspendus tant que les consultations n'avaient pas eu lieu.

En matière de droit boursier, Suez a sollicité l'Autorité des marchés financiers, qui a réuni son collège pour savoir si nous étions déjà dans une période de pré-offre ou non. Si l'on avait été en période de pré-offre, l'opération n'aurait pas été possible. Le collège s'est exprimé avec clarté, confirmant la position prise par les équipes de cette institution.

Suez a fait appel de cette décision du collège, qui sera jugée dans quelques mois. J'avoue que je me perds un peu en conjectures sur ce que seraient les conséquences d'une décision en appel qui ne soutiendrait pas la position prise par le collège.

Pour ce qui est du droit de la concurrence, Veolia a consulté la Commission européenne, ce que nous avons également fait. Selon les retours que nous avons eus, cette approche en deux étapes était conforme au droit européen. La cour compétente peut s'exprimer sur le sujet, mais nous avons le sentiment que les procédures en première instance, à l'exception de la consultation du comité social et économique, soutenaient le fait que l'approche de Veolia était acceptable.

Quant à la saisine du parquet national financier, je ne sais ce que celui-ci pourra décider. Je n'ai aucun commentaire à ajouter à ce sujet. J'avoue avoir du mal à voir l'accroche pénale sur ce sujet.

Un sénateur a indiqué, à propos des 3,4 milliards d'euros, que nous disposions de 30 milliards de ressources. Remettons les choses en perspective : les deux chiffres ne décrivent pas la même chose. Les 30 milliards d'euros représentent la trésorerie disponible. Demain, le groupe, en faisant la somme de ce qu'il a dans ses comptes en banque et des engagements qu'ont pris les banques de lui prêter de l'argent, peut mobiliser 30 milliards d'euros. Notre liquidité est très forte parce que nous sommes un grand groupe, que notre bilan solide et que les agences de notation nous ont donné des notes favorables.

Les 3,4 milliards d'euros représentent quant à eux le montant des capitaux investis dans Suez, que l'on va pouvoir investir ailleurs. Il faut le comparer à nos budgets d'investissement, de 6 milliards d'euros par an. Cette simple opération permet donc d'augmenter de 50 % nos budgets d'investissement pour une année.

Au total, on a annoncé, lorsque l'on a clarifié nos orientations stratégiques, fin juillet, que nous voulions être capables de mobiliser 8 milliards d'euros supplémentaires pour accélérer nos investissements. 3,4 milliards d'euros représentent ainsi 40 % de ce total. Cette somme est la bienvenue, mais le groupe n'est pas dans l'obligation, comme d'autres peuvent l'être dans cette période de crise, de générer du cash pour continuer son exploitation. Notre situation est très solide.

Y a-t-il eu des échanges avec les dirigeants de Veolia ? Je me suis exprimé avec une totale clarté sur le sujet. Le seul contact qui a eu lieu avec les dirigeants de Veolia depuis le début de l'année 2020 - sauf peut-être une rencontre fortuite avec Antoine Frérot qui préside l'Institut de l'entreprise, où il m'arrive d'aller de temps en temps - a été un échange deux ou trois jours après la présentation de nos résultats, fin juillet. Antoine Frérot m'a alors dit qu'il avait entendu ce que nous disions à propos de notre participation dans Suez. Il m'a précisé que cela l'intéressait, qu'il allait réfléchir et qu'il viendrait nous voir quand il aurait quelque chose de concret à nous proposer.

Il n'y a eu aucune discussion ou préparation, et j'ai été à nouveau surpris, le 30 août, lorsque la proposition a été structurée comme elle l'était. Pour l'anecdote, lorsque ce rendez-vous a été organisé, un dimanche, alors que la demande m'en avait été faite le jeudi, je me suis retourné vers le directeur financier d'Engie pour lui demander si des banques avaient mandat pour nous conseiller sur ce sujet. La réponse a été négative, et nous avons choisi nos banques le lundi suivant. Nous n'avions pas travaillé sur ce sujet.

M. Daniel Gremillet, président. - Si je comprends bien, en cet instant, Veolia, dans le cadre de l'assemblée générale, peut renverser le conseil d'administration...

M. Jean-Pierre Clamadieu. - C'est un tout petit peu compliqué. En droit des sociétés, c'est le conseil d'administration qui dirige la société, mais il existe un rendez-vous annuel, celui de l'assemblée générale, où les actionnaires retrouvent leur rôle.

Antoine Frérot l'a dit hier dans une interview au journal Le Monde. Cette possibilité existe. Ils peuvent constituer un groupe d'actionnaires qui décidera que le conseil d'administration ne défend pas leurs intérêts et qu'il est urgent d'en changer. Cela nous rappelle une autre affaire dont on parle sur la place de Paris, qui concernait l'avenir de Lagardère, où certains actionnaires exprimaient une forme de mécontentement et demandaient aux tribunaux de convoquer une assemblée générale ce qui, dans le cas de Lagardère, a été refusé.

Il est très difficile d'obtenir la convocation d'une assemblée générale extraordinaire, mais il y a au printemps un rendez-vous annuel auquel ils ne pourront échapper.

Je suis persuadé que, d'ici là, une négociation aura véritablement été engagée. Je ne l'ai pas dit mais, entre le 30 septembre et le 5 octobre, ayant obtenu un délai supplémentaire pour Veolia avant de rendre notre réponse, j'ai pris l'initiative, à la demande de Bruno Le Maire, de réunir Antoine Frérot et Philippe Varin. Nous avons eu une série d'échanges assez intenses pendant trois ou quatre jours. J'ai eu le sentiment qu'il existait une véritable dynamique de négociation et qu'on aurait pu aboutir à un accord dans cette période.

Cela ne s'est pas concrétisé pour diverses raisons. Les conseils d'administration - celui de Suez en particulier - n'étaient peut-être pas prêts à entériner une forme d'accord, voire de dialogue, mais il y a eu un vrai débat autour du fait de savoir ce que l'on pouvait faire. Mon regret est de ne pas avoir pu amener cet échange à une conclusion différente.

Vous m'avez interrogé sur nos « solutions clients ». La partie qui a vocation à s'éloigner ne contient pas nos activités d'efficacité énergétique.

Quant au verdissement du gaz, c'est pour nous une priorité. Nos infrastructures gazières ont pendant un certain temps eu vocation à transporter du gaz naturel. C'est essentiel pour l'équilibre énergétique du pays et pour faire face aux pics de demande.

On ne le dit peut-être pas suffisamment mais l'originalité du gaz réside dans le fait qu'il se stocke très facilement et se déstocke très rapidement, ce qui n'est pas le cas de l'électricité.

Par ailleurs, toute l'infrastructure existe : on dispose des stockages souterrains qui, pour certains, représentent en capacité de déstockage l'équivalent de plusieurs tranches nucléaires. Il n'y a là aucun investissement à opérer : s'il fallait remplacer cette infrastructure gazière par des centrales fonctionnant uniquement à la pointe, les montants à investir seraient extrêmement conséquents.

Nous sommes toutefois bien conscients qu'il faut « verdir » ce gaz, à court terme, avec le biogaz - et nous sommes reconnaissants au Sénat des efforts qu'il fait sur ce plan. Nous nous heurtons quelquefois à une vraie difficulté pour expliquer les choses. Il existe un tropisme électrique très fort dans notre pays qui fait ignorer le potentiel du gaz.

À une échéance un peu plus lointaine, l'hydrogène a aussi vocation à entrer dans nos systèmes énergétiques. Certains de nos stockages souterrains se prêtent bien au stockage de l'hydrogène. Certains de nos réseaux peuvent être transformés pour le transport de l'hydrogène.

Par ailleurs, la situation est effectivement complexe en Belgique. Nous opérons sur deux centrales nucléaires, une dans le nord du pays, l'autre dans le sud, soit sept tranches au total. La loi belge dit depuis longtemps que ces tranches doivent s'arrêter en 2025.

Cela étant, deux d'entre elles pourraient être prolongées. Beaucoup de débats ont eu lieu sur l'éventuelle prolongation de ces centrales. Cela fait deux ans et demi que ce pays n'a plus de Gouvernement qui puisse disposer d'une majorité parlementaire. J'explique à tous ceux qui veulent bien m'entendre qu'il est urgent de savoir si l'on veut ou non prolonger ces deux tranches.

Il existe un Gouvernement de plein exercice en Belgique depuis un mois maintenant. Il semble qu'il ait répondu clairement à cette question en disant qu'il ne souhaitait pas prolonger ces centrales, ce qui nous conduit à un certain nombre d'actions concrètes.

Malheureusement, le Gouvernement belge a ajouté qu'il prendrait peut-être une position différente d'ici la fin 2021 s'il s'aperçoit qu'il a du mal à faire face aux problématiques de production d'énergie électrique dans le pays.

Nous avons indiqué au Premier ministre et à ses collègues qu'il sera trop tard pour prolonger la vie de ces centrales. Nous devons prendre une position dans les prochains mois. Préparer l'arrêt d'une centrale nucléaire est une opération très lourde et très complexe, et on ne peut imaginer qu'on nous dise au dernier moment de continuer à produire.

L'enjeu pour la Belgique - et nous sommes également partenaires sur cet aspect des choses - ce sont les capacités alternatives, probablement en gaz.

Le Gouvernement, il y a près de deux ans, avait mis en place un dispositif d'incitation à la création de capacités de production d'électricité à partir de gaz naturel, ce qu'on appelle des mécanismes de capacité. Ce projet n'a pas obtenu l'autorisation des instances européennes et a pris beaucoup de retard.

