Lundi 25 mai 2020

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Audition de M. Gilles de Margerie, commissaire général de France Stratégie, sur l'impact de la crise en matière de recrutement et de responsabilité sociétale des entreprises

Mme Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises, a proposé dans un premier temps que le Commissaire général puisse faire part des travaux de France Stratégie en lien avec les sujets de préoccupation de la Délégation, ainsi que des nouveaux sujets intéressant les entreprises et ayant émergé avec la crise sanitaire et économique.

M. Gilles de Margerie, Commissaire général, a indiqué que France Stratégie a mené une série de travaux étant effectivement en lien avec ceux de la Délégation, notamment sur les questions d'emploi et de RSE. Ces études et réflexions sont menées dans le respect de la tradition, très ancienne, de dialogue avec les partenaires sociaux d'une part et avec la société civile d'autre part.

S'agissant de la thématique des emplois et compétences, au coeur des sujets traités par France Stratégie, il convient de noter que la publication initialement prévue pour le nouvel exercice de prospective des métiers et qualifications à l'horizon 2030, mené régulièrement avec la Dares, a été repoussée compte tenu des circonstances. Le contenu devra être actualisé au regard des nouvelles perspectives découlant de la crise actuelle.

France Stratégie anime le réseau Emplois Compétences, ancré dans les territoires. Il a permis, ces dernières années, de mettre au point des méthodes pour établir une vision prospective de l'emploi et des compétences, avec les partie prenantes (observatoires de branche et régionaux, administrations en charge de l'emploi et du travail, etc.). France Stratégie est peut-être l'institution qui, au sein du monde des administrations, essaie de comprendre au mieux ce qui se passe dans le monde des entreprises.

France Stratégie s'est vu confier l'évaluation des « ordonnances travail » en s'appuyant sur un comité d'évaluation co-présidé par trois personnalités. Un point d'étape sera publié dans un mois.

Par ailleurs a été récemment confiée une mission de secrétariat du plan de soutien des entreprises, avec une prochaine mise en ligne des informations de synthèse sur ce plan. Ce travail devrait être d'un grand intérêt, notamment pour ce qui concerne l'activité partielle.

France Stratégie a connu une évolution importante depuis un an avec l'intégration du Conseil d'Orientation pour l'emploi (COE), la prise en charge de son animation et sa présidence. La réunion du 15 mai dernier a permis de réaliser un tour de table avec les partenaires sociaux pour faire remonter leurs analyses du terrain et leurs préoccupations actuelles. Le poids de ces partenaires (6 organisations patronales et 6 organisations syndicales salariées) s'est accru dans la nouvelle organisation du COE, passée de 53 à 35 membres. En résumé, les principaux sujets relayés par les partenaires sociaux en ce contexte de crise ont été les suivants :

- ils prennent acte du plan soutien aux entreprises, dont la rapidité de mise en oeuvre a été saluée, notamment pour ce qui concerne le prêt garanti par l'État (PGE) et l'activité partielle ;

- beaucoup d'inquiétudes ont été exprimées et de questions posées sur la sortie de crise, avec toutefois une grande hétérogénéité selon les secteurs. Cette hétérogénéité sectorielle s'illustre par exemple par la coexistence des préoccupations de la FESAC (Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l'audiovisuel et du cinéma) - dont les acteurs sont aujourd'hui à l'arrêt et ne savent pas quand ils pourront redémarrer - et celles de la FNSEA qui connaît davantage des difficultés de recrutement. L'activité du secteur de l'agriculture et de celui de l'agro-alimentaire ont été en effet beaucoup moins affectées que d'autres et ces secteurs se sont plutôt retrouvés confrontés à des pénuries de recrutement, notamment liées à des difficultés pour faire venir des travailleurs saisonniers de l'étranger ;

- de nombreuses questions ont été soulevées sur la souveraineté économique, tant à l'échelle française qu'à l'échelle européenne, et sur les perspectives de relocalisation de productions ;

- l'impact sur les métiers sera très différent non seulement d'un métier à l'autre mais aussi d'une situation personnelle à une autre. Va se présenter une génération nouvelle, dans le domaine de l'alternance, qui risque de se heurter à une situation radicalement différente, avec le risque de briser la dynamique de l'apprentissage que l'on observait avant la crise. C'est une préoccupation considérable pour les partenaires sociaux ;

