Lundi 6 avril 2020

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La téléconférence est ouverte à 15 heures.

Audition de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (en téléconférence)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cette deuxième partie de l'audition de Mme Vidal, commencée mercredi dernier, sera surtout consacrée à la recherche, mais nous reviendrons d'abord sur la situation de l'enseignement supérieur. Nous aimerions aussi savoir comment se déroule le processus Parcoursup cette année, au vu notamment de la décision que vient de rendre le Conseil constitutionnel à ce sujet.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. - Je veux pour commencer vous faire un bref exposé de la situation actuelle dans l'enseignement supérieur. Pour assurer la continuité pédagogique, l'immense majorité des établissements sont passés aux formations à distance. Quant aux examens, trois modalités seront retenues, en fonction des exigences de chaque formation : l'évaluation se fera le plus souvent par contrôle continu ou remise de dossiers ; pour certaines matières où des épreuves écrites sont nécessaires, on étudie la possibilité d'examens à distance ; enfin, dans les rares cas où une présence physique est indispensable, notamment dans les filières sportives, un report de ces épreuves est envisagé.

Pour ce qui est des concours, une proposition a été élaborée sous l'égide de Mme Caroline Pascal, doyenne de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche. L'objectif est le report de toutes les épreuves écrites de ces concours. Le dispositif est presque prêt pour les épreuves de première année commune aux études de santé (Paces) et les épreuves classantes nationales (ECN) ; il est en cours de finalisation pour tous les concours de grandes écoles, d'écoles de commerce et d'écoles d'ingénieurs.

Concernant l'application Parcoursup, nous allons clôturer la phase de préinscription et de confirmation des voeux par les futurs étudiants. Nous avons fourni aux proviseurs et aux professeurs principaux la liste des élèves de terminale n'ayant confirmé aucun voeu, afin qu'ils puissent les contacter directement et, s'il s'agit d'un simple problème de connexion, prendre la main pour s'assurer que ces élèves ne soient pas exclus du dispositif. On le faisait déjà l'an dernier, mais cela revêt une importance toute particulière dans les circonstances actuelles. Le processus sera terminé au milieu de cette semaine ; les dossiers seront ensuite envoyés aux établissements.

J'en viens à la recherche. Plusieurs dispositifs ont été mis en place. Il est désormais possible pour les organismes de recherche d'abonder directement les laboratoires dont le rôle peut être essentiel dans la gestion de la crise du Covid-19. Des dispositifs spécifiques ont été ouverts, au-delà des financements attribués par le biais de REACTing à l'ensemble des organismes de recherche et, notamment, à l'alliance Aviesan. Des fonds sont attribués par l'Agence nationale de la recherche (ANR) au travers du dispositif Flash, qui permet un examen accéléré des dossiers. L'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) est également impliquée afin de développer des programmes d'aide et d'analyse épidémiologique à destination des pays du Sud. Citons enfin les programmes hospitaliers de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP), qui dépendent du ministère de la santé. Au total, 50 millions d'euros ont déjà été débloqués pour soutenir l'ensemble de ces projets.

Les essais cliniques déclarés sont massifs, mais nous observons aussi beaucoup d'initiatives prises directement par les équipes médicales de recherche dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). Nous essayons d'avoir une vision globale de ces actions. Le ministère de la santé nous transmet un maximum d'informations afin que nous disposions des résultats cliniques des différents traitements utilisés par les médecins.

En plus du conseil scientifique qui aide le Gouvernement et le Président de la République à formuler et mettre en oeuvre les politiques publiques annoncées, nous avons créé un comité chargé d'une mission d'expertise ; nous lui renvoyons toutes les demandes des laboratoires publics et privés en matière, notamment, de tests sérologiques. Nous lui avons aussi demandé un travail de veille internationale afin d'identifier, au fur et à mesure qu'ils apparaissent, les différents outils de diagnostic et de sérologie. Cette démarche est articulée au sein d'une cellule de crise interministérielle : nous travaillons avec des représentants des ministères de la santé et de l'économie pour sécuriser les besoins potentiels en réactifs et passer au plus vite les commandes nécessaires : n'oublions pas qu'une pression mondiale s'exerce sur ces produits.

Je veux enfin aborder la question de l'aide aux étudiants. Nous avons mis en place, au travers du service de santé universitaire et en liaison avec les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), un dispositif de surveillance sanitaire de ceux d'entre eux qui demeurent dans les cités universitaires. Nous avons également pris des dispositions pour qu'ils puissent être aidés financièrement, en particulier s'ils ont perdu les rémunérations qu'ils percevaient au titre d'un stage ou d'un emploi étudiant et ne bénéficient pas des dispositifs de chômage partiel ou d'aide aux auto-entrepreneurs mis en place par le ministère du travail.

Ces démarches sont organisées par les Crous, en liaison avec les associations étudiantes : des référents sont désignés dans chaque résidence ; au travers de groupes sur les réseaux sociaux, ils vérifient notamment, en lien avec les services de santé, qu'aucun des résidents ne présente de symptômes. Quelques cas de Covid-19 ont été identifiés dans les résidences universitaires ; ces étudiants sont systématiquement transférés dans des studios dotés de blocs sanitaires et de cuisines, de manière à ce qu'ils puissent rester à la fois confinés et approvisionnés. Heureusement, dans la plupart des cas, les symptômes connaissent vite une évolution satisfaisante, mais une surveillance constante est nécessaire. Le dispositif d'alerte élaboré par les Crous en lien avec les associations semble fonctionner, mais notre attention sur ce point demeure toute particulière.

Mme Sylvie Robert. - Nous devons rester vigilants quant aux conditions de vie de tous les étudiants : ceux qui demeurent dans les résidences universitaires, certes, mais aussi ceux du parc privé qui, confinés comme tout le monde, ont, pour beaucoup d'entre eux, perdu les petits boulots qui leur permettaient de vivre. Certains étudiants rencontrent des difficultés préoccupantes. Dans les résidences universitaires de ma région, je constate une vraie vigilance sanitaire et un repérage des étudiants en difficulté économique, mais je veux attirer votre attention sur leur extrême précarisation : certains étudiants peuvent même rencontrer des difficultés alimentaires. Nous devons trouver les outils nécessaires pour les accompagner au mieux.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - L'objectif est que tous les étudiants soient dans le radar. Nous avons demandé aux établissements de leur envoyer des informations ; nous sommes aussi passés par les Crous, qui disposent des adresses et numéros de téléphone de tous les étudiants. Nous allons essayer de mettre en place, pour les étudiants résidant dans le parc privé, un système similaire à celui qui fonctionne dans les résidences universitaires : de petits groupes animés par un étudiant référent chargé de déterminer si certains rencontrent des difficultés particulières. Des aides spécifiques s'ajouteront à la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) pour venir en aide à tous, boursiers ou non : on sait en effet que ce sont les étudiants qui sont juste au-dessus du plafond des bourses, ou ne touchent qu'une petite bourse, qui dépendent le plus des emplois étudiants et souffrent donc le plus de leur disparition. Nous essayons en tout cas d'utiliser le plus possible les réseaux sociaux pour le signalement de difficultés au sein de groupes d'étudiants.

Mme Sylvie Robert. - Qu'en est-il des étudiants du programme Erasmus qui ont dû revenir en France ? Pourront-ils retourner dans leur pays d'accueil ? Comment le second semestre de cette année d'études sera-t-il validé ? Y aura-t-il une approche harmonisée à l'échelon européen, ou bien leur sort dépendra-t-il de conventions particulières par pays, voire par université ou école ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - La direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) a produit des fiches afin d'offrir aux établissements des cadrages généraux et de proposer des solutions. Il est très peu probable que ces étudiants repartent cette année à l'étranger. Demain doit se tenir une première réunion entre ministres européens chargés de l'enseignement supérieur et de la recherche ; nous aurons des échanges sur ce sujet, afin d'harmoniser nos approches. Nous faisons passer aux établissements des messages de bienveillance : il faut que ces étudiants soient le moins pénalisés possible. Les étudiants étrangers rentrés de France chez eux bénéficient de l'enseignement à distance ; la réciproque n'est pas toujours vraie. Un bilan sera fait au niveau européen dans les jours qui viennent. Du moins, en France, tous les établissements savent que les dispositions prises dans l'ordonnance relative à l'organisation des examens et concours leur donnent toute latitude pour adapter, au bénéfice de l'étudiant, les modalités de contrôle des connaissances.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Pouvez-vous nous éclairer davantage sur Parcoursup ? Le Conseil constitutionnel a rendu une décision très attendue sur la nécessaire transparence des traitements algorithmiques utilisés pour le classement des dossiers de candidature. C'est d'ailleurs le sens d'un courrier que je vous avais adressé, à la suite des travaux de notre collègue Jacques Grosperrin sur le suivi de l'application de la loi sur l'orientation et la réussite des étudiants. Vous nous avez dit que le processus Parcoursup pour cette année est déjà bien avancé. Cette décision intéressante du Conseil constitutionnel reconnaît le principe du secret des délibérations, mais insiste sur la nécessité d'une meilleure communication des critères ayant présidé aux décisions. Au vu de cette décision, comment prenez-vous contact avec les établissements pour vous assurer qu'il y aura une véritable transparence sur ces critères, comme notre commission l'avait d'ailleurs déjà demandé ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Je veux donner quelques chiffres sur Parcoursup. La phase de saisine et de confirmation des voeux est terminée. On relève plus de candidats et de voeux que l'année dernière, le système a fonctionné : 948 000 candidats ont confirmé au moins un voeu, - ils étaient environ 900 000 l'an dernier. 91,1 % des voeux et des sous-voeux sont confirmés, soit près d'un point de plus que l'an dernier. Cette hausse concerne tous les types de bacheliers : + 1,82 % pour les bacheliers généraux, + 2,26 % pour les bacheliers des voies technologiques et + 7,2 % pour les bacheliers professionnels. Le nombre de demandes de confirmation de voeux en réorientation augmente également. Les reprises d'études sont gérées à part, cette année, grâce à l'application Parcourplus ; celle-ci est utilisée par des candidats qui ont, pour 85 % d'entre eux, déjà exercé une activité professionnelle. Nous avons aussi vérifié l'absence de problèmes particuliers outre-mer, notamment en Guyane - 95 % ont confirmé au moins un voeu ; nous attendons des informations concernant Mayotte, seconde collectivité où des difficultés ont été rencontrées par le passé.

