Jeudi 18 juin 2020

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Examen du rapport « Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers ? » (co-rapporteurs : MM. Canevet et Kennel)

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Mes chers collègues,

Nous avons confié à nos collègues Michel Canévet et Guy-Dominique Kennel une mission d'information sur les difficultés de recrutement dans un contexte de forte évolution des métiers. Depuis deux ans, de nombreux chefs d'entreprise de toute taille nous témoignaient de leurs difficultés à recruter, à trouver ou à garder les compétences nécessaires à leur activité. Il est inacceptable que tant de personnes soient exclues de l'emploi tandis que nombre d'entreprises peinent à recruter les compétences dont elles ont besoin. Par ailleurs, les mutations technologiques, qui impactent ou impacteront presque tous les métiers, renforcent l'urgence de prendre à bras le corps ce paradoxe français, avec lucidité et bon sens.

L'électrochoc que nous connaissons a le mérite de nous encourager à évaluer nos atouts et nos faiblesses avec lucidité, à innover et à jouer franc jeu avec toutes les parties prenantes. Ces dernières vont des acteurs publics de l'éducation, de l'orientation des jeunes, du service public de l'emploi, aux régions, aux demandeurs d'emploi et aux personnes en future reconversion, en passant par les recruteurs eux-mêmes, c'est-à-dire les entreprises.

Je crois pouvoir dire qu'au sein de notre Délégation, nous partageons la conviction que la clé de l'avenir passe par le renforcement des compétences des Français. Il s'agit à la fois de permettre leur insertion et leur épanouissement professionnels tout au long de la vie, et de répondre aux besoins de la société et de l'économie. C'est la raison pour laquelle Guy-Dominique Kennel et Michel Canévet ont choisi d'intituler leur rapport : « Des compétences de toute urgence pour soutenir l'emploi et les entreprises ».

Depuis l'automne 2019, la situation sanitaire et économique a bouleversé la donne, avec des chiffres peu réjouissants. Le produit intérieur brut (PIB) connaîtra un recul probable de 11,4 % en 2020, le déficit budgétaire sera de l'ordre de 221,1 milliards d'euros, et la dette publique atteindra 120,9 % du PIB. Nous connaîtrons vraisemblablement des vagues de faillites. Une étude de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (COFACE) vient ainsi d'annoncer une probable hausse de 21 % du nombre de défaillances entre fin 2019 et fin 2021. Nous le savons, l'horizon s'assombrit, avec la perspective de suppression de  800 000 emplois dans les prochains mois, soit 2,8 % de l'emploi total.

Cette problématique des « jours d'avant » le Covid-19 reste cependant cruellement d'actualité. Elle se conjugue avec les nouveaux défis des « jours d'avec » et des « jours d'après » la crise sanitaire, qu'accompagne et suit la crise économique.

Il est vrai que les dispositifs de soutien mis en place, très évolutifs depuis le début de la crise, devraient permettre de limiter et de lisser la casse économique et sociale. Mais ils ne résoudront malheureusement pas toutes les difficultés.

Au-delà des chiffres évolutifs et des mesures conjoncturelles, nécessaires, il nous faut anticiper et nous adapter aux évolutions structurelles pour mieux rebondir. C'est dans cette perspective, et en faisant appel au bon sens collectif, que se sont inscrits nos co-rapporteurs dans le cadre de leur rapport.

Je les en remercie et les en félicite. Ils ont poursuivi leurs auditions en visioconférence pendant la période de confinement, afin de pleinement prendre en compte la nouvelle donne sanitaire, économique et sociale.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Notre travail s'appuie sur des observations de terrain, et notamment du constat des difficultés de recrutement des entreprises. Celles-ci peuvent être de différents ordres, géographique notamment, mais sont surtout liées à des questions de compétences. De nombreux chefs d'entreprise nous faisaient part leur difficulté à trouver le bon profil. Il apparaît donc nécessaire de remettre en cause la manière dont ces questions sont appréhendées au niveau national. À l'issue de ces auditions, nous sommes parvenus à identifier 24 recommandations.