- l'impact va également se traduire par un changement considérable du rapport au travail ;

- dans les études prospectives sur les métiers et qualifications, on note que certains métiers sont davantage exercés lorsqu'on est jeune et d'autres plus tard dans la vie active. Or, en raison de la crise, certains métiers seront extraordinairement affectés et ne pourront plus jouer le rôle de sas d'entrée dans la vie active pour les jeunes générations ;

- sont également craints des aléas accrus sur les métiers pour lesquels des difficultés de recrutement étaient déjà anticipées, comme dans le domaine de la rénovation thermique. En effet, la mise en oeuvre de la stratégie nationale bas carbone devrait entraîner une augmentation massive du nombre de rénovations de logements sur le plan thermique ; étaient d'ores et déjà anticipées des vacances pour 300 000 à 400 000 emplois.

- La crise va ainsi remettre en cause un certain nombre d'équilibres ou de déséquilibres existant sur les métiers et sur le marché du travail.

Le plus frappant des changements anticipés relève de l'évolution de l'organisation du travail. Ainsi le télétravail a concerné, du jour au lendemain, des millions de français. En outre, le télétravail d'aujourd'hui n'est pas celui d'il y a 6 mois, lorsque le mode normal d'organisation était la présence au bureau et que l'on accordait un ou deux jours à des salariés qui le souhaitaient car ils y trouvaient un équilibre personnel. On constatait d'ailleurs que les salariés qui en bénéficiaient n'avaient pas du tout perdu en efficacité et le mouvement vers une augmentation du télétravail était solidement enclenché. Désormais la logique n'est plus la même, et l'on envisage une organisation différente où le télétravail n'est plus mineur dans l'organisation mais constitue une modalité alternative avec de nouveaux équilibres à imaginer. Les conséquences pratiques sont nombreuses, par exemple en termes d'équipement à domicile, de méthodes managériales (la transposition des méthodes management au bureau n'est pas transposable), etc. ;

D'autres changements sont liés aux conditions sanitaires ou plutôt à la manière de se protéger les uns des autres, y compris dans les trajets. La question des trajets pendant les heures de pointe était déjà un sujet puisqu'elle était visée par un accord entre les sociétés de transports en commun d'Ile-de-France et les acteurs des bureaux du quartier de La Défense afin d'étaler les heures de début et de fin de travail. La concentration des arrivées et départs sur une heure ou une heure trente était à l'origine d'une grande partie des problèmes de transports en commun dans la région. Maintenant on est conduit à aller beaucoup plus loin et l'amélioration des conditions de transport va constituer un élément important de négociation. Au-delà, on découvre que dans le monde de l'industrie va émerger le travail en équipe décalé, et des accords devront être passés. Ainsi de nouveaux sujets de négociation voient le jour, ce qui arrive à un moment singulier pour les nouvelles organisations représentatives ayant remplacé le CHSCT.

Trois éléments forts vont donc guider les discussions des partenaires sociaux : les déséquilibres nouveaux des métiers, les évolutions nouvelles relatives à l'organisation du travail, et les attentes de dialogue social dans les enceintes renouvelées.

Mme Cécile Jolly, Cheffe de projet, a présenté l'étude, réalisée avec MM. Jean Flamand et Martin Rey, sur la typologie des métiers au regard des vulnérabilités, approfondies ou révélées avec la crise du covid-19.

Ces vulnérabilités soulignent des fractures économiques. La première concerne les métiers : avec ceux exercés par des personnes qui ont continué de travailler soit à domicile soit en présentiel et ceux dont l'activité a fermé ou dont le contrat a été interrompu, parce que qu'il leur a été difficile, voire impossible, d'exercer leur profession depuis leur. La deuxième vulnérabilité est liée aux conditions statutaires car les métiers ne sont pas égaux, entre les statuts précaires et les salariés sous CDI, préservés de la crise. La troisième est relative aux conditions de vie, certaines étant rendues difficiles, par la charge d'enfants, ou par une situation financière plus fragile compte-tenu des charges de loyer et d'emprunt immobilier au regard du niveau de salaire, ou encore par une situation de handicap ou perte d'autonomie. Selon ces conditions une éventuelle reconversion est d'ailleurs possible ou pas. Une dernière fracture sépare, parmi celles qui travaillent encore, les professions exposées à des conditions de travail difficiles, en contact direct avec le public, soumises à des horaires atypiques, des postures physiques pénibles, à une pression temporelle ou une forte charge mentale (ces deux derniers facteurs pouvant créer des risques psychosociaux), de celles qui en sont prémunies.