La décision du Conseil constitutionnel répond bien à une demande que vous aviez déjà formulée. Nous avons informé les établissements qu'ils devront expliquer la façon dont ils auront classé les étudiants, dans les filières sélectives, ou délivré les « Oui » et les « Oui si » dans les filières non sélectives. Chaque jury devra produire un compte rendu de ses délibérations et indiquer les critères utilisés. Pour leur faciliter la tâche, nous avons rédigé un modèle d'explication des critères que nous mettons à disposition des établissements dans le cadre de l'aide à la décision fournie dans Parcoursup ; chaque établissement pourra y ajouter les critères spécifiques qu'il emploie. Cela sera particulièrement important cette année au vu du nombre d'écoles qui sélectionneront exceptionnellement leurs étudiants, non par concours, mais sur dossier du fait des circonstances sanitaires. Le Conseil constitutionnel rappelle également que la procédure n'est pas complètement automatisée et qu'il faudra donc, à l'issue des délibérations, expliquer comment celles-ci se seront tenues et comment les classements auront été établis. Nous avons élaboré par anticipation les outils nécessaires ; quand un établissement utilise plutôt les siens, nous travaillons avec lui ; nous lui expliquons, désormais à distance et non plus in situ, comment rédiger les critères utilisés. C'est l'un des rôles de la cellule « Parcoursup ».

M. Jacques Grosperrin. - Que de temps perdu ! Cela fait un moment que le Sénat demande une telle transparence ; le Gouvernement aurait pu l'écouter. Maintenant, il doit s'y employer au moment même d'une crise majeure ! Les enseignants expriment une grande inquiétude quant à l'emploi des traitements algorithmiques. Chacun voit dans la décision du Conseil constitutionnel la justification de son propre point de vue, mais je regrette en tout cas le manque d'anticipation.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Évoquons à présent la recherche, secteur qui est au coeur de la crise sanitaire que nous subissons. Nous apportons notre soutien plein et entier à la communauté des chercheurs, très mobilisés en première ligne. L'attente est très forte sur les traitements thérapeutiques, les tests de dépistage et les vaccins sur lesquels travaillent nos chercheurs. Le moment est propice pour un premier bilan.

Mme Laure Darcos. - Une série de projets de recherche sur le Covid-19 a déjà été sélectionnée dans le cadre du consortium REACTing et du projet Flash de l'ANR ; une deuxième vague devrait suivre. Les moyens alloués par le Gouvernement à ces projets, déjà conséquents - 58 millions d'euros -, devront encore être ajustés en fonction des besoins. Quid des projets qui n'ont pas été retenus dans ces sélections, mais présentent un intérêt scientifique ? Comment pourront-ils bénéficier de financements ?

Vous affirmez que la loi d'urgence permet de simplifier et d'accélérer les procédures de recherche : comment cela se traduit-il ? Quelles adaptations sont prévues ? Le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) présidé par Mme Barré-Sinoussi se prononce-t-il sur ces modifications de procédure ?

Quant aux essais thérapeutiques en cours, que se passera-t-il si l'une des molécules testées s'avère efficace ? Comment agira-t-on collectivement ? L'Institut Pasteur, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) travaillent d'arrache-pied sur des vaccins, mais aussi sur des tests de diagnostic et de sérologie, enjeux essentiels pour le déconfinement. Comment les décisions seront-elles prises entre les groupes de chercheurs et les différents comités ?

Cette crise montre qu'on a besoin d'une recherche française et européenne. Le Président de la République a annoncé une augmentation des moyens alloués à la recherche à hauteur de 5 milliards d'euros annuels sur dix ans. Ce n'est qu'un premier pas, encore insuffisant pour voir le budget de la recherche atteindre 1 % du PIB. En savez-vous un peu plus sur le devenir du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche ? Verra-t-il bientôt le jour en dépit du calendrier parlementaire bouleversé des prochains mois, ou bien faudra-t-il passer par le projet de loi de finances pour 2021 pour faire adapter les premières mesures nécessaires en la matière ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le consortium REACTing, qui nous a permis de figurer parmi les premiers pays, dès février dernier, à proposer une réponse en termes de recherche, a reçu des financements destinés à l'amorçage de projets. Le principe est le même pour les appels Flash de l'ANR. Le comité scientifique de l'ANR a examiné les propositions et a estimé que quarante-quatre d'entre elles devaient être lancées, avec un financement immédiat. Pour les autres, des investigations supplémentaires sont nécessaires sur le plan de la solidité scientifique et de la bibliographie. Le pire en cette période serait de financer des recherches dont il a déjà été démontré qu'elles étaient inefficaces. Il ne s'agit pas d'un problème financier, puisque l'objectif est de soutenir tous les projets nécessaires : 65 % des projets REACTing sont financés et plus de 30 % de ceux de l'ANR.

Les organismes de recherche ont, sur leurs crédits de base, directement abondé plusieurs laboratoires dans lesquels des chercheurs travaillent sur ces sujets depuis longtemps et ont besoin de moyens supplémentaires. Quant aux projets présentés via les appels Flash de l'ANR, de l'ANRS et de REACTing, ce sont de nouvelles propositions de sujets de recherche.

Il faut donc distinguer les projets des équipes travaillant de longue date sur les coronavirus, financés par les organismes de recherche, et ceux de toute personne souhaitant proposer une idée nouvelle, lesquels sont soutenus dans le cadre des appels Flash de l'ANR ; enfin, les projets portant sur un nouveau protocole thérapeutique ou une nouvelle molécule attestée sont lancés par REACTing.

Nous essayons, au fur et à mesure que des molécules sont incluses dans les essais cliniques, de veiller à l'approvisionnement en matières premières ou en molécules elles-mêmes, si celles-ci ne sont pas fabriquées par des sociétés pharmaceutiques ayant au moins un laboratoire en France. La situation est très compliquée, car ces sujets sont mondiaux et tous les pays font de même. Pour cette raison, nous nous efforçons de mener un travail d'approvisionnement coordonné au niveau européen. C'est nécessaire, car, si nous commandons 10 000 doses d'un médicament tandis que les États-Unis en commandent 3 millions, nous passerons toujours derrière !

Même lorsque des commandes fermes sont passées, il arrive que les sociétés pharmaceutiques soient elles-mêmes en rupture de stock de plusieurs produits et nous annoncent des retards de livraison ; ce fut le cas pour certains tests. La tension mondiale sur les matières premières complique encore les choses.

S'agissant des tests sérologiques, que proposent de nombreuses compagnies étrangères et françaises, notamment des start-up, CARE examine leurs bases scientifiques et, si elles sont valides, un premier test, rapide, est fait sur des sérums de patients dans les CHU et laboratoires français. Les tests qui « passent » cette première étape sont transmis aux centres nationaux de référence (CNR), qui les valident définitivement.

Il faut être attentif, à la fois, à la spécificité - en effet, les coronavirus sont responsables de tous les rhumes de printemps - et à la sensibilité, en déterminant le nombre de faux positifs et de faux négatifs. Les premiers sont assez rares, mais les seconds peuvent exister puisque la réponse immunitaire de chaque individu est variable. Une analyse « macro » est faite sur place dans les CHU, puis une autre, plus complète, dans les CNR de Pasteur ou de Lyon. Nous envisageons d'habiliter certains CHU à faire ces tests complets, lesquels permettent de vérifier que les anticorps ainsi détectés sont protecteurs, c'est-à-dire capables de bloquer la propagation du virus dans des boîtes de culture. En effet, certains tests détectent des anticorps, mais il ne s'agit pas d'anticorps dits protecteurs. Cette manipulation prend trois ou quatre jours.

Plusieurs tests ayant déjà suivi ce processus de validation sont en cours de commande. Lorsqu'ils sont produits en France par des laboratoires ou des start-up, nous organisons la chaîne de production, travaillons avec le ministère de l'économie et des finances, notamment avec Mme Agnès Pannier-Runacher, qui est chargée de ce dossier, si nécessaire en réorientant des chaînes dédiées à d'autres types de tests, afin d'anticiper une phase industrielle.

Pour ce qui concerne les tests cliniques, CARE travaille sur un protocole-type, afin que tout hôpital ou tout médecin généraliste qui voudrait y participer puissent le faire en suivant une procédure normalisée. Cela permettra de conglomérer ensuite l'ensemble des résultats et de faire de la méta-analyse. Il y aura un protocole-type pour des essais en hôpital et un autre pour la médecine de ville.

J'en viens aux essais cliniques en cours. La première analyse consiste à examiner s'il est nécessaire d'arrêter une branche de ces essais parce qu'elle aurait des effets néfastes pour la santé. Pour l'instant, cela ne s'est pas produit. Les résultats sont envoyés à des statisticiens, qui établissent une analyse indépendante, dans le cadre d'une procédure qui est la plus rigoureuse possible sur le plan scientifique.

De nombreuses technologies émergent, que CARE est chargé de valider scientifiquement et qui sont financées directement. Sur la base des travaux disponibles dont la synthèse, faite par CARE, est transmise au conseil scientifique, celui-ci proposera des stratégies en matière de santé publique. Il est donc important, pour faire le lien, que des personnes siègent dans les deux instances.

S'agissant du financement de la recherche, le Président de la République a annoncé qu'y seraient consacrés 5 milliards d'euros supplémentaires par an. Aujourd'hui, 15 milliards d'euros par an sont investis dans ce domaine. Pour passer à 20 milliards annuels, des étapes successives sont prévues. Au total, 25 milliards d'euros seront investis sur dix ans.

Le Premier ministre me l'a confirmé ce matin : dès que le calendrier parlementaire le permettra, le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche sera soumis au Parlement. Il est néanmoins très important - c'est le sens de l'annonce du Président de la République - que nous puissions lancer les premiers investissements dès 2021, que la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ait été votée ou pas. Nous prévoyons, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, une première augmentation de 400 millions d'euros pour la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (Mires).

M. Pierre Ouzoulias. - Je suis heureux d'entendre que la décision du Conseil constitutionnel nous satisfait tous les deux. Les Sages nous réunissent !

L'Allemagne a engagé 3,5 milliards d'euros dès 2020 pour financer les équipements médicaux, la recherche d'un remède et d'un vaccin, et vient d'affecter 150 millions d'euros pour la constitution d'un réseau de recherche de médecine universitaire confié à l'équivalent du CHU de Berlin. La France a, quant à elle, débloqué 8 millions d'euros, et vous annoncez un fonds d'urgence doté de 50 millions : cet effort est un cran au-dessous de celui de nos voisins allemands.

Les laboratoires qui sont actuellement sur le front de la recherche insistent sur la nécessité de mettre aux normes leurs équipements et outils de recherche. Tandis qu'un laboratoire chinois travaillant sur le coronavirus dispose de deux cryomicroscopes électroniques valant chacun 5 millions d'euros, les laboratoires de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) en demandent depuis quatre ans un plus petit, valant 2 millions d'euros, sans réponse pour l'instant. Sans budget supplémentaire, il sera très difficile pour ces organismes de mettre leurs matériels à niveau, et donc de trouver des financements.

Je vous approuve sur la nécessité de faire une pleine confiance aux laboratoires, chercheurs et organismes de recherche, sans passer par les appels à projets, dans la situation actuelle d'urgence. Comment leur donner très rapidement les moyens de résoudre leurs problèmes d'équipements ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Nous consacrons 4 milliards d'euros au déploiement du volet clinique et au développement de médicaments, que l'Allemagne finance à hauteur de 3,5 milliards. Nous sommes donc dans le même ordre de grandeur.

