Mercredi 19 février 2020

- Présidence de M. Charles Guené, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Contrôle budgétaire - Implantation des services de l'État dans les territoires : état des lieux et enjeux financiers - Communication

M. Charles Guené, président. - Nous commençons notre réunion par une communication de notre collègue Jacques Genest, rapporteur spécial des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » sur l'implantation des services de l'État dans les territoires.

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Le bureau de notre commission des finances m'a chargé de réaliser une mission de contrôle budgétaire portant sur l'implantation des services de l'État dans les territoires, en ma qualité de rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». Compte tenu de l'importance des réformes et réorganisations engagées depuis le milieu des années 2000, ce sujet présente un fort intérêt pour nos concitoyens.

Le rapport que je vous présente s'inscrit dans un contexte particulier, celui du développement et de l'expression d'un puissant sentiment d'abandon dont témoignent nos concitoyens, et souvent des élus locaux et certains agents de l'État sur le terrain. Il m'importait de mettre à jour les différentes évolutions qui ont, depuis près de quinze ans, contribué à modifier la cartographie de la présence de l'État dans nos territoires, d'en comprendre les ressorts, d'en tirer un bilan budgétaire et qualitatif et de formuler des préconisations utiles.

Le premier défi qui s'est présenté à moi a été de parvenir à définir ce que l'on qualifie de « services de l'État ». Tout un chacun forge pour lui-même une définition plus ou moins précise de cette notion. Pour ma part, j'ai estimé que constituaient des services de l'État l'ensemble des services gérés plus ou moins directement par lui. Cette définition large appelle à intégrer les opérateurs de services publics comme La Poste et à ne pas se limiter aux seuls services déconcentrés.

Un deuxième défi a consisté à situer les services de l'État dans leur contexte. Du point de vue de nos concitoyens, les services publics forment souvent un seul et même ensemble, qu'ils soient gérés par l'État, par des collectivités territoriales ou par des acteurs privés comme les organismes sociaux. Ainsi, le sentiment d'abandon dont ils témoignent ne relève pas du seul fait de l'État, mais plutôt de celui d'un ensemble d'acteurs des services publics. Pour cette raison, j'ai entendu appréhender la notion de services de l'État dans un contexte plus large, ce qui m'a conduit à tenir compte des évolutions propres à d'autres acteurs, comme les organismes sociaux ou encore, et surtout, les offreurs de soins.

Au terme de cet effort de définition et de situation de la notion de services de l'État, il m'est apparu pertinent de dresser une typologie de ces derniers permettant de mieux rendre compte de leur diversité.

La première catégorie de services sur laquelle j'ai souhaité travailler est constituée de l'ensemble des acteurs agissant au contact le plus direct du public. Il s'agit des services qu'on qualifie parfois de « guichet », tels que les services de délivrance de titre d'identité ou les accueils de proximité en matière fiscale. Pour autant, ils ne se limitent pas à ces seuls exemples puisque j'ai estimé que les offreurs de soins publics comme libéraux devaient être rattachés à cette catégorie. N'assurent-ils pas, en effet, un service au contact le plus immédiat de l'usager ou du patient ?

La deuxième catégorie de services analysée dans le cadre du rapport recouvre ceux qui sont dédiés à l'exercice des missions régaliennes.

La question des forces de police et de gendarmerie dont le dense maillage territorial assure la sécurité de nos concitoyens a été abordée. De même, j'ai souhaité intégrer dans cette catégorie l'exercice de la mission de contrôle de légalité puisqu'elle constitue une mission constitutionnelle du représentant de l'État, et participe à l'uniformité sur l'ensemble du territoire des droits et obligations de nos concitoyens dans leurs rapports avec les autorités publiques et administratives. À l'inverse, j'ai considéré qu'il ne serait pas pertinent d'aborder la question de la carte judiciaire, qui a fait l'objet d'une réforme profonde en 2008, ou encore de la revue des implantations du ministère des armées. En effet, et comme la Cour des comptes avant moi, j'estime que ces sujets présentent des particularités fortes et pourraient faire l'objet de contrôles propres.

Par ailleurs, j'avais souhaité, dans un premier temps, aborder le sujet des implantations scolaires dans nos territoires. Il s'agissait d'une conception large de la notion de mission régalienne, mais dont j'estimais qu'elle avait toute sa pertinence. Je regrette profondément que l'absence totale de coopération de la part du ministère de l'éducation nationale m'ait empêché d'aller au bout de cette démarche : malgré mes nombreuses relances, je n'ai reçu aucune réponse au questionnaire adressé à ce ministère, ce qui n'est pas acceptable.

La troisième catégorie de services de l'État identifiée dans le contexte du présent rapport correspond à l'ensemble des missions exercées pour assurer la mise en oeuvre des politiques publiques et accompagner les acteurs locaux telles que les collectivités territoriales. À ce titre, j'ai cherché à comprendre quels effets avaient eu la réforme des services déconcentrés, la revue des instruments de l'aménagement du territoire ou encore la réorganisation des trésoreries dédiées à la comptabilité des collectivités territoriales et le recours croissant à des opérateurs.

Enfin, le dernier défi auquel je me suis confronté a été de définir la notion de territoire elle-même. Contrairement aux différents travaux réalisés récemment par la Cour des comptes ou nos collègues députés, je ne souhaitais pas limiter mon analyse aux seuls territoires ruraux. C'est donc en conservant à l'esprit une conception large de la notion de territoire, incluant aussi bien les zones rurales, urbaines, insulaires, littorales ou de montagne, que j'ai cherché à travailler.

Au terme de cette présentation du cadre dans lequel ce contrôle s'est inscrit, je vais vous présenter les grandes lignes des réformes engagées ces dernières années et le bilan que j'en tire.

D'abord, il est utile de rappeler que la réorganisation des services de l'État dans les territoires a cherché à répondre à trois grands enjeux.

Le premier est de nature financière et budgétaire. Comment rendre à l'État « les marges financières qui lui permettront de ne plus vivre à crédit en finançant par le déficit, non l'investissement, mais le fonctionnement », pour citer le président Nicolas Sarkozy lors de son discours du 19 septembre 2007 ? Cette question est loin d'être triviale dans un pays qui connaît depuis 1975 une croissance quasi continue du niveau de ses dépenses publiques, de son déficit public et de son endettement public. Alors que les administrations de l'État ont contribué plus que les autres à ce mouvement, il est apparu pertinent de chercher à optimiser leurs dépenses, le cas échéant, au travers d'une revue de leurs services territoriaux.

Le deuxième enjeu qui a justifié ce large mouvement de réorganisation est l'approfondissement de la décentralisation. L'affirmation du fait régional et la montée en puissance des établissements de coopération intercommunale expliquent largement, même si je ne suis pas en accord avec ce mouvement, la revue de l'organisation territoriale de l'État.

Le troisième et dernier enjeu a été celui d'une nécessaire modernisation de l'action publique. Celle-ci a pris deux formes. D'une part, un recours croissant aux outils dématérialisés. D'autre part, une accélération du recours aux agences et opérateurs de l'État. L'ensemble des réorganisations qui ont impacté les différents services de l'État font l'objet d'une présentation exhaustive dans mon rapport.

Je souhaite partager quelques éléments de bilan et vous faire part de mes principales recommandations.

En premier lieu et s'agissant des services les plus au contact des citoyens, j'estime que l'État laisse trop souvent les usagers seuls face à un écran et que les collectivités territoriales sont trop faiblement soutenues dans leurs efforts visant à pallier les conséquences des réorganisations.

Je constate, d'abord, que le développement des procédures dématérialisées pour les impôts comme pour les titres d'identité participe à approfondir les inégalités entre les usagers. Ainsi, dans les maisons de services au public (MSAP), le nombre de demandes qui concernent les démarches relevant des anciens guichets de préfectures ou des impôts va croissant, ce qui témoigne de la difficulté pour une part importante de nos concitoyens à se saisir de ces nouveaux outils. Cette situation entraîne, comme l'a fait observer le Défenseur des droits, de nombreuses atteintes aux droits des usagers, mais encourage également le développement d'un marché parallèle privé inacceptable.

Dans ces conditions, je souhaite que l'usager soit remis au centre des préoccupations et qu'il bénéficie en toute circonstance d'une diversité de moyens pour échanger avec l'administration. C'est pourquoi je propose, d'une part, de soutenir et d'amplifier les initiatives mises en oeuvre par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), et, d'autre part, d'imposer le maintien d'un échange non dématérialisé entre l'usager et l'administration.

Ensuite, je souhaite faire observer que, depuis 2013, ce sont 2 781 emplois équivalents temps plein (ETP) qui ont été retirés du réseau des services des impôts des particuliers, ce qui est loin d'être négligeable. Or, dans ce contexte de restructuration très intense des implantations et des effectifs, les solutions d'accompagnement m'apparaissent largement insuffisantes. Il y a la dématérialisation, dont j'ai indiqué qu'elle participait à aggraver les inégalités, mais également le développement de structures d'accueil mutualisé comme les MSAP, ou encore celui d'instruments de planification tels que les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services publics.

Ces deux derniers outils souffrent de plusieurs défauts. Ainsi, les MSAP m'apparaissent reposer sur un modèle inéquitable de partage des coûts entre l'État, ses opérateurs et les collectivités territoriales. Au-delà de la question de la prise en charge des frais de formation des agents, il ne me paraît pas justifié que les collectivités assument à elles seules 50 % des financements alloués à ces structures. Alors qu'une montée en gamme de plusieurs MSAP est nécessaire d'ici à 2022 pour qu'elles obtiennent le nouveau label « maison France services », je suggère qu'une partie des frais engagés par les collectivités territoriales soit prise en charge par l'État.

Les schémas départementaux, quant à eux, partent d'une idée correcte : l'implication de l'ensemble des acteurs déconcentrés et décentralisés dans la formulation d'un diagnostic et d'un projet d'amélioration de l'accessibilité des services publics. J'estime néanmoins regrettable que certaines administrations, comme la Direction générale des finances publiques (DGFiP), ne soient pas concernées par l'élaboration de ces schémas et je propose d'y remédier. Je souhaite également vous faire part de ma très grande inquiétude concernant l'évolution de l'offre publique et libérale de soins dans les territoires, qui témoigne de l'échec des instruments de régulation en vigueur.

Comme je l'indique dans mon rapport, les temps d'accès aux établissements hospitaliers se sont aggravés dans les territoires ruraux sous l'effet des restructurations intervenues depuis 2004. Par exemple, les distances entre l'établissement le plus proche et le domicile des usagers ruraux ont augmenté deux fois plus rapidement que dans les zones urbaines en quinze ans. Cette détérioration des conditions d'accès aux soins ne semble pourtant pas se justifier par des gains d'efficience qui semblent plutôt rares, comme en témoigne la dégradation des résultats financiers des hôpitaux publics depuis 2002. Dans ces conditions, j'estime qu'un audit spécifique des gains tirés de la restructuration des établissements hospitaliers doit être produit le plus rapidement possible.