Trois logiques doivent à nos yeux guider l'action publique. Il s'agit d'accompagner les individus tout au long de la vie, et cela dès la formation initiale, avec pour objectif constant d'améliorer leur insertion professionnelle et leur employabilité. De même, les entreprises doivent pouvoir rapidement trouver les compétences dont elles ont besoin. Enfin, il convient de définir les modalités d'un pilotage efficient des acteurs de l'emploi sur chaque territoire. Nous avons en effet parfois constaté un foisonnement d'initiatives, pas toujours cohérentes ou complémentaires. Nous devons pouvoir nous assurer de l'efficacité de l'action publique, quel que soit le territoire ou le financeur qui la mène.

Les premiers en difficulté dans la situation actuelle sont les jeunes. La question spécifique de leur insertion professionnelle a été identifiée de longue date. Outre leurs difficultés à trouver un emploi, plus de 100 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans perspective professionnelle puisqu'ils ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation. Nous devons être attentifs à ces nombreux laissés-pour-compte, car il n'est pas acceptable qu'autant de jeunes sortent de notre système de formation sans avoir tous les atouts nécessaires pour aborder l'avenir avec sérénité. Cette situation rend par ailleurs d'autant plus difficile le recrutement pour les entreprises. Nous avons pris cette question en compte dans nos recommandations, en intégrant également un certain nombre de travaux réalisés précédemment par la Délégation.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur. - Nous avons émis 24 recommandations. La première vise à rendre obligatoires les immersions en entreprise, organisées avec les régions, pour tous les prescripteurs d'orientation de l'Éducation nationale (chefs d'établissement, professeurs principaux, psychologues de l'Éducation nationale, etc.), lors de leur formation initiale et tout au long de leur carrière. Il s'agit également d'inciter les autres enseignants à s'engager dans de telles immersions.

En effet, j'avais constaté dans de précédents travaux menés avec la commission de la culture en dès 2016, un fort cloisonnement entre l'Éducation nationale et le monde du travail. La voie professionnelle notamment apparaissait quelque peu déconsidérée. Le constat est aujourd'hui le même. Il est indispensable de briser ce cloisonnement. Seuls 4 300 stagiaires ont passé d'une à cinq journées en entreprise sur l'ensemble des personnels de l'Éducation nationale. Ce chiffre est marginal et il faudrait aller beaucoup plus loin. Nous espérons que cette recommandation permette une évolution. Ces immersions ne doivent pas être réalisées sur le temps personnel des enseignants, mais doivent être prévues statutairement. Cette proximité serait avant tout profitable aux jeunes dont l'Éducation nationale a la charge, notamment en matière d'orientation.

Je tiens par ailleurs à préciser que nos 24 recommandations ne sont pas hiérarchisées.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Il nous a semblé que l'information des familles constituait également une priorité. La loi « Travail » du 8 août 2016 avait du reste repris un certain nombre de propositions de la Délégation sénatoriale aux entreprises, notamment pour établir des critères permettant d'apprécier la réalité des situations publiées par les établissements. Il convient de développer ces outils. Je songe notamment au taux d'insertion par l'emploi des jeunes, au taux de chômage de la zone d'emploi, au taux de poursuite d'études, ou encore au taux de rupture des contrats d'apprentissage. Il nous a semblé nécessaire que des informations plus nombreuses soient disponibles pour les familles. C'est le sens de cette deuxième recommandation.

Nous avons également estimé qu'il convenait d'améliorer l'accompagnement des familles dans l'orientation de leurs enfants.

M. Guy-Dominique Kennel. - La troisième recommandation prévoit la création d'une Journée nationale dédiée aux métiers, intitulée « Le printemps des métiers ». La notion de printemps comprend l'idée d'un renouveau des métiers. Il s'agit de comprendre notamment leur évolution, avec une forte participation de l'ensemble des entreprises et des établissements scolaires. Cette journée devrait avoir lieu à une période propice, lorsque les jeunes sont amenés à réaliser des choix d'orientation, par exemple aux environs des mois de février ou mars. Nous souhaitons que cette journée puisse produire un impact national, à différents niveaux de la scolarité (lycées, enseignement supérieur, apprentissage). Sa finalité n'est pas uniquement l'orientation et l'insertion professionnelle, mais également l'équilibre humain des jeunes.

