Mercredi 14 octobre 2020

- Présidence de M. Jean Bizet, en remplacement de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 18 heures.

Débat préalable au Conseil européen des 15 et 16 octobre 2020, en présence de M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes (en visioconférence)

M. Jean Bizet, président. - Je suis heureux de vous accueillir, monsieur le ministre, au nom de Jean-François Rapin, qui vient d'être élu pour me succéder comme président de la commission des affaires européennes et qui vous prie de bien vouloir l'excuser : des engagements pris de longue date l'empêchent en effet d'être au Sénat ce soir et de présider notre réunion. Le calendrier du renouvellement sénatorial conjugué à vos contraintes d'agenda nous amène à nous réunir à cet horaire atypique pour débattre à la veille du Conseil européen. L'essentiel, néanmoins, est que ce débat puisse avoir lieu, d'autant que c'est la deuxième fois que le Conseil européen se réunit en octobre, sa réunion extraordinaire prévue en septembre ayant dû se tenir début octobre en raison de la pandémie. Cette dernière sera encore à l'ordre du jour, malheureusement : les chefs d'État ou de gouvernement chercheront à éviter le manque de coordination dont l'Union européenne avait souffert lors de la première vague épidémique de mars dernier.

Ils travailleront en outre sur trois sujets majeurs : la négociation du Brexit, le changement climatique et les relations extérieures. Comment ne pas être inquiets à mesure qu'augmente la probabilité de ne pas aboutir à un accord avec le Royaume-Uni pour organiser nos futures relations? Alors qu'il reste seulement deux semaines utiles, la négociation patine. Un accord ne pourra pas émerger sans l'assurance d'une concurrence loyale et la mise en place d'une gouvernance de cet accord ; or le Brexit est précisément présenté au Royaume-Uni comme l'opportunité pour ce pays de retrouver sa souveraineté en s'affranchissant des règles et de l'ordre juridique européens. Puisque l'accord commercial et l'accord de pêche doivent se conclure ensemble, l'impasse où se trouve le premier nous expose au risque qu'il n'y ait rien à la fin pour nos pêcheurs : pourra-t-on éviter que se brise l'unité entre les Vingt-Sept, tant les intérêts nationaux des huit États concernés par la pêche sont divergents ? Comment le Gouvernement compte-t-il procéder pour épargner à nos pêcheurs une négociation annuelle, espèce par espèce, et pour leur maintenir un accès à la zone des 6-12 milles ? 

Concernant le changement climatique, la surenchère en matière d'objectifs de réduction des émissions à l'horizon 2030 nous préoccupe au plus haut point. Quand le Parlement européen propose de porter cette réduction à 60 %, en mesure-t-il seulement l'impact économique ? Une réduction de 55 % serait déjà extrêmement ambitieuse. Avant de transmettre le flambeau de la présidence de la commission, j'ai écrit au Président Timmermans pour l'alerter notamment sur le risque que l'Union européenne condamne son agriculture conventionnelle en lui imposant des règles trop strictes : l'Europe est en voie de perdre toute souveraineté alimentaire, en important des biens agricoles avec un mauvais bilan carbone... Cela soulève une question de fond : qu'est-ce que le Président Macron est prêt à sacrifier sur l'autel de l'accord de Paris ?

Dernier sujet pour le Conseil européen : les relations extérieures de l'Union. Après avoir évoqué la Chine début octobre, il se tournera vers l'Afrique, autre partenaire stratégique pour l'Europe. Il est essentiel de dynamiser nos investissements en Afrique et d'y consolider nos valeurs communes. C'est ainsi que l'Europe confortera sa place à l'échelle mondiale, et cela vaut aussi envers la Biélorussie ou la Turquie. Pour reprendre vos propres mots, monsieur le ministre, il est temps que Josep Borrell adopte, au nom de l'Union, « le langage de la puissance avec la grammaire de la solidarité » : croyez-vous que la France soit en mesure d'en convaincre les autres États membres ?

Un dernier mot, enfin : depuis huit mois, le Parlement européen ne s'est pas réuni à Strasbourg, lieu symbolique de réconciliation franco-allemande, en contradiction avec ce que prévoient les traités. Aux yeux de notre commission et des sénateurs alsaciens, cette situation, qui n'a pas de justification sanitaire valable, n'est pas tolérable. Le Président de la République l'a lui-même dénoncée, mais, concrètement, que compte faire le Gouvernement pour y mettre fin ?

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Monsieur le ministre, mon premier sujet de préoccupation est le Brexit qui pourrait déboucher sur un accord minimal, voire une absence d'accord.

Le mandat de négociation confié à Michel Barnier comprenait la mise en place d'un partenariat étendu avec le Royaume-Uni, notamment en matière de sécurité, mais aussi de défense.

L'armée britannique est avec l'armée française celle qui compte en Europe ; membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, le Royaume-Uni doit être associé autant que possible à la défense de l'Europe. Or les dernières phases de la négociation nous inquiètent, la perspective de voir le Royaume-Uni participer à la politique de défense et de sécurité commune s'éloignant dangereusement....

Dans ce contexte inquiétant, quelles sont aujourd'hui les perspectives pour la coopération bilatérale de défense entre la France avec le Royaume-Uni, à la veille des dix ans des traités de Lancaster House ?

Je voudrais aussi évoquer le problème du financement de la défense européenne. Le Conseil européen de juillet dernier, en fixant le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027, a révisé à la baisse les ambitions du Fonds européen de défense. Son montant a été ramené des 13 milliards proposés initialement par la Commission européenne, à 8 milliards, au détriment de l'objectif de constituer une véritable base industrielle et technologique de défense européenne, outil de souveraineté européenne.

Pourtant, dans le même temps, un plan de relance de 750 milliards d'euros a bien été adopté ! C'est l'autonomie stratégique de l'Europe qui est en cause, sans parler des dizaines de milliers d'emplois très qualifiés, localisés en Europe, de l'industrie de défense. L'écart entre le discours, celui d'une Europe puissante et souveraine, et les faits, est criant !

Même raisonnement pour la « Facilité européenne de paix », qui passe de 10 à 5 milliards de crédits, destinés aux opérations extérieures et l'équipement des armées des pays tiers....

Les tensions en méditerranée orientale, la crise du Haut-Karabakh, tout met en cause le rôle déstabilisateur de la Turquie. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la solidarité de certains de nos alliés européens à ce sujet, à la suite de l'incident très grave avec la frégate Courbet. La France s'est trouvée alors bien isolée en Europe. Quelles leçons en tire le Gouvernement ?

Mme Christine Lavarde, vice-présidente de la commission des finances. - Je ne vous étonnerai pas en vous disant, monsieur le ministre, que la commission des finances s'intéresse particulièrement aux négociations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne sur leur relation future. Après l'annonce à de multiples reprises des « Conseils européens de la dernière chance », le feuilleton du « Brexit » s'approche inévitablement de son terme. Le négociateur Michel Barnier a indiqué qu'il fallait « faire preuve de réalisme sur l'impossibilité d'un accord ». Ainsi, l'adoption du projet de loi britannique sur le marché intérieur, qui remet en question certains points de l'accord de retrait, tel que le protocole nord-irlandais, a jeté le trouble sur la volonté du Royaume-Uni de parvenir à un accord. Ces incertitudes pèsent sur nos concitoyens et nos entreprises. La perspective d'un retrait sans accord minerait les efforts déployés pour soutenir la relance économique de l'Union européenne, déjà fragilisée par la crise de la covid-19.

Pourriez-vous nous présenter les mesures prises, à ce stade, par l'Union européenne pour se préparer à l'absence d'accord ?

Toutefois, le pessimisme n'est pas encore total puisque des progrès ont été annoncés en matière d'échanges de biens et de services. En revanche, peu d'éléments filtrent sur les négociations relatives aux services financiers, alors même que la commission des finances avait alerté dès 2016 sur la faible probabilité d'un accord préservant les conditions d'accès du secteur financier britannique à l'Union européenne. Pourriez-vous nous faire un point sur l'état des négociations en la matière ?

Enfin, il est certain que le sujet du budget européen pour les années 2021 à 2027 s'invitera à l'ordre du jour du Conseil européen. Malgré l'accord des États membres du 21 juillet dernier, les négociations entre le Parlement européen et le Conseil sont notamment suspendues à la question de la conditionnalité des fonds européens au respect de l'État de droit. Pourtant, le temps presse, car, faute de base juridique, la Commission européenne ne peut pas emprunter sur les marchés financiers les ressources prévues par l'instrument de relance. Ce texte devra être ratifié par l'ensemble des Parlements nationaux d'ici à la fin de l'année, et sera donc examiné par la commission des finances. Pourriez-vous nous préciser le calendrier envisagé à ce stade et si la question de la conditionnalité des fonds européens peut, selon vous, mettre en péril l'accord de juillet ?

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Permettez-moi tout d'abord de vous dire que je suis très heureux de pouvoir intervenir cet après-midi lors de ce débat préalable et que je souhaite associer davantage notre commission à ces échanges en amont des Conseils européens, dès lors qu'elle sera concernée par leur ordre du jour. Ce sera le cas demain puisque le Conseil européen abordera la question du changement climatique.

Un vote historique a eu lieu au Parlement européen le 6 octobre dernier en fixant pour 2030 un objectif de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre à 60 % par rapport à 1990, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Il est historique même s'il n'est qu'une étape. Nous savons bien sûr que tous ne souhaitent pas aller aussi loin. La présidente de la Commission européenne défend un objectif de 55 % de réduction. Certains États sont encore très réticents, comme la Pologne ou la République tchèque. Mais c'est peut-être le compromis qui sera trouvé demain lors d'un Conseil européen qui sera de ce point de vue crucial. Ce Conseil européen sera lui aussi une étape et il semble que le niveau d'ambition de la loi européenne sur le climat ne sera a priori fixé qu'au Conseil européen de décembre. Mais par leurs engagements, leurs propositions, leur volonté politique, les chefs d'État donneront peut-être demain à la lutte contre le changement climatique la priorité historique indispensable pour relever le défi immense de l'accord de Paris. Il y a urgence. La crise sanitaire que nous traversons, les catastrophes naturelles que nous venons de connaître dans le sud-est de la France nous le rappellent quotidiennement.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable suivra avec beaucoup d'attention les orientations qui seront annoncées demain. Nous savons qu'elles pèseront lourd dans le débat que nous nous apprêtons à avoir en France sur le futur projet de loi climat, qui devra retranscrire les propositions de la Convention citoyenne.

Monsieur le ministre, je souhaite ainsi vous interroger sur ce que j'appellerais volontiers « l'ambition climat » que vous porterez, lors de ce Conseil européen. Quelle position la France défendra-t-elle ? Comment entend-elle négocier ? Soutiendra-t-elle la proposition de la présidente de la Commission européenne ? L'objectif très ambitieux du Parlement ? La proposition de ce dernier de créer un Conseil européen sur le changement climatique, qui serait un peu l'équivalent de notre Haut Conseil sur le climat ? J'ai également une question subsidiaire liée aux récents travaux de ce Haut Conseil justement : comment comptez-vous agir au niveau européen pour que la baisse des émissions de l'Union européenne ne se traduise pas par une hausse des émissions importées ?

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. - Je suis extrêmement heureux d'être parmi vous aujourd'hui. C'est la première fois en tant que ministre que j'interviens devant vos commissions. Je m'efforcerai de poursuivre, voire d'amplifier, cette tradition qui consiste à échanger avant le Conseil européen et de vous rendre compte après. Le prochain Conseil européen est important ; c'est le deuxième qui se tient ce mois-ci. J'aborderai successivement les points inscrits à l'ordre du jour, qui sont les points que vous avez évoqués dans vos interventions, avec quelques questions en plus, notamment sur les sujets de défense.