Cette situation se cumule avec une dégradation de l'accès aux soins libéraux dans les territoires ruraux, mais également dans les territoires classés prioritaires en politique de la ville. Il est temps de rouvrir le chantier de la régulation de l'implantation des médecins libéraux soit au travers d'un contrôle sur l'octroi des autorisations d'exercer sur un territoire, soit par l'instauration d'un conventionnement sélectif.

En deuxième lieu et s'agissant de l'exercice des missions régaliennes, des efforts ont été fournis, non sans contrepartie, en faveur de la sécurité des Français, mais les moyens dédiés au contrôle de légalité se sont réduits. La police et la gendarmerie ont ainsi maintenu depuis 2008 une présence stable de leurs effectifs de proximité, alors que, dans le même temps, les effectifs totaux de ces institutions diminuaient fortement. Cet effort s'est fait, toutefois, au prix d'une dégradation des moyens d'intervention de nos forces.

À la suite de notre collègue Philippe Dominati, j'ai rappelé, dans mon rapport, que la part des dépenses hors T2 dans l'ensemble des budgets de la police et de la gendarmerie avait été divisée par deux depuis 2006. Une conséquence pratique et visible de cette tendance réside, par exemple, dans la diminution et le vieillissement du parc automobile de la police nationale depuis 2006. Tout en saluant l'effort produit en faveur d'une présence de proximité des forces de l'ordre, je crois utile d'appeler à un renforcement de leurs moyens matériels.

À l'inverse, je ne peux que critiquer les mouvements opérés concernant l'exercice du contrôle de légalité. La diminution de 30 % des effectifs entre 2009 et 2014 a eu des effets notables sur la capacité des services à exercer cette mission. Par ailleurs, je doute que le renfort prévu dans le cadre du plan Préfectures nouvelle génération (PPNG) ne suffise à endiguer ce phénomène. Dans ces conditions, j'appelle à accroître les moyens dédiés à l'exercice du contrôle de légalité, qui représente l'occasion d'un dialogue utile et sécurisant entre les élus et les services de l'État, notamment dans les communes rurales.

En troisième et dernier lieu, j'observe un affaiblissement très important des moyens d'action de l'État et de son lien avec les collectivités territoriales. Ce phénomène résulte, à mon sens, de réformes mal inspirées en matière d'organisation des services déconcentrés, d'aménagement du territoire ou de répartition des trésoreries, mais, également, d'une maîtrise insuffisante des dépenses des opérateurs. L'État a cherché plus que de raison à favoriser et à adapter ses services à ce qu'on qualifie de « fait régional ». En renforçant les moyens réglementaires et matériels des préfectures de régions, il a réduit ceux des préfectures de départements et des sous-préfectures, qui constituent pourtant les échelons les plus pertinents pour maintenir avec les citoyens et les élus un lien de proximité, de confiance et d'action.

L'administration m'a assuré du souhait partagé au plus haut niveau de l'État de renforcer, désormais, les préfectures de département. J'attends néanmoins de voir quelle forme prendra cette volonté en pratique. Il faudra de toute évidence redonner aux sous-préfectures les moyens qui aujourd'hui leur manquent. J'estime, par ailleurs, que l'État a trop longtemps cherché la bonne formule en matière d'aménagement du territoire.

La suppression de la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) au profit du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) « agrégateur de décisions mineures », selon la formule de nos collègues Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ, a participé à réduire les moyens dédiés à cette politique, ce que je ne peux que regretter.

La création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) m'apparaît comme une bonne piste puisque celle-ci pourra, entre autres, fournir aux collectivités territoriales une offre d'ingénierie nécessaire au développement de leurs projets. Le rôle de délégué dévolu au préfet de département dans cette architecture va dans le bon sens. Toutefois, j'attends qu'une place plus centrale soit faite aux sous-préfets et je propose que leur rôle soit également consacré.

La réforme des trésoreries dédiées à l'accompagnement des collectivités territoriales me paraît devoir faire l'objet d'une attention particulière. Depuis 2013, ce sont 1 315 emplois équivalents temps plein qui ont été retirés de ces structures. La concertation qui s'ouvre devra prendre en compte plusieurs nécessités.

D'abord, il est absolument nécessaire de tenir compte de la crainte exprimée par de nombreuses associations d'élus de voir le comptable public s'éloigner géographiquement des collectivités territoriales de son ressort. En effet, et à l'instar du contrôle de légalité, la relation entre le comptable public et les élus locaux est un élément sécurisant pour ces derniers.

Ensuite, nombre de problématiques ne sont aujourd'hui pas résolues. Je pense, par exemple, à l'encaissement des recettes en liquide des régies municipales. Il serait utile que de vraies solutions soient trouvées avant d'envisager de restructurer certaines implantations.

Enfin, je voudrais faire part de mon grand étonnement à voir l'État laisser perdurer des situations de dérapages financiers au sein de certaines agences. Je pense en particulier à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et aux agences de l'eau. Par exemple, entre 2009 et 2018, les dépenses de personnel de l'Ademe ont augmenté de 15 % tandis que, sur la période 2007-2013, celles des agences de l'eau augmentaient de 13 %. Alors que les dérapages ont été plusieurs fois mis à jour par la Cour des comptes, j'émets des réserves sur la pertinence de ces structures dont les missions pourraient être exercées autrement.

Au terme de la présentation générale des principales observations de ce rapport consacré à l'implantation des services de l'État dans les territoires, je voudrais vous indiquer ma profonde conviction quant à l'importance de favoriser un lien de confiance et de proximité entre l'État, les élus locaux et nos concitoyens. Les recommandations que je formule vont dans cette direction.

M. Philippe Dallier. - Je m'interroge sur le financement des maisons France services. Les collectivités territoriales souhaiteraient que l'État et les opérateurs participent davantage qu'à hauteur des 50 % annoncés. Il faudrait néanmoins connaître l'enjeu financier, car on peut craindre que l'État ne finisse par intégrer cette dépense dans l'enveloppe normée, en procédant en quelque sorte à une péréquation. Parle-t-on de quelques centaines de millions d'euros ?

M. Jean-François Rapin. - Sur la médecine de proximité, j'entends l'appel à une forme de « coercition » à l'installation. Le débat est d'actualité, mais, en tant que professionnel de santé, je peux vous assurer que cela ne nous ramènera pas le bon médecin de famille que nous regrettons tous... Imposer à un praticien d'exercer son métier là où il ne veut pas aller risque de détériorer sa relation avec les patients.

Je me considère comme un orphelin de la Datar, dont les visions prospectives en matière d'aménagement du territoire nous manquent. Je rappelle que la Datar publiait il y a trente ans déjà des rapports sur la désertification médicale, à une époque où personne n'en parlait... Dans les Hauts-de-France, nous allons inaugurer une agence Datar régionale pour avoir une vision à l'horizon 2040-2050.

L'ANCT est une bonne idée. Vous avez été nombreux à signer la tribune que j'avais fait paraître dans Ouest France sur l'occultation des territoires littoraux lors de la constitution de l'agence. Il n'est pas trop tard pour réparer cet oubli majeur. J'aimerais un soutien du rapporteur sur ce point.

M. Dominique de Legge. - Qui incarne l'État dans nos territoires ? Vous nous proposez de renforcer le rôle des préfets et sous-préfets, mais de quels pouvoirs disposent-ils aujourd'hui ? Les préfets n'ont la main ni sur l'agence régionale de santé (ARS) - et donc sur les questions relatives à la santé -, ni sur la DGFiP, ni sur l'éducation nationale, ni sur les architectes des bâtiments de France (ABF), ni sur l'agence de l'eau, ni sur l'Ademe... Il faudrait que l'État parle d'une voix unique.

Je prendrai l'exemple de mon département, l'Ille-et-Vilaine : ma commune est traversée par la nouvelle ligne à grande vitesse (LGV) Rennes-Paris. À six mois d'intervalle, j'ai reçu deux courriers : le premier de la DGFiP invitant les maires à organiser un abattement sur la taxe d'habitation, qui n'existe plus, et sur la taxe foncière pour prendre en compte la dépréciation des biens - ni la préfète ni la ministre n'étaient au courant de ce courrier ! -, le second de cette même préfète pour demander aux communes d'intégrer dans leur plan local d'urbanisme (PLU) l'obligation pour les propriétaires des habitations placées à 250 mètres de part et d'autre de la LGV de faire des travaux acoustiques. Mais personne n'est capable de me dire qui va payer !

M. Jean-Claude Requier. - Merci pour ce rapport très intéressant.

Les services de l'État en région ne sont pas toujours très efficaces... En Occitanie, où 500 kilomètres séparent le nord du sud de la région, les effectifs de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) sont pléthoriques et bien éloignés des territoires.

Je défends le rôle des sous-préfets dans le monde rural, car ils sont à l'écoute des maires. J'ai l'habitude de dire qu'un bon sous-préfet prend 5 kilos en deux ans ! Il faut faire travailler les sous-préfets, car ils ne sont pas là pour faire de la représentation.

Enfin, sur le contrôle de légalité, il en faut... mais pas trop !

M. Bernard Delcros. - Les schémas d'accessibilité des services au public rendus obligatoires après la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, sont des documents d'orientation ou d'intention restés sans effet dans les départements que je connais. Existe-t-il des exemples dans lesquels ils ont été suivis d'engagements de la part des opérateurs ou de l'État ?

Par ailleurs, a-t-on évalué le coût des services assurés par les collectivités territoriales à la suite du désengagement de l'État ?

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Philippe Dallier, le coût pour les maisons France services est estimé à 80 millions d'euros par an.

M. Philippe Dallier. - Ce n'est pas grand-chose !

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Certes, mais nous avons l'habitude des dépenses que l'État commence à assumer puis abandonne aux collectivités territoriales ! En Ardèche, l'État et le département avaient subventionné la création de forestiers sapeurs ; puis l'État s'est retiré et le département a dû tout payer.

Jean-François Rapin, 80 à 85 % du territoire n'aura bientôt plus de médecins. Si tous nos territoires se désertifient encore davantage, les habitants se sentiront abandonnés et l'expriment dans les urnes. Il faut trouver une solution : un conventionnement sélectif serait peut-être moins coercitif. La mentalité des jeunes médecins a changé également. Et puis il faut maintenant être très bon en mathématiques pour réussir ses études de médecine. Un professeur parisien de chirurgie m'expliquait il y a deux ans qu'il ne pourrait pas devenir aujourd'hui médecin avec son bac philo...

Sur la Datar, je suis d'accord avec vous.

En ce qui concerne l'ANCT, j'ai parfois la crainte qu'elle ne devienne un « bidule » qui nous coûtera très cher. Mais attendons de voir. En tous cas, le rôle des sous-préfets doit être important au sein de cette structure.

Dominique de Legge, qui incarne l'État ? Tous les gouvernements en place ont créé des agences, qui échappent à l'autorité des préfets. Il faut redonner du pouvoir à ces derniers. Il n'est pas normal que les agences de l'eau échappent totalement aux services de l'État, puisqu'elles sont abondées par des taxes.