M. Michel Canévet. - Les métiers évoluent, et les organismes qui observent cette évolution considèrent que cette tendance s'accélérera. Dans dix ans, ils considèrent ainsi que plus de la moitié des métiers auront changé, et que de nouveaux seront apparus. Lorsque la Délégation s'est déplacée à Revel, en Haute-Garonne, nous nous sommes aperçus que l'Éducation nationale avait du mal à intégrer ces évolutions. Or, l'adaptation de ses formations professionnelles apparaît essentielle. Les enseignants doivent notamment être capables de quitter les secteurs en crise pour former des jeunes dans ceux qui apparaissent plus prometteurs. L'Éducation nationale a le devoir de faire évoluer les capacités professionnelles de ses enseignants, pour qu'elles répondent aux enjeux des métiers de demain. C'est le sens de notre quatrième recommandation, qui vise à favoriser la réorientation des professeurs de l'enseignement professionnel des secteurs en crise vers les métiers des secteurs en croissance, dans une logique de bonne utilisation des compétences.

M. Guy-Dominique Kennel. - La cinquième recommandation prévoit d'encourager le développement de la contextualisation des diplômes nationaux, en prévoyant des spécialisations recherchées dans les secteurs qui recrutent. Cette contextualisation s'appuie sur un diplôme national déjà existant, sans le réformer, mais en y adjoignant une spécialisation répondant à un besoin précis dans un secteur donné. Nous avons relevé, notamment à Poitiers, qu'un module de formation lié à l'aéronautique avait été ajouté au diplôme de chaudronnerie. De nombreux jeunes se sont engagés dans cette voie. De même, dans le Bas-Rhin, Alstom a ajouté une formation spécifique de redresseur de tôle au diplôme de chaudronnier, pour la construction des trains à grande vitesse (TGV). Cela donne un lustre particulier aux métiers de la chaudronnerie. Permettre et encourager cette contextualisation apparaît ainsi essentiel.

M. Michel Canévet. - Nous exprimons de nombreuses attentes vis-à-vis des pouvoirs publics, et notamment de l'Éducation nationale, mais cela ne pourra suffire à répondre à l'intégralité des besoins. La mobilisation des entreprises doit également être extrêmement forte. Souvent, celles-ci sont assez éloignées du monde de la formation initiale et peinent à s'investir lorsqu'elles sont sollicitées. Une plus grande implication de leur part dans le système éducatif est indispensable, pour que ce dernier puisse répondre à leurs besoins réels. Les entrepreneurs doivent être sensibilisés à cette question. Peut-être conviendrait-il par exemple de les impliquer dans les conseils d'administration d'établissements scolaires. De même, cette implication pourrait également passer par un mécénat de compétences, avec la mise à disposition de cadres dans les établissements scolaires. C'est le sens de notre sixième recommandation : mobiliser les entreprises pour accueillir des jeunes et des enseignants en immersion en entreprise ; s'engager dans la co-conception, lorsque cela est pertinent, et la mise en oeuvre de programmes plus adaptés aux besoins économiques ; mobiliser des salariés à travers le mécénat de compétences.

M. Guy-Dominique Kennel. - La septième recommandation constitue un complément à l'ensemble du dispositif post-crise sanitaire déjà proposé par le Gouvernement. Nous pensons qu'il faut aller plus loin, notamment en ce qui concerne les jeunes dont le contrat d'apprentissage serait rompu par une entreprise en difficulté, ou pour lesquels un contrat était prévu, mais n'a pu être signé. Il est urgent de leur permettre de ne pas perdre le statut d'apprenti, et de leur donner une année supplémentaire, de mars 2020 à mars 2021. Les modalités d'une reprise des contrats devront être définies entre l'État et les régions. Il y aura vraisemblablement des dizaines de milliers de jeunes dans ce cas de figure. Il convient de maintenir leur statut d'apprenti, et de leur permettre d'accéder à la formation, sous l'égide d'un maître d'apprentissage qui ne sera pas nécessairement l'entreprise qui avait initialement prévu de les recruter.

