Mercredi 18 décembre 2019

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de Mmes Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, et de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé

M. Alain Milon, président. - Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec l'audition des membres du Gouvernement. Intervenant à la fin de nos travaux, il n'y a plus lieu de présenter les dispositions du texte, mais plutôt d'échanger avec les membres de la commission spéciale.

L'audition fait l'objet d'une captation en vidéo en vue de sa retransmission sur le site Internet du Sénat, où elle sera ensuite disponible à la demande.

La ministre des solidarités et de la santé est représentée par M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. Mme Nicole Belloubet, qui doit quitter notre réunion de manière anticipée, interviendra en premier. Je demande donc à nos rapporteurs et à nos collègues ayant des questions sur les sujets intéressant la chancellerie, c'est-à-dire, pour l'essentiel, sur l'article 4 relatif à l'établissement de la filiation des enfants nés d'assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur réalisée par un couple de femmes, de les poser prioritairement.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je dois effectivement intervenir à 17 heures 30 dans l'hémicycle pour les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille.

Le projet de loi instituant l'AMP avec un tiers donneur pour les couples de femmes, il convenait d'en tirer les conséquences sur la filiation, ce à quoi procède l'article 4, qui a suscité de nombreuses interrogations légitimes. Plusieurs hypothèses ont été soumises par le Gouvernement au Conseil d'État, différentes options étant envisageables : l'extension du dispositif de droit commun, la création d'un régime ad hoc applicable à tous les couples réalisant une AMP avec un tiers donneur et la création d'un dispositif réservé aux couples de femmes. Les débats ont été intenses entre les tenants des différentes solutions, chacune présentant des avantages et des inconvénients, relevés par les avis et les rapports préparatoires au projet de loi qui ont opté pour l'une ou l'autre option. Les pays étrangers qui ont ouvert l'AMP aux couples de femmes ont également retenu des solutions diverses, signe de la complexité du sujet.

Plusieurs principes et objectifs se sont imposés à la décision du Gouvernement. Les quatre principes retenus sont simples : offrir les mêmes droits aux enfants concernés - le Gouvernement a affirmé le choix de l'égalité -, apporter une sécurité juridique aux deux mères et à leurs enfants - évolution forte et juste, la filiation n'est pas établie sur la vraisemblance biologique, mais sur un engagement commun -, créer une procédure simple, sans démarche supplémentaire pour les couples de femmes, éviter, enfin, de modifier le droit applicable aux couples hétérosexuels en matière de filiation. Dès lors, le Gouvernement a opté pour la création d'un régime spécifique aux couples de femmes faisant appel à un tiers donneur dans le cadre d'une AMP.

Le débat sur l'article 4 a été intense à l'Assemblée nationale, en commission comme en séance publique, et a permis d'enrichir le texte. L'article comporte trois éléments. D'abord, les deux femmes devront consentir devant notaire (comme les couples hétérosexuels) à réaliser une AMP avec un tiers donneur et s'engager à cette occasion à devenir les mères de l'enfant. Ensuite, cette reconnaissance conjointe devra être produite, avec le certificat d'accouchement, à l'officier d'état civil, afin de permettre l'établissement de la filiation. Enfin, l'acte de naissance devra faire mention de la reconnaissance conjointe.

Le dispositif a évolué à l'Assemblée nationale, sans que soient remis en cause ses objectifs. La place du nouveau régime dans le code civil a ainsi été modifiée : initialement, le projet de loi créait un nouveau titre VII bis au sein du titre Ier du code civil ; finalement un nouveau chapitre V sur le régime ad hoc relatif à l'AMP avec tiers donneur a été intégré au titre VII. Ce choix permet de mieux rendre compte du socle commun aux différents modes de filiation, sans bouleverser le droit de la filiation puisque les quatre premiers chapitres du titre premier concernant la filiation établie sur la vraisemblance biologique ne sont pas modifiés. En outre, les députés ont précisé la notion de reconnaissance conjointe. Initialement, il s'agissait d'une déclaration anticipée de volonté (DAV), mais le dispositif a fait l'objet de critiques quant à son caractère stigmatisant pour les couples de femmes. À la différence de la reconnaissance figurant à l'article 316 du code civil, qui intervient pendant la grossesse, voire après la naissance de l'enfant, la reconnaissance conjointe est réalisée avant la conception et ne concerne que les couples de femmes. Il ne peut y avoir de confusion possible entre les deux régimes.

Le Gouvernement a privilégié la voie de l'équité avec une solution juridique sûre et porteuse d'égalité. L'article 4 tire les conséquences indispensables à l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes, afin de sécuriser la filiation, notamment à l'égard de la femme qui n'accouche pas. Le dispositif fait ainsi obstacle à l'éventuelle reconnaissance de l'enfant par un tiers. Il est simple et sécurisant pour les mères, comme pour les enfants.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - M. Touraine, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, a estimé que le projet de loi conduisait à « légitimer une procréation sans sexe pour tous ». Est-ce votre philosophie ?

L'article 4 du projet de loi prive les enfants de filiation paternelle. Un sondage réalisé en 2018 indique que 93 % des personnes interrogées considèrent que le père joue un rôle essentiel pour l'enfant. Que leur répondez-vous ? Ce même article ne fait plus référence à la femme qui accouche pour qualifier la mère. Cette rédaction n'est-elle pas porteuse d'un risque juridique ?

Le texte a retenu le terme de « femme non mariée » pour qualifier une femme seule, suscitant des critiques. Existe-t-il une raison juridique à ce choix ?

Enfin, ne pensez-vous pas qu'il existe un risque de confusion à avoir choisi le terme de reconnaissance pour deux procédures distinctes ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - La promotion de la procréation sans sexe ne ressort pas de ma philosophie. L'ouverture de l'AMP avec un tiers donneur aux couples de femmes reconnait un choix de vie et l'existence d'une pluralité de modèles familiaux. Dans ce contexte, nous sécurisons la filiation pour l'enfant et pour ses mères.

Je répondrai aux 93 % de sondés que vous mentionnez que nous prenons en considération la pluralité des familles. De nombreuses études menées sur les enfants sans père montrent qu'ils peuvent avoir des références masculines hors du cercle de la famille nucléaire et que leur situation familiale n'a aucune incidence sur leur développement psychologique.

S'agissant du risque de confusion entre les deux types de reconnaissance, je ne crois pas qu'il existe. La procédure de l'article 316 du code civil et la reconnaissance conjointe créée par le texte n'interviennent pas dans la même temporalité.

Nous avons effectivement eu, à l'Assemblée nationale, un débat fourni sur la référence à la femme qui accouche. Dans le cadre d'une AMP réalisée par un couple de femmes, l'une d'elles doit évidemment accoucher. Pour établir la filiation de l'enfant, l'officier d'état civil devra d'ailleurs disposer du certificat d'accouchement, ainsi que de la reconnaissance conjointe pour sécuriser la filiation avec l'autre mère. La rédaction de l'article pourra évoluer, dès lors que les droits des deux mères restent identiques.

Enfin, s'agissant de la notion de femme non mariée, il s'agit d'une demande du Conseil d'État, afin de respecter le cadre juridique de l'établissement de la filiation.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ne pouvait-on pas évoquer une femme célibataire ou une femme seule ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Permettre à une femme mariée de pratiquer seule une AMP avec un tiers donneur aurait des conséquences juridiques complexes.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. - L'intérêt supérieur de l'enfant est au coeur des préoccupations du Gouvernement. Les études menées depuis quarante ans sur les familles monoparentales ou formées par un couple de femmes montrent qu'il n'existe aucun effet délétère sur les enfants ni aucune conséquence sur la construction de leur sexualité. Ce n'est pas la structure, mais la dynamique familiale qui importe. La conférence de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant, lancée par Laurence Rossignol lorsqu'elle était ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, a établi que la sécurité constituait un méta-besoin de l'enfant. L'altérité peut se construire hors de la famille. L'adoption par une femme seule est autorisée depuis 1996 et depuis 2013 pour les couples de même sexe : des millions de femmes ont élevé des enfants seules, de manière subie ou choisie. Être parent est une histoire de désir et d'amour.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - L'article 21 bis a été ajouté au texte par l'Assemblée nationale. Il prévoit la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital par les centres de référence des maladies rares du développement génital. Il a possiblement des répercussions sur l'état civil. Quelle sera l'articulation entre ce dispositif et l'inscription des enfants à l'état civil ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Nous avons abordé le sujet de la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital sous différents angles. Initialement, nous avions songé à décaler de trois mois l'établissement de leur état civil, mais les associations nous ont indiqué que le délai resterait insuffisant. Leur prise en charge relève d'équipes pluridisciplinaires spécialisées. Les centres de référence constituent un appui important pour les familles, une concertation entre professionnels y propose des pistes thérapeutiques.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Les parlementaires ont souhaité que les familles soient ainsi mieux accompagnées.

M. Alain Milon, président. - Il s'agit, en l'espèce, des seuls députés.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Nous avons bien compris l'objet de l'article, mais nous nous interrogeons sur ses conséquences en matière d'état civil.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Les rectifications simples d'état civil sont déjà possibles. Nous travaillons également à un possible report de la mention du sexe.

M. Michel Amiel. - Si l'égalité devant le fait d'avoir des enfants, principe que je ne soutiens pas, préside aux articles 1er et 4 du projet de loi, pourquoi ne pas avoir étendu le texte, par cohérence avec le droit à l'enfant, à la gestation pour autrui (GPA) ?

M. Jacques Bigot. - Pour les couples hétérosexuels comme pour les couples de femmes, un consentement à l'AMP est prévu devant notaire. L'article 3 du projet de loi, pour sa part, affirme le droit, pour l'enfant né d'une AMP, d'accéder, à sa majorité, aux renseignements disponibles sur le donneur. Lorsque l'enfant sera issu d'un couple de femmes, ce sera simple, puisque le régime de filiation prévoit une reconnaissance conjointe figurant à l'état civil. En revanche, aucune mention équivalente n'existe sur l'acte d'état civil d'un enfant né d'une AMP au sein d'un couple hétérosexuel. Les parents peuvent donc garder confidentielle l'histoire de sa procréation. Par souci d'égalité entre les enfants, la procédure ne devrait-elle pas être identique ?

Mme Maryvonne Blondin. - La question de M. Jomier faisait référence à la circulaire d'octobre 2011 sur le report de la mention du sexe à l'état civil. Vous avez également évoqué la possibilité de modifier l'acte de naissance, mais le sexe de naissance demeure inscrit et cela peut s'avérer discriminant. Parfois, mais difficilement, une annulation est possible. Par ailleurs, les rectifications apposées à l'acte de naissance sont payantes, sauf erreur médicale. Je vous rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a été saisie, en octobre 2018, d'une action en responsabilité contre la France pour violation de ses obligations contre la torture envers les personnes intersexuées. Nos travaux sont attendus par toutes les organisations internationales. Clarifions le code civil.

M. Philippe Bas. - Madame Belloubet, vous rappelez deux principes : il ne faudrait modifier le droit que si c'est indispensable ou utile, et il faut faire progresser l'égalité. Mais est-ce que vous ne vous écartez pas de ces deux principes dans l'établissement de la filiation de l'enfant par rapport à sa mère biologique ? Vous créez deux régimes différents selon que la mère vit avec un homme ou avec une femme, avec des conséquences juridiques en chaîne en cas de contentieux sur la maternité...

Cette rupture d'égalité n'est pas nécessaire pour reconnaître une deuxième filiation maternelle pour un couple de femmes. On pourrait définir un régime de reconnaissance de filiation par rapport à la compagne de la mère.

Vous modifiez une règle fondamentale, à savoir l'accès à l'AMP pour les couples hétérosexuels pour lesquels il existait auparavant une condition d'infertilité. Pourquoi changer ce régime alors que le seul objectif politique est d'ouvrir l'AMP aux couples dont la fertilité n'est pas causée par une stérilité médicalement constatée et aux femmes seules ?

M. Olivier Henno, rapporteur. - Dans sa rédaction initiale, l'article 12 du projet de loi exclurait la possibilité de recourir à l'imagerie fonctionnelle pour l'expertise judiciaire. L'utilisation de l'imagerie est encadrée depuis 2011 et, semble-t-il, utilisée à bon escient par les juges. Quels risques avérés justifient cette interdiction ?

M. Guillaume Chevrollier. - Cette réforme aura des conséquences anthropologiques importantes. Comment pouvez-vous affirmer qu'elle n'aura pas de conséquences psychologiques sur les enfants privés de père ? Au nom du principe d'égalité, vous ouvrez la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Comment, au nom de ce principe, êtes-vous sûre que les couples d'hommes ne revendiqueront pas la GPA ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - La première question rejoint la dernière... Monsieur Amiel, nous ne sommes pas allés jusqu'au bout avec la GPA, car le Conseil d'État l'affirme clairement : il n'y a pas de droit à l'enfant, l'enfant est inclus dans un projet familial et parental. Le principe d'égalité ne peut jouer de manière absolue, mais pour les personnes qui sont dans la même situation par rapport à la procréation. On peut ne pas appliquer à l'un des types de couples - couples d'hommes, de femmes, ou hétérosexuels - ce qu'on applique aux autres. Le Conseil d'État est très clair.