Le nouveau Gouvernement belge reprend les choses en main. Une sorte de course contre la montre est engagée. Nous produisons aujourd'hui la moitié de l'électricité consommée en Belgique à travers, soit nos centrales nucléaires, soit d'autres installations, et nous souhaitons conserver cette part de marché. Nous serons donc déterminés à répondre aux appels d'offres dès qu'ils seront lancés.

Pour ce qui est du marché de l'eau, je ne me sens pas le plus capable de vous apporter une réponse sur ce que doit être son organisation en France. Le droit de la concurrence fait que Veolia et Suez ne pourront pas consolider leurs activités en France dans le domaine de l'eau, d'où l'autre idée originale de Veolia de venir avec un fonds d'investissement prêt à reprendre l'activité de Suez dans ce domaine.

J'ai le sentiment que cela se traduit de fait par le maintien d'une concurrence. On va passer de trois acteurs, deux stratégiques, un financier, à une situation dans laquelle il y aurait un acteur stratégique et deux acteurs financiers.

Les quelques échanges que j'ai avec ceux qui connaissent bien le marché de l'eau en France me donnent à penser qu'une tendance forte réside dans la « remunicipalisation » de l'eau. Je n'ai pas d'avis sur le sujet, mais cela signifie que l'eau, en France, n'était pas pour Suez un segment de développement prioritaire.

Comme pour beaucoup de créations de champions d'origine française, les règles de la concurrence européenne, que vous semblez d'ailleurs soutenir dans votre question, conduisent à trouver en France un autre mode d'organisation du marché de l'eau par rapport à l'international.

Enfin, le chiffre de 4 000 suppressions d'emplois évoqué par ceux qui étaient hier à cette tribune me paraît manifestement très exagéré. Veolia dit aujourd'hui qu'il garantit l'emploi jusqu'en 2023. Ces métiers de services ne se prêtent pas à des réductions massives d'effectifs. Je crois d'ailleurs que ni les uns ni les autres n'en ont la volonté.

Je trouve quelque peu dommage d'avoir inquiété le corps social de Suez de cette manière. J'ai vu des collaborateurs de Suez réellement inquiets venir manifester au pied de la tour Engie. Je reçois aussi beaucoup de courriels ou de messages via les réseaux sociaux sur ce thème.

Il faut être attentif, quand on a la responsabilité d'une entreprise et que l'on en assume la direction, à ne pas créer d'inquiétudes excessives pour peut-être servir d'autres objectifs. Il est très naturel de vouloir défendre l'indépendance d'une société, même si, à un certain moment, il faut accepter le dialogue avec ceux qui portent d'autres projets. C'est la règle du jeu dans notre économie de marché. Attention cependant à ne pas instrumentaliser le corps social d'une entreprise en agitant des menaces qui provoquent de réelles inquiétudes dans les équipes.

Quel que soit le projet qui prévaudra, qu'il favorise l'indépendance à long terme de Suez ou la création d'un champion comme le propose Veolia, je pense que l'essentiel des collaborateurs et des équipes de Suez y auront un rôle à jouer. Je m'en réjouis au titre des liens historiques d'Engie avec ces activités.

M. Daniel Gremillet, président. -Au nom de la commission des affaires économiques, je vous remercie.

Mme Marta de Cidrac, présidente. - Je vous remercie également de votre participation à cet exercice sur ce sujet de premier ordre.

Nous serons vigilants afin que ce dossier prenne une bonne tournure pour nos territoires.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures 30.

Jeudi 5 novembre 2020

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 15 heures 30.

Projet de loi de finances pour 2021 - Audition de Mme  Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et de M. Joël Giraud, secrétaire d'État chargé de la ruralité

M. Jean-François Longeot, président. - Nous sommes heureux de vous accueillir pour évoquer le budget 2021 de votre ministère ainsi que le plan de relance du Gouvernement, qui comporte plusieurs mesures relatives à la cohésion sociale et territoriale.

C'est avec une certaine émotion que j'introduis cette audition car c'est la première fois que je vous reçois depuis mon élection à la tête de la commission.

Au cours de cette audition, nous évoquerons les crédits du programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » de la mission interministérielle « Cohésion des territoires » ainsi que le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale », qui est stable par rapport à l'année précédente même si la répartition des crédits évolue. Je rappelle également que le Sénat a récemment voté une réforme de la procédure d'octroi de la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), à l'initiative de l'ancien président de notre commission, Hervé Maurey.

Le programme 112 porte la subvention pour charges de service public (SCSP) de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), qui représentait en 2020 environ 70 % du budget de l'Agence. Pour 2021, je constate que la ligne dédiée au soutien à l'ingénierie de projets des collectivités est portée de 10 à 20 millions d'euros, ce qui est positif.

Ce programme porte également les crédits des plans dédiés à la vitalité de nos territoires : « France Services », « Territoires d'industrie », « Tiers lieux », « Action Coeur de Ville », « Agenda rural », « Petites villes de demain » ainsi que le financement des contrats de plan État régions (CPER) et des contrats de plan interrégionaux (CPIER). Ces derniers devraient représenter 38 % des autorisations d'engagement et 44 % des crédits de paiement du programme 112 en 2021, année qui sera marquée par le démarrage de la nouvelle génération des CPER 2021-2027.

Globalement, les crédits du programme 112 sont en baisse, de 15,5 % en autorisations d'engagement et de 5,5 % en crédits de paiement, en dehors d'une augmentation du soutien au déploiement des maisons France Services. Toutefois, pour avoir une image fidèle des crédits dédiés au soutien des projets des collectivités, il convient de se reporter à la mission « Plan de relance », dont la responsabilité est confiée au ministère de l'économie, des finances et de la relance. Ce circuit budgétaire n'est d'ailleurs pas très lisible et j'espère que l'exécution budgétaire permettra de clarifier l'emploi des crédits par ministère, par programme et par action.

Le plan de relance comporte plusieurs lignes liées à l'action de votre ministère. Je pense à l'action 7 « Cohésion » du programme 364, qui contribuera à la contractualisation entre l'État et les collectivités à hauteur de 250 millions d'euros sur deux ans, dont 50 millions d'euros pour l'Outre-mer, mais qui ne prévoit que 45 millions d'euros de crédits de paiement pour 2021. Je pense à l'action 2 « Souveraineté » du programme 363 qui consacre plusieurs centaines de millions d'euros pour favoriser les relocalisations industrielles et accompagner les projets dans des secteurs stratégiques, ou encore à l'action 7 « Infrastructures vertes » du programme 362, qui porte 20 millions d'euros de crédits de paiement dédiés à la résilience des réseaux électriques.

Mes collègues vous interrogeront plus en détail sur ces points, je pense à Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur pour avis des crédits budgétaires dédiés à la cohésion des territoires et à Jean-Michel Houllegatte, rapporteur pour avis sur les crédits budgétaires relatifs à l'aménagement numérique du territoire.

Par ailleurs, mes collègues évoqueront sans doute les crédits du programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements » de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », qui porte les crédits de la DETR et ceux de la Dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), particulièrement importants pour nos territoires. Ces crédits sont stables par rapport à 2020.

Pour ma part, je souhaiterais obtenir des éclaircissements sur la mise en oeuvre du plan de relance. Selon les mots du Premier ministre dans sa circulaire du 23 octobre, la territorialisation du plan de relance est « un gage d'efficacité, d'adaptabilité, d'équité et de cohésion ». C'est la raison pour laquelle nous avons organisé deux auditions sur le sujet en commission ces deux dernières semaines : d'abord nous avons entendu la Banque des territoires puis organisé une table ronde avec des représentants de l'ANCT et des associations d'élus locaux.

Nous attendons encore une circulaire du ministère de l'Économie pour préciser la déclinaison des principes budgétaires et comptables.  En attendant, je m'interroge sur l'attribution des crédits du plan de relance sur le terrain, sur le rôle de l'ANCT dans la mise en oeuvre du plan de relance et sur le rôle de votre ministère dans la mise en oeuvre du plan de relance européen.

Sauf erreur de ma part, la circulaire du Premier ministre du 23 octobre ne mentionne pas l'ANCT en tant que telle, alors que les préfets, délégués territoriaux de l'agence, ont un rôle de premier plan dans l'attribution des crédits. Le plan de relance fait référence à l'ANCT dans sa partie « Dynamiques territoriales et contractualisation », mais la place de l'agence dans le dispositif me semble encore un peu floue. A-t-elle un rôle de coordination ? Est-elle un opérateur comme un autre ? Comment son action s'articule-t-elle avec celle de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ? Je rappelle que nous attendons toujours la transmission des conventions pluriannuelles liant l'ANCT à ses opérateurs partenaires.

Enfin, mes collègues y reviendront, notamment Rémy Pointereau, coauteur d'un rapport sur le sujet en 2019 avec Frédérique Espagnac et Bernard Delcros de la commission des finances : l'avenir des zones de revitalisation rurale (ZRR) reste à écrire. Ce travail est lié à la redéfinition de la géographie prioritaire de la ruralité, que vous avez confiée à l'ANCT et à l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Le rapport des inspections CGEDD-IGA-IGAS-IGF sur l'évolution des dispositifs zonés, notamment les ZRR, vous a été remis en juillet 2020. Il propose une prolongation du dispositif pour au moins un an et recommande d'engager au plus vite des travaux complémentaires d'évaluation. La gouvernance du dispositif est également soulevée. Vous pourrez compter sur notre soutien pour cette réforme nécessaire, à condition qu'elle permette une meilleure reconnaissance des diverses fragilités des territoires ruraux et qu'elle préserve l'esprit des ZRR actuelles.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - Merci Monsieur le Président. Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie pour votre invitation pour présenter le budget 2021 et les grands enjeux de la politique d'aménagement du territoire. Je vous félicite, cher Jean-François pour votre élection à la présidence de cette commission. Je félicite aussi les membres de votre bureau. Je suis également émue de vous retrouver dans cette situation car nous avons siégé ensemble pendant de nombreuses années.

