Jeudi 23 janvier 2020

- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -

Table ronde « Patrimoine historique des collectivités territoriales : quels moyens d'action pour les maires ? »

M. Jean-Marie Bockel, président. - Avant de saluer nos invités, je souhaiterais vous dire que Les Républicains proposent d'intégrer dans notre délégation Philippe Pemezec, en remplacement de Bruno Gilles, démissionnaire. Après l'audition de Brigitte Klinkert, j'aborderai la démarche engagée par le président du Sénat dans la perspective de la réforme 3D. Notre délégation aura en effet un rôle à jouer en la matière.

Je souhaite la bienvenue à Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin et vice-présidente de l'Assemblée des Départements de France (ADF). Elle est accompagnée du directeur Culture Éducation et Sport du Haut-Rhin, Sébastien Prioul-Bernard.

Cette audition abordera la question de la valorisation du patrimoine historique des collectivités territoriales. Nous avons déjà mené un certain nombre d'auditions, qui se sont avérées très fructueuses. Le rapport de nos collègues, Sonia de la Provôté et Michel Dagbert, sera remis dans la foulée des élections municipales. Il nous a, en effet, semblé souhaitable de fournir un appui méthodologique sur ces questions sensibles aux nouvelles équipes municipales. Elles entameront leur mandat en mars prochain et feront face à la question cruciale de la préservation du patrimoine, et à la nécessité de le faire vivre.

Cette problématique patrimoniale apparaît de plus en plus importante pour nos concitoyens. Lorsque j'ai pris mes fonctions de maire de la ville de Mulhouse, à la fin des années 1980, les enjeux patrimoniaux n'étaient pas une priorité, en particulier pour les villes de tradition industrielle. En tant que maire, j'étais confronté à des projets qui faisaient fi des bâtiments historiques, sous prétexte de modernité. Ainsi, avant même que je n'en devienne maire, Mulhouse avait connu des polémiques, notamment à propos de la tour du Bollwerk. Le maire d'alors, Émile Muller, avait envisagé de raser ce véritable symbole du Moyen-Âge pour pouvoir améliorer la voirie. Ceux qui envisageaient ces projets n'étaient ni des imbéciles ni des incultes, mais ils appartenaient à une certaine époque. Mes propres adjoints partageaient cette perspective. Ils me soumettaient des projets invraisemblables, tels que la construction d'un ensemble immobilier comprenant un parking souterrain sur la place de l'église Sainte-Marie.

Depuis cette époque, l'enjeu du patrimoine a connu une véritable montée en puissance dans l'esprit des édiles, mais également pour les citoyens. L'émotion suscitée par l'incendie de Notre-Dame atteste de la fragilité du patrimoine et de la nécessité de le préserver. Le champ même du patrimoine a évolué. La notion de patrimoine industriel, par exemple, est arrivée assez tard. Désormais, le patrimoine va bien au-delà de ce que l'on appelait jadis les « vieilles pierres ». Il convient également d'évoquer le patrimoine vivant, tout comme la nécessité de faire vivre les lieux patrimoniaux. Le concept de petites cités de caractère, par exemple, témoigne de la volonté de faire du patrimoine un atout en termes d'attractivité des territoires.

Ainsi, le patrimoine nécessite d'être pris en charge par des acteurs compétents, disposant d'une ingénierie solide. Il doit pouvoir bénéficier de financements publics et privés. J'ai à ce propos échangé à plusieurs reprises avec Stéphane Bern, qui réalise un important travail de vulgarisation. Je me félicite par ailleurs qu'il n'ait pas démissionné, ce qui lui permet de conserver une capacité d'influence. Il serait bon du reste que nous l'auditionnions un jour.

Un représentant de l'Association des maires de France (AMF) devait participer à notre réunion du jour. En raison d'un désistement, nous reporterons cette rencontre. Nous aurons cependant le temps nécessaire pour écouter Brigitte Klinkert. Celle-ci est également élue de Colmar, ville pour laquelle le mot de patrimoine revêt une signification forte.

J'accueille également Adrien Bertrand, conseiller Culture de l'ADF, ainsi que Marylène Jouvien, en charge des relations parlementaires à l'ADF.

Mme Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin et vice-présidente de l'Assemblée des départements de France. - Merci monsieur le président. Je vous remercie pour votre invitation. Je suis très heureuse de représenter l'ADF pour cette audition. Suite à son congrès 2018, au cours duquel ont été abordées des questions patrimoniales, l'ADF a mis en place un atelier Culture, que j'ai l'honneur de présider. Les présidents et les élus des conseils généraux ont en effet estimé que ce sujet était d'une grande actualité.

