Lundi 8 juin 2020

- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -

La téléconférence est ouverte à 15 heures.

Table ronde d'opérateurs et d'entreprises du numérique

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Mesdames, messieurs, mes chers collègues, mon propos sera bref, compte tenu de la densité de cette table ronde.

Je vous remercie d'avoir accepté d'être auditionnés en visioconférence, en raison des circonstances sanitaires exceptionnelles.

Nous avons souhaité entendre les principaux opérateurs et acteurs privés du numérique, car la formation des 13 millions de Français exclus du numérique en raison d'un déficit de compétences ne relève pas uniquement de la responsabilité de l'État, très « incitateur » d'ailleurs, et des collectivités territoriales, les mieux armées pour les détecter.

Cette formation incombe également à tous les acteurs, opérateurs de réseau comme plateformes. C'est en coalisant leurs forces que public et privé pourront faire reculer l'illettrisme numérique. Vous en êtes conscients puisque vous avez, chacun dans votre domaine, pris des initiatives pour lutter contre l'exclusion numérique et l'illectronisme.

Je vous invite à présenter brièvement ces actions, en précisant, le cas échéant, les initiatives prises pendant la période de confinement liée à l'épidémie de Covid-19, et à nous donner votre évaluation de la pertinence de la Stratégie nationale pour un numérique inclusif, nous faisant part de vos éventuelles propositions d'amélioration.

M. Sébastien Gros, directeur des affaires institutionnelles d'Apple France. - D'une manière générale, les actions menées par Apple reposent sur deux valeurs essentielles : l'accessibilité et l'éducation. Depuis longtemps, nous avons mis en place dans nos produits des dispositifs d'inclusion numérique. Ainsi, chacun des terminaux de la marque Apple intègre, dans sa conception même, des outils permettant à des populations en situation de handicap - moteur, visuel, auditif - d'en avoir l'usage. L'ensemble de ces outils - envoi de SMS en braille, commandes à la voix, etc. - sont consultables sur notre site internet.

L'éducation est un autre des leviers importants que nous utilisons en matière d'inclusion numérique. Aux échelons pertinents - départemental, régional, national -, nous travaillons pour proposer les meilleurs outils pédagogiques aux enseignants et, au sens large, aux étudiants. Depuis 2016, le dispositif « Tout le monde peut coder » permet d'apprendre, en quelques semaines, les rudiments dans ce domaine. Dans la même veine, le programme « Tout le monde peut créer », lancé en 2018, permet aux enseignants et étudiants de découvrir et exploiter au mieux tous les instruments mis à disposition pour créer. Nous nous attachons aussi à accompagner les enseignants vers une meilleure utilisation des outils numériques en classe, en particulier à travers une communauté itinérante d'enseignants, formés à nos produits.

Au-delà de ces deux dimensions, il est possible pour toute personne possédant un appareil Apple de prendre rendez-vous, dans n'importe quel Apple retail store, pour bénéficier gratuitement d'une formation à l'utilisation de cet outil. Ce peut être le cas, par exemple, d'un senior rencontrant des difficultés pour exploiter son smartphone. Enfin, en partenariat avec le réseau d'écoles du numérique Simplon, nous avons créé depuis quelques années une formation gratuite, ouverte à tout public, indépendamment de sa localisation - zones urbaines, semi-urbaines ou rurales -, de son âge, de sa situation professionnelle, d'un éventuel handicap, etc. Pendant quatre semaines, un enseignement de qualité est délivré pour apprendre à coder et créer des applications sur Apple. Face au succès de l'opération, nous envisageons de la développer et d'allonger la durée de formation.

Nous avons mené de nombreuses actions dans le cadre de la crise du coronavirus, mais aucune initiative nouvelle n'a concerné l'illectronisme ou l'inclusion numérique.

Je répondrai bien sûr à toutes vos questions et vous adresse tous les liens nécessaires dans le tchat.

M. Anthony Colombani, directeur des affaires publiques de Bouygues Telecom. - Merci de me donner l'occasion de partager, avec vous, les trois convictions guidant notre action en matière d'inclusion numérique et de lutte contre l'illectronisme.

Première conviction, il existe un lien très étroit entre l'illectronisme et l'illettrisme - la maîtrise de la langue constitue, depuis toujours, un axe de travail de notre fondation Bouygues Telecom. Le numérique est, d'abord et avant tout, le royaume de l'écrit ; tout passe par l'écrit. Sans la compétence de base de l'écriture et de la lecture, il est impossible d'accéder aux outils.

Deuxième conviction, la crise a révélé de nouvelles situations d'exclusion numérique. On nous oppose souvent que la connexion est mauvaise dans les territoires ruraux : c'est vrai. Mais on trouve aussi des familles mal équipées et mal connectées en plein coeur de nos villes. La crise sanitaire a ainsi montré que, avec trois enfants scolarisés à distance, il est impossible d'assurer la continuité pédagogique sans disposer de quatre terminaux numériques.

Nous avons répondu à cette problématique à la hauteur de nos modestes moyens, en menant quelques actions très concrètes et ciblées vers des populations en danger : les résidents en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ; les enfants isolés dans les hôpitaux ; en lien avec le Samu social, les résidents en hôtels d'hébergement d'urgence et en centres d'hébergement.

Troisième conviction, des jeunes, extrêmement agiles avec certains outils numériques, se retrouvent parfois complètement désemparés devant un traitement de texte basique, le portail d'une administration ou des fonctionnalités aussi simples que l'impression de documents. Il y a donc un problème très préoccupant d'accès de certains jeunes au numérique.

En conclusion, il y a, non pas un illectronisme, mais des situations diverses d'éloignement du numérique. Il reste, par exemple, énormément à faire pour les personnes en situation de handicap, en particulier psychique, cognitif ou mental. Aussi surprenant que cela paraisse, l'éloignement du numérique touche aussi les étudiants : selon l'Union nationale des étudiants de France (UNEF), le taux d'étudiants qui n'auraient pas pu suivre leurs cours à distance en raison d'une mauvaise connexion ou d'un mauvais matériel pourrait avoisiner les 40 %.