M. Michel Canévet. - L'alternance et l'apprentissage sont des éléments extrêmement importants, et il convient de les encourager. Nous nous apercevons, malgré un certain nombre d'éléments d'information dont les familles peuvent disposer, que les taux d'échec en apprentissage sont significatifs. Certaines orientations ne sont pas bonnes. Des journées de découverte des différents métiers permettraient ainsi de consolider le choix des jeunes. C'est l'objet de notre huitième recommandation, qui propose, lors du choix d'une filière en apprentissage, de prévoir a minima une journée de découverte des métiers.

M. Guy-Dominique Kennel. - Notre neuvième recommandation prévoit de garantir un temps de mise en situation professionnelle ou de formation d'adaptation préalable au contrat d'apprentissage. En effet, l'association nationale des apprentis de France nous a indiqué que 50  % des ruptures de contrats auraient pu être évitées si les jeunes avaient pu bénéficier d'un aperçu concret des métiers auxquels les mène la formation. Une mise en contact préalable apparaît donc indispensable. Sous le conseil des parents ou de leurs enseignants, les jeunes choisissent parfois un métier sans bien le connaître, et en sont terriblement déçus dès qu'ils le découvrent. Cela fait perdre du temps tant aux jeunes qu'à l'entreprise qui doit alors renouveler son recrutement.

M. Michel Canévet. - Le développement de l'apprentissage avant-crise était conséquent, puisque près de 500 000 jeunes sont en situation d'apprentissage. Il convient de poursuivre ces efforts. Nous avons identifié parmi les freins existants des facteurs financiers. Le centre de formation ou l'entreprise d'un certain nombre d'apprentis ne sont pas toujours à proximité de leur résidence. Cela génère parfois des charges très lourdes pour ces jeunes (nouveau logement ou frais de déplacement). Dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle, il convient que France Compétences puisse garantir à tous les apprentis une aide à la restauration et à l'hébergement, car aujourd'hui certains sont exclus des dispositifs existants.

M. Guy-Dominique Kennel. - Notre onzième recommandation traite également des moyens financiers permettant d'encourager la formation, tant initiale que continue. Nous souhaitons que soit pérennisé et étendu à d'autres secteurs le suramortissement fiscal actuellement prévu pour les investissements des petites et moyennes entreprises (PME) industrielles dans le domaine de la robotique et de la transformation numérique. Sur proposition du Sénat, et notamment de Pascale Gruny, une inscription à l'article 39 du code général des impôts permet ce suramortissement fiscal de 2019 à 2020. Il convient de le pérenniser, et de l'étendre à d'autres secteurs d'activité. La France a pris un retard certain dans le domaine du numérique, mais également dans l'investissement industriel, notamment en raison d'un défaut de compétences. Nous devons donc insuffler une dynamique de formation sur l'ensemble du territoire.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Il importe de disposer d'un contexte comptable et financier, permettant aux entreprises de valoriser un certain nombre d'actions. Le numérique prend une part de plus en plus importante dans la vie et le fonctionnement des entreprises. Aussi, en complément du suramortissement fiscal, il serait utile que l'investissement immatériel puisse faire l'objet de dispositions d'amortissement, notamment pour ce qui concerne l'acquisition de compétences des prestations de conseils et de formation nécessaires à l'évolution professionnelle. Il s'agit d'actifs à valoriser, ce que prévoit notre douzième recommandation.

M. Guy-Dominique Kennel. - Notre treizième recommandation est dirigée notamment vers les PME. Les échecs de recrutement sont parfois liés à une idéalisation par les entreprises du candidat qu'elles souhaitent recruter pour un emploi dont elles n'ont pas nécessairement déterminé les tenants et aboutissants. La mission d'accompagnement de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) des TPE et PME relève aujourd'hui des opérateurs de compétences (OPCO). Il s'agit d'offrir à l'entreprise une formation sur mesure, ce que le système éducatif ne propose pas aujourd'hui. Les OPCO doivent ainsi prodiguer des formations profitables tant aux jeunes qu'aux entreprises.

