Mercredi 15 avril 2020

- Présidence de Monsieur Hervé Maurey -

Audition de MM. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, Christophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs et Frédéric Delorme, président-directeur général de Fret SNCF (en téléconférence)

La téléconférence est ouverte à 10 heures

M. Hervé Maurey, président. - Je suis très heureux d'accueillir en visioconférence M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF et M. Christophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs, ainsi que M. Frédéric Delorme, président-directeur général de Fret SNCF, en audio.

La semaine dernière, nous avons auditionné Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État aux transports, avec lequel nous avons déjà évoqué en partie la question des transports ferroviaires. Nous souhaitons aller plus loin avec vous sur cette question qui est au coeur des travaux de notre commission. Nous avons installé un groupe de suivi, avec des référents, dont Didier Mandelli sur le sujet du transport ferroviaire.

La situation sanitaire a conduit votre groupe à s'adapter aussi rapidement que profondément : vous avez dû diminuer drastiquement l'offre de transport, non en raison de la demande, mais à cause des nécessités impérieuses fixées par l'Etat en termes de sécurité sanitaire. Seuls 7 % des trains à grande vitesse (TGV) et 15 % des trains express régionaux (TER) circulent aujourd'hui sur le réseau, mais la part des voyageurs transportés est moindre. Quant au fret, vous avez dû continuer à assurer l'approvisionnement du pays. Le volume s'est donc maintenu à un niveau relativement important, puisque 60 % des trains prévus au plan de transport fonctionnent.

Vous avez donc dû adapter profondément le mode de fonctionnement de votre entreprise en raison de la nécessité de protéger vos salariés. Cette réorganisation entraîne des répercussions économiques et financières importantes pour votre groupe : pour le fret, dont nous connaissons tous la fragilité, mais également pour l'ensemble du groupe qui, après avoir subi les conséquences de la grève, subit les conséquences de cette pandémie. Nous sommes relativement inquiets, quant à sa situation financière, quant aux investissements à réaliser, et particulièrement inquiets de l'avenir des petites lignes.

Dans ce climat, l'ouverture à la concurrence sera-t-elle, sinon remise en cause, retardée ou plus difficile que prévu ?

Au-delà, nous aimerions vous entendre sur l'après 11-mai : comment remettre en service des lignes qui ont été à l'arrêt pendant deux mois, en termes de matériels notamment ? Comment mettre en oeuvre les gestes barrières qui devront perdurer de longs mois, pour le transport de voyageurs, et avec quelle organisation ?

M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF. - Merci de m'accueillir en vidéo.

Pendant la crise, ce qui nous a guidé, c'est la mobilisation d'une entreprise publique au service des Français. Nous avons retrouvé le sens d'une grande entreprise de service public, avec tous les cheminots mobilisés, pour assurer le service essentiel demandé par le pays, pour les voyageurs comme pour le fret. Nous avons intégré les consignes de protection sanitaire de tous les Français et de nos salariés, les cheminots, qui sont en première ligne de la deuxième ligne. Le personnel des fonctions support est confiné, en télétravail, mais plusieurs milliers de cheminots sortent dans les postes d'aiguillage, dans les cabines de trains, dans les chantiers, dans les ateliers de maintenance. La force industrielle de la SNCF ne s'arrête pas pendant cette grave crise. Nous avons réagi très vite en mettant en place, dans les premiers jours, une task force de très haut niveau, en relation avec les pouvoirs publics, dont nous suivons, bien sûr, les orientations sanitaires. Nous respectons évidemment strictement les gestes barrières et avons amplifié l'information à ce sujet, auprès de notre personnel et des voyageurs : nous avons diffusé beaucoup de messages, dans les premiers jours, quand il fallait en faire la promotion.

Le plan de transport a été considérablement abaissé, progressivement, en escalier, au fur et à mesure que la situation sanitaire du pays se durcissait, et Christophe Fanichet m'a aidé à organiser cette réduction de l'offre, en liaison avec les autorités organisatrices de mobilité, notamment pour les TER et en Île-de-France. On peut souligner la qualité de nos relations avec les régions. Avec le directeur Territoires, nous avons eu le souci de mener une approche nationale, tout en nous appuyant sur des relais locaux et régionaux, pour ajuster finement notre offre et notre action, région par région. Nous avons un cycle de réunions hebdomadaires et j'ai moi-même appelé plusieurs présidents de régions pour caler notre offre, qui est maintenant arrivée à l'étiage.

L'offre TGV est très basse : environ 40 TGV seulement circulent par jour, contre 600 à 700 habituellement. C'est logique, en raison du confinement, et de la demande des pouvoirs publics, avec une grande cohérence, mais cette offre minimale est toujours là, afin d'assurer un lien territorial pour les personnes ayant besoin de voyager pour des raisons professionnelles ou familiales.

L'offre de TER se situe autour de 15 % par rapport à la normale, essentiellement pour des trajets domicile-travail. En Île-de-France, nous en sommes entre 20 % et 25 %, selon les lignes, en raison de la présence de centres névralgiques et de la nécessité de transporter les soignants, qui sont notre coeur de cible. Nous avons ajusté nos horaires en fonction de leurs besoins, pour les hôpitaux en particulier. Il s'agit aussi de transporter tout le personnel de deuxième ligne, dont nous faisons partie et dont nous avons besoin pour assurer le fonctionnement de notre pays.

Pour, le fret, nous avons fait davantage : il circule à 60 %, 65 %. Nous y avons porté un effort particulier pour satisfaire aux besoins vitaux de l'économie du pays, en assurant l'approvisionnement en carburant, en chlore pour le traitement des eaux, en denrées alimentaires. Nous avons eu le souci de favoriser le maintien de l'activité économique du pays, en allant un peu au-delà du strict nécessaire, à la demande de nos clients. Nous traitons l'essentiel de leurs demandes. Quelques-uns de nos clients souffrent, comme Arcelor, ou la sidérurgie en général, les commandes d'acier ayant baissé ; l'automobile aussi, souffre beaucoup. Nous avons joué un rôle majeur pour acheminer les céréales stockées dans les silos vers les ports ou pour la consommation interne, vers les grands moulins, pour fabriquer de la farine. Il est essentiel d'écouler les stocks présents dans les silos, afin de pouvoir accueillir la récolte quand elle arrive. Nous avons été exemplaires. Je salue également l'action de nos collègues de SNCF Réseau, notamment ceux des postes d'aiguillage, qui ont ouvert des lignes capillaires pour aller chercher les productions là où elles sont, dans les campagnes. Le fret démontre qu'il est un acteur majeur de l'économie du pays. Cela se voit davantage dans les périodes compliquées.