Mme Bérénice Broutin, déléguée générale de la fondation d'entreprise de Bouygues Télécom. - Pour compléter les propos précédents, pourquoi illectronisme et illettrisme sont-ils liés ? Tout d'abord, ce sont deux sujets sociaux d'ampleur. Ensuite, le numérique agit comme un révélateur de l'illettrisme. Enfin, le numérique, qui repose principalement sur l'écrit, est aussi présent partout dans la vie quotidienne : maîtriser le numérique est donc tout aussi fondamental que lire et écrire.

Dans ce domaine, nous avons décidé de concentrer notre action, en soutenant deux structures reconnues et bien implantées partout sur le territoire national : la Croix-Rouge française, qui délivre des formations et accompagnements au numérique pour les publics les plus précaires, et l'association Lire et faire lire, qui organise des séances de lecture à voix haute pour les enfants, dans le but de lutter contre l'illettrisme et donner le goût de la lecture. Au sein de ces structures, on trouve, respectivement, 60 000 et 20 000 bénévoles et c'est, là aussi, une des convictions que nous souhaitons partager : l'engagement bénévole sera la clé pour relever des enjeux sociaux aussi massifs que ceux de l'illettrisme et de l'inclusion numérique.

Mme Charlotte Radvanyi, chargée de relations institutionnelles de Google France. - La crise sanitaire nous a rappelé à quel point la question de l'illectronisme était fondamentale. Je crois que Google partage un objectif commun avec tous les acteurs représentés ici : celui de faire du numérique une chance pour tous. Depuis plusieurs années, nous sommes engagés sur ce sujet. Nous menons certaines de nos actions en direct, à l'image des Google ateliers numériques, ayant pour vocation d'accompagner les usages des outils numériques à travers des sessions gratuites dispensées en ligne et en présentiel. Pour le présentiel, nous avons quatre sites, ouverts 5 jours sur 7 : Rennes, Montpellier, Saint-Étienne et Nancy. En parallèle, nous disposons d'équipes itinérantes, sillonnant les régions à la rencontre du public. Dans ce programme, le partenariat est fondamental : ces ateliers sont effectivement menés de concert avec des acteurs locaux, comme les chambres de commerce et d'industrie (CCI). En huit années d'existence, ils nous ont permis d'accompagner 500 000 personnes.

L'inclusion numérique fait partie des problématiques traitées à travers ce programme, via des sessions collectives ou individuelles.

Au-delà des compétences de base, des sujets connexes à l'inclusion nous paraissent tout aussi fondamentaux : l'accessibilité, la mixité dans le numérique et la sécurité en ligne. Sur ces sujets également, nous travaillons avec des partenaires, comme des missions locales ou des agences Pôle emploi.

Un dernier exemple, nous menons, en collaboration avec la mairie du 9e arrondissement de Paris, où sont situés nos bureaux parisiens, une action d'accompagnement des seniors de l'arrondissement vers l'usage du numérique.

M. Olivier Esper, responsable des relations institutionnelles de Google France. - Google.org, branche philanthropique de Google, a été très active sur l'enjeu de l'inclusion numérique en France. En effet, en 2015, nous avons fait la connaissance de l'équipe à l'initiative de l'association WeTechCare et lui avons apporté notre soutien financier. À la clé, ont été développés le programme Clic'N'job, à destination des jeunes nécessitant des compétences numériques de base pour leur recherche d'emploi, et la plateforme « Les bons clics », destinée aux personnes ayant des difficultés avec le numérique dans leurs usages quotidiens.

En 2019, nous avons lancé un appel à projets doté de 3 millions d'euros et dédié à l'inclusion numérique. Je ne détaillerai pas les 10 projets primés, que nous avons commencé à financer, mais ces derniers s'articulent autour de deux catégories : les compétences numériques professionnalisantes et les compétences numériques dans un usage quotidien. Dans la première catégorie, je citerai en exemple Konexio, un parcours de formation au numérique visant 10 000 bénéficiaires dans les cinq prochaines années, et Webforce3, pour la formation de personnes en situation de handicap à des métiers du numérique. Dans la seconde catégorie, je mentionnerai le projet de Familles rurales, visant l'implantation de 100 points de médiation numérique dans toute la France, avec l'ambition d'accompagner 200 000 habitants de milieux ruraux ; VoisinMalin, proposant une aide de pair à pair entre voisins et, par ce biais, l'atteinte de 400 000 personnes en marge du numérique ; Unis-Cité, portant sur l'accompagnement de 15 000 réfugiés vers un usage du numérique, pour une meilleure intégration dans l'économie française.

Par ailleurs, durant la crise du coronavirus, nous avons basculé toute notre activité en ligne relative aux actions en propre de Google - celles qui ont été présentées par ma collègue - sous deux formats : des sessions Youtube live animées par des coach Google ou des partenaires et des rendez-vous individuels en ligne.

À plus large échelle, Google.org a créé un fonds mondial fléché vers la réponse à la crise du Covid-19. Il a servi dans le domaine de la recherche et de la santé, mais aussi dans des domaines relevant de l'inclusion numérique, comme celui de l'enseignement à distance. En France, notamment, nous avons apporté notre soutien financier au collectif Connection d'urgence, mais aussi aux projets Bibliothèques sans frontières et Article 1.

Mme Ombeline Bartin, directrice des relations institutionnelles du groupe Iliad/Free. - Iliad est la maison-mère de l'opérateur Free, né il y a vingt ans, avec l'ambition de rendre le numérique accessible pour tous. Notre entreprise a une fibre militante, à l'image de son fondateur, et notre conviction sociétale est que le numérique va changer le monde et que chacun doit y avoir accès, où qu'il soit et quels que soient ses moyens.