Je rappelle que parmi les compétences obligatoires des départements figurent les archives, la sauvegarde du patrimoine, les bibliothèques, ainsi que les musées départementaux. Les départements soutiennent ainsi de manière stable la culture et le patrimoine. En 2014 ou 2015, certains d'entre eux ont peut-être baissé les dépenses qu'ils y consacrent, mais elles apparaissent désormais stables ou en hausse, qu'il s'agisse de dépenses de fonctionnement ou d'investissement. Entre 2016 et 2018, elles ont ainsi augmenté de plus de 10 %. De plus, la moyenne des dépenses liées à la culture dans les budgets des départements atteint désormais 3 %. Cela n'est pas surprenant, considérant que la première de leur mission est la solidarité.

Outre l'obligation de préserver le patrimoine, sa valorisation permet le développement des territoires, notamment d'un point de vue économique. Je préside par exemple l'association Les Dominicains de Haute-Alsace, qui gère un centre culturel de rencontre dans la ville de Guebwiller. Situé dans une ancienne vallée textile enclavée, ce centre permet aux entreprises du secteur de recruter plus aisément. Ainsi, différentes études ont démontré qu'un euro investi dans le patrimoine génère pour le territoire de 28 à 31 euros.

Les contributions des départements au patrimoine sont très hétérogènes. Le département est un échelon de proximité, ce qui lui permet de remplir un rôle de coordonnateur des actions culturelles territoriales. Néanmoins, il existe trois formes de participation des départements dans ce domaine. Ainsi, certains d'entre eux se concentrent principalement sur leurs compétences obligatoires : les archives ; la lecture publique ; les schémas d'enseignement artistique. Certains s'investissent davantage sur la solidarité humaine et territoriale, estimant que leur priorité doit être le renforcement du lien social et le développement culturel des territoires. C'est le cas par exemple du département du Puy-de-Dôme ou de l'Eure.

Certains, tels le Rhin, la Dordogne, la Charente, ou l'Allier ont conservé un investissement global dans tout le champ de la culture. Ils estiment devoir pallier un déficit de l'offre culturelle, et travailler à un maillage équitable entre leurs différents territoires. Il convient de souligner une nette tendance des départements à investir dans le patrimoine. Le Haut-Rhin a par exemple adopté en 2018 un plan patrimoine doté de 9 millions d'euros, sur un budget total légèrement inférieur à 800 millions d'euros. Quant au département de la Vienne, il a annoncé un rehaussement de son plan patrimoine. L'Eure a pour sa part consacré plus de 20 % de son budget culture au patrimoine.

Nous ressentons également le besoin d'une meilleure association des départements aux décisions qui impactent les politiques locales de conservation du patrimoine. Le projet de loi de finances pour 2020 confirme les crédits dédiés au patrimoine, qui demeurent relativement stables. Néanmoins, ces crédits restent inférieurs de 5,6 % à ceux du budget exécutoire de 2012. Il convient également de souligner que les crédits des monuments historiques ont augmenté d'environ 4 % entre 2018 et 2019. Néanmoins, ceux alloués aux archives connaissent une baisse significative, de l'ordre de 18 %.

Ce programme témoigne de la priorité accordée au patrimoine des monuments historiques, et en particulier aux grands projets. À ce titre, il est possible d'évoquer les grands chantiers, tels que ceux du Grand Palais (60 millions d'euros), ou du château de Villers-Cotterêts (55 millions d'euros). Dans le même temps, la restauration des monuments historiques, hors grands projets, n'augmente que de 1,3 %. Les départements s'inquiètent donc de ces orientations.

Je salue également l'initiative de Stéphane Bern avec le loto du patrimoine. Celui-ci permet de mettre en lumière la diversité du patrimoine monumental français, mais également de lutter contre sa dégradation. Des investissements d'ampleur en la matière s'avèrent en effet nécessaires. Les départements encouragent donc cette initiative, dont les montants apparaissent néanmoins insuffisants pour constituer une aide significative. En effet, le loto du patrimoine a généré 200 millions d'euros de recettes en 2018. Sur cette somme, seuls 22 millions d'euros ont été destinés au patrimoine, alors que 14 millions d'euros ont été prélevés en taxes. La proposition du Sénat de supprimer ces taxes dans le projet de loi de finances pour 2020 s'est heurtée à l'opposition de l'Assemblée nationale. Les départements ne peuvent que déplorer le maintien de cette taxation, qui leur fait craindre une baisse des montants destinés du patrimoine.