Ni le droit à l'enfant ni le principe d'égalité ne jouent pour la GPA. Dans le code civil, nous avons clairement inscrit l'interdiction de la GPA. On ne peut déduire de la PMA qu'il y aurait juridiquement une évolution vers la GPA.

Monsieur Bigot, vous évoquez une possible différenciation entre les enfants des couples de femmes, ayant accès à leurs origines, et ceux de couples hétérosexuels.

Dans le cas de couples hétérosexuels, nous avons fait le choix de laisser la famille déterminer le moment opportun pour dire à l'enfant quelles sont ses origines, sachant qu'il pourra faire une demande ensuite pour accéder à ses origines.

Madame Blondin, je vous entends évoquer les problèmes d'état civil et la jurisprudence de la CEDH. Il y a eu de nombreux débats à l'Assemblée nationale, et nous serons attentifs à ceux du Sénat. Il faut être vigilant et faciliter l'évolution des actes d'état civil. Je vois chaque semaine de nombreuses modifications d'état civil.

Monsieur Bas, il faut considérer l'égalité en matière de procréation par rapport aux couples. Un couple hétérosexuel est différent d'un couple homosexuel en ce qui concerne la procréation. Nous ne créons donc pas une rupture d'égalité. Selon vous, il n'est pas utile de reconnaître une double maternité. Nous avions cru utile, au contraire, de reconnaître au même moment la même qualité maternelle aux deux femmes du couple. Mais je ne suis pas sûre d'avoir totalement compris votre question.

Sur les incidences psychologiques pour les enfants, M. Taquet l'a rappelé, les différentes études nous laissent à penser qu'il n'y a pas d'incidence psychologique, les enfants pouvant trouver des figures masculines en dehors des parents.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. - On ne doit pas imposer aux couples hétérosexuels demandant une AMP avec tiers donneur de prouver une condition d'infertilité qui n'existe pas pour les couples homosexuels. Le parcours d'AMP est difficile. Par ailleurs, on demandait à ces couples une déclaration d'infertilité, et non des preuves scientifiques qu'il y avait un problème physiologique. Il nous a semblé plus simple d'enlever toute référence à l'infertilité.

Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) ont recommandé de ne pas utiliser l'imagerie cérébrale fonctionnelle à des fins judiciaires. Tout est souvent une question d'interprétation. Ce n'est pas parce que l'on observe quelque chose sur l'imagerie que l'on peut catégoriser des personnes comme étant à risque criminel. Autant il est important de s'en servir pour déterminer des pathologies, autant on ne peut s'en servir par anticipation de faits qui ne se sont pas encore produits...

J'évoquerai le titre IV. Nous avons une première conviction, partagée par les parlementaires et la société : ce que la science sait rendre possible n'est pas nécessairement aligné sur ce que notre société souhaite. Résoudre cette tension entre ce que sait faire la recherche, avec les aspirations de notre société, c'est le coeur même de ces lois de bioéthique, régulièrement révisées. Le Sénat a joué un rôle considérable depuis 1994 dans la construction de ce droit. La communauté des chercheurs sait ce qu'elle doit au Sénat, notamment concernant l'autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Nous ne devons pas sacrifier nos valeurs fondamentales à une quête éperdue et permanente du savoir, mais il ne faut pas non plus sacrifier l'espoir de développer la connaissance, de comprendre des thérapies innovantes, de guérir des maladies aujourd'hui incurables, sur des préjugés qui ne correspondent plus à l'état des connaissances.

Ce projet de loi réforme le cadre juridique de la recherche, avec de nouvelles facilités, mais aussi de nouvelles règles, compte tenu des avancées scientifiques sur la recherche de cellules souches embryonnaires ou de cellules souches induites.

Ce projet de loi autorise la recherche pour l'édition du génome de l'embryon sur des embryons ne faisant plus l'objet d'un projet parental. Un décret rappelle qu'aucun embryon n'est créé à des fins de recherche. Ce sont seulement des embryons conçus dans le cadre d'un projet parental qui sont, après arrêt de ce projet et demande aux parents, soit détruits, soit utilisés à des fins de recherche. La recherche sur l'édition du génome apporte des connaissances pour comprendre le rôle des différents gènes dans les mécanismes de différenciation cellulaire qui sont à l'oeuvre au cours du développement, mais aussi dans certains processus physiologiques - le vieillissement - ou pathologiques - le cancer...

Le projet de loi instaure une limite de 14 jours pour l'observation des embryons in vitro, afin qu'ils n'atteignent pas le stade de l'organogenèse. Cette limite n'existait pas auparavant, car on ne savait pas observer des embryons plus de quelques jours. Désormais, on sait le faire. Nous procédons d'une même logique : nous autorisons, mais lorsque les connaissances scientifiques l'exigent, nous mettons des limites.

Les interdits fondateurs de notre droit et les textes internationaux le confirment tous : on ne peut pas créer d'embryon à des fins de recherche ; on ne peut pas modifier le patrimoine génétique d'un embryon destiné à être implanté ; et on ne peut pas introduire de cellules animales dans un embryon humain. Ces trois principes ont été réaffirmés par le Gouvernement à l'Assemblée nationale.

Ce texte protège le statut particulier de l'embryon et par là même interdit le clonage et la modification de patrimoine génétique d'un embryon destiné à être réimplanté. Il ne nous prive pas des innovations thérapeutiques qui peuvent être mises au point, pour mieux comprendre les mécanismes de développement de différenciation cellulaire et de développement normal ou pathologique.

La question des chimères a suscité des interrogations. Dans le cadre de la loi de bioéthique actuelle, l'introduction d'une matière animale dans un embryon humain est interdite, mais rien n'est dit sur la réciproque. On pouvait introduire des cellules humaines dans un embryon animal. Cette possibilité nous permet de produire des modèles afin de comprendre les pathologies humaines et préparer des traitements. C'est pour cela que nous réaffirmons la première interdiction ; par contre, mettre des cellules humaines dans un embryon animal sera possible, mais soumis à un contrôle.

Les cellules souches embryonnaires sont capables de se transformer en n'importe quelles cellules. Elles sont à l'origine d'espoirs de thérapies cellulaires et de médecine régénérative pour des maladies comme Parkinson, le diabète ou l'insuffisance cardiaque.

Actuellement, les cellules souches sont soumises au même régime que les embryons. Or cela ne nous semble plus relever du même questionnement éthique. Auparavant, pour produire des cellules souches, il fallait détruire un embryon. Désormais, on utilise des cellules souches dérivées d'embryons utilisés il y a plusieurs années. On n'a plus besoin d'avoir accès à un embryon. Nous différencions donc la recherche sur les embryons de celle sur les cellules souches embryonnaires, à moins que ces dernières ne découlent d'un embryon ; auquel cas, elles sont soumises au même régime que la recherche sur les embryons. Nous allégeons la recherche sur les cellules souches embryonnaires, en les soumettant à une simple déclaration au lieu d'un processus d'autorisation.

Les cellules souches pluripotentes induites sont des cellules adultes que le scientifique fait revenir à un état proche des cellules souches embryonnaires. À partir d'elles, on peut produire certaines cellules, mais pas toutes. Une question éthique se pose lorsqu'elles sont induites en gamètes, pouvant porter du matériel génétique et repartir dans un cycle de reproduction. La recherche sur ces cellules souches pluripotentes induites est, dans ce cas, soumise à un régime d'autorisation. Il n'est pas sûr que l'on pourra un jour remplacer les cellules souches embryonnaires par des cellules souches pluripotentes induites. Il est donc important de garder les deux types de recherche.

C'est en ouvrant de nouvelles voies, en traçant de nouvelles limites, en réaffirmant des lignes rouges, que ce texte dessine les contours d'une recherche libre et responsable. La recherche et la connaissance rendent notre avenir possible, mais le législateur doit définir le chemin à emprunter, l'horizon souhaité et la couleur de notre avenir.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Un propos général n'ayant plus vraiment de sens à ce stade du débat, je reviendrai sur quelques sujets évoqués.

Monsieur Amiel, la loi de bioéthique n'est pas une loi d'égalité. Ce n'est pas cela qui nous guide. Nous voulons passer au prisme éthique les évolutions des techniques médicales. Il n'y a jamais eu, et il n'y aura pas effectivement de droit à l'enfant. Ce n'était pas le cas pour les couples hétérosexuels par le passé, cela ne sera pas le cas pour les couples homosexuels ou pour les femmes seules à l'avenir. Sinon l'enfant serait le simple produit d'un caprice ; ce serait dénigrer le projet parental. Or l'AMP est un parcours long, difficile, qui nécessite un accompagnement, que les députés ont renforcé.

Les familles homoparentales existent ; il serait hypocrite de ne pas le voir. Souvent, leur projet parental est bon, les enfants sont ardemment désirés. Si la famille est un point de repère, c'est d'abord une histoire et un parcours.

Connaître ses origines, c'est avoir une réponse légitime à la question : « d'où viens-je ? » Il faut rompre avec la dissimulation, avec la logique du secret qui abîme plus qu'elle ne protège.

Vous avez rencontré des enfants issus de l'AMP. Ces enfants ne sont pas à la recherche d'un père, mais d'un récit, d'une histoire importante pour se construire. La famille est le lieu où l'on doit se dire les choses. Pour une AMP avec don dans une famille hétérosexuelle, c'est aux parents de choisir de dévoiler les origines quand ils le souhaitent, dans l'intérêt de l'enfant. Nous voulons aussi permettre à chaque enfant d'accéder, à sa majorité, à ces informations. Un donneur n'est pas un parent. Ce n'est pas sa vocation, mais il est une pièce de l'identité de l'enfant. Nous sortons le don du secret, mais pas de l'anonymat, pour le reconnaître dans son côté profondément humain, altruiste et solidaire. Nous réaffirmons également la force des institutions, qui ont vocation à encadrer et protéger chacun avec un seul choix, celui de la responsabilité individuelle et collective. Cet esprit de responsabilité nous guide dans nos débats et dans les choix que nous vous proposerons de faire dans d'autres domaines, tout aussi complexes et variés que l'auto-conservation de gamètes pour les femmes comme pour les hommes, l'amélioration de la qualité de la sécurité des pratiques pour les dons d'organes, le développement de la médecine génomique.

Je le redis, avec tous les ministres qui seront sur le banc du Gouvernement, l'intérêt supérieur de l'enfant a guidé nos réflexions, notamment dans le cas de l'AMP post mortem. Même si le principe d'égalité peut être mis en avant, nous avons décidé de faire primer l'intérêt supérieur de l'enfant. Que signifie naître dans le deuil ? Autant de sujets qui susciteront de riches débats.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Madame Vidal, selon vous, le Gouvernement souhaite que ce projet de loi ne nous prive pas des évolutions scientifiques. Vous maintenez l'autorisation, par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), des recherches menées sur l'embryon dans le cadre de l'AMP, alors que la Cour des comptes critique une procédure lourde et complexe, qui décourage souvent les chercheurs. D'autant que ces recherches ne constituent pas le coeur de l'expertise de l'ANSM, qui doit s'en remettre, en pratique, à l'avis de l'Agence de la biomédecine. Souvent, l'avis de l'ANSM est conforme à celui de l'Agence de la biomédecine. Pourquoi ne pas confier tout simplement cette mission à cette dernière, qui dispose déjà de l'expertise nécessaire sur l'assistance médicale à la procréation et sur la recherche sur l'embryon, quitte à lui faire appliquer les dispositions spécifiques aux recherches cliniques ? Ne pourriez-vous pas justement renforcer les moyens de l'Agence de la biomédecine pour examiner ces projets de recherche clinique ? Vous souhaitiez supprimer sa mission en matière de nanotechnologies au motif qu'elle ne disposait pas d'expertise dans ce domaine, mais n'est-ce pas de votre responsabilité de lui donner les moyens humains et matériels de cette expertise ? Si je voulais être un peu taquine, je dirais que, si nous devions supprimer aux agences toutes les missions que l'État ne finance pas, il ne restera peut-être plus grand- chose...