Cinq catégories de métiers ont été dégagées dans cette étude :

- les métiers structurellement vulnérables, en particulier les salariés des métiers de l'industrie et du BTP ;

- ils sont rejoints par de nouvelles professions : jeunes, actifs sans qualification spécifique, métiers de reconversion pour les ouvriers, dans l'hôtellerie, la restauration, les transports, la culture, le sport. Ces métiers sont caractérisés par une fragilité statutaire, des contrats précaires, notamment pour les auto-entrepreneurs, les TPE ou artisans en entreprise unipersonnelle et non protégés par leur statut, avec un salaire médian faible. Les conditions de travail les placent en situation de vulnérabilité ;

- une autre catégorie de salariés s'est surinvestie pendant la crise. Ce sont les professions de santé et d'aide aux personnes, relatives aux activités régaliennes, au commerce de première nécessité, dans le secteur alimentaire et l'agriculture. Elles sont en dominante féminines. Elles sont exposées au contact avec le virus, à des horaires atypiques, avec une charge mentale forte, notamment pour les aides-soignantes, mal rémunérées. En sortie de confinement, leurs conditions de travail sont fragilisées ;

- s'y ajoutent les cadres confrontés à l'hyperconnectivité et à l'intensification du travail, qui ont préparé le confinement puis le déconfinement, et sont protégés par le statut de CDI avec un haut niveau de qualification. Ils sont en risque de surcharge de travail, ce qui était déjà le cas avant la crise, avec un risque accru de burn out. Ceux qui travaillent dans les secteurs cycliques sont particulièrement vulnérables ;

- une dernière catégorie englobe les employés qualifiés et professions intermédiaires exerçant des fonctions de support transversales comme le secrétariat, la comptabilité ou l'encadrement. Ils sont peu vulnérables, ont été économiquement préservés mais parfois contraints à l'inactivité partielle. Cet éloignement peut les conduire à une désocialisation. Ils seront confrontés à une demande de montée en compétence numérique dans leur métier.

Il importe, lors de la reprise de l'activité, de ne pas mener de politique uniforme compte-tenu de la différenciation des situations et d'apporter un traitement « différencié » des risques auxquels sont confrontés les métiers. Si la relance verte est importante pour le BTP, l'industrie sera confrontée à la question de la relocalisation des activités, tandis que des métiers de service dans l'hôtellerie- restauration, les transports ou la culture seront confrontés à des problématiques de reconversion, nécessitant parfois un accompagnement psychique et ouvrant de nouvelles fractures numériques dans certains métiers.

Puis, M. Gilles Bon-Maury, Secrétaire permanent de la Plateforme RSE (responsabilité sociétale des entreprises) a présenté l'avis résultant de la consultation de ses membres à faire part de leurs réflexions sur l'impact de la crise. Il a rappelé l'organisation de la Plateforme RSE, qui réunit 50 organisations, avec des interlocuteurs divers représentant les acteurs publics, les entreprises, les organisations de salariés, des chercheurs et des ONG. Chaque partie prenante a été invitée, le 17 avril, à exprimer son point de vue sur la crise sanitaire et ses conséquences. Pour certains, l'approfondissement de la RSE des entreprises est une réponse à la crise. On a constaté ainsi que les fonds responsables ont été plus robustes ; les entreprises ont répondu aux besoins issus de la crise. Pour certains, la RSE fait donc partie de la solution à la crise, tandis que pour d'autres, ce sera le retour au « business as usual ». Au vu de ces contributions, un texte consensuel, bref, a été adopté le 6 mai. Ce texte souligne l'ampleur de la crise, rappelle le principe de solidarité avec les victimes, souligne l'importance de la réponse de l'État au soutien de l'activité partielle et celle des entreprises qui ont aidé les soignants, réorienté leur chaîne de production pour fournir des équipements sanitaires, et ont parfois réduit les dividendes et les salaires des dirigeants. Un débat sur l'attribution des dividendes a eu lieu, certains demandant sa suspension, et les conclusions n'ont pas été complètement consensuelles.

L'avis appelle à renforcer la démarche RSE, donc le dialogue social qui doit participer au rétablissement de la confiance dans la chaîne de valeur, notamment dans la relation donneurs d'ordre-fournisseurs, en particulier par le respect des délais de paiement.