Je souhaiterais également évoquer la mission Bern et la Fondation du patrimoine. Cette mission, qui vise à soutenir des restaurations patrimoniales, a mobilisé 148 millions d'euros en 2018, et 78 millions d'euros en 2019. Mes collègues et moi-même regrettons l'absence des élus lors de l'identification et du choix des projets, alors même que les collectivités sont très investies dans ces dossiers. Il s'agit généralement de soutien au patrimoine en milieu rural ou isolé. La collaboration entre la Fondation du patrimoine et les conseils départementaux permet l'identification des projets patrimoniaux par les départements. Par exemple, le département de l'Yonne et la Fondation du patrimoine ont noué un partenariat très fort depuis 2006. Depuis 2015, 390 projets ont pu être soutenus dans ce cadre.

De plus, le label Fondation du patrimoine est un indicateur important. Il permet notamment de sensibiliser les acteurs économiques locaux. Malheureusement, il est encore perçu par les départements comme non transparent, compliqué à obtenir, voire inaccessible. La proposition d'élargir ce label au patrimoine non protégé dans les zones rurales vise à faire bénéficier ces territoires de l'attention dont ils ont besoin.

Par ailleurs, le département est une collectivité innovante en termes de préservation du patrimoine historique, en particulier pour celui qui n'est pas protégé. Il peut en effet apporter un soutien en matière de financement, mais également en matière d'ingénierie. Celle-ci apparaît essentielle pour l'entretien et la promotion du patrimoine. L'état du petit patrimoine exige en effet une vigilance particulière, notamment dans les zones rurales, d'autant que les budgets des communes apparaissent de plus en plus contraints. De plus, il peut s'avérer difficile pour des équipes municipales réduites d'établir des dossiers, et de savoir à qui les adresser.

En 2020, la Charente-Maritime a ainsi mis en oeuvre un plan patrimoine prévoyant des fonds pour le patrimoine non classé. Ce plan, voté en décembre 2019, vient compléter les actions préalables menées dans ce département en la matière. Il avait notamment mobilisé 1,5 million d'euros en 2018 en faveur des lieux de mémoire emblématiques, et des sites patrimoniaux remarquables.

L'incendie de Notre-Dame a très fortement marqué les esprits. De nombreux départements se sont alors mobilisés. Plus de 25 déclarations d'intention ont ainsi été identifiées par l'ADF, pour proposer un soutien exceptionnel à la reconstruction de la cathédrale. Ce soutien a par ailleurs souvent été associé à des efforts de consolidation des budgets dédiés à la conservation des monuments et du patrimoine local. Par exemple, le département de la Vienne a fait voter une augmentation du plan de préservation des édifices de la ville. De même, le département du Rhin, dont le plan patrimoine était déjà ambitieux (9 millions d'euros sur trois ans), a mis en place un partenariat avec les compagnons du devoir, notamment pour inciter les jeunes à s'intéresser aux métiers liés à la préservation du patrimoine.

Les départements mettent également en oeuvre des initiatives participatives. Je prendrai l'exemple du département de l'Eure, qui a mis en place une plateforme de crowdfunding pour la restauration du petit patrimoine. Les départements lancent également des appels à l'engagement citoyen pour des actions de petite restauration, ou de veille de l'état des monuments. Le département de l'Allier propose ainsi des chantiers participatifs pour la restauration du petit patrimoine. Le département du Rhin a pour sa part mis en place un programme de veilleurs de châteaux. L'Alsace dispose en effet d'un patrimoine de châteaux forts tout à fait exceptionnel. Des bénévoles consacrent ainsi leur temps pour veiller à ce que les châteaux ne se dégradent pas davantage. Lorsqu'ils constatent des dégâts, ils contactent les propriétaires qui peuvent ainsi engager des travaux.

En matière d'ingénierie, le département des Yvelines a créé un pôle sauvegarde et transmission des patrimoines. Ce pôle a été rattaché à une agence départementale indépendante. Il vise à accompagner les acteurs dans la restauration du patrimoine, notamment par le recensement, la documentation des oeuvres, des actions de proximités de valorisation du patrimoine, ainsi que la gestion des oeuvres du département. Cette agence, Ingéniery, peut assister les communes de manière globale, et dispose entre 2018 et 2021 d'une autorisation de programme avec un budget d'1,2 million d'euros.