Le droit était muet sur la possibilité d'utiliser des cellules humaines dans un embryon animal. Vous donnez cette possibilité dans le projet de loi, et affirmez que c'est soumis à un contrôle, mais de quel contrôle parlez-vous ? Vous supprimez l'interdiction générale de création d'embryons chimériques et transgéniques, et vous ne maintenez qu'une interdiction d'insérer dans un embryon humain des cellules animales. Vous autorisez donc l'adjonction de cellules souches humaines à des embryons animaux en vue de leur transfert chez la femelle : ne pensez-vous pas qu'il y a là un vrai risque de franchissement de la barrière des espèces ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Actuellement, il n'y a aucune interdiction générale de créer des embryons chimériques. Seule une partie du projet de loi, concernant l'embryon humain, mentionne l'interdiction d'insérer des cellules animales dans des embryons humains. Nous introduisons à un autre endroit du texte la possibilité, après une demande de déclaration d'usage des cellules souches embryonnaires, de les insérer dans des embryons animaux. On va donc vers un contrôle plus efficace que le flou préexistant. Honnêtement, c'est déjà très largement pratiqué en laboratoire, sans que l'on n'ait jamais observé de franchissement de barrière d'espèces. Il s'agit de regarder comment se développent des pathologies humaines dans le contexte d'un embryon animal.

On entre dans le cadre de la recherche interventionnelle sur la personne humaine lorsqu'on touche à des embryons qui ont vocation à être réimplantés. Cela ne relève pas de l'Agence de la biomédecine. Les questionnements de l'ANSM ne sont pas les mêmes que ceux de l'Agence de la biomédecine. Il ne s'agit pas de modifier génétiquement l'embryon qui sera réimplanté - c'est interdit, je le rappelle -, mais, par exemple, de l'enrober, au moment de la fécondation in vitro ou sur un embryon obtenu après fécondation in vitro, d'un certain nombre de molécules qui faciliteront la réimplantation de l'embryon chez la mère.

Je suis consciente des questions qui se posent sur les délais. L'Agence de la biomédecine s'est engagée à les tenir. Elle n'aura finalement à traiter que des questions sur lesquelles elle s'estime totalement légitime. Sur le sujet que vous évoquez, elle est obligée d'aller chercher de l'expertise ailleurs ; cela crée une forme d'embouteillage.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Madame la ministre, vous avez évoqué la tension entre ce que sait faire la recherche et les limites que nous voulons lui fixer.

L'article 17 supprime l'interdiction générale de création des embryons chimériques. Même s'il s'agit de recherches sur des embryons non destinés à des fins de gestation, se pose la question de savoir jusqu'où l'on peut aller dans le franchissement de la barrière des espèces. Comment l'Agence de la biomédecine appréciera-t-elle si ces chimères présentent une proportion acceptable entre animal et humain ? Ne va-t-on pas plus loin que d'autres pays ?

Vous supprimez également l'interdiction de création d'embryons transgéniques. S'agit-il d'expérimenter sur des embryons surnuméraires la technique d'édition génomique CRISPR-Cas9 ? Est-ce dans le but de déterminer si nous pourrions, à terme, modifier le génome d'embryons destinés à être transférés à des fins de gestation. N'ouvririons-nous pas la porte à une remise en cause, dans le futur, de l'interdiction de modifier les caractéristiques transmissibles à la descendance ? J'ai le sentiment que l'article 17 implique un bouleversement de l'éthique « à la française ».

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Je tiens à vous rassurer sur ces deux points.

L'article 17 supprime en effet l'interdiction générale de création des embryons chimériques, mais la modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces demeure interdite.

L'adjonction de cellules d'origine humaine dans des embryons d'origine animale se pratique dans tous les laboratoires du monde, y compris français, et ce n'était absolument pas interdit par la loi de bioéthique. Le présent projet de loi précise qu'il n'est pas possible de modifier un embryon humain, et qu'il faut une autorisation pour modifier un embryon animal par adjonction de cellules embryonnaires humaines, comme c'est d'ailleurs le cas actuellement. Il s'agit de simples précisions, dans la mesure où il n'est jamais question, dans la loi de bioéthique, d'embryons animaux, mais seulement d'embryons humains. Nous avons levé un flou juridique sur lequel notre attention a été attirée.

On entend souvent parler de la possibilité de faire des greffes à partir d'organes animaux. Nous en sommes très loin, et encore plus éloignés du franchissement de la barrière d'espèce.

Pour ce qui concerne l'édition du génome, nous souhaitons en effet permettre l'utilisation de la technique d'édition génomique CRISPR-Cas9. Je rappelle que la convention d'Oviedo prévoit, et le présent projet de loi le réaffirme, qu'il est formellement interdit de réimplanter un embryon génétiquement modifié. Nous avons eu ce débat à l'Assemblée nationale. Des députés demandaient pourquoi nous nous priverions de la possibilité d'ôter un gène défectueux dominant et de laisser s'exprimer la copie de ce gène non défectueux, et donc, potentiellement, de guérir une maladie, dans la mesure où l'on sait le faire. Notre réponse a été négative, car nous ne souhaitons pas réimplanter d'embryons modifiés génétiquement via l'édition du génome.

Nous souhaitons, en revanche, autoriser l'édition du génome dans des embryons en vue d'étudier l'impact de ces modifications du génome. Pour ce faire, les embryons sont observés en culture pendant 14 jours, mais pas au-delà. Cette question a été longuement débattue, d'aucuns souhaitant prolonger ce délai jusqu'à 21 jours, d'autres préférant le raccourcir. Nous avons souhaité poser cette limite de 14 jours, car elle correspond à la limite de l'organogenèse : à partir du 15e jour, en effet, on peut faire la différence dans un embryon entre les cellules qui seront à l'origine du système nerveux et les autres ; auparavant, ce n'est pas possible.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Jusqu'à quel stade de développement peut-on étudier des embryons d'origine animale auxquels on a ajouté des cellules humaines ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - C'est extrêmement variable, et cela dépend du type de cellules qui sont ajoutées dans l'embryon. Parfois, une observation de quelques jours suffit. Encore une fois, c'est une pratique très courante - je pense aux recherches portant sur les caractéristiques des cellules immunitaires chez les souris. Il n'y aurait donc pas de raisons de faire un bond en arrière.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Comment avez-vous estimé la durée de conservation des embryons, que vous avez fixée à cinq ans ? S'agit-il de préserver un stock nécessaire afin de ne pas induire de rupture dans les activités de recherche sur l'embryon ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Il ne me semble pas que cette durée de conservation ait été modifiée. Elle était déjà de 5 ans auparavant. Nous ne sommes pas en pénurie d'embryons confiés par des parents à la recherche. Par ailleurs, il n'y a presque plus de stocks d'embryons à une seule cellule.

M. Michel Amiel. - Vous disiez, monsieur le secrétaire d'État, que les lois de bioéthique servaient à accompagner sur le plan éthique les progrès de la science médicale, notamment biologiques, technologiques, thérapeutiques. Or la PMA n'est pas liée à une telle idée de progrès, même s'il y a des avancées en matière de recherche sur l'implantation de l'embryon. N'aurait-il pas été préférable de dissocier le débat sur la bioéthique - le sujet, évoqué par Mme Vidal, des cellules souches embryonnaires, par exemple - de celui sur la PMA.

Nous le verrons lors du débat en séance publique et dans le commentaire médiatique qui l'accompagnera, la discussion relative à la PMA risque en effet de confisquer l'espace consacré à la bioéthique proprement dite. Or je ne suis pas seul à penser que ce sujet relève non pas de la bioéthique, mais de l'éthique ou de la morale sociétale.

M. Bernard Bonne. - Monsieur le secrétaire d'État, on a parlé du droit à l'enfant et du droit de l'enfant tout à l'heure. On a dit que les enfants devaient avoir les mêmes droits, quelle que soit leur origine. Or un enfant né par PMA n'a pas les mêmes droits qu'un autre, né enfant dans un couple hétérosexuel, dans la mesure où il n'a pas de père, ou ne pourra le connaître qu'à l'âge de 18 ans. Dispose-t-on d'études montrant que les enfants nés par PMA connaissent le même développement que les autres ? Les seules études connues en la matière proviennent de pays étrangers.

On compare trop souvent les enfants qui n'ont pas eu de père à ceux dont les parents ont divorcé, ou qui vivent dans une famille monoparentale ou qui ont été adoptés. Sur quels éléments vous êtes-vous fondés pour dire que les enfants nés de PMA n'ont pas davantage de problèmes que les autres ? À égard, les résultats des études faites par les pédopsychiatres seront intéressants.

M. Jacques Bigot. - Madame la ministre, dans un avis récent, le CCNE s'est dit favorable à deux possibilités de dépistage en population générale : le dépistage préconceptionnel et les mutations actionnables. Le jury citoyen qu'il avait consulté y était également favorable. Or ce n'est pas proposé dans le présent projet de loi, alors même que c'était envisagé dans le rapport de M. Jean-Louis Touraine. Pour quel motif le Gouvernement ne l'a-t-il pas souhaité, alors même que ces dépistages existent dans d'autres pays ?

Mme Maryvonne Blondin. - Quel est votre avis sur les recherches en cours au sein de la station biologique de Roscoff sur la phagothérapie, un domaine de recherches que l'on pourrait intégrer dans l'article du projet de loi relatif au microbiote fécal. On a recours à la phagothérapie, qui a obtenu de l'ANSM une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) lorsque le patient se trouve dans une impasse thérapeutique, et risque l'amputation ou la mort. Nous pourrions encadrer cette pratique, peu coûteuse et naturelle, en prévoyant des procédures de culture des bactériophages. Nous pourrions également favoriser la recherche sur les anomalies du développement génital.

M. Yves Daudigny. - Les tenants de certains courants de pensée, auxquels je ne souscris pas, considèrent que l'embryon est un être humain à part entière. Comment répondre aux défenseurs de cette idée ?

Pour ce qui concerne la recherche sur l'embryon et les cellules souches, vous avez évoqué, madame la ministre, les espoirs qu'inspire la médecine régénérative. On sait aujourd'hui fabriquer de nouvelles cellules, mais pas l'architecture générale de l'organe. Ce domaine de la recherche doit-il avoir une vocation médicale affirmée, sachant qu'un chercheur ne sait pas, lorsqu'il commence sa recherche, ce qu'il va trouver ?

Mme Michelle Meunier. - Je suis d'accord avec vos propos, monsieur le secrétaire d'État, sur la recherche de l'histoire, plutôt que de l'identité et sur le nécessaire accompagnement. En la matière, le Conseil national d'accès aux origines personnelles (Cnaop) joue un rôle important, dont l'évolution est envisagée dans le cadre d'un regroupement de gouvernances. Aura-t-il toujours les moyens d'assurer ses missions ?

M. Guillaume Chevrollier. - Vous l'avez dit, madame la ministre, ce que la science sait rendre possible n'est pas forcément souhaitable. Je suis d'accord avec cette position. On a l'impression aujourd'hui d'un progressisme permanent : il faut réviser en permanence les textes sur la bioéthique. Vous proposez même dans le présent texte une révision tous les cinq ans, contre sept ans auparavant.

Il est prévu d'allonger la durée de culture des embryons de 7 à 14 jours, le quatorzième jour étant celui où s'opère la différenciation des tissus. Si l'on accepte cette recherche in vitro jusqu'à 14 jours et si, demain, on réussit à maintenir en vie l'embryon in vitro au-delà, à quel titre refuserait-on de faire des recherches au-delà de ce délai sur cet être humain en devenir, ce qui est, selon moi, la définition de l'embryon ? Cet allongement confortera l'instrumentalisation de l'embryon humain. Décidera-t-on, dans cinq ans, d'aller au-delà des 14 jours ?...

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'article 11 prévoit que le patient est informé de l'utilisation des traitements algorithmiques au moment des résultats. Pourquoi ne pas l'en informer en amont ?

M. Alain Milon, président. - Je rappelle à Michel Amiel que la première loi de bioéthique a été provoquée par le débat sur la PMA.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Une loi de bioéthique s'appréhende sous le prisme de nos principes éthiques, de l'évolution des différentes techniques et des transformations de la société. À cet égard, on peut considérer que la question de la PMA doit faire partie intégrante de la bioéthique. Vous craignez, monsieur Amiel, qu'elle ne phagocyte bon nombre d'autres sujets. Lors du débat à l'Assemblée nationale, elle a en effet pris une place importante, mais, progressivement, les parlementaires et la presse se sont intéressés aussi fortement aux autres points du texte.

Monsieur Bonne, depuis une cinquantaine d'années, environ 700 études ont été menées, surtout aux États-Unis et au Royaume-Uni, sur des enfants nés par PMA, mais aussi sur des enfants élevés par des couples homoparentaux ou des femmes seules. Certaines sont mentionnées dans l'étude d'impact. Aucune ne démontre quoi que ce soit d'atypique dans leur développement. À l'inverse, aucune étude, à notre connaissance, ne tend à démontrer le contraire.

Comme le disait Françoise Dolto - un propos repris par Boris Cyrulnik -, c'est probablement autant l'enfant qui choisit et qui construit les parents que l'inverse.

Madame Meunier, vous avez vu juste en faisant le lien entre nos différentes réformes. Dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance, que je mène et dont j'ai dévoilé les principales mesures en octobre dernier, est prévue une réflexion sur l'évolution de la gouvernance de la protection de l'enfance dans notre pays, celle-ci n'étant pas aussi efficace qu'elle devrait l'être. J'ai missionné l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour appréhender les implications techniques et juridiques de ce projet de rapprochement des différents organismes qui travaillent sur ces sujets.

