Mercredi 11 décembre 2019

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat global et renforcé entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Christian Cambon, président. - Nous en venons à l'examen du rapport et du texte proposé par la commission sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat global et renforcé entre l'Union européenne, la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part.

M. Joël Guerriau, rapporteur. - Le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat global et renforcé entre l'Union européenne (UE), les États membres et l'Arménie, signé en novembre 2017, s'inscrit en marge du sommet du Partenariat oriental de Bruxelles. Cet accord est destiné à remplacer l'accord de partenariat et de coopération signé en 1996, qui est entré en vigueur le 1er juillet 1999. S'agissant d'un accord mixte, il est appliqué à titre provisoire depuis le 1er juin 2018 pour les stipulations relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne.

À titre liminaire, il faut rappeler que, en 2013, l'Arménie avait refusé de signer l'accord d'association, pourtant finalisé avec l'Union européenne, qui comprenait une zone de libre-échange avec l'UE sur le modèle des accords d'association signés en 2014 avec d'autres membres du Partenariat oriental, comme l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. En janvier 2015, sous l'influence russe, l'Arménie a préféré rejoindre l'Union économique eurasiatique. En septembre 2015, à l'initiative, notamment, de la France, et animée par une approche plus flexible de la politique européenne de voisinage, l'UE a finalement décidé de poursuivre les négociations pour parvenir à la conclusion de cet accord de partenariat global et renforcé « sur mesure », qui tient compte à la fois de la volonté de l'Arménie d'approfondir ses relations avec l'UE, avec laquelle elle partage des valeurs démocratiques, ainsi que de son appartenance à l'Union économique eurasiatique.

L'Arménie n'a aucunement l'intention d'adhérer à l'UE et se considère comme un pont entre l'UE et la Russie, avec laquelle elle a des liens très forts. Sans compter les 2 millions d'Arméniens qui vivent en Russie, la Russie est le premier fournisseur de l'Arménie, son premier client et le principal investisseur étranger. Sur le plan militaire, l'Arménie et la Russie sont liées par un partenariat stratégique, signé en 2010, et par l'accord intergouvernemental sur le statut des troupes frontalières du Service fédéral de sécurité de Russie en Arménie de 1992. Au total, 5 000 militaires russes sont présents sur le territoire arménien. L'Arménie considère - le Premier ministre Nikol Pachinian, porté au pouvoir par la révolution de velours de 2018, l'a redit - que seule la Russie peut la protéger de la menace que représentent, à ses yeux, l'Azerbaïdjan et la Turquie, pays avec lesquels les frontières sont fermées en raison du « conflit gelé » du Haut-Karabagh.

Même si ce n'est pas du tout le sujet de la convention, je rappelle, pour mémoire, que les autorités du Haut-Karabagh, soutenues par l'Arménie, contrôlent un territoire peuplé d'environ 150 000 personnes, constitué de l'ancienne enclave du Haut-Karabagh ainsi que de sept districts azerbaïdjanais autour de l'enclave qui permettent d'assurer la continuité territoriale avec l'Arménie. Cette « République du Haut-Karabagh » - je mets bien évidemment ces termes entre guillemets - n'a fait l'objet d'aucune reconnaissance internationale et n'est d'ailleurs pas reconnue par la France. Des incidents armés surviennent régulièrement le long de la ligne de cessez-le-feu conclu à Moscou en mai 1994. Les incidents les plus graves ont eu lieu en avril 2016 avec « la guerre de quatre jours », qui a fait 160 victimes. Depuis 1997, la France assure la coprésidence du groupe de Minsk avec ses partenaires russes et américains, en vue de trouver une solution négociée et durable au conflit. Je considère personnellement que l'Arménie et l'Azerbaïdjan sont deux pays amis de la France qui coexistent au centre d'une région géopolitique complexe et qui ont en commun la volonté de se rapprocher de l'Union européenne. Il ne nous revient pas de prendre parti ; espérons qu'un pas décisif puisse être réalisé vers un accord de paix. Je le répète, le présent accord n'emporte aucune conséquence sur la situation au Haut-Karabagh.

Cet accord devrait par ailleurs faciliter la signature par l'UE d'autres accords « sur mesure » avec d'autres partenaires orientaux soucieux de préserver leurs bonnes relations avec la Russie. D'ailleurs, les négociations de l'accord UE-Azerbaïdjan sont désormais finalisées.

Quel est donc le contenu de cet accord avec l'Arménie ?

Inspiré de l'accord de partenariat et de coopération renforcé avec le Kazakhstan, que notre commission a examiné au début de l'année 2018, cet accord de 900 pages est composé d'un préambule de 386 articles, de douze annexes, de deux protocoles et d'une déclaration commune. Il comprend les clauses politiques habituelles de l'UE sur les droits de l'homme, la Cour pénale internationale, les armes de destruction massive, les armes légères et de petits calibres ainsi que le terrorisme. Il met en place un cadre institutionnel pour renforcer le dialogue politique et rend possible une coopération dans un grand nombre de domaines, notamment juridique, économique, industriel, commercial, social, financier, éducatif, culturel, environnemental, énergétique et touristique.

Sur le plan commercial toutefois, j'insiste sur le fait que cet accord n'est pas un accord de libre-échange qui supprimerait la quasi-totalité des droits de douane, comme c'est le cas dans les accords d'association. Il ne comporte pas de volet tarifaire : l'Arménie doit respecter les tarifs douaniers extérieurs communs à l'ensemble des membres de l'Union économique eurasiatique. Il devrait toutefois permettre un accroissement des échanges commerciaux, ce qui est déjà le cas puisque ceux-ci se sont élevés à 1,8 milliard de dollars en 2018, contre 1,5 milliard de dollars en 2017, soit une progression de 19 %. L'UE est le deuxième partenaire commercial de l'Arménie derrière la Russie.

Cet accord vise aussi à améliorer l'environnement règlementaire des affaires - protection de la concurrence, amélioration de la transparence dans les passations des marchés publics. La principale mesure pratique est ainsi l'ouverture des marchés publics arméniens aux entreprises européennes et réciproquement. L'adoption d'une réglementation proche des standards européens devrait aussi permettre de favoriser la transparence et de lutter contre la corruption, une priorité du gouvernement de Nikol Pachinian.

Si bien des clauses sont relativement classiques, d'autres traduisent des engagements exclusifs de la partie arménienne, comme la coopération en vue de la fermeture et du déclassement sécurisé de la centrale nucléaire de Medzamor, ainsi que l'extinction progressive des identifications géographiques (IG) « Cognac » et « Champagne » utilisées depuis très longtemps pour des boissons produites en Arménie. Pour l'anecdote, c'est un Français, venu faire de la viticulture en Arménie au XIXe siècle, qui est à l'origine du cognac arménien.

En 2017, l'Arménie a produit 30 millions de litres de « Kagnac » pour une valeur de 208 millions de dollars, dont plus de 90 % ont été exportés, principalement vers la Russie, tandis que la France a produit 200 millions de bouteilles de cognac pour une valeur de 3 milliards d'euros. La production arménienne de « Shampagnskoïé » est marginale, tandis que la France a produit environ 295 millions de bouteilles de champagne en 2017, les exportations représentant 2,9 milliards d'euros. Un consensus a été trouvé au terme d'une négociation longue et difficile sur une extinction des appellations arméniennes, y compris en cyrillique, de « Cognac » dans quatorze ans sur le marché domestique et dans vingt-cinq ans à l'export ainsi que de l'appellation « Champagne » dans deux ans sur le marché domestique et dans trois ans à l'export. L'UE s'est engagée à financer une assistance technique et financière afin d'organiser l'arrêt de l'utilisation du terme « Kagnac », mais le calendrier est très contraint - agrément des parties au cours de la première année suivant l'entrée en vigueur de l'accord et fourniture de cette aide au plus tard au cours des huit années suivantes. Du retard a été pris, si bien que le mécanisme de règlement des différends de l'accord est désormais activable par l'Arménie. La Commission reste néanmoins confiante en raison des bonnes relations de travail existant et de sa capacité à pouvoir mobiliser rapidement l'enveloppe financière.

L'ambassadrice d'Arménie en France nous a assuré - mon collègue Gilbert-Luc Devinaz, président du groupe d'amitié, qui était présent lors de l'audition, peut en témoigner - que l'Arménie respecterait ses engagements dans ce domaine. D'ailleurs, l'un des plus grands producteurs arméniens n'est autre que Pernod-Ricard, qui a racheté en 1998 le groupe arménien NOY Yerevan Brandy Factory. Il possède la marque très connue « Ararat ».