Pour ce qui est du financement de recherche, je rappelle que l'Allemagne comptabilise toujours en coûts complets, en incluant les salaires qui, chez nous, sont pris en charge par d'autres lignes. Les 50 millions d'euros dédiés au fonctionnement et à l'investissement que nous débloquons, sachant que 1 500 à 2 000 chercheurs travaillent sur le Covid-19, sont donc comparables aux crédits allemands dans ce domaine. Nous avons débloqué 8 millions d'euros début mars, puis 16 millions supplémentaires lors des dernières semaines. Nous réitérons ces opérations autant que de besoin.

L'acquisition de matériels est bien sûr nécessaire, mais il faut beaucoup de temps pour fabriquer, tester et calibrer un cryomicroscope. Il faudra le faire, et cela est prévu dans la future LPPR. En l'occurrence, ce n'est pas l'urgence du moment, d'autant qu'il y a un cryomicroscope tout à fait utilisable au sein du Centre commun de microscopie appliquée (CCMA), dans mon ancienne université - je connais donc bien le sujet.

Nous agissons dans deux directions différentes : le soutien immédiat et la préparation de l'avenir. Nous soutenons ainsi des programmes de recherche permettant de comprendre le fonctionnement du Covid-19 et d'augmenter la connaissance générale sur les coronavirus. Dans l'immédiat, l'urgence est au repositionnement de médicaments et de thérapies, aux essais cliniques et aux tests. Néanmoins, nous devons également accumuler des connaissances pour le long terme. Nous avons ainsi ouvert à travers l'ANR la possibilité de financer des projets à plus longue échéance.

On a trop négligé lors des trente dernières années l'accumulation de connaissances. La LPPR aura pour objet d'y remédier dans tous les champs disciplinaires, et pas seulement pour la santé. Nous aurons besoin, par exemple, de programmes de recherche de sociologie et d'anthropologie afin d'analyser les comportements en période de confinement ou lorsque le virus, ayant quitté l'Europe, continuera de sévir sur d'autres continents. Les projets financés relèvent donc pour un tiers des sciences humaines et sociales, dont le rôle est de penser et comprendre ces phénomènes. Il faut à la fois gérer l'urgence et respecter le temps de la recherche.

Mme Sonia de la Provôté. - L'épisode que nous traversons met en lumière la nécessité de mettre en cohérence tous les champs de la recherche, et nous constatons qu'il vous importe d'en trouver les voies et moyens. Le comité scientifique protocolise de façon adaptée à la situation et met en place une normalisation.

La LPPR devra trouver, hors des orientations majeures, des organismes institutionnels et des appels à projets, la façon de financer les projets et de s'irriguer de la connaissance produite par des équipes de recherche qui ont emprunté des chemins de traverse, mais qui étaient autrefois accompagnées sur le long terme. Rappelons que les grandes innovations ne sont pas toujours sorties des laboratoires les plus importants.

Comment saisir ces opportunités de la recherche « hors cadre » au travers de la LPPR et quelle part y sera dévolue ? On a reproché aux appels à projets d'être court-termistes, alors qu'une grande part de la recherche repose sur le temps long et les études multicentriques. Une cohorte, par exemple, sur le plan médical, ne s'étend pas sur cinq, mais sur vingt ans. Quelle en sera la traduction financière et organisationnelle ? Des comités scientifiques ne pourraient-ils pas être nommés, sur le modèle de CARE, pour recueillir la connaissance la plus exhaustive possible de la recherche française et mondiale, et associer recherches académique et hors cadre ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le budget actuel de la recherche s'élève à environ 15 milliards d'euros, mais 1,5 milliard seulement relève de l'ANR. Tout ne se fait donc pas sur la base d'appels à projets, loin de là. Certes, les salaires sont très faibles, mais la LPPR y remédiera. Quant à la politique de réinvestissement, s'agissant notamment du matériel, elle est perfectible. Il n'en reste pas moins que la France figure parmi les pays qui financent le plus la recherche hors-cadre. Ne confondons pas les appels à projets de l'ANR et la recherche finalisée. L'Agence finance aussi la recherche sur le Big Bang et les trous noirs ! Si la finalité de ces études n'est pas évidente, ces recherches n'en demeurent pas moins essentielles car elles apportent de la connaissance !

La veille est permanente sur la qualité scientifique de la recherche effectuée dans les laboratoires, sous l'autorité des conseils scientifiques des organismes et des universités. Dans la situation de crise que nous connaissons, après la première étape de sidération est venue celle de la mise en ébullition, dont nous devons tirer parti pour organiser et coordonner les initiatives. Il ne sert à rien que chacun ait des idées fabuleuses dans son coin, il faut s'associer pour aller plus vite.

Le rôle de CARE est d'assurer cette veille nationale et internationale. Ce comité, essentiel, est un instrument de guerre, qui fonctionne ainsi du fait du caractère exceptionnel de la période. L'organisation est énorme, mais la communauté des chercheurs ne demande qu'à participer. Ainsi, de même que des médecins acceptent de pratiquer des gestes infirmiers dans les services de réanimation, des sommités de la recherche fabriquent du gel hydroalcoolique...

Cela ne nous empêche pas de réfléchir, et nous le faisons depuis un an, à la question de l'investissement nécessaire dans la recherche en temps normal. Nous nous interrogeons ainsi sur l'identification plus rapide des laboratoires capables de fabriquer des primers pour la RT-PCR - Reverse transcriptase polymerase chain reaction. Il y a une tension mondiale sur les primers, mais aussi des synthétiseurs dans nos laboratoires : comment les réorienter ?

Les laboratoires ont aussi donné beaucoup de réactifs et de consommables aux hôpitaux, sans poser la question du remboursement. Il y a un élan ! Dans le même temps, des équipes espèrent être les premières au monde à comprendre comment fonctionne le virus. Le monde de la recherche est le mélange de ces deux démarches.

Mme Sonia de la Provôté. - Il ne s'agit pas de donner des ordres aux équipes et aux organismes, mais de mettre en place des protocoles de base, qui peuvent d'ailleurs être amendés. Dans le domaine de la santé, il est intéressant d'intégrer la médecine de ville. Cette approche pourrait être retenue pour d'autres sujets hors période « de guerre ». La constitution de comités ad hoc permettrait de mettre un coup d'accélérateur et d'assurer une veille dans maints domaines ainsi qu'une plus grande efficacité.

Mme Colette Mélot. - Tandis que les étudiants de Paces ont obtenu le report de leur concours, les candidats aux formations paramédicales ne sont pas traités de la même façon. Dans la filière orthophonie, le concours est remplacé par une sélection sur dossier. Or, cette admission, très sélective, nécessite en moyenne deux années d'une préparation spécifique souvent dispensée dans des établissements privés coûteux. Envisagez-vous un report du concours d'accès aux formations paramédicales ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - La décision a été prise de remplacer l'ensemble des concours post-bac, y compris dans la filière orthophonie, par une sélection sur dossier. En revanche, pour les concours de la Paces, de l'internat et post-préparatoires aux grandes écoles (post-CPGE), lesquels se déroulent après l'admission dans l'enseignement supérieur, les écrits ont été maintenus.

Cette décision a été précédée d'une discussion avec l'ensemble des écoles. Il fallait être clair pour les élèves et leurs familles. Nous avons essayé de sécuriser au maximum et de diminuer le stress pour tous. Oui, en cette année exceptionnelle, les admissions que vous avez mentionnées se feront sur dossier, un modèle que nous avons retenu depuis l'an dernier pour les concours aux instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Les coûts en ont d'ailleurs été réduits pour ces jeunes, qui n'ont plus à se déplacer dans la France entière pour passer les épreuves ; j'y vois une amélioration du système. Nous devrons en tirer des conclusions générales sur les frais de concours.

M. André Gattolin. - Je suis préoccupé par les plannings des semaines et des années à venir. On a évoqué la coordination européenne. Lors de la crise Ebola, il avait été décidé de lancer un grand chantier dans le cadre du programme Horizon Europe et les résultats avaient été intéressants. Au-delà du coronavirus, les risques sanitaires de ce type seront récurrents. Il faudra donc mettre en place des structures permanentes à l'échelle européenne afin d'être à la hauteur des États-continents, notamment les États-Unis.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Vous avez raison de souligner l'importance de la réaction européenne. REACTing, créé en 2011 après l'épidémie Zika, est membre d'un consortium européen de veille et de surveillance des épidémies. Ce réseau doit continuer à interagir et travailler même en dehors des périodes d'épidémie, et se mobiliser très rapidement lors d'épidémies pour mettre en place des protocoles de recherche et cliniques.

Il semble que la mobilisation et l'animation de ce réseau aient été moins actives dans les autres pays européens. En France, REACTing bénéficie chaque année de 500 000 euros pour agir au sein de ce consortium, ce qui nous a permis de lancer rapidement des essais cliniques. Nous avons ainsi été le premier pays à inclure des patients dans nos tests. Il faudra porter ce modèle au niveau européen.

L'Union européenne a ouvert un financement spécifique pour le Covid-19, à hauteur de 90 millions d'euros. Plusieurs fonds sont disponibles au niveau européen. Cela fera l'objet des discussions qu'auront demain les ministres de la recherche.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, madame la ministre. Nous avons bien saisi votre réflexion et votre plan d'actions. Nous vous apportons tout notre soutien et restons très mobilisés sur ces sujets, notamment celui de la vie étudiante en cette période difficile de révision du baccalauréat et de l'orientation des bacheliers.

Notre commission est très mobilisée sur les problématiques de la recherche. Nous avons organisé des tables rondes avec des chercheurs éminents pour préparer l'avenir. Nous nous doutons que le calendrier parlementaire sera bouleversé, mais nous avons déjà commencé à travailler sur la LPPR. Toutes nos pensées vont à la communauté des chercheurs, des universitaires et des étudiants, aux médecins et à tous ceux qui prêtent main-forte dans les hôpitaux, ainsi qu'aux malades et à leurs familles.

La téléconférence est close à 16 h 30.

Jeudi 9 avril 2020

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La téléconférence est ouverte à 11 h 15.

Audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse (en téléconférence)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Notre commission poursuit son travail de contrôle et d'information dans ce contexte de crise sanitaire. Après avoir auditionné Mme Frédérique Vidal par téléconférence en début de semaine, nous avons de nouveau recours à ce format pour auditionner M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Au nom de l'ensemble des membres de la commission, je vous remercie de vous être rendu disponible pour cette audition, monsieur le ministre, et d'avoir accepté de vous livrer à cet exercice un peu particulier. Cette audition, comme celle de lundi, fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié au bulletin des commissions et mis en ligne sur le site du Sénat. J'ajoute qu'un journaliste de Public Sénat suit cette téléconférence.