Le Cnaop conservera les moyens d'exercer ses missions, et la nouvelle instance de gouvernance de la protection de l'enfance sera dotée de moyens supplémentaires. Chargé de l'accès aux origines des personnes nées sous le secret, pourra-t-il s'occuper de l'accès aux origines des personnes nées de dons ? Ses responsables ne sont pas favorables à une telle extension de leurs compétences. Nous avons fait le choix de confier à une commission ad hoc, adossée à l'Agence de la biomédecine et placée sous la responsabilité du ministère, la question du recueil des données concernant les enfants nés par tiers donneur, lesquels pourront solliciter l'accès à ces données à leur majorité.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - S'agissant du dépistage préconceptionnel, celui-ci est d'ores et déjà autorisé en France dans le cadre d'une prise en charge médicale spécialisée et d'un conseil génétique. L'élargir à toute personne ou à tout couple fragiliserait nos principes et nos valeurs. La question se pose, notamment, de la définition de la liste de pathologies. Faut-il la définir par rapport à la gravité d'une maladie, alors même que les thérapies évoluent ? Par ailleurs, certaines pathologies ne sont pas causées par un seul gène défectueux. Partant, la revendication du droit à un enfant sain impliquerait de demander un séquençage complet du génome. Il faut également veiller à ne pas stigmatiser des couples qui souhaiteraient ne pas savoir, ou encore les personnes atteintes de ces maladies.

Pour toutes ces questions, qui heurtent nos valeurs éthiques, nous ne disposons pas de réponses précises, rassurantes et rationnelles. Voilà pourquoi nous n'avons pas souhaité étendre le dépistage préconceptionnel à des cas non prévus actuellement.

Pour ce qui concerne la révision des lois de bioéthique, tout d'abord, il est toujours possible de les modifier sans pour autant opérer une révision globale. Le Gouvernement souhaitait initialement une révision tous les 7 ans, mais l'Assemblée nationale a préféré retenir un délai de 5 ans, et nous l'avons suivie.

Madame Blondin, la phagothérapie n'a pas sa place dans une loi de bioéthique, les phages, les virus et les bactériophages n'étant pas des produits du corps humain. Je donnerai un exemple extrême : de même qu'il n'est pas besoin de prendre une loi de bioéthique pour procéder à une amputation, on peut recourir à la phagothérapie à la seule condition que ces actes soient contrôlés ; les autorisations sont d'ailleurs données au coup par coup et non de façon générale. Ces protocoles seront inclus dans le programme prioritaire de recherche sur la résistance aux antibiotiques.

Les recherches sur les anomalies du développement génital et sur les maladies rares ne relèvent pas davantage de la loi de bioéthique.

Monsieur Daudigny, le statut particulier de l'embryon est toujours reconnu dans ce projet de loi, comme il l'est dans les conventions signées par la France, dont la plus importante est la convention d'Oviedo. Pour être autorisée, la recherche sur un embryon doit respecter quatre critères : la pertinence scientifique ; l'inscription dans une finalité médicale ; l'utilisation exclusive de matériel humain, qu'il s'agisse d'embryons ou de cellules souches embryonnaires ; le respect de règles d'éthique, lesquelles sont de niveau international.

Le respect de ces critères conditionne également la publication des études afférentes à ces recherches dans les revues internationales, puisqu'il faut produire le numéro d'agrément pour pouvoir publier.

Pour ce qui concerne la durée d'observation, il est d'ores et déjà possible d'observer des embryons au-delà de 14 jours, mais nous proposons d'inscrire dans la loi une durée maximale. Ce faisant, nous nous référons non pas à ce que la science sait faire, mais à ce qui nous paraît souhaitable en termes de délai.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Monsieur Henno, pour ce qui concerne l'utilisation des traitements algorithmiques, la temporalité de l'information délivrée au patient par le professionnel de santé dépend des catégories d'actes visés et des dispositions qui leur sont applicables. Dans le cas de l'implantation d'un dispositif médical, par exemple un pancréas artificiel, l'information préalable est absolument nécessaire. En revanche, si un dispositif d'intelligence artificielle a été utilisé dans le cadre d'un diagnostic, l'information sera donnée postérieurement.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - En effet, il est très difficile de savoir à l'avance si l'on aura besoin d'utiliser un dispositif d'intelligence artificielle pour poser un diagnostic.

M. Alain Milon, président. - Je vais outrepasser mon devoir de réserve de président.

Lors de l'examen de la dernière loi de bioéthique, le Gouvernement et l'Assemblée nationale s'étaient prononcés contre l'obligation de révision tous les 5 ans. C'est le Sénat qui l'a imposée. On constate que les précédentes lois de bioéthique ont été révisées tous les 7 ans, car il fallait ensuite prendre les décrets d'application.

La dernière loi de bioéthique, adoptée voilà 7 ans, est finalement révisée au bout de 9 ans. Revenir à un délai de 5 ans n'est donc pas une mauvaise idée puisque cela permet de tenir compte de connaissances ou de pratiques qui avancent plus vite que prévu.

Par ailleurs, on peut toujours réviser une loi de bioéthique pour des domaines précis. Ainsi, 2 ans après la loi de bioéthique de 2011, le Sénat avait présenté une proposition de loi relative à la recherche sur l'embryon, adoptée ici et à l'Assemblée nationale.

On reproche à la loi de bioéthique de courir un peu après les scientifiques. Peu de pays dans le monde ont une telle législation, et nombreux sont ceux qui souhaiteraient en avoir une. J'ai rencontré des représentants du Sénat jordanien, qui nous disent vouloir suivre notre exemple.

Comme l'a expliqué M. le secrétaire d'État, la loi de bioéthique sert à constater les avancées scientifiques et à les borner pour éviter les initiatives de chercheurs « fous ». En outre, à chaque fois que la science avance, nous avons le devoir de regarder si ces progrès sont utiles et d'éviter ceux qui sont dangereux. Ces lois de bioéthique sont donc plus que nécessaires, tout en étant révisables.

Je vais être provocateur. Dans ma vie professionnelle, je n'ai jamais rencontré de personnes qui, exerçant leur droit à l'enfant, n'aient pas respecté le droit de l'enfant. Si l'on veut supprimer le droit à l'enfant, il faut revenir sur l'adoption, l'IVG et la pilule !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Monsieur le secrétaire d'État, la commission ad hoc pour l'accès aux origines serait chargée de récolter auprès de l'Agence de la biomédecine des données identifiantes et non identifiantes pour les transmettre, ce qui est d'ordre purement administratif. Elle sera aussi chargée d'accompagner les enfants issus du don et les donneurs : comment se fera cet accompagnement ?

Que faire en cas de pénurie de gamètes liée, en cas d'extension de la PMA, à l'accroissement de la demande et, en cas de levée de l'anonymat, à la baisse du stock de gamètes, les deux phénomènes produisant un effet ciseau ? Peut-on songer à apporter des gamètes et comment s'assurer alors de l'accès aux origines ?

Mme Élisabeth Doineau. - La PMA post mortem n'a pas été évoquée à l'Assemblée nationale. En cas de décès du conjoint, la dynamique du projet de PMA du couple est rompue. Au vu de ces situations difficiles, il faudrait donner un cadre à la PMA post mortem. Une loi de bioéthique doit aussi servir à cela.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - S'agissant de la commission ad hoc chargée de l'accès aux origines, un décret en Conseil d'État précisera quels professionnels pourront être sollicités pour accompagner les enfants dans cette démarche. Intuitivement, on pense à des psychologues, des pédopsychiatres ou des assistants sociaux.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous dites qu'il y aurait une appréciation de l'opportunité d'accéder à ses origines ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Non, vous avez raison, c'est un droit.

Sauf erreur, nous sommes le seul pays à proposer de façon concomitante l'ouverture de la PMA à toutes les femmes et la possibilité d'accéder à ses origines. Nous n'avons donc pas d'éléments de comparaison avec d'autres pays. Or nous sommes déjà en flux tendus sur les spermatozoïdes, et en pénurie d'ovocytes. Nous prenons donc très au sérieux le risque de pénurie de gamètes. Pour autant, nous n'allons pas en importer. Nous voulons renforcer les campagnes de communication pour recruter de nouveaux donneurs. L'Agence de la biomédecine s'y prépare. Ces campagnes sont assez confidentielles, mais incitent à faire preuve de solidarité et à donner. La nature des donneurs évoluera peut-être, avec la possibilité d'accéder aux origines après dix-huit ans. On l'a constaté dans les pays qui ont levé l'accès aux origines, après une baisse dans un premier temps, le nombre de donneurs y remonte, puis se stabilise, mais les motivations ont légèrement évolué.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le moment où seront pris les décrets garantit qu'il n'y aura pas de destruction de gamètes. Quand on voit le très faible pourcentage de donneurs de gamètes, et le faible pourcentage de personnes sensibilisées à la possibilité pour elles de faire un don de gamètes, on comprend qu'il y a beaucoup à faire.

La PMA post mortem a suscité beaucoup de discussions, car elle soulève des questions abyssales. Nous ne l'avons finalement pas autorisée. D'abord, il y a la question du temps du deuil. Aussitôt après le décès, on se dit que c'est le rêve le plus cher que de faire naître un enfant. Mais, après un ou deux ans, le temps passant, la vie reprenant ses droits, est-on toujours dans la même envie ? Nous pourrions autoriser la PMA post mortem après une période de deuil. Mais comment estimer la durée d'un deuil ?

Puis, le projet parental était porté par le couple. Il ne reste que la femme. Peut-elle continuer à porter seule un projet parental conçu à deux ? Il faudrait aussi demander à l'autre parent s'il serait d'accord, au cas où il décède, pour qu'un enfant naisse après sa mort... Et il y a les pressions potentielles des familles, au moment du deuil, notamment de la famille du défunt. Comment, enfin, gérer les successions ?

En réalité, le nombre de demandes formulées auprès de la justice est extrêmement faible. Ce n'est donc pas la peine d'ouvrir la possibilité de généraliser la PMA post mortem, surtout au regard de la lourdeur du processus, pas seulement techniquement. On prononce rapidement les trois lettres P-M-A, mais c'est un projet sur le temps long !

M. Alain Milon, président. - Nous en rediscuterons en séance.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 55.

Jeudi 19 décembre 2019

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 10 h 20.

Audition commune d'associations

M. Alain Milon, président. - Nous clôturons aujourd'hui nos auditions sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec cette table ronde d'associations. Cette audition fait l'objet d'une captation en vidéo en vue de sa retransmission sur le site Internet du Sénat où elle sera ensuite disponible à la demande.

Nous accueillons MM. Alexandre Urwicz, président, et Fabien Joly, porte-parole de l'Association des familles homoparentales (ADFH), Mme Marie-Claude Picardat et M. Dominique Boren, porte-parole de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), Mme Catherine Michaud, présidente de l'association GayLib, Mme Laurène Chesnel, déléguée Familles de l'Inter-LGBT et Mme Véronique Cerasoli, administratrice et porte-parole de l'association SOS homophobie.

M. Alexandre Urwicz, président de l'Association des familles homoparentales (ADFH). - Merci de recevoir l'ADFH. Nous vous avons adressé une note de 41 pages, et nous nous concentrerons ce matin sur quelques points importants.

Nous sommes extrêmement favorables à l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, notamment faisant partie d'un couple de même sexe ou célibataires.

Nous sommes favorables à la disposition adoptée par l'Assemblée nationale établissant la reconnaissance conjointe anticipée (RCA), qui permet de respecter à la fois la solidarité des femmes en couple lorsqu'elles s'engagent dans une PMA, et de garantir que la filiation sera ancrée à la naissance, établie à la fois par l'accouchement de la mère, déclaré à l'état civil, et la cosignature de la conjointe lors de la RCA. Il est important de maintenir cette mesure.

Nous souhaiterions qu'elle soit étendue à tous les enfants nés par PMA avec don de gamètes. En l'état actuel du droit, il y a une rupture d'égalité entre les enfants conçus par don de gamètes avec des parents de même sexe et des enfants issus de parents hétérosexuels, au sens du dispositif du titre VII du code civil, se fondant sur un rapport pseudo-charnel des parents. Aucune information ne permet alors à l'enfant de savoir que son père n'est pas son géniteur.

En 1950, une circulaire demandait aux officiers d'état civil de ne pas envoyer la mention du jugement des enfants adoptés ; on faisait croire à l'enfant que ses parents étaient ses géniteurs. En 1966, l'État a refusé de continuer à perpétrer ce mensonge : les enfants avaient grandi et demandaient de la transparence sur leurs parents biologiques. On a alors demandé alors aux officiers d'état civil d'envoyer l'acte intégral avec toutes les mentions.