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Pour la France, cet accord présente un intérêt économique avec l'abandon progressif des appellations « Cognac » et « Champagne » par l'Arménie. L'Arménie, quant à elle, peut compter sur une aide technique et financière très conséquente de la part de l'UE - en 2019, 23 millions d'euros ont été débloqués pour la mise en oeuvre de cet accord sur un total de 46 millions d'euros versés à l'Arménie via l'instrument européen de voisinage (IEV). Le gouvernement de Nikol Pachinian en a besoin pour mettre en oeuvre son programme de réformes, notamment la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance. En outre, cet accord devrait permettre à l'Arménie de sortir de son isolement en se rapprochant de l'UE. À ce jour, dix-sept États membres l'ont déjà ratifié ; il serait temps que la France le fasse aussi. L'examen de ce texte en séance publique est prévu le 18 décembre 2019 selon la procédure simplifiée, procédure à laquelle je souscris.

M. André Vallini. - Suite au parallèle qu'a fait le rapporteur entre ces deux pays, l'Arménie et l'Azerbaïdjan sont certes deux pays amis de la France -  en tout cas, ils se veulent amis de la France -  mais je veux relever qu'il y a quand même une différence entre eux sur la place du respect de la démocratie et des droits de l'Homme ! L'État de droit n'est pas respecté en Azerbaïdjan même si l'Arménie a pu faire preuve d'agressivité dans le Haut-Karabagh.

M. Jean-Marie Bockel. - Je souligne la qualité du rapport de notre collègue Joël Guerriau. Nous n'allons pas ouvrir aujourd'hui la discussion sur la problématique du Haut-Karabagh, mais il s'agit vraiment d'une question très complexe, avec un conflit gelé depuis très longtemps. Il serait intéressant que nous auditionnions l'ambassadeur auprès du groupe de Minsk. Nous avons eu à plusieurs reprises le sentiment que ces pays étaient proches d'un accord de paix, alors que tel n'est pas le cas. C'est un sujet lancinant, avec une instrumentalisation politique.

Notons, qui plus est, que la France a une grande communauté arménienne. Il serait donc souhaitable que notre commission puisse avoir la vision la plus claire possible de la situation, en vue de l'objectiver et de tracer des perspectives.

Mme Gisèle Jourda. - Je veux insister sur l'importance des politiques de voisinage de l'Europe. Nous avons accompagné certains accords d'association. Je déplore que l'on examine cet accord de partenariat global selon la procédure simplifiée, car il s'agit d'un sujet d'importance. L'Europe a failli abandonner sa politique de voisinage, alors que des accords sont pendants avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Biélorussie. Nous avons réussi à infléchir cette position pour ne pas abandonner ces pays et signer a minima des accords. En témoigne cet accord de partenariat global qui nous a été fort bien exposé, et auquel je suis totalement favorable. L'Europe a toute sa place ; on le voit avec les négociations concernant le cognac.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Je rejoins les propos de Jean-Marie Bockel. Nous pourrions en effet examiner cette question plus en profondeur, car la situation est bloquée. Ne nous voilons pas la face. Des populations sont en souffrance. La France a un rôle très important à jouer pour contribuer à améliorer la situation. Je félicite le rapporteur d'avoir su dire les choses avec tact.

Il importe de signer ces accords de partenariat, car ce pays est une véritable passerelle entre ces zones compliquées et l'Europe.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Si l'Arménie compte 3,5 millions d'habitants, 18 millions d'Arméniens vivent dans d'autres pays - une communauté importante vit dans la vallée du Rhône.

Je rejoins les propos de Jean-Marie Bockel. Lorsque nous avons reçu des députés arméniens voilà un mois, le Haut-Karabagh fut le sujet de discussion. Il serait intéressant d'auditionner l'ambassadeur auprès du groupe de Minsk, l'ambassadrice d'Arménie, l'ambassadeur d'Azerbaïdjan et un représentant de la Géorgie en vue d'examiner ce conflit dit gelé : on dénombre une victime par jour ! Avec mon collègue Alain Houpert, le président du groupe France-Caucase, nous essayons de faire en sorte de sortir d'un conflit qui est plus qu'historique.

M. Pascal Allizard. - Pour avoir travaillé sur ce sujet dans le cadre d'un rapport sur le Partenariat oriental et sur le Belt and Road Initiative, je veux rappeler combien la zone du Caucase est sensible.

Concernant les accords de voisinage, gardons à l'esprit que nos amis arméniens oscillent entre l'Union européenne et la Russie ; on peut aisément en comprendre les raisons. Même si l'accord dont nous discutons est global, cela n'empêchera pas l'Arménie de continuer à fonctionner ainsi parce que c'est vital pour elle.

Le conflit n'est pas vraiment gelé, comme cela a été rappelé. À tout moment, la Russie peut prendre des positions : 5 000 soldats sont dans cette zone. Qui plus est, le conflit en Géorgie peut absolument couper complètement les communications. On est là sur une plaque tectonique très instable.

M. Joël Guerriau, rapporteur. - Merci à mes collègues de leur contribution. Leurs interventions prouvent qu'ils mesurent bien les difficultés auxquelles cette région est confrontée.

Je le rappelle, on a dénombré 40 morts en 2018, contre 9 cette année. Certains parlent d'un apaisement, mais je n'en suis pas certain.

Quoi qu'il en soit, ne mélangeons pas les choses : ce matin, nos travaux portent sur le seul projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte à l'unanimité le rapport ainsi que le projet de loi précité.

Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le gouvernement du Burkina Faso et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le gouvernement du Burkina Faso - Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Niger et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Niger - Examen du rapport et des textes de la commission

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Nous examinons ce matin deux projets de loi autorisant l'approbation de conventions d'extradition et d'entraide judiciaire en matière pénale, conclues avec le Burkina Faso, d'une part, et le Niger, d'autre part.

La France est déjà liée à ces pays par des conventions couvrant ces deux domaines, signées en 1961 avec le Burkina Faso et en 1977 avec le Niger. Toutefois, le cadre juridique en vigueur paraît aujourd'hui obsolète et appelle une révision destinée à y inclure des stipulations plus adaptées et plus « modernes ». En outre, la justice française est souvent confrontée à une certaine lenteur des autorités burkinabè et nigériennes à accorder l'entraide judiciaire, ce qui, dans la plupart des cas, vide les demandes de leur substance.

Dès lors, la France a entrepris la négociation de nouvelles conventions avec les pays de la bande sahélo-saharienne afin de pallier le défaut de diligence de certains États. Cette démarche a permis la conclusion des présentes conventions avec le Burkina Faso et le Niger, et devrait permettre la signature d'accords similaires avec le Mali dans les mois à venir.

Les demandes françaises concernent principalement des dossiers très sensibles comme des attentats ou des enlèvements de personnes. La triste actualité nous a rappelé à quel point cette région était dangereuse pour les populations locales, mais aussi pour nos compatriotes, et ce depuis plusieurs années déjà.

L'ensemble du territoire burkinabè est aujourd'hui déconseillé aux voyageurs, selon le Quai d'Orsay, avec, en l'espace d'un an, avec un risque accru à l'est du pays compte tenu des attaques récentes. Le territoire nigérien est, quant à lui, déconseillé aux voyageurs depuis septembre 2018.

Outre les actes terroristes et les enlèvements pratiqués sur leurs territoires, les pays du Sahel sont confrontés à plusieurs types de trafic qui peuvent avoir des répercussions sur notre pays, comme le trafic de stupéfiants ou le trafic d'êtres humains à travers les réseaux de passeurs clandestins. À ce titre, il est important de rappeler l'imbrication du terrorisme et de la grande criminalité : en tissant des liens avec les narcotrafiquants, les groupes terroristes participent, directement ou indirectement, à ces trafics, qui constituent pour eux une source de financement importante.

Par conséquent, le renouvellement du cadre conventionnel vise à lutter contre le terrorisme et ses conséquences pour les intérêts français dans la région en renforçant la coopération bilatérale, ce qui permettra de fluidifier les échanges entre les parties afin d'assurer une meilleure exécution des demandes d'entraide, notamment lorsqu'il s'agit d'enquêtes visant des infractions terroristes.

Pour ce faire, ces nouvelles conventions organisent de manière claire les modalités de communication et de transmission des demandes entre les parties, notamment dans les cas les plus urgents. À cet égard, elles définissent de manière plus précise les modalités et les délais d'exécution des demandes d'entraide.

Par ailleurs, les conventions d'entraide judiciaire prévoient la possibilité de procéder à des auditions par visioconférence et de recourir à plusieurs techniques spéciales d'enquête comme les opérations d'infiltration, les interceptions de télécommunications ou encore les livraisons surveillées, qui consistent à laisser passer certains convois de drogues pour permettre l'identification et l'arrestation des commanditaires ou des destinataires du trafic, sans se contenter des seuls convoyeurs. Le texte offre enfin de larges possibilités en matière de gel des avoirs et de confiscation des produits et instruments des infractions.

Le Burkina Faso et le Niger se dotent actuellement des outils nécessaires à la mise en oeuvre des techniques modernes d'enquête précitées. Leurs magistrats ont été formés à la judiciarisation de ces crimes, notamment par la France, dans le cadre de programmes de coopération.