Je prendrai également l'exemple du département du Haut-Rhin, qui dispose de l'Agence départementale d'aménagement et d'urbanisme du Haut-Rhin (ADAUHR). Lorsqu'une petite commune engage une campagne de restauration du patrimoine, elle s'adresse généralement aux conseillers départementaux du canton, qui les mettent alors en relation avec l'ADAUHR.

En 2020, la Charente-Maritime lancera un plan patrimoine, avec un fonds départemental à destination du patrimoine de pays non classé. Il s'agit en effet d'une question importante. Il allouera pour ce faire 1,5 million d'euros.

Je conclurai sur la question de la valorisation. La restauration du patrimoine est essentielle, mais ce patrimoine doit si possible redevenir un patrimoine vivant. Les départements valorisent le patrimoine en permettant sa découverte et son appropriation, à travers des programmes culturels et éducatifs transversaux. Pour ce faire, ils peuvent utiliser des outils numériques, ainsi que des parcours mixtes (sport, patrimoine, culture). Ces démarches apparaissent importantes pour donner envie aux jeunes de s'intéresser à notre patrimoine. Je songe également au patrimoine immatériel, qui comprend notamment les archives. Dans le Haut-Rhin, nous avons ainsi présenté aux collégiens l'histoire des Alsaciens entre 1919 et 1925 à travers l'itinérance d'un dôme numérique. Il s'agit d'un projet réalisé entièrement en interne par le département. Le fait de présenter cette histoire à travers des photos d'archives a permis de susciter un vif intérêt chez les collégiens. Je songe notamment au témoignage d'une élève du collège de Bourtzwiller, jeune réfugiée, qui après avoir visionné ce film m'a dit : « L'histoire de l'Alsace ressemble beaucoup à l'histoire qui est la mienne, et à l'histoire du pays que j'ai dû quitter ». Je vous remercie.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie pour cet exposé. Sur le plan patrimonial, il est vrai que l'Alsace a connu, après la Première Guerre mondiale et son retour à la France, une période de très vif patriotisme. Elle s'est accompagnée d'un profond rejet de la période de 40 ans qui l'avait précédée et qui avait pourtant profondément marqué des villes comme Strasbourg. Je songe notamment à la cathédrale historique, ou à la cité universitaire. Un certain délai a été nécessaire avant de réassumer ce patrimoine.

Brigitte Klinkert nous a fait bénéficier de son expérience, issue de son engagement sur la France entière, avec des exemples très intéressants dans beaucoup de départements. Je propose désormais de donner la parole aux deux rapporteurs.

Mme Sonia de la Provôté. - Je vous remercie pour cette présentation extrêmement complète. L'un des objectifs de ce rapport est d'offrir un support aux maires des petites communes rurales pour mener des politiques de préservation du patrimoine. Dans un premier temps, nous n'abordions pas nécessairement le petit patrimoine, nous concentrant sur les églises et les châteaux, dont les communes sont parfois propriétaires.

L'État s'est progressivement désengagé de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Les relations entre les collectivités territoriales et les Architectes des bâtiments de France (ABF), qui représentent l'État, peuvent s'avérer conflictuelles. Par ailleurs, les dossiers apparaissent de plus en plus complexes, avec la multiplication du nombre de labels. Certains lieux patrimoniaux ne sont pas classés, mais exigent néanmoins d'être préservés. En effet, ils peuvent incarner une part importante de l'identité des communes. Le rapport vise ainsi à apporter un vade-mecum aux maires, pour les assister dans leur tâche. En tant que rapporteure pour le budget culture et patrimoine, je peux témoigner de l'importance croissante prise par les départements sur ce sujet.

Vous n'avez pas évoqué l'articulation des politiques patrimoniales avec les régions, qui pour certaines se sont saisies de ces questions.

De plus, vous évoquez l'importance de l'ingénierie, mais vous n'avez pas abordé le rôle des Conseils en architecture, urbanisme et environnement (CAUE), qui dans certains départements en sont chargés. Aussi, l'ADF envisage-t-elle de mettre en place des structures d'ingénierie départementale ? En effet, c'est en son sein que pourraient être abordés les aspects de compétence, ainsi que les relations avec l'État ou avec les maîtres d'oeuvre.

Par ailleurs, je souhaiterais vous entendre sur les relations entre les départements et les DRAC. J'imagine que la situation varie selon les départements.