Le souci de la protection sanitaire du personnel nous a guidés. Nous avons veillé à l'application stricte des gestes barrières. Nous avons revu les fiches métiers normales pour les adapter à la situation sanitaire. Nous avons eu le courage de fermer les services qui n'étaient pas indispensables, comme la vente au guichet : cela nous a paru plus sûr pour notre personnel et pour nos clients, puisque, vous le savez, il n'y a plus d'hygiaphone depuis plusieurs années. Nous avons recentré l'activité des contrôleurs sur les missions de sécurité indispensables à la circulation des trains. Ces décisions radicales, combinées à la réduction drastique de l'offre, ont eu pour effet de moins exposer nos cheminots aux risques sanitaires.

Quant à l'usage des masques, nous disposions, ce qui était peu connu, d'un stock stratégique, contrairement à d'autres entreprises - la SNCF étant plus fourmi que cigale - et nous l'avons mis, dès le début de la crise, sous le contrôle strict de l'État : nous lui avons donné, à sa demande, nos masques FFP2, pour approvisionner les hôpitaux et les mettre à disposition des soignants. Nous avons gardé un stock de masques chirurgicaux. Nous en avons également donné une partie à la RATP, qui n'avait peut-être pas pris les mêmes précautions que nous. Nous utilisons donc les masques sous le contrôle de l'État, de façon ténue au départ, amplifiée au fil du temps. Nous avons dû gérer le risque sanitaire - largement installé par les médias - pour sécuriser le personnel en contact avec les clients. Nous avons doté chaque agent de la sûreté ferroviaire - dont on a bien besoin aussi dans cette période - et chaque conducteur, seul à bord des trains, de deux masques chacun. Nous avons également doté des collectifs de stocks de précaution, par exemple dans les gares ou dans des postes d'aiguillage. Plus récemment, lorsque nous avons vu monter les problèmes de respect des gestes barrières, nous avons élargi cette dotation au personnel de maintenance, des matériels roulants et des voies. Notre doctrine a évolué, comme celle des pouvoirs publics.

Le dialogue avec les syndicats a été de qualité, sans doute en raison de l'amélioration des relations sociales dans l'entreprise. Paradoxalement, en dépit la grande grève sur les retraites, une écoute, un respect mutuels se sont installés avec les organisations syndicales. Nous avons fait preuve d'une transparence totale : nous avons associé les représentants des syndicats aux conférences sanitaires internes, où nous faisons le point des cheminots malades. Ce sérieux et cette transparence nous ont permis de réduire le risque d'un emballement des syndicats à propos du droit de retrait. Ce droit a été exercé, sporadiquement, mais sous contrôle, et pas de façon massive. Pourvu que cela dure ! Nous serons amenés à travailler avec eux pour augmenter considérablement le nombre de trains à partir du 11 mai, date cible annoncée par le Président de la République.

Au-delà de cet effort de participation directe au plan de transport en situation sanitaire dégradée, notre action la plus spectaculaire est celle des TGV sanitaires, initiative formidable qui doit beaucoup à Christophe Fanichet. Elle remplit de fierté les cheminots. Soyons modestes, néanmoins : c'est un tout petit maillon d'une grande chaîne sanitaire. C'est aussi une contribution directe à l'effort sanitaire du pays, qui représente beaucoup de travail : deux à trois jours de préparation pour équiper les trains, qui devaient être de petits hôpitaux, avec de l'air comprimé embarqué à bord, des installations électriques. Il faut aussi sécuriser leur circulation : nous n'avons pas droit à l'erreur ; tout le trajet est très surveillé, pour être sûr à 100 % qu'ils arriveront à destination dans les meilleures conditions.

J'ai été l'un des tout premiers à proposer aux 500 réservistes de la SNCF de se mettre à la disposition de l'opération Résilience, pour donner un coup de main, à l'échelon du pays. Je souligne la générosité des cheminots : la Fondation SNCF, SNCF Immobilier, sont très actives ; toutes les forces de la SNCF ont eu le souci de faire plus encore que de faire rouler les trains, dans cette période difficile.

S'agissant de l'aspect économique, il est évident que nous allons subir de lourdes pertes. Il est encore trop tôt pour les chiffrer, mais elles seront considérables. Nous commençons à anticiper, sur la trésorerie, et sur les sujets post-crise. La SNCF a une trésorerie solide à court terme. Pour autant, nous y sommes attentifs, sans crainte excessive. La SNCF tiendra, je tiens à rassurer tout le monde ! Nous paierons les salaires et les fournisseurs. Nous faisons particulièrement attention aux petites entreprises, en veillant à ne pas jouer avec les délais de paiement. Nous allons sur les marchés : nous avons levé 1,25 milliard d'euros la semaine dernière, avec des green bonds ; c'est un financement tourné vers le développement durable. Nous serons prudents, actifs, sans panique. Nous aurons, au-delà des financements normaux prévus, notamment pour les investissements, à ajouter des décalages de rentrées dus à cette activité très réduite pendant les quelques mois du confinement.

Frédéric Delorme répondra à vos questions sur le fret, objet de préoccupation économique. La situation, vous le savez, est compliquée. Une société anonyme (SA) a été créée en début d'année, dotée de 170 millions d'euros de fonds propres. Elle peut tenir quelque temps. Si l'on veut que le fret ferroviaire se porte bien dans notre pays, au-delà de la seule SNCF - il y a d'autres opérateurs - il faut qu'un système d'aides se mette en place, à l'instar de ce qui a été fait dans d'autres pays européens. Ce principe d'aides sera encore plus important en sortie de crise, en raison de l'activité économique.

La SNCF prend toute sa place dans l'effort du pays. Les cheminots sont très engagés : ils partagent des valeurs profondes d'appartenance et de conviction, d'un grand service public au service des Français et des territoires. Je souhaite que cet engagement se poursuive au-delà de la crise, parce que le ferroviaire est la solution de mobilité durable et sanitaire, pour nos territoires. L'usage du train est régulé, celui de la voiture l'est beaucoup moins.

M. Hervé Maurey, président. - À ce stade, je reste un peu sur ma faim pour l'après, mais je pense que vous allez y revenir : plus d'une quinzaine de sénateurs ont demandé la parole.

M. Alain Fouché. - Le fret ferroviaire, c'est l'Arlésienne, dans ce pays, depuis des années. La SNCF n'en est pas responsable, mais les différents gouvernements, les ministres des transports de divers horizons, depuis Charles Fiterman et d'autres, qui n'ont pas su lui donner les instructions suffisantes ni les moyens pour mettre le fret en bonne voie. Vous l'avez dit, il faut l'aider. Ne craignez-vous pas que la concurrence ferroviaire en provenance d'États voisins vous fasse perdre de gros clients ?