J'en viens à présent aux dispositions des deux conventions d'extradition.

Les textes retenus correspondent globalement aux projets soumis par la partie française ; ces traités respectent donc totalement nos standards juridiques nationaux et internationaux. Ainsi, les demandes d'extradition seront systématiquement refusées si elles concernent des infractions politiques ou des raisons tenant aux opinions politiques, à la nationalité ou à la religion de la personne demandée. Le fait de posséder la nationalité de la partie requise à la date de commission de l'infraction à l'origine de la demande constituera également un motif de refus. La partie requise devra toutefois soumettre l'affaire à ses propres autorités en application du principe aut dedere, aut judicare - extrader ou poursuivre. Enfin, si l'infraction est passible de la peine de mort, la demande sera systématiquement refusée. Il faut souligner, à ce titre, que le Burkina Faso a récemment aboli la peine de mort à la faveur d'une réforme de son code pénal. Le Niger est, quant à lui, considéré comme un pays abolitionniste de fait, dans la mesure où la dernière exécution remonte à 1976.

En matière d'extradition, le volume de demandes est très faible. En effet, aucun dossier n'a été ouvert entre la France et le Niger au cours des dix dernières années. En revanche, au cours de la même période, la France et le Burkina Faso ont ouvert six dossiers qui n'ont, pour l'heure, pas abouti à la remise des personnes aux autorités requérantes. L'une de ces demandes mérite d'être signalée : celle qui concerne l'extradition de François Compaoré, frère de Blaise Compaoré, président du Burkina Faso de 1987 à 2014.

François Compaoré a été arrêté le 29 octobre 2017 à l'aéroport de Roissy sur le fondement d'un mandat d'arrêt émis par un juge d'instruction investiguant sur les assassinats, en 1998, d'un journaliste d'investigation, Norbert Zongo, et de ses trois compagnons de voyage. Aux termes de la demande d'extradition, François Compaoré encourait la peine de mort du chef criminel d'incitation à assassinats. En juin dernier, la Cour de cassation a écarté la question prioritaire de constitutionnalité posée par l'intéressé et a rejeté le pourvoi qu'il avait formé contre l'avis favorable de la chambre de l'instruction. À la lumière de ces arrêts, un décret du Premier ministre accordant l'extradition est en cours de rédaction.

J'ai interrogé l'ambassadeur du Burkina Faso sur ce sujet à l'occasion de l'examen de ce projet de loi. Son Excellence M. Alain Ilboudo m'a indiqué que la décision d'extradition prise par l'État français était très attendue par la population burkinabè. Selon lui, il s'agit d'un acte important de nature à apaiser les ressentiments qui s'expriment actuellement à l'encontre de notre pays, comme le fut la décision du président de la République de déclassifier des archives sur l'assassinat de Thomas Sankara. L'un des défis qui se posent aujourd'hui au gouvernement burkinabè est d'ordre mémoriel, et cette décision est heureuse à cet égard. Je précise à toutes fins utiles que les conventions examinées aujourd'hui seront sans incidence sur la procédure d'extradition de François Compaoré puisque la partie burkinabè a adressé sa demande avant leur entrée en vigueur.

Pour conclure, ces nouvelles conventions répondent au souhait émis par les autorités françaises d'une coopération plus efficace avec les pays du Sahel dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Elles n'impliquent aucune adaptation de nos dispositions législatives ou règlementaires.

Je préconise donc l'adoption de ces deux projets de loi, dont le Sénat est saisi en premier. Les parties nigérienne et burkinabè ont déjà ratifié les conventions qui les concernent, respectivement en juillet 2018 et en juillet 2019.

L'examen en séance publique au Sénat est prévu le mercredi 18 décembre prochain, selon la procédure simplifiée, pour les deux conventions avec le Niger, et selon la procédure normale, c'est-à-dire avec un débat en séance publique, le 30 janvier prochain, pour les deux conventions avec le Burkina Faso, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Joël Guerriau. - J'aimerais évoquer la question des écoles, car des milliers d'écoles ont dû fermer du fait de l'insécurité liée aux actions terroristes. La population vit au quotidien dans la frayeur. Il est impossible de circuler de manière libre et sécurisée.

Mme Christine Prunaud. - Je remercie notre collègue pour cet exposé. J'aimerais en savoir plus sur la déclassification des archives.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - À ce jour, 1 500 écoles et 60 centres de santé sont fermés, notamment dans la partie totalement interdite aux voyageurs, aux confins du Togo et du Bénin, ainsi que dans la partie nord du Burkina Faso. Les autorités burkinabè se disent très inquiètes. Ouagadougou est entièrement bunkerisée : tous les accès sont contrôlés par les autorités burkinabè. La situation scolaire et sanitaire est préoccupante.

Pour répondre à la question de Christine Prunaud, les documents concernant la mort de Thomas Sankara ont été déclassifiées, répondant ainsi à l'engagement du président de la République en novembre 2017. Ces documents ont été transmis au juge d'instruction chargé du dossier.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte à l'unanimité le rapport ainsi que les projets de loi précités.

Désignation de rapporteurs

La commission nomme rapporteurs :

- M. Michel Boutant sur le projet de loi n° 732 (2018-2019) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale démocratique d'Éthiopie relatif aux services aériens, de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica relatif aux services aériens et de l'accord relatif aux services aériens entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mozambique.

- M. Gilbert Bouchet sur le projet de loi n° 733 (2018-2019) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Tchad relatif aux services aériens et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Angola relatif aux services aériens.

Audition de Mme Marie-Christine Saragosse, président-directeur général de France Médias Monde

M. Christian Cambon, président. - Madame la Présidente, comme le financement de France Médias Monde a soulevé un certain nombre de questions dont nous avons débattu à l'occasion de l'examen du budget avec le Gouvernement, il n'était pas inutile que nous puissions vous accueillir.

France Médias Monde est l'opérateur de notre politique audiovisuelle extérieure, en particulier à travers France 24, et Radio France internationale RFI, pour ne citer que ces deux-là. Dans la guerre mondiale de l'influence, il faut évidemment être en mesure de s'adresser directement aux opinions publiques. Certaines puissances y consacrent des moyens considérables et développent parfois des pratiques parfois critiquables, de plus en plus sophistiquées, pour étendre leur influence et tenter de déstabiliser nos démocraties : infox et manipulations ciblées influencent jusqu'aux résultats des élections.

La France se distingue par l'indépendance de ses médias et par les valeurs de liberté, de pluralisme et de dialogue qu'ils portent.

Dès lors, notre commission estime que la faiblesse des moyens que l'État consacre à cette politique est un véritable contresens stratégique. Nous l'avons dit au cours de la discussion budgétaire.

Pour ne prendre que ce seul exemple, toucher directement, dans leurs différentes langues, les populations du Sahel, ne serait-ce pas le meilleur antidote aux idéologies terroristes ?

Cette audition intervient au lendemain de l'adoption par le conseil des ministres du projet de loi sur l'audiovisuel à l'ère du numérique qui prévoit de regrouper sous la même holding, France Télévisions, Radio France, l'INA et France Médias Monde.

Nous sommes inquiets car nous voyons mal comment France Médias Monde pourra se développer et conserver sa spécificité dans un ensemble aussi vaste, qui risque d'avoir d'autres priorités stratégiques. De la même manière, nous sommes émus de la réduction de vos moyens et avons suggérer que l'Agence française de développement qui voit une croissance démesurée de ses moyens mette un peu la main à la poche car la dimension médiatique de l'aide au développement pourrait trouver là des compléments et des synergies sur lesquels vous aurez peut-être l'occasion de vous exprimer.

Mme Marie-Christine Saragosse, président-directeur général de France Médias Monde. - Je suis enchantée d'être à nouveau devant vous. Je sais combien cette commission qui connaît très bien France Médias Monde s'est mobilisée autour des enjeux de notre groupe dont vous mesurez pleinement l'importance sur la scène internationale. Le débat sur la loi de finances a été l'occasion de voir combien le Sénat nous soutenait. C'est important pour les équipes. Votre soutien nous est précieux.

Je vais développer mon propos autour de deux axes pour vous convaincre, s'il en est besoin, que FMM est un outil plus essentiel que jamais pour la France et vous dire en quoi la réforme doit veiller à nous permettre de mener une politique plus offensive encore sur le plan de l'audiovisuel extérieur.

Pour ce faire, j'ai prévu de vous proposer quatre vidéos courtes qui parfois illustrent et permettent d'incarner ce que nous faisons mieux que des mots, encore que les mots soient le coeur même de notre métier.

La première présente France Médias Monde.

Nous étions fiers de montrer cette vidéo au DG7 à Berlin qui réunit les principaux médias internationaux occidentaux.