La conjugaison du projet de loi de finances (PLF) 2021 et d'un plan de relance ambitieux sur deux ans nous donne les moyens d'accélérer la mise en oeuvre de nos priorités au coeur des territoires. Les moyens budgétaires du programme 112 « Aménagement du territoire » s'établissent à 291 millions d'euros en autorisation d'engagements, dont 115 millions d'euros dans la mission « Plan de Relance », et à 275 millions d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 83 millions d'euros par rapport à 2020.

Les impacts de la crise sanitaire et les demandes citoyennes en faveur des grandes transitions écologiques et sociales ont mis en lumière la nécessité d'adapter nos priorités stratégiques et nos méthodes d'intervention.

Trois principes structurent notre action et la mobilisation des crédits, en résonance avec l'esprit de la loi « 3D » que je défends : partir des projets de territoires, c'est le principe de subsidiarité, coconstruire avec les acteurs locaux et faire du « cousu main » pour tenir compte des spécificités des territoires.

J'ai pour objectif de répondre à ces enjeux par trois grandes priorités. La première consiste à refonder la relation contractuelle entre l'État et les collectivités territoriales, incarnée dans la nouvelle génération de CPER et de CPIER, mais aussi par d'autres contractualisations, comme les contrats de ruralité qui arrivent à échéance cette année. La prochaine génération des CPER 2021-2027 traduira en actes un nouveau cadre de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales, en se fondant sur les stratégies d'investissement élaborées par les acteurs locaux. Nous avons signé le 28 septembre un accord de partenariat avec les régions. Il ancre durablement cette approche conjointe et coordonnée de l'État et des régions et répond à la crise sanitaire et au besoin de transformation structurelle de notre modèle de développement en soutenant l'investissement public. Ces contrats ne sont pas l'unique vecteur contractuel de la relance de l'activité économique mais ils y contribuent en permettant la mobilisation d'au moins 20 milliards d'euros par l'État et par les régions, soit un total de 40 milliards d'euros.

Les crédits de la relance vont parvenir aux territoires à travers plusieurs canaux. Le premier, c'est la contractualisation, par exemple dans les CPER, précédés d'un contrat de relance et de transition écologique (CRTE) qui s'articulera avec le CPER.

Par ailleurs, ces CPER sont bâtis sur une approche différenciée de thématiques, suivant une logique ascendante partant des priorités stratégiques identifiées conjointement par les préfets et les conseils régionaux. Cette approche remplacera le modèle identique pour toutes les régions qui prévalait jusqu'à maintenant. L'État a bien sûr des priorités, comme la transition écologique ou la réindustrialisation du pays. Toutefois, les régions n'ont pas toutes les mêmes priorités. Par exemple, la région Normandie fait de l'enseignement supérieur une priorité alors que d'autres régions privilégient le développement des hôpitaux ou les transports.

Je rappelle que les CPER ont toujours un volet territorial qui permet de décliner les politiques publiques au niveau des autres collectivités. Le tour de table doit associer, autour du préfet de région et du président de la région, les départements, les intercommunalités et les métropoles.

Par ailleurs, les principes communs de l'accord de partenariat seront déclinés dans chaque région avec les accords régionaux de la relance.

Comme vous le savez, l'enveloppe de 100 milliards d'euros du plan de relance doit être engagée sur deux prochaines années, notamment les 40 milliards d'euros provenant de l'Europe. Ces engagements doivent se poursuivre par une contractualisation classique dans le cadre des CPER.

Les maquettes budgétaires des CPER et des CPIER ont été adressées la semaine dernière aux préfets de régions pour une finalisation d'ici la fin de l'année. Les projets prêts à démarrer pourront ainsi être engagés début 2021. Les contrats de relance seront signés avec le même calendrier. Les procédures de consultation, notamment de l'autorité environnementale, se poursuivront pour une signature définitive au mois de mai ou au mois de juin.

Sur les CPER 2021-2027, la part de l'État, hors relance, progresse de 6 milliards d'euros par rapport à la génération 2015-2020. Ces accords sont bien entendu valables pour l'outre-mer.Au total, 3,7 milliards d'euros sont contractualisés sur le volet territorial des CPER, soit 1,9 milliard d'euros de plus par rapport à la génération précédente, du fait notamment du doublement de l'enveloppe du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) par la DSIL. À cette enveloppe, s'ajoutent 2,5 milliards d'euros de crédits valorisés au titre du plan « France Très Haut Débit » et 451 millions d'euros de crédits de la relance, localisables par région, et qui pourront faire l'objet d'un accord de relance. Ces crédits comprennent 250 millions d'euros sur l'inclusion numérique, 155 millions d'euros d'accélération 2021-2022 du volet FNADT et 40 millions d'euros sur la sécurité des ponts et des ouvrages d'art. Je m'étais engagée sur cette politique devant le Sénat.

La transition écologique est dotée de 4,89 milliards d'euros, dont 3,3 milliards d'euros contractualisés et 1,55 milliard d'euros régionalisés en relance. Environ 1,25 milliard d'euros de la DSIL sont fléchés sur la rénovation thermique des bâtiments publics des collectivités, avec une part pour la rénovation des lycées, des collèges et des écoles.

Environ 4,6 milliards d'euros sont dédiés aux transports, dont 1,7 milliard d'euros contractualisés et 2,53 milliards d'euros régionalisés en relance, notamment sur les petites lignes et sur le fret.

Enfin, 2,86 milliards d'euros reviennent à la santé, au titre des investissements publics du fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés et du fonds d'intervention régional pour la télé médecine et les maisons de santé.

Au-delà des CPER, nous associons les autres niveaux de collectivités territoriales à ce nouveau cadre contractuel, avec notamment les CRTE. Ils sont conçus avec la ministre de la transition écologique et lient transition écologique et cohésion territoriale. Ils seront conclus à l'échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) par les préfets et les acteurs locaux, sous forme d'avenants aux contrats de ruralité ou de contrats uniques de transition écologique (CTE). Les élus sont demandeurs de politiques contractuelles mais ont besoin de simplification. Les contrats de ruralité se terminent cette année et il est possible de faire évoluer leur périmètre car des territoires ont changé d'intercommunalités et de nombreux pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) sont apparus.

La deuxième priorité est d'accroître nos efforts à destination des territoires fragiles avec le déploiement de l'ANCT et de l'Agenda rural. Notre volonté est d'accompagner les territoires en ingénierie financière, technique et juridique sur leurs propres projets ou sur des politiques publiques comme France Services.

Les maisons « France Services » accompagnent les citoyens dans leurs démarches au coeur des territoires, en regroupant au moins dix partenaires, nécessaires pour obtenir la labellisation « France Services ». Cette politique s'appuie sur les collectivités territoriales puisqu'elles portent environ la moitié de ces maisons, souvent au niveau des intercommunalités. Nous avons également d'autres partenaires, comme La Poste qui participait déjà aux maisons de services au public (MSAP) lancées par Manuel Valls. Nous travaillons aussi avec la Mutualité sociale agricole (MSA) qui porte des maisons « France Services ».

Depuis le mois de février, 856 structures ont été labellisées « France Services ». Nous espérons atteindre 1 000 maisons d'ici la fin de l'année.

L'accompagnement sur le très haut débit est très important. Les premières collectivités bénéficiant du programme « Petites villes de demain » vont être accompagnées en ingénierie par l'ANCT. Ce programme vise les communes de moins de 20 000 habitants, qui jouent un rôle de centralité sur un territoire et qui ont besoin d'un soutien de l'État. Il existe en effet de nombreuses petites villes très prospères. 45 millions d'euros sont dédiés à l'accélération du déploiement des tiers lieux, lancé début 2020, dont 33 millions sur deux ans inscrits en relance. 250 millions d'euros sont consacrés à l'inclusion numérique, notamment pour déployer des conseillers numériques sur les territoires. Ces conseillers numériques ne viendront bien évidemment pas de Paris mais seront issus des territoires. Je rappelle que 13 millions de personnes rencontrent des difficultés avec le numérique.

Enfin, la troisième priorité est de permettre à l'ensemble des territoires d'exprimer leur potentiel en matière d'attractivité, de qualité de vie et de développement. Pour les accompagner, nous avons créé le programme « Action coeur de ville ». Depuis son lancement, 1,5 milliard d'euros été dépensés et de nouvelles opérations de revitalisation des territoires (ORT) sont en cours d'élaboration. Je vous rappelle également que les ORT ne sont pas limitées à « Action coeur de ville ». Il est possible de lancer une opération de revitalisation du territoire, qui offre un certain nombre d'avantages, dans des intercommunalités, sur une ou plusieurs communes, pour développer un projet.

Le programme « Territoire d'industrie » est piloté avec la ministre déléguée à l'Industrie. Nous recensons la disponibilité du foncier, les compétences et la mobilité des salariés. Aujourd'hui, 70 % de l'impôt industriel se situe en dehors des grandes agglomérations et 71 % des investissements industriels étrangers sont localisés dans des communes de moins de 20 000 habitants. Ces chiffres montrent que nous pouvons être optimistes pour un certain nombre de territoires. Le programme bénéficie de 1,3 milliard d'euros, avec une enveloppe de la Banque des territoires de 26 millions, et du FNADT qui permet le cofinancement des chefs de projet. Nous soutenons les projets de ce programme avec de l'investissement à travers la DSIL et ils pourront être valorisés dans les CPER.