Notre projet est structuré autour de trois axes. Tout d'abord, nous concevons des produits simples et des offres généreuses et abordables, dans l'objectif de contribuer à la diffusion du numérique. Ensuite, nous développons les infrastructures sur l'ensemble du territoire ; c'est ainsi que nous avons oeuvré au dégroupage du réseau en cuivre afin d'offrir l'ADSL à tous et qu'aujourd'hui nous déployons la fibre optique à la vitesse - d'avant-crise - d'un abonné supplémentaire toutes les vingt secondes. Enfin, nous tâchons de bâtir une entreprise ouverte et engagée qui accompagne l'inclusion et la formation au numérique. La Fondation Free a été créée en 2006 avec deux objectifs : la lutte contre l'exclusion numérique et la promotion du logiciel libre. Nous sommes en effet convaincus que le numérique est un vecteur de développement personnel et professionnel et qu'il doit donc être accessible à tous.

La fondation a ainsi soutenu plus de 300 projets de lutte contre l'exclusion numérique, sous la forme de soutien financier, logistique ou en matériel. Son activité s'organise autour de cinq thèmes principaux. En premier lieu, nous accompagnons l'insertion sociale grâce au numérique. Nous menons en outre une politique très active de formation interne de nos collaborateurs : en effet, Free a créé plus de 5 000 emplois au cours des six dernières années ; une personne recrutée sur trois a moins de 25 ans et une sur cinq n'a pas de diplôme. C'est pourquoi nous sommes si attachés à la formation continue de nos collaborateurs. En deuxième lieu, nous promouvons l'éducation au bon usage du numérique - protéger ses données, apprendre à utiliser les ressources informatiques, etc. -, en lien avec l'association Innov'Avenir également soutenue par l'État. Pour aider les plus petites structures dans les territoires, nous avons aussi lancé, il y a quelques années, un appel à projets intitulé « Internet et moi ». En troisième lieu, nous offrons des équipements à ceux qui en manquent pour accéder au numérique, au travers de notre partenariat avec les Ateliers du Bocage, qui récupèrent, reconditionnent, redistribuent ou recyclent des terminaux ; c'est ainsi que, depuis le début de l'année 2020, Free a fait don de quelque 3 000 téléphones. En quatrième lieu, nous accompagnons les territoires dans leur transition numérique, comme à Tourcoing, à La Réunion ou encore dans la métropole de Lyon. En cinquième lieu, nous oeuvrons à l'inclusion des personnes en situation de handicap, pour lesquelles les outils numériques sont des aides pour s'insérer dans la société. Nous venons de clore un appel à projets axé sur le développement d'innovations technologiques au bénéfice de personnes en déficience visuelle ou auditive, voire intellectuelle.

Enfin, je tiens à souligner que, pendant la crise sanitaire, Free, via l'une de ses filiales, a apporté son soutien à l'Éducation nationale afin d'offrir aux professeurs des solutions de visioconférence et de serveurs.

Mme Laurence Lafont, directrice de la division marketing et opérations de Microsoft France. - Je vous remercie de nous offrir l'occasion de contribuer à vos réflexions. La crise a mis en lumière le haut niveau d'illectronisme qui touche les populations les plus fragiles : les personnes peu diplômées, les ménages aux revenus modestes et les seniors. La quatrième révolution industrielle ne doit pas réserver les opportunités d'emplois à une élite universitaire. Nous devons nous assurer que chacun dispose des outils et connaissances numériques nécessaires pour s'intégrer. Il est également indispensable de démocratiser l'accès au numérique et à l'intelligence artificielle (IA). Notre entreprise est résolument engagée dans le combat contre l'illectronisme, notamment sur trois dossiers : les écoles « intelligence artificielle », l'accessibilité et le programme « Gardons le lien » développé dans le cadre de la crise sanitaire.

Le nombre de professionnels liés à l'IA a été multiplié par seize ces dernières années en France. C'est un champ extrêmement large et prometteur. Mais on s'aperçoit qu'en France ces professionnels sont 67 % à posséder un niveau master et moins de 5 % à n'avoir qu'un diplôme sanctionnant deux ans d'études ou d'enseignement secondaire ; c'est une faiblesse du modèle français d'IA. Nous sommes aussi très loin de la parité de genre, avec seulement 19 % de femmes parmi ces professionnels. C'est pourquoi nous avons créé des écoles « intelligence artificielle », en partenariat avec Simplon, que nous soutenons depuis 2010. La première école a été ouverte en 2018. Elle a grandi, grâce à d'autres partenaires comme Orange et Cap Gemini. Nous disposons aujourd'hui d'un réseau de quatorze écoles dont notamment Paris, Nantes, Castelnau, Biarritz, Lyon, Bordeaux. Nos apprenants - 24 par promotion - ont entre 19 et 49 ans ; ils sont en reconversion professionnelle, éloignés de l'emploi ou décrocheurs scolaires. Ils suivent une formation intensive de sept mois, avant d'être accueillis, pendant douze mois, en alternance au sein d'entreprises partenaires de Microsoft. Notre objectif est de mettre le numérique au service de l'intérêt général et à la portée de tous pour faciliter l'accès à ces nouveaux métiers. Comment sélectionnons-nous nos apprenants ? Il s'agit à 80 % de demandeurs d'emploi ; à 61 %, ils sont bacheliers ou moins ; pour 35 % ce sont des femmes. Ils sont recrutés en lien avec Simplon, Pôle Emploi et la Grande École du numérique, sur leurs connaissances informatiques et mathématiques, mais surtout une très grande motivation et sans aucun prérequis de diplôme. Nous avons constitué deux promotions spécifiques : la promotion « ambition féminine », composée à 80 % de femmes, et une promotion dédiée à l'intelligence atypique, composée de 36 apprenants, dont douze profils Asperger et à hauts potentiels. Toutes ces actions concourent à la lutte contre la fracture numérique.

Plus de douze millions de nos concitoyens sont en situation de handicap. Nos produits, comme Office 365, intègrent des fonctionnalités qui leur permettent de travailler efficacement. Nous avons également créé une application afin d'améliorer l'accessibilité numérique des personnes mal voyantes. Disponible en français et s'appuyant sur l'IA, elle permet, grâce à la caméra du téléphone, de lire un texte ou de reconnaitre des personnes, des images ou des objets qu'elle décrit à l'oral. Nous dispensons en outre des formations en ligne gratuites pour faire comprendre les enjeux de l'accessibilité et faire connaître les solutions numériques existantes.