A l'appui de cette présentation, je voudrais revenir sur quelques idées fausses qui circulent parfois, auxquelles il convient d'apporter une réponse.

D'abord, l'information se consomme toujours principalement en direct et en linéaire et non sur le numérique. Nous avons 176 millions de contacts hebdomadaires en 2018, 130 millions se font en linéaire ; et c'est en forte croissance (+ 28 %) même si le numérique croît évidemment. Ceci signifie que nous ne devons pas lâcher un mode de diffusion pour l'autre.

Nos audiences sont en forte croissance. RFI et France 24 confirment leur succès en Afrique francophone. Nous avons un rôle écrasant, même effrayant, pour des médias, tellement il est lourd en termes de responsabilité. Nous sommes en tête des classements de notoriété et d'audience. Plus de la moitié de la population écoute et regarde RFI et France 24 en Afrique francophone. Et nous touchons les jeunes ! L'âge moyen est de 32 ans pour FR24 et 35 ans à RFI et parmi ceux qui consomment France 24 et RFI chaque semaine, 28% ont moins de 25 ans. Nous sommes des médias jeunes.

Nous évoluons dans un contexte de « guerre froide » de l'information, j'avais évoqué ce sujet lorsque vous m'aviez invitée en juillet 2018.

Nous avons des concurrents ouvertement hostiles et qui sont des vecteurs d'infox en particulier sur les réseaux sociaux, et de manipulations des opinions. En outre, nous avons des offensives sur le terrain, notamment la forte instabilité et la démultiplication des risques créent des situations difficiles pour nos journalistes et techniciens sur le terrain qui subissent aussi les foudres du terrorisme. Il y aussi des offensives contre nos infrastructures. En juin dernier, nous avons subi une cyberattaque sans précédent avec des pics jusqu'à 400 000 tentatives d'intrusion par jour. Nous avons une cellule de lutte contre les cyberattaques qui a été mobilisée 24 h/24. Nous avons réussi à la repousser en lien avec l'ANSSI et c'est en permanence que nous devons nous battre contre cela.

Notre ministre de l'Europe et des affaires étrangères en est pleinement conscient et s'était ainsi exprimé dans son discours à la dernière Conférence des Ambassadeurs et des Ambassadrices : « Il n'y a plus aujourd'hui de "soft power", on est partout (...) dans le hard », ajoutant que « la culture, l'information et le développement sont bien les nouveaux attributs de la puissance et c'est comme cela que nous devons les représenter et les manier si nous voulons continuer à peser sur la scène internationale. » On ne peut pas être plus clair.

Les moyens de nos concurrents, y compris de nos amis augmentent fortement. Je rappelle les chiffres : nous aurons 255 millions d'euros de dotation en 2020 sur la redevance, BBC World se voit attribuer 430 millions d'euros dont 91 au titre sur l'aide au développement, la Deutsche Welle bénéficie de 350 millions d'euros et de 15 millions de plus l'année prochaine et « USA Global Media » qui regroupe les médias publics américains comme « Voice of America », Radio Free Europe, Radio Free Asia, radio Sahna, 700 millions.

A l'inverse, notre trajectoire est baissière puisqu'il est prévu de réduire nos ressources de redevance de 3,5 M€ entre 2018 et 2020. Comme nous avons des glissements inéluctables, le besoin de financement est de l'ordre de 15,8 M€ sur la période et nous avons d'ores et déjà réalisé près de la moitié du chemin en réduisant nos dispositifs de diffusion et de distribution (arrêt France 24 en anglais sur New York, Los Angeles et Washington ainsi qu'en Scandinavie en 2018, arrêt de la TNT Outre-Mer et arrêt de MCD aux Émirats arabes unis en 2019), efforts de productivité et d'économies sur les coûts de grille, économies sur les frais de fonctionnement et politique de départs volontaires ciblés négociés non remplacés au fil de l'eau.

Et nous devons continuer l'année prochaine à aller dans cette direction pour tenir l'équilibre de notre budget. Ces efforts d'économie creusent l'écart avec la concurrence qui elle bénéficie de moyens supplémentaires, il y a un effet « retard ».

Pourtant nous mettons en oeuvre une stratégie qui porte ses fruits, comme le reconnaît le Ministre de la Culture devant votre assemblée la semaine dernière quand il déclare : « Nous sommes conscients que FMM fait un travail remarquable avec des moyens limités. ».

Face à ces contraintes que nous partageons avec les autres entreprises du secteur public, il s'agit d'avoir une stratégie mondiale plus claire. Notre stratégie a une vocation universelle, nous y tenons et nous ne renonçons pas à une zone géographique particulière malgré les contraintes financières.

Notre stratégie se décline avec une hiérarchisation par zone géographique ainsi l'Afrique est au coeur de notre projet, c'est sans doute la première priorité géographique avec des contenus éditoriaux visant la jeunesse, le renforcement des langues africaines, une diffusion de proximité avec des rédactions délocalisées, beaucoup de développement numérique, et un réseau de plus de 500 radios partenaires, enfin, grâce à notre filiale CFI, une action renforcée de formation, notamment de la lutte contre les infox.

Au Maghreb et au Proche-Orient, nous assumons un rôle de médias d'équilibre avec France 24 en arabe qui est leader sur le Maghreb et touche plus de 26 millions de téléspectateurs et MCD, qui est connue au Proche et Moyen-Orient et rassemble 9,2 millions de contacts chaque semaine. Malheureusement, nous devons fermer le site de Chypre, le centre émetteur d'ondes moyennes. Les Américains s'étant retirés, il était difficile d'assumer la perte de 1,3 M€ liée à leurs départs. Cet émetteur servait de filet de sécurité en cas de fermeture d'émetteur FM ou d'impossibilité de reprise satellitaire. Nous nous rabattrons sur le numérique qui est notre nouveau filet de sécurité mais nous ne renonçons pas à la diffusion en FM, nous en avons 28 et nous allons en ouvrir une au Soudan.

En Europe, nous allons continuer à procéder à des retraits ciblés tout en préservant une importante présence puisque nous sommes probablement les chaînes françaises à le plus parler de l'Europe et à permettre aux citoyens de mieux connaître ses institutions. Nous disposons en Europe orientale d'une importante base en Roumanie, à travers RFI Roumanie, une rédaction qui, je l'espère, sera peut-être amenée à se développer dans d'autres langues que le roumain grâce aux projets que nous développons avec la Deutsche Welle, dans le cadre du traité franco-allemand d'Aix-la-Chapelle. Enfin, nous sommes partenaires de la chaîne en turc opérée par Deutsche Welle avec USAGM et BBC World et nous avons une rédaction russe qui monte en puissance.

J'en viens aux zones de développement. Aux Amériques, nous conduisons la montée en puissance de France 24 espagnol qui passe de 6 à 12 heures de diffusion le 20 décembre prochain et nous nous sommes complètement retirés et ne serons plus diffusés qu'en numérique. En Asie, nous avons été heureux de constater que nous faisions une percée significative dans cette zone incontournable des grands émergents qui est très intéressée par France 24, notamment au Vietnam et en Inde où nous venons de signer 40 nouveaux contrats de distribution. Au total, nous touchions 12 millions de téléspectateurs chaque semaine en 2018, c'est une progression assez fulgurante. Nous avons également des liens de proximité au travers les rédactions de RFI en chinois, en vietnamien et en khmer qui font beaucoup de résultats sur le numérique, en particulier.

S'agissant de nos axes stratégiques éditoriaux, c'est ce qui nous distingue de nos concurrents, nous avançons sur 4 axes.

Le premier axe : une information de référence qui inspire la confiance du public et lutte contre les infox. C'est la priorité des priorités, c'est notre métier que de proposer une information de référence vérifiée, honnête, équilibrée et indépendante et l'essence même de notre existence car beaucoup de zones en sont privées. Nous nous sommes lancés à corps perdu dans la lutte contre les infox grâce à nos rédactions parisiennes mais aussi grâce à nos 1000 correspondants et au 5000 « Observateurs » qui sont des citoyens engagés et notre rédaction vérifie les informations qu'ils font remonter. Nous diffusons beaucoup d'émissions pour lutter contre les infox notamment « Info/Intox » sur France 24 et « les dessous de l'infox » sur RFI. Nous faisons beaucoup d'éducation aux médias, 1500 élèves touchés au cours de la semaine des médias à l'école en France et partout dans le monde car nous allons dans les lycées français à l'étranger. Nous sommes partie prenante à des projets dédiés à destination de l'Afrique, avec CFI comme « Verifox » et avec Facebook, nous avons participé au démantèlement de 50 faux comptes qui, à Madagascar, en Côte d'Ivoire ou en RCA, diffusaient de fausses informations.

Et tous nos projets, par exemple en Europe Infomigrants, ou le projet que nous avons avec la Deutsche Welle, à destination des jeunes, visent à lutter contre les infox.

