Mardi 28 juillet 2020

- Présidences de M. Vincent Éblé, président de la commission des finances et de M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de M. Éric Doligé, préalable à sa nomination par le Président du Sénat pour siéger au Haut Conseil des finances publiques (HCFP), en application de l'article 11 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. - Nous avons le plaisir d'entendre notre ancien collègue Éric Doligé, que le Président du Sénat envisage de nommer au Haut Conseil des finances publiques (HCFP). En effet, cette nomination ne peut avoir lieu qu'après une « audition publique conjointe » par la commission des affaires sociales et la commission des finances, en application de l'article 11 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Notre audition fait l'objet d'une captation vidéo et elle est retransmise sur le site internet du Sénat.

Le HCFP est un organisme indépendant chargé d'apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques du Gouvernement et de se prononcer sur la cohérence de la trajectoire budgétaire gouvernementale avec les objectifs pluriannuels de finances publiques et les engagements européens de la France. Ce Haut Conseil est composé de onze membres, dont deux sont nommés respectivement par le Président du Sénat et le Président de la commission des finances du Sénat ; j'avais ainsi procédé à la nomination d'Éric Heyer en février 2018. Il est placé auprès de la Cour des comptes et présidé par le Premier président de cette dernière. Nous avons d'ailleurs récemment entendu Pierre Moscovici venu nous présenter l'avis du Haut Conseil sur le troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020.

S'agissant des conditions à remplir pour être nommé au HCFP, l'article 11 de la loi organique précitée fixe trois principales exigences : l'absence d'exercice de fonctions publiques électives, la compétence « dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques » et, enfin, l'indépendance, puisqu'il est interdit aux membres du HCFP de « solliciter ou recevoir aucune instruction du Gouvernement ou de toute autre personne publique ou privée ».

Je vous propose de commencer cette audition par un bref exposé liminaire de M. Doligé, au travers duquel il pourrait nous présenter sa candidature et nous exposer sa conception du rôle du HCFP.

Mais avant que M. Doligé ne s'exprime, je cède la parole à M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - Merci de nous accueillir pour cette audition en commun.

En matière de finances publiques, la commission des affaires sociales est attentive à ce que le sujet soit bien traité pour l'ensemble de ce que l'on appelle les « administrations publiques » et pas uniquement pour ce qui concerne le budget de l'État. Les finances sociales sont trop souvent traitées un peu rapidement au cours des débats d'orientation des finances publiques ou des lois de programmation, voire des avis du HCFP sur les textes financiers de l'automne. Toutefois, la crise sanitaire et le niveau préoccupant des déficits et de la dette de la sécurité sociale et de l'assurance chômage a fait évoluer ce point.

Mes questions porteront sans surprise sur les finances sociales.

La réflexion sur les finances publiques est aujourd'hui segmentée entre plusieurs instances, dont les missions et la composition sont très différentes. À vos yeux, un rapprochement du HCFP et du Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), que la loi du 3 aout 2018 visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement a élevé au rang législatif, est-il une perspective souhaitable, ou bien chaque instance devrait-elle, selon vous, conserver sa spécificité ?

Nous avons beaucoup parlé de la règle d'or lors de l'examen du projet de loi relatif à la dette sociale : au regard des déficits de l'ensemble des administrations publiques, l'objectif de l'atteinte d'un équilibre des comptes sociaux garde-t-il, selon vous, une pertinence particulière ?

M. Vincent Éblé, président. - Je vais également poser quelques questions à M. Doligé.

Le Premier président de la Cour des comptes a récemment plaidé pour renforcer « le rôle d'analyse et de pédagogie » du HCFP et augmenter « le coût politique d'un manquement » aux engagements pris par le Gouvernement en matière budgétaire. Partagez-vous cette ambition ? Si oui, quels seraient selon vous les moyens susceptibles de renforcer la portée des avis du Haut conseil ?

Le HCFP est chargé de veiller au respect des engagements pris par le Gouvernement dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques. Traditionnellement révisée tous les deux ans, cette dernière n'a pas été actualisée depuis son adoption à la fin de l'année 2017 et apparaît aujourd'hui obsolète. Plaidez-vous en faveur de l'adoption d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques à la rentrée ou pensez-vous qu'il serait prématuré pour le Gouvernement de présenter ses objectifs pluriannuels en la matière, dans le contexte très incertain lié au covid-19 ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je me réjouis de retrouver M. Doligé dans cette commission qu'il connait bien et de la décision du Président du Sénat de le nommer à cette fonction car notre collègue a dirigé des entreprises, a été parlementaire et élu local pendant de nombreuses années. Et la question des finances publiques locales occupera le HCFP ces prochaines années.

Nous en sommes à un moment particulier avec un déficit budgétaire qui dépasse les 100 % du PIB : c'est le nouveau monde ! Les règles budgétaires sont-elles trop complexes, trop rigides ? Des améliorations doivent-elles intervenir alors que la dette est indolore ? Lorsque les circonstances le permettront, faudra-il en revenir à l'objectif de réduction de la dépense publique et de la dette ?

La biographie de M. Doligé, dont j'ai pu prendre connaissance, est impressionnante : nous avons besoin de lui au HCFP !