Avant toute chose, je tiens à saluer la remarquable mobilisation des personnels de l'éducation nationale, les enseignants en particulier, pour assurer un suivi pédagogique et tenter de limiter les effets de la fermeture des établissements scolaires sur les apprentissages des élèves. Je salue également les familles qui, plus que jamais, sont des acteurs incontournables de la coéducation. Nous sommes tous conscients des difficultés que bon nombre d'entre elles rencontrent, dès lors que les parents doivent jongler entre télétravail et école à la maison.

Monsieur le ministre, à la suite de votre propos liminaire, nos rapporteurs vous interrogeront sur plusieurs thématiques qui nous mobilisent, comme la carte scolaire pour la rentrée 2020 ou la continuité pédagogique mise en place pour faire face à la fermeture des établissements.

Selon vous, dans quel état d'esprit se trouvent les personnels de l'éducation nationale et les élèves ? Pourriez-vous nous dire un mot de l'organisation des examens et de ses conséquences sur Parcoursup ? Par ailleurs, notre commission est très attentive à la question des établissements français à l'étranger et souhaiterait disposer d'informations à leur sujet. Enfin, vous connaissez mon attachement à la question du numérique à l'école. Pourriez-vous dresser un premier bilan du recours aux outils et enseignements numériques depuis le début de ce confinement ? Quels sont les points de vigilance dont vous pourriez nous faire part à cet égard ?

Afin de rendre cette téléconférence aussi dynamique que possible, après votre propos liminaire, monsieur le ministre, je donnerai d'abord la parole à nos rapporteurs, auxquels vous pourrez répondre en détail, avant de la laisser aux représentants des groupes politiques.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. - Je suis très heureux que cette audition puisse se tenir malgré les difficultés du moment. C'est précisément pour cela qu'il est bon que nous échangions et avancions ensemble. Les défis que nous aurons à relever requièrent une information partagée, une forme d'unité dans l'action et, bien sûr, un maximum de pragmatisme.

Je souhaite vous parler de l'une des missions prioritaires dont mon ministère doit s'acquitter, à savoir l'enseignement à distance.

Dans le cadre de la continuité pédagogique que nous cherchons à préserver dans cette période de crise, nous gardons évidemment à l'esprit les deux objectifs que nous nous assignons en temps normal, c'est-à-dire la hausse du niveau général des élèves, d'une part, et la lutte contre les inégalités, d'autre part. Dans les circonstances actuelles, ces objectifs sont particulièrement menacés : la non-fréquentation de l'école peut conduire à une baisse du niveau général, tandis que les inégalités peuvent s'accroître du seul fait que l'on renvoie chaque enfant à son environnement familial d'origine.

Cette crise révèle l'importance de l'école de la République, tant en ce qui concerne la socialisation des enfants que la lutte contre les injustices sociales. Ce contexte met en lumière le professionnalisme des personnels de l'éducation nationale. Chacun a pris conscience que le métier d'enseignant est indispensable et loin d'être facile à exercer : cette crise sera sans doute l'occasion de renforcer le prestige de cette profession au sein de la société.

Nous n'avons eu d'autre choix que d'organiser l'enseignement à distance dans des délais record. Pour ce faire, nous avons recouru à trois leviers.

Le premier instrument sur lequel nous avons pu compter est le Centre national d'enseignement à distance (CNED), particulier à la France, qui a contribué à la mise en place du dispositif « Ma classe à la maison », d'abord pour les élèves français de Chine, puis pour ceux de l'Oise, du Morbihan et du Haut-Rhin quelques semaines plus tard et, enfin, pour l'ensemble des élèves une fois les établissements fermés. Sur le plan pédagogique, les contenus étaient donc prêts au début du confinement. Sur le plan technique, si nous avons rencontré de grosses difficultés au démarrage, celles-ci ont rapidement été levées grâce aux collectivités locales qui, je le rappelle, sont responsables des environnements numériques de travail, et aux opérateurs.

Actuellement, 2,5 millions de familles sont connectées à « Ma classe à la maison », ce qui correspond à environ 400 000 professeurs. Ce chiffre est d'autant plus satisfaisant que l'on observe assez peu de problèmes techniques. Il s'agit d'un système de classe virtuelle intégrée, qui permet d'observer la progression des élèves de tout niveau, de la grande section de maternelle à la terminale, semaine après semaine. Ce support est évidemment gratuit, puisqu'il relève du service public de l'enseignement.

Le deuxième levier est celui des environnements numériques de travail. Très nombreux sont les enseignants ayant assez naturellement utilisé ces outils qui, je le rappelle, sont propres à chaque établissement.

Enfin, les enseignants ont souvent recours à ces technologies d'appoint que sont les mails et les plateformes de toute nature. Dans ce domaine, les professeurs font preuve de beaucoup de créativité. Même si je ne condamne pas ce troisième levier d'action, j'ai évidemment une préférence pour les deux premiers instruments : ils offrent en effet davantage de garanties, notamment en termes de protection des données personnelles, et contribuent à la fois au service public et à notre souveraineté dans le domaine pédagogique. À terme, il nous faudra réfléchir à la manière de faire en sorte que ces deux canaux s'imposent d'eux-mêmes. En tout cas, c'est une satisfaction, les enseignants et les élèves ont pu interagir.

Au cours de la première semaine suivant la fermeture des établissements scolaires, nous avons constaté beaucoup de volontarisme et une grande inventivité chez les personnels de l'éducation nationale. Je tiens à leur rendre hommage pour avoir joué le jeu dès le départ.

En parallèle, nous avons été confrontés au problème du calibrage de l'enseignement à distance : il ne faut donner ni « trop » ni « pas assez » de travail aux élèves. Ainsi, certaines familles nous ont rapidement fait observer qu'elles étaient submergées par la charge de travail. Nous avons rapidement cherché à réguler les « flux » pédagogiques en nous appuyant sur les recteurs - que je rencontre trois fois par semaine en visioconférence - et les corps d'inspection, ce qui a permis d'aboutir à une masse de travail plus équilibrée dans les jours suivants.

Pour autant, il faut veiller à ne pas laisser de « trous dans la raquette ». C'est le problème plus grave encore de ces élèves qui ne peuvent pas bénéficier des dispositifs de formation à distance. Assez rapidement, j'ai demandé que les recteurs, les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen) et les chefs d'établissement se mobilisent pour que chaque enfant « décrocheur » puisse être contacté par téléphone au moins une fois par semaine. Ce système a permis de joindre la plupart des familles, notamment parmi les plus défavorisées, même si on estime, selon les premières enquêtes, qu'il y aurait 5 % à 8 % d'élèves, des lycées professionnels notamment, qui ne seraient pas en mesure aujourd'hui de suivre le même enseignement que les autres.

Pour lutter contre la fracture numérique, le Gouvernement a engagé plusieurs actions.

Je pense évidemment aux prêts et aux dons de tablettes, parfois sur l'initiative spontanée des collectivités locales. Il s'agit d'un travail interministériel qui mobilise également Julien Denormandie et Adrien Taquet.

Je pense aussi à l'accord conclu avec La Poste pour que celle-ci imprime et envoie au domicile des élèves qui en auraient besoin des contenus pédagogiques élaborés par les enseignants, avec une enveloppe T pour la réponse, permettant un envoi gratuit pour la famille. Ce système novateur devrait porter ses fruits au cours des prochaines semaines.

Nous avons également lancé l'opération « Nation apprenante », qui incite les médias - audiovisuel public et privé, presse nationale et presse quotidienne régionale - à créer une « atmosphère » éducative en diffusant des contenus qui doivent avoir un rapport avec les programmes de l'éducation nationale, avec une validation par une cellule constituée d'inspecteurs. Le programme le plus emblématique est probablement celui de La Maison Lumni sur France 4. France Culture diffuse également des émissions à destination des élèves de première qui préparent l'oral du bac sur les oeuvres au programme. Je ne peux pas évoquer tous les projets en détail, mais je tiens à citer le réseau Canopé, qui contribue également à développer les ressources pédagogiques auprès des élèves. Le site Éduscol du ministère recense les ressources mises à disposition. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la dimension internationale, puisque des échanges d'expériences ont lieu avec les autres ministres de l'Union européenne et ceux de la francophonie, ainsi qu'avec l'Unesco et l'OCDE. Ces comparaisons internationales doivent nous permettre de partager nos initiatives et de nous améliorer.

J'ai évoqué les enjeux auxquels nous devons faire face : la réussite pédagogique et l'inclusion sociale. Nous pouvons encore progresser, afin de ramener dans le circuit pédagogique l'ensemble des élèves, notamment ceux des lycées professionnels. Les gestes professionnels ne sont pas faciles à transmettre à distance. Là aussi, les professeurs font preuve de nombreuses initiatives.

Dernière chose, nous avons mis en place des dispositifs de soutien scolaire pour cette période de crise, mais aussi pour l'après-crise. Ainsi, le dispositif « Vacances apprenantes » permettra aux élèves qui le souhaitent, au cours de la seconde semaine des vacances de printemps, de bénéficier de six heures d'enseignement personnalisé à distance, par petit groupe de un à six élèves. Ce soutien sera proposé à tout élève qui en fait la demande. Il doit notamment permettre de raccrocher les élèves qui n'ont pas pu profiter de la continuité pédagogique dès le début du confinement. Nous développerons également des modules de soutien scolaire durant l'été. Enfin, nous envisageons de relancer les colonies de vacances sous une forme renouvelée durant la période estivale.

M. Jacques Grosperrin. - Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier d'avoir entendu les observations des sénateurs du groupe Les Républicains, ainsi que celles des membres du bureau de notre commission, au sujet de la carte scolaire, et ce d'autant qu'il était évidemment très compliqué pour vous de l'élaborer dans ce contexte de crise sanitaire.

Nous réclamions un moratoire, dans la mesure où la plupart des maires n'ont pas encore pris leurs fonctions. Or vous avez annoncé, il y a quelques jours, qu'il n'y aurait aucune fermeture de classes dans les communes de moins de 5 000 habitants. Il s'agit d'un symbole fort pour la ruralité, mais aussi d'une décision qui redonne le pouvoir décisionnel aux élus. Il faudra veiller à ne pas dresser les territoires les uns contre les autres, en particulier les zones rurales contre les zones urbaines, car ces dernières souffrent aussi.

Pourquoi avoir retenu ce seuil de 5 000 habitants, monsieur le ministre ? Chacun sait que l'Insee considère qu'une commune rurale est une unité urbaine de moins de 2 000 habitants.

Votre ministère a annoncé la création de 1 248 postes dans le premier degré, en plus de la création des 440 postes déjà prévus. Ces postes seront-ils créés par voie de concours ou ferez-vous appel à des contractuels ? Quelles seront les implications budgétaires de cette annonce ? Une redistribution des crédits entre les différentes actions et les différents programmes de la mission « Enseignement scolaire » est-elle prévue, ou s'agit-il d'une augmentation nette de postes ?