M. Jean-Pierre Farandou. - La route est notre concurrent le plus redoutable. Il y a de moins en moins de routiers français et de plus en plus de transporteurs des pays de l'Est, qui, grâce aux réglementations européennes, peuvent rester plus de trois semaines sur notre territoire. C'est une forme de concurrence redoutable. Il faut reconnaître que le fret routier est efficace : il a une souplesse qui nous fait défaut et des coûts assez bas. Il représente 85 % de part de marché. C'est un sujet d'intérêt général. Voyez la pollution causée par les camions dans certains endroits, comme la Vallée de l'Arve, qui souffre des particules émises par les camions reliant la France et l'Italie, ou les problèmes de congestion de nos autoroutes. Qui n'a pas souffert de voir une file occupée par des trains de camions ?

Il est évidemment souhaitable de reporter en partie le trafic de la route vers les trains. L'ambition européenne est de doubler la part de marché du train. Il faut rééquilibrer les choses, dans l'intérêt général.

M. Frédéric Delorme, président-directeur général de Fret SNCF. - Fret SNCF n'est pas seule à transporter des marchandises par le rail. Nous ne représentons que 55 % du fret ferroviaire en volume. Comme l'a dit le président Farandou, la route est notre principal concurrent.

Nous sommes face à un choix intermodal, plutôt que face à un choix de concurrence intramodale.

Effectivement, les chiffres sont assez rudes. En trente ans, le transport routier en France a été multiplié par deux et demi, celui sous pavillon étranger par dix, quand, dans le même temps, le transport ferroviaire de marchandises a été divisé par deux. La part de marché du rail, tous transporteurs confondus, est de 9 % en France, alors que la moyenne en Europe atteint 18 %, voire 30 % en Autriche et en Suisse.

Cela dit, il ne faut pas opposer la route et le rail, car la route contribue à amener des marchandises vers le rail, notamment pour le transport combiné. Si l'on veut bien prendre en compte le coût des externalités évitées (celui de la tonne de CO2 émise, celui des accidents), l'enjeu du doublement de la part du rail s'élève à 9 milliards d'euros sur dix ans.

Tout repose sur la méthode d'incitation qui accompagnera les progrès de productivité des entreprises de fret ferroviaire et les efforts de modernisation du réseau. C'est une question de politique publique de soutien à l'intermodal.

M. Frédéric Marchand. - A Hellemmes, dans le Nord, se trouve un excellent technicentre que nous avons inauguré ensemble...

M. Hervé Maurey, président. - Nous ne comptons pas la page de publicité...

M. Frédéric Marchand. - Profitons-en ! Justement, pouvez-vous faire un focus sur ces technicentres, qui sont des outils d'excellence pour la SNCF ?

Nous avions ce matin, avec Didier Mandelli, une audition de l'association française du rail (AFRA). Beaucoup de nos interlocuteurs évoquent la nécessité de mettre en place un véritable plan Marshall du fret. Cela recoupe les travaux de la convention citoyenne pour le climat et de différents think-tanks. L'avenir est aux modes de transport alternatifs et notamment au rail, mais il faut y mettre des financements publics importants pour mener la rénovation.

Je fais souvent le trajet en train de Lille à Paris : pour le jour d'après, quid des règles de distanciation sociale dans les wagons ? Il y aura toujours de l'appréhension pour celles et ceux qui ont à prendre le train.

M. Hervé Maurey, président. - Merci d'avoir évoqué le jour d'après.

M. Jean-Pierre Farandou. - Oui, nous nous étions rencontrés dans cet atelier tout neuf qui symbolise le renouveau de la SNCF dans le Nord. Les grands ateliers sont absolument nécessaires pour remonter le plan de transport et la maintenance du parc, des TGV en particulier, dont seulement 7 % des rames roulent actuellement. Quant aux autres, nous avons eu le souci de les garer « bon état », selon notre jargon, pour rendre leur utilisation plus facile. Tout cela a été fait en bon ordre, nous avons pris des précautions. Le premier métier que nous allons réintensifier, pour le redémarrage, est la maintenance. Nous préparons les conditions dans lesquelles nous allons rappeler davantage de cheminots dans les ateliers, pour réaliser des opérations importantes qui ont été mises de côté, puisque nous n'avons fait que celles qui étaient strictement nécessaires. Nous devons ainsi préparer, non seulement la relance de notre offre à partir de la mi-mai, mais aussi l'offre normale au début de l'été et les interventions qui doivent être effectuées pour cette période estivale.

Nous préparons bien sûr le jour d'après : la remontée de l'offre TGV sera progressive et cherchera à coller à la demande. Quand nous y verrons plus clair sur les mesures sanitaires que le Gouvernement mettra en place pour le déconfinement partiel ou allégé, pour la date cible du 11 mai, nous calerons l'offre. Nous envisageons un doublement de l'offre actuelle dans les premières semaines, puis un autre palier autour d'un TGV sur deux, pendant un mois environ, et nous espérons atteindre 100 % au début de l'été : telle est la feuille de route que nous nous fixons. Nous adapterons cette progression en fonction de la demande et de la rigueur des consignes sanitaires que nous appliquerons strictement.

Actuellement, nous appliquons la distanciation en mettant un passager sur deux dans les TGV. C'est évidemment très pénalisant, puisque nous nous privons de la moitié de notre capacité. Il faut prendre en compte l'aspect économique. Le point mort du TGV est à 60 % d'occupation : tant que nous restons en-dessous, nous perdons de l'argent avec chaque TGV qui circule. Nous l'acceptons bien évidemment aujourd'hui, compte tenu des circonstances, mais pour les mois qui viennent, nous devrons faire entrer les préoccupations économiques dans nos perspectives. C'est pourquoi nous souhaiterions, comme cela a été évoqué par le Président de la République, que les pouvoirs publics demandent aux passagers ferroviaires de porter un masque. Cette règle devrait être obligatoire, dans les TGV comme dans les transports de la vie quotidienne, où il est encore plus dur de maintenir la distanciation. Nous pourrions lever cette distanciation, sur avis médical, si le port du masque était obligatoire, et revenir à une occupation plus classique de nos TGV.

Pour les trains de la vie quotidienne, nous pensons redémarrer très vite à 50 % à peu près, dans les TER comme en Île-de-France, puis nous adapter ensuite à la demande, au fur et à mesure que les Français reprendront le train pour aller travailler. Là aussi, il conviendrait de rendre le port du masque obligatoire, pour lever des mesures de distanciation qui nous paraissent très compliquées à appliquer, en ajoutant si possible des dispositifs tels que gel, lavage des mains dans les gares, etc., en plus de l'application des gestes barrières, pour une sécurisation complète.

Oui, il faut un plan Marshall pour le fret. Nous le préconisions avant la crise et nous le proposons encore davantage après. Cela peut être un des aspects du plan de relance. Il faut investir dans le réseau, qui doit être adapté au fret, dans les infrastructures, de triage, notamment, mais aussi dans le fonctionnement, en incitant les entreprises à mettre plus de marchandises dans les trains et non dans les camions, par l'aide au wagon isolé, par exemple, ou l'aide à la pince pour les conteneurs.