La crise sanitaire n'efface pas la gravité de la crise environnementale préexistante et souligne l'importance de la transition écologique et solidaire. La RSE doit contribuer à la maîtrise des impacts de l'activité en prenant en compte le long terme et la prévention des risques dans les chaînes de valeur. Les circonstances ont permis de travailler. La crise invite à trouver un nouveau modèle de développement, qui peut se traduire par le développement de la raison d'être des entreprises, avec les Objectifs de développement durable des Nations Unis pour référence. Et les critères de l'intervention publique peuvent constituer un levier pour atteindre cet objectif.

La CGT s'est désolidarisée du texte considérant qu'il n'allait pas assez loin sur la question des dividendes mais c'est un texte de compromis, qui a emporté un large consensus.

Enfin, M. Daniel Agacinski, Chef de projet, a présenté les premiers résultats de l'appel à contribution du 1er avril relatif à « l'après-covid », issu d'un séminaire de France Stratégie sur la soutenabilité de notre modèle de développement.

L'après-crise sanitaire appelle à refondre partiellement le référentiel des politiques publiques, trop souvent sous la pression du court terme. Dans cette perspective, un appel à contribution a été publié autour de sept axes de questionnement : les attentes à l'égard de la puissance publique ; le modèle social le plus adapté pour répondre aux vulnérabilités révélées par la crise ; les interactions entre la mondialisation et la pandémie ; les relations entre savoir et pouvoir ; les interrogations sur les nouveaux usages du numérique ; les interdépendances et l'autonomie ; la réorientation du modèle économique pour une croissance soutenable.

Les pages de consultation du site ont été consultées 2 300 fois et 337 contributions ont été reçues.

Ce qui converge dans les contributions, c'est un appel à une approche globale de la transformation sociale, centrée sur la transition écologique ; l'importance des savoir fondamentaux ; la valorisation de la proximité ; la volonté d'une reprise en main des temps, des flux technologiques autour de la notion des « communs » ; la critique de la culture de l'efficience dans la gouvernance publique au détriment de la robustesse et de la résilience. L'accent est mis sur les compétences et les savoirs faire.

Ce qui divise et ne fait pas consensus dans ces contributions sont des questions fondamentales sur la restauration du rôle de l'État, entre le retour de la planification ou comme un État facilitateur ; sur l'impact de la technologie comme outil d'émancipation ou au contraire comme verrou empêchant la transition ; sur le découplage entre croissance et empreinte environnementale soit par le nucléaire, soit par la croissance verte et la sobriété ; sur l'échelon pertinent de décision, l'Europe ou la France, et la rénovation de la démocratie, avec le référendum ou la convention citoyenne ; sur la régulation de la finance entre mesures coercitives ou incitatives.

Des propositions plus originales ont été émises comme la relance de la cartographie des risques majeurs pour orienter l'action publique, le développement de l'expertise de controverse et de la prospective territoriale, la création d'un ministère de la transition citoyenne de l'administration, la création d'un revenu de transition écologique en contrepartie d'activités orientées vers l'écologie et le lien social (agro-écologie, permaculture, artisanat, low tech), l'adaptation de la PAC aux spécificités d'outre-mer, la mise en valeur de la notion de right tech, alternative à la high tech et à la low tech et qui serait la bonne technologie utilisée de manière frugale au bon moment et bon endroit, la diffusion d'une application d'échange de lieux d'emplois (JobilX) pour minimiser les déplacements domicile/travail des salariés, testée chez Franprix.

Ces contributions seront mises en ligne et mise en discussion en juin prochain.

À la question de Mme Élisabeth Lamure sur les points saillants issus de cette étude, M. Agacinski a insisté sur la nécessité pour les contributeurs de penser ensemble des impératifs qui paraissaient jusqu'ici irréconciliables, rendue encore plus urgente avec la crise du covid-19 et l'horizon de sortie de crise. Il a rajouté que le but de France Stratégie avec cette initiative n'était pas forcément de déterminer quelle proposition était la plus intéressante mais d'être le carrefour de l'opinion publique et des pouvoirs publics, plutôt qu'un acteur de la décision. Cette initiative permet d'esquisser des mondes possibles dont le politique choisira de faire usage ou non, elle permet d'esquisser des lignes de force et de lignes de fractures qui peuvent éclairer une partie du débat public ou, en tout cas, en clarifier certains des termes.