M. Michel Canévet. - Le développement des compétences peut parfois exiger le recours à des formations extrêmement longues et coûteuses pour les entreprises, ce qui peut les décourager. Dans le contexte actuel, les entreprises hésitent à s'engager dans des formations de bon niveau pour leurs collaborateurs, considérant que ceux-ci pourraient les quitter une fois la formation achevée. L'entreprise l'ayant financée s'en trouverait pénalisée. Nous proposons donc de faciliter le recours à la clause de dédit-formation, qui prévoit une durée pendant laquelle le salarié ayant bénéficié d'une formation coûteuse s'engage à demeurer dans l'entreprise. S'il la quitte, des modalités de remboursement sont prévues. Un recours plus large à cette clause, fondée sur une réflexion avec les branches professionnelles, incitera les employeurs à investir davantage dans la formation de leurs employés.

M. Guy-Dominique Kennel. - La quinzième recommandation s'adresse aux générations inemployées. Il s'agit d'organiser la transmission intergénérationnelle des savoir-faire entre les seniors sans emploi et les jeunes qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation. Il existe une perte de substance très importante en France, car nous n'utilisons pas assez les compétences des seniors. Favoriser cette transmission bénéficierait tant aux jeunes, qui pourraient trouver plus aisément un emploi, qu'aux entreprises, qui pourraient ainsi recruter des candidats disposant des compétences ainsi acquises. Cela valoriserait par ailleurs les seniors.

M. Michel Canévet. - Nous vivons une période particulière et nous constatons des difficultés à recruter. Des inquiétudes pèsent également sur l'emploi et l'employabilité pour un certain nombre de secteurs économiques. Il faut rapidement tirer les conséquences de la crise économique, pour mettre en oeuvre des plans de reconversion des actifs des secteurs en crise vers ceux qui sont en tension. L'avenir de beaucoup de secteurs est menacé. Je songe par exemple à celui du transport. La plupart des opérateurs sont en train de procéder à des licenciements, en raison du peu de perspectives. Nous aurons besoin de main d'oeuvre dans beaucoup d'autres secteurs. Cette reconversion doit pouvoir être menée le plus rapidement possible, à l'aide de plans. Elle a été mise en oeuvre dans les domaines aéronautiques et automobiles, et est envisagée dans le secteur de l`hôtellerie, du tourisme ou de l'aide à domicile. Nous devons inciter un certain nombre de personnes dont l'emploi est menacé à s'orienter vers ces secteurs qui seront demandeurs de main-d'oeuvre demain.

M. Guy-Dominique Kennel. - La dix-septième recommandation s'adresse à Pôle Emploi. Nos interlocuteurs faisaient en effet souvent part de mauvaises expériences passées. Les entreprises ont tendance à ne pas utiliser Pôle Emploi, ou à s'en méfier. Nous recommandons donc de mieux faire connaître les offres de services aux entreprises de Pôle Emploi. Nous avons rencontré à deux reprises sa nouvelle direction, qui est bien consciente de ce handicap. Elle propose cependant un certain nombre de nouveaux services, qu'il est important de faire connaître auprès des entreprises. Une rencontre directe entre celles-ci et Pôle Emploi permettra de mieux définir l'emploi et le candidat recherché. Pôle Emploi doit assurer une mission de service public, prioritairement en direction des chômeurs, mais également pour les entreprises.

M. Michel Canévet. - La crise a contribué au développement du télétravail. Un grand nombre de salariés s'y sont mis par la force des choses et il pourrait tendre à se généraliser à l'avenir. Nous considérons néanmoins qu'il convient d'adapter le cadre des nouvelles pratiques professionnelles, notamment pour le télétravail. Il ne s'agit pas de fonctionner uniquement en télétravail, mais dans les pratiques managériales, de permettre des évolutions professionnelles visant à tenir compte de ce nouveau mode de relation. Il convient de déterminer les conditions dans lesquelles le télétravail peut être pratiqué, pour concilier à la fois les préoccupations des collaborateurs dans leur vie quotidienne et les objectifs que doivent poursuivre les entreprises pour être efficientes.