Mme Éliane Assassi- Je salue tout d'abord le sens des responsabilités des cheminots dans cette épreuve que notre pays traverse.

Vous avez répondu par anticipation à nos préoccupations sanitaires.

Je tiens beaucoup au secteur du fret, trop longtemps sacrifié par certains choix politiques. Il est aussi fragilisé par la baisse de l'activité industrielle. Je suis ravie de vous entendre parler de plan Marshall pour le fret, monsieur Farandou. C'est une nécessité absolue pour notre pays. Des dispositions sont-elles prévues pour sécuriser et relancer cette activité ?

Enfin, les lignes actuellement fermées pourront-elles rouvrir une fois le confinement terminé ? Quel est votre plan pour l'entretien et la maintenance de ces lignes inexploitées depuis plusieurs semaines ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Toutes les lignes rouvriront. Les travaux et activités de maintenance n'ont pas été interrompus, mais réduits, notamment en raison des problèmes rencontrés avec nos sous-traitants, les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) ayant cessé leur activité il y a quelques semaines.

Actuellement, notre priorité reste la maintenance nécessaire à l'exploitation, avec une montée en puissance dans la perspective du 11 mai. Nous devrons aussi effectuer certaines vérifications de sécurité, notamment sur les passages à niveau.

Vient ensuite la maintenance de réparation. Avant la crise sanitaire, nous avons connu des problèmes de talus, notamment sur le TGV Est, avec malheureusement un accident, mais aussi, en Île-de-France, à Sèvres. Ces travaux de réparation et de consolidation sont indispensables pour envisager une reprise plus intense du trafic.

Quant aux travaux de développement, ils devront impérativement être replanifiés et priorisés, en lien avec les donneurs d'ordre. Les retards seront inévitables, et il faudra aussi revisiter les financements.

M. Chistophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs. - Les ateliers de maintenance industriels, comme celui d'Hellemmes, fabriquent des pièces de rechange, notamment des essieux. Ils fonctionnent, mais de façon réduite, tout comme les ateliers de maintenance du quotidien, car seuls 3 000 trains circulent actuellement chaque jour, dont 40 TGV.

Pour élaborer le plan de transport du jour d'après, nous travaillons beaucoup sur le volet sanitaire, et sur le nettoyage, en particulier, afin que toutes les parties des trains en contact avec le public puissent être systématiquement nettoyées et désinfectées.

À partir du 11 mai, nous passerons progressivement à un train sur deux en circulation, en adaptant cette remontée en charge aux modalités de déconfinement, en lien avec chaque autorité organisatrice, chaque région. Toutefois, si nous voulons maintenir les gestes barrières et transporter les voyageurs en sécurité, nous devrons faire appel aux entreprises et aux services publics pour nous aider à lisser les pointes de trafic.

M. Guillaume Chevrollier. - Quels liens entretenez-vous avec les régions, qui souhaitent dès à présent anticiper avec SNCF Réseau la reprise de la circulation ?

Par ailleurs, comment articuler la gestion des risques techniques et des menaces terroristes, auxquels la SNCF est habituée, avec la gestion de ce nouveau risque sanitaire ? Serez-vous parfaitement transparent sur vos actions ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Le président de SNCF Réseau, M. Lallemand, organise une réunion hebdomadaire avec les vice-présidents des régions en charge des transports. Il y a aussi de nombreux contacts au niveau local.

La gestion du réseau et les travaux y afférents nécessitent par définition une coordination nationale. Mais ce plan est ensuite décliné au niveau régional. Concrètement, le directeur régional des TER et le directeur territorial de SNCF Réseau présenteront aux régions un dossier de transport et de travaux dans le mois qui vient. La SNCF ne travaillera pas seule dans son coin : elle dégrossira les sujets, mais laissera ensuite une large place à la discussion et à la co construction, avec chaque conseil régional, dans la définition des priorités.

À plus long terme, je compte organiser, comme je l'ai déjà fait avec une ou deux régions, une réunion de travail au plus haut niveau avec chaque président d'exécutif régional pour discuter ensemble de stratégie ferroviaire partagée. Nous analyserons et traiterons les inévitables points de divergence, mais je souhaite vraiment que le cadre national soit enrichi des différentes stratégies régionales. Plusieurs régions s'intéressent notamment au débouché fret de leur activité économique régionale, ce qui me semble intéressant.

Une entreprise moderne fonctionne par le management des risques. Par définition, tous les risques auxquels notre pays est confronté s'appliquent aussi à la SNCF. On pense bien sûr prioritairement au risque sanitaire ou terroriste, auxquels les gares et les trains sont exposés - et nous avons des plans d'action face aux menaces terroristes, en lien avec les pouvoirs publics mais on peut citer aussi les problèmes de cybersécurité, avec une recrudescence des attaques en ce moment, et les risques sociétaux, en particulier migratoires, car les pays défavorisés risquent de ressortir encore plus affaiblis de cette crise. Calais est en première ligne à cet égard.

La notion de transparence doit être maniée avec précaution en matière de gestion des risques, car il serait inconcevable de tout dire à tout le monde. Nous pouvons toutefois en discuter ensemble, si vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le respect de la confidentialité.

Quoi qu'il en soit, soyez convaincus que mon approche est profondément nourrie d'une culture de la gestion des risques. Ce fut le cas dans mes précédentes fonctions. Il est probable que ces derniers s'accroissent dans le monde moderne et il appartient à une grande entreprise comme la SNCF de les gérer au mieux. Le comité d'audit de la nouvelle société anonyme sera d'ailleurs organisé autour de cette notion.

M. Hervé Maurey, président. - Je retiens votre proposition d'organiser une réunion sur la gestion des risques à huis clos, monsieur Farandou.

M. Didier Mandelli. -À ce jour, quel est l'état des discussions avec les régions et les autorités organisatrices sur la sécurisation juridique des éventuels avenants aux appels d'offres en cours ? Une modification de la tarification des péages est-elle envisagée à ce stade ?

Comment organiser la reprise de l'activité TGV dans l'hypothèse d'un déconfinement par région ? Avez-vous d'ores et déjà travaillé sur une telle éventualité avec le Gouvernement ?

En début de semaine, le groupe a signé un accord prévoyant l'entrée sur le marché espagnol à partir de décembre 2020. Comment la SNCF se prépare-t-elle à l'ouverture à la concurrence du marché intérieur dans ce contexte qui rebat les cartes ? Aujourd'hui même, un candidat potentiel à l'ouverture du marché français a jeté l'éponge.