Alors que les priorités du Gouvernement dans le cadre du futur plan de sortie de crise iront certainement à la santé et à la reprise économique, nous nous interrogeons également sur la pérennité et la continuité d'un certain nombre de réformes. Je pense au dispositif « Plus de maîtres que de classes », qui n'a d'ailleurs pas démontré sa pleine efficacité, à l'école inclusive ou au dédoublement des classes.

Ma deuxième question porte sur la session du bac de septembre 2020. Nous avons compris que les notes obtenues dans le cadre du contrôle continu, à l'exception de celles qui sont recueillies au cours de la période de confinement, seront prises en compte aux premier et deuxième trimestres, voire au troisième. Quid de ces élèves, qui ont actuellement une moyenne ne leur permettant pas d'avoir le bac, alors qu'ils réussiraient, en intensifiant leurs efforts quelques semaines avant le bac - le fameux « bachotage » -, à décrocher leur diplôme ? Estimez-vous que le nombre de redoublants de terminale sera supérieur cette année, sachant qu'une augmentation du nombre de redoublants aura mathématiquement des répercussions sur l'organisation des classes et les emplois du temps des terminales à la rentrée 2020 ?

En temps normal, combien de candidats se présentent-ils à cette session ? Quelles sont les projections pour la session de septembre 2020 ? On peut penser que le nombre de candidats sera plus important. Dès lors, comment les chefs d'établissement concilieront-ils l'organisation de cette session du bac et la rentrée scolaire ?

M. Antoine Karam. - Monsieur le ministre, en tant que rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole, technique et professionnel, je souhaite vous interroger sur les difficultés spécifiques rencontrées par cet enseignement dans le cadre de certaines formations à distance. En effet, si l'enseignement à distance de certaines matières, comme les mathématiques ou encore l'histoire-géographie, est possible, il est beaucoup plus complexe à mettre en oeuvre pour les matières nécessitant des travaux pratiques. Je pense par exemple aux formations en menuiserie, en ébénisterie ou encore en horticulture. Comment faire en sorte que ces enseignements soient correctement assurés, tant sur le volet théorique que pratique ?

Ma deuxième question porte sur les diplômes certifiants. Les compétences sont évaluées via le contrôle en cours de formation (CCF). Les élèves passent ces contrôles lorsqu'ils atteignent le niveau de compétence technique nécessaire. Le CCF permet de certifier que l'élève en formation a bien acquis le geste technique, la compétence et le savoir-faire professionnel : il est donc essentiel pour leur employabilité. Or, cette année, il est prévu que, en l'absence d'évaluation en CCF, les notes seront obtenues à partir de celles du livret. Pour les entreprises, comment s'assurer que l'élève diplômé possédera bien le geste technique et non la seule connaissance théorique de ce dernier ? Comment garantir aux futurs diplômés que leur formation certifiante ne sera pas moins cotée sur le marché du travail que celle des autres années ?

Enfin, certains syndicats de l'enseignement agricole ont vivement réagi à vos annonces, car ils doutent d'une concertation effective entre votre ministère et celui de l'agriculture : pourriez-vous nous éclairer sur ce point et nous assurer que cette concertation a bien eu lieu entre les deux ministères ?

M. Claude Kern. - Je tiens également à saluer les enseignants pour leur contribution, leurs efforts et l'ingéniosité dont ils font preuve dans cette période exceptionnelle.

Monsieur le ministre, la crise que nous traversons affecte aussi les établissements d'enseignement français à l'étranger. Certains parents seront - ou sont déjà - confrontés à des difficultés pour payer les frais de scolarité. Or ceux-ci sont une source de financement essentielle pour les établissements du réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

Quelles mesures avez-vous prises pour les aider à affronter cette situation ? Est-il envisageable que ces établissements puissent bénéficier du fonds de soutien créé pour faire face à l'épidémie de Covid-19 ?

Je redoute l'effritement des effectifs du corps enseignant à l'étranger puisque, on le sait, de nombreux enseignants ont été rapatriés ou ont demandé leur rapatriement, et que certains d'entre eux ont même quitté leur poste sans prévenir leur hiérarchie ou l'ambassade dont ils dépendent. Quelles dispositions comptez-vous prendre en ce qui les concerne ? Surtout, comment comptez-vous compenser ce manque d'effectifs dans l'immédiat et à la reprise ?

Enfin, pour faire face à la fracture numérique, avez-vous imaginé des solutions de téléenseignement dans les pays où le réseau internet est peu développé ?

M. Jacques-Bernard Magner. - Monsieur le ministre, je voudrais vous faire part de ma satisfaction de vous avoir entendu parler du renouveau des colonies de vacances qui, on le sait, sont très utiles pour les enfants des couches populaires. Malgré ces circonstances malheureuses, il faut saisir l'occasion d'apporter notre soutien au réseau associatif.

En tant que rapporteur des crédits de la jeunesse et de la vie associative, je souhaite vous interroger sur l'organisation du service national universel (SNU) pour 2020.

En effet, la phase des quinze jours de cohésion des volontaires du SNU actuellement en classe de seconde devait se dérouler du 22 juin au 5 juillet. Comme chaque année, en raison du baccalauréat, ces élèves de seconde ne devaient plus avoir cours à cette période de l'année. Or vous avez annoncé que tous les lycéens auraient cours jusqu'au 4 juillet pour tenter de rattraper, au maximum, le retard dû à la période de confinement.

Nous comprenons cette décision, mais le recul de la fin effective de l'année scolaire a des conséquences directes sur le SNU. Nombre de jeunes concernés par le SNU devaient être logés pendant la phase de cohésion dans des centres d'accueils collectifs pour mineurs, à l'exemple des colonies de vacances ou des centres de loisirs. Or ceux-ci ne seront certainement pas libres après le 4 juillet. Pouvez-vous nous en dire plus sur les dates de la phase de cohésion ? On peut en effet raisonnablement penser que les centres devant les accueillir seront utilisés tout l'été.

En 2020, l'expérimentation du SNU devait être généralisée à l'ensemble des départements et concerner 30 000 jeunes. Ne pourrait-on pas annuler l'édition 2020 et reporter cette généralisation à l'année prochaine ? Cela permettrait de redistribuer des crédits, ce qui peut être utile dans le contexte actuel. Pour rappel, le SNU représente un coût estimé entre 30 et 45 millions d'euros en 2020.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Monsieur Grosperrin, nous avons dû revoir, de manière exceptionnelle, nos prévisions de rentrée en ce qui concerne la carte scolaire, mais nous l'avons fait dans une direction et un esprit qui ne font qu'accélérer la mise en oeuvre de notre politique : notre objectif est d'augmenter les moyens de l'enseignement primaire pour rattraper notre retard par rapport aux autres pays de l'OCDE. C'est pourquoi, rentrée après rentrée, nous investissons dans le primaire, en créant des postes, alors même que le nombre d'élèves diminue, notamment en milieu rural, ce qui nous oblige parfois à fermer des classes.

Le Président de la République s'est engagé l'année dernière à ne plus fermer d'écoles sans le consentement du maire, à dédoubler les classes de grande section de maternelle dans les zones REP (Réseaux d'éducation prioritaire) et REP + - le plus souvent en milieu urbain, mais parfois aussi en milieu rural - et à limiter à vingt-quatre élèves les effectifs des classes de grande section de maternelle, de CP et CE1 dans toute la France. L'objectif de non-fermeture d'écoles ne signifie pas qu'il n'y aura plus de fermetures de classes : celles-ci sont parfois nécessaires - ne serait-ce que pour des raisons d'équité - pour corriger les déséquilibres entre les territoires dus aux évolutions démographiques. Le gel des fermetures de classes est donc une mesure exceptionnelle qui vise à envoyer un message de soutien à tous les territoires.

N'opposons pas les territoires ruraux et les territoires urbains. La mesure ne concerne pas que les territoires ruraux, mais toutes les communes de moins de 5 000 habitants. On peut toujours discuter évidemment du seuil retenu, mais l'idée est, de manière pragmatique, de viser les petites communes, celles où le risque est de voir fermer des classes sans ouverture par ailleurs. Dans ces communes, aucune fermeture de classe ne pourra intervenir sans l'accord du maire. Dans les communes de plus de 5 000 habitants, nous prenons l'engagement - c'est nouveau - que le solde des ouvertures et des fermetures se traduira par une amélioration du taux d'encadrement. Ces communes sont donc aussi gagnantes.

Une tribune parue dans la presse dimanche dernier et signée par certains maires de Seine-Saint-Denis m'a beaucoup surpris, car elle émane de maires de communes où les taux d'encadrement ont augmenté, atteignant même des niveaux historiques. J'y ai répondu lors de la dernière séance des questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale. Les créations de postes sont nombreuses en Seine-Saint-Denis, comme dans le reste de la France d'ailleurs, et, dans beaucoup de communes de ce département, le nombre d'élèves par classe sera inférieur à vingt à la rentrée. Je suis prêt à examiner toute situation où il n'y aurait pas une amélioration du taux d'encadrement dans une commune de plus de 5 000 habitants concernée par une fermeture de classe. Autant il était absurde de nous accuser de favoriser la ville par rapport aux campagnes, lorsque nous avons annoncé notre effort en faveur des zones REP et REP+, autant nous accuser maintenant de favoriser les campagnes par rapport aux villes n'a pas de sens ! Nous avons la même bienveillance pour toutes les parties de notre territoire. Nous nous ajustons en fonction des besoins.

Cela aboutit à des créations de postes que l'on pourra constater partout à la rentrée prochaine. Il s'agit de créations nettes qui se traduisent par des crédits supplémentaires, conformément à un arbitrage budgétaire du Premier ministre. Les concours de recrutement seront maintenus, même s'ils seront évidemment aménagés pour tenir compte des circonstances. Ils auront lieu en juin et juillet. Nous en arrêterons les modalités d'ici à la fin de la semaine. Nous aurons aussi recours, comme chaque année, aux concours spéciaux, sans doute avec une plus grande ampleur, notamment dans les académies de Versailles et de Créteil, les plus concernées par ces concours.

Je vous remercie d'avoir souligné que ces adaptations de la carte scolaire étaient, en partie, une réponse aux attentes du Sénat. J'avais en effet été interpellé au Sénat à ce sujet. Celui-ci a donc joué un rôle important, en accord avec le Gouvernement et l'Assemblée nationale. Toutefois, il ne s'agit pas d'un virage, mais plutôt d'une accentuation de notre politique pour créer des postes d'enseignants dans le premier degré, soutenir les REP et les REP+, ainsi que la ruralité, dans le cadre des contrats départementaux de ruralité, que connaît bien le sénateur Duran.