Enfin, dans le cadre de la crise sanitaire, nous avons développé un projet intitulé « Gardons le lien », destiné à combattre l'illectronisme des seniors isolés dans le cadre de la crise sanitaire. Ce projet a été monté avec la Fondation Simplon et de nombreux autres acteurs tels que la Fnac, le Crédit agricole, Alstom, Orange, Darty, etc. Il a consisté en la distribution de tablettes dans les hôpitaux et les Ehpad, afin de rompre l'isolement et d'apaiser l'angoisse des familles. Ce collectif a permis, en coordination avec les collectivités territoriales, de distribuer 20 000 tablettes, au bénéfice de 150 000 personnes. Au-delà de la crise, nous devrons équiper et former les seniors afin de rompre leur isolement dans la durée.

Mme Claire Chalvidant, directrice des relations institutionnelles du groupe Orange. - Nous nous rejoignons sur les constats. La Fondation Orange, créée en 1987, partage la mission de l'entreprise Orange : mieux communiquer. Nous avons développé de nombreux programmes en faveur de l'inclusion numérique, dans les 26 pays dans lesquels Orange est présent. En France, nous bénéficions d'un maillage territorial étendu, ce qui nous permet d'avoir des correspondants en responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE) et des correspondants de la fondation au niveau local. Notre méthode de travail pour réduire la fracture numérique est fondée sur le dialogue avec les parties prenantes. C'est ainsi que nous nous sommes rendu compte que certains jeunes sont très à l'aise avec les réseaux sociaux pour leur propre développement personnel, mais ne savent pas se servir du numérique pour trouver un emploi, une formation ou faire des démarches en ligne. L'équipement ne fait pas tout et l'accompagnement à l'usage est donc fondamental. C'est pour toutes ces raisons qu'Orange a choisi de faire de l'égalité numérique l'une des deux grandes ambitions de son nouveau plan stratégique 2020-2025.

Mme Françoise Cosson, déléguée générale de la Fondation Orange, directrice Mécénat et Solidarité du groupe Orange. - La question de l'illectronisme est au coeur des préoccupations du groupe Orange. Le numérique est en effet un puissant moteur de développement individuel et collectif. Aujourd'hui, il conditionne bien souvent l'accès à la l'éducation, à la formation, à l'emploi, à la santé, aux services publics et privés, à la mobilité, à l'exercice de la démocratie, etc. Or 13 millions de Français souffrent d'illectronisme. Nous devons accentuer nos efforts si l'on ne veut pas que le numérique soit un accélérateur d'inégalités.

Depuis 2014, la fondation Orange finance de très nombreux programmes d'éducation numérique en direction des publics éloignés du numérique, notamment les jeunes, les femmes, les personnes sans diplôme ou en situation de précarité. Nous accompagnons des associations, via des appels à projets, à la fois financièrement et avec un accompagnement humain, avec des médiateurs numériques qui assurent la formation des bénéficiaires. Nous avons développé des lieux d'insertion numérique qui diffusent gratuitement du contenu. Nous comptons 320 maisons digitales, qui sont plus particulièrement destinées aux femmes, implantées dans 24 pays, dont 102 en France. Nous avons aussi développé 129 fablabs solidaires pour les jeunes, dans 19 pays, dont 64 en France. Quelque 46 000 ateliers numériques ont été organisés depuis 2014 en France, en partenariat avec les missions locales et 50 000 jeunes ont déjà été formés cette année. Nous soutenons aussi de très nombreux programmes d'insertion en faveur des jeunes - 149 projets soutenus cette année avec les missions locales. Enfin, dans les territoires ruraux, 23 tiers-lieux solidaires ont été créés en partenariat avec les collectivités territoriales. Grâce à tous ces programmes, nous avons déjà formé 75 000 personnes en France. Pour les former, nous avons développé des bibliothèques numériques, avec des contenus accessibles. Nous menons aussi des projets dans lesquels le numérique permet un accès à la culture, avec des musées et des institutions culturelles, comme les Micro-Folies de la Villette. Nous agissons aussi pour promouvoir la lecture ou la musique, avec la diffusion d'opéras par exemple. En matière de santé, nous soutenons des projets numériques pour les personnes porteuses d'autisme : c'est ainsi que 4 200 personnes ont été accompagnées. Sans parler de tous les projets que nous soutenons à l'étranger, en Afrique, en Pologne, en Roumanie, etc.

Je tiens aussi à souligner la dynamique d'engagement solidaire des salariés Orange. Dans le cadre de notre programme de mécénat de compétences, 700 d'entre eux oeuvrent dans des associations et 200 sont impliqués dans les formations et les ateliers numériques que je viens d'évoquer. Cela nous permet de connaitre nos associations et nos bénéficiaires et d'avoir un ancrage dans tous les territoires de France.

Chaque entité de l'entreprise Orange contribue à cette mission en entretenant et en développant les réseaux, en proposant des offres commerciales inclusives, etc. C'est le cas de notre dispositif d'offre sociale « Coup de pouce livebox », commercialisé depuis juillet 2019 : il bénéficie à 4 500 foyers à faibles revenus et mal équipés. Notre fonds de solidarité pour le logement permet aussi d'échelonner, voire d'effacer, un éventuel solde débiteur sur prescription d'un travailleur social. Les boutiques Orange organisent des ateliers numériques. Nous sommes très présents sur tous les projets collaboratifs, avec Simplon, Microsoft, etc. Tout le groupe s'engage et cet engagement a été réaffirmé dans notre plan stratégique annoncé par Stéphane Richard en début d'année. L'objectif est d'implanter un digital center Orange dans toutes nos divisions opérationnelles, avec des écoles de codage, des fablabs solidaires, de l'accompagnement pour les start-ups et du soutien au tissu numérique local.