Je commencerai par la question sanitaire et la lutte contre l'épidémie de covid-19 au niveau européen. Disons-le franchement, lorsque l'épidémie a frappé l'Europe de manière généralisée, à la fin du mois de février, l'Union européenne et les États ont collectivement été défaillants dans leur coordination, ou, en tout cas, n'ont pas agi assez vite et assez fort. Il faut reconnaître que les outils dont disposait l'Union européenne pour agir en matière de santé étaient faibles, puisqu'il ne s'agit pas d'une compétence de l'Union. Cela a constitué un frein à une réponse immédiate et organisée. À l'inverse, lorsqu'une compétence européenne directe existait, la Banque centrale européenne, en matière monétaire, mais aussi, il faut le souligner, la Commission européenne, en ce qui concerne les règles budgétaires, de concurrence ou des aides d'État, ont été réactives et, je crois, à la hauteur de la réponse.

Dès le 10 mars dernier, nous avions demandé la tenue d'un sommet européen de crise ; le plan de relance européen, qui n'est pas encore achevé, a aussi été un élément de réponse puissant, tirant les leçons des limites de l'action économique européenne dans les précédentes crises.

En ce qui concerne le volet sanitaire, nous avons encore beaucoup de progrès à faire et nous apprenons en quelque sorte en marchant, puisque nous créons de fait une Europe de la santé. Le Conseil européen abordera la question de la coordination de nos critères sanitaires et, idéalement, de nos mesures sanitaires face à une crise identique. Il ne s'agit pas de déléguer à l'Union européenne le pouvoir de prendre des décisions. Celles-ci doivent pouvoir être adaptées, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau local en fonction des situations épidémiques. En revanche, on a tous constaté la confusion, ou pour le moins l'insuffisance de coordination, dans les mesures qui ont été prises. Chaque pays a agi selon ses propres procédures, son propre calendrier et parfois ses propres critères. Les fameuses zones rouge, orange, jaune, verte, etc., ne répondent pas aux mêmes critères selon les pays. Une même région française n'est ainsi pas considérée comme présentant le même niveau de risque sanitaire d'un pays européen à l'autre, ce qui est un peu absurde et ne facilite pas les déplacements. Or, au-delà du tourisme, secteur économiquement important, sont en jeu aussi des déplacements parfois essentiels : je pense en particulier aux 350 000 travailleurs frontaliers français qui ont besoin d'une garantie de circulation en Europe.

Hier, le Conseil des ministres des affaires européennes a validé une batterie de critères sanitaires communs, qui seront entérinés demain au Conseil européen, avec des seuils identiques pour que les classements soient les mêmes et que l'on puisse rapprocher les mesures qui en découlent. Je pense d'ailleurs que l'on doit aller encore plus loin à cet égard, pour éviter notamment au maximum, même si c'est encore le cas dans certains pays, des mesures de quarantaine et leur préférer des mesures plus proportionnées, de tests systématiques, par exemple.

Surtout, un accord unanime s'est fait jour pour garantir, sans mesures de restriction, la circulation des travailleurs frontaliers et les déplacements professionnels essentiels qui peuvent dépasser le cadre transfrontalier. Cela tranche avec la situation que nous avons connue malheureusement au printemps, y compris parfois avec nos voisins proches et avec l'Allemagne. Je me suis entretenu avec les autorités des trois Länder allemands frontaliers : alors même que la région Grand Est sera automatiquement classée en rouge aujourd'hui, selon les critères allemands et européens, il n'y aura pas de fermeture des frontières ni de restrictions à la circulation de travailleurs frontaliers.

Une autre avancée concrète a eu lieu en ce qui concerne la recherche du vaccin. On peut s'en féliciter parce que la France a aussi été à l'initiative sur ce sujet. Une action européenne commune a été engagée pour signer des contrats avec les différents laboratoires qui recherchent un vaccin ; trois contrats sont déjà finalisés, et trois autres devraient être sans doute signés dans les prochaines semaines. Un financement européen est prévu pour réserver des doses de vaccin afin de couvrir l'intégralité de la population européenne, puisque chaque contrat porte sur 200 à 400 millions de doses. C'est évidemment important par rapport aux autres grandes puissances, qui ne nous feront aucun cadeau, mais aussi pour éviter tout nationalisme sanitaire en Europe : l'image du continent ne sortirait pas grandie si, demain, un vaccin était trouvé en Allemagne ou en Espagne, par exemple, et n'était pas accessible, au même moment, aux citoyens des autres pays. Avec la signature des contrats européens, nous évitons ce risque et garantissons l'accès au vaccin le plus rapidement possible, dans les meilleures conditions sanitaires et financières possible. Il s'agit d'un point important, même s'il n'en sera pas directement question lors du sommet européen.

J'en viens à la question évidemment centrale du Brexit. Je partage par avance une frustration, qui ne porte pas seulement sur la longueur de cette négociation ni, parfois, sur le comportement de nos partenaires et néanmoins amis britanniques, mais aussi sur le fait que nous sommes encore dans une phase d'incertitude. Pourtant, le 31 décembre, la phase dite de transition s'achèvera et le Brexit deviendra effectif, sans report possible. Je ne peux pas vous dire à l'heure où je vous parle si nous trouverons un accord. Un accord est possible : nous y avons intérêt, mais nous ne devons pas oublier non plus que les Britanniques y ont un intérêt bien plus grand que nous, car l'impact économique d'un no deal serait bien plus désastreux pour le Royaume-Uni que pour l'Union européenne, compte tenu de l'équilibre de nos marchés et des flux commerciaux. Il est toutefois préférable de parvenir à un accord. Ce qu'il faut éviter, c'est un mauvais accord, qui sacrifierait nos intérêts fondamentaux dans les domaines que vous avez rappelés.

La question de la concurrence équitable, ou level playing field en anglais, a des conséquences très concrètes. J'ai rencontré les fédérations professionnelles lundi. Si les conditions d'une concurrence équitable ne sont pas remplies, et qu'on laisse les produits britanniques accéder à notre marché sans contraintes, sans droits de douane, on risque de se trouver confrontés à un déséquilibre et à un dumping britannique. Je ne crois pas que le Royaume-Uni, et d'ailleurs il s'en défend régulièrement, deviendrait une sorte de Singapour-sur-Tamise, parce que ce n'est pas le sens du vote du Brexit, qui comporte une dimension sociale et protectrice, et parce que ce n'est pas, au fond, le modèle britannique, mais il est tout à fait envisageable - et en tout cas, on doit s'en prémunir - qu'un dumping ciblé apparaisse, avec des écarts de réglementation en matière environnementale, sanitaire, militaire, d'aides d'État, par exemple, qui donneraient un avantage concurrentiel aux Britanniques qui ne serait pas supportable par nos entreprises. Comme Michel Barnier, nous serons vigilants, notamment à l'égard des aides d'État et de leur contrôle réciproque, pour nous assurer que le Royaume-Uni ne mène pas une politique de concurrence ou d'aides d'État nettement plus active et plus agressive que celle que l'on est autorisé à avoir dans l'Union européenne - cela serait certes paradoxal au regard de l'histoire du Royaume-Uni, mais nous ne sommes pas à l'abri.

La question de la pêche est au sommet de nos priorités. Je serai ce soir ou demain à Port-en-Bessin pour un échange avec des pêcheurs. Nous n'avons pas intérêt à ne pas avoir d'accord, mais nous ne voulons pas non plus d'un accord à tout prix. Pour des raisons à la fois politiques et tactiques, nous avons demandé à notre négociateur de refuser de traiter la pêche de manière séparée du reste de la négociation, afin de ne pas donner de levier aux Britanniques. Si ces derniers veulent un accès général à notre marché, dans les conditions que j'ai rappelées, ils doivent aussi accepter un bon accord sur la pêche. Les pêcheurs britanniques ont été un élément politique central de la campagne pour le référendum en faveur du Brexit, mais il est hors de question que nos pêcheurs constituent une variable d'ajustement ou le prix à payer pour la mise en oeuvre du Brexit. Nous avons donc refusé les principes que les Britanniques nous ont proposés, comme l'annualité dans l'accès aux eaux britanniques : cela aurait été une épée de Damoclès au-dessus de notre tête, car nos pêcheurs n'auraient pas su si, d'une année sur l'autre, cet accès leur serait assuré. Nous pouvons discuter de paramètres plus techniques comme les quotas d'accès, mais il est hors de question d'accepter un accès incertain aux eaux britanniques, entièrement entre les mains des Britanniques et qui réduirait significativement l'activité des pêcheurs français ou européens. Au prochain Conseil européen, le Président de la République commencera par rappeler ce point fondamental.

Le Conseil européen de demain n'a pas vocation à finaliser ou acter un accord. Mais le négociateur Michel Barnier fera un rapport aux chefs d'État ou de gouvernement, sur la base duquel ces derniers donneront leur évaluation politique : s'il y a un espace pour un accord, ils détermineront le contenu de l'éventuel mandat du négociateur ; sinon ils acteront le no deal et nous nous y préparerons.

Si nous sommes dans un scénario dans lequel il y a un espace pour un accord, il faut y travailler assez rapidement en vue de sa ratification parlementaire. Il faudra expliquer et préparer cet accord, car les choses vont changer au 1er janvier. Nos entreprises doivent bien savoir qu'accord ne signifie pas statu quo. Le Royaume-Uni quitte l'Union européenne : des contrôles douaniers et des contrôles sanitaires et phytosanitaires seront donc mis en place à la frontière et à la sortie du tunnel par lequel transitent 80 % des marchandises entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Nous nous y sommes préparés : nous avons notamment recruté 700 douaniers, 200 vétérinaires, 200 effectifs de la police aux frontières qui seront déployés dans les prochains jours et nous avons testé ce système. Le contenu de l'accord - qui, par hypothèse, n'est pas connu - devra aussi être expliqué de manière très précise, secteur par secteur, afin que les entreprises ne soient pas prises au dépourvu le 1er janvier prochain.

En cas de non-accord, nous avons pris une série de mesures dites « de contingence » au niveau européen et au niveau national. Nous les avons repassées en revue lundi dernier, sous l'autorité du Premier ministre, ministère par ministère. Il y aura un certain nombre de difficultés inévitables, et notamment des contrôles, mais aussi des tarifs à nos frontières.

La question des services financiers n'est pas stricto sensu dans l'accord. Avec le Brexit, le Royaume-Uni va perdre automatiquement son « passeport financier », c'est-à-dire la capacité à assurer une prestation de services financiers partout dans l'Union européenne. Ce sujet est, avec la protection des données, l'un des deux sujets sur lesquels l'Union européenne décide de manière unilatérale. En cette matière, l'Union européenne donne une décision dite d'équivalence. C'est un levier que l'Union européenne conservera quoiqu'il arrive. Il ne s'agit donc pas d'intégrer dans un accord bilatéral l'accès à nos services financiers. C'est ainsi que nous procédons avec tous les pays tiers, y compris avec les États-Unis par exemple. Il ne s'agit pas seulement de l'activité de la City ; il en va de la stabilité financière de la zone euro, que nous devons non pas déléguer, mais garder entre nos mains.

Je suis confiant sur l'aboutissement avant la fin de l'année des négociations sur le budget de l'Union européenne, sans le Royaume-Uni désormais. Ce paquet budgétaire comprend tout d'abord le plan de relance, qui est doté d'une gouvernance ad hoc qui n'associe pas formellement le Parlement européen, mais ce dernier l'étudie et utilise d'autres leviers pour donner son avis. Il y a ensuite le budget ordinaire 2021-2027 de l'Union européenne, qui doit être approuvé par le Conseil et le Parlement européen et pour lequel des négociations sont encore en cours, notamment sur Erasmus ou le programme de recherche qui ont été jugés insuffisamment dotés par le Parlement européen. Dernier élément du paquet budgétaire : la décision « ressources propres » qui est le volet recettes du budget européen et qui ouvre la possibilité d'un endettement commun dans le cadre du plan de relance ; ce volet est prêt, puisqu'il a fait l'objet d'un accord au Conseil européen, mais il est en quelque sorte pris en otage par plusieurs pays, dont la Pologne et la Hongrie. Ces pays estiment que tant qu'ils n'ont pas de visibilité sur le mécanisme de conditionnalité relatif à l'État de droit, ils n'accepteront pas le lancement de la procédure de ratification nationale. J'espère cependant que nous pourrons arriver à un équilibre dans les prochaines semaines, idéalement avant la fin du mois d'octobre. Vous aurez ensuite à autoriser sa ratification, je l'espère le plus vite possible, probablement en décembre. Votre vote portera aussi de fait sur le plan de relance. Nous mettons toutes nos forces dans l'aboutissement d'un compromis global sur ce paquet budgétaire.