Vous m'avez aussi interrogé sur le baccalauréat et la session de septembre. Je ne reviens pas sur les motifs qui nous ont conduits à proposer cette formule cette année. La session de septembre est renforcée. Elle constitue un filet de sécurité et un point de repère. Le maintien de cette session finale constitue aussi la preuve que nous ne voulons pas en finir, à la faveur des circonstances exceptionnelles, avec la forme classique du baccalauréat. Son format évoluera en 2021, mais de manière équilibrée, avec 60 % de la note qui résultera du contrôle final et 40 % du contrôle continu. La crise n'entraîne donc pas d'évolution de notre doctrine, même si elle permet de montrer les vertus du contrôle continu.

La session de septembre sera organisée de façon classique, mais le nombre de candidats sera plus élevé puisqu'elle sera ouverte aux candidats libres et aux candidats dont la moyenne est inférieure à 8 sur 20 au contrôle continu, si le jury d'examen estime qu'ils ont fait preuve d'assiduité et de motivation. Pour mémoire, j'avais pris une mesure similaire l'an dernier lorsque j'avais reporté d'une semaine le brevet en raison de la canicule : à titre exceptionnel, les élèves qui n'avaient pu le passer avaient pu se présenter à la session de septembre. Il est probable que cette session commencera à la fin du mois d'août afin de ne pas trop perturber la rentrée. Je serai plus précis sur ces points au cours des prochains jours, notamment lorsque j'aurai consulté les organisations syndicales. Je ne pense pas que le nombre de redoublants augmentera. Le contrôle continu ne me semble pas plus sévère que l'examen final. Il aura peut-être, en revanche, un effet sur le nombre de mentions délivrées, qui risque de diminuer. Les jurys seront souverains et pourront améliorer les notes de certains élèves qui sont scolarisés dans des établissements qui notent plus sévèrement et qui auraient sans doute pu obtenir une mention si l'examen final avait été maintenu. Nous allons définir des repères objectivés pour permettre aux jurys de procéder aux harmonisations.

Monsieur Karam, l'annonce des modalités du baccalauréat a été précédée d'une concertation étroite avec le ministère de l'agriculture pour tenir compte des spécificités de l'enseignement agricole. Comme pour l'enseignement professionnel, la question est d'évaluer la transmission du geste technique dans le cadre d'un enseignement à distance. Les notes obtenues par le CCF seront prises en compte par les jurys. Par bienveillance envers les élèves, nous devrons avoir une moins grande exigence sur la durée du stage, puisque certains stages auront été interrompus. Le geste professionnel sera évalué sur la base des appréciations obtenues lorsqu'il aura pu être démontré avant la période de confinement, mais aussi après, je l'espère.

Je n'ai jamais affirmé que la rentrée aurait lieu le 4 mai. J'ai simplement dit que c'était le scénario qui avait ma préférence. Je continue à espérer que la reprise des cours pourra intervenir en mai : ce n'est pas une hypothèse impossible, mais nous sommes dépendants de l'évolution de l'épidémie et de l'avis des autorités sanitaires. Dans ce cas, les élèves pourront avoir des notes au troisième trimestre qui compteront pour le contrôle continu. Les notes obtenues pendant le confinement ne seront pas prises en compte pour ne pas accroître les inégalités, mais cela ne signifie pas que les élèves ne doivent pas travailler pendant cette période. Au contraire ! Cela les aidera à obtenir de meilleures notes au troisième trimestre. Nous avons supprimé l'épreuve terminale du baccalauréat qui devait avoir lieu en juin pour permettre aux élèves de retourner en classe à la fin de l'année et de rattraper, autant que possible, le retard. Si la rentrée est possible, les élèves auront classe jusqu'au 4 juillet et l'assiduité sera prise en compte pour l'obtention du diplôme.

Les élèves de l'enseignement agricole et professionnel, qui doivent faire la preuve qu'ils ont bien acquis certains gestes professionnels, pourront le faire au cours du troisième trimestre, si le retour au lycée est possible. Si tel n'est pas le cas, ils pourront être évalués sur la base de leur bulletin scolaire et du CCF. Ceux qui poursuivront leur scolarité en BTS pourront consolider leurs connaissances au début de la rentrée prochaine. J'en profite, à cet égard, pour indiquer qu'en début d'année les élèves, de tous les niveaux, seront évalués pour permettre une personnalisation des parcours et faciliter le rattrapage si besoin. Quant aux élèves qui partiront directement travailler en entreprise - une petite moitié d'entre eux -, notre relation avec les entreprises, dans un contexte économique particulier, devrait permettre de parvenir à une certaine fluidité entre les compétences acquises pendant la scolarité et les compétences mobilisées en entreprise, à l'image de ce qui se passe en période ordinaire.

Monsieur Kern, dès le début de la crise, Jean-Yves Le Drian et moi-même avons été très attentifs à la situation des établissements d'enseignement français à l'étranger. Nous avons même été parfois conduits à les fermer sans attendre que le pays d'accueil décide un confinement. Les lycées de l'AEFE, comme tous les lycées français, bénéficient du système d'enseignement à distance. C'est d'ailleurs en Chine que le dispositif « Ma classe à la maison » a été lancé en premier. Vous avez évoqué plusieurs facteurs de fragilisation des établissements liés à la crise ainsi que la problématique du retour des enseignants dans l'Hexagone. Nous travaillons avec l'AEFE et la Mission laïque française, en lien avec le ministère des affaires étrangères, pour permettre un retour à la normale et une reprise de poste dès la rentrée, en fonction des pays. Nous devrons aussi tirer les enseignements de la crise, notamment en ce qui concerne l'enseignement à distance. Celle-ci a révélé l'existence d'une fracture numérique. Nous travaillons avec les opérateurs de téléphonie pour pouvoir installer « Ma classe à la maison » sur les téléphones portables afin de surmonter les difficultés de connexion dans certains pays.

Monsieur Magner, il est évident que le SNU ne pourra se dérouler tel qu'il était initialement prévu. Nous devons travailler sur la base de scénarios en fonction de la date de fin de confinement. Je n'opposerai pas le SNU avec le service civique, car le SNU pourrait s'avérer utile dans la période actuelle. On pourrait ainsi imaginer des articulations nouvelles. Pourquoi ne pas autoriser des jeunes volontaires de 16 ans à participer, au titre du SNU, à des missions du service civique ? Il s'agit de pistes qui pourraient être mises en oeuvre, sinon dans l'immédiat, du moins dans la seconde partie de l'année ou en 2021. Le SNU semble en tout cas plus pertinent que jamais, même si ses modalités devront évidemment être adaptées en raison des circonstances : son objectif n'est-il pas de renforcer la résilience et de développer la capacité d'agir dans un tel contexte ?

Merci pour votre soutien sur les colonies de vacances. J'avais déjà évoqué la nécessité de leur donner un nouveau souffle. Les circonstances nous forcent à accélérer, selon des modalités que nous préciserons bientôt, en lien avec tous les acteurs, le monde associatif, l'éducation populaire, les collectivités locales, etc. Vos propositions seront aussi les bienvenues. Nous devons parvenir à augmenter le nombre d'enfants qui partent en colonie de vacances, pour des durées accrues, dans un cadre qualitatif meilleur, dans un rayon géographique qui ne soit pas trop éloigné du domicile, tant en raison des circonstances que pour des raisons écologiques et pour faciliter la découverte de l'environnement de la région. J'espère que les conditions sanitaires nous permettront de faire de belles choses cet été.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci monsieur le ministre d'avoir souligné le rôle du Sénat sur la carte scolaire. Je vous avais écrit au nom du bureau de notre commission qui se réunit tous les lundis en cette période de crise. Nous avions eu un long débat sur le sujet. Vous nous avez répondu très rapidement et je vous en remercie.

Mme Françoise Laborde. - Monsieur le ministre, vous avez déjà répondu à plusieurs questions que je voulais vous poser, notamment sur la carte scolaire et le seuil des 5 000 habitants. Je veux attirer votre attention sur les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased). On m'interroge beaucoup sur ce sujet, ainsi que sur les auxiliaires de vie scolaires (AVS) et les commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) chargées d'intégrer les nouveaux enfants : pourront-elles se réunir ?

Vous avez évoqué la date de la rentrée et le soutien scolaire, sujet très important. Je veux aussi vous interroger sur l'articulation entre la session du baccalauréat de septembre et les inscriptions sur la plateforme Parcoursup. La session de septembre peut être utile pour les candidats libres ou ceux qui souhaitent profiter des vacances pour bachoter. Mais comment sera réalisée l'articulation avec Parcoursup ?

Vos réponses sur l'enseignement agricole ont été très claires. Le ministre de l'agriculture nous a d'ailleurs indiqué ce matin que vous aviez agi en étroite concertation.

Enfin, mon collègue Max Brisson et moi-même menons une réflexion sur les directeurs d'école. La situation actuelle illustre l'importance de leur mission. Il convient d'avancer sur la question de leur statut et de leur rémunération.

M. Laurent Lafon. - Vous avez annoncé le maintien des oraux du baccalauréat de français. Les modalités de déconfinement étant incertaines, est-ce définitif ?

Au sujet des colonies de vacances éducatives, pour la plupart associatives ou organisées par les collectivités, le flou entourant la fin du confinement ne permet pas de passer les commandes publiques, en particulier pour le mois de juillet. Il importe donc d'informer les maîtres d'oeuvre le plus rapidement possible.

M. Olivier Paccaud. - Nous avons salué la conscience professionnelle remarquable du corps enseignant, mais qu'en est-il des masques et des équipements de protection destinés aux professeurs volontaires ? Du matériel commence à être livré dans les écoles depuis quelques jours. Existe-t-il une doctrine claire en la matière au niveau de l'éducation nationale ?

Il existe deux catégories de « perdus » du confinement, dont le nombre est évalué entre 5 % et 10 % : les élèves souffrant de la fracture numérique et les élèves issus de milieux modestes. Certaines collectivités peuvent fournir du matériel. Vous avez évoqué la mise en place de stages de remise à niveau pendant les vacances de printemps. Or, ce sont principalement ces élèves en fracture numérique ou issus de milieux modestes et qui rencontrent des difficultés pour accéder à l'enseignement à distance qui en ont le plus besoin. L'éducation nationale prévoit-elle de mettre en place une politique spécifique en faveur de ces publics ?

Je veux également insister sur les élèves victimes de violences familiales, qui ne peuvent plus être signalés. Des actions sont-elles menées pour y remédier ?

Enfin, je me fais le porte-parole du sénateur Piednoir, qui demande de clarifier la situation des candidats libres ou hors contrat au baccalauréat.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Madame Laborde, le sort des élèves en situation de handicap ou à besoins particuliers est complexe dans la période actuelle. Les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) n'ont pas vocation à aller à domicile. Chaque élève est un cas particulier, et nous avons fait le maximum, avec Sophie Cluzel, pour que les familles se sentent soutenues. Des mesures de souplesse en matière de confinement sont accordées, notamment en faveur des enfants autistes. À la rentrée scolaire, nous aurons plus que jamais besoin des compétences psychologiques, notamment des Rased. Il convient de renforcer la mobilisation de ces compétences.