Enfin, quel regard portez-vous sur la question de la maîtrise d'ouvrage ? De l'aveu des professionnels et des collectivités, elle peut parfois s'avérer problématique.

M. Michel Dagbert. - Je souscris aux propos de ma collègue. Votre exposé était particulièrement complet, et témoignait de ce que les départements sont capables de mettre en oeuvre. Le propos introductif du président Jean-Marie Bockel évoquait la table ronde à l'origine de notre présent questionnement. À l'issue de celle-ci, nous avions en effet considéré que ce sujet méritait d'être approfondi. Nous avançons cependant dans ce travail avec une grande humilité, car un certain nombre de mesures a déjà été mis en oeuvre, et il existe de nombreuses bonnes pratiques, vous les avez évoquées.

Néanmoins, nous constatons depuis plusieurs années, dans ce domaine comme dans d'autres, que l'État ne peut plus être aussi présent qu'il l'était jusqu'alors. Un certain nombre de services ont été recentralisés ou relèvent désormais d'un échelon supérieur. Je pense notamment à la régionalisation de certains services de l'État, qui a eu pour effet une montée en puissance des départements, parfois dans une dimension volontariste, parfois sous la contrainte. Les départements sont ainsi venus apporter des réponses aux maires, qui se retrouvent parfois fort dépourvus face à un objet patrimonial. Ils peuvent notamment manquer d'une méthodologie pour la préservation de ce patrimoine. À l'issue des auditions que nous menons, nous souhaitons ainsi pouvoir rédiger un vade-mecum à l'intention des élus qui prendront leurs fonctions au lendemain des prochaines échéances municipales.

Le département, à travers les exemples que vous avez cités, pourrait jouer, et joue déjà parfois, un rôle d'assembleur des différents interlocuteurs, associatifs ou institutionnels. Il s'agit d'un rôle dans lequel il est pertinent et reconnu. Il a acquis auprès des élus locaux une véritable crédibilité, à travers la mise en oeuvre d'un certain nombre de politiques publiques, telle la création des agences d'ingénierie départementale. Sa capacité à mettre l'ensemble des acteurs autour de la table de manière dépassionnée est reconnue.

J'ai également été sensible au fait que ceux qui s'investissent dans la remise en état d'un patrimoine ne s'arrêtent pas à la fin du chantier. En effet, tout un travail de médiation est nécessaire pour reconquérir et donner à voir un lieu une fois restauré.

Mme Françoise Gatel. - Madame la présidente, je vous remercie de votre présentation. Notre première rencontre est liée au patrimoine, qui nous avait conduites à une même rencontre internationale en Chine.

Vous l'avez dit, le patrimoine est un levier de développement assez exceptionnel, notamment dans les petites communes et les territoires ruraux. Il peut néanmoins s'agir d'un sujet complexe à plusieurs titres. En effet, le patrimoine peut être compliqué à identifier, sa restauration à réaliser, et sa pérennité à assurer. Je vous remercie donc de l'engagement des départements dans un sujet qui doit être porté de manière collective.

Ma première question porte sur le financement. Nous savons en effet qu'il s'agit d'une difficulté. J'ai bien entendu votre souhait d'une meilleure implication des élus territoriaux quant à la sélection des projets, notamment pour éviter des effets de communication. À côté de cette assistance qu'apporte le loto du patrimoine, il faut s'inscrire dans la durée pour la revalorisation du patrimoine. Les départements, et parfois les régions, s'inscrivent dans la sauvegarde du patrimoine, et pas uniquement du patrimoine protégé, car ils considèrent qu'il s'agit d'une aide au développement. Cela favorise notamment le maintien de l'emploi dans les territoires et génère de l'activité économique. Ainsi, comment articuler ces différentes aides ?

Il convient également d'évoquer les moyens d'identifier le patrimoine intéressant. Les élus au sein d'un conseil municipal peuvent en effet être diversement sensibilisés à cette question. Un maire peut ainsi ne pas être suivi par son conseil municipal, qui considère que la politique patrimoniale est une charge inutile. Aussi, comment aider les petites communes rurales pour que les maires ne se retrouvent pas seuls ? Le département doit-il faire de l'accompagnement et de l'ingénierie ? Que pensez-vous des réseaux qui permettent d'éviter une certaine solitude des communes ? En Bretagne, il existe par exemple un réseau nommé Les communes du patrimoine rural, qui fédère des communes ayant un petit patrimoine.