Je ne suis pas un centralisateur, mais il faut revenir sur toutes ces agences qui n'apportent pas grand-chose et clarifier le rôle des services déconcentrés...La Dreal semble opposée à tout. Sans que l'on sache bien qui la pilote.

Quant aux ABF, certains veulent leur donner encore plus de pouvoirs. Nous sommes tous favorables à la conservation du patrimoine, mais il ne faut pas dire non à tout.

Jean-Claude Requier, les sous-préfets sont utiles en milieu rural. En milieu très urbain, leur rôle peut se discuter... La sous-préfecture tient par la qualité de celui qui occupe le poste : faire la tournée des maires ne suffit pas, il faut qu'il aide ces derniers. En Ardèche par exemple, la préfète a délégué au sous-préfet la gestion de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).

Dominique de Legge, le ministre Le Drian propose, à l'étranger, de rattacher le Trésor au ministère des affaires étrangères. Il serait cohérent de rattacher la DGFiP au préfet sur le territoire national.

Bernard Delcros, je ne suis pas très partisan des schémas en tout genre, qu'on discute plusieurs années pour ne pas les appliquer, ou les appliquer de manière défavorable aux collectivités. Par exemple, les schémas de cohérence territoriale (Scot), appliqués à des territoires immenses, n'ont souvent aucun sens. S'agissant des SDAASP, d'après la Cour des comptes, le bilan est hétérogène, mais ils ont été utiles dans certains territoires. Des services au public ont peut-être été créés par ces schémas, mais au prix de services supprimés ailleurs.

La possibilité d'encaissement par les agences postales n'est pas une mauvaise solution, mais elles ne peuvent pas traiter plus de trois cents euros à la fois. Prenons l'exemple des régies de campings municipaux, qui manipulent des sommes en liquide. La perception ne les traite pas et les montants sont au-dessus du plafond des agences postales, ce qui contraint parfois des gens à aller porter cet argent à une centaine de kilomètres... Ce sont des problèmes que la concertation doit impérativement traiter.

M. Bernard Delcros. - Les transferts de charges aux collectivités ont-ils été évalués ?

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - C'est difficilement quantifiable, mais il serait utile d'évaluer le coût pour des services précis.

M. Sébastien Meurant. - Envisagez-vous aussi des mesures incitatives pour l'installation des médecins en zone rurale ? Qu'en est-il du refus de répondre de l'Éducation nationale que vous évoquez ?

M. Thierry Carcenac. - On met en oeuvre, au fil des lois, les propositions du comité d'action public 2022 (CAP 2022) formulées en 2018, sans qu'elles aient été approuvées par qui que ce soit.

Par ailleurs, nous avons été nombreux à faire le constat d'une administration en silos, dépourvue d'une vision territoriale qu'aurait pu apporter le préfet. Avec le Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR), nous avons, de plus, renforcé le pouvoir des préfets de région. Or dans ma région à treize départements, il est difficile d'avoir cette vision globale à l'échelle régionale. Peut-être pourrions-nous évoquer cette question avec la ministre dans le cadre du projet de loi 3D - décentralisation, différenciation et déconcentration.

Les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public, définis pour six ans, arrivent bientôt à échéance. Ce serait l'occasion de les revoir, car ils ne sont pas opposables et ne traitent que certains sujets.

L'organisation des trésoreries et services des impôts est très variable selon les départements. En Corrèze, il y a des trésoreries au niveau intercommunal ; dans mon département du Tarn, il n'y a que deux trésoreries sur l'ensemble du territoire. Nous avons récemment appris, par la presse, que dix départements expérimenteraient l'encaissement dans 600 bureaux de poste agréés dans un plafond de trois cents euros... Mieux vaudrait une réflexion globale que ces mesures parcellaires.

M. Bernard Lalande. - Je crois percevoir une certaine nostalgie jacobine dans le rapport de M. Genest... Il serait certes souhaitable que l'État soit présent dans tous les territoires ruraux, mais ceux-ci ne sont en aucun cas sous son entière responsabilité. Lorsque l'on voit des routes sinueuses mal entretenues menant à un village et, à quelques kilomètres, de beaux ronds-points sur des routes rectilignes, il faut aussi s'interroger sur la responsabilité des départements et des régions. Ceux-ci doivent jouer le rôle qui leur revient dans le désenclavement des territoires. Ce n'est que dans un second temps qu'il conviendra d'aborder la proximité des services départementaux de l'État.

Un exemple parlant : il est désormais demandé d'installer des protections incendie à moins de quatre cents mètres des habitations. Les petites communes ou intercommunalités n'ont pas les moyens de le faire ; or les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) sont sous la responsabilité des départements. On reproche à l'État de faire appliquer la loi, mais rappelons que c'est nous, parlementaires, qui l'avons votée...

M. Patrice Joly. - La crainte du retrait de l'État recouvre celle d'un traitement inégalitaire de nos concitoyens. Le Défenseur des droits a récemment évoqué, dans un rapport, le sentiment d'abandon auquel contribuait ce retrait. Il a également des conséquences en matière de transfert de charges : ainsi l'État finance à hauteur de 30 000 euros chacune des mille maisons France services, mais les territoires doivent apporter au moins autant.

Dans la Nièvre, dont j'ai présidé le conseil départemental, 1 500 agents ont disparu du territoire en douze ans ; cela correspond, à raison de 30 000 euros par an et par agent, au montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) reçue par le département. C'est aussi une saignée humaine, parce que ces agents participaient à l'animation du territoire.

Dans ces conditions, l'État se fait de plus en plus censeur et de moins en moins accompagnateur. De plus, la culture de projet n'est pas toujours partagée par les agents ; il faut à tout le moins leur donner le temps d'accompagner les projets portés par les collectivités.

Le projet de loi 3D devrait être l'occasion de redéfinir le rôle du préfet. Celui-ci pourrait redéployer les moyens en fonction des besoins et des perspectives de développement local. Il doit devenir l'interlocuteur autonome des élus locaux, en particulier du président du conseil départemental.

Concernant l'usage de la coercition pour faciliter l'installation de médecins, je relève que de nombreux agents ont été mutés là où ils travaillent, ce qui ne les empêche pas de s'acquitter de leurs fonctions avec dévouement. Ainsi, 25 % des médecins formés, notamment ceux qui travaillent dans les laboratoires pharmaceutiques ou les assurances, ne sont plus face aux patients. Serait-il possible de remettre une partie de leur temps sur le marché, si je puis dire ?

Enfin, il est prévu qu'une partie des crédits dédiés à l'ANCT finance l'ingénierie locale ; il est indispensable qu'elle soit détenue par les acteurs locaux, en articulation avec l'ingénierie d'État.

M. Michel Canevet. - Ce rapport est important dans la perspective de l'examen du projet de loi 3D. Le rapporteur a fustigé les agences, mais il sera peut-être plus indulgent avec l'ANCT, puisque le préfet sera son interlocuteur local.

Faut-il regretter les suppressions de postes, comme le fait le rapporteur, alors que les missions de l'État ont évolué et que nous, législateurs, lui avons demandé de réduire ses dépenses de fonctionnement ? Il est logique que cela se traduise par une réorganisation des moyens. Ne faudrait-il pas aller plus loin dans la numérisation des services ? Le projet de redéploiement des DGFiP est-il bien mené, ou faut-il le remettre sur l'ouvrage en concertation avec les préfets, pour que le redéploiement des effectifs ait lieu à l'échelle du département, dans une vision globale et non sectorielle ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Certains secteurs urbains, comme la banlieue ou le périurbain, ont des problématiques analogues aux zones rurales, notamment pour ce qui concerne les DGFiP, l'installation des médecins ou l'attrition des services préfectoraux. Un rapport rédigé par les députés François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo sur l'action de l'État en Seine-Saint-Denis a posé la question des critères dans l'allocation des moyens aux départements. Comment fixer ces critères, en dépassant celui de la population, et comment les adapter au fil du temps ? Faut-il apporter de nouveaux moyens, redéfinir les missions de l'État ?

En Seine-Saint-Denis, l'un des arrondissements compte 700 000 habitants : que peut faire le sous-préfet sur un tel territoire ? Avec le redécoupage des arrondissements, lorsque la circulation est mauvaise, je mets une heure pour me rendre à la sous-préfecture... Il peut être utile de donner de nouveaux pouvoirs aux préfets, mais si certains sont facilitateurs, d'autres restent très régaliens.

M. Jean-François Husson. - Merci à Jacques Genest, dont le rapport nourrira utilement notre examen du projet de loi 3D. Il appelle quelques remarques.

Le schéma d'accessibilité des services au public n'est qu'un bavardage de plus sans mise en oeuvre politique, ce qui déçoit tous les acteurs.

Concernant les maisons de services au public, les opérateurs doivent pleinement trouver leur place. La présence bancaire mérite elle aussi d'être examinée, sous l'angle de l'accès aux espèces. Par ailleurs, ces sujets sont liés à la réforme de la fiscalité locale, qui, nous le savons, donnera de moins en moins de prise aux collectivités.

Enfin, depuis dix ans, nous avons, les uns et les autres, voté ces mauvaises réformes que nous déplorons aujourd'hui. Cela nous invite à la mesure dans nos propos.

M. Alain Houpert. - Félicitations à Jacques Genest pour ce rapport exhaustif. L'architecte des bâtiments de France évite de commettre l'irréparable. Il a des compétences que les préfets ou les élus n'ont pas forcément.

Je suis favorable aux mesures qui facilitent l'installation de médecins dans les déserts médicaux plutôt que de les y contraindre. Les médecins qui exercent dans les territoires ruraux sont bien souvent d'origine rurale, car il est difficile d'attirer des urbains. Il aurait fallu faire de l'aménagement du territoire.

En matière fiscale, on constate une rupture d'égalité entre la métropole qui bénéficie de zones franches et les territoires ruraux qui fonctionnent avec des zones de revitalisation rurale (ZRR). L'aménagement du territoire voudrait que les ZRR soient de véritables zones franches fiscales.

M. Yannick Botrel. - La loi du genre veut que nous soyons partisans d'économies dans le principe, et de dépenses dans le particulier.

L'urbanisation des communes rurales est un vrai sujet, surtout quand il s'agit d'élaborer des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) de grande superficie. La concurrence entre les communes est effrayante.

Je me rappelle un débat à la commission des affaires économiques du Sénat, il y a une douzaine d'années. S'y manifestait la volonté tout à la fois de ne pas gaspiller la terre agricole et de faire porter l'effort sur ces mêmes terres. Le sujet prendra inévitablement de l'ampleur dans les années à venir, et particulièrement en Bretagne où nous entamons une période de déclin démographique.