M. Jean-Pierre Farandou. - J'ai plaisir à vous retrouver, monsieur le rapporteur. Nous entretenons de bonnes relations avec les autorités organisatrices, avec qui nous avons organisé une décroissance du trafic adaptée aux besoins sanitaires, très précisément, région par région.

Nous ne sommes pas encore entrés dans le coeur des discussions juridiques ou contractuelles. Il semblerait néanmoins que les régions, dans leur grande majorité, acceptent d'honorer les coûts engagés pour le service. Nous menons également des discussions, région par région et contrat par contrat, sur le risque de pertes en recettes, qui se sont effondrées. Cette crise étant irrésistible et très difficile à anticiper, elle constitue pour nous un cas de force majeure. Les obligations de recettes devraient donc être largement amendées par les régions. Pour l'instant, les discussions sont empreintes de bonne volonté et de compréhension mutuelles, et j'espère que cet état d'esprit perdurera au moment de signer les avenants.

Rien n'a été entrepris pour l'instant sur le niveau des péages. Des voix s'élèvent pour demander leur réajustement, et des activités comme le fret pourraient en effet en bénéficier. N'oublions pas toutefois que ces péages servent à financer les travaux d'infrastructures sur le réseau. Si leurs tarifs sont réduits, il faudra trouver une autre forme de financement. Et, selon une loi d'airain, ce que l'usager ne paie pas, c'est le contribuable qui le paye !

Si la région Île-de-France devait être déconfinée en dernier, ce serait en effet très pénalisant pour le trafic et le chiffre d'affaires du TGV, par définition transrégional. Mais nous respecterons les décisions prises par les pouvoirs publics et les autorités sanitaires.

Sur la concurrence, votre question est presque de nature philosophique, monsieur le sénateur. On peut en effet se demander comment cette crise aurait été gérée si le trafic avait été morcelé entre plusieurs opérateurs. À ce stade, et à ma connaissance, le calendrier général d'ouverture à la concurrence n'est pas remis en question. Du côté de la SNCF, nous acceptons la mise en concurrence. SNCF Réseau et Gares & Connexion, qui devront garantir l'équité entre les différents concurrents, s'y préparent. La partie de la SNCF concernée par la mise en concurrence doit s'y préparer également. Par exemple, l'appel d'offres lancé par l'État sur les lignes d'équilibre du territoire Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux devrait être attribué à la fin de l'année.

La décision de la SNCF de participer à l'ouverture à la concurrence du TGV espagnol fin 2020 avait été prise avant la crise. Nous allons être attaqués sur le réseau français à grande vitesse par plusieurs opérateurs européens, notamment espagnols et italiens. Dès lors, il est logique de vouloir rattraper en Europe les volumes et parts de marché que nous perdrions en France. Le réseau ferroviaire espagnol à grande vitesse est très étendu en longueur de voies, plus que le nôtre, mais peu fréquenté. La compagnie espagnole Renfe est loin de le saturer. Notre stratégie consiste donc à tester en Espagne le concept Ouigo des TGV à petits prix, avec des rames fabriquées par Alstom et adaptées au réseau espagnol.

Selon moi, la crise du coronavirus ne va pas arrêter la tectonique des plaques ; nous allons bel et bien entrer dans l'ère de la concurrence, et ses premiers effets devraient se faire sentir en Europe dès la fin de l'année.

Mme Marta de Cidrac. - Le Président de la République vient d'annoncer un déconfinement progressif à partir du 11 mai.

J'ai cru comprendre que vous aviez une préférence pour un déconfinement qui commencerait par l'Île-de-France. Comment comptez-vous organiser concrètement le retour sur les lignes des 5 millions d'usagers quotidiens du réseau francilien en assurant le respect des gestes barrières ?

Comment entrevoyez-vous l'évolution de la tarification dans un contexte de déconfinement progressif ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Comment transporter les gens tout en assurant leur sécurité et celle de nos salariés ? C'est en effet le sujet central dans la perspective d'un déconfinement progressif à partir du 11 mai. En Île-de-France, les gens ont vraiment besoin du train pour se déplacer. De même, si la vie scolaire reprend, nous devrons transporter les élèves. Nous avons encore quatre semaines devant nous. Nous travaillons d'arrache-pied sur ces questions.

Le respect des gestes barrières est bien entendu l'élément clef. La règle de distanciation pose toutefois une sérieuse difficulté. En effet, si nous maintenons un mètre de distance entre passagers dans les trains franciliens, même si nous rétablissons 100 % de notre offre, nous ne pourrons transporter que 20 % des passagers habituels. Cela ne marche pas. Même si 50 % des Français seulement sont déconfinés, ce ne sera pas suffisant.

Je pense donc que le port du masque doit devenir obligatoire dans les transports en commun, dans les transports ferroviaires en tout cas. C'est à nos yeux la seule manière de pouvoir transporter plus de monde dans nos trains, et c'est la demande que nous formulons auprès des pouvoirs publics. C'est un sujet majeur.

Nous devons aussi amplifier le nettoyage des trains et des gares. Nous y travaillons. S'il faut pénaliser la rotation des rames pour les nettoyer, nous le ferons, tant pis.

Enfin, nous envisageons d'instaurer un filtrage de l'accès aux gares et aux trains, tout du moins pour les points de passage les plus importants, en vérifiant notamment que les usagers portent un masque.

Je veux que le train soit perçu comme un moyen de transport écologique et sûr, irréprochable sur le plan sanitaire.

M. Christophe Fanichet. - Le plan de transport actuel, très allégé, nous permet d'effectuer facilement un nettoyage régulier. Demain, si nous voulons pouvoir effectuer ce nettoyage en gare très régulièrement pour les trains du quotidien, nous devrons sans doute réduire notre capacité. Une task force a été mise en place pour réfléchir à des méthodes innovantes de nettoyage à chaque demi-tour de train. Cela obérera notre plan de transport et nous y travaillons.

Aujourd'hui, 100 000 voyageurs seulement circulent quotidiennement dans nos trains en Île-de-France, contre 3,5 millions en règle générale.

M. Jean-Pierre Farandou. - C'est pourquoi nous sommes très favorables au maintien d'une part importante de télétravail. Si tous les salariés sortent au même moment, on n'y arrivera pas : il faut travailler également sur le lissage des heures de pointe, le matin de 7 heures à 9 heures 30, comme le soir, de 15 heures 30 à 18 heures 30, par exemple.

Nous allons porter toutes ces recommandations auprès des pouvoirs publics, et nous serions très heureux si vous pouviez les relayer, mesdames, messieurs les sénateurs. En effet, nous avons un rendez-vous important avec les Français à partir du 11 mai, et nous n'avons pas le droit de le rater.