Monsieur Cambon m'a interrogé sur nos outils en matière de défense. Bien évidemment, nous voulons garder une relation bilatérale étroite de sécurité et de défense avec le Royaume-Uni. Mais les choses ne seront pas comme avant : le Brexit a bien évidemment un sens géopolitique. Que signifie exactement le slogan de Global Britain que défend le gouvernement britannique ? Nous devons donc compléter cette relation de défense par une relation de défense européenne et des relations de défense bilatérales dans le club européen plus fortes. C'est pourquoi nous portons avec l'Allemagne des projets d'industrie de défense sur l'avion du futur et sur le char du futur. Cette coopération industrielle, annoncée en 2017, est difficile et il y aura encore des moments de tension et de blocage. Il s'agit d'industries de défense qui n'ont pas toujours eu l'habitude de coopérer. Le contrôle du Bundestag est difficile sur le plan politique, avec des partis de la coalition actuelle qui sont parfois réticents sur ces coopérations et qui peuvent sembler moins engagés que nous : vous connaissez le rapport de l'Allemagne aux questions de défense et il faut l'accepter. Mais il y a un mouvement réel de l'Allemagne pour avancer dans ce travail commun avec nous et ces coopérations sont fondamentales.

Je n'évoquerai pas l'initiative européenne d'intervention, qui avance bien.

Nous avons une forme de déception sur le fonds européen de défense : la Commission européenne avait proposé 13 milliards d'euros, nous avons défendu une position qui était autour de 10 milliards d'euros et finalement 7 milliards d'euros ont été actés dans l'accord financier de cet été. Je reconnais que la France était assez seule pour porter cette initiative du Fonds européen de défense. La proposition de la Commission était un objectif, une sorte de majorant, mais n'oublions pas que nous partions de zéro. C'est certes une étape insuffisante, mais c'est néanmoins une étape unique, car nous n'avions pas d'outils de financement de la défense européenne.

Sur la facilité européenne de paix, la proposition initiale était de 10 milliards d'euros, nous en sommes à 5 milliards, mais c'est quand même une facilité nouvelle qui va nous permettre de financer directement des opérations extérieures.

Nous ne sommes pas encore ni au bon niveau ni au bon rythme en matière de défense européenne, mais si l'on regarde le chemin parcouru en trois ans, on constate que de nombreux verrous politiques ont été levés chez nos partenaires, notamment en Allemagne.

Nous nous trouvons parfois trop seuls, au Sahel par exemple. Mais souvent nos partenaires européens sont présents, soit à nos côtés dans Barkhane soit, plus souvent, dans la mission de l'ONU. C'est ainsi que nous avons un soutien logistique espagnol et néerlandais et que nous avons le soutien de 100 soldats estoniens. Les Européens comprennent que c'est un enjeu de de sécurité commun.

Sur la Turquie et les tensions en Méditerranée orientale, c'est la même chose : nous nous sentons encore parfois un peu seuls sur notre ligne de fermeté. Mais regardez ce qui s'est passé en trois ou six mois. En février, la Turquie a organisé l'arrivée de migrants à la frontière grecque : à la surprise de la Turquie, nous avons réagi de manière ferme, unanime et immédiate en défendant les Grecs, en apportant un soutien européen et en ne cédant pas à cette pression migratoire turque. Quand il y a eu des tensions en Méditerranée orientale dans les eaux chypriotes ou grecques récemment, la France a mené le combat pour la fermeté européenne et nous avons trouvé un consensus européen qui s'est durci. Au dernier Conseil européen, il y a deux semaines à peine, nous avons donné un choix à la Turquie, en donnant une chance au dialogue, car nous avions quelques signaux positifs : soit la volonté de dialogue se confirme, soit ce n'est pas le cas et alors nous sommes prêts à prendre toute une série de mesures dont des sanctions. Cette attitude à l'égard de la Turquie n'aurait pas été possible sans l'action de la France, et elle n'aurait pas été possible il y a quelques mois. Il ne s'agit pas d'une simple tension du moment ; il s'agit d'une stratégie d'ensemble d'influence néfaste de la Turquie dans beaucoup de conflits ou de zones de la région - Syrie, Libye, conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, dans les Balkans et parfois même dans nos pays. C'est à cette stratégie d'ensemble que nous devons répondre. La France a réussi à faire bouger les choses et l'Europe n'est plus dans la même naïveté ni la même dépendance à l'égard de la Turquie qu'il y a quelques mois. Mais le chemin à parcourir est encore long.

La question climatique sera au menu du Conseil européen. Nous ne fixerons pas demain nos objectifs révisés pour 2030, car la question du Brexit nous prendra beaucoup de temps. Nous y reviendrons probablement au Conseil européen de décembre, car nous devons déposer en vue de la prochaine Conférence des parties (COP) - cinq ans après l'accord de Paris - de nouveaux objectifs européens pour 2030 avant la fin de l'année. Il faut donc absolument que ce débat se tienne rapidement. Le Parlement européen a demandé que l'on rehausse les objectifs à 60 % et la Commission européenne propose une cible de 55 %. Cette cible de 55 % est très ambitieuse, mais elle est atteignable.

Il est nécessaire que l'Union européenne soit plus ambitieuse pour 2030, comme elle l'a été il y a quelques mois en se fixant un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 à l'initiative, là aussi, de la France et de quelques pays, au printemps 2019. L'Europe se doit d'être exemplaire pour créer une forme d'effet d'entraînement : c'est notre ADN d'être le continent de la défense du climat et les accords de Paris nous engagent juridiquement et politiquement.

Mais il ne serait ni juste ni efficace que nous fassions un effort isolé, tandis que les autres, plus émetteurs que nous - à 27, nous représentons moins de 10 % des émissions mondiales ! -, seraient exonérés de cet effort ! Nous avons fait bouger les choses : la Chine s'est engagée sur une neutralité carbone pour 2060 et nous verrons ce que donneront les élections américaines sur la politique climatique des États-Unis. Nous devons avoir des mécanismes de protection ou d'ajustements qui ne nous font pas porter un effort démesuré ou injuste. Nous devons donc travailler à rehausser le prix du carbone via le mécanisme d'inclusion carbone - dit également mécanisme carbone aux frontières ou taxe carbone aux frontières européennes -, notamment pour certains secteurs très exposés comme l'acier ou le ciment. La Commission européenne s'est engagée à faire une proposition législative étayée au cours du premier semestre 2021. C'est un changement fondamental soutenu très largement par des pays qui ont longtemps été sceptiques, y compris des pays dits libéraux comme les Pays-Bas ou la Suède. L'Allemagne est également en train de bouger sur ce sujet. Il est très important que nous rehaussions nos ambitions climatiques, mais nous devons le faire d'une manière juste dans la compétition internationale.

Faut-il un Conseil européen du changement climatique ? Je ne suis pas certain qu'il faille créer une nouvelle instance, mais un rendez-vous climatique régulier et organisé au niveau des chefs d'État ou de gouvernement ou un débat annuel sur le suivi de nos engagements seraient certainement de bonnes pistes à creuser. Le Parlement recommande la création de l'équivalent d'un Haut Conseil pour le climat au niveau européen : c'est quelque chose que nous pouvons regarder dans le cadre de la loi climat. À titre personnel, je préconise que nous conservions de la flexibilité sur les formats, mais que l'on ait un débat politique régulier au plus haut niveau sur la question climatique.

Strasbourg est le siège du Parlement européen : c'est inscrit dans les traités, et cela devrait être suffisant. Je me suis entretenu à deux reprises avec les élus concernés, toutes sensibilités politiques confondues. Nous partageons l'idée que nous avons trop longtemps eu une posture un peu défensive sur la question du siège du Parlement : il faut dire que le Parlement européen est fier d'avoir son siège à Strasbourg. Siéger à Strasbourg n'est pas une punition infligée aux parlementaires européens. L'État et les collectivités territoriales investissent massivement pour faciliter l'accès et la vie du Parlement européen à Strasbourg - 185 millions d'euros sur les trois dernières années - et nous travaillons de manière accélérée sur un nouveau contrat triennal qui prévoira sans doute des sommes comparables. Il faut donc une stratégie plus offensive, plus positive, mais très ferme. Le but partagé, c'est le retour rapide du Parlement européen à Strasbourg.

Strasbourg est non seulement le siège du Parlement européen, mais c'est une des villes en Europe qui accueille le plus d'organisations internationales au sens large : Conseil de l'Europe - Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Cour européenne des droits de l'homme -, Parlement européen, mais aussi Arte - qui n'est pas une organisation internationale au sens strict. Il y a toute une dimension européenne franco-allemande à Strasbourg que l'on ne valorise pas suffisamment. J'ai proposé aux élus que, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, nous valorisions davantage Strasbourg par l'accueil d'événements, et notamment, en lançant à Strasbourg la conférence sur l'avenir de l'Europe.

Le Président de la République lui-même a écrit et parlé au président du Parlement européen pour demander un retour rapide, si possible pour la session dite d'octobre 2, c'est-à-dire de la semaine prochaine. La situation sanitaire est certes difficile, mais elle est plus difficile à Bruxelles qu'à Strasbourg. Je suis heureux de pouvoir réaffirmer cette ambition devant la représentation nationale, parce qu'il est important qu'au-delà de nos sensibilités politiques, nous défendions ce même intérêt national.

M. Jean Bizet, président. - Merci pour vos réponses et notamment la dernière. Notre commission des affaires européennes tient chaque année une ou plusieurs réunions à Strasbourg, coeur et symbole de l'Europe. Les contacts avec les différents commissaires y sont plus faciles qu'à Bruxelles. Je donne la parole à notre collègue Didier Marie, pour le groupe socialiste, républicain et écologiste.

M. Didier Marie. - La première préoccupation des citoyens européens concerne aujourd'hui leur santé. L'épidémie de la covid-19 repart à la hausse et les hôpitaux voient leur taux d'occupation croître dangereusement. Certes, les compétences de santé relèvent des États membres, mais cette crise sanitaire montre la nécessité d'une réponse coordonnée. Si chaque pays agit séparément des autres, les principes mêmes qui fondent l'Union - comme la libre-circulation des personnes - seront mis à mal. La santé des uns dépend des politiques sanitaires des autres. Mme von der Leyen l'a justement souligné en appelant de ses voeux la constitution d'une union de la santé plus forte. Nous souhaitons que la France travaille à une intensification du partage de données et à une plus forte collaboration des autorités de santé pour développer un traitement efficace et avancer sur la recherche d'un vaccin - pour lequel la Commission a débloqué des crédits conséquents.

L'amélioration de la coordination dans la définition des critères sanitaires permettant d'engager des mesures partagées que vous nous annoncez est une bonne chose. Elle permettra d'éviter des décalages d'interprétation.

Existe-t-il, à l'échelle de l'Union, une stratégie d'achat, de production et de stockage des masques, gants, blouses et appareils respiratoires - qui ont tant manqué lors de la première vague - pour permettre de faire face à d'éventuelles pénuries ?

La situation est difficile : le Président de la République nous annoncera ce soir très certainement des mesures plus drastiques. L'annulation de l'inscription du projet de loi sur l'urgence sanitaire à notre ordre du jour de ce soir témoigne de la détérioration de la situation.

L'Union européenne souhaite aboutir à un accord sur le Brexit. Mais même la placidité de Michel Barnier - dont nous saluons les efforts - ne résiste plus aux rodomontades de Boris Johnson. Après neuf rounds de discussions, le pessimisme de l'Union européenne contraste avec l'optimisme affiché par David Frost. Cet optimisme britannique semble avant tout destiné à apaiser une opinion publique de plus en plus inquiète de la façon dont le gouvernement de Boris Johnson conduit les négociations.