Les procédures d'urbanisme sont désormais d'une complexité inouïe. Quand bien même le maire ou le conseil municipal voudrait favoriser l'implantation d'un artisan, celui-ci serait ensuite confronté au parcours du combattant que lui imposerait la Dreal, en laissant courir les délais. Le conseil départemental à un rôle important à jouer. Il peut, par exemple, s'opposer à la viabilisation d'un terrain sous prétexte de la construction d'une voie départementale, alors même que 30 accès seraient déjà ouverts. Ce sujet mériterait une mission de contrôle du Sénat.

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Sébastien Meurant, les mesures incitatives en faveur des médecins existent déjà, notamment des aides de la sécurité sociale et de l'État à hauteur de 90 millions d'euros en 2015, sans résultats tangibles. Et il faut ajouter les dépenses prises en charge par les collectivités territoriales.

Thierry Carcenac, le projet de loi 3D nous laisse de l'espoir. Méfions-nous cependant d'un rapport trop technocratique à ces sujets. On en connaît les conséquences depuis la loi NOTRe.

Sur la DGFiP, on peut prendre l'exemple de la Corrèze, département où se sont illustrés plusieurs présidents de la République. Elle bénéficie d'une trésorerie par communauté de communes. On ne peut que s'en réjouir.

Bernard Lalande, les élus sont responsables, certes, mais les territoires sont inégaux et les moyens différents, de sorte que l'État doit planifier et agir pour favoriser une certaine homogénéité. Je ne suis pas spécialement jacobin, mais à un moment, seul l'État peut faire en sorte qu'il y ait une harmonisation.

Vous parlez de travail d'équipe entre l'État et les collectivités ? Très bien, mais à condition que certains joueurs ne tirent pas contre leur camp. Des paradoxes existent comme pour les SDIS auxquels l'État fournit des implantations, alors que les départements et les collectivités les financent.

Patrice Joly, la disparition du personnel assurant les services publics est une saignée humaine et financière. Je le sais bien, comme élu de l'Ardèche, mais aussi comme percepteur rural. L'État donne l'impression d'être répressif, avec la police de l'eau ou l'urbanisme par exemple. Les services de l'État ne semblent plus avoir pour vocation d'aider les gens.

Michel Canévet, le rôle du préfet est important. Je suis très partisan du département. Cependant, les qualités du préfet sont aussi liées à celles de l'homme ou de la femme qui occupe la fonction.

Réduire les effectifs, est-ce le bon moyen de réduire les frais ? En 2012, pour 103 agences, on avait un budget de 70 milliards d'euros et 135 000 emplois à temps plein. Pour réduire le coût de fonctionnement de l'État, il faudrait répartir ses représentants dans tout le territoire. Quant à la concertation de la DGFiP, j'espère qu'elle sera l'occasion d'un véritable dialogue mais j'ai malheureusement des doutes.

Vincent Capo-Canellas, les zones périurbaines connaissent les mêmes problèmes qu'ailleurs. L'arrondissement que l'on peut agrandir démesurément est un bel exemple d'une mauvaise manière d'administrer les territoires. Il faut redéployer les fonctionnaires sur le terrain. L'élargissement récent du cadre des sous-préfets va dans le bon sens en favorisant la diversité.

Le président de la République réfléchit tout haut à une réforme de l'École nationale d'administration (ENA). Je suis partisan d'une réforme du recrutement, qui imposerait à tout candidat d'avoir travaillé deux ou trois ans dans des services publics ou privés, qui ne soient pas des postes de cabinet ou de collaborateur parlementaire.

Jean-François Husson, le problème de la fiscalité locale ne date pas d'hier. Plusieurs majorités ont voté des réformes. Cependant, sur le terrain, l'État prend souvent des décisions sans véritablement nous consulter. Parfois, cela fonctionne correctement sur le plan technique comme pour les services de délivrance des cartes d'identité et de passeports. Parfois cela ne fonctionne pas du tout comme pour le service des cartes grises qui est une catastrophe.

Alain Houpert, les ABF ont leur rôle à jouer, mais reconnaissons qu'ils sont bien souvent des empêcheurs de tourner en rond.

Yannick Botrel, j'avais proposé au Sénat une proposition de loi pour développer la construction en milieu rural, dont certains éléments ont été repris dans la loi Montagne. Un agriculteur ne peut pas vivre dans un désert, ni dans un territoire où toutes les terres seraient rachetées progressivement. Ce débat mérite effectivement d'être prolongé.

M. Charles Guené, président. - Merci à Jacques Genest pour cette communication très importante.

La commission des finances autorise la publication de la communication sous la forme d'un rapport d'information.

Projet de loi organique relatif au système universel de retraite et projet de loi instituant un système universel de retraite - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission des finances demande à être saisie pour avis du projet de loi organique n° 2622 (2019-2020) relatif au système universel de retraite et sur le projet de loi n°°2623 rectifié (2019-2020) instituant un système universel de retraite, sous réserve de leur transmission, et désigne Mme Sylvie Vermeillet en qualité de rapporteur.

Actualisation du programme de contrôle budgétaire de la commission

M. Charles Guené, président. - Nous avons adopté le 22 janvier dernier le programme de contrôle de notre commission. Le groupe de travail sur le coût et le financement des infrastructures de transports collectifs en Île-de-France a décidé de concentrer ses travaux sur le Grand Paris Express. L'intitulé du groupe de travail sera modifié en conséquence.

Il en est ainsi décidé.

Audition de Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor

M. Charles Guené, président. - Nous avons le plaisir de recevoir Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor. Vous occupez ces fonctions depuis près de quatre ans, et nous nous réjouissons de pouvoir vous entendre aujourd'hui, alors que vous êtes depuis quelques semaines la candidate soutenue par la France pour la présidence de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD).

Comme chacun de vous le sait, la direction générale du Trésor a dans son domaine de compétence le suivi et la mise en oeuvre de la politique économique aux plans national, européen et international. Elle compte cinq services en administration centrale, mais dispose également d'un important réseau international.

Aussi, sur le plan macroéconomique, vous pourrez nous faire part de votre point de vue sur la situation mondiale. Différents risques se manifestent : je pense en particulier au risque commercial, les pressions des États-Unis à l'égard de l'Union européenne s'étant accrues ces dernières semaines, mais aussi aux risques sanitaires, l'épidémie de coronavirus se répercutant sur l'ensemble des chaînes d'activités mondiales. Selon vous, dans quelle mesure la croissance française pourrait-elle s'en trouver affectée ?

Les dossiers européens sont également nombreux, après le renouvellement de l'exécutif européen. Notre commission a eu l'occasion d'examiner une résolution à propos du cadre financier pluriannuel. Un projet de mandat de négociation de la Commission européenne pour l'après-Brexit doit prochainement être discuté au Conseil. Vous nous direz comment vos services, aux côtés de ceux de la direction du budget, sont impliqués sur ces sujets.

D'un point de vue plus administratif, vous nous indiquerez également si l'organisation de votre direction devrait évoluer dans les années qui viennent et les projets de réorganisation qui pourraient être mis en oeuvre, notamment pour le réseau européen et international.

Enfin, notre audition sera bien sûr l'occasion d'aborder la diversité des missions accomplies par la direction du Trésor, notamment son rôle dans les dossiers bancaires et financiers qui sont des sujets d'intérêt majeurs pour notre commission.

Je vous cède sans plus tarder la parole pour un propos introductif.

Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor. - Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée à venir m'exprimer ce matin devant la commission des finances du Sénat pour vous présenter l'actualité de la direction générale du Trésor.

Je consacrerai tout d'abord ce propos liminaire à vous présenter brièvement les missions et les moyens de la direction générale du Trésor, avant de dresser un panorama de la situation économique mondiale et nationale, et de vous présenter quelques grands chantiers qui nous attendent cette année.

Notre rôle est de proposer et de mettre en oeuvre, sous l'autorité des ministres, la politique économique du Gouvernement, dans ses dimensions nationale, européenne et internationale. Comme vous le savez, la direction du Trésor est le résultat de la fusion de trois directions d'administration centrale en 2004 : la direction de la prévision et de l'analyse économique, la direction du Trésor stricto sensu et la direction des relations économiques extérieures. Ces trois directions avaient des fonctions à la fois de prévision et d'analyse des politiques économiques, de gestion de la dette, des questions financières nationales et internationales, et des questions commerciales internationales.

Nous avons désormais un rôle de suivi de la conjoncture économique française et internationale, de prévision en matière de croissance, de compétitivité, d'emploi, de production, d'analyse sur les politiques publiques, les finances publiques et les politiques sectorielles, de participation aux négociations sur les dossiers économiques et financiers européens, de régulation du secteur financier, à savoir assurances, banques, marchés financiers, et de négociation européenne sur ces sujets. Nous assurons également le suivi des questions commerciales et financières multilatérales et la défense des positions françaises sur la scène internationale, la supervision de la politique française de développement dans ses aspects financiers, la tutelle de l'Agence française de développement (AFD) et des banques multilatérales de développement. Enfin, nous proposons un soutien à l'internationalisation des entreprises françaises.

En parallèle, deux structures sont rattachées à la direction générale : l'Agence France Trésor, qui gère la trésorerie et la dette de l'État, et la mission d'appui au financement des infrastructures (Fin Infra), qui travaille sur le financement des infrastructures, avec un rôle de conseil auprès des autres ministères ou des entités publiques au général, y compris les collectivités locales.

Pour accomplir ses missions, les agents de la direction générale Trésor sont aujourd'hui près de 1 300 : 729 équivalents temps plein (ETP) en administration centrale et 603 ETP dans le réseau international. La tendance est à la réduction des effectifs à l'international puisque le réseau est passé, entre 2009 et 2019, de 1 339 à 603 personnes. Cette évolution est liée à la dévolution progressive des missions commerciales à UbiFrance, devenu Business France, et à un effort de réduction des effectifs. Cette évolution est appelée à se poursuivre, puisque, comme vous le savez sans doute, le Gouvernement a décidé un rapprochement des fonctions support des différents réseaux à l'étranger, avec un objectif de réduction de la masse salariale de notre réseau à l'étranger de 5,9 % à l'horizon de 2022.

Il y a globalement un effort de rationalisation, avec, notamment, une stratégie de régionalisation, une plus grande priorisation des activités en fonction des zones et un pilotage plus fin des services à l'étranger. En parallèle, nous avons engagé un exercice de réforme et de réflexion interne sur le fonctionnement et le positionnement stratégique de la direction générale du Trésor, que l'on a appelé la démarche Trésor 2020, avec un plan d'action fondé sur trois grands axes : rendre la direction générale du Trésor plus innovante, ouverte sur l'extérieur et prospective ; mettre en place une organisation plus matricielle, avec des fonctions transversales sur des sujets par nature totalement transversaux, comme la transition énergétique et climatique ou la transition numérique, qui représentent de nouveaux défis en matière de régulation ou de fiscalité ; la fonction Ressources humaines (RH) à travers un recrutement de qualité.

J'en viens au fond des sujets.