Enfin, dans le cadre de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, le groupe Orange a inscrit sa vocation d'exemplarité sociale dans ses statuts. Cette raison d'être - « Orange est le partenaire de confiance qui offre à chacune et à chacun les clés d'un monde numérique responsable » - a été validée en assemblée générale la semaine dernière. Nous devons donc désormais nous assurer que, dans tous nos champs d'activité, le numérique est pensé, mis à disposition et utilisé de manière plus humaine, plus inclusive et plus durable.

La crise sanitaire a montré toute l'importance de maîtriser les outils numériques. Orange s'est mobilisé avec une aide exceptionnelle à hauteur de 8 millions d'euros : des dons à la Fondation de France, à Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AH-HP), à la Croix-Rouge française, l'envoi de 1 000 tablettes dans les hôpitaux et les Ehpad, la mise à disposition gratuite de contenus pour apprendre et se cultiver à distance, etc. Nos 200 salariés en mécénat de compétences ont rejoint la plateforme Solidarité numérique afin d'aider les personnes les plus isolées. Nous avons également offert à tous nos clients français dix gigaoctets d'internet mobile supplémentaires, l'accès aux chaînes de télévision en clair, etc. Mais en discutant avec nos partenaires, nous nous apercevons que nous allons devoir adapter nos programmes, car certains bénéficiaires ont été un peu perdus faute d'équipements.

Nous sommes donc très engagés. Nous portons une responsabilité, mais nous ne sommes pas les seuls face à cet enjeu. Il faut que tous les acteurs du numérique se saisissent de cet enjeu afin de faire de l'internet et du numérique une chance pour tous.

Mme Claire Perset, directrice des relations institutionnelles de la Fondation SFR et de la RSE-SFR. - L'inclusion numérique est un sujet qui nous tient particulièrement à coeur chez SFR. Nous y travaillons depuis bientôt dix ans avec notre partenaire Emmaüs Connect. Nous avions ainsi fait un choix pionnier avant que ce sujet ne soit identifié comme une urgence sociale, laquelle est devenue flagrante avec la dématérialisation des services publics et criante ces dernières semaines avec le Covid-19 et le confinement. Pourquoi ce combat ? Car c'est le corollaire du déploiement des réseaux fixe et mobile : déployer des réseaux est fondamental, mais il faut également que les gens sachent s'en servir.

SFR a participé à la création d'Emmaüs Connect, association de référence en matière d'illectronisme et d'inclusion numérique. Plus de 200 collaborateurs de l'entreprise y ont participé. Notre action est organisée autour de trois grands objectifs : équiper, connecter et former, pour un accompagnement à 360 degrés. En dix ans, nous avons ouvert 13 espaces de solidarité dans onze villes de France, et nous en ouvrons chaque année. Ces centres distribuent du matériel à tarif solidaire - smartphones, cartes SIM, cartes prépayées, tout cela représentant des dons en nature de SFR à l'association pour une valeur de 4 millions d'euros chaque année - et dispensent de la formation. Au-delà de ces espaces, nous développons avec Emmaüs Connect et Pôle emploi des parcours d'accompagnement aux compétences numériques de base pour les demandeurs d'emploi sous la forme de formations de 32 heures leur permettant d'être autonomes dans leur recherche d'emploi sur internet et dans leurs démarches auprès de Pôle emploi ou de la caisse d'allocations familiales (CAF).

En parallèle à cet accompagnement des personnes, SFR et sa fondation accompagnent aussi des territoires. Dans le cadre de sa réponse aux appels d'offres de délégations de service public ou aux appels à manifestation d'engagements locaux pour le déploiement de la fibre, SFR accompagne les départements dans leur stratégie d'inclusion numérique. Cela prend notamment la forme d'un fonds inclus dans la délégation de service public et consacré à l'inclusion numérique pour des actions très concrètes telles que le déploiement des Pass numériques lancés avec Cédric O et le département des Pyrénées-Atlantiques en février dernier, qui, sur le modèle des tickets restaurant, permettent d'accéder à des services d'accompagnement au numérique dans des lieux référencés. La fondation SFR a, de son côté, développé une action en faveur des territoires avec l'association WeTechCare.

Mme Julie Leseur, déléguée générale de la Fondation SFR. - WeTechCare est l'association-soeur d'Emmaüs Connect. Elle a été le co-rapporteur du rapport sur la Stratégie nationale pour un numérique inclusif. À travers notre partenariat avec cette association, nous avons déployé deux plateformes d'apprentissage en ligne : « Clic'N'Job » pour faciliter l'accès des jeunes à l'emploi avec un générateur de CV personnalités et « Les Bons Clics » pour accompagner le grand public vers l'autonomie numérique grâce à des formations et des outils pour les aidants. SFR et WeTechCare accompagnent Pôle emploi, la CAF, les départements du Morbihan, de la Seine-Saint-Denis, des Pyrénées-Atlantiques ou des Hautes-Alpes, ainsi que des acteurs de l'insertion comme des centres sociaux et des missions locales.

L'objectif est d'apporter aux territoires un diagnostic pour mettre en place une stratégie adaptée, laquelle peut prendre différentes formes telles que la structuration d'un réseau départemental, la création de parcours d'accompagnement ou la mise à disposition de la plateforme « Les Bons Clics » pour aider les citoyens dans leur apprentissage. En partenariat avec Emmaüs Connect, nous participons au déploiement de l'offre solidaire de SFR pour répondre aux besoins de connexion et d'équipement. Nous construisons donc une offre à 360 degrés.

Mme Claire Perset. - Le Covid-19 et le confinement ont mis en lumière la fracture numérique et la fragilité des personnes exclues du numérique. Nous avons déployé avec Emmaüs Connect et le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse un plan d'urgence pour équiper et connecter 75 000 personnes, dont 50 000 élèves. SFR a fait don de 75 000 recharges prépayées, 20 000 téléphones et smartphones et 750 000 gigas de data pour que les plus modestes puissent communiquer avec leurs proches, s'informer et suivre leurs cours à distance. Autre grande mesure : SFR s'est engagée aux côtés du secrétaire d'État à la protection de l'enfance, M. Adrien Taquet, pour équiper les structures collectives de l'aide sociale à l'enfance (ASE) de 500 box 4G, qui ont permis à 5 000 enfants et adolescents de suivre l'intégralité des cours dispensés par visioconférence.