M. Guy-Dominique Kennel. - La dix-neuvième recommandation s'adresse à France compétences, compétent en matière de certification. Il est dit que 80 % des métiers d'aujourd'hui n'existeront plus demain, ce que je ne crois pas. Les métiers évolueront, sans nécessairement disparaître. Néanmoins, pour assurer cette évolution, la certification apparaît indispensable. Il s'agit de reconnaître cette évolution, notamment dans le cadre des formations réalisées. Entre trois et cinq ans sont nécessaires à ce qu'une formation soit inscrite dans le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). L'école européenne des métiers de l'internet (EEMI), comme l'école Cuisine mode d'emploi(s) du chef Thierry Marx nous ont fait savoir que cette durée est trop longue. Nous souhaitons que les délais d'enregistrement soient raccourcis et alignés sur ceux du Répertoire spécifique (RS) prévu pour les métiers émergents ou en forte évolution. Cela pourrait se faire avec un contrôle a posteriori plutôt qu'a priori. Il convient d'être beaucoup plus souple et réactif, afin que l'évolution de tous les métiers soit reconnue par des certifications nationales.

M. Michel Canévet. - En 2014, la loi relative à la formation professionnelle a transformé le droit individuel à la formation (DIF) en compte personnel de formation (CPF). La loi de 2018 a conforté ce dernier, que nous estimons important pour permettre l'évolution des compétences. Il conviendra de s'assurer de l'ouverture des CPF par chacun des salariés. Même si les évolutions sont importantes, il convient de poursuivre le recours à ce dispositif. Sur les territoires, nous pensons que le CPF peut être un outil pour orienter un certain nombre de candidats vers des formations qui correspondent aux besoins des entreprises. Nous estimons que les financeurs publics de ces formations pourraient abonder les CPF pour ce faire. C'est le sens de notre vingtième recommandation, qui propose de les encourager à utiliser le dispositif d'abondements en droits complémentaires du CPF pour flécher des formations répondant aux besoins des entreprises.

M. Guy-Dominique Kennel. - La vingt et unième recommandation demande d'inclure systématiquement les informations relatives à la formation initiale dans le système d'information Agora. Aujourd'hui, la France ne parvient pas à fournir aux autorités politiques compétentes les informations incontournables pour piloter de façon pertinente les politiques publiques de soutien à l'emploi. Cette recommandation remplit un double objectif. Ces statistiques nationales et régionales anonymes doivent indiquer a minima le niveau de salaire et le taux d'emploi à la sortie de chaque formation. Cela fournira aux décideurs des statistiques fiables et cohérentes, et garantira un pilotage politique plus adapté. Le public, qui recherche un certain nombre de formations, disposera par ailleurs de tous les indicateurs au sein de la plateforme Agora, et qui devrait être opérationnelle en 2021.

M. Michel Canévet. - Nous faisons face à un certain paradoxe. Nous avons besoin de bien connaître les questions relatives au marché du travail. Nous avons par ailleurs le sentiment d'un foisonnement d'organismes qui s'en charge. Je songe par exemple aux productions de France Stratégie, de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), de Pôle Emploi, des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), du réseau Emplois Compétences, ou du MEDEF. Il convient de rationaliser la production des données sur l'emploi et les besoins en compétences, pour être plus efficient et éviter la dispersion de fonds publics.

M. Guy-Dominique Kennel. - Il est prévu de transférer aux URSSAF, à compter du 1er janvier 2022, les statistiques sur l'emploi issues du recouvrement de la contribution à la formation professionnelle. Ces statistiques doivent impérativement être connues des OPCO chargés de mettre en place l'ensemble des formations professionnelles. Nous demandons donc que les URSSAF s'engagent à les leurs transférer.

M. Michel Canévet. - Nous nous sommes rendus dans la région des Hauts-de-France, où nous avons pu apprécier la très forte implication de la région pour favoriser l'insertion professionnelle, et répondre aux besoins des entreprises. Nous avons visité une agence Pôle Emploi, et pu constater la dynamique qui animait ses personnels. De même, nous avons appréhendé le dispositif Proch'Emploi, mis en oeuvre par la région, et qui permet un accompagnement encore plus personnalisé des besoins des entreprises et, par ricochet, des personnes en recherche d'emploi.