M. Éric Doligé, candidat au HCFP. - Merci de m'accueillir ici.

Vous m'avez demandé si je remplissais les conditions pour siéger au HCFP. Pour certaines, c'est le cas, pour d'autres, ce sera à vous d'en juger. Tout d'abord, je n'ai plus de fonctions publiques depuis que j'ai quitté le Sénat. Cela n'implique pas que je me sois désintéressé de la vie publique et notamment de celle du Sénat. Elle me concerne désormais en tant que citoyen.

J'ai acquis une certaine compétence en matière macroéconomique au fil de mes quarante années de vie publique élective, dont dix-sept ans à la commission des finances du Sénat. J'ai en outre passé vingt-cinq ans en entreprise et j'y suis retourné récemment.

Comme parlementaire, j'essayais d'être indépendant tout en me trouvant dans un cadre bien défini ; désormais, le fait de ne plus être élu me permet de retrouver une totale liberté de parole. Ne craignez pas que je reçoive des instructions de qui que ce soit : j'écouterai bien sûr les propos des uns et des autres, mais je ne recevrai jamais d'instruction.

Les organismes créés pour éclairer le Gouvernement et le Parlement ne doivent pas se substituer à eux. En revanche, ils apportent une vision concrète de la réalité, ce qui n'est pas toujours l'apanage de l'exécutif. Comme j'ai pu le constater lorsque j'ai été nommé au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), la collégialité est indispensable pour fournir un travail de qualité.

Le Premier président de la Cour des comptes préside également le HCFP et le CPO : les liens sont donc étroits d'autant que l'administration est commune aux trois organismes. Les rapports sont passionnants, mais on retrouve le même style mesuré dans l'expression. Selon moi, ces organismes gagneraient à s'ouvrir sur l'extérieur et à accueillir des membres qui ne sortent pas tous du même moule.

Plutôt que de rapprocher le HCFP et le HCFiPS, il faut privilégier les vues d'ensemble car les déficits de l'État, de la protection sociale et des collectivités s'additionnent et pèsent lourd. En revanche, les spécificités sociales font que l'existence du HCFiPS est tout à fait justifiée. Je suis par ailleurs bien évidement favorable au retour à l'équilibre des comptes. Si la règle d'or est difficilement atteignable aujourd'hui, des efforts seront nécessaires à l'avenir. N'oublions pas non plus de distinguer le fonctionnement de l'investissement : il me semble que les emprunts ne peuvent se justifier que s'ils servent à financer des dépenses d'investissement.

Les analyses du HCFP sont pertinentes, et elles reposent sur des études macroéconomiques réalisées par des organismes indépendants. Je ne suis pas certain que le Haut Conseil ait besoin de ses propres experts pour mener à bien ses travaux. En revanche, ses avis doivent être entendus, ce qui n'est pas toujours le cas, même si depuis quatre ou cinq ans, le Gouvernement semble leur apporter plus d'attention, puisqu'il s'écarte moins des trajectoires qu'il s'était fixé auparavant. Le HCFP se doit de donner des avis un peu plus tranchés pour rappeler au Gouvernement qu'il doit respecter les orientations fixées par l'Union européenne.

M. de Montgolfier m'a demandé s'il fallait simplifier les règles européennes : la Commission européenne y travaille mais nous devons également nous interroger pour savoir si les règles de 3 % de déficit et de 60 % d'endettement public par rapport au PIB sont encore d'actualité. Ce seuil me semble devoir être revu puisque quasiment aucun pays ne le respecte. En revanche, on ne peut accepter que des pays s'endettent pour combler leurs déficits de fonctionnement.

Pour l'instant, la France ne peut pas respecter les règles budgétaires en vigueur : attendons que la production reprenne à un niveau égal à ce qu'il était avant la crise avant d'imposer des carcans budgétaires. En revanche, la simplification des normes est indispensable car elle aide à la pédagogie : le public doit comprendre les objectifs du Gouvernement. Enfin, je ne suis pas certain qu'il faille imposer des règles identiques à tous les secteurs de l'économie, car certains d'entre eux n'arriveront pas à retrouver leur activité passée.

M. Charles Guené. - Je suis ravi de cette proposition de nomination. Chacun a pu mesurer le poids des collectivités locales dans la performance et la trajectoire de nos finances publiques. Depuis une dizaine d'années, avec la réforme de la taxe professionnelle et de la taxe d'habitation, on substitue des parts d'impôts nationaux à des impôts locaux et, demain, à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) va se substituer aussi, en large part, une fraction de TVA. Bref, la course à l'autonomie fiscale est très largement derrière nous. Tout au plus pouvons-nous espérer la libre administration. Que pensez-vous, dans le contexte actuel, de cette orientation prise par nos finances locales ? Nous vivons dans un parlementarisme rationalisé, qui laisse beaucoup de pouvoir à l'État. Si, en plus de cela, les impôts sont tous nationaux, ne faudrait-il pas mettre en place une nouvelle gouvernance, de nature plus systémique ? Il conviendrait de la fonder sur une relation plus équilibrée entre collectivités locales, Parlement et État. Sinon, la trajectoire des collectivités locales s'inscrira dans celle des finances de l'État.