À une question sur le choc que subira la génération qui rentrera sur le marché du travail à l'issu de la crise, et plus particulièrement les apprentis qui risquent de se retrouver sans contrat, et sur l'opportunité de prolonger d'un an les contrats d'apprentissage, M. de Margerie a indiqué que France Stratégie n'avait pas travaillé spécifiquement sur l'apprentissage. Il a néanmoins assuré qu'il s'agissait d'un sujet bien identifié par les pouvoirs publics, et notamment le ministère du Travail, qui recherche activement des solutions.

Interrogé sur l'existence d'une stratégie numérique au sein de l'Éducation nationale et sur la manière d'orienter massivement les employés vers les formations numériques grâce au CPF dans le cadre de la formation continue, M. de Margerie a répondu que le sujet du numérique dans l'éducation était un sujet encore en phase exploratoire pour France Stratégie. Il a expliqué que lorsque l'on regarde l'usage des technologies numériques dans les formations dans le sens le plus générique du terme, ces technologies ont principalement été utilisées dans les  formations supérieures et continues et très peu à l'école. Le poids économique des investissements dans le numérique est réalisé à 90 % en dehors du monde de l'école. Or, il est à noter qu'une large majorité des élèves a pu garder une forme de lien avec les enseignants pendant le confinement grâce aux outils numériques. Ainsi, quand la nécessité est là, quand le sort de la formation des enfants est en jeu, nous sommes collectivement capables de choses inimaginables il y a quelques mois. Il a souligné que ces dispositifs étaient bien sûr perfectibles avec un certain nombre de décrocheurs, mais que les résultats de cette expérience étaient malgré tout au-delà des espérances de chacun. Au sujet des formations pour adultes, il a rappelé que les technologies numériques étaient plus facilement adoptées dans ce cadre et qu'il était permis d'espérer que le CPF (compte personnel de formation), avec son accessibilité sur n'importe quel téléphone portable et l'appropriation dont il fait l'objet par les citoyens, permettrait des changements importants dans les usages numériques. Il a insisté sur l'accord exprimé par tous les partenaires sociaux depuis deux semaines sur la priorité que représente l'effort de formation pour la sortie de crise. Cet effort répond d'une part à des évolutions des processus de travail issues de la crise sanitaire et, d'autre part, à l'accélération de programmes de formation par la crise, programmes qui auraient autrement été mis en place au long cours.

À la question de Mme Jacky Deromedi sur les destinataires des travaux de France Stratégie, qui ne concernent a priori jamais les Français établis hors de France qu'elle représente, M. de Margerie a expliqué que France Stratégie avait vocation à parler à plusieurs publics. :

- d'une part, l'organisme transmet des propositions et des réflexions au gouvernement, conduit l'évaluation de politiques publiques pour répondre à des missions confiées par le législateur ou le gouvernement avec des résultats solides, argumentés et qui contribuent à l'action publique ;

- d'autre part, France Stratégie a pour mission d'éclairer le débat public : ancien Commissariat au plan, sa mission lui vient de la conviction qu'une opinion éclairée peut mieux comprendre et mieux s'impliquer dans les processus de décision, de réforme et de changement politiques qui doivent être menés. France Stratégie déploie un effort spécifique à destination des publics scolaires et universitaires, notamment à travers des partenariats, et ses publications sont par ailleurs facilement accessibles par un public de citoyens engagés activement pour la chose publique. Le livret présentant les sept axes de l'appel à contributions, mis en ligne il y a moins de 2 semaines, a par exemple été déchargé plus de 5 000 fois ; de même, l'étude sur la projection à long terme des métiers a été téléchargée plus de 30 000 fois. La vocation de France Stratégie est bien sûr l'évaluation et les propositions pour les pouvoirs publics mais aussi d'éclairer le débat public et de permettre aux citoyens de se forger leur propre opinion : si certaines études vont jusqu'aux recommandations, une partie d'entre elles présentent uniquement des analyses et sont conçues comme des instruments pour que les citoyens puissent alimenter leurs réflexions.

France Stratégie se penche en outre attentivement sur ses lecteurs situés hors de France et a constaté que la fréquentation des publications résumées en anglais avait beaucoup progressé, ce qui témoigne d'un intérêt croissant hors de France.