Aujourd'hui, cette situation est transposable aux enfants conçus par don de gamètes. Il est de l'intérêt supérieur de l'enfant de connaître son histoire personnelle et cet intérêt prévaut sur celui des parents de disposer d'un acte établissant une filiation pseudo-charnelle. Étendez les dispositions de l'article 4 à tous les enfants issus de dons, que ce soient des enfants de parents homosexuels, hétérosexuels, mariés ou non. C'est le sens de toutes les conventions internationales et de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

M. Fabien Joly, porte-parole de l'Association des familles homoparentales (ADFH). - Le projet de loi adopté à l'Assemblée nationale, au-delà de limiter la RCA aux seuls couples de femmes, envisage mal deux autres sujets essentiels pour l'intérêt supérieur des enfants.

Les enfants nés avant l'entrée en vigueur de la loi ont comme seule possibilité pour leur filiation la voie de l'adoption. Mais même si le Gouvernement envisage de supprimer la condition maritale préalable, certains enfants ne pourront être adoptés si les parents sont séparés. La mère ayant accouché pourra refuser que la mère sociale adopte. Celle-ci n'aura aucun moyen juridique de faire établir une filiation même si elle a participé au projet parental et à l'éducation de l'enfant. C'est dramatique tant pour la mère que pour l'enfant. Nous voulons que la filiation soit établie par la possession d'état, jusqu'à dix ans après la séparation avec la mère juridique, devant le notaire ou le tribunal de grande instance
- futur tribunal judiciaire - pour maintenir le lien avec l'enfant. C'est un manque du projet de loi.

Il est également impensable que les enfants nés par PMA avant la loi ne puissent bénéficier, avec l'accord du donneur, d'un accès à leurs origines, soit via des données non identifiantes, soit via l'identité du donneur. Nous souhaitons que cela ne repose pas sur le volontariat des donneurs, mais que la commission d'accès aux origines sollicite les  donneurs pour savoir s'ils autorisent que des données identifiantes soient communiquées aux enfants le demandant. C'est une position équilibrée, entre le respect de l'anonymat et le droit des enfants à connaître leur histoire personnelle.

Mme Catherine Michaud, présidente de l'association GayLib. - GayLib est un mouvement LGBT associé aux radicaux, une association à caractère politique. Mon propos le sera également. Avec l'APGL, le Planning familial, SOS homophobie et Inter-LGBT, nous avons créé cet été le Collectif PMA.

Le projet de loi Bioéthique est attendu depuis très - trop ! - longtemps. Nous l'attendions de la précédente majorité, c'était une promesse non tenue du candidat Hollande. Cela aurait pu nous éviter d'avoir à nous marier et à adopter nos propres enfants pour être reconnues pleinement comme parents. Nous n'allons pas refaire le match six ans plus tard, et force est de constater que ce texte est une avancée, même s'il n'est pas parfait.

Le moment venu, dans l'hémicycle, nous aurons besoin de tous les progressistes, quel que soit leur bord politique. Le Sénat est majoritairement à droite. Ne commettez pas les erreurs du passé sur le pacte civil de solidarité (Pacs), le mariage et l'adoption, souvent plus par posture que par conviction, peut-être même parfois par peur de ce que pourrait penser votre électorat en circonscription. Or, sur la PMA comme sur le mariage, sondage après sondage, les Français sont prêts depuis bien longtemps, bien avant le législateur.

Nos familles, nos conjoints et nos enfants sont une réalité intégrée à la société et à travers toute la France. Le schéma familial est divers, avec, à la fois, des familles traditionnelles, des familles recomposées, monoparentales, mais aussi homoparentales. Nous nous réjouissons de voir la PMA pour les femmes seules et en couple enfin à l'agenda parlementaire. C'est une liberté nouvelle, ouverte à toutes, de pouvoir faire un enfant, de disposer de son corps pour concevoir un enfant et de faire famille, quel que soit son régime matrimonial ou son orientation sexuelle. Cela restera dans l'histoire comme une grande avancée pour les femmes comme le droit de vote ou le droit à l'avortement.

Parmi les points positifs, outre l'aspect historique attendu de ce texte, il y a l'ouverture de la PMA aux femmes célibataires, marque importante de la confiance faite aux femmes dans un projet parental mûrement réfléchi. Cependant, nous n'acceptons pas les dispositions de filiation spécifique pour les couples de femmes. Nous ne pouvons pas comprendre que les lois de la République mettent en place un statut à part pour une catégorie de la population et ne protègent pas de la même manière tous ces enfants. Nous souhaitons que le droit commun soit élargi soit par reconnaissance, soit par présomption.

Par ailleurs, ce texte écarte les personnes transsexuelles de l'accès à la PMA, il refuse la PMA post mortem, ce qui est incohérent : une femme ne pourrait pas avoir un projet parental avec les gamètes de son défunt conjoint, mais aurait accès à la PMA avec un tiers donneur en tant que femme célibataire. Il manque aussi la promesse de campagne de reconnaître les enfants nés de GPA légalement à l'étranger.

Nos enfants doivent être protégés par la République comme tous les autres enfants. Ce projet de loi est une opportunité de mettre en exergue la valeur famille sous le triptyque de la République - Liberté, Égalité, Fraternité. Il y a la liberté de construire une famille, l'égalité enfin réelle, et la fraternité sans laquelle les deux autres ne seraient rien. J'ajouterais aussi le quatrième pilier de la République, la laïcité, chère aux radicaux. Les représentants des cultes ont été auditionnés, mais, depuis plus d'un siècle, le religieux ne doit pas influencer le législateur.

Ce texte va dans le sens de l'histoire. Il élargit quelque chose qui est déjà partiellement autorisé, légal, ouvert aux couples hétérosexuels. Tous les couples ne souhaitent pas forcément se marier, toutes les femmes ne souhaitent pas forcément avoir des enfants, donc il en est de même pour la PMA. Nous parlons ici de la liberté de pouvoir faire quelque chose par choix et non pas par contrainte de l'interdiction.

Le rôle du politique n'est pas de juger la société, mais de savoir l'observer pour mieux l'accompagner.

Mme Véronique Cerasoli, administratrice et porte-parole de l'association SOS homophobie. - Merci de nous avoir invités à cette table ronde. SOS homophobie lutte depuis vingt-cinq ans contre les discriminations envers les personnes LGBT, avec trois axes : le soutien aux victimes, la sensibilisation aux discriminations, notamment en milieu scolaire, et la défense de l'égalité des droits des personnes LGBT. Mon éclairage portera principalement sur le terrain juridique de construction de la loi et des techniques médicales.

Nous sommes un peu embarrassés de voir se focaliser l'attention des parlementaires, des médias et du public sur les quelques articles qui nous concernent, plutôt que sur la trentaine d'autres articles autrement plus engageants sur l'avenir et la bioéthique. Dont acte.

Je centrerai mon propos sur l'article 1er, qui élargit l'accès à de nouveaux publics et l'article 4, qui en tire les conséquences en termes de filiation.

À l'article 1er, nous sommes satisfaits de voir disparaître une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et le statut marital des femmes. Nous l'attendions depuis vingt-cinq ans. Il ne s'agit ni de développer une nouvelle technique, ni de créer de nouvelles situations, mais bien de mettre fin à une inégalité de traitement entre les personnes dans notre pays. Il s'agit aussi de protéger les enfants et les familles ayant eu recours à l'assistance médicale à la procréation (AMP). Cette inégalité a été créée ex nihilo par le législateur en 1994, qui a fait le choix - que d'autres pays n'ont pas fait - d'inclure la PMA dans une loi globale de bioéthique et d'en réserver l'accès aux seuls couples hétérosexuels. Cela exclut de facto les femmes seules et en couple avec une femme qui, jusque-là, pouvaient être accompagnées par leurs médecins et gynécologues dans un cadre médical sécurisé.

Cependant, une partie de nos concitoyens sont à nouveau discriminés par les choix actuels : les hommes transsexuels qui seraient en capacité de porter un enfant sont exclus de l'article 1er. Or, nous considérons que les droits reproductifs appartiennent à la personne. Le sexe établi à l'état civil ne doit pas être une source d'empêchement à l'AMP. La loi qui, depuis 2016, permet un changement d'état civil sans stérilisation forcée obligerait à présent les hommes transsexuels à choisir entre leur changement d'état civil et la possibilité de porter un enfant. Au regard des débats à l'Assemblée nationale, nous avons malheureusement peu d'illusions sur le succès de voir notre demande d'inclusivité de toute personne en capacité de porter un enfant inclus à l'article 1er.

Depuis 1994, des milliers de femmes ont été empêchées par la loi de bénéficier de l'accompagnement de leur médecin parce que célibataires ou lesbiennes. Par conséquent, elles ont adopté des stratégies de contournement, à savoir des PMA artisanales et des PMA à l'étranger, avec son lot d'insécurités et violences sanitaires - aléas de provenance et de stérilisation du sperme, traitements lourds et inutiles imposés par les cliniques étrangères - et les inégalités sociales et économiques liées au coût de l'AMP - déplacements, nuitées sur place, absences au travail... Enfin, il y a une précarité juridique de la famille, une fois l'enfant né. Les premières victimes sont les femmes et leurs enfants, les compagnes, le reste de la famille. Jusqu'à l'établissement de la double filiation, plusieurs mois après la naissance de l'enfant dans le meilleur des cas, celui-ci n'a aucune existence légale.

Le Rapport annuel sur l'homophobie en France, publié par notre association, établit une corrélation entre les discriminations dans la loi et les comportements discriminatoires tolérés dans la société, jusqu'aux violences physiques et psychologiques qui touchent les personnes LGBT. En 2018, les violences contre les lesbiennes signalées à SOS homophobie ont augmenté de plus de 40 % en un an ; 365 actes nous ont été signalés, soit un par jour !

- Présidence de Mme Élisabeth Doineau, vice-présidente -

Mme Véronique Cerasoli. - Il est donc important de faire évoluer la loi afin que personne ne soit discriminé. Je tiens également à alerter sur la situation des personnes transsexuelles et intersexes dans notre pays.

S'agissant de l'article 4 du projet de loi, nous ne nous satisfaisons pas de l'option proposée par le Gouvernement et retenue par les députés qui consiste en l'établissement d'une filiation spécifique pour les couples de femmes, la reconnaissance conjointe anticipée : nous sommes en faveur de l'extension du droit commun.

La loi a pour ambition de mettre fin à une discrimination concernant les femmes lesbiennes, mais, dans le même temps, elle crée une nouvelle discrimination : la loi prend d'une main ce qu'elle donne de l'autre. Cette loi doit assurer la protection de tous les enfants et toutes les familles sans discrimination, sans hiérarchisation, sans création de documents ad hoc pour certains enfants en raison de leur mode de conception ou de l'orientation sexuelle de leurs parents. Ce choix d'une solution dérogatoire est d'autant moins compréhensible que tout existe déjà dans le droit : depuis 1994, il existe un système de filiation pour les couples hétérosexuels qui ont recours à une PMA avec donneur ; la double filiation maternelle existe ; la filiation d'un enfant avec un parent non géniteur existe.

Avec la reconnaissance conjointe anticipée, l'établissement de la filiation sera différent pour la femme qui accouche selon qu'elle est en couple avec un homme ou une femme, différent aussi pour le second parent non géniteur selon qu'il est un homme ou une femme, et l'acte de naissance de l'enfant sera différent selon que ses parents ont eu recours, à une PMA avec donneur ou pas et selon l'orientation sexuelle de ses parents. À même conception, même filiation : la femme qui accouche doit être mère par son accouchement, le second parent doit l'être par son consentement au don et présomption s'il est marié et par consentement au don et reconnaissance s'il n'est pas marié, qu'il soit homme ou femme. Sinon, cela revient à inscrire dans la loi une discrimination basée sur l'orientation sexuelle des personnes !

Pourtant l'extension du droit commun serait simple et n'enlèverait rien à personne. Alors pourquoi ce blocage ? En raison de l'hétéronormativité de notre droit, qui a été écrit par et pour les hommes. Depuis des siècles, notre droit de la famille a été fondé sur le mariage, entre une femme et un homme jusqu'en 2013, et sur la volonté de contrôler le corps des femmes et la procréation. Le mariage pour tous n'est pas un mariage pour toutes, car le mariage entre deux femmes n'emporte pas les mêmes effets en termes de filiation qu'un mariage entre un homme et une femme. L'histoire, l'anthropologie, les sciences sociales montrent que les systèmes de parenté et donc de filiation sont soumis à des normes culturelles changeantes et aux évolutions politiques, économiques, sociales, religieuses et même biotechniques.

Reconnaissance ? Non, car il y a rupture d'égalité en droit des effets du mariage. Conjointe ? Non, car il y a rupture d'égalité entre les femmes qui accouchent. Anticipée ? Non, car il y a rupture d'égalité d'établissement de filiation entre des enfants selon que leur mère est en couple avec une femme ou pas.