Enfin, nous travaillons sur la tarification avec les autorités organisatrices, notamment avec Île-de-France Mobilités, qui prend en compte le caractère très réduit de l'offre pendant la période de confinement, en privilégiant une logique de gratuité et de remboursement. Mais cela contribue bien sûr à aggraver l'équilibre économique des transports publics de voyageurs en Île-de-France.

M. Hervé Maurey, président. - Nous sommes tout à fait en phase avec vous. Notre messagerie interne comporte beaucoup de retours positifs sur votre proposition de rendre obligatoire le port du masque dans les transports publics. Outre les masques, il serait sans doute nécessaire de mettre également à disposition du gel hydroalcoolique pour les passagers.

M. Jean-Pierre Farandou. - Oui, l'idéal serait de pouvoir proposer du gel partout à la sortie des trains, dans les gares.

M. Christophe Fanichet. - Nous envisageons également d'équiper les sanitaires des TGV de gel hydroalcoolique.

M. Jean-François Longeot. - Il semble que les tarifs moyens de groupe aient augmenté. Ils seraient passés, pour un Strasbourg-Bordeaux, de 85 euros en première classe à 101 euros en deuxième classe.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la suppression significative de lignes, dont celle qui passe par Valence TGV le samedi, et sur les passages obligatoires par Paris ? Cela posera problème si l'Île-de-France n'est pas déconfinée tout de suite. La ligne Besançon-Roissy-Charles-de-Gaulle est également affectée.

J'en viens aux travaux. Lors de son audition auprès de notre commission, M. Jacques Rapoport nous avait expliqué que certains trains roulaient à vitesse réduite à cause de l'état du réseau. Cette période de confinement, au cours de laquelle les trains circulent beaucoup moins, n'est-elle pas propice à l'organisation de travaux ? Cela éviterait de futurs chantiers de nuit ou des fermetures de ligne.

M. Jean-Pierre Farandou. - Je n'ai pas de réponse sur les tarifs mentionnés et vous répondrai par écrit. Sur le principe, nous n'avons pas la volonté d'augmenter les prix. Il y a pu y avoir des erreurs de tarification.

Nous avons ajusté les dessertes et réduit considérablement le nombre de liaisons en TGV. Cela fait partie des efforts de la SNCF dans le cadre du confinement. Sur les 7 % de TGV qui roulent, nous n'avons que 1 % du trafic, ce qui est tout à fait normal puisque les gens sont censés rester chez eux. On a vu ce qui s'est passé le week-end précédant le confinement, l'exode de Parisiens vers leurs résidences secondaires. La circulation d'un trop grand nombre de trains pourrait entraîner un usage abusif. Je n'ai aucun regret d'avoir affalé la voilure de manière très importante, tout en maintenant le minimum vital. Nous n'avions pas le choix, la situation sanitaire l'imposait, même si je suis conscient des effets indésirables.

Monsieur Longeot a posé la question du confinement régional, au regard de la nécessité, parfois, de passer par Paris. Si l'Île-de-France était confinée plus longtemps que d'autres régions, nous nous adapterions. Ce n'est pas notre recommandation mais notre avis pèse peu. Un ajustement pourrait être trouvé en recourant aux TER. Nous y travaillerions avec les pouvoirs publics si c'était nécessaire. À suivre.

Certes, puisqu'il y a moins de trains, on pourrait effectuer plus de travaux, mais les règles de confinement s'appliquent aussi aux entreprises de BTP. Or les grosses majors françaises ont dû arrêter leurs chantiers pour des problèmes sanitaires car elles n'assuraient pas la sécurisation de leurs salariés. En outre, elles emploient une part non négligeable de non-Français qui sont repartis dans leurs pays d'origine. Les faire revenir prendra du temps. Nous avons donc, certes, la place pour effectuer des travaux, mais nous n'avons plus les entreprises nécessaires. Nous en menons toujours quelques-uns, de manière ajustée. Nous sommes tous d'accord pour dire que des travaux sont nécessaires afin que le réseau fonctionne. Peut-être pourront-ils être faits en mai ou en juin, puisque le plan de transport ne sera pas repris à 100 % tout de suite. Nous devons élaborer une nouvelle planification tenant compte des trains qui roulent et de la capacité des entreprises. Nous y travaillons actuellement avec les régions, qui peuvent mettre en avant certaines priorités. Des ajustements sont en cours.

M. Guillaume Gontard. - Vous avez déjà apporté beaucoup de réponses, notamment sur votre lien avec les régions et les autorités organisatrices. Certaines d'entre elles offrent la gratuité des transports au personnel soignant. Comment vous positionnez-vous sur ce point ? Le protocole sanitaire dans les trains doit être clair ; la communication doit être efficace pour rassurer les usagers, sinon ils se tourneront vers la voiture individuelle.

J'ai particulièrement apprécié votre discours sur le fret, puisque vous avez parlé d'intérêt général et environnemental et de soutien du fret par de l'argent public. Vous avez décrit un service public d'intérêt stratégique, ce qui suppose un vrai contrôle public. Est-ce une remise en cause de la privatisation de Fret SNCF ? Est-ce une sortie du dogme de la concurrence ? J'ai senti que vous perceviez la privatisation comme une fatalité plutôt que comme quelque chose de positif. Je suis favorable à un plan Marshall mais n'y a-t-il pas aussi la nécessité d'organiser des états généraux du fret ferroviaire réunissant les différents acteurs ?

Mme Michèle Vullien. - Je félicite l'ensemble des services de la SNCF, dans cette situation particulière. Ma question porte sur le jour d'après le jour d'après. À Lyon, nous aimons l'avenir. Comment les travaux sur les petites lignes se poursuivent-t-il actuellement ? Ils ont été arrêtés par les grèves puis le virus. Comment pourra-t-on persuader la population de reprendre les transports publics ? Au-delà de la lutte contre la propagation de la pandémie, quelles solutions pour l'avenir ? Quelqu'un travaille-t-il sur le train à hydrogène ou le train léger, pour répondre aux enjeux de développement durable ?

M. Eric Gold- Beaucoup prônent le passage, à l'occasion de cette crise, à un modèle économique plus protecteur de l'environnement, afin d'accélérer la transition écologique, en ne sacrifiant pas le climat sur l'autel de la relance. La Convention citoyenne pour le climat a transmis récemment 50 propositions au Gouvernement, dont celle d'un recours accru au train. Or les tarifs sont jugés trop élevés. Comment rendre le train plus accessible et plus attractif pour les usagers ?