Par ailleurs, comment pérenniser l'engagement des élus ? L'accompagnement des collectivités territoriales ne doit pas se faire uniquement sur des actions ponctuelles. Comment les communes pourront-elles notamment s'engager dans des plans patrimoniaux sur plusieurs années, qui aillent au-delà des échéances électorales ?

Enfin, se pose la question de l'appétence des jeunes. Nous avons aujourd'hui une culture patrimoniale très forte. En Bretagne, le maire d'une petite commune peut organiser un référendum pour investir 3 millions d'euros dans la restauration d'une chapelle, et ses administrés lui répondront positivement. Mais ce temps sera peut-être un jour révolu. Aussi, comment amener les jeunes à s'intéresser à ces questions, par une revalorisation et un usage contemporain du patrimoine ?

M. Rémy Pointereau. - Le patrimoine est une question essentielle dans un département, tout d'abord parce qu'il permet de développer son attractivité touristique et débouche toujours sur de l'activité économique. Cela peut s'avérer important pour des départements ruraux comme le Cher, dont je suis élu.

Néanmoins, les petites communes doivent traverser un véritable parcours du combattant pour développer et restaurer des bâtiments. La Fondation du patrimoine réalise au niveau de la région un travail remarquable, qui permet avant tout de fédérer les citoyens. Ceux-ci peuvent s'approprier les projets, comme en témoignent les dons et les contributions multiples. Nous ne sollicitons du reste peut-être pas assez ces financements. La Sauvegarde de l'art français peut également apporter son soutien, tout comme la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la région. Celle-ci peut néanmoins imposer des conditions exorbitantes pour pouvoir accéder aux aides. Le département ne pourrait-il être le coordinateur de ces projets ? Il pourrait l'être par le biais des agences d'ingénierie, qui permettraient de développer ces projets et de rendre ces financements plus accessibles.

M. François Bonhomme. - La question du tourisme apparaît centrale. La France dispose d'un patrimoine exceptionnel, que seule l'Italie pourrait prétendre concurrencer. Néanmoins, disposez-vous d'éléments particuliers sur les questions du patrimoine littéraire ? La France est une patrie d'écrivains et il existe un réseau de maisons des écrivains. Il me semble que cette singularité française n'est pas suffisamment mise en avant. Je sais que les départements sont le niveau administratif le plus actif sur cette question, mais je ne pense pas qu'il existe une véritable coordination nationale en la matière.

Mme Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin et vice-présidente de l'Assemblée des départements de France. - J'ai rencontré Françoise Gatel pour la première fois en Chine, où je me trouvais en tant que vice-présidente des centres culturels de rencontre - il s'agit d'un label décerné par le ministère de la Culture.

Je suis frappée par le fait que l'atelier culture et patrimoine de l'ADF est très fréquenté, notamment par les élus. Lors de sa première réunion, il accueillait surtout des directeurs de la culture, mais de nombreux élus sont venus assister à ses travaux dès la deuxième réunion. Cela témoigne du vif intérêt que portent des élus des départements à ces questions. Le département est un échelon de proximité, qui dispose de l'expertise et de la légitimité nécessaires à la mise en réseaux et à la coordination des acteurs publics, associatifs et économiques. Il est également porteur de projets innovants et transversaux. Il est aussi garant de la solidarité territoriale. J'évoquais à ce titre la nécessité d'un maillage équitable de l'offre culturelle sur l'ensemble des territoires. Le rôle du département est ainsi d'autant plus indispensable en milieu rural. Les grandes villes, pour leur part, disposent de l'ingénierie nécessaire. Mais en l'absence de grands pôles métropolitains, son action est fondamentale.

Dans le cadre de l'organisation d'un dialogue territorial entre l'État et les collectivités, en matière de politique culturelle en général, et patrimoniale en particulier, les départements veilleront à faire partie des acteurs réunis au sein des conseils des territoires pour la culture. Cette présence est indispensable.

Comment construire un véritable partenariat entre les élus locaux et les acteurs du patrimoine (ABF, conservateurs, etc.) ? Mon département a adopté un plan patrimoine, et mène une politique de développement territorial. En effet, les plans patrimoine s'attachent principalement au patrimoine protégé. Nous avons néanmoins souhaité pouvoir prendre en compte le petit patrimoine, y compris celui qui n'est pas protégé. Nous avons donc organisé des temps de présentation de ces politiques sur les différents territoires du département. À cette occasion, nous avons pu présenter les nouvelles politiques en faveur du patrimoine et répondre à l'ensemble des élus présents. Nous avons évoqué des exemples concrets, et apporté des solutions aux préoccupations. Il pouvait s'agir de restauration d'édifices, mais également de valorisation, telle que la mise en lumière d'édifices. Ces moments ont permis aux maires de s'approprier ce dispositif.