Le temps est compté pour parvenir à un accord. Les points de convergence sont connus et n'ont pas changé. Les points de divergence restent, eux, toujours aussi importants : garanties pour une concurrence ouverte et loyale, pêche, respect de l'accord de sortie et du protocole irlandais, protection des données personnelles, réchauffement climatique et tarification carbone. Il est intolérable que le Parlement britannique ait remis en cause l'accord de retrait, faisant fi du droit international. Cela relève à nos yeux d'une procédure d'infraction devant la Cour de justice de l'Union européenne. Boris Johnson a dit et répété que si un compromis n'émergeait pas demain, il claquerait la porte des négociations. Nous connaissons tous les risques d'une rupture, mais ne vaut-il pas mieux aucun accord qu'un mauvais accord ? Avons-nous la certitude que toutes les mesures ont été prévues à l'échelle de l'Union et de la France pour faire face à une absence d'accord ?

L'Europe doit cesser d'être malmenée, voire moquée par notre ancien partenaire : elle doit rester forte et droite dans ses bottes. Sa crédibilité internationale et sa cohésion sont aujourd'hui en jeu.

Sur le plan de relance, nous nous réjouissons du pas franchi en juillet par l'Union européenne. C'est un accord historique en raison de ses montants et du mécanisme à caractère fédéral qui permet pour la première fois la mutualisation des risques et des transferts. Mais cet accord est le fruit d'un compromis à l'européenne : il a donc un coût politique. Il est en outre temporaire, limité au 31 décembre 2023, tant pour les aides et prêts consentis aux États membres, que pour la capacité d'emprunt de la Commission. Il aurait pu être l'occasion de se doter enfin d'instruments pérennes, conférant à l'Union une plus grande autonomie stratégique dans la durée. Ce n'est donc qu'un premier pas. L'émission commune d'un emprunt européen est à saluer, même s'il est regrettable que l'octroi des prêts ait été conditionné à des réformes structurelles, sous la pression des États dits frugaux. S'agira-t-il, une fois de plus, de réduire la dépense publique ? De privatiser les services publics ? De flexibiliser le droit du travail ? De libéraliser toujours plus nos économies ? S'agira-t-il d'administrer les mêmes remèdes que ceux qui ont mis nos services de santé à genoux et fait disparaître les services publics de nos territoires ruraux ? Il est inacceptable de fonder les relations au sein de l'Union sur le présupposé que certains États seraient de mauvais gestionnaires et d'autres de vertueux.

Ce plan doit venir en aide aux pays les plus touchés par l'épidémie, ceux dont l'économie a été la plus affectée. C'est d'une réorientation des politiques économiques dont nous aurions besoin et d'une éco-conditionnalité des aides pour lutter contre le réchauffement climatique et diminuer notre empreinte carbone. L'accord sur ce plan de relance s'est fait au détriment des prévisions initiales du cadre financier pluriannuel et des dépenses en faveur du redressement des entreprises, de la recherche et de l'investissement.

Le mécanisme liant l'octroi des fonds européens au respect de l'État de droit est sorti très affaibli de ces négociations, le restreignant aux pratiques de corruption et d'utilisation frauduleuse des fonds européens. L'Union européenne doit urgemment se doter d'un mécanisme pour défendre la démocratie et faire respecter les valeurs énoncées à l'article 2 du traité de Lisbonne. Elle ne doit pas être une union à la carte où l'on prendrait les subventions et où l'on s'assiérait sur la liberté de la presse, l'indépendance de la justice et les libertés fondamentales ! Nous comptons sur le Président de la République pour le rappeler lors du prochain Conseil européen.

Alors que l'Europe fait face à l'exacerbation des rapports de force et des tensions et à une instabilité à ses frontières, elle peine à définir un positionnement crédible. Il est nécessaire que l'Europe se dote d'une boussole et d'une voix forte pour imposer ses vues, alors qu'elle se voit sans cesse défiée tant sur son sol par des États prédateurs de ses entreprises et de ses emplois, qu'à l'international où le multilatéralisme est mis à mal. L'Europe doit organiser son autonomie stratégique et assumer sa souveraineté. L'Europe n'existera que si elle est puissance et utilise sa principale arme - son marché intérieur - pour faire valoir ses idéaux politiques.

M. Jacques Fernique. - Je concentrerai mon propos sur deux points sur lesquels nous sommes particulièrement en attente d'avancées à l'occasion de ce Conseil européen.

Nous sommes très soucieux de la réponse européenne face à l'urgence climatique. Les alertes des scientifiques sont pressantes et convergentes. Nous avons entendu récemment la très forte inquiétude de Laurent Fabius, ancien président de la COP 21, qui a dressé un bilan extrêmement décevant, cinq ans après, de l'accord de Paris. Il a appelé à un sursaut face à la véritable « arme de destruction massive » qu'est le dérèglement du climat.

Ce Conseil européen peut être l'occasion de ce sursaut à l'échelle européenne. Le Parlement européen vous y encourage aussi par son vote récent pour porter l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à 60 % en 2030. Jean-François Longeot vient de qualifier ce vote d'historique. Ce vote nous dit clairement que la trajectoire actuelle de 40 % n'est pas bonne ; il nous dit aussi que la proposition de la Commission européenne à 55 % n'est pas suffisante. Nous espérons que les 27 États affirmeront la même ambition que le Parlement européen.

Nous n'attendons pas seulement un objectif chiffré avant la fin de l'année, mais aussi des avancées sur les dispositifs et les moyens qui permettront d'y parvenir. Nous sommes donc très attentifs au contenu du plan de relance massif qui est programmé et particulièrement à la nécessité d'augmenter le budget pluriannuel de l'Union à proportion de ces efforts de relance. Si l'on ne veut pas assister à des coupes catastrophiques dans les politiques européennes, il faut faire progresser substantiellement les ressources propres de l'Union : taxe carbone aux frontières européennes, taxe Gafam, taxe sur les transactions financières. Nous attendons du Conseil européen qu'il permette des avancées pour donner de la ressource à l'Union européenne. Cet après-midi, en réponse à une question d'actualité du président de notre groupe, Guillaume Gontard, le Premier ministre a fait part de la détermination de la France sur ce sujet.

En tant qu'alsacien et qu'européen, je considère que l'incarnation claire de la démocratie européenne est gravement mise à mal - et de façon encore renforcée depuis neuf mois - par la suspension - qui confine à l'abandon - de Strasbourg comme siège du Parlement européen.

Les élus de Strasbourg, de l'Eurométropole, du Bas-Rhin et de la région Grand Est ont apprécié les vives réactions récentes du Président de la République et du Gouvernement. Nous apprécions aussi vos réponses d'aujourd'hui. C'est une inadmissible dégradation de la place de Strasbourg telle que les traités l'ont fixée. Nous attendons des actes concrets, que le contrat triennal entre l'État et Strasbourg soit consistant, qu'un travail résolu soit mené auprès de David Sassoli, président du Parlement européen, et auprès de nos partenaires de l'Union. Cette instrumentalisation scandaleuse de la crise sanitaire par les pro-Bruxelles doit cesser et la place de Strasbourg comme capitale de l'assemblée démocratique de l'Union doit être garantie dans la durée. L'Europe parlera aux peuples si elle renforce son caractère résolument démocratique : cet enjeu concerne bien plus que les Strasbourgeois. Nous comptons sur vous.

Mme Colette Mélot. - Monsieur le ministre, je vous souhaite tout d'abord la bienvenue. Notre commission est exigeante, elle s'emploie inlassablement à traiter les sujets européens et s'inscrit dans le rôle de contrôle, d'information et de coopération que les traités européens lui ont confié.

La question du Brexit constituera le point principal du prochain Conseil européen, comme souvent depuis juin 2016. À ce stade des négociations, nous aurions pu espérer un accord ou du moins des négociations saines. Je suis inquiète du coup porté à la confiance mutuelle qui existait entre l'Union européenne et le Royaume-Uni et je salue l'initiative qu'a prise la Commission européenne en lançant une procédure formelle d'infraction en réponse à l'Internal Market Bill. Notre éventuel futur partenariat ne devra pas être bafoué ou appliqué de manière sélective. Demain, jeudi 15 octobre, est la date limite que Boris Johnson a fixée pour parvenir à un accord. J'ose espérer que l'Union européenne a anticipé d'éventuels blocages et les moyens de les surmonter.

Ce Conseil européen va également traiter du partenariat avec les pays d'Afrique. La présidente de la Commission européenne a rappelé que l'Afrique est la partenaire toute désignée de l'Union européenne, et sa voisine. Continuer à construire notre relation et notre coopération est donc essentiel. De nombreux domaines devraient être évoqués lors du sommet Union européenne-Union africaine, reporté à l'année prochaine. Les attentes sont importantes du côté de l'accord post-Cotonou dont les contours devraient être formalisés à la fin de l'année. Quel est l'état des négociations ? Et quel a été l'impact de la pandémie de la covid-19 sur ces dernières ?

Ce Conseil européen sera aussi consacré aux questions climatiques. J'ai noté l'importante majorité recueillie par la loi européenne sur le climat mercredi dernier au Parlement européen. Cela traduit l'engagement de l'Union et sa volonté véritable de devenir un acteur mondial. Je salue les objectifs fixés.

J'ai déjà eu l'occasion d'alerter sur la nécessité que la Pologne ne soit pas laissée de côté sur ces sujets et notamment sur la neutralité carbone à l'horizon 2050. Nous ne pouvons pas non plus accepter que ces questions deviennent un moyen de pression sur d'autres dossiers.

Il est également important d'avancer sur la question de l'unanimité.

M. Pierre Médevielle. - À mon tour de vous souhaiter la bienvenue devant notre commission. Ma collègue Colette Mélot a très bien traduit les enjeux liés au Brexit et au changement climatique : je partage son point de vue et espère des avancées concrètes dans ce domaine. J'évoquerai deux autres questions : la coordination des messages sanitaires et la situation au Mali.

Je salue les conclusions des ministres réunis en Conseil des Affaires générales, qui ont prévu des critères communs en Europe pour la circulation intra-européenne. La situation confuse et le manque d'organisation entre États membres, que nous avons connus au début de cette crise, nous ont fait perdre un temps précieux. Cette coopération est essentielle pour lutter ensemble contre la pandémie. Sur ce sujet particulier, l'union fait la force. Je vois l'importance de ne pas fermer les frontières entre les pays européens, et je pense bien sûr à tous les travailleurs frontaliers en Europe - ils sont 360 000 en France - pour qui les derniers mois ont été très compliqués. Je pense aussi à notre marché intérieur et à la libre- circulation qui permettront à l'Union européenne de fonctionner efficacement.

Cette première étape de coopération sanitaire nous permet d'en envisager d'autres. En septembre dernier, lors de son discours sur l'état de l'Union, la présidente de la Commission européenne a appelé de ses voeux une Union européenne de la santé qui soit plus forte. Elle a notamment évoqué l'idée de créer une agence de recherche et de développement biomédicale, ce qui porterait à trois le nombre d'agences en charge des sujets sanitaires.

Ce Conseil européen doit être l'occasion d'évoquer la nécessité de nous doter d'une agence européenne de la santé unique. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a malheureusement montré des limites pitoyables dans cette crise. Un système européen performant doit être mis en place parallèlement. Nous devons nous inspirer de la gestion efficace de la crise par certains pays asiatiques, comme le Vietnam ou la Corée du Sud. Quelle sera la position de la France sur les questions sanitaires - notamment sur la question de compétences renforcées pour l'Union - lors du Conseil européen ? La création d'une agence de la santé est-elle envisageable à court ou à moyen terme ?

La situation au Mali - où la France est très présente - s'est dégradée cet été. En juillet dernier, mon collègue Joël Guerriau avait posé une question d'actualité afin de connaître les intentions de la communauté internationale. L'Union européenne souhaite accompagner le Mali dans l'organisation d'élections et dans les réformes, et je soutiens cette orientation. Mais l'évolution de la situation ces derniers mois et le contexte particulier autour de la libération de l'otage français doivent nous interroger. Avec l'opération Barkhane, la France porte quasiment seule l'action européenne. Or il ne s'agit pas seulement d'une question sécuritaire française : c'est aussi un enjeu pour l'Europe. Ne serait-il pas temps d'avoir un Conseil européen dédié à cette question ?