S'agissant des examens, les jurys de la session de juin-juillet peuvent se prononcer sur les candidats qui émanent d'une institution délivrant un livret scolaire. C'est valable pour l'enseignement public, l'enseignement privé sous contrat et hors contrat. Bien sûr, le jury sera juge de la qualité et du sérieux de ce livret. Cette crise est d'ailleurs l'occasion d'un rapprochement d'une partie du secteur hors contrat avec l'éducation nationale. Nous ne voulons léser aucun élève, être dans la bienveillance de tous envers tous ; les solutions les plus favorables pour passer les examens sont à chaque fois retenues. L'ouverture de la session de septembre aux candidats libres leur offre une solution. Celle-ci ne devrait pas être si chargée, les candidats libres inscrits au CNED possédant un livret scolaire.

Pour ce qui est de l'admission dans l'enseignement supérieur, les commissions rectorales permettront plus largement les ajustements nécessaires.

L'oral du baccalauréat de français, monsieur Lafon, est le seul examen terminal qui demeure, principalement parce qu'il ne fait pas l'objet d'un contrôle continu. Nous souhaitons également envoyer le signal du maintien d'un examen terminal du baccalauréat lorsque les conditions pratiques et sanitaires le permettent. Enfin, pour des raisons pédagogiques, nous incitons ainsi les élèves de première à continuer à travailler. Nous envoyons des signaux à la fois de non-stress et de travail. Bien entendu, si les conditions du retour à la normale après le confinement ne permettent pas d'organiser cet oral, nous pourrions retenir la note de contrôle continu en français ou organiser un oral au cours de l'année scolaire prochaine ; mais nous n'en sommes pas là. Nous avons en outre réduit le nombre de textes à préparer - 15 pour la voie générale, 12 pour la voie technique.

Pour ce qui est des colonies de vacances éducatives, nous souhaitons que la collaboration entre l'État et les collectivités locales permette un certain volontarisme. Les circonstances exceptionnelles autorisent des formes juridiques particulières.

Monsieur Paccaud, l'accueil des enfants de soignants est une préconisation de l'OMS (Organisation mondiale de la santé). Nous suivons les recommandations des autorités de santé concernant les gestes barrières, la distanciation ; c'est pourquoi les groupes sont limités à dix. Environ 30 000 enfants sont accueillis chaque jour. Le port du masque n'est pas considéré comme l'élément principal de protection dans ces circonstances. Néanmoins, dès lors que les masques sont en quantité suffisante pour les personnels soignants, l'éducation nationale en a commandé pour ses établissements.

Concernant les « perdus » du confinement, nous prenons des initiatives pour offrir ou prêter du matériel, en lien avec les collectivités locales et avec les associations, qui prendront une ampleur particulière pendant les vacances de printemps. Nous travaillons avec Julien Denormandie sur cette question, pour utiliser certains moyens au titre de la politique de la ville ou des Cités éducatives.

Nous avons pris à bras-le-corps, avec Adrien Taquet, la question des violences intrafamiliales, dont l'éducation nationale est ordinairement le premier vecteur de signalement. Dans « Ma classe à la maison » figure à présent un bandeau sur le 119 et une nouvelle campagne de sensibilisation a été lancée. Le personnel est appelé à se mobiliser au moindre soupçon.

Je rappelle pour finir qu'une foire aux questions est actualisée en permanence par une cellule de crise sur le site du ministère, les réponses qui y figurent ont valeur de circulaire.

Mme Marie-Pierre Monier. - Mme Claudine Lepage, dont je relaie la question, souhaite savoir si la session de septembre concerne aussi les candidats libres hors réseau de l'AEFE.

J'attire votre attention sur le cas des agriculteurs qui n'ont pas de solution de garde pour leurs enfants. Ceux-ci pourraient-ils être accueillis à l'école ?

Les AESH sont-ils au chômage partiel ? Qu'est-il prévu pour les familles bénéficiant habituellement de leur aide ? Certains, sur la base du volontariat, ont pu garder des élèves. Est-ce envisageable ?

Qu'en est-il du calendrier d'affectation au lycée Affelnet ?

L'école à la maison révèle les inégalités sociales et territoriales. Selon un sondage, 70 % des enseignants redoutent le décrochage des élèves fragiles. Dans la mesure où il est difficile d'aborder de nouvelles notions à distance, que prévoyez-vous à l'issue de la crise pour ces élèves décrocheurs ? Instaurerez-vous des cours spécifiques destinés aux élèves présentant le baccalauréat au rattrapage en septembre ?

Le travail, la mobilisation et l'implication des enseignants sont exemplaires, soulignés par tous. Le temps n'est-il pas venu, monsieur le ministre, de leur montrer notre reconnaissance à travers une véritable revalorisation salariale ? Nous saluons la création de postes adaptés dans le premier degré. Maintenez-vous la suppression de 400 postes dans le secondaire ? Enfin, qu'en est-il du statut des professeurs stagiaires et des affectations dans le second degré ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'élargis la question de Mme Monier sur l'accueil des enfants d'agriculteurs à celui des enfants des agents de La Poste, à l'origine de l'absentéisme souligné hier en audition par Philippe Wahl.

M. Max Brisson. - En dépit de la continuité pédagogique, en particulier pour les plus défavorisés, rien ne remplace l'école. Pour y remédier, vous avez annoncé des stages de remise à niveau pendant les vacances d'été et de printemps. Pouvez-vous nous en dire plus sur leur organisation, leur durée, leur public ? Le dispositif sera-t-il limité en raison de son coût ? Connaissez-vous le nombre d'élèves inscrits à ces stages en zone C et celui des enseignants mobilisés ?

Est-il prévu l'année prochaine une adaptation des progressions pour tenir compte des défauts d'apprentissage ? Les programmes étant désormais construits autour de la notion de cycle couvrant plusieurs années scolaires, n'est-ce pas le cadre approprié pour envisager les indispensables remédiations ?

Finalement, vous pourriez devenir, en ces circonstances douloureuses, le ministre de la reconquête pédagogique du mois de juin dans les lycées, d'une forte instillation de contrôle continu au baccalauréat et d'une scolarité par cycles plus ancrée.

Je conclus par une question de Laure Darcos : les livrets scolaires des établissements hors contrat, rarement numérisés, pourront-ils être consultés sur support papier par les jurys ?

Mme Céline Brulin. - Face à la crainte de l'accroissement des inégalités scolaires, nous saluons l'engagement remarquable des enseignants. Des mesures exceptionnelles doivent être prises. Si je me réjouis de l'annonce de créations de postes et de fermetures annulées en zones rurales, il ne faut pas oublier les milieux urbains. Je soutiens le principe de ne fermer aucune classe en éducation prioritaire. Dans mon département, mais il n'est pas le seul, les mesures d'ouverture et de fermeture conduisent à des effectifs de plus de 25 élèves par classe en éducation prioritaire, où les efforts devront pourtant être accrus. En outre, une réflexion au niveau de la commune du solde entre ouvertures et fermetures pour calculer le taux d'encadrement ignore les inégalités entre les quartiers. Il faudrait privilégier une approche quartier par quartier, voire école par école pour les corriger.

Enfin, concernant l'enseignement à distance, des consignes pédagogiques claires sont-elles données aux équipes de consolider les notions acquises, mais sans en aborder de nouvelles, afin de ne pas renforcer les inégalités scolaires ?

M. Damien Regnard. - Concernant les élèves des établissements d'Asie du Sud-Est passant le baccalauréat cette année, comment sera évalué le contrôle continu, dans la mesure où ils n'ont eu qu'un trimestre de cours ?

Plus de 99 % des établissements à l'étranger sont fermés, certains depuis fin janvier, et aucune réouverture n'est prévue avant la rentrée. Outre la crise sanitaire, ces pays subissent une crise économique considérable, ce qui menace l'équilibre financier des établissements français : à court terme, les parents ne peuvent plus faire face et estiment que l'enseignement à distance ne justifie pas les frais de scolarité demandés pour le deuxième et le troisième trimestres ; à moyen terme se dessine une baisse du nombre de nos ressortissants à l'étranger pour la rentrée prochaine, qui s'annonce donc très difficile, d'autant que nos établissements disposent au mieux de trois mois de trésorerie. J'ai déjà fait part de ce constat préoccupant au directeur de l'AEFE, M. Brochet, ainsi qu'au secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne. Les parents et les chefs d'établissement ont besoin d'être rassurés : le message que tout sera mis en oeuvre pour sauver le réseau doit leur être envoyé.

En attendant, nous nous mobilisons pour trouver des solutions : le sénateur del Picchia a déposé une proposition de loi suggérant de faire appel à la solidarité nationale. De mon côté, je souhaite vous interroger sur la faisabilité de certaines mesures de soutien.

Pour les communautés françaises uniquement, peut-on modifier le calcul des bourses en prenant en compte non pas l'année n-1, mais l'année n, avec un abondement important de l'enveloppe des bourses ?

Peut-on envisager la prise en charge des salaires par le ministère de l'éducation nationale pour les établissements gérés directement (EGD) par l'AEFE et les établissements conventionnés ? Pour les établissements partenaires, dans quelle mesure le code de l'éducation pourrait-il être assoupli pour permettre des subventions de fonctionnement ? Cela pourrait passer par des conventions temporaires avec ceux-ci.

Peut-on envisager la prise en charge par l'État des pensions civiles aujourd'hui réglées par l'AEFE et qui représentent 74 % de la masse salariale ?

Enfin, peut-on suspendre la participation à la rémunération des résidents (PRR) et la participation forfaitaire complémentaire (PFC) perçue par l'AEFE pour 2020 et 2021, ce qui permettrait aux établissements de dégager une trésorerie importante ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente- Une autre question se posait concernant les enseignants affectés à l'étranger rentrés en France sans l'autorisation de leur hiérarchie. Leur situation va-t-elle être régularisée ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Concernant les solutions d'accueil pour les enfants d'agriculteurs, j'approuve évidemment l'inspiration de la question de Mme Monier, mais ce qu'a ajouté madame la présidente au sujet des enfants des salariés de La Poste souligne la difficulté de la situation : de nombreuses professions pourraient légitimement demander à bénéficier du dispositif, mais si on accédait à leur demande, on finirait par rouvrir les écoles, en contradiction avec ce que nous prônons. Le dispositif a déjà été élargi aux enfants des membres des forces de sécurité intérieure, ce qui est déjà assez considérable, car cet accueil est ouvert du lundi au dimanche. Je ne dis pas que ce serait infaisable, mais ce serait ouvrir la boîte de Pandore, au risque de rendre la situation ingérable. À l'origine, je rappelle que nous avons suivi une recommandation de l'OMS visant à faciliter la disponibilité des personnels soignants.

S'agissant des AESH, ils ne sont pas au chômage partiel et continuent d'être rémunérés. L'objectif est qu'il puisse naturellement reprendre leur activité. Certains d'entre eux se sont portés volontaires pour participer aux dispositifs d'accueil et ils percevront à ce titre les primes prévues. Je tiens à signaler que le mécanisme de primes a été conçu postérieurement à l'appel au volontariat, les volontaires se sont donc manifestés spontanément et je tiens à leur rendre hommage.