En conclusion, je souhaiterais partager une évidence pour nous : c'est ensemble, entreprises, collectivités, État et associations, que nous devons avancer pour assumer une responsabilité globale et partagée.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Merci pour vos interventions qui constituent autant de témoignages de la vivacité de vos initiatives. Je vous avais demandé de nous indiquer comment vous évaluiez la Stratégie nationale pour un numérique inclusif ; mais je ne crois pas vous avoir entendu sur ce sujet. Peut-être pourrons-nous y revenir plus tard ?

M. Raymond Vall, rapporteur. - Bravo pour tout ce que vous avez déjà entrepris. Mais ce n'est pas suffisant : nous devons mieux coordonner ces actions et en proposer d'autres pour contribuer à une future politique de lutte contre l'illectronisme. Comment déterminer le partage de responsabilité ? L'État en exerce, dans le domaine de la santé, de l'éducation nationale. Des partenariats public-privé (PPP) peuvent-ils se construire ? Je pense, par exemple, à celui qui a été lancé par le Sicoval, une intercommunalité située près de Toulouse, auprès de laquelle nous nous déplacerons prochainement...

Mme Claire Perset. - Les PPP existent déjà, comme dans les territoires où SFR est titulaire d'une délégation de service public. Dans les Pyrénées-Atlantiques, par exemple, nous avons mis en place un pass numérique, un médiateur numérique, des formations. Nous développons des actions concrètes lorsque nous travaillons tous ensemble, y compris les collectivités et l'État. Lorsque nous installons un centre Emmaüs Connect à Toulouse, nous avons besoin que la mairie de Toulouse nous trouve un local, que Pôle emploi y envoie les demandeurs d'emploi...

M. Hector de Rivoire, responsable des affaires publiques de Microsoft France. - La stratégie pour un numérique inclusif retient en effet comme objectifs l'inclusion des territoires et la collaboration public-privé. Nous avons ainsi travaillé avec Pôle emploi pour qu'il nous envoie des demandeurs d'emploi qui avaient besoin de formations sur l'intelligence artificielle. Ce type de coordination sera encore plus nécessaire avec la crise qui se profile.

Mme Claire Chalvidant. - Nous tirons les mêmes conclusions, les hubs territoriaux devraient être plus développés ; les ateliers devraient être mieux coordonnés. Nous avons besoin de soutien et de renfort de la part de l'acteur le plus central, le plus à même de communiquer : c'est-à-dire l'État. Pour toucher les 4 500 bénéficiaires de l'offre d'abonnement « coup de pouce », très peu chère, nous avons besoin des données fournies par la CAF ou Pôle emploi. En Moselle, dès lors que nous avons obtenu une délégation de service public, l'aspect inclusion a été pris en compte.

Mme Françoise Cosson. - Ce lien avec les territoires est très important. Nous ne résoudrons pas la fracture numérique par la couverture, mais par l'accompagnement. Il faut encourager les mécénats de compétence. Les 200 collaborateurs d'Orange sont présents sur tout le territoire, ils privilégient le contact humain, ils peuvent se déplacer. La formation est essentielle.

Mme Charlotte Radvanyi. - Des collaborations avec des partenaires sont déjà mises en oeuvre. Lorsque nous ouvrons des ateliers numériques, nous le faisons toujours avec les collectivités concernées. Il est essentiel de travailler avec les structures présentes sur le territoire, qu'elles soient associatives ou institutionnelles, les missions locales et Pôle emploi. Il faut miser sur le collectif.

M. Olivier Esper. - Attention à ne pas oublier les jeunes générations. Nous travaillons ainsi avec des associations qui visent les jeunes, qu'ils soient demandeurs d'emploi ou dès le plus jeune âge, comme les associations e-Enfance, Génération numérique, Les Petits Débrouillards. Il est crucial d'acquérir une literacy numérique pour en faire des utilisateurs autonomes.

M. Anthony Colombani. - L'intelligence est très clairement dans les territoires, chez ceux qui connaissent bien les personnes que nous voulons aider. Je vous conseille, par exemple, de vous intéresser à l'association Emaho à Bastia, qui propose aux jeunes d'aller au numérique à partir de la musique électronique. La stratégie nationale est plutôt une stratégie pluriterritoriale, puisqu'elle repose sur une labellisation d'actions et ne cherche pas à imposer depuis Paris un modèle unique. C'est sans doute ce qui fait toute sa force, mais aussi ses faiblesses, notamment le manque d'identification de toutes ces associations. Nous serions preneurs de plus de visibilité. Nous devons parfois consacrer beaucoup d'énergie pour trouver l'association à aider...

M. Raymond Vall, rapporteur. - Monsieur Colombani, j'ai bu vos paroles et votre promotion de l'échelle territoriale. Cette période de confinement a révélé ce que le numérique pouvait apporter, mais aussi combien son absence était un handicap. D'un seul coup, les territoires ruraux ont découvert que, grâce au numérique, on pouvait entreprendre comme ailleurs, habiter comme ailleurs. Mais les territoires ruraux ont payé le prix fort pour leur infrastructure : chez moi, la collectivité a contribué à pas moins de la moitié des 90 millions d'euros que le déploiement du très haut-débit a coûté. Dans ces conditions, on peut comprendre que les collectivités soient désormais un peu à court d'argent pour financer la formation au numérique. Le Sénat a beaucoup oeuvré à la mise en place de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), pour éviter justement que l'on ne nous impose telle ou telle action depuis Paris. Comment obvier cette difficulté à trouver les bons acteurs ? Car il faut tous les réunir : nous ne pouvons pas nous permettre de nous priver d'une seule compétence. Peut-être les régions, et leurs compétences économiques, pourraient-elles être désignées ? Il faudrait définir un maillage territorial.