M. André Gattolin. - Le menu de ce Conseil européen - c'est une constante depuis deux ans - sera particulièrement copieux : on y parlera covid-19, changement climatique, relations extérieures de l'Union et Brexit, ou plutôt nouvelles relations de l'Union européenne avec le Royaume-Uni. En coulisses, le plan de relance sera vraisemblablement l'objet de nombreux échanges informels. S'y ajouteront certainement deux plats surprises.

Le premier dossier, c'est la question du Bélarusse et de la Russie, à l'aune des sanctions envisagées avant-hier lors du Conseil des Affaires étrangères. Ces sanctions viseraient plusieurs dirigeants biélorusses, dont le président Alexandre Loukachenko, ainsi que plusieurs responsables, en Russie, liés à la tentative d'assassinat par empoisonnement d'Alexeï Navalny.

Je salue le changement d'approche de l'Union européenne en matière de sanctions à l'égard de pays tiers coupables de crimes d'État ou d'agressions délibérées envers une nation, sa population ou des opposants au régime en place. Dans nombre de cas, les sanctions ciblées sur les dirigeants coupables de ces crimes sont bien plus justes et politiquement efficaces que des sanctions économiques globales. Ces dernières frappent surtout les populations, qui en conçoivent une aversion notable pour l'Union et en viennent à soutenir davantage leurs dirigeants controversés. De plus, certaines entreprises européennes peu soucieuses d'éthique contournent assez fréquemment les mesures d'embargo prises par l'Union. Enfin, lesdites sanctions provoquent des mesures de rétorsion économique à l'égard des pays et des entreprises de l'Union européenne. Les sanctions économiques prises contre la Fédération de Russie après l'annexion de la Crimée illustrent bien cette piètre efficacité politique. In fine, pour couronner le tout, les instances européennes ont bien du mal à abandonner de telles mesures sans perdre la face.

En l'état de la politique étrangère commune de l'Union, oser imposer des sanctions ciblées à l'endroit des dirigeants incriminés exige davantage de cohésion politique et de courage. C'est tout l'intérêt de l'adoption de lois de type Magnitski, actuellement envisagée à l'échelle communautaire. Cette initiative est appuyée par la France et par nombre d'autres États européens. Il semblerait que 26 pays membres de l'Union européenne se soient déjà accordés en faveur d'une telle législation, dont le Royaume-Uni dispose depuis 2018. Mais, sans avoir totalement fermé la porte, la Hongrie demeure réticente. Pouvez-vous nous faire un point sur ce sujet, ainsi que sur la philosophie générale du Gouvernement quant aux sanctions européennes applicables à un pays tiers ?

Le second dossier, c'est le Brexit et la perspective, malheureusement bien réelle, d'un no deal. La crise de la covid semble avoir un temps occulté ce qui, durant cinq ans, a été le premier sujet de préoccupation de l'Europe. Sur la longue liste des séquelles induites par ce terrible virus, les médecins n'ont pas encore référencé la cécité. C'est pourtant bien un des effets collatéraux du coronavirus. La nécrose qui frappe, en une seconde vague, notre continent, ne doit cependant pas nous faire oublier cette amputation majeure que constitue le départ du Royaume-Uni.

Outre leur fierté de grande nation insulaire, les Britanniques ont un sens inné des termes percutants. Ils viennent de créer, non sans humour, le terme de « Brovid ». Ce mot qualifie la double affection qui frappe leurs dirigeants actuels, au premier rang desquels Boris Johnson, mélange de mauvaises réponses à la pandémie et d'impréparation inquiétante du royaume à la veille de sa sortie de l'Union.

La perte de mémoire, l'oubli des engagements pris semblent également des séquelles bien britanniques de la covid, qui a déjà fait plus de 42 000 morts dans le pays. Début septembre, la Chambre des Communes a adopté un projet de loi sur le marché intérieur, présenté par le Gouvernement, qui par sa nature même viole l'obligation de bonne foi prévue dans l'accord de retrait, voté moins d'un an auparavant.

Je salue les propos clairs et très fermes que vous avez tenus la semaine dernière à ce sujet. La réalité politique résultant d'un no deal risque fort d'être sans appel pour le Royaume-Uni et ses peuples, que nous apprécions tous pour leur apport incommensurable à la civilisation européenne.

Il est loin le temps où Donald Trump faisait miroiter aux dirigeants britanniques un accord commercial extraordinaire, ou « very big deal » ! Le président américain semble aujourd'hui se battre pour sa survie politique, et l'on peut se demander si, au 10 Downing Street, l'on prie avec tant de ferveur que naguère pour sa réélection.

La perspective, un temps envisagée par Londres, d'un modèle économique post-Brexit comparable à celui de Singapour - « facilitateur fiscal », autrement dit modèle fondé sur un dumping fiscal effréné - n'est guère plus réaliste. Fort d'une population de plus de 67 millions d'habitants, et devant assumer une dépense publique et sociale assez élevée, le Royaume-Uni ne peut réduire drastiquement ses recettes fiscales comme le font certains micro-États, parfois qualifiés de paradis fiscaux.

En résumé, en cas de no deal, il n'y a pas de solution économiquement sûre et viable pour le Royaume-Uni. Mais les arguments de raison ne semblent pas avoir de prise sur le gouvernement britannique : tout n'est plus que guerre de symboles, contre Bruxelles et, accessoirement, contre Paris. La future politique britannique de la pêche risque fort d'être conçue au détriment de nos pêcheurs. Quelles mesures spécifiques le Gouvernement entend-il prendre en la matière, en cas de sortie sèche du Royaume-Uni, entraînant un accès moindre, voire nul à la zone économique exclusive (ZEE) britannique au 1er janvier 2021 ? Des mécanismes de compensation, d'aide ou de dédommagement sont-ils à l'étude pour soutenir nos pêcheurs ?

Mme Véronique Guillotin. - L'actualité du moment, c'est bien la santé et la crise sanitaire, dans laquelle l'Union européenne reste plongée, comme le reste du monde. La seconde vague de covid semble se profiler presque partout sur le continent. Aux quatre coins de l'Europe, de nouvelles mesures de lutte contre la pandémie sont adoptées. Chaque État membre prend les dispositions qu'il juge nécessaires pour contenir la propagation du virus. Pour autant, lors des derniers Conseils européens, l'on a appelé à un effort de coordination de ces dispositifs, en particulier concernant les limitations de déplacements transfrontaliers et interfrontaliers.

Dans cet état d'esprit, les ministres de l'Union européenne chargés des affaires européennes ont adopté hier une recommandation. Le but est, notamment, de coordonner les mesures nationales visant à restreindre les déplacements dans l'Union européenne, en réponse à la pandémie. La Commission a salué cette initiative en rappelant que les mesures de contrôle sanitaire aux frontières sont préférables aux fermetures unilatérales, comme celles que l'on a connues en mars dernier. Je réside en Meurthe-et-Moselle, à un kilomètre de la frontière luxembourgeoise, et je ne peux qu'approuver cette position, à l'instar des très nombreux travailleurs frontaliers.

La réunion extraordinaire du Conseil européen de juillet dernier a abouti à la présentation d'un vaste ensemble de mesures associant le futur cadre financier pluriannuel et un effort de relance spécifique, au titre du Next Generation EU. Au sein de ces projets, on distingue l'embryon d'une Europe de la santé, au moins sur le plan comptable : les outils existants sont abondés dans le prochain cadre financier pluriannuel et au titre de l'instrument de relance, à hauteur de 9,4 milliards d'euros.

Néanmoins - sur ce point, nous sommes tous d'accord -, cet effort conjoncturel doit être approfondi, et surtout relayé par une véritable réflexion quant aux contours institutionnels d'une Europe de la santé. Nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey l'ont rappelé dans leur rapport d'information, que nous avons approuvé en janvier dernier. Nous ne partons pas de zéro - nous disposons de l'agence du médicament, du centre européen de prévention et de contrôle des maladies, ainsi que de nombreuses coopérations, constatées pendant la crise sanitaire -, mais la covid doit inviter sérieusement l'Union européenne à concrétiser ce chantier. L'enjeu est de trouver le bon équilibre entre le respect de la souveraineté des États et la nécessaire mutualisation des moyens. Il faut faire preuve d'intelligence collective, face à un défi qui se joue des frontières.

La recherche, notamment pour le vaccin, soulève nombre d'enjeux stratégiques et financiers. Or des députés européens se sont émus de l'opacité qui entoure les négociations de la Commission avec les laboratoires pharmaceutiques, en vue de la réservation des doses de vaccin pour les États membres. Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce sujet ? Quoi qu'il en soit, la Commission européenne et les divers gouvernements devront parler d'une seule voix et obtenir un prix raisonnable pour le vaccin. La présidente de la Commission l'a rappelé en septembre dernier, dans son discours sur l'état de l'Union.

L'idée d'une Barda à l'européenne, sur le modèle de l'agence gouvernementale américaine liée au département de la santé qui coordonne et finance la recherche, pourrait être la première pierre d'un édifice de la santé. Le Président de la République y semble favorable. Il faut la mettre en oeuvre le plus rapidement possible : une meilleure coordination est nécessaire pour que, face à l'urgence, nous ne nous retrouvions pas à gérer, avec des pays tiers, la pénurie de masques ou de principes actifs. Au-delà de la santé, c'est bien notre autonomie stratégique qui est en jeu.

Le prochain Conseil européen devrait également mesurer les progrès accomplis au titre de l'objectif de neutralité climatique de l'Union européenne d'ici à 2050. Hélas, la crise économique qui s'annonce complique les débats quant aux moyens d'encourager le développement durable. Certains veulent « lâcher la bride » pour soutenir la croissance, et d'autres, visant en particulier le plan européen de relance, souhaitent conditionner les aides au caractère vertueux des investissements. Quelle est la position de la France ?

Pour ce qui concerne le projet de loi relatif au climat, en cours de finalisation, la présidence allemande cherche des compromis. L'objectif de réduction nette d'au moins 55 % des émissions vous semble-t-il réalisable ? La France est-elle favorable à un objectif collectif ou par pays ? L'effort doit être équitablement réparti, avec, bien entendu, une modulation de financements au bénéfice des États les moins riches.

Le Brexit sera également à l'ordre du jour. La situation sanitaire a sans doute ralenti les négociations visant à dessiner la relation future avec le Royaume-Uni. De plus, le fameux flegme britannique et l'art du fair play semblent avoir quitté nos amis anglais. Ces derniers s'évertuent à modifier unilatéralement l'accord signé en janvier. Membres de l'Union européenne, les Britanniques avaient un pied dedans et un pied dehors : c'est ce que l'on avait coutume de dire. Aujourd'hui, ils veulent être dehors, mais, à certains égards, garder un pied dedans. En particulier, la question des aides d'État doit être prise au sérieux : c'est un enjeu de concurrence, qui ne doit pas tourner en faveur du Royaume-Uni. Avec le Brexit, ce pays a fait le choix de quitter le marché unique. Il doit en assumer les conséquences, ainsi que celles découlant du protocole irlandais.

Enfin, le conflit du Haut-Karabakh est un sujet de préoccupation majeure. La solution ne réside ni dans l'intervention militaire ni dans l'ingérence extérieure, mais la population civile paye un lourd tribut. Le cessez-le-feu obtenu par Moscou est fragile et n'a pas mis un terme aux combats. Que peut faire l'Union européenne ? Doit-on rester spectateurs face à la Russie, à l'Iran et à la Turquie, au risque de voir la crise s'internationaliser ? L'escalade entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan se produit aux portes de l'Europe. Il est du devoir de l'Union européenne d'élaborer un processus de règlement du conflit.

M. Pierre Cuypers. - Au milieu d'une actualité européenne particulièrement dense, le prochain Conseil européen traitera de sujets essentiels à court et à long termes. Le premier d'entre eux est le Brexit, feuilleton à suspense et à rebondissements depuis le référendum de 2016.

Le dernier coup de Trafalgar de Boris Johnson est beaucoup plus inquiétant que les péripéties précédentes.