Sur le plan international, nous ne sommes pas dans une situation de crise majeure, mais les risques persistent. Après deux années de net ralentissement, l'économie mondiale montre des signes de stabilisation en début d'année, avec une croissance mondiale qui devrait être inférieure à 3 % en 2019, alors qu'elle était de 3,6 % en 2018. Des organismes internationaux prévoient un rebond en 2020 et 2021, mais son ampleur varie selon les organismes. Je reviendrai sur la question du coronavirus, parce que l'impact peut être non négligeable.

Premier facteur de risque, les tensions commerciales, et notamment les nouveaux risques qui courent sur les fronts européen et français. Ces tensions commerciales ont, depuis douze ans, contribué à un ralentissement très marqué du commerce mondial. Aujourd'hui, les montants en jeu entre l'Union européenne et les États-Unis demeurent limités, puisque moins de 80 milliards d'euros de produits sont potentiellement concernés, et seuls 7,5 milliards de dollars de droits de douane sont effectifs à l'heure actuelle, contre 370 milliards encore en place à l'égard de la Chine, même après l'accord de phase 1 signé en janvier dernier. Depuis l'instauration des mesures tarifaires sino-américaines, les échanges entre ces deux pays ont diminué de plus de 10 %, ce qui a entraîné un ralentissement du commerce mondial.

Deuxième facteur de risque, le Brexit. Il reste à négocier toute la partie relation future dans un délai extrêmement contraint, avec des positions de négociations de départ qui sont assez éloignées. Quelle que soit l'issue des négociations, il est clair que l'impact sera beaucoup plus fort pour le Royaume-Uni que pour l'Union européenne, et il sera même relativement faible pour la France. L'objectif des négociations doit être d'aboutir à des conditions de concurrence équitables, notamment au regard des aides et des règles environnementales.

Le troisième risque, c'est la persistance du ralentissement industriel dans la zone euro, notamment en Allemagne dans le secteur automobile, ralentissement qui pourrait se propager au reste de l'économie. À ce stade, les services résistent plutôt bien, mais les derniers indicateurs industriels ne sont pas très bons. Nous nous interrogeons sur les causes de cette évolution.

Enfin, quatrième facteur de risque, la croissance chinoise, déjà en ralentissement du fait de la transition du modèle chinois, sera impactée par l'épisode du coronavirus, même s'il est difficile de prédire dans quelle mesure. En 2003, l'épisode du SRAS avait eu un impact limité, mais le poids de l'économie chinoise a, depuis, beaucoup évolué. À ce stade, toutes les hypothèses sont sujettes à caution, mais, selon nous, si les choses se stabilisaient au niveau d'aujourd'hui, l'épidémie de coronavirus pourrait coûter 0,2 point de croissance au niveau mondial, et 0,1 point de croissance pour la France.

Sur le plan national, l'économie française a été relativement résiliente au cours de l'année 2019, même si l'activité a marqué un coup d'arrêt au quatrième trimestre, avec une croissance de 0,1 %, les trois premiers trimestres ayant connu une activité plus soutenue autour de 0,3 % à 0,4 %.

Nous avons une croissance tirée essentiellement par l'investissement et la consommation. La production industrielle a baissé de 1,6 % au quatrième trimestre, avec notamment des difficultés du secteur automobile. Les indicateurs conjoncturels relatifs au premier trimestre de 2020 témoignent d'une activité qui devrait reprendre à un rythme tendanciel. En fait, tous les prévisionnistes ont été pris un peu par surprise sur le dernier trimestre, parce qu'il y a eu un décalage entre les indicateurs d'activité et les indicateurs de confiance.

La question qui se pose est celle de l'ampleur du rebond, mais, à ce stade, nous sommes plutôt confiants, avec, quand même, l'hypothèque et l'incertitude liées à la fois au contexte commercial et au coronavirus.

L'effet principal, à très court terme, concernera le tourisme. Les Chinois représentent une part non négligeable des touristes en France, et surtout une part importante des achats réalisés dans notre pays.

Il y aura aussi certainement des effets sur les chaînes de production, notamment dans l'industrie automobile, un secteur où de nombreuses pièces détachées sont fabriquées en Chine. Cet effet est toutefois plus difficile à mesurer, des produits de substitution pouvant également être trouvés.

En 2020 et 2021, la consommation devrait être un facteur de soutien de la croissance en France. Les ménages ont enregistré de forts gains de pouvoir d'achat en 2019, notamment grâce aux baisses de prélèvements obligatoires et aux mesures d'urgence économiques et sociales. Nous avons enregistré dans un premier temps une augmentation de l'épargne, ce qui constitue un phénomène assez classique, l'effet sur la demande étant le plus souvent légèrement différé.

La croissance sera aussi soutenue par la forte diminution du chômage en 2019. La nouvelle baisse des prélèvements obligatoires en 2020 devrait également se répercuter progressivement sur la consommation des ménages, si l'épidémie de coronavirus ne vient pas assombrir les perspectives économiques.

L'investissement des entreprises est lui aussi extrêmement dynamique, en hausse de 4,2 % pour 2019, porté par le faible niveau des taux d'intérêt et par l'ensemble des mesures favorables à l'investissement productif, notamment la diminution de la fiscalité des entreprises. Celles-ci ont reconstitué leurs marges et les conditions financières devraient rester très favorables en 2020.

Les résultats du commerce extérieur ont été plutôt positifs en 2019, avec une augmentation de 2,5 % des exportations de biens, malgré une demande mondiale déprimée. La situation du commerce extérieur demeure fragile en raison de sa dépendance à un certain nombre d'industries comme l'aéronautique et la pharmacie, mais l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises et leurs efforts importants pour maîtriser les coûts salariaux les placent dans une position assez favorable pour bénéficier du rebond prévisible de la croissance mondiale à l'horizon de 2021.

À moyen terme, la croissance potentielle de la France devrait s'établir à 1,35 %, dans un environnement international néanmoins incertain.

Pour 2020 et les années à venir, nos priorités à l'international consistent à promouvoir des solutions multilatérales pour éviter l'aggravation des tensions commerciales et à lutter contre le réchauffement climatique en mobilisant tous les outils disponibles, notamment le mécanisme d'inclusion carbone européen, qui doit permettre d'éviter que les émissions n'augmentent dans les pays tiers par l'effet des délocalisations.

Nous sommes également fortement mobilisés sur le pacte productif, un projet structurant pour le ministère des finances. Lancé par le président de la République en avril dernier, il devrait faire l'objet d'annonces au cours du premier semestre 2020. À partir d'un diagnostic sur le tissu productif français, publié dans le rapport économique, social et financier (RESF) d'octobre dernier, certaines orientations ont été définies, comme l'objectif d'une économie zéro carbone en 2050, l'anticipation des besoins de compétences et des enjeux de formation, le soutien à l'innovation technologique - nous voulons éviter que l'Europe ne se trouve dominée par des acteurs externes - ou encore la volonté d'être encore plus compétitifs pour produire davantage en France et engager un nouvel acte de décentralisation économique.

Il faut noter qu'un grand nombre de ces priorités sont partagées par la nouvelle Commission européenne.

Nous travaillons aussi sur le renforcement de la zone euro. Beaucoup a déjà été fait sur la mise en place des mécanismes de coordination, de supervision et de soutien financier en cas de crise. Mais il reste encore du chemin à parcourir, notamment pour mettre en place un budget de la zone euro ou renforcer l'union bancaire. Il nous faut aussi négocier un accord de transposition des accords de Bâle conforme à nos intérêts, suffisamment prudent, mais qui ne pèse pas trop lourdement sur le financement de l'économie européenne. Enfin, nous devrons nous préoccuper de la directive Solvabilité 2 sur la réglementation des assurances.

M. Charles Guené, président. - Je voudrais tout d'abord évoquer, dans le cadre de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le point sensible des services financiers. Londres demeurera le centre financier de la zone euro, et il me semble indispensable de définir rapidement les termes de notre relation avec la place londonienne. L'objectif est de conclure un accord d'ici l'été, mais les intérêts des États membres pourraient diverger, et le risque d'un arbitrage réglementaire défavorable du Royaume-Uni n'est pas exclu. Quelle est la position de la France en la matière ?

Je veux ensuite vous interroger sur La Banque postale. Cet établissement exerce une mission de service public d'accessibilité bancaire à travers le Livret A, utilisé comme moyen de bancarisation. Les modalités d'exercice de cette mission doivent être renégociées au niveau européen au titre de l'encadrement des aides d'État. Notre commission avait déjà travaillé sur l'inclusion bancaire en 2017, en soulignant le risque d'exclusion numérique et territoriale associé à la diminution du nombre d'agences bancaires. Quel est le calendrier des négociations au niveau européen ? Comment cette mission de service public pourrait-elle évoluer ?

M. Jean-François Husson. - Dans le contexte actuel de taux bas, les établissements financiers font valoir que leurs marges s'érodent, tandis que l'endettement des ménages progresse. Le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) a récemment souligné la très forte progression de l'endettement immobilier des ménages, contrairement à la tendance observée chez nos partenaires européens. Pouvez-vous revenir sur les mesures prises en matière d'assurance-vie et de crédits immobiliers ? Quels seront leurs effets pour les particuliers ?

La direction générale du Trésor vient par ailleurs de publier une synthèse sur le rôle des instruments économiques dans la lutte contre la pollution de l'air. Vous évoquez notamment le renforcement du signal prix, ainsi qu'une meilleure internalisation des coûts sociaux de la pollution par les ménages et les entreprises. Pensez-vous réellement que la taxe - appelons un chat un chat ! - soit le seul moyen de faire évoluer les comportements ? Pouvez-vous également chiffrer les impacts économiques attendus de normes environnementales issues d'une concertation aboutie ? Selon moi, de telles normes pourraient être mieux acceptées, et donc plus stables que des taxes brutalement imposées, qui finissent par coûter beaucoup d'argent à l'État, comme en témoignent les exemples de l'écotaxe et du raidissement de la taxe carbone.

Enfin, vous préconisez la mise en place de péages urbains pour limiter la pollution liée aux transports. Une mesure de ce type ne risque-t-elle pas de conduire à des événements violents comme ceux que nous avons récemment connus en France ? Il me semble que nous avons besoin de concilier au mieux les enjeux économiques, écologiques et de finances publiques.

Mme Christine Lavarde. - Vous avez fait état des incertitudes pesant sur la croissance française en 2020, sans toutefois évoquer une révision de l'hypothèse de croissance, aujourd'hui fixée à 1,3 %. La Banque de France, avant même d'avoir connaissance du quatrième trimestre 2019, avait abaissé sa prévision de 1,3 % à 1,1 % pour 2020. À moyen terme, vous envisagez une croissance potentielle de 1,35 %, mais quel est votre avis sur la prévision de croissance pour 2020 ?

Comment expliquez-vous par ailleurs la nette diminution du nombre de contrats de partenariats publics-privés (PPP) portés par Fin Infra - seulement 3 en 2019, contre 7 en 2018, 15 en 2014 et 26 en 2012 ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Comment voyez-vous l'évolution des taux d'intérêt ?