Par ailleurs, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a prévu de transférer la compétence de l'information en matière d'orientation aux régions. Il est parfois difficile de s'orienter au milieu des nombreux opérateurs. Comme en matière d'études, il existe un foisonnement d'initiatives, parfois redondantes. Une plus grande cohérence dans la conduite des actions en matière d'emploi nous a semblé essentielle. Nous avons jugé nécessaire de déterminer un chef de file. La région, disposant de la compétence économique, nous semble devoir jouer ce rôle. Le pilotage des acteurs publics de l'emploi, dont Pôle Emploi, doit lui être confié. Les régions devront mobiliser les entreprises et les filières économiques sur les territoires, pour construire une politique régionale. Il ne s'agit pas de le faire de façon administrative, comme trop souvent, mais d'impliquer les entreprises, pour que la réponse à leurs besoins soit cohérente. C'est le sens de notre dernière recommandation.

Mme Élisabeth Lamure. - Votre travail est très fouillé. J'espère que ces recommandations seront suivies, car elles correspondent à ce qui était attendu sur la question des métiers. Le Printemps des métiers me semble une excellente initiative, car il est absolument nécessaire de communiquer auprès des jeunes et des familles.

Je retiens également votre première recommandation, sur la nécessité d'une immersion en entreprise pour les enseignants. Avez-vous également préconisé une obligation d'immersion dans le cadre de l'enseignement des maîtres ?

Mme Pascale Gruny. - J'ai retenu notamment que des financements devaient être apportés, en particulier par l'État et les régions, pour reprendre les contrats d'apprentissage et d'alternance dans l'après-crise. Je suis élue d'un département particulièrement pauvre. Nous aurons le plus grand mal à assurer nos missions liées au revenu de solidarité active (RSA) avec des financements toujours à la baisse.

Par ailleurs, la mise en oeuvre de la clause de dédit-formation oblige à demander de l'argent à l'apprenti, ce qui est toujours délicat, car leurs salaires sont souvent peu élevés même quand ils sont ensuite embauchés en CDI. Elle n'est donc jamais utilisée. Un engagement moral sur cinq ans du signataire, ce qui existe parfois entre de jeunes fonctionnaires et l'État, ne serait-il pas plus aisé à mettre en place ?

M. Fabien Gay. - Je souhaiterais revenir sur la question de l'apprentissage et de l'alternance. Celle-ci était déjà importante avant la crise sanitaire, et est appelée à devenir encore plus essentielle dans les mois à venir. De nombreux chefs d'entreprise soulignent leur difficulté à trouver des compétences. Or il existe entre 4 et 6 millions de chômeurs, selon les chiffrages. Aller chercher les compétences apparaît donc comme un enjeu essentiel, de même que la formation. À ce titre, la revalorisation de l'apprentissage est fondamentale. Néanmoins, dans l'après-crise sanitaire, un certain nombre d'entreprises feront face à de grandes difficultés, notamment pour recruter. Toutes les propositions que nous pourrons formuler pour que l'apprentissage ne baisse pas iront donc dans le bon sens. Une part importante de l'emploi des jeunes passe par là.

Mme Élisabeth Lamure. - Nous devons en effet conduire un véritable travail collectif dans ce domaine, et plus particulièrement pour le premier emploi des jeunes.

M. Guy-Dominique Kennel. - Nous souhaitons qu'au cours de la première année d'exercice du métier d'enseignant soit prévue une semaine de présence au sein des entreprises. Cela sera néanmoins difficile dans la formation initiale, avant même que l'enseignant ne se retrouve face à des élèves. Nous avons échangé avec les écoles supérieures, et une part trop importante de la formation initiale des enseignants me semble aujourd'hui consacrée à la formation disciplinaire. Lorsqu'un étudiant intègre une école supérieure après un master d'anglais, d'allemand, ou d'une autre discipline, par définition, il devrait la maîtriser. Aussi, dans la formation initiale, un temps devrait être dégagé pour un contact avec les entreprises. Je ressens néanmoins encore beaucoup de réticence de la part de l'Éducation nationale, et notamment des formateurs en charge de la formation initiale, car ce type de personnel est plus à l'aise dans une formation pédagogique ou disciplinaire. Nous y arriverons cependant, à force d'insister.