Ces dernières semaines, les discussions étaient une nouvelle fois dans l'impasse, notamment en raison des attentes contradictoires des Britanniques, entre la volonté de reprendre le contrôle sur leurs lois et leurs frontières et l'ambition d'un accès libre au marché unique. Le projet de loi sur le marché intérieur, présenté mi-septembre par le gouvernement britannique, pose une difficulté d'une autre nature : c'est désormais, hélas ! d'une question de confiance qu'il s'agit, d'autant que, dans le cadre de l'accord de retrait, nous avons accepté de déléguer au Royaume-Uni nos contrôles douaniers et nos perceptions de droits sur les marchandises en provenance d'Irlande du Nord.

Peut-on se fier à un interlocuteur qui assume sans fard de revenir sur un traité qu'il a lui-même négocié et fait approuver il y a moins d'un an ? J'ajoute que les Britanniques justifient ce revirement par un argument absolument invraisemblable : au titre de l'accord de retrait, l'Union européenne pourrait provoquer un blocus alimentaire en Irlande du Nord. Qui peut croire que les Européens vont affamer les Nord-Irlandais ? C'est parfaitement insensé, surtout quand on sait que, de son côté, Londres n'a jamais été en mesure de proposer une solution crédible au problème de la frontière irlandaise.

En définitive, nous avons tous intérêt à poursuivre le dialogue et à trouver un accord mutuellement acceptable, pour conserver des relations aussi étroites que possible dans tous les domaines. Mais la confiance, sans être définitivement rompue, est sérieusement écornée. Il appartient à Londres de faire les gestes nécessaires pour la restaurer, qu'il s'agisse de la mise en oeuvre de l'accord de retrait ou des pourparlers relatifs à la relation future - je pense notamment aux questions liées à la pêche et aux conditions de concurrence équitable. À un peu moins de deux mois de la fin de la période de transition, et à quinze jours de la date limite fixée pour conclure les négociations, le temps presse.

Un autre sujet fondamental inscrit à l'agenda des chefs d'État et de gouvernement est le climat. Les propositions de la Commission, à savoir l'objectif de neutralité climatique pour l'Union européenne dans son ensemble à l'horizon 2050 et l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, rehaussé de 40 % à 55 % d'ici à 2030, sont particulièrement ambitieuses.

Il s'agit, à ce jour, du plan de lutte contre le changement climatique le plus robuste au monde. Aucune autre grande économie ne se rapproche pour l'heure de cette trajectoire. Une action résolue en faveur du climat est devenue indispensable, mais la transformation que l'Europe entend engager entraînera des coûts économiques extrêmement élevés. Le plan d'investissement pour le pacte vert, présenté en décembre dernier, y pourvoira en partie, ainsi que le plan de relance européen, dont 30 % des crédits seront consacrés aux mesures climatiques. En particulier, 37 % des fonds de la facilité pour la reprise et la résilience y seront dédiés.

Malgré ces efforts, on sera encore très loin des 260 milliards d'euros d'investissements additionnels annuels que la Commission juge nécessaires pour atteindre le seul objectif de réduction de 40 % des émissions d'ici à 2030. Une grande partie de ces investissements devra donc provenir du secteur privé. Or ce dernier ne pourra pas les assumer sans un soutien fort au développement des nouvelles technologies bas carbone, qui constitueront la principale clef du changement. Le constat vaut pour l'industrie et pour les transports, ainsi que pour l'agriculture, à qui de nouveaux objectifs très, voire trop exigeants pourraient être assignés dans le cadre de la stratégie « de la ferme à la table », de la stratégie « biodiversité » et de la nouvelle architecture verte de la PAC.

La révision des cibles climatiques pour 2030 et 2050 rend encore plus urgente la nécessité de revoir la politique de la concurrence et la politique commerciale. Elles aussi doivent désormais contribuer à ce que nos entreprises soient en capacité de faire face à une concurrence internationale climatiquement moins-disante et de dégager les marges de manoeuvre nécessaires à leur transition écologique. Je pense en particulier à l'introduction d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Europe. Dans ce nouveau contexte, ce n'est plus une option, mais une nécessité absolue, qui doit être concrétisée sans délai, tant pour préserver notre compétitivité que pour éviter de nouvelles fuites de carbone. C'est une question de cohérence économique et écologique : sur ce sujet, il faut aller vite et loin.

Le dernier point à l'ordre du jour du Conseil européen a pour objet les relations entre l'Union européenne et l'Afrique. Alors que les négociations pour un nouveau partenariat post-Cotonou se poursuivent, la Commission et le haut représentant de l'Union européenne ont présenté, en mars dernier, les grands axes qu'ils proposent pour le développement d'une stratégie globale commune avec l'Union africaine.

À mon sens, deux de ces axes méritent particulièrement notre attention.

Tout d'abord, il faut mettre l'accent avec une force toute particulière sur l'intégration économique locale, le développement des compétences et, surtout, la stimulation des investissements. L'Europe est le premier pourvoyeur d'aide au développement de l'Afrique et il est important qu'elle le demeure. Mais il me semble encore plus important de dépasser cette seule approche pour développer un partenariat économique plus robuste et équilibré. En premier lieu, il convient donc d'accroître l'investissement dans la croissance des entreprises africaines. C'est le meilleur moyen de renforcer le tissu économique et de conforter le décollage économique du continent.

Ensuite, c'est un bon moyen d'agir sur les causes profondes de la migration, lesquelles constituent le second axe.

La question est revenue au premier plan ces derniers jours, avec le nouveau pacte sur la migration et l'asile. Bien des critiques ont déjà été formulées à cet égard - la proposition phare de nouveau mécanisme de solidarité a notamment été mise en cause. Bien sûr, le dispositif a tout de l'usine à gaz. Mais ce paquet a le mérite de confirmer un certain changement de ton ; désormais, la position se veut beaucoup plus ferme. C'est notamment vrai pour ce qui concerne le retour des migrants ne pouvant prétendre à l'asile. Toutefois, ce tournant sous-entend une meilleure coopération de la part des pays de départ et de transit en matière de réadmission.

Dans la définition de ses relations avec l'Afrique, l'Union européenne devra donc tenir une ligne claire quant à la conditionnalité migratoire. Sur ce sujet, les engagements seuls ne suffiront pas ; l'orientation de certaines politiques européennes, en matière de visas ou d'aides financières notamment, devra être soumise à leur mise en oeuvre effective. Cette fermeté est désormais indispensable : elle engage la crédibilité de la politique migratoire aux yeux de nos concitoyens.

M. Philippe Bonnecarrère. - Au sein du groupe Union Centriste, nous sommes très attachés à la construction européenne et nous ne dissocions pas la souveraineté française de la souveraineté européenne : c'est grâce à ces deux facteurs complémentaires que notre pays peut continuer à exister dans un monde de rapports de force.

J'ai entendu votre réponse au président Cambon sur le sujet, multiforme, de la Turquie, qu'il s'agisse de la situation en Méditerranée orientale, de la question des réfugiés et des migrations, du terrain syrien, du Caucase ou encore de la Libye, en dehors même des aspects religieux dont témoigne la transformation de Sainte-Sophie. La situation est d'autant plus complexe que la Turquie est membre de l'OTAN, ce qui n'empêche pas, de sa part, diverses manifestations d'hostilité, y compris à l'égard de notre marine.

Comme un certain nombre de nos collègues, je sors de la campagne sénatoriale : les élus municipaux m'ont peu parlé de questions internationales, mais ils ont évoqué la Turquie. Le sujet est perceptible dans nos territoires.

Enfin, nous sommes attentifs aux questions liées à l'extraterritorialité du droit américain. En dehors même de la question russe, le gazoduc Nord Stream est, pour nous, un véritable sujet.

Mme Nathalie Goulet. - Les entreprises du secteur des transports connaissent d'immenses angoisses existentielles, au sens propre du terme. Il faut harmoniser l'ensemble des règles relatives aux tests et les conditions de voyage.

De même, les sous-traitants et les agences de voyage ont absolument besoin de garanties à l'échelle européenne. Dans ce secteur, beaucoup de petits chefs d'entreprise donnent leur garantie personnelle. Or les défaillances actuelles ne leur sont pas imputables : elles sont provoquées par la crise sanitaire. La France a donné 7 milliards d'euros de garantie à Air France : on peut très bien concevoir, à l'échelle européenne, une garantie couvrant ces entreprises de transport.

Le montant des fonds de garantie doit, lui aussi, faire l'objet d'une harmonisation. Pour une même entreprise, la Belgique demande 10 000 euros, la France, 20 000 euros et l'Espagne 30 000 euros.

Enfin, la France doit respecter le règlement n° 261/2004 relatif aux droits des passagers aériens. Ce texte garantit notamment le remboursement des vols annulés. A priori, tous les pays européens l'appliquent, sauf nous. Ce sujet est d'autant plus vital qu'il touche aux finances des collectivités territoriales.

M. Jean Bizet, président. - Je suis très inquiet pour l'avenir de certaines entreprises maritimes concernées par le transmanche ; des OPA plus ou moins inamicales pourraient s'opérer. Dans des secteurs sujets à des distorsions de concurrence, comme le transport maritime ou le transport aérien, l'Union européenne a, depuis longtemps, permis aux pays membres d'accorder des exonérations de charges sociales, compensées évidemment par l'État. Brittany Ferries risque de se trouver en grande difficulté au moment où nous aurons le plus besoin de cette société.

M. Olivier Cadic. - « Maintenant j'attends, j'attends, j'attends toujours et je me prépare à attendre encore. Voilà tout ce que je peux faire. » Cette expression traduit l'impuissance et l'angoisse ressenties par les Européens qui vivent le Brexit au quotidien. Vous trouverez ce message, comme bien d'autres, dans le livre In Limbo, qui sera présenté aux médias demain ; trois Européens, dont notre compatriote Véronique Martin, ont réalisé ce nouveau recueil de témoignages, qui marquera l'histoire. Il fera comprendre aux générations futures la détresse éprouvée par les Européens du Royaume-Uni, consécutive à la décision de sortie de l'Union européenne et toutes ses conséquences humaines négatives.

Je vis au Royaume-Uni depuis vingt-trois ans. Or, quatre ans et demi après le référendum décidant la sortie du pays de l'Union, nous ne savons toujours pas ce que le Brexit va vraiment signifier pour nos vies. L'accord de retrait est supposé garantir les droits des Européens résidant au Royaume-Uni. Les Britanniques ont décidé d'accorder le settled status à tous les Européens installés outre-Manche depuis plus de cinq ans. À ceux qui s'y trouvent depuis moins de cinq ans, ils accorderont le pre-settled status.

La crise entraînée par la covid a contraint de nombreux Européens à demander des aides sociales au Royaume-Uni. Ceux qui disposent du settled status peuvent y prétendre sans difficulté. En revanche, ceux qui n'ont que le pre-settled status sont soumis à un test de résidence habituelle, dont dépend l'accès aux services sociaux. Ces derniers gèrent six allocations, parmi lesquelles l'allocation de chômage, l'aide au logement, l'aide sociale et l'aide aux handicapés.

Cette difficulté a été portée à mon attention par Nicolas Hatton, président de The3Million, association représentant les trois millions d'Européens vivant au Royaume-Uni. Cette barrière réglementaire est incompatible avec l'accord de sortie, car elle catégorise les Européens du Royaume-Uni légalement enregistrés en deux groupes, avec des droits distincts.

J'ai soulevé cette question devant Michel Barnier, lors de son audition par nos commissions des affaires étrangères et des affaires européennes le 25 juin dernier. M. Barnier a rappelé que nous étions dans la période de transition avant la sortie effective du Royaume-Uni de l'Union européenne. Il m'a indiqué que ses services étaient disposés à considérer toute mesure de discrimination et à interpeller, le cas échéant, leurs homologues britanniques. Nous savons que les négociateurs s'occupent de la question et nous leur en sommes reconnaissants, mais nous n'en savons pas plus. Tous les résidents européens du Royaume-Uni doivent conserver leurs droits et il faut faire respecter l'accord de divorce de l'an dernier. Êtes-vous conscient de cette situation ? Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet ? Qu'allez-vous faire, en la matière, lors du Conseil européen ?

À l'instant, je confiais à l'ambassadrice d'Irlande que les vols via Belfast étaient pleins : les voyageurs contournent ainsi la quarantaine imposée à Dublin. La mise en oeuvre de l'accord doit bel et bien être rigoureuse. Or le projet d'internal market bill est une violation flagrante de l'accord de retrait, et donc du droit international. Le 1er octobre dernier, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure au Royaume-Uni pour manquement aux obligations qui lui incombent. Où en est cette procédure ?