Il n'existe pas de modèle universel ni unique de la famille, mais il n'y a qu'un seul type d'égalité et il n'y a pas d'égalité partielle : l'égalité est ou n'est pas.

Mme Laurène Chesnel, déléguée Familles de l'Inter-LGBT. - Je suis maman de deux petites filles conçues par PMA à l'hôpital universitaire de Bruxelles.

L'Inter-LGBT regroupe 70 associations de tous les domaines de la vie LGBT et plus largement des droits humains. Nous sommes organisateurs, chaque année, de la marche des fiertés de Paris et du Printemps des associations. Je regrette que l'association Les enfants d'Arc en ciel, qui accompagne chaque année des centaines de couples de femmes en PMA, n'ait pas été autorisée à venir à cette audition, cela aurait pourtant été très enrichissant.

Le projet de loi comporte de nombreux points positifs. Tout d'abord, l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes, qui met fin à une situation cynique. Cette situation était financièrement inégale - une insémination coûte 1 000 euros et une FIV jusqu'à 8 000 euros par tentative. Elle engendre du stress, des problèmes de santé - le lien entre médecins, français et étranger, se fait difficilement -, mais aussi des difficultés dans le milieu professionnel en raison d'absences difficiles à justifier. Je me félicite de la clause de non-discrimination introduite par l'Assemblée nationale.

Les travaux de Susan Golombok sur le bien-être des enfants nés dans des couples de femmes ou chez des femmes célibataires montrent que nos enfants vont tout aussi bien que les autres.

L'ouverture de la PMA aux femmes célibataires est aussi une avancée. Celles-ci sont dans des situations très différentes ; leur profil socio-économique est aussi très différent ; elles sont très entourées et soutenues par leur famille et elles peuvent rencontrer un père par la suite. En effet, la fenêtre pour fonder une famille est étroite : le premier contrat à durée indéterminée est décroché vers 29 ans et, dès 35-38 ans, la fertilité diminue.

La question du remboursement est très importante. C'est conforme au principe de solidarité de notre système de santé et, s'il n'avait pas été prévu, cela aurait constitué une nouvelle discrimination. Le double don et l'accès aux origines constituent aussi des avancées. Mais le projet de loi souffre aussi de plusieurs manques. Tout d'abord, la situation des veuves nous semble cruelle : elles ne pourront faire de PMA qu'avec un tiers donneur et non avec les gamètes de leur conjoint décédé. Les personnes transsexuelles et intersexes n'ont pas accès à l'autoconservation des gamètes même si elles suivent un traitement stérilisant, alors que la loi le leur permet en principe.

Nous attendons aussi des avancées sur les pratiques médicales, comme la méthode ROPA (réception d'ovocytes de la partenaire). À l'Assemblée nationale, il y a eu une confusion avec la notion de don. Il ne s'agit pas d'un don, puisque la génitrice deviendra bien mère. Dans un contexte de pénurie d'ovocytes, il est ridicule de faire attendre une personne sur une liste d'attente de plus de trois ans, alors qu'il y a des gamètes disponibles dans le couple.

Le dépistage des aneuploïdies est aujourd'hui proposé à la femme au 3e mois de grossesse depuis 2009, mais il faudrait le proposer dès le stade de l'embryon en cas de FIV, car 40 % des FIV se soldent par un échec - embryons non viables ou interruption médicale de grossesse (IMG). Les femmes qui ne souhaiteraient pas faire ce dépistage ne le feraient pas. Cela a été présenté comme une grande nouveauté, mais cela ne l'est pas. Ce sera plus confortable pour les femmes.

Sur les donneurs et donneuses rares en raison de leurs caractéristiques ethniques, le registre national devrait être consultable par les médecins opérant des AMP afin de faire venir des gamètes d'un autre centre. Mais il faut aussi offrir la possibilité aux couples qui le souhaitent de refuser tout appariement basé sur leurs caractéristiques physiques.

Nous sommes en faveur d'une filiation de droit commun, identique à celles des couples hétérosexuels non mariés, avec la reconnaissance et la possibilité de déclarer judiciairement la parentalité. Il suffirait d'apporter à l'officier d'état civil le consentement devant notaire.

Les enfants des couples séparés avant l'adoption de l'enfant du conjoint sont actuellement dans une situation dramatique, sans aucune possibilité d'établissement de leur filiation. Notre piste préférée serait l'ouverture de la possession d'État. La voie belge serait également envisageable, avec l'adoption de l'enfant de l'ex-conjoint, ex-partenaire ou ex-concubin ; si la femme qui a l'autorité parentale refuse, le juge tranchera.

Nous n'avons pas de position particulière sur la gestation pour autrui (GPA) à l'étranger, sauf s'agissant de la régularisation de l'état civil des enfants. La Cour de cassation a modifié hier sa jurisprudence et permis la transcription des deux parents : peut-être faudrait-il l'entériner dans la loi ?

Nous avons aussi quelques autres préoccupations : le traitement algorithmique des données des personnes sans le consentement des personnes prévu à l'article 11 ; le statut de l'embryon à l'article 14 ; la nouvelle clause de conscience sur l'IMG à l'article 21 au lieu de renvoyer à la clause de conscience existante sur l'IVG ; la question des mineurs intersexes qui a connu une avancée notable à l'Assemblée nationale, mais il faudrait que la France se conforme à ses propres engagements et interdise les opérations non consenties par les enfants concernés.

En conclusion, je voudrais partager avec vous le témoignage d'une jeune femme, née en 1995 et membre de l'association Les enfants d'Arc en ciel : « Ai-je souffert de la situation de mes parents dans ma vie ? Non, j'ai une certitude que tout le monde n'a pas la chance d'avoir : je sais que mes parents m'ont ardemment désirée et que j'existe parce qu'elles se sont battues pour ça, cela a donné un premier sens à ma vie. Je n'ai pas souffert de l'homosexualité de mes parents, j'ai souffert de l'homophobie de notre société. La seconde question qu'on me pose : ai-je manqué d'un père ? La réponse est encore non. J'ai eu l'amour de deux femmes, j'ai eu des hommes dans mon entourage - mon parrain, mon grand-père, mes oncles, les pères de mes amis. Mais qu'est-ce qu'un père apporte de si spécifique qu'une mère ne peut apporter ? L'autorité ? Le goût pour le sport ? L'idée selon laquelle le père est indispensable sous-entend que l'homme est fondamentalement différent de la femme, au point qu'il apporterait par sa seule masculinité quelque chose de distinct. Mon expérience démontre que cette idée est fausse. Je vous demande, mesdames et messieurs les sénateurs de voter cet article du projet de loi : vivre dans un État qui ne reconnaît pas ma famille est une souffrance et voir de jeunes homosexuelles de mon âge douter de leurs capacités à être de bonnes mères à cause de l'homophobie ambiante est insupportable. Nos familles existent déjà par milliers. »

Mme Élisabeth Doineau, présidente. - Nous avons demandé à l'association Les enfants d'Arc en ciel, qui est membre de votre fédération, de se rapprocher de vous afin que vous puissiez porter leur voix. On ne peut donc pas dire que cette association n'a pas été autorisée à s'exprimer.

M. Dominique Boren, porte-parole de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL). - Je vous remercie de nous accueillir et de nous auditionner. C'est un plaisir de travailler avec l'association Les enfants d'Arc en ciel. C'est une voix importante à entendre, indépendamment de leur fédération.

Qui est l'APGL ?

L'APGL, créée en 1986, la plus ancienne et la plus large des associations homoparentales françaises, est à l'origine du terme « homoparentalité ». Son action est reconnue dans les domaines de l'homoparentalité et de la coparentalité.

Nous intervenons dans le champ associatif et social pour la reconnaissance et l'accompagnement des familles et des futures familles, mais également dans le champ du politique en défendant trois principes : toute personne LGBT a le droit de fonder une famille en France ; tous les parents doivent avoir les mêmes droits en termes de filiation, quels que soient leur statut - parents légaux ou sociaux - et leur contribution au projet parental ; les enfants des familles homoparentales doivent avoir le même lien sécurisé de filiation avec chacun de ses parents.

L'APGL a mené des combats contre les discriminations. Depuis la loi Taubira, elle intervient également dans le champ politique de manière plus institutionnalisée. Sa force repose sur ses adhérents, dont elle transmet les demandes aux pouvoirs publics. Grâce à sa mixité et à sa diversité, elle fait remonter des sujets qui concernent tous les types de familles. Elle a donc toute légitimité pour demander une PMA encore plus égalitaire qu'elle ne l'est à l'issue de la première lecture du présent texte.

Nous organisons des débats ; nous avons aussi soutenu le film Mon enfant ma bataille, qui explique les parcours des familles ayant un projet de PMA. Nous sommes présents dans différentes instances de la République, notamment au sein de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), entre autres, ce qui nous permet d'avoir une vue d'ensemble de ces questions. D'ailleurs, s'agissant de l'exclusion du droit commun de la filiation pour les seuls couples de femmes qui accéderaient à la PMA, nos interlocuteurs au sein de l'UNAF et du HCFEA ont été aussi surpris que nous par le vote des députés.

Depuis toujours, l'APGL défend le principe d'une inclusion des questions de famille et de parentalité dans les textes visant à accorder une égalité de droits aux personnes LGBT.

Malheureusement, nous avons dû faire face à une tendance de fond : les droits conférés aux personnes LGBT demeurent spécifiques, accordés « par la porte arrière » pour accéder au « salon » de l'égalité. Le Pacs nous avait ainsi été présenté comme une mesure d'égalité. Or, en 1999, les personnes hétérosexuelles avaient la possibilité de se marier, pas les homosexuelles. Par ailleurs, le Pacs ne couvrait pas le champ de la filiation. Les jurisprudences et les mentalités ont fait évoluer ce système, mais, au départ, celui-ci n'était pas satisfaisant en termes d'égalité des droits. Je crains que le présent projet de loi n'aboutisse au même résultat. Nous souhaitons cependant qu'il prévoie la plus large égalité possible.

Mme Marie-Claude Picardat. - En effet, nous souhaitons que la présente loi reflète l'esprit de notre République, c'est-à-dire qu'elle nous donne la liberté, l'égalité et qu'elle repose sur des principes de fraternité. Malheureusement, nous ne sommes pas tout à fait engagés dans cette direction. Or, quand la loi n'est pas tout à fait égalitaire, mais crée des sous-catégories de citoyens, elle suscite des souffrances. Nous l'avions expérimenté avec le Pacs, qui n'était pas un dispositif suffisant puisque les homosexuels étaient privés du mariage et de la filiation. Quant au mariage pour tous, s'il est égalitaire du point de vue de la conjugalité, il ne l'est pas sur le plan de la filiation.

Nous avions averti le législateur, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, qu'une loi insuffisante pour établir la filiation dans le cadre du mariage entraînerait des souffrances. Ainsi, les premières familles à s'être présentées devant les tribunaux n'ont pas été traitées de manière égalitaire.

Nous sommes certes satisfaits que la PMA et le principe de son ouverture à toutes les femmes - seules ou en couple -, aient été adoptés. Nous apprécions aussi que le sujet de la filiation ait été pris en compte, y compris pour les homosexuels en dehors du mariage, ce qui a mis fin à une rupture d'égalité. Nous nous réjouissons que la sécurité sociale prenne en charge la PMA pour toutes les femmes, même si nous avons des questions à poser sur les modalités de cette prise en charge ; peut-être le législateur pourra-t-il nous éclairer et nous rassurer à cet égard ?

Nous approuvons, enfin, la possibilité qui est donnée d'accéder à des éléments de connaissance relatifs aux donneurs. Pour ma part, je récuse le terme « origines », parce que les origines d'un enfant ne se trouvent pas dans un matériel génétique, mais bien plutôt dans son histoire, qui lui est racontée par ses parents. Même si sa vie découle de ce capital génétique, celui-ci ne résume ni son histoire ni ses origines.

Nous savons que certains enfants demandent l'accès à ces éléments de connaissance, et il serait dommage de leur barrer la route. Le simple fait de donner cette possibilité suffit souvent à apaiser leur curiosité, et ils n'ont pas forcément besoin d'aller au-delà, comme nous l'apprennent certains retours d'expérience venus de pays étrangers.

Nous sommes dépités et étonnés, en revanche, que le législateur ait fait en sorte que nos revendications aient des conséquences négatives pour les couples hétérosexuels ayant recours à la PMA : ils « sortent du cadre » du présent texte, alors qu'ils n'avaient rien demandé et qu'ils étaient à l'abri de la loi française depuis des décennies. Nous avons en effet perçu comme une menace le fait d'inscrire le mode de conception sur l'état civil des enfants. Nous avons toujours été opposés à ce principe, qui n'a rien d'égalitaire selon nous. Par ailleurs, depuis sa mise en place, le dispositif de PMA pour les personnes hétérosexuelles a toujours bien fonctionné et n'a jamais donné lieu à contestations, notamment en termes de filiation. Pourquoi donc sortir ces personnes du droit commun ?