Depuis la mise en place de ce plan patrimoine, début 2019, une quarantaine de dossiers a été soutenue par le département, pour un montant total de 2,3 millions d'euros. Au titre de la politique de développement territorial, une trentaine de projets a été retenue sur le département, pour un montant de 150 000 euros. Près de 3 millions d'euros ont donc été investis en 2019 pour la préservation du patrimoine sur ce département. Nous avons également prévu d'améliorer très prochainement la connaissance des élus, ainsi que des particuliers. Sur le site internet du conseil départemental, nous avons prévu qu'une page explique les dispositifs existants, au-delà des seuls dispositifs départementaux. Les élus locaux pourront ainsi savoir à qui s'adresser.

Comment assurer l'entretien du patrimoine des collectivités territoriales ? Lors de la conception de notre plan patrimoine, nous avons mené des échanges nombreux avec la DRAC, mais aussi avec l'ADAUHR, le CAUE, Alsace Archéologie et la Fondation du patrimoine pour nous assurer de la cohérence de notre plan. Le département participe chaque année à une réunion organisée par la DRAC avec les départements et la région sur les projets soutenus par l'État. Cela permet aux départements de récupérer des informations sur ces dossiers et de mieux travailler avec les communes lorsqu'elles sollicitent des subventions. Je pense notamment à un cas, dans mon canton, de restauration d'une église. Un collègue m'avait indiqué que ce dossier disposait de plus de 100 % de subvention. Tel n'était pas le cas, mais j'ai pu m'en assurer, ce qui témoigne de l'intérêt de ces réunions pour obtenir des informations. L'ingénierie et les différents services des départements et de nos opérateurs peuvent également être mobilisés pour les communes.

La valorisation est un sujet si vaste qu'il pourrait faire l'objet d'une audition dédiée. Concernant les châteaux, nous avons mis en place un certain nombre d'actions innovantes, telles qu'une saison culturelle, ou l'utilisation de la réalité virtuelle. Un drone vole au-dessus du château, et transmet des images à des collégiens munis de casques de réalité virtuelle. Nous travaillons également avec John Howe, directeur artistique du Seigneur des anneaux. Nous pourrons ainsi mettre en place des animations dans les châteaux, et attirer davantage de jeunes.

M. Sébastien Prioul-Bernard, directeur Culture Éducation et Sport du Haut-Rhin. - Pour intéresser les jeunes, nous faisons le pari du numérique. L'année dernière, le département a ainsi mis en oeuvre, à titre expérimental, une opération nommée Collège au château. Nous mettons en avant les châteaux forts, qui sont un élément marquant du patrimoine alsacien, dans l'idée d'y sensibiliser les collégiens dès le plus jeune âge. Nous mobilisons pour ce faire tous les services du département, ainsi que tous les opérateurs. Ainsi, les Veilleurs de châteaux réalisent des visites commentées, et Alsace Archéologie présente des mallettes pédagogiques. Une société alsacienne propose également des visites en réalité virtuelle, même si certains enfants peuvent préférer la visite réelle.

Dans le patrimoine figure également le patrimoine gastronomique ; le département ayant la responsabilité des cantines scolaires, nous servons des repas médiévaux le jour de la visite. La bonne intelligence que nous avons pu établir avec la Fondation du patrimoine nous permettra cette année d'obtenir son soutien financier pour ces opérations.

L'idée est également d'attirer des publics qui ne se sentent pas concernés par le patrimoine, à travers des propositions artistiques telles que celles de John Howe. Outre son rôle de directeur artistique sur Le Seigneur des anneaux, il participe cette année à une série diffusée sur Amazon. Formé à l'École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, il a été marqué par le patrimoine médiéval alsacien. Travailler avec lui nous permet ainsi de toucher un public intéressé par ces sujets.

Nous proposons également des concerts de musique classique, de musique électronique, ou des expositions organisées par une structure travaillant avec le Japon, et qui fait le lien entre les châteaux forts et l'univers du manga. Nous proposons ainsi de nombreuses actions, en identifiant des opérateurs à même d'intéresser des publics variés. En effet, les élus locaux se consacrent à la question patrimoniale aussi parce qu'elle permet d'attirer des jeunes.