Vous déclarez vouloir éviter un mauvais accord. Sur ce point, le Premier ministre britannique ne pourra que vous approuver. Mais que nous ayons un bon accord, un mauvais accord, ou que nous n'ayons pas d'accord du tout, serons-nous en mesure de faire respecter ce qui a été acquis l'an dernier, en particulier pour les droits des Européens ?

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Monsieur Marie, l'Europe de la santé repose sur trois éléments au moins.

Le premier élément, c'est l'harmonisation des données. Il s'agit d'une étape importante, impliquant une forme de coopération européenne inédite. L'accord obtenu hier au Conseil a été soutenu par tous les États nonobstant un petit bémol du Luxembourg, pour qui nous n'allons pas assez loin. Ce texte devrait être suivi. Nous devrons nous en assurer et il faudra aller au-delà, en créant un organisme commun à l'échelle européenne pour collecter et harmoniser les données, de manière régulière et impérative, pour fournir une information parfaitement homogène sur l'évolution des épidémies en Europe.

Au printemps dernier, on a cherché à comparer des données toutes simples, comme le nombre de lits de réanimation. Or tous les pays membres n'appliquent pas les mêmes critères, ce qui a parfois biaisé les comparaisons et alimenté de fausses informations. C'est tout de même étonnant : à l'échelle européenne, nous disposons de manuels méthodologiques de plusieurs milliers de pages détaillant le mode de calcul des déficits, pour s'assurer que chacun les détermine de la même manière, et, lors d'une épidémie, nous ne suivons pas les mêmes critères pour établir le nombre de cas ou de victimes. Toutefois, il y a un an, sans doute aucun d'entre nous n'aurait jugé ce travail prioritaire. Nous apprenons aussi de cette crise à l'échelle européenne.

Le deuxième élément, c'est le stockage. Nous devons avoir une capacité européenne de réaction rapide et commune à une épidémie, face au risque de manque, voire de pénurie. Cette question appelle celle de l'autonomie stratégique, sanitaire et industrielle : pour avoir des stocks communs, il faut avoir des capacités de production suffisantes. La crise sanitaire a mis en lumière le fait que 60 % à 80 % du paracétamol sont produits hors d'Europe. Or, pour relocaliser un certain nombre de ces productions vitales, il faudra agir à l'échelle européenne. De même, face à une future épidémie dont, par définition, l'on ne connaît pas tous les contours, il serait peu raisonnable de constituer des stocks à l'échelle d'un seul pays.

Au sein de la réserve européenne de protection civile, dont la France a eu l'initiative, la Commission a prévu un compartiment sanitaire. En urgence, elle a mobilisé quelques centaines de millions d'euros pour amorcer cette réserve. Elle a prévu plus de 2 milliards d'euros à ce titre dans le futur budget pluriannuel. Plusieurs pays européens - ce sera peut-être aussi le cas de la France - se sont déjà portés candidats pour accueillir une partie des stocks, qu'il s'agisse des masques, des équipements de tests ou de protection.

Le troisième élément, c'est le vaccin et, plus largement, la recherche biomédicale. La présidente de la Commission a proposé une forme de Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority) à l'européenne. Cette agence existe déjà sous forme embryonnaire. Face aux grands risques sanitaires, son but est de financer des recherches communes, au-delà de l'initiative ad hoc relative aux vaccins.

Concernant les négociations euro-britanniques, le désormais fameux internal market bill constitue clairement une violation de l'accord de retrait, ratifié par les deux parties. Certains ministres britanniques ont parlé d'une « violation spécifique et limitée », ce qui est un non-sens juridique : soit il y a une violation, soit il n'y en a pas.

Nous avons été clairs en disant que, si ce texte était voté aux Communes, nous engagerions une procédure juridique et, dès le lendemain du vote, la Commission a réagi par une lettre de mise en demeure. Elle a donné trente jours aux Britanniques pour se justifier. Ils ont fait savoir qu'ils répondraient. Ensuite, nous pourrons aller jusqu'à saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Nous pourrons également saisir un comité conjoint - cette instance n'est pas encore constituée - pour examiner ce différend.

Ces procédures juridiques sont essentielles, mais elles ne seront sans doute pas suffisantes. Tous les groupes de la majorité au Parlement européen ont fait savoir qu'ils ne voteraient pas l'accord éventuel sur la relation future si, d'ici au mois de décembre prochain, l'accord de retrait était remis en cause - concrètement si l'internal market bill allait à son terme. Voilà un bel exemple de cette unité et de cette fermeté européennes dont nous avons besoin dans le cadre du Brexit. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Il y a quelques jours, la jurisprudence de la CJUE a encore renforcé l'exigence de protection des données. Il s'agit d'une décision unilatérale de l'Union européenne, qui n'est pas spécialement dirigée contre les Britanniques. Sans équivalence en la matière, évaluée régulièrement côté britannique, le transfert de données ne pourrait pas être autorisé : ce serait contraire au droit européen et la CJUE le sanctionnerait, comme elle a sanctionné le transfert de données européennes vers les États-Unis. C'est un mécanisme clair de défense de nos standards.

J'en conviens tout à fait, l'absence d'accord est préférable à un mauvais accord. C'est d'ailleurs ce que disait Theresa May lorsqu'elle était Premier ministre. Le président du Conseil européen, Charles Michel, l'a encore répété récemment. Faute d'accord, diverses mesures de contingence seraient activées aux échelles européenne et nationale. Le Sénat a déjà habilité le Gouvernement à prendre certaines d'entre elles. À mon arrivée au ministère, j'ai demandé un passage en revue de tous ces dispositifs, et, pas plus tard que lundi dernier, le Premier ministre a insisté sur l'importance de ce travail. Les sujets vont du tunnel sous la Manche au transport routier : les activités vitales doivent se poursuivre.

À proprement parler, le plan de relance européen n'est pas assorti de conditionnalités. Mais, de longue date et presque toutes sensibilités confondues, la France demande une meilleure coordination de nos plans de relance et de nos politiques économiques, au moins à l'échelle de la zone euro. Chacun ne va pas élaborer sa stratégie de relance de son côté.

En vertu de l'accord du 21 juillet, chaque pays communiquera son plan de relance à ses partenaires entre le 15 octobre et le mois de janvier prochain. Suivra une discussion commune : chaque État aura un droit de regard sur la relance des autres et, en qualité de tiers de confiance, la Commission procèdera à une évaluation. Toutefois, il n'y aura pas de droit de veto : un pays ne pourra pas prendre un autre en otage, pour imposer telle ou telle réforme en la fixant comme condition pour libérer les fonds.

En outre, la Commission européenne n'imposera en aucun cas une liste de réformes, portant sur les retraites ou sur d'autres dossiers. On a entendu beaucoup de contre-vérités à ce sujet. Si notre réforme des retraites était liée à la crise de la covid, cela se saurait : elle a été entreprise avant. Il faut sortir de la mentalité du mauvais élève tancé par l'instituteur bruxellois.

Cela étant, deux conditionnalités sont imposées stricto sensu, et l'on ne peut que s'en réjouir : une conditionnalité climatique - un peu plus de 30 % des crédits de chaque plan de relance devront être consacrés au climat - et une conditionnalité numérique, plus informelle, ajoutée récemment par la Commission - au moins 20 % des fonds des plans de relance devront être consacrés à la transition numérique.

L'accord du 21 juillet établit un lien entre, d'une part, l'État de droit et, de l'autre, le versement des fonds européens ou leur possible suspension : c'est une première. Les discussions sont en cours pour définir, à ce titre, l'instrument le plus ambitieux possible. Certains pays - la Pologne et la Hongrie en particulier - veulent réduire cette ambition. Mais, ces exceptions mises à part, tout le monde s'est accordé sur ce point. Nous espérons pouvoir disposer dans les prochaines semaines, au plus tard dans les prochains mois, d'un mécanisme garantissant le respect de l'État de droit via le canal budgétaire. Ensuite, il faudra continuer à enrichir notre boîte à outils. Ce dossier est inscrit très haut sur l'agenda européen. Avec l'Allemagne et beaucoup d'autres pays, notamment au nord de l'Europe, nous l'avons défendu avec énergie, et je suis sûr qu'il va avancer.

L'autonomie stratégique et la gestion des relations extérieures ont été abordées à plusieurs titres, notamment à travers la question turque. Je ne peux que faire mienne l'ambition que le Président de la République manifeste depuis trois ans : il est nécessaire de renforcer notre autonomie stratégique, en particulier dans le domaine de la défense.

Monsieur Cambon, ce chantier ne progresse sans doute pas assez vite ; mais, à l'échelle européenne, notamment à l'égard de la Chine, les mentalités ont connu une transformation radicale depuis quelques années, et la France n'y est pas pour rien. Le Brexit a également joué, de même que l'action des États-Unis d'Amérique. Nous sommes plus fermes. Nous avons encore un long chemin à parcourir pour coordonner un certain nombre de sensibilités politiques, mais la trajectoire me paraît désormais la bonne.

MM. Fernique et Cuypers ont évoqué la question du climat. Par son vote historique, le Parlement européen appelle à un rehaussement très ambitieux de nos objectifs pour 2030. Le taux de 60 % sera sans doute difficile à obtenir en l'état actuel du consensus européen ; la cible de 55 %, fixée par la Commission, est déjà ambitieuse et elle sera, elle aussi, difficile à obtenir, mais nous nous battrons à cette fin.

En la matière, l'exemple européen aura sans doute un effet d'entraînement international. C'est une question d'efficacité et de justice : des outils complémentaires sont indispensables pour qu'un tel effort aboutisse. Si nous sommes les seuls bons élèves, nous ne ferons qu'une partie du chemin, même avec toute la bonne volonté du monde, et la situation sera insoutenable, pour nos agriculteurs ou encore pour nos industriels.

Nous devons donner l'exemple, pousser les autres à s'engager - c'est ce que nous faisons dans nos discussions avec la Chine ou avec l'Inde -, défendre l'accord de Paris et prévoir des outils plus défensifs pour rehausser à notre niveau les ambitions écologiques de ceux qui exportent vers l'Europe : d'où la nécessité d'un mécanisme d'inclusion carbone robuste et rapide. Sur ce sujet, nous souhaitons une proposition de la Commission européenne au premier semestre 2021. C'est aussi la demande du Parlement européen. Comme l'a relevé M. Fernique, une taxe carbone efficace constituerait à la fois une protection climatique et une ressource permettant de financer un certain nombre de politiques.

Pour ce qui concerne le siège du Parlement européen à Strasbourg, je ne peux que vous répéter le soutien de l'État. Nous exerçons une forte pression quotidienne sur le président Sassoli, auquel le Président de la République a écrit et à qui j'ai encore parlé hier. La préfète de la région Grand Est a échangé avec les services du Parlement européen ce matin même. La mobilisation est générale. Je ne peux pas vous assurer que les sessions reviendront à Strasbourg dès la semaine prochaine, mais nous y travaillons, notamment sur le plan sanitaire, et nous oeuvrons à un retour rapide. Je vous remercie de conforter ce message.

Madame Mélot, monsieur Médevielle, pour ce qui concerne la relation entre l'Union européenne et l'Afrique, le sommet prévu fin octobre a dû être décalé. Une importante réunion aura lieu en décembre, et nous la préparerons brièvement dès le Conseil européen de cette semaine. La négociation post-Cotonou, élément essentiel de cette relation, devra être décalée, pour aboutir plutôt au début de l'année 2021.

Nous devons inventer un modèle cohérent avec la montée en puissance de l'Union africaine et avec la mise en place d'une zone de libre-échange africaine, ce qui implique un format tout à fait différent.

M. Cuypers insiste sur la nécessité d'une relation avec l'Afrique fondée sur l'investissement, et non sur les seules questions migratoires. L'investissement, notamment privé, est bel et bien essentiel à une relation durable. Nous devons ainsi développer une nouvelle approche plus respectueuse.