Le budget du ministère et le plan de relance prévoient un fonds de soutien aux investissements industriels dans les territoires d'environ 400 millions euros. Ce fonds sera opéré par Bpifrance en copilotage État / régions pour la sélection les projets. Au 12 octobre, 174 projets d'investissement ont fait l'objet d'une présélection. Ils couvrent 13 régions et 50 % se situent dans des territoires fragiles, 42 en zone de revitalisation rurale (ZRR), 38 dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et 18 dans une ville « Coeur de ville ». L'impact économique de ces 174 projets représente près de 800 millions d'euros d'investissement industriel et 3 800 créations d'emplois. Ce sont des politiques qui sont menées par l'ANCT en coopération avec le ministère de l'Économie.

La territorialisation du plan de relance passe par la contractualisation, par les politiques publiques « Territoires d'industrie », « Action coeur de ville », « Petites villes de demain », et par les enveloppes données aux préfets. Une partie des financements du plan de relance est déconcentrée entre les mains des préfets de région et de département. Aujourd'hui, sur les 100 milliards d'euros du Plan de relance, 16 milliards d'euros sont affectés aux politiques à destination des territoires, sans compter la baisse des impôts de production.

M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. - En complément des propos de Madame la ministre, quelques mots sur l'Agenda rural et sur le programme « Montagne » que nous venons de lancer.

Le gouvernement a fait le choix de la territorialisation de la relance, donc de la confiance aux territoires. Il aurait pu décider de lancer de grands appels à projets sur la base de programmes définis au niveau national. Il a préféré déconcentrer au maximum la gestion des crédits. Ces choix sont plutôt bien accueillis par les territoires comme nous avions pu le constater à l'époque où nous faisions des voyages officiels.

Le reconfinement ne doit pas ralentir notre action pour la ruralité. Nous entendons la poursuivre et l'accélérer par la mise en oeuvre de la deuxième phase de l'Agenda rural. Vous connaissez tous la genèse de cet agenda et les 181 mesures adoptées, dont quelques-unes viennent d'être citées par la ministre, comme « France Services » ou « Petites villes de demain ». L'Agenda rural est une politique interministérielle, financée par de multiples programmes du budget général. Nous bénéficions d'une enveloppe de 20 millions d'euros supplémentaires sur deux ans. Nous pourrons ainsi développer des politiques incitatives avec d'autres ministères pour que des pans entiers qui n'avaient pas forcément été mis en oeuvre dans le cadre de la première phase de l'Agenda rural puissent l'être. C'est la première fois qu'une enveloppe spécifique est dédiée à l'atteinte des objectifs de ce programme. Ces crédits n'épuisent pas les ressources dont bénéficiera la ruralité puisque les dotations DSIL représentent 2 milliards d'euros. Nous avons beaucoup insisté pour que la fongibilité soit totale avec la DETR d'un milliard d'euros pour les territoires ruraux. Les dispositifs sont cumulables, contrairement à ce que certaines préfectures ou commissions d'élus ont pu laisser entendre. Nous le répéterons dans les circulaires.

La moitié des 181 mesures de l'Agenda rural ont été lancées ou mises en oeuvre. Elles améliorent vraiment le quotidien des habitants comme les tiers lieux, les maisons « France Services » ou le programme « Petites villes de demain ». L'entrée en vigueur en 2019 des lois d'orientation des mobilités (LOM) et « Engagement de proximité » a permis d'accélérer la mise en oeuvre de beaucoup de mesures de cet agenda.

Enfin, pour tenir compte de la crise sanitaire et inscrire définitivement les territoires ruraux au coeur de la relance, nous lançons le deuxième acte de l'Agenda rural. Un Comité interministériel de la ruralité est programmé le vendredi 13 novembre. Nous aurions souhaité organiser une réunion plus interactive avec l'Association des maires ruraux de France mais la situation sanitaire ne nous le permet pas.

Les volets « jeunesse », « santé », « numérique » et « mobilité », que certains élus voulaient accélérer, sont considérés comme des priorités absolues par le président de la République et le Premier ministre pour la phase 2 de l'Agenda rural. Les crédits de la relance vont nous donner les moyens de poursuivre la mobilisation exceptionnelle de l'État en faveur des territoires ruraux.

Il y a souvent, dans la ruralité, des intercommunalités avec d'anciens cantons et donc plusieurs centres-bourgs qui sont tous en difficulté. Dans le cadre du programme « Petites villes de demain », il sera possible de regrouper, sous une égide intercommunale, plusieurs petites villes de demain. Nous pourrons ainsi répondre aux attentes de certains chefs-lieux de canton qui sont désormais inclus dans des intercommunalités beaucoup plus larges.

Le Premier ministre a officiellement lancé le programme « Montagne » lors du Congrès de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) le 15 octobre à Corte, avec un pilotage de l'ANCT et la mobilisation des commissaires de massif. Ce programme apporte un appui opérationnel à la diversification économique et touristique sur tous les territoires, pas seulement pour les stations de sports d'hiver.

Tous les territoires doivent bénéficier de cette politique publique. Parallèlement aux CPIER et aux programmes opérationnels dotés de moyens constants, nous disposons maintenant d'un programme national. Il était important de réaffirmer le caractère national de la modernisation de l'accueil touristique en montagne.

Enfin, le Premier ministre a pris la décision de soutenir la prorogation pendant deux ans des zones de revitalisation rurale, si bien sûr le Parlement le décide, puisqu'il s'agit d'un amendement du Gouvernement, qui sera soumis demain à l'Assemblée nationale avant d'être soumis au Sénat dans le cadre du projet de loi de finances. Nous devrons profiter de ces deux ans pour bâtir un avenir pour l'ensemble de ces zones, pas seulement les ZRR. De nombreux travaux ont été menés, certains par le Sénat. Je salue la mémoire du sénateur Alain Bertrand qui avait une vision extrêmement intéressante de ces questions.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je vous remercie, Madame la ministre, Monsieur le ministre, pour votre présence. Les baisses constatées dans le programme 112 sont globalement compensées par des fonds du plan de relance : c'est positif mais peu lisible et nous devrons nous assurer que les moyens du programme 112 retrouvent en 2022 leur juste niveau.

Je souhaiterais obtenir des précisions sur la méthode de mise en oeuvre du plan de relance et de la comitologie associée. Côté ANCT, la loi a prévu la mise en place d'une part, d'un comité local de cohésion territoriale à l'échelle départementale autour des élus et du délégué territorial et, d'autre part, d'un comité national de coordination qui regroupe les opérateurs partenaires de l'ANCT et doit notamment assurer le suivi des conventions pluriannuelles. Le décret de novembre 2019 a ajouté un comité régional des financeurs associant les représentants locaux des opérateurs membres du comité national de coordination, qui n'était pas prévu par la loi.

Côté plan de relance, la circulaire du Premier ministre en date du 23 octobre prévoit la création d'une part d'un comité de pilotage et de suivi dans chaque région.

Aussi, je m'interroge : n'y a-t-il pas doublon entre les comités pilotés par l'ANCT et ceux du plan de relance ? N'y a-t-il pas un risque que les premiers soient délaissés au profit des seconds ? Il serait pertinent que les comités ANCT et les comités plan de relance soient les mêmes. Nous éviterons ainsi de passer trop de temps en réunion et l'action du gouvernement sera plus efficace.

Deuxième point, la prime d'aménagement du territoire (PAT) est en état de « mort budgétaire » si je puis dire, malgré les demandes des sénateurs visant à conserver cet outil qui a fait ses preuves. Je souhaite obtenir des précisions sur le programme « Territoires d'industrie », qui bénéficiera de 1,3 milliard d'euros d'ici à 2020. Je suppose que le soutien apporté aux territoires d'industrie remplace la PAT. Cette dernière était accessible à l'ensemble des territoires, y compris les territoires d'Outre-mer, alors que seuls 148 territoires ont été choisis dans le cadre du programme « Territoires d'industrie ». Concrètement, de quels programmes et opérateurs proviennent ces crédits ? Vous avez indiqué que la DSIL pourrait être mobilisée. Quelles sont précisément les aides apportées par l'État et quel est le montant moyen des aides financières attribuées aux porteurs de projets ? Comment sont sélectionnés les projets, par appels à projets ou en partant des situations locales ? Une ligne de 205 millions d'euros de crédits de paiement est inscrite dans le plan de relance pour les territoires d'industrie. Toutefois, une autre ligne dotée de 240 millions d'euros de crédits de paiement est prévue pour la sécurisation des approvisionnements stratégiques et il est indiqué que 5 appels à projets ont déjà été lancés.

Le Gouvernement prévoit-il d'accorder, en fonction des demandes des collectivités sur des implantations industrielles, un soutien financier à ces territoires ou a-t-il décidé de s'en tenir uniquement aux 148 territoires sélectionnés, alors que la France compte plus de 35 000 communes ?

Troisième point : les conventions pluriannuelles de l'ANCT. Nous avons récemment entendu des représentants de l'ANCT dans le cadre d'une table ronde avec certaines des associations d'élus locaux. Je rappelle à cet égard que nous attendons toujours les conventions pluriannuelles conclues entre l'agence et ses opérateurs partenaires, qui doivent être transmises au Parlement. Il est important que nous prenions connaissance des grandes lignes de ces conventions et des moyens financiers et humains inscrits pour chaque territoire.