Des travaux de rénovation et de modernisation des voies sont planifiés, notamment sur les trains d'équilibre du territoire, particulièrement la ligne Paris-Clermont. Quelles seront les conséquences de la crise sanitaire sur le calendrier de travaux ? Les engagements initiaux sont-ils remis en cause ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Le sujet central, c'est de démontrer le caractère sanitaire du train. En Chine, les gens se sont précipités dans leurs voitures et sont bien moins présents dans les transports collectifs. C'est un enjeu stratégique majeur. Si le grand gagnant de la crise est la voiture individuelle, nous ne pourrons pas être satisfaits. Le fardeau de la preuve est chez nous ; nous devons démontrer que prendre le train ne présente pas de danger pour la santé. Nous devons agir, pour nettoyer, pour protéger. Nous allons mettre le paquet là-dessus. C'est vital pour la SNCF.

Sur la concurrence, je serai très factuel. En tant que président d'une entreprise publique, je suis là pour appliquer les règles que la République se donne. Elle a souhaité la concurrence. Dont acte. Ce principe est inscrit dans le Traité de Rome, ce n'est pas nouveau. Dès lors que la concurrence est régulée et respecte les droits sociaux, elle est un fondement important de la construction européenne. Ce n'est pas une surprise.

D'où deux enjeux pour la SNCF : les activités de monopole que sont la gestion du réseau et la gestion des gares doivent se faire en parfaite équité - et je veillerai scrupuleusement à l'application de ce principe - et les opérateurs de la SNCF soumis à la concurrence doivent se battre sur le rapport qualité-prix pour que le client, qu'il soit voyageur, chargeur ou autorité organisatrice, les choisisse.

Nous assurons la mise en oeuvre de cette règle du jeu de la concurrence sans états d'âme.

La concurrence est un choc, surtout quand on y est confronté pour la première fois. J'ai été président de Keolis pendant sept ans, je la connais. La plupart des entreprises françaises y sont soumises. Pour la SNCF, c'est la première fois : ce n'est ni simple, ni facile, ni évident. Mais c'est aussi une opportunité extraordinaire de se remettre en cause, d'être innovant, de démontrer nos points forts qui sont nombreux.

Mme Vullien a entièrement raison sur l'après. Avec mes équipes, nous regardons loin, à long terme. Je suis convaincu que le ferroviaire est la solution en matière de mobilité, et pour longtemps. Il n'y en a pas de plus écologique. La flotte électrique routière est toute petite. Le train pollue beaucoup moins que la voiture, le camion et l'avion. Pour les déplacements domestiques, il est bien meilleur de prendre le train que l'avion. Le ferroviaire est la solution, y compris dans les territoires moins denses où il est encore trop coûteux. Il faudra inventer des modes ferroviaires plus adaptés. Ce pourra être par d'autres matériels roulants, du multimodal, comme un mixte entre train et car, ou la navette autonome. L'innovation doit être très puissante. Le train à hydrogène est sans doute une solution d'avenir. Notre direction de l'innovation et de la recherche est très en pointe. Nous sommes actuellement capables de transformer des flottes diesel anciennes en trains hybrides avec une part électrique.

Pour ce qui est des tarifs, en effet, le train doit être accessible. La SNCF a oeuvré en ce sens ces dernières années. L'exemple le plus spectaculaire est Ouigo.

M. Christophe Fanichet. - Sur les trains de long parcours et la grande vitesse, Ouigo connaît un véritable succès. Il a rencontré le marché et les trains Ouigo sont parmi les mieux remplis. Nous avons décidé de poursuivre son développement pour donner aux Français accès à la grande vitesse à petits prix - c'est aussi ce que nous demande l'Espagne.

Les tarifs du ferroviaire n'augmentent pas. Nous avons renoncé depuis plusieurs années à la hausse du 1er janvier. Les courbes des tarifs moyens montrent une baisse d'année en année grâce au développement des petits prix.

M. Frédéric Delorme. - À la notion de fret de service public, je préfère celle de fret d'intérêt général. La concurrence est un fait. Elle est intramodale, mais se constate surtout avec la route. C'est le cas pour la moitié de l'activité de Fret SNCF. Les concurrents du rail n'ont pas attaqué notre trafic, ou marginalement.

Le fret relève d'une question de politique publique. Je pense que le transfert modal peut réussir dans les années qui viennent car la crise sanitaire va rejoindre, dans l'esprit des Français, la crise climatique. Moins de pollution, une logistique recentralisée en Europe et plus respectueuse du développement durable sont des attentes fortes. Nous sommes face à l'opportunité historique de concilier économie et écologie. Il est faux de dire que le train n'est pas économique. En effet, il génère des économies d'externalités tout à fait significatives. Je suis favorable au plan Marshall, avec des investissements de modernisation, et aux états généraux du fret ferroviaire. Notre industrie est extrêmement diffuse sur le territoire. Nous comptons plus de mille usines embranchées, pour de tous petits lots, qui ont besoin d'accéder au réseau transeuropéen. Nous devons accompagner ce mouvement de réappropriation des territoires industriels. Des états généraux réunissant l'État, les régions, les chargeurs et les citoyens auraient un véritable intérêt pour trouver des solutions innovantes.

M. Olivier Jacquin. - Je vous fais confiance sur la sécurité sanitaire.

Monsieur Farandou, lors de votre venue au Sénat pour votre audition initiale, je vous avais interrogé sur votre habileté à circuler entre les injonctions paradoxales du Gouvernement : moins d'argent, plus de services et la paix sociale. Dans cette crise, ne s'agit-il pas d'aller trouver la ressource financière permanente pour enfin prendre en compte les externalités positives du rail ? Après le nouveau pacte ferroviaire et la loi d'orientation des mobilités, il n'y a pas de réponse à la question du transport et du carbone ni à la malédiction française de l'écotaxe. Ne faut-il pas aller chercher les ressources au niveau de l'Union européenne, via le paquet mobilité ou le Green New Deal ? Lors de son audition, j'ai demandé au ministre des transports s'il serait aussi leste pour sauver le ferroviaire que l'aérien et j'ai cru voir ses yeux briller à l'évocation de Ben Smith. Monsieur Farandou, saurez-vous retourner la table du ferroviaire ? Vous avez été assez habile pour prendre la main sur SNCF Réseau. Je regrette que nous n'ayons pas pu auditionner M. Lallemand à l'occasion de son recrutement. Le fameux contrat de performance de SNCF Réseau, déterminant pour le prix des sillons, est en retard, en dépit des engagements pris devant le Parlement.

Pourquoi ne pas recapitaliser Fret SNCF ?

M. Hervé Maurey, président. - Nous avions prévu une audition de M. Lallemand qui a dû être décalée. Malheureusement, l'audition par le Parlement du candidat proposé à la direction de SNCF Réseau préalablement à sa nomination n'est plus une obligation.

Mme Angèle Préville. - Pour promouvoir les gestes barrières, allez-vous installer des distributeurs de gel hydroalcoolique dans les gares ou dans les trains ? Distribuerez-vous des masques sur les quais ? Cela s'est vu dans d'autres pays.