S'agissant d'Affelnet, le calendrier normal devrait pouvoir être respecté, puisque le dispositif est conçu pour être totalement numérisé. La consigne donnée aux principaux de collège est donc que les professeurs principaux puissent être contactés par les élèves, de même que les conseillers d'orientation. L'objectif est de respecter les délais, afin que les affectations respectent les premiers voeux des familles, dans l'intérêt de tous.

Plusieurs d'entre vous ont demandé comment nous allions gérer les progressions et les éventuels retards dans les apprentissages. Dans cette période, le principe de base - qui est d'ailleurs universel, puisqu'il est appliqué par exemple au Japon ou en Corée du Sud - est la consolidation des savoirs déjà acquis, plutôt que la progression vers de nouvelles connaissances. On n'empêchera pas que certains élèves progressent rapidement dans cette période, parce que leur environnement familial est favorable, quand d'autres stagnent, voire régressent : on essaie de l'éviter, mais il faut être lucide. C'est pourquoi il faut prévoir des mécanismes de remédiation : c'est le sens des stages prévus pendant les vacances de printemps, à distance, et pendant les vacances d'été, en présentiel. Donc, les consignes pédagogiques pour la période actuelle sont claires et nous travaillons à une personnalisation de la remédiation - les mécanismes d'évaluation en début d'année scolaire, pour les élèves de CP, CE1, sixième et seconde, devraient nous y aider, mais nous allons mettre des outils à disposition des enseignants pour l'ensemble des classes. Sur le modèle de ce qui est prévu pour les élèves de CM2, nous étendrons à tous les niveaux de classe la possibilité de stage à la fin du mois d'août, voire pourquoi pas à d'autres moments. Certaines des colonies de vacances que nous proposerons auront également une dimension scolaire sur une petite partie de la journée, mais nous en sommes encore au stade de la réflexion.

En ce qui concerne la revalorisation salariale prévue pour 2021, je tiens à dire que la crise sanitaire ne doit pas avoir pour effet de retarder le traitement des grands dossiers engagés avant son déclenchement, surtout dans un contexte où la population française est amenée à constater le rôle fondamental joué par les enseignants dans notre pays. Nous travaillons donc à cette revalorisation salariale, en lien avec les organisations syndicales, même si nos derniers entretiens étaient plutôt concentrés sur le sujet des examens. Nous avons évidemment besoin de travailler au niveau gouvernemental pour voir plus précisément comment mettre en oeuvre cette revalorisation au vu des circonstances.

Les professeurs stagiaires ont vocation à être titularisés dans les temps. D'une manière générale, notre objectif est de ne pas faire perdre une année aux personnes concernées, qu'il s'agisse des élèves ou des enseignants. Nous aménageons les dispositifs, mais sans les retarder au-delà de l'année scolaire.

Monsieur Brisson, il est évidemment plus pertinent de raisonner à l'échelle d'un cycle concernant les apprentissages et le parcours des enfants doit être adapté à la situation. Nous devons effectivement illustrer cette année l'objectif de la reconquête du mois de juin, que nous nous étions préalablement fixé. Vous avez posé la question des livrets scolaires papier : les jurys statuent de plus en plus sur des livrets numérisés, mais rien ne s'oppose à la prise en compte d'un livret papier. J'en profite pour répondre à la question de Mme Lepage sur les candidats libres hors réseau AEFE : la doctrine est claire, le livret scolaire est le point de repère des jurys ; un candidat libre inscrit au CNED a un livret scolaire. En l'absence de livret scolaire, les candidats devront se présenter à la session de septembre.

Madame Brulin, les évolutions que nous préparons ne lèsent absolument pas les zones urbaines. Concernant l'éducation prioritaire, le nombre maximal de 25 élèves par classe reste la norme et je suis prêt à examiner les cas que vous pourrez me soumettre. Certains secteurs d'éducation prioritaire connaissent une très forte baisse démographique et un principe général de non-fermeture de classes n'aurait pas de sens, ne serait-ce qu'en termes d'équité vis-à-vis d'autres zones d'éducation prioritaire. En revanche, il me paraît faisable de garantir des seuils d'encadrement pour l'éducation prioritaire.

Monsieur Regnard, effectivement, les élèves d'Asie n'ont plus de cours depuis la fin janvier. La majorité d'entre eux se sont inscrits au CNED et ils pourront tous bénéficier des rattrapages nécessaires lorsque la classe reprendra. Je fais totalement confiance aux chefs d'établissement et à leurs équipes pour mettre en place toutes les remédiations nécessaires.

En ce qui concerne l'appui administratif et financier au réseau de l'AEFE, j'ai bien noté vos suggestions. Je vais travailler avec Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Lemoyne pour envisager comment soutenir ce réseau. N'ayez aucun doute : nous le considérons comme un joyau qui ne doit pas être abîmé par la crise actuelle. Notre créativité et notre volontarisme devront l'aider à passer le cap. L'ensemble des structures scolaires du monde connaît des difficultés actuellement, c'est peut-être une occasion pour notre réseau de s'affirmer. N'oublions pas que le Président de la République a fixé l'objectif d'augmenter le nombre d'élèves à l'étranger : il ne faut pas renoncer à cette ambition, tout en restant lucide sur les conditions matérielles et financières actuelles. Le ministère des affaires étrangères et le ministère de l'éducation nationale seront amenés prochainement à présenter leur stratégie dans ce domaine.

En conclusion, je tiens à vous informer que nous allons organiser des états généraux du numérique éducatif à la rentrée prochaine, probablement à Poitiers, après avoir organisé des consultations à l'échelle de chaque académie, de façon à tirer les enseignements de la période que nous venons de vivre. Je sais que ce sujet vous intéresse - vous y avez déjà consacré plusieurs rapports et vous ne manquerez pas de produire de nouvelles contributions à la lumière de l'expérience actuelle. L'idée, comme je viens de le dire pour l'AEFE, est d'envisager comment transformer un problème en une opportunité : on voit bien, dans la situation actuelle, que le fait d'avoir un service public national de l'éducation est une force qui permet, grâce à des outils comme le CNED ou Canopé, de développer des solutions à l'échelle nationale, mais aussi de la francophonie.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cette initiative est tout à fait bienvenue, monsieur le ministre. Vous connaissez ma mobilisation personnelle sur ce sujet : j'ai eu l'occasion de souligner le fait que les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) devaient disposer de moyens pour former les formateurs sur ces questions numériques.

Avant de conclure définitivement, je vais redonner la parole à Jacques Grosperrin, puis à Antoine Karam, car je souhaite que nous évoquions la situation dans les outre-mer.

M. Jacques Grosperrin. - Après la période de clivage autour de la réforme du baccalauréat et de celle des retraites, nous assistons à une bonne réaction d'ensemble de la communauté éducative, qui s'est bien adaptée à la situation et sait le faire dans la durée. Nous vous rendons hommage, monsieur le ministre, pour votre action dans ce contexte inédit.

Certains spécialistes s'interrogent sur la possibilité de déconfiner les enfants et de les faire revenir à l'école ; dans la mesure où il faudrait que la population soit immunisée à 60 %, ils estiment que les parents d'enfants en maternelle, qui sont jeunes et en bonne santé, présentent moins de risques. En parlez-vous au niveau interministériel ?

M. Antoine Karam. - Dans les outre-mer, de nombreuses inquiétudes se sont exprimées quant à la continuité pédagogique et à l'aggravation des inégalités scolaires. Ces inquiétudes sont encore plus grandes pour les élèves des sites isolés, qui sont nombreux en Guyane. Monsieur le ministre connaît bien ce territoire où l'enseignement à distance se heurte à une couverture numérique totalement défaillante : les enfants des communes de l'intérieur sont particulièrement touchés. Peut-on envisager de permettre à ces enfants de reprendre tous les éléments du programme à leur retour en classe, puisque les vacances scolaires commencent ce soir ?

J'attire également votre attention sur la situation des enseignants métropolitains affectés sur notre territoire. Nombre d'entre eux souhaiteraient pouvoir rentrer dans l'Hexagone à l'occasion des vacances, en dépit des mesures de restriction des vols. Nous comprenons leur souhait, mais il faut absolument éviter les va-et-vient, étant entendu que l'ensemble des cas de coronavirus recensés dans les outre-mer ont été importés de l'Hexagone. Quel message le ministère entend-il leur adresser ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Monsieur Grosperrin, nous devrons façonner notre doctrine du déconfinement dans les semaines qui viennent. Nous vivons une situation inédite et c'est sur la base, notamment, de comparaisons internationales que nous trouvons des solutions. Un travail interministériel est en cours ; bien évidemment, il suit très exactement les préconisations des autorités de santé. Je ne suis pas en situation de répondre précisément à votre question ; comme vous le savez, Jean Castex est chargé de la coordination interministérielle dans ce domaine. À l'issue de ces travaux, nous aurons une véritable doctrine du déconfinement.

Monsieur Karam, évidemment, nous devons nous adapter à la situation particulière de la Guyane, notamment en ce qui concerne les élèves isolés. Des expériences ont été faites avec des téléphones portables, mais leur portée est forcément limitée : les remises à niveau prévues lors des vacances de printemps seront donc très importantes. Quant aux professeurs originaires de métropole, j'ai été interrogé par le recteur : il convient évidemment de respecter les règles du confinement qui empêchent ce type de déplacement. Je comprends que les professeurs concernés vivent parfois des situations très difficiles, mais la règle du confinement s'impose. Ceux qui sont affectés dans des communes éloignées peuvent faire du soutien scolaire, sur le fameux « temps de six heures », en respectant les gestes barrières. J'ai conscience de la dureté de cette position, mais toute autre décision serait contraire aux directives des autorités de santé.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Un dernier mot pour remercier votre ministère, tous ses personnels administratifs et enseignants, qui doivent faire face à une situation complexe. Je salue également le corps des Dasen avec lesquels les élus ont eu de nombreux contacts ces derniers jours, pour l'établissement de la carte scolaire : ils sont à l'écoute et ne ménagent pas leur temps. Nous sommes à vos côtés, parce que nous devons faire front ensemble, pour la crédibilité de l'éducation nationale, vis-à-vis des familles, mais aussi de ses 12 millions d'élèves.

Nous poursuivrons nos échanges avec vous, mais aussi avec Didier Guillaume, pour l'enseignement agricole, et avec Jean-Yves Le Drian, pour les établissements français à l'étranger.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Je vous remercie d'avoir salué le travail merveilleux réalisé par l'ensemble des personnels de l'éducation nationale dans cette période difficile. Si la situation actuelle permet de renforcer l'osmose entre l'éducation nationale et la société française, ce ne peut qu'être positif pour le pays.

La téléconférence est close à 13 h 20.