C'est vrai aussi dans la bande sahélienne. Je parle en présence de Jean-Marie Bockel que je salue du fond du coeur. Il y a eu des horreurs qui ont été dites à propos de la mort de nos 13 soldats, nous avons fait intervenir immédiatement le général Lecointre sur RFI qui a rétabli la vérité et nous avons disséminé cette intervention partout. Nous avons 30 syndications dans cette zone et nous avons notre présence sur Facebook, sur Twitter, pour rétablir la vérité. Ce travail continue quotidiennement, car il y a des diffusions de fausses photos. Mais nous n'avons pas d'effectifs formés à ce jour en langues africaines, en peul et en mandingue, ce qui est essentiel pour toucher ces populations. J'aimerais bien qu'en urgence, on puisse se renforcer.

Le deuxième axe est la promotion de la francophonie dans un monde plurilingue. Il ne faut pas opposer francophonie et plurilinguisme, ils ne s'opposent pas mais au contraire se renforcent mutuellement. Sur nos 176 millions de contacts hebdomadaires, 1 contact sur 2 se fait en français, donc l'autre moitié en langues étrangères, mais nous parlons en langue étrangère de la France et de la francophonie.

Nous développons aussi des ressources d'apprentissage du français à partir de 20 langues étrangères, accessibles aux grands débutants sur notre site RFI Savoirs. Nous sommes partenaires et travaillons en lien étroit avec l'OIF et de la Saison Afrique 2020, l'année prochaine.

Ensuite, en matière de plurilinguisme, nous nous développons dans plusieurs langues. D'abord, je dirai un mot de France 24 en espagnol puisque nous venons d'apprendre que nous étions autorisés et que notre conseil l'a décidé à l'unanimité pour passer à 12 heures de diffusion quotidienne. Et je voudrais vous montrer une courte vidéo sur France 24 en espagnol.

On espère, grâce à ce passage à 12 heures de diffusion, demandé par les câblo-opérateurs, augmenter notre impact dans cette zone qui est très francophile, qui connaît une dynamique économique qui peut nous intéresser et des mouvements politiques parfois inquiétants. Notre chaîne a beaucoup de succès notamment auprès des femmes ce qui est intéressant pour une chaîne d'information continue qui est très engagée dans la lutte contre les féminicides qui sont malheureusement fréquents en Amérique latine.

Le renforcement des langues africaines de RFI est au coeur des enjeux. Nous en avions trois actuellement : le mandingue, le haoussa et le swahili avec des rédactions et nous avons commencé le peul grâce à CFI qui nous a permis de débuter avec un premier magazine dans cette langue. Pour moi, la diffusion en peul est la priorité des priorités. Il faut parler peul. C'est la langue utilisée par les opposants dans la bande sahélienne ; si on laisse des contrevérités se développer, cela peut créer des antagonismes, voire susciter des phénomènes génocidaires. Il faut impérativement qu'on le parle davantage. Actuellement, nous diffusons 26 mn par semaine. C'est un succès retentissant, on a 37 000 messages à la suite de cette diffusion. Je vous laisse regarder la vidéo de présentation.

Nous sommes en train de négocier avec CFI, dont nous avons ici à mes côtés Marc Fonbaustier, qui est le PDG de CFI et le directeur de la stratégie de FMM, pour élargir ces diffusions en langues africaines. Simplement le rythme de développement de projets avec l'AFD est d'environ deux ans, on a commencé en septembre 2018 et on sera prêt peut-être en mars 2020 et parfois, il y a urgence, donc on n'est pas assez agile.

L'aide au développement doit vraiment monter en puissance. Nous avons ce projet Kibaaru (peul, mandingue, haoussa), mais il ne comprend pas le Swahili, la région des Grands Lacs. Or, au Kivu, c'est le swahili de RFI qui est le plus écouté et si on montait en puissance, ce serait aussi un outil de pacification, parce que c'est ce que nous faisons en délivrant de l'information équilibrée et plurielle parfois à côté d'interventions militaires.

Enfin le numérique irrigue toutes nos activités. Le linéaire est très important et nous ne devons pas lâcher un barreau de l'échelle pour l'autre. Nous avons une triple stratégie :

- d'abord une hyper distribution maitrisée - nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de faire la tête aux plateformes, sans elles nous ne serions pas présents dans 176 millions de foyers dans le monde en 18 langues, nous devons travailler avec elles,

- ensuite, de nouveaux formats (podcasts natifs, « motion design » (vidéographie),

- enfin nous décloisonnons linéaire et numérique dans nos rédactions, tout le monde doit savoir tout faire même si on ne fait pas tout en même temps,

- et nous développons la culture data. Nous avons multiplié par 4,5 les résultats sur les langues étrangères de RFI grâce au travail sur les données sans jamais renoncer à notre ligne éditoriale, mais en l'adaptant au support et en ciblant mieux les publics.

Les chiffres sont renversants, on est passé de 900 M de vidéos et sons vus/entendus en 2018 à 1,5 Milliard sur les 11 premiers mois de 2019 ! Notre travail paye !

La réforme de l'audiovisuel public va créer une holding baptisée « France Médias ». Le parallèle avec la BBC et BBC World est frappant : France Médias et France Médias Monde. La BBC inspire cette réforme.

Nous souhaiterions au fond qu'elle l'inspire davantage cette réforme puisque nous savons par nos collègues de BBC World qu'il n'est pas facile de survivre dans un ensemble dominé par des chaînes nationales, ils nous le disent, lors de nos rencontres et encore récemment à Berlin la semaine dernière. Pour les protéger, un double mécanisme a été mis en place. D'une part, il bénéficie d'un plancher de redevance qui est fixé dans le contrat d'objectifs et de moyens de la BBC. Il s'agit bien d'un plancher, cela ne veut pas dire un plafond, il est toujours possible de faire mieux. Cela pourrait être une piste de réflexion pour nous. D'autre part, BBC World a un contrat direct avec le ministère des affaires étrangères, qui est sur l'aide publique au développement et qui permet de cibler des priorités géostratégiques de manière plus réactive. Bien sûr, nous travaillons très bien avec l'AFD, il y a une volonté de travailler ensemble qui est forte, simplement les procédures de l'AFD sont celles d'une banque et elles sont légitimes, mais parfois on a besoin d'aller plus vite, donc peut-être faut-il réfléchir à des moyens d'avoir des liens plus étroits avec le ministère. Ces liens plus étroits conforteraient la place du ministère dans l'ensemble de la structure France Médias puisqu'on sait, mais cela ne peut pas être inscrit dans la loi que ce ministère sera représenté par un administrateur au conseil de la holding. Mais il me semble que le ministère en s'investissant plus directement pourrait davantage piloter les enjeux internationaux au sein de la structure qui sera forcément dominée par les enjeux nationaux. C'est pourquoi nous plaidons pour un plancher de redevance et un financement mixte.

Par ailleurs, nous pensons développer de nouvelles synergies avec nos collègues avec qui nous travaillons fort bien et au sein de ce groupe, pensons pouvoir être un vecteur des ressources de l'international à travers nos contenus internationaux, que nous fournissons déjà dans Franceinfo, des contenus numériques, type podcasts que nous travaillons déjà avec Radio France qui a un grand projet où nous serons partenaires, des contenus en langues étrangères que nous apportons à Lumni la plateforme éducative du secteur public, les coproductions documentaires, la protection des correspondants ensemble avec Radio France, l'organisation de la formation internationale pour les journalistes que nous développons en lien avec l'INA, et notamment dans la lutte contre les infox. Nous pensons que nous pouvons apporter notre pierre à l'édifice. Et puis nous voulons poursuivre aussi les partenariats à l'international avec la Deutsche Welle. J'ai fait allusion au projet ENTER qui figure dans le Traité d'Aix-la-Chapelle et vise les jeunes Européens fragiles, pas ceux d'Erasmus, dans leur langue nationale -et peuvent avoir un vrai rôle pour l'avenir de l'Europe- et de la lutte contre les infox.

Pour finir, je voudrais rendre hommage à nos équipes sans lesquelles rien de tout cela ne serait possible, qui prennent des risques, qui vont sur des terrains dangereux qui se forment, qu'il s'agisse des équipes parisiennes, des équipes d'envoyés spéciaux, des équipes de correspondants et pour montrer leur vie qui ressemble peut-être à des formations d'autres métiers, je voudrais vous proposer un petit film sur ce qu'il font pour couvrir le monde entier, faire en sorte qu'il y ait une information libre à peu près partout et surtout sur nos antennes. Je vous remercie.