Notre revendication est républicaine, elle va dans le sens de l'égalité. Nous voulons pouvoir bénéficier, dans la plus large mesure, et si possible dans sa totalité, du droit commun de la filiation.

De manière inattendue, est imposé avec ce texte un mode d'établissement de la filiation qui serait réservé aux femmes homosexuelles et viendrait accoler les deux mères dans un même mouvement d'établissement de la filiation, comme si chacune ne pouvait pas l'établir indépendamment de l'autre. Au nom d'une prétendue avancée des droits, ce système prive la mère qui va accoucher de la possibilité de faire établir le lien de filiation avec son enfant par l'accouchement, comme peut le faire toute autre femme. Nous y sommes absolument opposés !

L'engagement dans la PMA n'est pas du tout équivalent à l'établissement de la filiation. Si la PMA engage les deux femmes de manière équivalente, leurs droits ne sont pas exactement les mêmes puisqu'elles n'établiront pas la filiation de façon identique. Nous avons des modèles à l'étranger, mais aussi en France : les femmes hétérosexuelles qui recourent à la PMA peuvent établir leur filiation par l'accouchement ; et pour les pères hétérosexuels qui n'ont pas de lien biologique avec l'enfant, l'établissement de la filiation est garanti par leur acceptation du principe de la PMA. Nous souhaitons bénéficier des mêmes droits.

Lorsque l'on crée des « petits » droits spécifiques, on est toujours obligé d'y revenir, mais entretemps sont survenus des souffrances et des dégâts dans les familles, sur le dos de nos enfants. C'est une façon pour le législateur d'introduire dans la loi des discriminations. En effet, en quoi la sexualité de la mère doit-elle induire une privation de droits qui sont ouverts aux autres femmes ? En créant autant de droits et de régimes qu'il y a de situations spécifiques, on met les personnes dans des tiroirs et des catégories, et tout le monde s'y perd.

Le plus simple est d'ouvrir à tous les portes de notre grande maison républicaine, sans discrimination. Les personnes homosexuelles sont des citoyens à part entière et participent à l'effort national en travaillant, en faisant des enfants, en cotisant à la sécurité sociale, mais elles ne bénéficient pas pour le moment d'une entière égalité de droits. La deuxième mère, par exemple, doit pouvoir établir la filiation de manière simple, par un processus de reconnaissance reposant sur le fait qu'elle s'est engagée dans un processus de PMA, ce qui lui ouvre des droits et des devoirs. Nous ne voulons pas d'un droit qui ouvre d'autres formes d'exclusion.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. -Vous avez tous évoqué la notion d'égalité, et son pendant qu'est la discrimination. Des ministres, ainsi que plusieurs juridictions, ont précisé que les femmes seules et les femmes homosexuelles n'étant pas dans la même situation que les couples hétérosexuels face à la procréation, le fait de les traiter différemment ne constituait pas une discrimination. Qu'en pensez-vous ?

Vous souhaitez bénéficier du droit commun en matière de PMA, c'est-à-dire celui dont relèvent les couples hétérosexuels. Dans ces couples, la femme devient la mère du fait de l'accouchement, et l'homme devient père par le biais de la présomption de paternité. Comment transcrire cette situation pour un couple homosexuel ?

Mme Laurène Chesnel. - La jurisprudence que vous évoquez est en train de changer. On a longtemps considéré que les couples hétérosexuels et les couples homosexuels étaient dans des situations différentes, ce qui justifiait de ne pas accorder le mariage à ces derniers. Cette conception a évolué. Il se passe la même chose pour les familles homoparentales : dans le cas du don, un parent a un lien biologique avec l'enfant, quand l'autre n'en a pas. Le sexe de ces parents constitue-t-il une différence de situation par rapport à des parents hétérosexuels ayant également recours au don ? Nous considérons que non, et le droit évolue dans ce sens : cette différence de situation n'est pas suffisante pour justifier des droits différents.

Mme Véronique Cerasoli. - Nous considérons quant à nous qu'il y a une similarité de situation face à la conception. Dans un couple ayant recours à la PMA avec donneur, la mère établit sa filiation par l'accouchement ; le second parent, qui n'est pas génétiquement lié à cet enfant, doit bénéficier, qu'il soit homme ou femme, d'une égalité de droits en termes d'établissement de la filiation.

Par ailleurs, dans le cadre d'une PMA, le mari de la femme qui accouche est présumé père. Deux femmes mariées doivent bénéficier d'une égalité de droits, la présomption de parentalité découlant du mariage avec la femme qui accouche. Pour les couples non mariés, elle doit découler d'une reconnaissance de filiation.

M. Alexandre Urwicz. - J'ai compris, madame le rapporteur, que vous faisiez référence à l'avis du Conseil d'État, dans lequel il est clairement indiqué qu'il n'est pas nécessaire d'ouvrir la PMA à toutes les femmes, et que cela ne constitue ni une atteinte à la liberté ni une discrimination.

L'égalité des droits, c'est un choix politique, un choix républicain. Si le mariage pour tous existe, c'est bien parce que le législateur a pris l'initiative de s'emparer du sujet et a fait voter la loi. Nous n'avons pas obtenu ce droit grâce à une décision de la Cour de cassation ou de la Cour européenne des droits de l'homme !

Selon nous, l'extension du droit commun est non pas une possibilité mais une imposture. Le titre VII du projet de loi, qui est basé sur le rapport charnel, ne fonctionne pas pour les couples lesbiens. On ne peut donc appliquer ces dispositions aux enfants de ces femmes.

Je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, d'envisager les choses non sous le prisme de l'intérêt des parents, mais sous celui de l'intérêt supérieur de l'enfant, car c'est ce qui permettra aux enfants nés du don de bénéficier d'une égalité de droits, que leurs parents soient homosexuels ou hétérosexuels, mariés ou non, et de créer une modalité d'établissement de la filiation valable pour tous. On ne stigmatise pas les enfants adoptés ; pourquoi le ferait-on pour ceux nés du don ?

Nous disons clairement que nous voulons non pas de l'extension du droit commun, mais de l'extension de la reconnaissance conjointe anticipée pour tous les enfants. C'est cela, l'égalité !

Mme Marie-Claude Picardat. - Nous vivons un temps politique qui permet l'ouverture de droits à des personnes dont on reconnaît la spécificité.

De la même manière que l'on reconnaît aux hommes et aux femmes, qui sont pourtant différents, les mêmes droits, il faut agir ainsi pour les femmes homosexuelles ayant recours à la PMA. On ne doit pas valoir des spécificités là où elles n'ont pas lieu d'être ! La grossesse, l'accouchement et le processus médical sont les mêmes, que la femme soit homosexuelle ou hétérosexuelle. Pourquoi créer une divergence dans l'établissement du droit en raison de l'orientation sexuelle de la mère ? Il s'agit exactement d'une discrimination : on souligne une différence là où elle n'a pas lieu d'être, et l'on en fait découler des droits ou une absence de droits. Introduire une différence de traitement juridique au nom d'une différence d'orientation sexuelle est extrêmement problématique, surtout en termes d'établissement de la filiation par l'accouchement.

Pour la seconde mère, deux solutions sont possibles pour l'établissement de la filiation : celui-ci découle soit de l'engagement lié au mariage, soit d'une procédure de reconnaissance en mairie, mais sans inscription du mode de procréation dans l'acte d'état civil.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - L'ouverture du droit à la PMA va se conjuguer avec le droit à l'accès aux origines, ce qui devrait entraîner une modification de la typologie des donneurs. Quelles sont vos propositions en la matière, et pour éviter une pénurie de gamètes ?

Madame Chesnel, vous avez émis des réserves sur le statut de l'embryon. Quelles sont-elles ?

Mme Marie-Claude Picardat. - L'État doit assumer ses responsabilités afin d'éviter une pénurie de gamètes. S'agissant des dons de gamètes, de spermatozoïdes, d'embryons ou d'ovocytes, la situation est tendue car l'État ne fait pas de publicité, au sens large, sur ces questions. Il faut éduquer la population à la solidarité à l'égard des personnes qui ont besoin de ces dons, via des campagnes d'information.

Je pense que de nombreuses femmes homosexuelles se rendront encore à l'étranger, car les temps d'attente sont encore très longs. Mais celles qui se présenteront dans les centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme (Cecos) seront-elles traitées à égalité avec les autres femmes, notamment en termes de délais ?

Les profils des donneurs changeront sans doute, mais cela ne justifie pas la destruction de gamètes qui a été un temps envisagée. Il faut respecter l'engagement pris envers les donneurs actuels et se donner le temps d'écouler ces gamètes, quitte à passer par une période transitoire où le don anonyme pourrait encore être proposé, le temps que de nouveaux donneurs prêts à partager plus d'informations puissent se manifester.

Mme Véronique Cerasoli. - On compte aujourd'hui environ 350 donneurs sur 67 millions de Français ! L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) avait montré que quelques dizaines de donneurs supplémentaires suffiraient à répondre à la demande anticipée.

Mme Catherine Michaud. - Il faut complètement abandonner l'idée de la destruction du stock de gamètes existant et aller chercher de nouveaux donneurs. Cela passe par des campagnes de communication à destination du grand public, similaires à ce qui se fait pour le don du sang. Rares sont les Français lambda qui ont été exposés aux campagnes existantes. Il faudrait rappeler qu'un homme peut donner ses gamètes dans une démarche altruiste.

M. Alexandre Urwicz. - Concernant l'impact du changement de régime d'anonymat, rappelons qu'au Royaume-Uni le nombre de donneurs a doublé dans les dix années suivant le changement similaire intervenu en 2005 ; en Suède, on a observé une baisse l'année suivant la réforme, mais le niveau antérieur a été retrouvé dès l'année suivante, et le nombre de donneurs n'a depuis lors cessé de progresser. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir. Une phase transitoire peut être prévue, mais elle pourrait n'être que d'un an.

Mme Élisabeth Doineau, présidente. - La crainte relative au stock de gamètes doit en effet être mesurée. D'après le professeur Jean-Marc Ayoubi, il est important d'entraîner au don toutes les familles qui rencontrent des difficultés dans l'obtention de gamètes. Cette sensibilisation permet de recruter de nouveaux donneurs.

M. Alexandre Urwicz. - Vous avez raison. Dans le modèle actuel de don d'ovocytes, le délai moyen d'attente peut atteindre cinq ans, mais venir avec une autre femme prête à donner ses ovocytes à un centre de fertilité - mais non pas directement, puisque le principe reste l'anonymat - permet de réduire de moitié ce délai. On conclut ainsi presque un deal avec les personnes qui aident le centre de la sorte. Un tel système pourrait être envisagé pour le don de gamètes en cas de pénurie.

Quant au stock actuel, nous souhaiterions qu'on puisse contacter les donneurs pour leur demander s'ils consentent à entrer dans le nouveau régime ; cela pose plutôt des difficultés administratives qu'idéologiques, et permettrait d'éviter la destruction de tout le stock.

Mme Laurène Chesnel. - La pénurie concerne plus aujourd'hui les ovocytes que les gamètes. Ceux qui donnent aujourd'hui sont souvent des personnes elles-mêmes engagées dans un processus de PMA. Dès lors, on peut penser que l'ouverture de ce procédé aux femmes célibataires et lesbiennes conduira à une augmentation du don d'ovocytes. Aujourd'hui, le don de gamètes est effectué par 250 à 350 hommes par an, et 500 femmes donnent leurs ovocytes. Le stock de gamètes est extrêmement important : on compte 90 000 paillettes, soit treize ans de réponse à la demande actuelle. La demande doublerait avec l'ouverture de la PMA aux femmes célibataires et lesbiennes ; on aurait donc six ans et demi de stock dans ces circonstances.

Alors, pourquoi les futurs parents doivent-ils attendre ? Dans certains cas, on invoque la nécessaire maturation du projet parental, ce qui est peu compréhensible au vu des nombreuses années que les couples, notamment hétérosexuels, passent avant de s'engager dans cette procédure. En outre, les centres n'ont pas toujours les moyens de recontacter les donneurs. Surtout, chaque centre est autonome : il n'y a pas de répartition nationale du stock. Les problèmes organisationnels sont donc importants ; nous attendons beaucoup du rapport parlementaire qui doit être remis sur ce sujet.

Nous estimons, nous aussi, qu'il serait utile d'interroger les anciens donneurs afin d'éviter la destruction du stock. Certains centres envisagent déjà de le faire pour leur demander s'ils accepteraient que leurs gamètes soient utilisés par des couples homosexuels, approche extrêmement problématique du point de vue des discriminations !