Sur le fret, vous avez évoqué les céréaliers. S'agit-il de clients habituels ou nouveaux ? Le fret ferroviaire étant vertueux, comment envisagez-vous l'incitation des entreprises à recourir à celui-ci ? Mon territoire, industriel, est rural et loin de tout. Comment y développer le fret ? Faut-il recapitaliser Fret SNCF ? Comment vous inscrire dans un grand plan de relance national ou dans le Green New Deal européen ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je remercie la SNCF pour sa mobilisation, son implication et sa réactivité. C'est souvent dans l'adversité que l'on se révèle.

La SNCF est présente à l'international et se déploie via de multiples filiales. La crise modifiera-t-elle votre stratégie internationale ? Avez-vous des motifs d'inquiétude ? Je pense à Eurostar, Keolis et Geodis, et à sa filiale américaine. Envisagez-vous à terme des cessions d'actifs pour reconstituer du capital ?

Mme Françoise Ramond. - Quelle sera la reprogrammation des travaux de développement ?

Mme Nelly Tocqueville. - Je me joins aux remerciements adressés à la SNCF. Comment envisagez-vous l'avenir des négociations du cadre social pour ce qui est de la branche ferroviaire et plus spécifiquement du cadre contractuel ? Après leur échec, la loi prévoit une législation par ordonnance. Quelle est votre position sur ce point ?

Vous avez dit que de grands projets seraient retardés. Qu'en est-il de la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN) ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Le besoin d'argent public est une question centrale. Le ferroviaire a la caractéristique de consommer beaucoup de capitaux. Le réseau ferroviaire du pays appartient à la Nation. Il faut le maintenir et le développer. Pendant des décennies, le réseau ferroviaire classique n'a pas reçu une maintenance suffisante. Il a vieilli et s'est dégradé. Son âge moyen en France est de 35 ans alors qu'il est de 17 ans en Allemagne. Nous savons tous que la priorité a longtemps été donnée au TGV. C'est aussi ce qui a provoqué la dette globale du système. Il est clair que l'ambition de rénovation du réseau dépendra de la quantité d'argent apportée.

Il faut distinguer régénération et modernisation.

La régénération consiste à remplacer des composants anciens par des neufs : rails, caténaires, postes d'aiguillage, alimentation électrique. Cela ne signifie pas un changement d'équipement technologique. La régénération, dont nous parlons quand nous évoquons l'âge moyen du réseau, suscite beaucoup de questions. Quel périmètre pour l'effort ? Les petites lignes seront-elles incluses ? Quelle sera la participation des régions ?

La modernisation du réseau concerne deux grands dossiers : le premier est celui de la nouvelle signalisation européenne, celle du système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS), qui rend possible le passage d'un pays à un autre et accroît les capacités des lignes - nous sommes très en retard sur ce dossier ; le second est la commande centralisée du réseau, qui implique d'immenses postes d'aiguillage à grand rayon d'action remplaçant beaucoup de petits postes isolés, pour plus d'économies, d'efficacité et de fiabilité.

Les besoins sont énormes : quelle quantité d'argent le pays pourra-t-il investir, pour quel projet de réseau ferroviaire ?

Le fret dépend de l'investissement et des aides, face à une concurrence routière extrêmement puissante. Il faut soutenir l'usage du fret ferroviaire, notamment par l'aide à la pince, pour passer un conteneur d'un bateau à un train - c'est une subvention autorisée par l'Union européenne - et par l'aide au wagon isolé, pour les territoires diffus.

C'est donc une question d'argent.

Cela renvoie au plan Marshall et au plan de relance. Je souhaite que ce dernier compte des dimensions fret et réseau importantes. Il devra être combiné au Green New Deal. Voilà une opportunité que, j'espère, nous saurons utiliser.

Nous avons déjà parlé des gestes barrière. Oui au gel ! Pour les masques, on verra. La SNCF est prête à participer mais ce n'est pas à elle d'équiper l'ensemble de la population française. Cela relève largement des pouvoirs publics. En revanche, je souhaite le port du masque dans les trains.

Si le groupe SNCF a en effet une vocation internationale, dans l'allocation des ressources, ma priorité est le ferroviaire français. Le Président de la République m'a donné pour mission qu'il fonctionne bien, en qualité et en maîtrise des coûts. L'international ne doit pas consommer une quantité de cash trop importante. S'il rapporte de l'argent qui aide la politique ferroviaire française, j'y suis favorable. Voilà la nuance et le recentrage stratégique que je souhaite apporter.

Effectivement, Eurostar souffre beaucoup, comme les TGV. Keolis ne s'en sort pas trop mal car son business model repose sur la délégation de service public. Geodis connaît des problèmes mais son activité asiatique assez importante bénéficiera peut-être de la reprise de la production industrielle en Asie.

Oui, il va falloir reprogrammer les travaux sur le réseau. Je suis incapable de vous dire comment. Certaines dates de réouverture sont remises en question. Je ne vois pas comment rattraper plusieurs mois de retard. Il y aura donc des problèmes de date et éventuellement des problèmes de priorité.

Sur les aspects sociaux, la SNCF n'est pas toute seule. Elle appartient à une branche gérée par l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP). La convention collective nationale est en cours de construction. La partie de la convention sur la classification et la rémunération a été votée par deux syndicats, quand trois autres s'y sont opposés. Aucun accord n'a donc pu être signé sur cette partie. Pour sauter l'obstacle, l'État peut prendre la main et traiter par ordonnance. Je n'y serai pas défavorable car nous sommes à l'arrêt, ce qui n'est pas bon alors que la concurrence s'amorce. Deux syndicats étaient tout de même favorables. Peut-être le ministère des transports prendra-t-il ses responsabilités.

Je suis conscient des besoins d'amélioration du réseau en Normandie, que je connais bien. Comptez sur moi pour soutenir des lignes telles que la ligne nouvelle Paris-Normandie. Il ne s'agit pas forcément de construire un TGV vers la Normandie ou l'Auvergne mais j'ai à l'esprit l'égalité entre les territoires et la nécessité de réhabiliter l'offre ferroviaire dans certaines régions.

M. Hervé Maurey, président. - Merci beaucoup. Je rejoins les propos de Mme Tocqueville, et M. Houllegatte sans doute aussi.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Tout à fait !

M. Hervé Maurey, président. -M. Pepy disait souvent que la SNCF avait une dette à l'égard de la Normandie. Les lignes normandes doivent voir leur situation s'améliorer.

Je remercie MM. Farandou, Fanichet et Delorme pour cette audition très intéressante et riche, sur des sujets d'aujourd'hui, de demain et d'après-demain. Il était important de vous entendre. Vous avez formulé des propositions fortes, notamment sur le port du masque. Nous y souscrivons et aurons à coeur de les relayer. Merci à tous.

La téléconférence est close à 12 h 10.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.