M. Christian Cambon, président. - Merci Mme la Présidente pour votre exposé ainsi que pour les illustrations vidéo qui démontrent amplement, qu'avec des moyens restreints, vous arrivez néanmoins à couvrir des zones d'influence. Cela inquiète les membres de la commission de voir que chaque année on rabote une partie de vos crédits et que la réforme annoncée va vous absorber dans un ensemble encore plus large et aux priorités sensiblement différentes des vôtres.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je veux tout d'abord vous féliciter pour le travail réalisé avec vos équipes. Cela fait des années que je suis le travail de France Media Monde, de notre audiovisuel extérieur. Le travail que vous avez accompli avec vos équipes tient du miracle. Compte tenu du peu de moyens dont vous disposez, vous vous êtes développé de manière tout à fait exceptionnel et cela est essentiellement dû à votre courage et à celui de vos équipes, ainsi qu'à votre engagement sur le terrain. Vous méritez vraiment d'être saluée ! Je crois vraiment qu'en termes d'objectifs et de moyens, cette situation budgétaire est vraiment alarmante. Cela a été souligné récemment lors de la discussion budgétaire au Sénat car si le contrat d'objectifs et de moyens avait été respecté, vous auriez reçu dix millions d'euros alors que l'on ne cesse de raboter vos crédits. C'est inadmissible car c'est vraiment aujourd'hui que nous avons besoin de développer notre audiovisuel extérieur. Je veux également vous remercier pour la lutte contre les infox et les cyberattaques pour laquelle vous avez été précurseur. Il y a un mois, vous êtes intervenue devant la  commission sur la dimension civile de la sécurité de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN sur ce sujet et je dois dire que tous les parlementaires étrangers présents ont été impressionnés par la qualité de votre travail et votre capacité d'anticipation. S'agissant de vos relations avec l'Agence française de développement (AFD) que nous avions déjà évoqués avec mon collègue Raymond Vall, pouvez-vous nous en dire plus ? Nous avons beaucoup d'inquiétudes concernant la synergie de la holding que l'on nous présente comme pouvant apporter encore plus de synergies alors que celles-ci existent déjà. Le fait qu'il y ait un seul représentant au conseil d'administration de la holding qui comptera treize membres nous fait également peur car nous craignons que France Media Monde et l'audiovisuel extérieur soient un peu noyés et n'arrive pas à s'imposer, notamment sur les questions budgétaires.

M. Raymond Vall. - Je veux également vous remercier et vous féliciter même si chaque intervention de votre part et de vos équipes confirment notre sentiment d'injustice et d'impuissance à essayer de faire prendre conscience de ce qui vient d'être rappelé. Le Général de Villiers confirmait que la force n'est pas suffisante pour gagner la paix. Chaque fois que nous avons rapporté, tous nos collègues ont approuvé nos rapports et nos positions mais malheureusement nous sommes un peu impuissants et nous le regrettons. Vous avez parlé du développement des langues locales et je n'y reviendrai pas. Je voudrais vous demander comment nous pouvons vous aider, dans la future holding, à préserver, voire à faire progresser, ce budget « misérable »,pour que nous puissions sauver l'audiovisuel extérieur et lui consacrer le budget qu'il mérite ?

M. Jacques Le Nay. - Ma question portera sur France Média. Cette holding chapeautera les médias publics et ses dirigeants ne seront plus nommés par le Conseil supérieur de l'audiovisuel mais par une direction collégiale. Quel est votre sentiment face à cette centralisation prévue pour 2021 ? Par ailleurs, votre institution s'efforce de diffuser un certain nombre de valeurs qui nous sont chères, dont l'éducation aux médias. En partenariat avec l'Education nationale, France Média Monde forme une vingtaine d'enseignants à cette question et vous avez d'ailleurs souligné votre démarche auprès de la jeunesse. Comment pourriez-vous renforcer votre collaboration avec le ministre de l'Education nationale afin de promouvoir davantage l'éducation aux médias auprès de la jeunesse ?

M. René Danesi. - Lors de votre audition dans une autre commission en juillet 2018, vous avez évoqué avec regret la fermeture de la rédaction de RFI en langue turque en 2010. Nous savons tous que la Turquie est historiquement assez francophile. C'est ainsi que le code civil turc de Mustafa Kemal Atatürk avait une très grande ressemblance avec le nôtre. Même si beaucoup de changements ont eu lieu ces derniers temps, la langue française et la France, d'une façon générale, gardent une place en Turquie. La prestigieuse université de langue française de Galatasaray près d'Istanbul en est un bon exemple. Ma question est très simple. La rédaction de RFI en langue turque a-t-elle des chances, en dépit des difficultés budgétaires d'être réouverte à court ou moyen terme ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je voudrais apporter un témoignage. Nous avons été quatre membres de cette commission à nous rendre en Colombie et à visiter les studios de France 24 sur place. Nous avons pu mesurer, avec la plus grande satisfaction, l'engagement, l'enthousiasme, la volonté de développement de vos équipes. J'ai trois questions. Vous avez parlé des cyberattaques, celle de TV5 Monde en 2015. Quelles sont les raisons de cette attaque, selon vous ? Ma deuxième question porte sur l'évolution de l'apprentissage du Français, question qui m'intéresse particulièrement en ma qualité de Membre de la Section française de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. Enfin compte tenu des prévisions budgétaires, vous êtes conduite à faire certains choix prioritaires, je vous remercie de nous dire, ce qui « en creux », a été laissé de côté.

M. Yannick Vaugrenard. - Merci, Madame la Présidente, pour votre intervention. Le fait d'intervenir militairement au Sahel est essentiel et nous en payons le lourd tribut. Mais il faut mener également le combat sur le plan idéologique. Je serais tenté de dire que France Médias Monde, c'est « Démocratie Médias Monde », notamment dans la lutte contre l'infox. Nous intervenons sur le plan des idées, comme sur le plan militaire, pour le compte de nombreuses démocraties. A ce titre, une participation financière de l'Union européenne au fonctionnement de France Médias Monde serait-elle envisageable ?

M. Olivier Cadic. - La stabilité de nos démocraties est menacée par la diffusion massive, souvent orchestrée, de fausses nouvelles. Je souhaiterais vous féliciter, Madame la Présidente, pour votre engagement dans la lutte contre ces outils de guerre que sont les infox. Mais peut-on lutter seul ? Quelle est votre stratégie d'alliance avec les médias de la sphère démocratique ? Avez-vous identifié des objectifs communs ?

A Djibouti, où RFI a été interdit d'émettre, un autre média en français a pris la place. Ce média, réalisé par des Chinois, peut donner une illusion de continuité alors que ce sont d'autres qui s'expriment à notre place. Y-a-t-il d'autres terrains en Afrique où nous sommes ainsi menacés de devoir nous retirer car nous n'aurions plus le soutien des autorités locales ?

M. Jean-Pierre Vial. - Vous avez évoqué les enjeux de votre coopération avec l'Agence française de développement (AFD). En qualité de rapporteurs, avec Marie-Françoise Perol-Dumont, de l'aide au développement, nous reviendrons vers vous prochainement à ce sujet.

En Ile-de-France, bassin de 12 millions d'habitants, on ne peut pas écouter FM Monte Carlo Doualiya. Cela va-t-il évoluer ?

M. Pierre Laurent. - Vous avez évoqué l'idée d'un projet de redevance. Pourriez-vous développer ce point : à quel niveau situez-vous ce projet de redevance ?

Par ailleurs, qu'attendez-vous du débat sur l'audiovisuel public, prévu prochainement au parlement ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - En tant que société nationale de programme, nous sommes solidaires d'autres sociétés qui subissent aussi des économies, parfois extrêmement lourdes. Nous ne nous désintéressons pas du reste du secteur. L'Etat est sous contrainte budgétaire. Nous sommes tenus à la solidarité. Mais ces mesures arrivent alors que notre groupe a déjà connu un train de réformes, avec une fusion et des plans de départ importants. Nous émettons 24 heures sur 24 et produisons tous nos programmes, dans un contexte de rigidité de gestion, lié aux contraintes linguistiques. Ce sont des spécificités à prendre en compte pour mesurer l'impact des restrictions budgétaires.

C'est pourquoi j'attire l'attention sur l'idée d'un plancher de redevance. L'international ne doit pas être la variable d'ajustement. Les Britanniques ont mis en place un tel mécanisme. Le plancher actuel de BBC World est de 254 M€. Nous percevons 255 M€ de redevance. En termes de financement, l'écart entre France Médias Monde et BBC World ne provient pas du montant de redevance versé mais de l'aide publique au développement.

Ce plancher pourrait s'exprimer en pourcentage, pour préserver une dynamique en fonction de l'augmentation des recettes. Le plancher ne doit pas devenir un plafond, comme ce fut le cas pour BBC World. En 2016, cette situation a conduit le ministère des affaires étrangères britannique à décider d'un contrat direct, ce qui lui a permis d'asseoir son influence et sa capacité à intervenir sur certaines zones prioritaires, relevant du développement.

Mme Marie-Christine Saragosse. - J'en ai parlé au ministère. Nous sommes un média public, financé par l'État. Nous nous devons d'être loyaux. Mais parfois, nous pouvons avoir l'impression d'être pris dans une réforme globale d'un secteur dans lequel nous sommes un pan moins connu.