M. Yves Daudigny. - Est-il pertinent, dans la période actuelle, de distinguer la dette sociale - alors que les autres pays n'en ont pas, quand la France choisit d'amortir la sienne - de la dette globale ? Je me demande si cela a encore un sens, vu les masses en jeu : 2 650 milliards d'euros d'un côté, quelque 130 milliards d'euros de l'autre. Sans doute vaudrait-il mieux globaliser l'ensemble de la dette à traiter, tout en conservant l'objectif consensuel de ne pas la faire rembourser par nos enfants et petits-enfants - mais les circonstances actuelles sont exceptionnelles.

M. Marc Laménie. - Si nous autres parlementaires sommes plus ou moins familiers du HCFP, l'opinion publique connaît moins son rôle et ses missions, qu'il exerce parallèlement à la Cour des comptes. Pourtant, il publie nombre d'avis et formule des observations, dans plusieurs domaines. Quelles sont vos suggestions pour rendre sa communication plus claire, transparente et efficace ? De quels moyens humains dispose-t-il ?

M. Éric Doligé. - Les collectivités locales ont en effet perdu de leur indépendance au fil du temps. Les budgets ont été de plus en plus gérés par l'État, puisque c'est lui qui capte quasiment toutes les recettes et les redistribue - et il peut changer les règles quand il veut, ce qui accroît la dépendance. Pour ma part, je suis favorable à un maximum d'autonomie fiscale, et je m'inquiète de voir la perte de liberté des présidents de département et des maires. Dès lors qu'on a fixé aux collectivités territoriales des règles budgétaires assez strictes, je ne vois pas pourquoi on continue à vouloir les encadrer encore plus ! Cela explique peut-être les difficultés que nous observons dans leurs relations avec l'État. Elles se sentent ponctionnées toujours un peu plus, alors que nous savons tous que les déficits budgétaires ne se trouvent pas à leur niveau, puisqu'elles sont contraintes d'avoir un budget totalement équilibré en matière de fonctionnement et ne peuvent emprunter que pour l'investissement. De plus, les chambres régionales des comptes sont assez attentives dans leurs contrôles et, lorsqu'elles publient leurs analyses dans les médias, l'efficacité est redoutable - beaucoup plus que lorsque le HCFP rend un avis, ou même quand la Cour des comptes publie un rapport ...

Le montant de la dette sociale ne représente que 5 % environ de celui de la dette de l'État. On pourrait donc promouvoir une vision globale. Dans les périodes difficiles, on voit bien que, pour régler un certain nombre de problèmes de santé, il faut augmenter les déficits des comptes sociaux avant d'avoir pu faire des économies, ou même d'avoir trouvé des sources d'économies. C'est un choix national, qui impose au budget social d'augmenter son déficit. Il est donc toujours bon d'avoir l'oeil sur les deux dettes, car les deux budgets sont extrêmement importants. La dette sociale a atteint un niveau important. Si elle était noyée dans une dette globale, il serait plus difficile de prendre la mesure du déficit social. Or, celui-ci avait presque disparu, et il refait son apparition, sans doute pour un certain temps. Il est bon d'avoir deux analyses. De toute façon, les deux dettes sont regroupées au plan européen.

Oui, le HCFP est mal connu du grand public. Il est vrai que, pour lire ses avis, il faut être déjà rompu aux concepts des finances publiques et de l'économie. Déjà, la lecture des rapports de la Cour des comptes n'est pas toujours aisée. Heureusement, les médias en font la vulgarisation, au moins sur quelques points particuliers - ce qui n'a guère d'effet en général, mais nos concitoyens sont ainsi un peu au courant ! Le HCFP, comme tous les organismes, gagnerait à plus de transparence dans la rédaction de ses documents, de manière à les rendre plus intelligibles. Faut-il davantage de moyens humains ? À ce stade, je ne peux pas en juger. Si l'on demande plus au HCFP, peut-être faudra-t-il accroître ses effectifs. Pour l'heure, ses compétences sont étroitement limitées. Faut-il les élargir ? Il faut en tous cas que ses avis soient vraiment pris en considération. À lui de prendre davantage d'autorité. La plus grande ouverture qui se manifeste dans le choix de ses membres, avec la nomination de responsables issus du secteur privé, aidera peut-être à ce que ses recommandations pèsent, ce qui réduira les marges d'erreur ou d'incertitude du Gouvernement lorsqu'il élabore ses budgets. Cela dit, pour avoir auditionné avec vous, monsieur le président, et avec vos prédécesseurs, un certain nombre de ministres des finances, je sais bien que ceux-ci ont les moyens de faire évoluer leurs trajectoires au fil de l'exécution des budgets.

M. Vincent Éblé, président. - La nomination d'Éric Doligé relève de la capacité d'appréciation du Président Larcher. Le fait que nous ayons organisé cette audition conjointe ne nous donne pas le pouvoir de censurer ses choix. Il n'y aura donc pas de vote, contrairement aux auditions pour application de l'article 13 de la Constitution. Je vous remercie.

La réunion est close à 14 h 15.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.