Quels objectifs pouvons-nous nous fixer à moyen terme en matière de budget de la zone euro ? Où en sont les discussions ?

Où en est-on dans le différend commercial avec les États-Unis et le contentieux entre Airbus et Boeing sur les supposées aides d'État ? Les États-Unis ont pris la semaine dernière des mesures certes limitées, mais qui pèsent sur certains secteurs. Y a-t-il un espoir de règlement amiable ?

M. Éric Bocquet. - Vos missions comprennent la gestion de la dette publique par l'intermédiaire de l'Agence France Trésor.

La presse a révélé en décembre 2019 que Morgan Stanley avait été condamnée par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) à 20 millions d'euros pour manipulation du cours des titres de la dette française. En juin 2015, le bureau londonien de Morgan Stanley a en effet acquis massivement des contrats à terme sur la dette française et allemande, avant de revendre quinze minutes plus tard des emprunts français et belges.

L'AMF a considéré que les traders de la banque avaient cherché à faire monter le cours des contrats à terme sur la dette française à des niveaux anormaux et artificiels dans le but de faire monter le cours des emprunts d'État eux-mêmes, afin de les céder dans la foulée à un prix plus élevé - cela s'appelle de la spéculation.

J'ai adressé un courrier à Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, le 7 janvier dernier, pour l'alerter sur cette situation. Je me suis en outre intéressé à la charte déontologique de l'Agence France Trésor, qui dispose, à l'article A.5, à propos des banques inscrites sur la liste des spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) habilités par le Gouvernement à gérer des titres de dette française  : « le respect par les SVT des règles de bonne conduite et des pratiques professionnelles applicables à leurs activités sur les marchés de taux en Europe est pour l'Agence France Trésor un élément important de la qualité du service qui lui est fourni. Il est en effet indissociable de la promotion des valeurs du Trésor et plus généralement des marchés de taux en euro. L'Agence France Trésor en tient compte dans l'évaluation annuelle mentionnée à l'article C.2 de la présente charte, dans l'octroi et le maintien du statut de SVT. »

Avez-vous été saisie de ce dossier ? Considérez-vous qu'il serait légitime de maintenir le statut de SVT de cette banque qui spécule sur les titres de dette française ?

M. Philippe Dallier. - Vous avez rappelé tous les facteurs d'incertitude qui devraient nous amener à réviser à la baisse la prévision de croissance qui figurait dans le budget pour 2020, 1,3 % ; Christine Lavarde parlait de 1,1 %, et certains économistes vont jusqu'à évoquer un chiffre de 0,8 %... Qu'en pensez-vous ?

Pour ce qui concerne la transcription des accords de Bâle 3, le secteur bancaire français est relativement inquiet : la nouvelle réglementation devrait conduire à une augmentation de 24 % en moyenne des fonds propres réglementaires, contre 1,5 % pour les banques américaines... De nouveau, nous aurions un secteur bancaire français et européen sous contraintes. Vous parliez de regarder les choses avec souplesse ; quelle est notre marge de manoeuvre ?

Sur la politique monétaire de la BCE, une revue stratégique inédite est engagée : la question de l'objectif d'inflation est de nouveau posée, avec la possibilité d'un objectif symétrique autour des 2 % d'inflation. Quel est votre avis sur une éventuelle modification de cette politique ?

M. Philippe Dominati. - Je compléterai la question de mon collègue Vincent Capo-Canellas.

Vous avez dit que l'Union européenne était un acteur attentif de la relation commerciale sino-américaine. Dans ce dialogue fait d'initiatives américaines et de rétorsions chinoises, quels sont les atouts de l'Union européenne ? Les sanctions commerciales décidées par les États-Unis peuvent-elles faire de nous, a contrario, un partenaire privilégié du monde asiatique ? Sommes-nous forcés de subir la politique américaine, au prix d'une perte de croissance ? Les Américains viennent d'annoncer un relèvement à 15 % des taxes qui s'appliquent à Airbus ; une rétorsion est-elle prévue ? Quid de Boeing ?

Concernant la mission de service public confiée à La Banque postale, je voudrais rappeler que beaucoup de petits candidats échouent à se présenter aux élections municipales parce qu'ils ne parviennent pas à ouvrir un compte de campagne : aucune banque ne leur accorde de crédit. Je souhaite que vous teniez compte de ce point dans vos négociations avec cette banque qui se dit citoyenne, mais ne l'est pas tant que ça quand il s'agit de vie municipale et locale.

Mme Odile Renaud-Basso. - Pour ce qui est du Brexit, les services financiers ne feront pas partie de l'accord global de libre-échange - Michel Barnier l'a dit très clairement. En matière de services financiers, la régulation des relations futures va se faire par ce qu'on appelle le régime des équivalences : l'Union européenne examine la réglementation du pays tiers et vérifie si elle est ou non équivalente à la sienne.

Ce système régit un certain nombre d'activités, la gestion d'actifs ou les activités de compensation par exemple. Le passeport européen, donc l'implantation d'une entité dans l'Union européenne, est nécessaire, en revanche, pour pouvoir exercer une activité bancaire dans l'espace européen.

Une grande partie de l'activité financière sera néanmoins régulée par le système des équivalences, qui est un système unilatéral : c'est l'Union européenne qui décide de reconnaître ou pas l'équivalence des règles britanniques et des règles européennes - ce régime, nous le connaissons pour l'appliquer avec les États-Unis ou le Japon par exemple.

Toute négociation, en la matière, a été clairement refusée : ce dispositif est la condition du maintien de notre souveraineté en matière de réglementation. Une incertitude est créée, de facto, pour les acteurs financiers, ce qui pourrait susciter des relocalisations dans l'Union européenne. Certaines grandes banques ont d'ores et déjà pris des décisions, en amont du Brexit, de relocalisation dans la zone euro, qu'il s'agisse de créer des entités juridiques ou de déplacer des activités de place de marché. Globalement, la France se montre relativement attractive là où il s'agit de récupérer des salles de marché, Francfort attirant plutôt les entités juridiques.

Les États membres seront extrêmement vigilants à maintenir l'unité de l'Union européenne, ce qu'ils ont très bien réussi à faire pendant la première phase de négociation. Il faut continuer de fonctionner ainsi, car l'unité fait la force : restons très unis derrière la Commission et évitons les négociations parallèles. De ce point de vue, le maintien de la structure de négociation autour de Michel Barnier est une garantie de cohésion. La Commission veille par ailleurs à un minimum de convergence dans les exigences s'appliquant à la reconnaissance par chaque pays d'acteurs britanniques - c'est le rôle des agences de supervision que sont l'ESMA - l'Autorité européenne des marchés financiers - et l'EIOPA - l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles.

Concernant la mission d'accessibilité de La Banque postale, la négociation recommence avec la Commission européenne pour la période 2021-2026. Chacun reconnaît l'importance de cette mission d'accessibilité : si La Banque postale n'existait pas pour répondre à leurs besoins, 1,5 million de personnes rencontreraient des difficultés d'accès aux services bancaires classiques. C'est frappant : 40 % des opérations aux guichets, à La Banque postale, sont réalisées sur livret A - il s'agit donc de toutes petites opérations. Cette mission est reconnue comme telle par la Commission européenne ; le problème est d'évaluer exactement le niveau de compensation dont elle doit faire l'objet à ce titre. Cette banque est la seule à disposer d'un maillage territorial aussi large et d'un dispositif d'accueil adapté ; son activité sera pérennisée et nous la défendrons à Bruxelles.

Par ailleurs, il est clair que la politique monétaire de taux très bas, qui est aujourd'hui justifiée par le niveau très bas d'inflation et le besoin de soutenir l'activité économique, peut présenter des risques en matière d'instabilité financière, de surendettement et de création de bulles ; d'où une vigilance très importante de la part du HCSF. Le HCSF suit très étroitement l'évolution du crédit dans les différents secteurs.

Il faut savoir par ailleurs qu'un dispositif de surveillance macroprudentielle existe aussi au niveau européen, avec l'ESRB - le Conseil européen du risque systémique -, mis en place au moment de la crise financière, qui a notamment alerté les autorités françaises sur l'évolution du crédit immobilier. Il a émis un certain nombre de recommandations adoptées il y a quelques semaines par le HCSF : pas de crédits immobiliers d'une durée supérieure à vingt-cinq ans, le taux d'endettement devant être inférieur à 33 % des revenus du ménage après impôts - une marge de flexibilité est néanmoins laissée aux banques à hauteur de 15 % des crédits, notamment pour prendre en compte la situation particulière des primo-accédants. Nous verrons s'il est nécessaire de prendre des mesures additionnelles ; nous souhaitons en tout cas éviter un emballement du crédit qui serait néfaste à la situation des ménages.

Le papier que nous avons publié sur le signal-prix et les outils économiques pertinents en matière de pollution de l'air est un papier d'économiste. Du point de vue de la théorie économique, l'effet du signal-prix sur les comportements est le plus immédiat.

Cela dit, il faut bel et bien prendre en compte l'acceptabilité de telles mesures et l'impact du prix sur les acteurs les plus fragiles. La taxation ne saurait seule contribuer à la transition écologique ; il est important par exemple de faciliter les flux d'investissement et de financement, public et privé, vers les activités vertes.

La réglementation est un autre outil indispensable ; elle n'est pas sans effets économiques - je pense aux efforts d'adaptation demandés à l'industrie automobile - et il arrive qu'elle soit difficile à accepter - je pense à certaines réglementations très restrictives en matière d'isolation des logements.

Il existe d'ailleurs un consensus, aujourd'hui, pour dire que tout dispositif de taxation doit s'assortir de mesures d'accompagnement à destination des populations les plus fragiles.

Il en va de même pour la mise en place de péages urbains : économiquement, l'effet est évident ; mais il s'agit d'une décision fondamentalement politique. Les études que nous réalisons peuvent éclairer le débat, mais ne sauraient se substituer au choix politique, qui doit tenir compte de l'existence ou non de dispositifs alternatifs de transports publics. L'objectif de nos analyses n'est pas un objectif de finances publiques ; il est d'éclairer l'effet relatif des différentes mesures envisagées.

Quant aux prévisions de croissance, je me garderai d'en donner de nouvelles - je laisse cette responsabilité au Gouvernement, qui présentera la nouvelle prévision en avril, lors de la présentation du programme de stabilité. Il est trop tôt aujourd'hui pour vous donner le sens de cette révision, mais il est clair que, par rapport au chiffre initial de 1,3 %, la tendance est plutôt légèrement à la baisse.

La réduction du nombre d'avis émis par Fin Ifra est liée à celle du nombre de PPP, dossiers où l'avis de cette structure est obligatoire. L'activité de Fin Ifra ne se limite toutefois pas aux PPP : elle contribue aussi à éclairer les choix sur tous les montages en matière de financement d'infrastructures, de mise en place de sociétés de projet, concessions, etc. en émettant un avis sans obligation.