En outre, la loi prévoit deux lignes budgétaires différentes pour France Média, d'une part, et TV5 Monde et Arte, d'autre part. Pourtant -et Joëlle Garriaud-Maylam le sait bien car elle a participé à ce groupe de travail- nous avions travaillé dans une approche commune de l'audiovisuel extérieur. Mais là, nous voyons tout d'un coup que France Média Monde est intégré dans France Média, alors que TV5 Monde et Arte en sont exclus, ce qui leur donne plus de visibilité et permettra aussi aux parlementaires d'agir plus spécifiquement sur leur budget.

Il n'y a pas de doutes sur la détermination du ministre de la culture en faveur de l'audiovisuel extérieur, donc il ne faut pas y voir une stigmatisation. Mais si nous n'y prenons pas garde, peut-être qu'à plus long terme, l'audiovisuel extérieur pourrait être fondu dans l'ensemble. C'est ce qui s'est produit à la BBC et qui a rendu nécessaire un accord spécifique.

Sur les missions de la loi, elle indique bien l'audiovisuel, mais aussi d'autres missions comme la proximité, l'éducation, la culture... Ce sont des missions que nous remplissons aussi (sur la proximité, vous en avez vu un exemple avec Dakar). Nous allons plus près de nos publics. Il me semble que le fait de proposer une information de qualité, libre, équilibrée mériterait peut-être d'être plus encore souligné, à l'heure des fake news ou infox.

Je pense que les langues étrangères sont sous-estimées en France. On parle souvent de francophonie quand on veut parler d'international. Pensons qu'un contact sur deux est en langue étrangère. Nous développons la francophilie, qui est la première étape de la francophonie. J'entends encore parfois des voix qui s'élèvent contre le fait que nous nous intéressions à des langues étrangères. Dans un monde multilingue, défendre la francophonie c'est parler aussi les langues étrangères. Je sais que vous en êtes convaincus dans cette commission, mais tout le monde ne l'est pas encore.

Sur l'AFD, je veux redire que le travail est remarquable, avec des équipes à l'écoute. Le succès de ce que nous faisons. Mais par essence, parce que c'est une banque, elle ne peut pas décider du jour au lendemain de lancer une radio au nord-Mali. Mais encore une fois, le partenariat avec l'AFD et avec CFI est irréprochable. Le savoir-faire de CFI nous est vital, et nos journalistes apprécient beaucoup de travailler avec. Par exemple, ce soir nous aurons une présence importante pour participer, avec 120 médias du monde entier, au forum des médias pour les 30 ans de CFI. Nous y abordons de nombreux sujets, comme l'égalité hommes-femmes, la lutte contre les infos... Mais nous devons être plus agiles, c'est pour cela que je demande un contrat avec CFI.

Nous travaillons très bien avec les autres. A France Info, nous fournissons par exemple tous les journaux étrangers, les programmes de nuit, cinq duplex par jour.

Sur Culture Prime, que je vous recommande, qui est sur les réseaux sociaux, nous fournissons beaucoup de contenus, en lien avec nos collègues de Radio France, de France Télévisions, de l'INA et de TV5 Monde.

Sur LUMNI, nous allons apporter tous nos contenus d'apprentissage du français avec les vingt langues étrangères en interface, des contenus en langues étrangères permettant l'apprentissage des langues par les petits Français, de l'éducation aux médias et des contenus de savoir en matière internationale, historique, culturelle...

Sur l'éducation aux médias et la présence chez nous d'enseignants, nous aimerions en avoir beaucoup plus, mais c'est une question de moyens : nous n'avons que 20 places financées par le ministère de l'éducation nationale. Les journalistes et les enseignants ont en commun de devoir gérer le débat. Ils adorent travailler ensemble. Nous accueillons aussi beaucoup d'élèves. Notre outil de lutte contre les infox « Info/Intox » est utilisable dès le CE1.

Si on parle d'infox, nous ne pouvons pas faire tous seuls. Il y a d'abord l'éducation aux médias.

Il faut armer chaque citoyen depuis le plus jeune âge : c'est un enjeu éducatif majeur. En matière d'infox, l'éducation aux médias est inscrite au programme des lycées. On agit avec des émissions sur France 24, et nous contre-attaquons sur les réseaux sociaux. Quand il y a eu l'incendie de Notre Dame, une rumeur s'est répandue en Afrique selon laquelle cet incendie était dû à des statues maléfiques sur la façade de la cathédrale. Les photos présentées étaient de la cathédrale de Cologne. Nous avons été saisis par des « observateurs » de France 24, citoyens engagés qui nous font remonter les fausses rumeurs. Nous avons vérifié et fait une émission sur les réseaux sociaux, ce qui a permis de bloquer la rumeur. Nous travaillons avec Facebook, avec qui nous avons un accord depuis le début, comme d'ailleurs avec l'AFP. Nous repérons la fake news et la signalons à Facebook qui entrave alors l'accès à celle-ci et facilite l'accès à l'article que nous publions de notre côté, cet article étant relié à la fake news. Avec nos amis du DG7 à Berlin, nous avons fait une réunion sur ce sujet précis. Les Canadiens, les Britanniques et le New York Time ont travaillé pour marquer les images afin que nous sachions qu'elles viennent de nous. Car il y a par exemple des détournements de logos. De la sorte, on peut à tout moment avoir un accord avec les plateformes. Avec les Allemands, nous allons travailler à des outils comme un guide grand public sur la détection des fake news. D'ailleurs, le simple fait de publier des informations vraies et honnêtes participe à la lutte contre les fake news. Nous sommes également partie prenante à une enquête avec les citoyens pour répondre à leurs questions, leur expliquer comment on construit l'info, resserrer les liens de confiance.

S'agissant des cyber-attaques, nous avons été attaqués via la rédaction russe. Nous avons des formations de salariés pour ne pas se laisser infecter, comme cela était arrivé lors de l'attaque de TV5 monde, à une époque où nous n'étions pas encore bien protégés, du fait même de notre volonté d'ouverture. Chez nous il y a eu une violente attaque du même niveau que celle subie par TV5 monde, mais on avait des pare-feu et des zones de démilitarisation et nous avons pu arrêter l'attaque. Les éléments recueillis par les auteurs des attaques ont été mis sur le dark web pour être vendus. 9 pays sont responsables de cette attaque, avec une représentation géographique large. S'il y avait à la fois une manipulation en fake news massive et une cyber-attaque sur le système bancaire et les hôpitaux ou le Gouvernement d'un pays africain, je me demande si cela ne suffirait pas à le mettre à terre : c'est un peu l'arme nucléaire du 21e siècle. Nous n'aurons pas de rédaction turque, mais nous participons à la chaîne turque avec les Allemands. Nous sommes cependant bien reçus en anglais dans ce pays. Nous avons déjà des financements UE, nous répondons à beaucoup d'appels d'offre. Ainsi, Info Migrants, le site que nous avons fait avec les Allemands de Deutsche Welle et l'ANSA italienne, est intégralement financé par l'UE, et le projet Inter qui figure dans le traité d'Aix la Chapelle ne peut exister que financé par l'UE. Ce projet est élaboré en plusieurs langues, voire l'ensemble des langues de l'UE, y compris le russe et le Turc, et permettra à tous les européens d'échanger dans leur langue maternelle avec des traductions, autour de sujets qui leurs sont chers.

Pour les financements de l'Union européenne, nous répondons à des appels d'offres. Ainsi le portail « infomigrants » que nous réalisons avec DeutscheWelle et l'agence de presse italienne ANSA est financé entièrement par l'Union européenne. Le projet « ENTER » qui figure dans le traité franco-allemand d'Aix-la-Chapelle, ne pourra exister que si l'Union européenne finance ce site qui consisterait, en plusieurs langues, l'ensemble des langues de l'Union européenne, voire le russe et le turc, à permettre à de jeunes européens d'échanger dans leur langue maternelle grâce à des systèmes de traduction sur des thématiques qui leur sont chères le développement durable, les nouvelles technologies, le travail et bien d'autres sujets et de montrer ce qu'est l'Europe, ce que fait l'Europe et de lutter contre les contre-informations qui circulent en permanence sur l'Europe. C'est un dispositif assez sophistiqué qui ne vise que les réseaux sociaux et qui, par exemple, permettrait à un jeune agriculteur portugais qui aurait décidé avec une aide de l'Union européenne de se lancer dans un nouveau mode de production, de raconter la mise en oeuvre de son projet avec des vidéos et des textes, et que ce message soit traduit, par exemple en roumain et devienne accessible à un jeune de Roumanie désespéré qui pense que tout le monde l'abandonné. C'est une façon d'avoir un discours conscient et de vérité sur l'Europe sans être désespéré, ni nécessairement populiste. C'est un gros projet au niveau des aides européennes.