Quant au statut de l'embryon, nous sommes gênés par le fait que l'article 14 du projet de loi ne porte que sur les embryons « conçus dans le respect des principes fondamentaux énoncés aux articles 16 à 16-8 du code civil ». Cela nous gêne, car ces articles ont pour objet les personnes nées vivantes et viables. Le raccourci employé à l'article 14 tend donc à donner une personnalité à l'embryon, ce qui est problématique, notamment par rapport au droit à l'IVG. Nous avons été alertés sur ce point par le Planning familial.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Ma question porte sur l'accès aux origines pour les enfants qui naissent au terme d'un processus d'assistance médicale à la procréation. Cet accès est par nature différent de celui qui est offert aux enfants adoptés, dans la mesure où ceux qui sont issus d'une AMP sont désirés et aimés. Pensez-vous que le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop) devrait être chargé de cet accès aux origines, ou bien faudrait-il confier cette responsabilité à une autre structure ?

Mme Laurène Chesnel. - Une autre commission est prévue dans le présent projet de loi. Il serait intéressant de lui donner des pouvoirs de recherche similaires à ceux du Cnaop pour les enfants déjà nés et de lui confier cette mission pour les enfants à naître. On pourrait tout confier au Cnaop, mais ce conseil y est réticent, car il ne dispose pas actuellement des moyens financiers nécessaires. Il faudra en tout cas s'inspirer de l'expérience du Cnaop, qui montre bien que l'on peut recontacter discrètement les anciens donneurs.

M. Alexandre Urwicz. - Le dispositif d'accès aux origines est très intéressant, mais une question se pose : comment l'enfant peut-il savoir s'il est issu d'un don ? Qui l'en informe ? Qui lui garantit cet accès à ses origines, à son histoire personnelle ? La réponse est donnée dans ce projet de loi uniquement aux enfants nés de couples lesbiens, et non à ceux de couples hétérosexuels, pour lesquels on en reste au modèle pseudo-charnel d'établissement de la filiation. Voudrez-vous, en tant que législateur, donner une même garantie d'accès aux origines à tous les enfants ? Sinon, discriminations et ruptures d'égalité perdureront.

Mme Véronique Cerasoli. - Nous ne comprenons pas le système de reconnaissance conjointe anticipée appliqué aux couples de femmes. Les enfants nés à la suite d'une AMP dans ces couples sont justement les seuls à ne pas avoir besoin d'une mention sur un document d'état civil pour savoir qu'ils ont été conçus grâce à un don. Nous y voyons un exemple de la primauté de l'hétéronormativité dans notre droit. Répondre à une demande d'accès aux origines par un système de filiation uniquement pour les familles fondées par deux femmes nous paraît une discrimination incompréhensible. Il n'y a pas de lien entre l'établissement de la filiation et l'accès aux origines.

Mme Marie-Claude Picardat. - Les enfants et les familles ont sans doute intérêt à pouvoir être accompagnés, même si je ne sais s'il vaut mieux confier cette tâche au Cnaop ou à un autre organisme. Cela dit, ce que l'on appelle la quête des origines n'est pas du tout une demande systématique des enfants. Ils peuvent savoir comment ils ont été conçus sans chercher à obtenir des renseignements sur les donneurs. L'AMP correspond à des situations familiales infiniment moins traumatisantes que l'adoption consécutive à un abandon, sauf parfois dans les couples hétérosexuels souffrant d'infertilité. L'enfant est informé de sa conception et a rarement des questions quant au donneur. Il est en revanche important que, s'il en a, elles puissent trouver des réponses, qui peuvent en fonction des individus aller jusqu'à des rencontres.

Mme Élisabeth Doineau, présidente. - Le Cnaop nous a décrit les situations qu'il rencontre dans l'accompagnement des enfants nés sous le secret. Certains ont besoin, à tout le moins, d'un accompagnement psychologique, surtout en cas de rencontre.

Mme Marie-Claude Picardat. - Les situations d'adoption et de don sont extrêmement différentes. Rencontrer un parent qui vous a abandonné est beaucoup plus traumatisant ; je le constate en tant que psychiatre. Il ne faut aucune stigmatisation, aucun forçage : on n'a pas à imposer sur l'état civil d'un enfant quelque chose qui n'y a pas sa place. L'essentiel est un accompagnement bienveillant de l'État, dans l'intérêt des familles et des enfants.

Mme Michelle Meunier. - Vous avez évoqué la mère qui accouche. Inscrire à l'état civil de l'enfant quelle mère l'a porté répondrait-il correctement à un souci de transparence, dans l'intérêt de l'enfant, ou bien cela entraînerait-il une stigmatisation ?

Mme Marie-Claude Picardat. - Envisagez-vous cette mention pour l'ensemble de la population, ou uniquement pour les femmes homosexuelles ? Nous voulons le droit commun : nous ne voulons pas porter seules un point de droit qui serait uniquement lié à l'orientation sexuelle. Si l'on en fait une mention obligatoire pour toutes les femmes qui accouchent, ce qui a été le cas un temps, c'est une chose, mais si cela ne concerne que les femmes homosexuelles, c'est une discrimination.

Mme Laurène Chesnel. - Concernant la différence qui pourrait exister, dans les couples de femmes, entre celle qui accouche et l'autre, il n'y a pas de mystère dans les couples : l'enfant sait qui est la mère qui l'a porté. Par ailleurs, l'accouchement ouvre des droits sociaux, notamment pour la retraite. En droit international privé, le statut de l'enfant est lié à la mère qui a accouché. Que se passerait-il s'il n'y avait plus de distinction entre les deux ? Dans les couples que nous avons rencontrés, la mère qui n'a pas accouché ne se sent pas moins mère, la différence ne les gêne pas.

Mme Véronique Cerasoli. - La simultanéité de l'établissement de la filiation entre les deux mères importe à nos yeux, ainsi que l'égalité en droits entre les deux parents, mais cela n'implique pas que l'accouchement soit effacé. Tout comme dans les familles hétérosexuelles, l'égalité des droits parentaux n'implique pas d'offrir au parent qui n'a pas accouché les droits sociaux qui découlent de l'accouchement. Changer sur ce point le droit de la filiation ne nous paraît donc pas pertinent.

M. Alexandre Urwicz. - Toutes les mentions relatives à des reconnaissances sont systématiquement portées en marge de l'acte intégral de naissance. Concernant la reconnaissance conjointe anticipée, nous proposons de modifier le texte pour préciser que l'établissement de la filiation de la mère ayant accouché est subordonné au cumul de deux modalités : la transmission du certificat d'accouchement et la signature de la reconnaissance conjointe anticipée. Ainsi, tout en préservant l'égalité de droits des deux parents, on ne renie à aucun moment la femme qui a accouché. Mme la garde des sceaux a même proposé que la mère ayant accouché soit nommée en premier dans l'acte de naissance ; nous n'y sommes pas opposés.

Mme Laurène Chesnel. - Lier la filiation à l'accouchement a représenté un progrès : auparavant, les femmes non mariées devaient reconnaître leur enfant. Cette réforme évite que des enfants ne se retrouvent par accident sans état civil : tous ont au moins une filiation établie à la naissance.

Par ailleurs, on a trop longtemps considéré que les lesbiennes n'avaient pas vraiment de sexualité ; ce stéréotype est assez fort. Ne pas reconnaître que nous portons nos enfants comme les autres femmes peut être interprété comme une atteinte à notre féminité.

Mme Marie-Claude Picardat. - Si une femme homosexuelle a recours à la PMA alors qu'elle est célibataire, il n'y aura pas de mention particulière ; seule celle qui est en couple avec une autre femme y sera sujette. On crée une situation incompréhensible de discrimination !

M. Yves Daudigny. - Je voudrais revenir sur le sujet de la PMA post mortem. En 2016, une veuve aurait été autorisée par la justice à importer d'Espagne le sperme de son mari décédé afin de concevoir un enfant. Cela fait-il jurisprudence ?

Mme Laurène Chesnel. - Je n'ai pas connaissance de cette décision de justice, mais elle ne m'étonnerait pas. Toutes les institutions consultées au sujet de la PMA post mortem y sont plutôt favorables. Il faut prendre garde aux évolutions prévues par le projet de loi sur le transfert éventuel des gamètes. Pourquoi obliger les gens à aller faire une démarche à l'étranger plutôt qu'en France ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je précise que la femme qui a obtenu cette décision de justice était elle-même espagnole : il ne s'agit pas d'une situation où quelqu'un était forcé d'aller voir à l'étranger.

Mme Marie-Claude Picardat. - Ce n'est pas notre sujet, mais nous travaillons avec des associations qui s'y intéressent et y sont favorables.

Mme Élisabeth Doineau, présidente. - Souhaiteriez-vous apporter des précisions sur des sujets qui n'ont pas été abordés ?

Mme Marie-Claude Picardat. - Ce débat sur la filiation ne devrait pas être une occasion manquée pour l'ensemble des situations familiales. Le projet de loi valide deux points importants : la nécessité d'ouvrir la filiation hors mariage pour les couples de femmes et de sécuriser les liens familiaux dès la naissance de l'enfant, même si nous ne sommes pas d'accord avec les modalités proposées. On sortirait du moins de l'héritage de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, qui ne reconnaissait la famille homoparentale que dans le cadre du mariage et de l'adoption intrafamiliale, ce qui engendrait de nombreux écueils pour les familles séparées et les personnes qui ne veulent pas se marier. Il faut penser le droit de manière homogène en dépit de situations familiales différentes.

C'est encore une raison qui explique l'importance de rentrer dans le droit commun : cela résoudrait bien des situations qui causent aujourd'hui des souffrances infinies aux parents comme aux enfants. Il faudrait offrir des outils supplémentaires, dans le cadre de la reconnaissance conjointe anticipée, en direction des couples qui ont déjà eu recours à la PMA, notamment à l'étranger : établissement de la filiation par possession d'état ou modifications des règles régissant l'adoption intrafamiliale. Les promesses faites en 2013 quant au droit de la filiation n'ont pas été tenues, mais le débat politique est aujourd'hui beaucoup plus apaisé. C'est donc le moment d'élargir la réflexion sur la filiation et de faire entrer dans le droit commun l'établissement de la filiation hors mariage.

M. Fabien Joly. - Toutes nos associations sont d'accord pour concevoir un système protecteur pour l'enfant comme pour les femmes et les hommes qui en sont les parents, même si nous divergeons sur les modalités.

Notre association est favorable à la reconnaissance conjointe anticipée, mais aussi à son extension aux couples hétérosexuels et aux femmes célibataires. Nous voulons sécuriser les droits de ces femmes : si la RCA leur était étendue, elles seraient prémunies contre toute reconnaissance indue par un homme qui n'est pas lié génétiquement à l'enfant. Une telle reconnaissance paternelle serait impossible, car la RCA aurait induit l'établissement d'une seule filiation. Si cette femme refait sa vie avec quelqu'un, il serait toujours possible pour le nouveau conjoint d'adopter l'enfant.

La RCA ne concerne pas que les couples, elle concerne aussi les femmes célibataires, dont le projet parental, pour solitaire qu'il soit, n'en est pas moins réfléchi et mûri. Ces femmes doivent être sûres que la filiation exclusive envers elle sera garantie.

La ministre de la justice avait affirmé que les PMA faites à l'étranger après la loi pourraient bénéficier de la RCA. La Direction des affaires civiles et du Sceau a précisé qu'il suffirait que ces femmes signent un consentement devant notaire avant l'insémination. L'établissement de la filiation sera alors établi de la même manière que pour les femmes ayant accompli tout le processus en France.

Mme Véronique Cerasoli. - Je souligne le lien, documenté, entre discriminations dans le droit, les procédures ou la jurisprudence, et discriminations réelles et subies. Notre rapport annuel met bien ce lien en évidence. D'où l'importance d'un traitement égal : ne créons pas de différences là où elles n'ont pas lieu d'être.

Mme Marie-Claude Picardat. - Une association de mères seules s'oppose à l'inscription de la RCA à l'état civil. Inutile de parler à leur place.

Mme Laurène Chensel. - Le traitement des données de santé est aussi un sujet. Le respect du consentement doit être garanti, comme le prévoient la loi Kouchner et la loi Informatique et libertés. L'orientation sexuelle ou la séropositivité, révélées, peuvent avoir des conséquences dramatiques. La Haute Autorité de santé (HAS) doit être alertée dès qu'il y a un problème de transparence.

M. Alexandre Urwicz. - L'aspect médical est en effet fondamental. Voulez-vous créer une rupture d'égalité dans les chances de survie des enfants conçus par don ? Ce sera le cas, à l'heure de la médecine prédictive, si certains ont l'information sur leur origine et d'autres, non. Une maladie non détectable en 2019 peut le devenir en 2021... Et un droit n'est pas une obligation : nul n'est contraint d'aller ouvrir cette porte, mais il faut savoir qu'elle existe. Mettons tous les enfants à égalité !

Mme Élisabeth Doineau, présidente. - Merci. N'hésitez pas à nous transmettre par écrit toutes informations complémentaires utiles.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 15.