À l'interrogation de Mme Élisabeth Lamure sur l'engagement affirmé des grands groupes d'intégrer durablement la RSE dans leur stratégie, qui trancherait avec les PME et leurs représentants ayant moins tendance à exprimer publiquement cet engagement, M. Gilles Bon-Maury a rappelé que les grands groupes ont depuis longtemps des obligations de reporting RSE, des notations RSE par les agences de notation, quand les PME - qui sont pourtant les entreprises les plus naturellement enclines à établir des relations de confiance avec leurs écosystèmes - n'ont pas les mêmes outils, les mêmes obligations ni les mêmes moyens. Il s'agit du cas de figure répandu de la « RSE sans le savoir » de nombreuses PME qui établissent des liens avec les territoires et les parties prenantes, en amont et aval de la chaine de valeur. Un des leviers du développement de la démarche RSE des PME, plébiscité par la Plateforme RSE, est l'établissement de labels sectoriels s'appuyant sur les branches. En effet, dès lors qu'il s'appuie sur les branches et donc sur les métiers de l'entreprise, un label permettra de comprendre, de mesurer et de comparer les démarches RSE des PME. On peut avoir tendance à penser que les dispositifs de la loi PACTE sont réservés aux grandes entreprises cotées sur les marchés financiers, mais cela n'est pas exact car certaines branches ont commencé des démarches RSE concernant des PME et des TPE. Ainsi par exemple les instituts de beauté ou les spas - qui sont en majorité des PME -, comme les entreprises de propreté, s'organisent en ce sens. Il est d'autant plus important qu'elles le fassent elles-mêmes que cela permet d'éviter l'écueil des donneurs d'ordres, qui sont souvent des grands groupes et qui peuvent faire rejaillir sur les PME et TPE des exigences RSE inadaptées issues de leurs propres donneurs d'ordre.

Questionnée sur les reconversions, Mme Jolly a assuré que France Compétences allait engager un travail d'identification des formations qui permettraient une reconversion ou concerneraient des secteurs prioritaires dans la relance gouvernementale (dont les contours ne sont pas encore dessinés mais qui le seront en septembre). Aujourd'hui, l'investissement en compétences et le CPF sont déjà orientés vers les jeunes qui ne sont ni en formation ni en emploi et les personnes en emploi ou au chômage les moins qualifiées ; il s'agira de reconsidérer les orientations du dispositif car les plans d'investissement dans les compétences ont été mis en place avant la crise du covid-19, dans un contexte de difficultés de recrutement, d'identification de métiers émergents et de métiers en transformation. Il est désormais question de définir des compétences issues de certains métiers et transférables dans d'autres. Il s'agissait déjà d'une demande dans l'industrie, qui va aujourd'hui être élargie pour trouver plus généralement des compétences valorisables d'un métier à l'autre et établir une cartographie des compétences.

Interrogé sur les relations entre France Stratégie et Pôle emploi, M. de Margerie a indiqué que les deux structures travaillaient beaucoup ensemble et que Pôle emploi était d'ailleurs intervenu dans le cadre de la dernière réunion du Conseil d'Orientation pour l'Emploi (COE) pour présenter les dispositifs mis en place dans le cadre de la gestion de crise, et qui ont été très rapides et innovants. Il a expliqué qu'il existait des relations régulières entre les équipes d'études, ainsi que des projets en commun dans le cadre d'un partenariat régulier et important. Mme Jolly a ajouté qu'elles travaillaient ensemble pour la définition du « score d'exposition sectorielle » qui permettra la mise place de plans de formation dans les secteurs les plus impactés par la crise actuelle. Les deux structures travaillent également main dans la main dans le cadre du groupe de travail « prospective, métiers et qualifications » et du groupe de travail sur les compétences (intra-métiers). Ces travaux communs ont notamment pour objectif de déterminer les compétences mobilisées de manière conjointe : par exemple, l'utilisation du numérique va de pair avec les mathématiques. Enfin, elles travaillent à objectiver la présomption de proximité de compétences, qui existe en particulier pour certains métiers ayant tendance à évoluer vers d'autres métiers. L'existence d'une telle cartographie permettrait d'établir une proximité entre ces métiers et peut-être de lever des freins à la mobilité, pouvant venir des salariés ou des employeurs, qui se verraient ainsi rassurés.

La réunion est close à 18 h 30.