Des financements européens par rapport à la logique sahélienne seraient possibles, si je n'arrive pas à trouver sur le financement français les moyens de développer la diffusion en swahili, je n'exclus pas de me tourner vers l'Union européenne. Nous diffusions en trois langues mandingue, peule et haoussa (la langue de Boko Haram). Pour le swahili, nous sommes en train de déménager de Dar es Salam à Nairobi et renforcer notre pôle de diffusion dans cette langue ce qui fera que nous disposerons de trois pôles en Afrique (Dakar, Lagos, et Nairobi). Nous pourrions les faire monter en puissance et y faire de la formation. L'Union européenne est très consciente de la nécessité de faire quelque chose pour la région du Kivu.

Il faut souligner à cet égard, l'action remarquable des clubs RFI. Dans la lutte contre la pandémie Ebola. Le club RFI de Goma, ce sont des auditeurs de RFI qui se réunissent en club, à réaliser une bande-dessinée remarquable de prévention qui a permis de calmer le jeu entre les soignants, dont la sécurité est menacée, certains ont été tués et la population. En effet, on raconte les pires choses sur la maladie et ses origines, qu'elle a été envoyée à l'Occident et les pratiques locales sont parfois contraires à la prévention et à la lutte contre cette maladie. C'est un travail extraordinaire réalisé par de jeunes Africains, va le club RFI, que nous allons porter à l'OIF pour qu'il devienne un outil de prévention.

Sur la diffusion en langue française, les Chinois sont présents, mais aussi les Russes et pas seulement parce qu'ils aiment la langue française.

S'agissant de la diffusion de MCD en France, nous n'y sommes pas encore en dehors de nos offres numériques mais nous avons été interrogés récemment sur une présence de MCD sur le DAB+, nouveau standard qui offre plus de possibilités que la FM. Il est possible que ce sujet soit réétudié.

Vous êtes les bienvenus si vous souhaitez venir voir nos lieux de travail.

M. Christian Cambon. - J'invite régulièrement nos collègues à visiter votre siège car il y a une dimension visuelle très intéressante. Nous allons continuer notre combat pour faire en sorte que cette réforme de l'audiovisuel ne fasse pas de votre activité une victime collatérale car on a bien vue que les amendements d'appel que nous soutenons lors de l'examen des lois de finances et qui consistaient à modifier à la marge la répartition du produit de la redevance suscitaient immédiatement des réactions vives, alors que le travail que vous menez est vraiment exemplaire ; au-delà de l'influence, il apporte des réponses cohérentes et constructives dans la lutte contre le terrorisme et dans des régions troublées. C'est pourquoi, nous aimerions que la coopération avec l'AFD dont nous nous félicitons, soit plus réactive et vous apporte davantage de ressources compte tenu de la croissance très fortes de crédits budgétaires apportés à l'AFD, car votre travail est un moyen d'aide au développement et de coopération.

Mme Marie-Christine Saragosse, président-directeur général de France Médias Monde. - Je voudrais simplement préciser que « déshabiller Pierre pour habiller Paul » n'est jamais facile, d'autant que nos collègues de France Télévisions font actuellement d très gros efforts. La réforme de la redevance va devenir obligatoire car elle va perdre son véhicule de collecte avec la suppression de la taxe d'habitation. Cette réforme-là est peut-être susceptible d'apporter un peu d'oxygène côté financement redevance et d'éviter d'avoir à répartir des moyens en baisse. Il est, en tout cas, très important que FMM conserve cette recette affectée indépendante du budget de l'Etat car c'est notre crédibilité sur la scène internationale. Quand on nous accuse d'être la voie du ministère des affaires étrangères et de ne pas être indépendant, ce qui met parfois en danger nos propres journalistes, il est important de pouvoir dire que le patron du groupe est nommé par une autorité indépendante ou un conseil d'administration indépendant, il est financé par des recettes affectées. Cela fait partie de notre crédibilité et aussi de notre sécurité. Il est donc important de veiller à cette réforme.

Quant à l'aide publique au développement, comme elle est en croissance, il est sans doute moins douloureux d'en utiliser une petite partie que de retirer des recettes de redevance à d'autres sociétés de programme.

M. Christian Cambon. - Bien évidemment, je souscris à cet argument. Simplement nous utilisons les moyens qui sont à notre disposition qui sont peu nombreux car pèse souvent la menace de l'article 40 et donc la réaffectation de moyens est souvent la seule voie possible, sinon on ne peut même pas faire venir la question en discussion. Ce que nous déplorons surtout c'est de constater que vos partenaires voient leurs moyens augmenter alors que l'on restreint les vôtres chaque année et c'est ce qui nous agace au bon sens du terme. Nous multiplions les déclarations dans ce domaine, les ministres nous font des réponses apaisantes mais ensuite les arbitrages financiers ne sont pas au rendez-vous. J'espère en tout cas que vous avez perçu les félicitations et les encouragements que notre commission vous adresse.

La réunion est close à 11 h 50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Questions diverses

M. Ronan Le Gleut. - Quelques mots sur mon déplacement du 4 décembre dernier à Bruxelles, puisque j'ai eu l'honneur de représenter notre commission lors d'une réunion interparlementaire organisée par la commission des affaires étrangères du Parlement européen.

Cette réunion sur la politique étrangère de l'Union européenne a permis d'échanger avec le nouveau Haut Représentant pour les affaires étrangères et la sécurité, M. Josep Borrell, ainsi qu'avec le commissaire pour la politique de voisinage et l'élargissement, M. Oliver Varhelyi.

Sur la tonalité générale de cet échange : la plupart des questions posées, y compris au Haut-Représentant, ont porté sur l'élargissement, considéré comme une priorité par la plupart de nos partenaires. La France est mise en cause pour avoir contribué à retarder l'ouverture des négociations avec la Macédoine du nord et l'Albanie. Les propositions françaises de réforme du processus d'élargissement ne suscitent pas d'enthousiasme particulier... Enfin bien sûr, pour ce qui est de la façon dont notre pays est perçu, les propos du Président Macron sur l'OTAN ont soulevé de nombreuses remarques...

Dans ce climat général, les propos du nouveau Haut-Représentant, M. Josep Borrell, ont été plutôt conciliants. Il a justifié les propos du Président français sur l'OTAN en les qualifiant de « signal d'alarme », et en évoquant la nécessité pour l'UE de devenir un acteur global de la sécurité internationale et de développer des capacités complémentaires pour traiter des crises hors article 5. Il a évoqué aussi la nécessité pour les Européens de bâtir une culture stratégique commune.

J'ai interrogé M. Borrell, qui m'a répondu en français, sur l'engagement européen au Sahel. Nous n'agissons pas seuls, bien sûr, puisque nous recevons l'appui de la mission européenne de formation EUTM Mali, de la Minusma, et de plusieurs de nos partenaires européens dont le Royaume-Uni, l'Estonie, l'Espagne, le Danemark. Mais il faut aller plus loin dans cette coopération.

M. Borrell en a paru très conscient.

Il revenait de la cérémonie en l'honneur des 13 militaires français tués au Sahel, qui l'a manifestement marqué, et a indiqué très clairement que l'Europe devait être aux côtés de la France au Sahel et mobiliser des capacités supplémentaires.

Si la France n'était pas intervenue, a-t-il indiqué, le Mali n'existerait plus comme pays, ajoutant que la France ne pouvait assurer seule la sécurité de la région. Une mission européenne de paix est peu probable, à cause du principe d'unanimité, mais le Haut Représentant a appelé de ses voeux une coalition de volontaires, ainsi qu'un soutien accru aux structures étatiques de la région.

Les propos de M. Borrell m'ont paru encourageants. Mais il nous faudra rester très vigilants. La présidence finlandaise propose une réduction de plus de moitié du budget prévisionnel du Fonds européen de défense, à 6 Mds€ contre 13 Md€ envisagés. Ce serait un contresens historique majeur.

Il nous faudra donc continuer de suivre avec attention ce dossier de la défense européenne, notamment dans le cadre du groupe de travail que notre commission s'apprête à constituer sur le système de combat aérien futur (SCAF).

Enfin, j'ai remis le rapport de notre commission sur la défense européenne à M. Josep Borrell.

M. Christian Cambon. - Je vous remercie. Les déclarations de M. Borrell vont dans le bon sens. Il me semblerait intéressant de pouvoir discuter avec lui de la concrétisation de ces engagements.

Sur le Fonds européen de défense, la proposition finlandaise est inacceptable. Nous nous y opposerons car la construction d'une industrie européenne de l'armement est une priorité.

M. Olivier Cadic. - M. Josep Borrell a toutefois surpris, sur le Venezuela, en incriminant les sanctions américaines.

M. Christian Cambon. - Nous suivrons également ce dossier avec attention.

La réunion est close à 11 h 50.