Enfin, en avril 2019, le président de la République a fixé un objectif de création d'une maison « France Services » par canton d'ici 2022, soit 2 000 maisons. Au 1er octobre 2020, 856 structures ont été labellisées et couvrent 674 cantons. Votre ministère a annoncé que l'objectif fixé par le président de la République serait atteint avant la fin du quinquennat, je m'en réjouis. Les crédits dédiés à « France Services » au sein du programme 112 passent de 18,5 à 28,5 millions d'euros. Quels sont les objectifs 2021 et 2022 en nombre de labellisations ? Quelle est la localisation de ces nouvelles maisons ? Ces maisons fonctionnent bien et il faut montrer comment les territoires peuvent se les approprier.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Nous ne connaîtrons pas de problèmes de moyens en 2021. En revanche, nous risquons de rencontrer des difficultés d'engagement. Nous devons donc aller très vite. Il y a de grandes incertitudes sur la date des prochaines élections régionales. Risquent-elles de perturber le calendrier de contractualisation ?

Sur les CPER, qu'en est-il des fonds structurels européens que vous n'avez pas mentionnés ? Pour le fonds européen de développement régional (FEDER), les régions sont autorités de gestion et pour le fonds social européen (FSE), l'État conserve 65 % de la gestion.

Les 40 milliards d'euros provenant du plan de relance européen et à engager au cours des deux prochaines années sont-ils assortis de contraintes particulières ? L'Europe est très généreuse mais elle a aussi ses propres priorités. Ainsi, dans nos régions, nous avons pu rencontrer des difficultés d'engagement sur l'économie de la connaissance.

Vous avez annoncé que des enveloppes allaient être déconcentrées dans les mains des préfets. Quelle gouvernance avez-vous prévue ?

Vous préconisez du « cousu main ». Qui va tenir l'aiguille ? Comment les élus locaux vont-ils être associés à la mise en oeuvre de ce plan de relance et de ces contrats de relance et de transition écologique (CRTE) ? Les élus locaux sont dans l'attente des modalités de mise en place de cette gouvernance locale.

M. Rémy Pointereau. - Tant que le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI) n'a pas été validé par la préfecture, le Plan d'occupation des sols (POS) n'est pas valable et les communes sont soumises au Règlement national d'urbanisme (RNU). Ce n'est pas logique alors qu'elles disposent d'un document d'urbanisme. Il est nécessaire de trouver une solution rapide pour mettre un terme à cette situation. J'ai déposé une proposition de loi en ce sens, j'espère qu'elle sera adoptée par le Sénat et par l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas récupérer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les travaux d'enfouissement des réseaux téléphoniques et numériques car ils sont considérés comme des dépenses de fonctionnement et non d'investissement. Compte tenu de tous les travaux qui sont faits, pour la fibre mais aussi pour l'enfouissement des réseaux dans les coeurs de bourg, les sommes sont considérables pour les communes rurales. Depuis un ou deux ans, nous avons posé plusieurs questions sur ce sujet, des questions écrites, orales, pour lesquelles nous n'avons pas eu de réponses. Envisagez-vous un dispositif qui permettrait aux collectivités de récupérer la TVA sur ces travaux ?

La crise sanitaire se traduira par une diminution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Elle aura de lourdes conséquences sur les territoires les plus fragiles et sur le Fonds national de péréquation qui finance en grande partie la mission de l'aménagement du territoire de La Poste. Comment comptez-vous garantir la continuité de cette mission et trouver des financements ?

Vous avez évoqué la prolongation des ZRR. Quels moyens avez-vous prévus pour l'accompagner ? Ces ZRR constituent un levier important pour relocaliser. Il est indispensable que les fonds atteignent les territoires ruraux et ne soient pas réservés aux métropoles.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je suis d'accord avec Louis-Jean de Nicolaÿ pour que le programme 112 retrouve son niveau habituel dès 2022. Dans le cadre des négociations avec Bercy, j'ai fait inscrire que le niveau de départ de ce programme était celui de 2020.

L'ANCT a passé des conventions d'une durée de trois ans avec le Centre d'études et d'expertises sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence nationale de rénovation urbaine (Anru), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Ces opérateurs lui apportent une assistance technique.

Par ailleurs, l'ANCT a lancé un marché pour des supports d'ingénierie privée. Ce marché à bons de commande a deux volets, un volet géographique et un volet technique. Si une collectivité a besoin de compétences en hydrologie, par exemple parce que le Loir déborde chaque année au Lude, l'ANCT trouvera le spécialiste, soit au Cerema, soit parmi les cabinets privés retenus dans le marché.

Le programme « Territoires d'industrie » peut bien sûr évoluer. Quand nous sommes arrivés, la PAT représentait 20 millions d'euros par an. Nous l'avons portée à 400 millions d'euros.

Les comités locaux de cohésion territoriale sont inscrits dans la loi créant l'ANCT. Je vous rejoins concernant le plan de relance, nous devons utiliser les structures existantes, peut-être en ajoutant les collectivités et organismes qui n'en font pas partie. Je vais transmettre un message en ce sens aux préfets.

Notre objectif est de créer 2 500 « France Services » d'ici 2022, dont 1 000 fin 2020 et 1 800 fin 2021. Des MSAP ont été labellisés « France Services », après mise à niveau de leur offre. Celles qui ne l'ont pas encore fait disposent de deux ans pour y parvenir. Enfin, des structures sont créées sur des territoires sans MSAP. C'est un travail que les élus locaux conduisent avec les préfets, mais aussi avec La Poste et la MSA qui peuvent porter des maisons. L'Agirc-Arrco est depuis peu un nouveau partenaire au sein des maisons « France Services », aux côtés de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). Le ministère de l'Intérieur est favorable à l'accueil de maisons « France Services » dans des sous-préfectures, comme nous l'avons fait dans l'Essonne.

Au niveau européen, l'année 2021 correspond à la nouvelle génération des fonds structurels de cohésion. J'ai présidé avec le président de l'Association des régions de France (ARF) et le ministre des Affaires européennes un comité il y a dix jours. L'enveloppe de fonds structurels augmente par rapport à la génération précédente de 1 milliard d'euros, à 22 milliards d'euros. Ces fonds s'ajoutent aux 40 milliards d'euros du plan de relance. Je précise qu'environ 20 % de l'enveloppe de la génération de fonds structurels de cohésion qui se termine cette année restent à consommer, en moyenne, dans chaque région.

À ces 20 % et aux 40 milliards d'euros du plan de relance s'ajoute le fonds REACT-UE doté de 4 milliards d'euros qui vont directement dans les régions. Nous disposons également du Fonds pour une transition juste pour les dix départements qui ont fermé des centrales à charbon, en lien avec la décarbonisation et la transition industrielle.

L'enjeu n'est donc pas le manque de moyens mais la coordination de ces dispositifs pour la plus grande efficacité possible. Les régions jouent un rôle important dans la gestion de ces fonds puisqu'elles sont organismes de gestion dans les territoires, même si le FSE est en partie géré par l'État.

« Relance » est bien un label, nous voulons que les dispositifs se mettent en place rapidement. Je suis récemment allée dans le Gers pour installer une commission départementale de la relance comprenant le président du département, un représentant de la région, les représentants des intercommunalités, le président de la Chambre des métiers et de l'artisanat, le président de la Chambre d'agriculture et le président de la Chambre de commerce et d'industrie. Au niveau régional, le comité de la relance est présidé par le président et le préfet de la région.

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - La circulaire du Premier ministre sur le plan de relance précise le rôle des chambres consulaires.

Le fonds de péréquation de La Poste sera parfaitement stable par rapport aux années précédentes. En effet, si la baisse des recettes de la CVAE va diminuer le montant du fonds, cette diminution sera compensée. Un amendement de coordination budgétaire permettra d'affecter les 66 millions d'euros ainsi économisés à ce fonds de péréquation.

Sur les PLUI, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) de 2001 avait lancé la mise en oeuvre d'un certain nombre de dispositifs. La question du retour au RNU s'est posée en cas de dépassement de la date limite pour délibérer pour les PLUI qui était fixée au 31 décembre 2015. Ce délai a été reporté par la loi « Engagement et proximité » jusqu'au 31 décembre 2020. Aujourd'hui, seules 500 communes restent concernées par cette question et risquent de basculer dans le champ du RNU. J'ai posé la question à quelques communes qui m'ont répondu qu'elles préféraient retomber dans le RNU. Je ne vois pas comment un texte pourrait être adopté définitivement d'ici la fin de l'année pour reporter une nouvelle fois l'échéance du 31 décembre. Par ailleurs, les PLUI me semblent très utiles pour mettre en cohérence certaines règles dans les territoires, notamment par rapport aux objectifs de développement durable.

Pour les ZRR, les crédits restent stables et ils sont prolongés de deux années supplémentaires.

La question de la TVA sur les travaux d'enfouissement est complexe. Une jurisprudence du Conseil d'État de 2013 ouvre la possibilité de prévoir, avant le début des travaux, par voie conventionnelle avec les opérateurs de réseaux, la récupération de cette TVA par la collectivité territoriale. Nous étudierons les cas que vous nous soumettrez. La question s'est posée pour des enfouissements électriques et la TVA a pu être récupérée via cette disposition du Code général des impôts peu utilisée. Malheureusement, si le dispositif n'est pas prévu dans la convention initiale, le Conseil d'État retoque toutes les demandes. Il est indispensable que les collectivités soient mieux informées de cette possibilité conventionnelle.

M. Rémy Pointereau. - Il me semble que vous avez oublié de mentionner que le PLUI nécessite plusieurs années avant d'être mis en place. Pendant ce temps, les communes sont soumises au RNU.