M. Éric Gold. - La complexité des sites internet, notamment institutionnels, est souvent la source d'une anxiété supplémentaire pour les personnes en situation de fragilité numérique. Avec-vous des partenariats pour améliorer leur ergonomie ?

M. Anthony Colombani. - Nous avons nos propres sites internet, où nous favorisons l'ergonomie, puisque notre but est de vendre le plus possible le plus vite possible. Le savoir-faire dans ce domaine est plus ou moins développé. La fluidité des outils Apple n'est plus à prouver, et Google n'est pas en reste dans ce domaine. Ailleurs, il y a beaucoup à faire pour la fluidité. Les compétences existent ; il faudrait que les sites notamment institutionnels intègrent une expérience client. Cela peut aussi faciliter l'accès des personnes en situation de handicap, car plus un site est accessible, plus il le sera pour elles aussi.

M. Sébastien Gros. - S'agissant des sites, les applications que nous mettons en ligne dans notre App Store sont soumises à des guidelines en matière de design et d'ergonomie d'utilisation et Apple met l'accent sur l'accessibilité. Tout cela contribue à rendre la navigation et la consultation aussi aisées que possible. Pour ce qui est de l'administration, lorsque nous sommes associés à une opération avec elle, nous recommandons des développeurs afin que l'application soit réalisée de la manière la plus à même de faciliter l'expérience utilisateur. Nous encourageons donc nos partenaires, entreprises ou administrations, à en tenir compte afin que leurs sites internet soient accessibles, clairs et simples à utiliser. Nous y sommes vigilants. L'initiative, toutefois, appartient tout de même aux concepteurs des sites.

Mme Charlotte Radvanyi. - Chez Google, nous proposons des sessions collectives sur la création de sites dans le cadre de nos ateliers numériques, ainsi que des rendez-vous individuels, en mobilisant parfois des intervenants extérieurs et nous sommes souvent interrogés sur l'ergonomie des sites. D'autres initiatives ciblent les développeurs d'applications. Ainsi, Accessibility Scanner les aide à déterminer les pistes d'amélioration.

Mme Ombeline Bartin. - Chez Iliad-Free, toutes nos applications sont développées en interne, avec une attention particulière portée à l'accessibilité et aux logiciels libres. Nous mettons donc des API, des interfaces de programmation, à disposition des codeurs et nous menons des programmes de formation sur cette thématique.

Mme Martine Berthet. - Vous avez très justement indiqué que l'illectronisme était de la responsabilité de tous les acteurs. Vous menez très bien ce travail avec les associations via vos fondations, vous avez initié beaucoup d'action. Pour leur part, les collectivités territoriales ainsi que l'État ont injecté des moyens importants. On voit bien toutefois qu'ils n'ont aujourd'hui plus les moyens d'aller plus loin. Vous, les opérateurs, êtes directement intéressés à cette question, car vous développez la fibre, et vous avez besoin d'abonnés. Or, malgré vos efforts, ce n'est encore pas suffisant. Comment envisagez-vous dans le futur d'accentuer cette lutte ? Comptez-vous multiplier vos actions ou rester sur le même rythme ?

M. Anthony Colombani. - Nous ne pouvons pas bouder une question sur le futur. L'insertion numérique est un axe fort de notre réflexion, non parce que nous souhaitons gagner ainsi plus de clients, mais parce que cela répond à un vrai besoin de solidarité : lorsque nous interrogeons nos clients à ce sujet, ils nous parlent de beaucoup de causes nobles, comme la défense de l'environnement, mais la question de l'insertion numérique monte. La difficulté est qu'il y a beaucoup d'actions que nous ne pouvons pas mener seuls. Aujourd'hui, nous allons chercher sur les territoires les initiatives localement les plus intéressantes : il peut s'agir ici d'une école du code, là d'une association de lutte contre l'illettrisme, etc.

Mme Bérénice Broutin. - Je rejoins ce que dit M. Colombani. Le futur, pour notre fondation, consistera à soutenir financièrement à moyen et à long termes les actions qui sont déjà en place et celles qui sont à venir. Pour cela, il nous faut travailler avec les acteurs publics pour identifier les meilleures solutions sur les territoires.

Mme Françoise Cosson. - À la Fondation Orange, nous avons lancé des espaces de discussion avec nos partenaires, avec les missions locales et les associations, pour étudier comment accélérer et adapter nos programmes, car la crise récente a fait émerger des problématiques : la connexion, certes, mais surtout le manque d'équipement. On a vu combien les publics éloignés en souffraient, nous avons donc augmenté nos appels à projets dans ce domaine et dans l'accompagnement, avec nos partenaires en mécénat de compétences et nos médiateurs numériques. Nous misons donc sur une offre globale et nous travaillons depuis un mois à monter des groupes de travail collectifs et participatifs avec nos délégués par régions et les acteurs locaux, qui sont mis à mal par la crise, afin de maintenir notre soutien et d'adapter nos programmes. De même, le monde de l'autisme nécessite des programmes structurants différents pour aller plus loin dans l'accompagnement.

Mme Marie-Pierre Richer. - Je vous remercie d'avoir mis en lumière vos actions, je ne pensais pas qu'il y en avait autant. Toutefois, il faudrait sans doute les coordonner et, à ce sujet, il serait utile que la mission puisse disposer d'une cartographie, car il y a des territoires qui restent oubliés. Vous avez parlé d'usage, mais l'accès compte aussi, et nous aimerions savoir si vous répondez à ces attentes sur les mêmes territoires, afin de pointer les éventuelles insuffisances. Je voudrais également mettre en lumière les actions des collectivités territoriales. Dans le Cher, par exemple, nous déployons le numérique grâce à des fonds publics qui représentent un effort important que les collectivités réalisent avec l'État, car l'illectronisme commence à la maison, quand on ne peut pas accéder au numérique ou à la téléphonie. Dans certains départements en France, la couverture atteint moins de 50 %, elle est même de 38 % en Lozère. La fracture est également là.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Un des éléments forts de vos interventions est le partenariat que vous construisez sur les territoires, du mieux possible. On a le sentiment, en vous écoutant, que vous pourriez être plus efficaces s'il existait un cadre, des références, un chef de file, une autorité organisatrice, car vous semblez agir avec très peu d'informations et d'accompagnement. Si une initiative de ce type était lancée en réponse à vos actions, cela se passerait peut-être mieux. En êtes-vous demandeur ?