Aujourd'hui, le PPP est moins développé et utilisé. Son bilan est nuancé. Cet instrument est parfois difficile à manier, car il exige d'être précis et exhaustif d'emblée : toute modification est coûteuse. La révision du mode de comptabilisation des PPP en matière de comptabilité publique et de normes maastrichtiennes a également entraîné une neutralisation de l'effet de trésorerie, qui pouvait être bénéfique. Aujourd'hui, la dépense n'est plus étalée. Par conséquent, l'intérêt comptable est moindre qu'avant.

On prévoit une remontée très progressive des taux d'intérêt : la loi de finances pour 2020 indique que le taux à dix ans atteindrait 0,7 point fin 2020. Cela peut paraître beaucoup au regard de la situation actuelle, mais il est raisonnable d'avoir une approche prudente. Il est toutefois probable que la politique monétaire reste accommodante, car l'inflation est contenue.

Les perspectives du budget de la zone euro sont très liées aux discussions sur les perspectives financières. Un accord s'est dégagé sur la création d'un instrument budgétaire de convergence et de compétitive dédié à la zone euro (IBCC) et financé sur le budget de l'Union européenne. Nous continuons de plaider pour un accord intergouvernemental par lequel les pays s'engageraient à apporter des ressources supplémentaires affectées, en complément de la contribution au budget de l'Union européenne. Cela fait encore aujourd'hui l'objet de divisions importantes au sein de la zone euro. Le règlement de cet instrument comportera une clause d'habilitation permettant de le compléter par un accord gouvernemental et des ressources supplémentaires. C'est un tout premier pas. Nous restons convaincus que, dans la durée, la solidité de la zone euro sera liée à l'existence d'un outil budgétaire plus important, qui aura une fonction de stabilisation.

Avoir une politique monétaire unique et dix-neuf politiques budgétaires plus ou moins coordonnées est source de fragilité pour la zone euro. Il est donc très important d'avoir la capacité de réagir de manière collective en cas de ralentissement, pour assurer à terme la solidité de la zone euro. La Banque centrale européenne (BCE), le Fonds monétaire international (FMI) et toutes les institutions internationales plaident en faveur de cet instrument, même si c'est un sujet difficile en matière de souveraineté pour certains pays.

Sur les questions commerciales, l'Union européenne n'est pas restée sans rien faire. Elle a des discussions avec les États-Unis et est très active dans les différentes enceintes, notamment la « Trilatérale », pour trouver des solutions et promouvoir de nouvelles approches permettant de régler un certain nombre de difficultés ou de préoccupations, par exemple le droit des subventions à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou la prise en compte de subventions distorsives qui déséquilibrent le jeu concurrentiel. Il s'agit d'apporter des solutions structurelles à des préoccupations réelles.

L'accord sino-américain ne traite aucun sujet structurel, à part celui de la propriété intellectuelle, et ne réforme pas le droit commercial international. Il a essentiellement une approche mercantiliste.

Sur les sanctions sur l'acier et l'aluminium, qui est l'un des contentieux qui nous opposent aux États-Unis, l'Union européenne a pris des mesures de rééquilibrage - pour une valeur de 2,8 milliards d'euros - pour compenser les décisions américaines.

Les États-Unis ont pris de nouvelles mesures augmentant notamment les droits de douane additionnels sur les avions. Les autres mesures sont d'une ampleur assez limitée, même si cela peut avoir un impact sectoriel réel, par exemple pour le secteur du vin. La stratégie européenne est de se préparer à prendre des mesures inverses, une fois que sera connue la décision de l'OMC sur le contentieux Boeing, qui devrait intervenir d'ici au mois de juin prochain. Il s'agira alors d'instaurer un dialogue avec les États-Unis pour qu'une solution soit trouvée, après que chacun aura pris des mesures contre l'autre. Il ne s'agit pas du tout d'avoir une approche passive ou de ne rien faire pour tenter d'amadouer nos partenaires américains.

Il n'est pas exclu que soient prises des mesures sur des contentieux plus anciens ; cela fait l'objet d'un débat et c'est l'une des possibilités en cours d'examen. Il est dans l'intérêt de chacune des parties de solder tous les contentieux, d'autant que la Chine est en train de développer ses propres capacités aéronautiques. Nous avons donc des intérêts communs avec les États-Unis en la matière.

Nous suivons de très près l'affaire Morgan Stanley et nous avons examiné attentivement la décision de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Aucune décision n'est encore prise quant aux conséquences à tirer des comportements de la banque : le sujet est en cours d'examen par l'Agence France Trésor.

Concernant Bâle 3, c'est assez est clair : comme après chaque accord, il faut une transposition par le droit de l'Union européenne dans chaque juridiction. La Commission européenne doit formuler des propositions. Des marges de manoeuvre existent quant à la façon de transposer les règles et les principes agréés à Bâle : des options et des façons sont possibles. Nous travaillons très étroitement avec la Commission européenne et l'ensemble des partenaires sur ces sujets.

Notre objectif est de prendre en compte la spécificité et le poids du financement bancaire dans l'Union européenne et de préserver à la fois la stabilité financière et la compétitivité. Un accord politique a eu lieu entre les ministres des finances de l'Union européenne pour que la révision de Bâle 3 ne se traduise pas par une augmentation substantielle des exigences en fonds propres. Cela reste notre objectif.

Sur ces sujets-là, les discussions européennes sont toujours difficiles, les intérêts des uns et des autres pouvant diverger. Nous serons très mobilisés sur ces questions, car nous avons conscience de l'importance de l'enjeu.

Il est toujours très délicat pour un ministère des finances de se prononcer sur les objectifs de la politique monétaire de la BCE. Sur la révision de la cible d'inflation, je serai extrêmement prudente. En effet, on n'a pas atteint la cible d'inflation depuis plusieurs années en raison d'un contexte particulier. En revanche, réviser à la baisse la cible d'inflation reviendrait à envoyer un signal extrêmement problématique et, pour une zone monétaire unique, rendrait aussi très difficile toute convergence. Plus vous baissez la cible d'inflation, plus les capacités de rééquilibrer les divergences entre pays par une inflation plus rapide dans certains pays que d'autres seront limitées. D'ailleurs, au niveau académique, le débat porte plutôt sur la question de l'augmentation de la cible d'inflation.

L'ancien président de la Commission européenne a exprimé la volonté, reprise par l'actuelle présidente, de négocier un accord commercial avec les États-Unis sur les sujets non agricoles, c'est-à-dire sur les biens industriels et les questions de standards. Jusqu'à présent, les négociations n'avaient pas vraiment commencé. Nous sommes très vigilants pour que le champ agricole reste exclu de ces discussions. D'ailleurs, aujourd'hui, il ne figure pas dans le mandat donné à l'Union européenne. Il s'agit là d'une ligne rouge, mais qui pourrait être un point de désaccord avec les États-Unis qui souhaitent que le champ agricole soit inclus.

La question du financement des petits candidats a fait l'objet de l'attention et de la vigilance du Gouvernement. Un médiateur a d'ailleurs pour mission de nous alerter et d'alerter également les banques en cas de difficulté.

M. Philippe Dominati. - Pour l'instant, tout candidat doit faire une démarche auprès de la Banque de France et attendre dix jours pour que celle-ci oblige l'établissement qu'il a contacté à ouvrir un compte. Les restrictions prévues sont assez pénibles et s'apparentent à des entraves : tout doit se faire par chèque, aucun virement n'est possible, etc. Si une convention était élaborée, il serait utile d'y inclure ces données.

M. Marc Laménie. - Je souhaite vous interroger sur les moyens humains sur le terrain, car vous n'avez parlé que de l'administration centrale. Y a-t-il un maillage du territoire ?

Par ailleurs, quels sont vos liens avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui est un partenaire important, en matière de financement des projets des collectivités territoriales ?

M. Jean Bizet. - L'ordonnance transposant la cinquième directive anti-blanchiment a récemment été présentée en conseil des ministres. Certains organismes bancaires sont montrés du doigt. La France et l'Allemagne, notamment, ont souligné le manque d'harmonisation européen sur cette question. Quelle est votre analyse sur ce point ? Ce sujet sera-t-il pris en compte dans le prochain projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne ?

S'agissant du Brexit, l'équivalence accordée à la Grande-Bretagne sera-t-elle un copier-coller de l'accès dont disposent aujourd'hui la Suisse ou le Japon ou sera-t-elle spécifique ?

Enfin, peut-on espérer une relocalisation des chambres de compensation dans la zone euro, comme le souhaite la Banque centrale européenne ? Où en est-on sur cette question ?

M. Michel Canevet. - Quelle est votre analyse sur l'évolution des réseaux bancaires et sur la situation des banques françaises ? Cette évolution risque-t-elle d'avoir un impact extrêmement fort sur l'emploi ?

Un décret a été publié en fin d'année dernière permettant aux sociétés d'assurance d'intégrer dans leurs bénéfices leurs provisions pour participation aux bénéfices, ce qui modifie les règles de calcul des ratios prudentiels. Cette mesure est-elle appelée à perdurer ? A-t-elle permis d'obtenir des résultats ?

Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, certains investissements structurants ont du mal à trouver un financement, certains projets, notamment dans le domaine de la production énergétique, sont difficilement mis en oeuvre - je pense à l'éolien en mer, au développement d'une filière de production industrielle d'hydrogène. Des soutiens à ces investissements sont-ils prévus ?

M. Claude Raynal. - Le Trésor peut-il mesurer les effets sur la croissance de l'extra-territorialité du droit américain ?

Alors que l'Union européenne lance un Green deal, est-on capable aujourd'hui d'évaluer les effets des investissements dans le cadre du plan Juncker en termes de décarbonation de l'économie française ?

M. Victorin Lurel. - L'union bancaire est-elle réellement fonctionnelle ? L'Italie a récemment dû renflouer des banques. Pourquoi le mécanisme de résolution unique et le renflouement interne n'ont-ils pas fonctionné ?

Quel sera l'impact pour les services de la direction générale du Trésor de l'abandon du franc CFA, en termes d'effectifs, d'activité, de taux ? Comment accompagnerez-vous cette réforme ? Comment la France sera-t-elle désormais représentée au sein de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) ? Vous semble-t-il pertinent de maintenir une garantie de convertibilité tout en mettant fin à l'obligation de dépôt des réserves de change ?

Sachant que l'euro est une monnaie forte, ce qui pose des difficultés aux économies de la région, qui sont beaucoup moins compétitives et ont besoin de donner la priorité à la croissance économique et à l'emploi plutôt que de lutter contre l'inflation, l'arrimage du franc CFA à l'euro est-il encore pertinent ?

M. Patrice Joly. - Le lancement de l'Eco, qui devait se substituer au franc CFA, étant reporté, un nouveau calendrier est-il prévu ? Compte tenu des enjeux et des conséquences économiques et politiques de cette substitution, ma crainte est qu'à une monnaie « coloniale » on en substitue une autre au regard des poids différents des pays de la zone concernée.