M. Guillaume Chevrollier. - Je veux insister sur la situation compliquée des territoires avec la crise sanitaire et la crise économique et sociale. Je crains le télescopage du plan d'urgence sanitaire avec le plan de relance de l'économie qui doit être mis en place très rapidement.

Vous avez fait état de la territorialisation et vous savez qu'il faut davantage de simplicité. Je profite de cette audition pour relayer la demande des collectivités quant au soutien à l'ingénierie et à la simplification des circuits budgétaires. Le plan de relance ne doit pas rester un effet d'annonce, nous attendons qu'il se concrétise dans les territoires.

Aujourd'hui, les collectivités ont besoin d'investir mais elles ont aussi besoin d'un soutien pour leurs budgets de fonctionnement amputés par la baisse des recettes fiscales et par des dépenses supplémentaires pour répondre à la crise sanitaire. Quelles réponses votre ministère peut-il apporter à ces collectivités ?

Enfin, sur la relocalisation et la réindustrialisation, vous souhaitez agir sur les friches industrielles. Or, la réindustrialisation implique souvent des projets de long terme. Il y a donc télescopage entre le plan de relance, qui doit être engagé à court terme, et une vision de long terme pour la réindustrialisation des friches industrielles qui sont parfois au coeur des villes. Il est possible de développer l'industrie en périphérie mais ces développements se heurtent alors à l'objectif de « zéro artificialisation nette » des sols. Quels arbitrages allez-vous prendre sur cette question ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - J'ai bien conscience que la crise sanitaire ne facilite pas la mise en oeuvre du plan de relance, mais pour autant, nous devons agir. Ce deuxième confinement est différent du premier, dans la mesure où nous nous efforçons de maintenir la vie économique. Mon ministère est très sensible au maintien de l'ouverture de tous les services dans les mairies et les intercommunalités. La fermeture des services d'urbanisme pendant le premier confinement a considérablement retardé le déploiement de la fibre, puisque les opérateurs n'avaient pas toujours l'autorisation de voirie ou pour la construction de bâtiments par absence de permis de construire.

Nous essayons de préserver l'économie tout en protégeant au maximum la population. Nous avons laissé les écoles ouvertes, pour des raisons éducatives, mais aussi pour permettre aux parents de continuer à travailler. Nous savons que les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire sont dramatiques. Nous avançons sur une ligne de crête.

Nous avons mis en place de nombreuses aides pour les collectivités. La troisième loi de finances rectificative (LFR3) a adopté un dispositif de compensation des pertes de recettes fiscales et domaniales pour les communes. Par ailleurs, nous avons proposé des avances aux départements pour compenser la baisse des recettes des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Seuls 40 départements ont demandé à en bénéficier. La situation financière des départements est donc moins dégradée que nous ne l'anticipions, notamment grâce à la reprise des ventes immobilières après le premier confinement. Une partie des DMTO sont distribués aux communes. Le Premier ministre a décidé ce matin de mettre en place un mécanisme pour aider les petites communes sur ce point. Le Gouvernement soutient les collectivités territoriales. Pour les régions, nous avons passé un accord d'aide à l'investissement.

Sur l'artificialisation des sols, nous avons créé un fonds « Friches » doté pour l'instant de 300 millions d'euros, qui a pour objectif d'aider à la reconversion des territoires. Par exemple, à Chalon-sur-Saône, le site de l'usine Kodak accueille de nouvelles entreprises.

Mme Angèle Préville. - Ma première question porte sur les nouveaux CPER et leur articulation avec le plan de relance. Le plan peut-il accélérer la modernisation de la ligne ferroviaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) ? Cette modernisation est attendue par de nombreuses régions et de nombreux départements et elle correspond à la transition écologique.

J'ai de grandes réserves sur les appels à projets, car ils induisent des inégalités importantes entre nos territoires, qui ne se développent pas à la même vitesse. Ces faiblesses ont d'ailleurs été pointées par l'Union européenne qui a reclassé certaines régions françaises, leur ouvrant ainsi l'accès à des subventions. Quelle est votre position sur ces appels à projets ?

S'agissant du programme « Petites villes de demain », vous voulez aider les collectivités qui en ont le plus besoin. Quels critères retiendrez-vous pour les identifier ? Ma petite commune du Lot de 2 000 habitants ne bénéficie pas de la DETR puisque c'est une commune industrielle, avec une grosse entreprise de production de confitures. Comment peut-elle s'inscrire dans ces projets alors qu'elle est déjà sanctionnée ?

Enfin, que pouvez-vous mettre en place pour sauver les commerces de proximité en grand danger ? Le deuxième confinement risque de ruiner tous les efforts qui ont été faits pour redynamiser les centres-bourgs et les centres-villes.

Mme Martine Filleul. - La Poste joue un rôle considérable en matière d'aménagement du territoire, en particulier dans les zones rurales, les zones de montagne et l'outre-mer. Sa présence est indispensable. Or, elle est menacée par la réforme fiscale. Je n'ai pas compris toutes vos explications mais mon groupe et moi-même resterons très vigilants pour que la présence postale ne soit pas menacée.

Le plan de relance prévoit 250 millions d'euros pour l'inclusion numérique et 450 millions pour les CPER. Ces sommes importantes sont légitimes à un moment où nous ne pouvons plus parler de fracture numérique mais de rupture d'égalité. En effet, pour avoir accès à l'enseignement mais également aux soins et aux services publics, il faut passer par le numérique. Ces fonds sont importants mais restent insuffisants. À ce jour, seuls 47 départements bénéficient des « Pass numériques » et 20 % sont effectivement utilisés. Comment pensez-vous structurer une véritable politique publique de la médiation numérique ? Quel chef de file territorial choisissez-vous ? Les départements pourraient constituer la bonne échelle territoriale pour coordonner et organiser la médiation numérique.

M. Hervé Gillé. - En tant que parlementaires, nous avons très peu d'informations sur l'élaboration des CPER. Nous ne sommes donc pas en capacité de mesurer leur effet de levier sur les engagements de l'État.

Nous avons également peu d'informations sur les appels à projets pour « Petites villes de demain » et les décisions prises par les services de l'État nous semblent opaques. Sur les maisons « France Services », il n'existe toujours pas de référentiel d'évaluation de leur activité. Envisagez-vous de le mettre en place ?

Nous constatons des coopérations volontaires entre les métropoles, les collectivités et les agglomérations. Comment la loi de finances et le plan de relance peuvent-ils traduire ce mouvement ? Enfin, revenir au RNU ne sert à rien, il serait plus judicieux de laisser le POS en place.

Mme Nadine Bellurot. - Il est important de maintenir le Fonds national de péréquation de présence postale qui baisserait de 174 à 65 millions d'euros du fait de la réforme fiscale. La présence de La Poste dans les territoires fragilisés est essentielle.

Pouvez-vous faire un bilan des contrats de ruralité qui arrivent à terme ? Le programme « Petites villes de demain » est-il adapté pour accompagner une petite commune de 20 000 habitants qui n'a pas forcément de projet d'envergure à mener mais de petits projets ? Je crains qu'elle ne soit pas toujours informée de l'existence du dispositif ou que ses projets n'entrent pas dans les thématiques prévues.

Mme Nadège Havet. - J'ai été interpellé sur le calendrier de déploiement des sous-préfets à la relance et sur le périmètre de leur action. Comment se coordonneront-ils avec les autres acteurs du territoire, collectivités territoriales ou CCI ? En effet, il est inutile de créer des aides qui viendraient en doublon d'aides existantes. Par exemple, la Banque des territoires dispose d'un programme sur le numérique. La région Bretagne vient de créer ce même type d'aide alors qu'elle ignorait qu'il existait déjà.

M. Jean-Claude Anglars. - Je rejoins ce qui a été dit sur le PLUI. Des communes ont révisé leur PLUI en 2017 et c'est un non-sens de leur demander de retomber dans le RNU parce qu'une nouvelle communauté de communes a été créée.

Sur les ZRR, j'ai cru comprendre lors des questions d'actualité au gouvernement que la date du 31 décembre 2020 avait été repoussée.

Je pense que nous aurons besoin d'un mémento pour comprendre toutes les mesures du plan de relance. Je milite pour la création de comités locaux de cohésion territoriale par département. La relance doit passer par la proximité. Une politique publique peut être réussie si elle part du territoire comme l'a montré l'installation des médecins dans l'Aveyron.

Vous avez évoqué la loi 3D et le « cousu main ». Dans notre département, 40 à 45 % des maires ne se sont pas représentés parce qu'ils ne se retrouvaient pas au sein des communautés de communes. La loi « 3D » pourra-t-elle revoir la manière dont les compétences sont gérées entre les communes et les communautés de communes ? Laissera-t-elle une part de choix et de liberté sur l'organisation des compétences ? La compétence économie échoit aux communautés de communes. Or, une commune rurale peut avoir comme projet de créer un bistrot, une pompe à essence ou un atelier relais. Souvent ce projet n'aboutit pas, car il est de la compétence de la communauté de communes. La compétence économique pourrait donc être partagée.

- Présidence de M. Rémy Pointereau, vice-président de la commission -

M. Rémy Pointereau. - Les ministres vont répondre aux questions posées en présentiel puis je donnerai la parole à nos collègues en visioconférence.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Sur la ligne POLT, nous avons prévu des moyens pour résoudre la question des passages à niveau et de la signalétique.

Comme vous, je suis contre les appels à projets. Ce sont toujours les mêmes collectivités qui répondent aux appels à projets, les grandes villes, les métropoles, celles qui disposent de moyens d'ingénierie. À chaque évocation du plan de relance en Conseil des ministres, le président de la République nous exhorte à ne pas lancer d'appels à projets. Un appel a été fait pour la rénovation thermique des bâtiments d'État, mais pour les collèges ou les lycées, les enveloppes seront dans les mains des préfets.