Mme Claire Perset. - Concrètement, lorsque nous voulons installer un point Emmaüs Connect, c'est l'association qui identifie le besoin et nous devons nous débrouiller pour trouver les bons contacts à la mairie, qui fournit souvent le local, puis aller voir Pôle emploi pour leur demander de nous envoyer les demandeurs d'emploi. Il serait plus simple de disposer d'un interlocuteur unique. C'est parfois le cas : à Toulouse, par exemple, nous envisageons l'ouverture d'un point après une rencontre avec un député qui s'est engagé à nous aider, qui nous a ouvert les portes des structures publiques comme des collectivités territoriales et qui nous a servi de lien avec tout l'écosystème local. C'est un gain de temps colossal ; à défaut, nous devons avancer à tâtons et nous perdons beaucoup de temps.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Peut-être y a-t-il plusieurs échelons pertinents en la matière, car la France est diverse. Avez-vous en tête un ou plusieurs périmètres en particulier qui conviendraient à tous les territoires ?

Mme Claire Perset. - S'agissant d'Emmaüs Connect, l'échelon pertinent est la municipalité, car c'est souvent la mairie qui trouve le local et qui fait le lien avec Pôle emploi. Dans d'autres territoires, en particulier ceux dans lesquels nous disposons d'une délégation de service public avec des partenariats pour l'insertion numérique, c'est le département qui agit. Il faudrait, en effet, produire une cartographie de ce que nous mettons en place, car cela peut varier en fonction des besoins entre mairie, département et région.

Mme Julie Leseur. - Le programme pilote que nous menons dans les Hautes-Alpes en offre un bon exemple, car le département dispose d'un service dédié au numérique. Ce programme, en partenariat avec WeTechCare, s'articule sur trois actions majeures : le déploiement de la plateforme « Les Bons Clics », la mise en place de formations en partenariat avec le département et Pôle emploi sur les compétences numériques de base, et la création, avec Emmaüs Connect et les structures sociales du département, d'un espace solidaire afin de déployer l'offre SFR-Emmaüs. Selon nous, la première étape pour lutter contre l'exclusion est l'équipement, avant la connexion et l'accompagnement. C'est donc avec le département que nous travaillons sur ce sujet, mais l'interlocuteur dépend des projets.

Mme Françoise Cosson. - Dans les territoires ruraux, nous avons créé vingt-trois tiers-lieux solidaires dans de petites communes de moins de 10 000 habitants, qui sont des carrefours de rencontre construits localement avec notre réseau interne, les délégués de la fondation, les directeurs des collectivités territoriales et les acteurs locaux afin de proposer l'offre la plus adaptée en matière de connexion, d'équipement et d'accompagnement pour les publics éloignés et seniors. Cela relève d'une problématique locale, avec des spécificités qui nécessitent un traitement au cas par cas. Nous avons mis en place à cette fin un cadre national d'appel à projets, puis nous menons un travail de longue haleine avec les institutions et les acteurs locaux.

M. Anthony Colombani. - Il est clair que l'acteur le plus pertinent pour nous, celui qui agit concrètement, c'est souvent la commune ou l'intercommunalité. Cependant, certains départements se sont saisis plus que d'autres de la compétence sociale et nous avons aussi travaillé avec les agences régionales de santé (ARS), par exemple, sur les patients hospitalisés en longue durée. Des initiatives fleurissent à tous les niveaux du mille-feuille territorial ! C'est sans doute à l'échelle régionale que nous aurions le plus besoin de coordination, pour nous aider à identifier les projets. Quand nous entendons parler de coordination entre opérateurs, nous ressentons toujours un vent froid dans la nuque, car cela nous rappelle de mauvais souvenirs. Nous échangeons un peu a posteriori, mais les actions en ce sens restent donc un peu isolées.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Différentes initiatives, comme la réindustrialisation à travers le dispositif Territoires d'industrie, ont été confiées aux relais locaux que sont les préfets de départements et les sous-préfets, autour de la préfecture de région. Il s'agit, certes, là d'une compétence économique, mais au vu de ce que nous avons intégré aux objectifs de l'ANCT, le préfet de département est peut-être le bon maillon pour coordonner le public et le privé. Ce qui se dessine, c'est qu'à travers les ARS, les services de l'État, l'éducation nationale, la santé, son rôle sera renforcé dans la gestion du relais territorial des compétences de l'État. Les régions, en outre, ont remis au goût du jour la contractualisation sur des compétences essentielles, comme la formation, avec les intercommunalités. Nous pourrions donc réfléchir à une proposition de coopération entre public et privé sur le terrain autour du préfet et des sous-préfets, qui sont déjà actifs sur des dispositifs importants et connexes. On ne peut continuer à mailler la France à coups de maisons de services au public, de tiers-lieux, d'incubateurs, d'espaces de télétravail ! En outre, nous disposons de lycées et de collèges dont les espaces pourraient être utilisés, nous devons donc coordonner tout cela et les préfets et les sous-préfets, en collaboration avec les chambres consulaires et les régions, sont à même de constituer ces relais sur le territoire. Il est vrai toutefois qu'il faudra mettre de l'ordre dans leurs relations avec les ARS, car la crise sanitaire a mis au jour des difficultés.

Je vous remercie de nous avoir informés, nous sommes agréablement surpris de vos actions et de votre volonté. Le développement de partenariats avec les départements en matière d'infrastructures est incontournable, mais ceux-ci ne disposent malheureusement plus des compétences dans les autres domaines, l'État doit donc reprendre la main, car il s'agit d'une responsabilité lourde au sujet de laquelle une volonté politique forte doit s'exprimer.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je vous remercie tous de vos réponses intéressantes.

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