Mme Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin et vice-présidente de l'Assemblée des départements de France. - Cet après-midi aura lieu une conférence de presse de lancement d'une opération visant les collégiens, relative à l'histoire de l'Alsace. La prochaine traitera de l'histoire de l'Europe. Nous avons ainsi lié un partenariat avec l'Institut national de l'audiovisuel (INA), pour la mise en place d'un site internet comprenant une cinquantaine de courtes vidéos sur l'histoire de l'Alsace. Il nous semblait en effet important que cette histoire soit connue des jeunes Alsaciens.

La question de la valorisation du patrimoine est un sujet inépuisable. Je pourrais évoquer le centre culturel de rencontre des Dominicains de Guebwiller. Cet ancien couvent est un lieu de création, de résidence d'artistes, de diffusion musicale, et de video mapping. Il accueille chaque année 4 000 collégiens pour les intéresser à ce lieu et également à la musique.

M. Sébastien Prioul-Bernard, directeur Culture Éducation et Sport du Haut-Rhin. - Concernant l'articulation avec le patrimoine littéraire, les départements ont la compétence en matière de lecture publique et animent donc le réseau des médiathèques. Par ce biais, ils peuvent lier cette question à celle du patrimoine. Le département du Haut-Rhin fera notamment intervenir des conteurs, en lien avec des médiateurs, dans des lieux patrimoniaux.

Par ailleurs, le département soutient historiquement le travail de la Fondation du patrimoine, à hauteur de 2 000 euros par an. La Fondation a mis en place des collectes, qui ont permis de réunir 60 000 euros. Nous avons également été approchés par une société qui intervient sur des financements participatifs. Cette approche est assez intéressante et complémentaire de celle de la Fondation du patrimoine, qui réalise davantage ses collectes au niveau local. En effet, cette société cible la planète entière. Elle utilise la force des réseaux sociaux, qui permettent d'intéresser le plus grand nombre à la préservation du patrimoine, mais également à sa valorisation.

J'ajouterai que le patrimoine apparaît essentiel dans le développement de l'activité touristique. Il s'agit en effet du deuxième motif de visite en Alsace.

Mme Sonia de la Provôté. - Les départements arrivent-ils à obtenir des subsides du fonds d'intervention pour les petites communes rurales ? Le plan départemental permet-il de participer aux choix de ce fonds ?

M. Sébastien Prioul-Bernard, directeur Culture Éducation et Sport du Haut-Rhin. - Non, il nous est très difficile d'obtenir ces fonds.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Cela pourrait faire l'objet d'une recommandation de nos rapporteurs.

Mme Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin et vice-présidente de l'Assemblée des départements de France. - Il est tout à fait problématique que nous ne soyons pas associés à ce fonds, malgré le rôle central des départements dans les politiques des territoires.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je remercie la présidente Brigitte Klinkert, ainsi que Sébastien Prioul-Bernard, Adrien Bertrand et Marylène Jouvien. Ce sujet nous passionne, et nous aurions tous des choses à dire.

Vous avez évoqué l'ADAUHR, qui joue un rôle important pour les petites communes. Pour ma part, j'ai été à Mulhouse l'un des pionniers de la création des agences d'urbanisme, et nous nous retrouvions parfois en compétition avec l'ADAUHR, ce qui m'irritait d'autant plus qu'ils étaient très bons. Une bonne complémentarité a cependant pu être trouvée par la suite.

Questions diverses

M. Jean-Marie Bockel, président. - Le président du Sénat a engagé une démarche de contribution du Sénat à la réforme 3D. Il a l'intention de créer un groupe de travail, qui réunira des représentants de l'ensemble des groupes politiques. Nous avons échangé hier sur le rôle qu'il entend assigner à la commission des Lois. Les consultations du président Gérard Larcher ne sont cependant pas encore terminées. Je peux néanmoins vous dire que je serai vraisemblablement intégré dans le comité de pilotage, avec le président de la commission des Lois, Philippe Bas.

Je souhaite également que soit créé au niveau des délégations un groupe de travail assez large et transpartisan, qui nous permette d'accompagner ce travail. Nous avons déjà commencé à travailler sur des propositions de sondages sur ces thématiques, en direction des élus locaux et de la population. Nous sommes également prêts à jouer notre rôle d'interface avec les associations d'élus et le monde des élus locaux. Nous serons donc partie prenante de cette démarche, dans l'esprit constructif qui est le nôtre. Je vous remercie.