Pour les commerces de proximité, leur fermeture est difficile pour le Gouvernement et nous les accompagnons. Un commerce fermé pourra recevoir jusqu'à 10 000 euros par mois. J'ai organisé hier une réunion sur les dispositifs « cliquez et collectez » et sur la digitalisation des commerces. Nous proposons une aide de 20 000 euros pour un diagnostic rapide des petits commerces. Nous avons également des chargés de mission « centre-ville » pour les accompagner.

La médiation numérique est très importante. J'étais la semaine dernière près de Nantes où une association m'a expliqué la différence entre la médiation et l'inclusion numérique. Il y a des médiateurs numériques dans les maisons France Services. Les départements et les EPCI jouent aussi un rôle dans ce domaine.

Je ne suis pas certaine qu'il faille revenir sur la loi NOTRe qui a clarifié le partage des compétences entre les collectivités. En revanche, il faut encourager les collectivités entreprenantes et les accompagner. Sur la labellisation des maisons France Services, je laisse Marc Chappuis vous répondre.

M. Marc Chappuis, directeur adjoint du cabinet de Mme Jacqueline Gourault. - Un cahier des charges détaille un certain nombre de critères, comme les horaires d'ouverture ou la qualité de l'accueil. Le processus de labellisation est organisé par un organisme extérieur qui vérifie la conformité entre le projet présenté et le cahier des charges. Les statistiques de fréquentation remontent tous les mois. À partir de 2021, nous déploierons un système de « visiteurs mystère » pour vérifier la qualité du service rendu.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je crois à la politique de contractualisation entre les métropoles et les territoires environnants. Vous me dites ne pas être informés des CPER. J'entends beaucoup de parlementaires se plaindre de ne pas être assez informés. Je pense que nous devons faire une transition culturelle. Nous fonctionnons comme à l'époque du cumul des mandats où les sénateurs étaient souvent présents dans les exécutifs locaux et donc informés. Le président de la République et le Premier ministre nous rappellent sans cesse d'associer les parlementaires et nous le rappelons aux préfets. Nous devons trouver le moyen d'améliorer l'information des parlementaires.

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le fonds de péréquation garanti pour La Poste pour la période 2020-2022 est de 174 millions d'euros. L'abattement sur la CVAE qui finance ce fonds représente 108 millions d'euros. Parallèlement, du fait de la réforme des impôts de production, La Poste va gagner 66 millions d'euros. Un amendement de coordination budgétaire va transférer ce que La Poste gagne en termes d'impôts vers le fonds de péréquation.

Sur le PLUI, si vous voulez reporter la date du 31 décembre, nous devons trouver un véhicule législatif qui soit clos avant la fin de l'année. Il y a effectivement l'amendement de Mme Gatel, discuté demain en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, sur des articles encore ouverts de la loi d'urgence sanitaire, et qui prévoit d'ajouter six mois correspondant à la période de crise sanitaire à tous les délais. Cet amendement recevra un avis favorable du Gouvernement.

Les contrats de ruralité vont subsister dans leur dénomination, en y ajoutant les termes de « transition écologique », et dans leur contenu.

Pour les villes de moins de 2 000 habitants et le programme « Petites villes de demain », je prends l'exemple d'une intercommunalité du Puy-de-Dôme avec trois anciens chefs-lieux de canton dont certains ont moins de 2 000 habitants. L'un est « spécialisé » sur les commerces, l'autre sur les services et le troisième sur la médecine. Cette intercommunalité peut être candidate au programme et conserver trois pôles avec leur spécialisation. Il est donc possible de mettre en place ce programme pour de petites collectivités à proximité d'une agglomération comme Clermont-Ferrand.

M. Bruno Rojouan. - Je souhaite revenir sur les ZRR. Vous avez annoncé qu'elles étaient prolongées jusqu'en 2022. Les communes qui sont passées de la ruralité pure à une intercommunalité plus riche lors des agrandissements des intercommunalités en 2017 ont conservé le statut de ZRR. Ces communes vont-elles garder ce statut pendant ces deux années supplémentaires ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Elles vont conserver tous leurs avantages dans le dispositif de prorogation.

M. Frédéric Marchand. - Je relaie une crainte de l'Association des maires ruraux du Nord et plus globalement de l'Association des maires ruraux de France, sur la définition de la commune rurale dans le cadre de travaux menés par l'Insee. En effet, l'institut irait au-delà du critère de la densité de population et le nombre d'habitants résidant en milieu rural pourrait être ramené de 22 à 9 millions d'euros. Quelles sont vos intentions sur ce sujet ?

M. Éric Gold. - Les dispositifs « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain » constituent d'excellentes initiatives qui ont des effets leviers sur l'économie locale. Cependant, la crise sanitaire est venue ajouter des difficultés supplémentaires pour les petits commerces déjà concurrencés par le commerce en ligne. Quels crédits spécifiques avez-vous prévus pour soutenir à hauteur des enjeux le commerce de centre-ville et de centre-bourg ? L'accompagnement technique pour aider les commerçants de proximité à passer le cap du digital est-il suffisant ?

Je souhaite revenir sur La Poste et l'allègement des impôts de production. Je remercie Monsieur Giraud pour ses explications sur le système de vases communicants dont bénéficiera La Poste. Néanmoins, j'insiste sur le rôle majeur de La Poste au sein des maisons « France Services » qui représentent un engagement fort du Gouvernement pour les zones les plus fragiles.

M. Stéphane Demilly. - Je vous souhaite beaucoup de courage car vous avez un grand nombre de problématiques à gérer en matière de cohésion des territoires, notamment l'accès aux services de santé avec l'extension des déserts médicaux. Je ne suis pas sûr que la télémédecine règle toutes les difficultés, avec des millions de personnes mal connectées au numérique. La dispersion de l'habitat occasionne des problèmes de mobilité et d'accès aux services publics.

Je note avec beaucoup de satisfaction que le budget dédié au déploiement d'au moins une maison « France Services » par canton d'ici 2022 passe à 28 millions d'euros. Si l'implantation des services publics se fait dans le cadre de schémas départementaux, je pense que l'échelon intercommunal constitue le niveau adéquat de mise en oeuvre des politiques de proximité pour faire du « cousu main ». La mise en oeuvre du plan de relance permettra-t-elle une meilleure concertation avec l'échelon intercommunal connecté aux réalités locales mais également soucieux d'un aménagement organisé du territoire ?

M. Philippe Tabarot. - Le taux d'exécution des volets mobilité des CPER et des CPIER est particulièrement faible, de l'ordre de 53 %. Cette situation est révélatrice des difficultés rencontrées par l'État dans ces investissements lourds. La prolongation du volet mobilité jusqu'en 2022 avait été évoquée.

Lors du congrès de Régions de France, le Premier ministre a indiqué que l'État mobilisait 1,2 milliard d'euros pour les transports du quotidien et 4,7 milliards d'euros pour le ferroviaire sur la période 2021-2027. Pouvez-vous nous confirmer que l'État engagera ces sommes dans le volet mobilité de la nouvelle génération de CPER et de CPIER ? Je pense notamment aux petites lignes qui vont connaître des fermetures massives si elles ne bénéficient pas d'investissements conséquents dans les deux ou trois prochaines années.

Monsieur Giraud, vous avez la mission de défendre la ruralité et la mobilité. Je vous sais défenseur du ferroviaire, notamment du train de nuit Paris-Briançon que vous avez emprunté à très nombreuses reprises. Je ne doute pas de votre engagement pour la mobilité rurale, je peux en témoigner au regard de notre expérience commune dans les Hautes-Alpes et notamment sur l'étoile de Veynes. Je ne doute pas non plus que vous vous baserez sur le couple État/régions pour activer la relance et la transition écologique.

Dans les Alpes-Maritimes plusieurs vallées, notamment celle de La Roya, ont été frappées par de graves intempéries le mois dernier. Le président de la République est venu nous encourager et un préfet spécial reconstruction a été nommé. Ce n'est cependant pas suffisant. Avec Dominique Estrosi Sassone et tous les sénateurs du département, nous avons saisi le Premier ministre car cette vallée est confrontée à des problématiques majeures d'approvisionnement et d'isolement des populations, notamment sur le secteur de Tende. Certains habitants n'ont toujours pas d'eau potable, pas de carburant et il n'y a pas de routes. Pouvez-vous demander à la ministre des Armées d'envoyer le génie militaire pour aider les populations et de maintenir les troupes qui ont été déployées ? À travers la DETR, pouvez-vous envisager une aide exceptionnelle pour ces vallées sinistrées ?

M. Ronan Dantec. - Avez-vous analysé, dans la préparation des CPER, la manière dont les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) atteignent les objectifs climat et environnementaux fixés par la loi ?

Nous avons besoin de précisions sur ces nouveaux contrats de relance et de transition écologique (CRTE). C'est le quatrième dispositif en cinq ans pour conduire la transition écologique, après le Plan Climat Énergie Air Territorial (PCEAT), les Territoires à énergie positive (TEPOS) ou les Contrats de transition écologique (CTE). Les collectivités ont besoin de stabilité. Vous avez indiqué que l'État voulait plus de contractualisation. Les CRTE sont-ils systématiques ? Quelle enveloppe avez-vous prévue pour ces contrats ? Vous avez précisé que les contrats de ruralité restaient sur le même périmètre. Je ne comprends pas comment ils intègrent la transition écologique. Quel soutien apportez-vous aux grandes villes, aux villes moyennes et aux métropoles ?