Nous sommes conscients qu'une reprise par l'État ou les régions des contrats d'apprentissage exige un cofinancement. Nous n'avons pas évoqué les départements, mais la question demeure en suspens. Il serait préférable que les jeunes, plutôt que d'être au RSA, soient pris en charge et qu'ils continuent à bénéficier du statut d'apprenti. Cela doit être encore affiné et nous n'avons pas d'engagement de la part des collectivités. Il me semble que le coût de cette recommandation ne s'avérera pas trop important, puisque ces jeunes représenteront de toute façon une charge, pour les départements avec le RSA, ou autre.

Fabien Gay soulignait la nécessité de revaloriser l'apprentissage, et nous en sommes conscients. En tant qu'ancien directeur de centre de formation d'apprentis, et inspecteur en charge de l'apprentissage, je partage ce point de vue. Donner à une entreprise 5 000 ou 8 000 euros, qui couvrent une année, ne serait pas réellement un encouragement. Il serait au contraire préférable de rendre attractif le métier, pour favoriser l'épanouissement du jeune.

M. Michel Canévet. - Nous avons formulé trois types de mesures en ce qui concerne l'apprentissage. Une mesure conjoncturelle, dans la situation de crise, vise à ce que les apprentis ne perdent pas leur contrat de travail. Deux recommandations portent sur la sensibilisation des jeunes aux filières professionnelles, de manière à ce que leur choix soit conforté avant qu'ils ne s'engagent dans une formation. Enfin, nous proposons une mesure relative à l'aide financière aux jeunes pour les dépenses de mobilité et de restauration, qui sont souvent pénalisantes.

La clause de dédit-formation a été essentiellement construite par la jurisprudence. Nous pensons qu'il faut l'affirmer de façon plus ferme et aussi plus adaptée à un nouveau contexte où les entreprises auraient davantage recours à la formation pour leurs salariés, comme nous le recommandons. Une réflexion de fond avec les branches professionnelles apparaît nécessaire, afin de mieux déterminer les obligations de chacun, par secteur ou par métier, en fonction des évolutions en compétences nécessaires. Le cas échéant, il faudra préciser le cadre légal. Il convient de mieux définir cette clause, pour que les entreprises puissent y recourir plus facilement, notamment les TPE et les PME.

Mme Élisabeth Lamure. - Je note qu'il convient encore d'oeuvrer, notamment vis-à-vis des formateurs des formations initiales des enseignants.

Je vous remercie pour ce travail, qui n'est pas terminé. La presse le relaiera. Nous aurons par ailleurs un débat en séance publique jeudi 25 juin sur ces questions.

M. Guy-Dominique Kennel. - Je souhaite vous remercier, Madame la présidente, ainsi que l'ensemble des personnels qui ont facilité notre travail. Notre public cible était les jeunes ; la crise risque de les pénaliser en priorité, qu'il s'agisse de ceux qui désirent entrer en formation, ou des étudiants. Les stages et les emplois d'été seront difficiles à trouver. Or, de nombreux jeunes en ont besoin pour payer leurs études. Nous nourrissons ainsi quelques inquiétudes sur le nombre d'étudiants qui ne pourront les reprendre à la rentrée.

Nous souhaitons par ailleurs optimiser les différents parcours, pour favoriser l'épanouissement, et faciliter l'adéquation des formations aux besoins des entreprises. Notre principal espoir est que notre travail soit suivi d'effets.

Mme Élisabeth Lamure. - J'espère qu'une grande part de vos recommandations seront reprises, car elles sont ciblées et pragmatiques. Nous devrons les porter au plus haut niveau.

Je vous remercie et je soumets donc votre rapport à l'approbation de nos collègues.

La Délégation autorise la publication du rapport.

La réunion est close à 10 h 55.