Vos services ont-ils mené une réflexion sur l'obligation du dépôt des fonds libres des collectivités locales au Trésor, sachant que les services rendus aux collectivités en contrepartie ont diminué au cours des dernières années ? Existe-t-il des perspectives d'autonomisation complète des fonctions de caisse et comptables des collectivités locales ?

M. Sébastien Meurant. - Croyez-vous aux cycles économiques, à la durée de ces cycles, notamment aux États-Unis ?

La dette de la France a doublé en dix ans, sa dépense publique atteint un niveau record par rapport à la moyenne européenne, ce qui se traduit par une pression fiscale record pour les entreprises et les ménages et rend difficile toute fiscalité additionnelle verte. Que faudrait-il faire pour dégager des marges de manoeuvre monétaires et budgétaires ?

Enfin, quel est votre point de vue sur le scandale des primes indues versées par la banque Arkéa à plusieurs de ses dirigeants ?

Mme Odile Renaud-Basso. - Vous m'avez d'abord interrogée sur les moyens humains dans les territoires : nous n'avons pas de réseau territorial en France, mais nous en avons un à l'international. Autrefois, dans les directions de l'industrie à l'échelon territorial, des personnes suivaient le commerce extérieur, mais nous avons souhaité rationaliser notre organisation pour réaliser des économies budgétaires et mettre en place la Team France Export avec Business France, les chambres de commerce et BPIFrance, qui prennent en charge la relation avec les entreprises désireuses d'exporter.

Nous sommes membres de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Nous n'exerçons pas une tutelle classique, car il s'agit d'un établissement sui generis, sous le contrôle du Parlement. Nous jouons un rôle particulier en ce qui concerne les fonds d'épargne, l'État étant garant in fine de ces fonds. Tous les emplois sont décidés sur autorisation du ministre des finances. Nous suivons l'activité de la Caisse des dépôts et consignations de façon étroite, cet établissement de premier plan jouant un rôle important en tant qu'investisseur, mais aussi dans la mise en oeuvre des politiques publiques.

Nous sommes très favorables au renforcement européen de la surveillance des règles anti-blanchiment. Le système français, même s'il est toujours perfectible, est solide. Tracfin fonctionne bien, les institutions financières signalent les cas douteux. Nous allons être évalués par le groupe d'action financière (GAFI) cette année, c'est un moment important pour nous. Cela étant, nous avons constaté de très grosses défaillances en Europe, notamment dans les banques nordiques. Un renforcement du cadre européen est donc indispensable, pour des raisons de crédibilité, et ce pour tout le monde. Nous sommes favorables à la mise en place d'une institution européenne unique qui travaille avec les institutions nationales. Nous pensons par ailleurs qu'il est préférable de procéder par la voie du règlement plutôt que par celle de la directive afin d'être sûr que tout le monde applique bien le droit de la même façon, et de façon plus rapide.

Il n'y aura pas de droit spécifique pour les équivalences pour le Royaume-Uni. En revanche, nous adaptons le droit des équivalences pour tenir compte du Brexit et du fait que l'un de nos plus importants partenaires financiers sera en dehors de l'Union. Ce nouveau droit sera applicable à tout le monde. Nous effectuerons ensuite des revues régulières pour vérifier que le droit évolue de façon parallèle.

Nous sommes convaincus qu'une relocalisation des chambres de compensation dans la zone euro est nécessaire, pour des raisons de stabilité financière. La directive MiFID II redéfinit le cadre de supervision des chambres de compensation, soit en posant des conditions de localisation, soit en permettant une véritable supervision renforcée dans des pays tiers. C'est un sujet de très grande vigilance de notre part. La mise en place d'un régime d'équivalences, qui est source d'incertitudes, devrait tout de même inciter à la relocalisation.

Le système bancaire français est soumis à rude épreuve en raison à la fois de la numérisation et de la dématérialisation croissante des échanges. Nous conservons toutefois un maillage territorial assez important, notamment grâce au réseau mutualiste. Les banques ont tendance à réduire leurs effectifs déployés dans les territoires, notamment les grandes banques comme la Société générale et la BNP. Elles s'adaptent au nouveau cadre, à la pression sur les marges et à l'émergence de nouveaux modes de relations bancaires.

Nous partageons tout à fait l'idée que, pour lutter contre le changement climatique, des investissements massifs sont nécessaires pour déployer de nouvelles technologies, dans le secteur de l'hydrogène par exemple. De tels investissements doivent se faire dans le cadre européen, comme pour le plan Batteries. C'est l'un des objectifs du pacte productif, qui vise à favoriser et à financer l'innovation dans ces domaines et à obtenir des entreprises qu'elles s'engagent à réduire leur empreinte carbone.

Dans ces domaines, des dérogations au régime des aides d'État nous semblent utiles, afin de faire face aux enjeux.

Nous ne savons pas mesurer l'impact sur la croissance française de l'extraterritorialité du droit américain, mais je ne pense pas que cela ait un véritable impact macro-économique pour notre pays. En revanche, l'impact est très clair pour des pays comme l'Iran. C'est un sujet extrêmement complexe sur lequel il faut une approche multidimensionnelle impliquant le renforcement de l'euro, des instruments financiers du type Instex - Instrument in Support of Trade Exchanges -, même s'ils ont aussi leurs limites, une capacité de réaction au niveau européen, la mise en place aussi de nos propres outils, comme la France a su le faire avec Airbus.

S'agissant du Green Deal, la Banque européenne d'investissement va devenir un acteur majeur du financement des projets verts, puisque 50 % de ses projets devront relever de cette catégorie et qu'elle doit sortir du financement des énergies fossiles. Des critères d'évaluation permettent de définir les investissements publics considérés comme verts. C'est plus délicat s'agissant des investissements privés : c'est pourquoi nous nous sommes mis d'accord au niveau européen sur une taxonomie qui permet de classer les investissements privés par type et qui leur confère un standard commun. L'étape suivante sera de définir des labels de certification. Face à la tentation du greenwashing, nous avons tout intérêt à définir des nomenclatures et des outils de mesure communs pour les investissements publics et privés.

S'agissant de l'union bancaire, le Fonds de résolution unique intervient auprès des plus grandes banques, les plus systémiques. En revanche, il se considère comme non compétent pour les banques petites et moyennes. Il n'y a donc pas de cadre suffisamment défini pour ces dernières et l'on a pu constater des contournements du principe d'union bancaire. Des travaux sont en cours pour essayer de définir un cadre commun à toutes les banques et éviter de retomber dans les errements du passé.

Sur le franc CFA, nous continuons à apporter une garantie, mais il y a une réforme substantielle de la gouvernance. La direction générale du Trésor continuera à dialoguer avec les pays concernés et à suivre de très près ces économies. Nous ne sommes plus dans la gouvernance, mais il existe des mécanismes de déclaration afin de regarder au plus près l'évolution des comptes courants et des réserves de ces pays et de mesurer ainsi les risques d'appel de la garantie. L'arrimage à l'euro nous paraît être un élément très important de stabilité pour les pays concernés qui ont souhaité le maintien de ce dispositif. En Afrique de l'Ouest, on constate que le franc CFA et l'arrimage à l'euro ont été des facteurs de stabilité - faible inflation, croissance maintenue - et de cohésion de la zone. Quand l'Eco deviendra une réalité plus large, les choses pourront évoluer. Les pays d'Afrique de l'Ouest semblent d'ailleurs prêts à adopter le nom Eco. Ce changement de nom est élément important, compte tenu du poids symbolique du franc CFA. Cela doit faire l'objet de discussions entre les pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et les pays dans la zone franc.

Compte tenu de la situation actuelle des taux, il est de l'intérêt des collectivités territoriales de continuer à déposer leurs fonds libres sur le compte du Trésor français. Certaines banques réfléchissent d'ailleurs à répercuter les taux négatifs sur les dépôts qui leur sont faits. Cela contribue à réduire le besoin d'émission de dette en réduisant les besoins de trésorerie à court terme.

Les cycles économiques existent et l'on ne pourra pas rester éternellement dans un cycle haussier. Mais il est vrai que la croissance économique américaine nous surprend par sa résistance et que certains concepts économiques classiques, comme la courbe de Phillips, sont remis en question : malgré un taux de chômage très bas aux États-Unis et en Allemagne, l'inflation y reste très limitée. Mais le cycle économique se retournera et, à ce moment-là, il faudra être prêt, avec des marges de manoeuvre pour réagir. D'où l'importance, pour le ministère de l'économie et des finances, de la soutenabilité des finances publiques et de la réduction des déficits, éléments importants de la stratégie économique du Gouvernement.

Sur la réduction des dépenses publiques, le Gouvernement a choisi, plutôt que de donner des coups de rabot qui conduisent ensuite à un ressaut de la dépense, de conduire des réformes structurelles aux effets importants en termes de dépenses publiques : la réforme de l'assurance-chômage, celle de la politique du logement, par exemple.

Un certain nombre de mesures ont été prises en matière de fiscalité, je pense notamment à la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés. Les mesures d'allégement de la fiscalité ont un effet sur l'emploi et la compétitivité de l'économie française : nous devons donc poursuivre cette stratégie. Dans le cadre du Pacte productif, nous devrons réfléchir aux moyens de réduire le poids des impôts productifs sur la compétitivité de nos entreprises, car nous sommes très en décalage par rapport à l'Allemagne. Nous devrons trouver les trajectoires qui nous permettront de financer de telles baisses.

Le système français a fait la preuve de sa solidité au cours de la crise. Nous avons l'un des secteurs bancaires les plus internationalisés et les plus solides. Mais la comparaison avec les banques américaines montre que les enjeux de compétitivité sont réels. Le fait d'avoir des banques capables de financer nos entreprises est aussi un enjeu de souveraineté. Nous devons donc rester très vigilants. Notre système bancaire est sans doute plus compétitif et moins concentré que le système américain, mais nous souffrons aussi de handicaps structurels plus importants, au regard notamment d'un plus faible développement des marchés financiers. Pour renforcer le système bancaire européen, nous devons donc développer l'union des marchés de capitaux et la titrisation, qui permettent d'alléger les bilans bancaires.

Le Gouvernement a pris une mesure sur la participation aux bénéfices dans le secteur des assurances. Il s'agissait de prendre en compte la situation particulière actuelle de taux bas, mais aussi d'assurer une comparabilité avec nos partenaires européens qui ont ce type de mesure. Elle est mise en oeuvre sous le contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), sans risque pour les épargnants. Elle permet de montrer une meilleure résilience des assureurs français en cas de choc, puisqu'ils peuvent alors, sur autorisation de l'ACPR, utiliser une partie de cette provision pour absorber des pertes exceptionnelles. Cela nous a semblé une mesure pertinente dans le contexte actuel de taux bas qui pèse sur le secteur de l'assurance.

Je n'ai pas d'éléments particuliers sur Arkéa.

M. Charles Guené, président. - Je vous remercie de votre intervention.

La réunion est close à 12 h 45.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.