Je rappelle que le Sénat avait proposé, à l'unanimité, un dispositif beaucoup plus simple qui fléchait une partie de la contribution carbone sur la mise en oeuvre des PCEAT. Comment envisagez-vous la mise en oeuvre des CRTE et quels moyens leur accordez-vous ?

M. Olivier Jacquin. - Je vous remercie pour votre disponibilité et votre diligence à l'égard de notre commission. La députée Christine Pires Beaune propose de recentrer la DETR sur les territoires ruraux. Cette proposition me semble pertinente car aujourd'hui presque tous les territoires y ont accès. De même, s'il existe pour les communes un dispositif de sélection, rien ne semble prévu pour les EPCI à fiscalité propre. Le confirmez-vous ?

Sur les maisons « France Services », l'aide pour les dépenses de fonctionnement est plafonnée à hauteur de 30 000 euros. Je pense également que l'aide de l'État devrait couvrir 80 % des dépenses d'investissement. Les collectivités rendent un grand service à l'État en assumant le portage de nombreuses maisons.

J'observe également une inégalité sur la compensation des pertes de recettes liées à la crise sanitaire entre les collectivités territoriales qui exercent directement en tant qu'autorités organisatrices de la mobilité et celles qui sont organisées en syndicat mixte.

Enfin sur les petites lignes ferroviaires, le Parlement a été totalement écarté des discussions sur le nouveau pacte ferroviaire depuis la LOM. L'État peut signer directement avec les régions et nous avons découvert le projet de décret dans la presse. Il est incompréhensible que le Parlement n'ait pas été informé sur cette question majeure de l'aménagement du territoire.

M. Joël Bigot. - Nous avons besoin d'éclaircissements sur la déclinaison de ce plan de relance qui doit s'inscrire dans la durée et avoir un effet de levier.

La rénovation thermique des bâtiments publics est un chantier colossal qui figure en première place dans le plan « France Relance » avec l'objectif d'en finir avec les passoires thermiques en 2030. Le plan distingue les bâtiments appartenant à l'État et ceux qui appartiennent aux collectivités qui font l'objet d'un dispositif spécifique assez peu détaillé. Pouvez-vous nous donner des informations sur ce dispositif alors que les collectivités sont en train d'établir leur budget ?

Le plan intègre un volet sur la rénovation thermique du parc de logements sociaux. Des subventions seront octroyées aux organismes d'habitation à loyer modéré (HLM) et aux collectivités pour des opérations de rénovation lourde, à hauteur de 500 millions d'euros en 2021 et en 2022. Cette somme permettrait de réhabiliter environ 40 000 logements, ce qui est loin des objectifs ambitieux qui prévoyaient de traiter 500 000 logements par an.

En outre, 500 millions d'euros seront consacrés à l'économie circulaire, au traitement des déchets, au développement des centres de tri, au soutien au tri des déchets recyclables, via une aide financière aux collectivités locales pour le développement du tri sélectif sur la voie publique. Les fonds seront versés via l'ADEME entre 2020 et 2022. Pouvez-vous préciser la méthode et le calendrier de versement ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - J'invite M. Bigot à reposer ses questions par écrit car elles ne relèvent pas de mon ministère.

Pour le commerce de proximité, l'établissement public de redynamisation commerciale (Epareca) qui agissait sur les territoires a été absorbé par l'ANCT. L'agence travaille sur l'intégralité des dossiers qui lui sont présentés, qu'ils proviennent de villes importantes ou de petites villes. Pour le maintien des commerces, question à laquelle nous n'avons encore répondu, les communes pourront intervenir économiquement si l'EPCI est d'accord.

Je rappelle que l'État finance des postes de chefs de projets « centre-ville », à hauteur de 40 000 euros pour deux ans, pour accompagner des villes moyennes sur le commerce. Nous avons également mis en place, début 2020, des exonérations de fiscalité locale pour donner aux collectivités les moyens de favoriser l'installation et la pérennisation des commerces. Nous avons aussi créé des zones de revitalisation des commerces et des zones de revitalisation des commerces en milieu rural. Les communes disposent donc d'outils qui leur permettent d'exonérer des commerces de CVAE et de CFE, l'État compensant 30 % du montant de ces exonérations. Je vous rappelle également que les commerces qui sont fermés depuis le reconfinement bénéficient d'une aide mensuelle pouvant aller jusqu'à 10 000 euros et d'une suppression totale des cotisations sociales. Enfin, les échéances de remboursement des emprunts sont reportées de mars 2021 à mars 2022.

Monsieur Demilly a évoqué l'échelon intercommunal. Il est évident que nous contractualiserons avec cet échelon pour la relance. Les contrats de ruralité s'appuient déjà sur les intercommunalités. Nous pouvons envisager de signer un contrat de relance avec une métropole. Nous nous efforçons de territorialiser au maximum la relance.

Je confirme à Monsieur Tabarot les annonces du Premier ministre sur le volet mobilité : 4,5 milliards d'euros lui seront affectés dans les CPER, dont 2,5 milliards au titre de la relance.

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - S'agissant de la vallée de La Roya, dès le lendemain de la catastrophe, nous avons cosigné avec Barbara Pompili une lettre de mission confiée à l'Inspection générale de l'administration et au Conseil général de l'environnement et du développement durable pour qu'ils fassent un état des lieux de l'intégralité des dégâts. C'est une procédure que nous avions déjà appliquée pour d'autres catastrophes. Nous attendons l'évaluation précise de cette mission d'inspection générale. La Dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales victimes de catastrophe naturelle sera mobilisée. Une centaine de millions d'euros sont déjà réservés sur plusieurs fonds de l'État. La solidarité nationale jouera pour cette vallée.

Les moyens de l'armée sont souvent mobilisés sur des théâtres d'opérations extérieures, c'est extrêmement difficile de les faire revenir et ils arriveraient sans doute un peu tard. Cependant, je transmettrai le message à la ministre des armées.

Sur la définition de la ruralité, nous avons réuni hier le groupe de travail qui comprend l'Association des maires ruraux de France, l'Association des maires de France, l'Insee, la direction générale des collectivités locales (DGCL) et plusieurs services de l'État pour définir la ruralité. La reprise de la définition d'Eurostat basée sur la grille de densité communale fait consensus. En revanche, la notion de ruralité au sein d'une agglomération ne fait pas consensus. Le Comité interministériel aux ruralités du 13 novembre validera la première partie de la définition et le groupe de travail poursuivra ses travaux pour parvenir à un consensus sur la problématique de la périurbanisation des milieux ruraux.

La première partie de la définition a servi de base à un amendement présenté par la mission parlementaire menée par Jean-René Cazeneuve. Cet amendement offrira un système beaucoup plus favorable pour les enveloppes départementales en prenant en compte la population rurale au sens d'Eurostat. Les enveloppes départementales vont donc baisser pour les départements qui ont de très grosses agglomérations et vont augmenter dans les agglomérations les plus rurales. Les circulaires de la DGCL auprès des préfets vont préciser que la DETR ne peut bénéficier qu'aux zones rurales d'une intercommunalité mixte regroupant zones urbaines et zones rurales. Les zones urbaines disposent d'autres moyens de développement. De plus, une agglomération nouvelle intégrant une commune rurale ne pourra plus bénéficier de la DETR sur tout son territoire. Seule la partie rurale de l'agglomération bénéficiera des crédits de la DETR. Le Gouvernement donnera un avis favorable à l'amendement présenté par Christine Pires Beaune sur l'évolution de la DETR qui constitue un premier pas vers une meilleure ruralisation de cette dotation.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Nous avons porté l'aide au fonctionnement des maisons « France Services » à 45 000 euros. L'État prend en charge la formation des agents et les investissements à travers la DETR ou la DSIL. Le budget prévoit 10 millions d'euros supplémentaires pour ces maisons. Nous avons également un programme « France Services Bus » par lequel l'État participe à hauteur de 60 000 euros à l'achat et à l'aménagement de bus, tout en maintenant son soutien de 30 000 euros pour le fonctionnement. J'ai par exemple signé dans le Cantal un contrat « France Services Bus » porté par le conseil départemental. Je reconnais volontiers que les porteurs de projets font aussi des efforts financiers. Cette politique est coconstruite avec les collectivités locales.

Les CRTE peuvent être conclus avec tous les niveaux de collectivités territoriales. Le budget affecté au plan de relance comporte une partie « transition écologique » de 32 milliards d'euros. Ce sont ces crédits qui vont financer ces CRTE pour la partie transition écologique. Les projets qui ne sont pas rattachés à cette thématique seront financés par d'autres lignes budgétaires, comme la DSIL, qui bénéficie de 2 milliards d'euros dans les crédits traditionnels, ou par d'autres crédits du plan de relance. J'ai visité en Dordogne un chantier d'aménagement de pistes cyclables le long d'un canal qui entre parfaitement dans le champ des CRTE et pour lequel nous trouverons des financements.

Sur la rénovation thermique, nous sommes compétents pour les bâtiments des collectivités locales. Le dispositif sera déconcentré et géré par les préfets. Deux enveloppes de 300 millions d'euros chacune sont fléchées pour les collèges et pour les lycées à la demande du ministère de l'Éducation nationale.

M. Rémy Pointereau. - Je vous remercie pour vos réponses et pour le temps que vous avez bien voulu passer au sein de cette commission. Serait-il possible de disposer d'un guide qui recense l'ensemble des aides à la disposition des collectivités ? Elles sont nombreuses et nous avons besoin de visibilité.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Un site internet www.aides-territoire.gouv.fr recense les 1 389 aides disponibles.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 55.