Nous, Européens, sommes souvent les premiers partenaires sans être les premiers acteurs stratégiques : nous payons beaucoup, mais nous ne développons pas une relation complète. C'est également le cas dans les Balkans, où, comme en Afrique, la tentation chinoise est permanente. En Afrique, l'Europe est le premier bailleur, le premier investisseur et le premier partenaire de sécurité, notamment à travers les opérations extérieures onusiennes. À l'échelle européenne, il faut exercer davantage de pression collective, qu'il s'agisse de la délivrance de visas ou de la mise en oeuvre des aides. La coopération à sens unique n'est pas possible.

Face à la question climatique, Colette Mélot souligne qu'il ne faut pas laisser la Pologne de côté. À cet égard, ce pays bénéficie précisément d'une solidarité financière massive. À travers le plan de relance, elle est la première bénéficiaire du fonds pour une transition juste : au total, elle recevra 8 milliards d'euros à ce titre pour la période qui vient. Cette somme est conditionnée, au moins pour moitié, à un engagement de neutralité carbone pour 2050. La Pologne a très largement subi les choix énergétiques du fait desquels son économie est aujourd'hui très carbonée, mais elle ne peut pas refuser de s'engager davantage vers la neutralité carbone si elle veut bénéficier de notre appui légitime.

Au sujet de la coordination sanitaire, M. Médevielle a salué l'accord du Conseil Affaires générales et je l'en remercie. Plutôt que de créer une nouvelle structure de toutes pièces, partons de l'existant : l'ECDC, agence européenne qui collecte précisément les données, pourrait être l'embryon de cette compétence sanitaire renforcée à l'échelle européenne.

Monsieur Gattolin, la question des sanctions est un vaste débat. Il est clair qu'une politique étrangère ne saurait être résumée à une politique de sanctions.

De plus, il faut bien distinguer les sanctions individuelles, que nous avons prises dans le cadre de la crise biélorusse ou encore, il y a quelques mois, à l'encontre de certains responsables turcs, face aux forages chypriotes, et les sanctions sectorielles et économiques prises à l'égard de la Russie. Néanmoins, pour ces deux types de sanctions, nous sommes passés à une nouvelle phase. L'Europe se montrait très timide dans sa politique extérieure et de sécurité : elle commence à s'affirmer, même si c'est parfois difficile, en mobilisant des outils plus durs.

Revenir sur les sanctions russes existantes - la France n'a jamais soutenu cette solution - ou renoncer aux sanctions individuelles serait envoyer un mauvais signal : ces mesures étaient indispensables dans le cas de la Biélorussie. Pour la Turquie, on n'exclut pas une action similaire à l'avenir. En parallèle, le Président de la République a souhaité une présence militaire renforcée de la France et de trois de ses partenaires européens en Méditerranée orientale. Nous devrons également inventer d'autres actions : les Américains ont recours à des mesures extraterritoriales, d'ailleurs parfois contraires au droit international. Sans les imiter nécessairement, il faut réfléchir à ce type d'instruments.

Vous avez évoqué un Magnitsky Act, comme l'a proposé la présidente de la Commission européenne. Le sujet mériterait une discussion en soi, mais un tel dispositif constituerait un cadre harmonisé, peut-être plus efficace pour notre politique de sanctions.

Je ne peux que partager votre impatience, monsieur Gattolin, quant à la durée de la négociation du Brexit. Nous réfléchissons bien sûr, au niveau national et européen, à un dispositif de dédommagement des pêcheurs en cas de no deal, mais il n'est pas souhaitable d'aborder des négociations dans l'optique que l'on aura à indemniser des situations difficiles : mieux vaut chercher plutôt, à ce stade, et avec fermeté, à limiter les difficultés liées au Brexit.

Madame Guillotin a évoqué la coordination sanitaire et la situation à la frontière franco-luxembourgeoise. La Commission a elle-même recommandé, dans le texte que nous avons adopté hier au niveau des États membres, de ne pas fermer les frontières. Je me suis aussi entretenu avec le ministre des affaires étrangères et européennes luxembourgeois, M. Asselborn. Il n'est dans l'intérêt de personne de fermer les frontières : le Luxembourg est d'ailleurs très reconnaissant à la France d'avoir été l'un de ses rares voisins à ne pas avoir mis en place de restrictions aux déplacements transfrontaliers au printemps dernier, y compris dans les moments où la pression politique aurait pu entraîner de mauvaises décisions, contrairement à deux grands voisins du Luxembourg, qui sont aussi nos amis.

Vous avez évoqué la question de la transparence des contrats de fourniture des vaccins. Le Parlement européen y est très sensible et nous sommes aussi vigilants. Un degré de confidentialité est nécessaire, en raison de la concurrence internationale, y compris à l'égard des États membres dans la mesure où la Commission a reçu un mandat des États pour négocier ces contrats, mais il faut que nous ayons plus de visibilité sur les grandes clauses de ces contrats et nous demanderons, avec le Parlement européen, à en savoir davantage pour éviter tout risque de polémique sur leur contenu.

En ce qui concerne la situation au Haut-Karabakh, la France, en tant que co-présidente du groupe de Minsk, s'efforce d'obtenir une cessation rapide des hostilités. Un cessez-le-feu avait été décidé, mais il n'est pas totalement respecté. Nous continuons à être engagés dans un dialogue, même s'il est difficile, avec la Russie, pour qu'elle favorise par ses efforts diplomatiques propres la cessation des hostilités et la reprise du dialogue entre les belligérants. On sait aussi le rôle néfaste qu'a joué la Turquie.

En ce qui concerne les objectifs climatiques, ils seront d'abord définis au niveau européen, puis déclinés par pays. Ils pourront être différenciés, comme le sont déjà les objectifs pour 2030, mais cette question se posera dans un second temps, car il faut d'abord que nous nous engagions solidairement, comme nous l'avons fait pour la neutralité carbone en 2050, pour fixer une nouvelle cible pour 2030 : en tout état de cause, l'objectif intermédiaire de réduction des émissions de l'Union européenne pour 2030 devrait être lui aussi rehaussé au-delà des 40 % actuels.

M. Cuypers a évoqué la question migratoire. La proposition de la Commission est une proposition sérieuse, complète et qui permet de parvenir plus facilement à un accord que les propositions antérieures. En matière d'asile et d'immigration, la solution ne peut être qu'européenne. Je suis un peu affligé quand j'entends certains expliquer qu'il faut mener une campagne contre ce qui serait un nouveau pacte de Marrakech : le Rassemblement national, pour ne pas le nommer, siège au Parlement européen et aura donc l'occasion de s'exprimer - autant qu'il le fasse dans les enceintes démocratiques ! En outre, il n'y a aucun rapport entre ces deux sujets. Cette proposition constitue un paquet législatif opérationnel, qui vise à renforcer la protection de nos frontières et la rapidité des procédures d'asile à la frontière : l'État d'arrivée aurait douze semaines, délai proposé par la Commission, ce qui est assez rapide, pour examiner les situations individuelles et dire si le demandeur peut avoir droit à l'asile et reconduire ceux qui n'ont pas droit à la protection européenne. Celle-ci est inscrite dans notre Constitution et dans les textes européens. Ceux qui y ont droit doivent évidemment être accueillis en Europe - il n'y a pas d'ambiguïté à cet égard - et de manière solidaire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - la France prend une grande part à l'effort, contrairement à d'autres États européens et c'est cette situation que tente de débloquer la Commission avec ce projet. Celui-ci est assez compliqué, car il distingue différentes situations et différentes mesures pour parvenir à une matrice complexe - « usine à gaz », avez-vous dit -, mais c'est sans doute le prix à payer pour trouver une réponse aussi équilibrée que possible à chaque situation. La négociation sur ce pacte devrait débuter durant la présidence allemande et j'espère qu'elle aura abouti avant la présidence française en 2022, sinon nous reprendrons le sujet. Après la crise migratoire que nous avons connue en 2015 et 2016, nos concitoyens ne comprendraient pas que nous ne soyons pas capables de trouver une réponse au niveau européen : la pression migratoire ne disparaîtra pas, mais il faut trouver une réponse à la fois humaine et ferme pour garantir la protection des frontières au niveau européen. C'est vital pour donner du sens au projet européen.

Mme Goulet et M. Bonnecarrère ont évoqué la Turquie. Je n'ai pas la même expérience de terrain que vous, n'étant pas élu, mais je me déplace beaucoup : je constate que l'on me parle souvent spontanément de la situation en Méditerranée et de la Turquie. Chacun a l'idée que, dans cette crise, se joue quelque chose mettant en cause notre capacité à nous affirmer et à défendre nos valeurs. Nous devons donc être fermes.

La France a toujours dit publiquement - il ne s'agit donc pas d'une défiance à l'égard de l'Allemagne - ses réserves à l'égard de Nord Stream 2, mais il n'y a pas de lien avec l'affaire Navalny. Nous avions déjà agi l'an dernier, sous l'autorité du Président de la République, pour obtenir un cadre juridique permettant à la Commission européenne d'encadrer le projet, de garantir la transparence et la liberté d'accès à l'infrastructure énergétique. Il n'en demeure pas moins que ce projet risque d'accroître notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, ce qui n'est pas très cohérent avec notre objectif d'autonomisation de l'Europe.

La liaison transmanche est aussi un sujet de souveraineté. Nous ferons les efforts nécessaires pour pérenniser cette liaison et sauver les entreprises. Le Gouvernement a prévu une enveloppe de soutien exceptionnel de 30 millions d'euros, qui sera complétée à due concurrence par les collectivités territoriales.

En ce qui concerne les transports et les aéroports, l'accord sur la coordination des critères sanitaires constitue une première étape, mais il ne règle pas tout. Il prévoit un formulaire commun, qui se substituerait aux formulaires nationaux que chaque passager qui prend l'avion doit remplir. Il devrait être adopté par tous les pays européens au cours des prochaines semaines. Les protocoles sanitaires varient selon entre les pays : certains prévoient des tests obligatoires, d'autres non, avec parfois une quarantaine imposée, etc. L'accord recommande de privilégier les tests et de limiter au maximum les quarantaines. Je ne peux pas vous garantir que les protocoles aéroportuaires seront immédiatement harmonisés, mais l'harmonisation est bien l'étape suivante de cette dynamique de coordination que nous avons enclenchée. Le ministre délégué aux transports, M. Djebbari, s'efforce d'y parvenir, au moins entre les grands aéroports européens. Il s'est ainsi, par exemple, rendu en Espagne récemment.

Je note votre préoccupation sur la prise en compte des agences de voyages dans le plan de soutien et la relaierai auprès du Gouvernement, car le sujet ne dépend pas directement de mes compétences. La France était réticente à l'égard du dispositif européen relatif aux droits des passagers que la Commission a confirmé, qui consiste à toujours laisser ouvert un droit à remboursement, même si les compagnies peuvent proposer des avoirs. Le droit au remboursement est donc garanti, mais je vérifierai les derniers développements pour répondre à votre question précisément.

Monsieur Cadic, nous serons très vigilants sur le respect des droits des citoyens garantis dans l'accord de retrait du Royaume-Uni. Nos autorités diplomatiques et consulaires à Londres sont mobilisées. Je vérifierai précisément ce point et l'existence d'une éventuelle discrimination entre settled status et pre-settled status, qui ne devrait pas s'appliquer, car ceux qui résidaient déjà au Royaume-Uni doivent conserver leurs droits, de même que nous avons ouvert cette semaine la procédure permettant aux Britanniques qui séjournaient en France avant le Brexit d'obtenir un titre de séjour permanent. Nous veillerons à ce que la réciprocité soit assurée.

M. Jean Bizet, président. - Merci pour la clarté et la précision de vos réponses. Si malheureusement, on aboutissait à un no deal, on en reviendrait alors à des relations régies par les règles de l'Organisation mondiale du commerce. Nous saurons à la fin du mois quelle candidate sera élue à la tête de cette organisation. Cela illustre en tout cas l'importance du multilatéralisme. Nous suivons avec attention ces sujets au Sénat. Pour conclure, je vous souhaite un bon déplacement à Port-en-Bessin. Je suis persuadé que M. Dimitri Rogoff, le président du comité régional des pêches de Normandie, vous réservera le meilleur accueil.

La réunion est close à 20 h 30.