Mardi 20 novembre 2019

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 13 h 50.

Audition de représentants de la Fédération française des CECOS (centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain) et de la Fédération des BLEFCO (biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de l'oeuf)

M. Alain Milon, président. - Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique par l'audition commune de professionnels directement impactés par les dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise en direct sur le site du Sénat. Elle sera ensuite consultable à la demande.

Pour la Fédération nationale des Centres d'Études et de Conservation des OEufs et du Sperme (CECOS), nous recevons le Professeur Nathalie Rives, Présidente, le Professeur Catherine Guillemain, vice-présidente, et le Docteur Sophie Mirallie, Secrétaire générale. Pour la Fédération des biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de la conservation de l'oeuf (BLEFCO), nous accueillons le Professeur Rachel Levy, vice-présidente, le Professeur Nelly Achour-Frydman, coordinatrice, ainsi que le Docteur Patrice Clément, membre de la Fédération.

Professeur Rachel Levy, vice-présidente de la Fédération nationale des BLEFCO. - La Fédération des BLEFCO est la société savante réunissant l'ensemble des praticiens des laboratoires publics et privés de l'assistance médicale à la procréation en France. Nous représentons à ce jour 290 membres adhérents actifs et l'ensemble des centres d'AMP français. Nous saluons le projet de révision de la loi de bioéthique, en particulier l'accès à l'AMP pour les femmes en couple ou célibataires et la possibilité d'autoconservation des ovocytes en dehors d'une pathologie.

Nous souhaitons aborder la mise en place d'un plan national sur la fertilité et l'AMP. Le premier versant porterait sur la prévention, la pédagogie et l'éducation. L'objectif serait l'information aux adolescents, jeunes adultes et adultes, femmes et hommes, au sujet de la physiologie de la reproduction, des effets de l'âge, mais également des modes de vie, sur la fertilité. Le deuxième versant serait consacré à la recherche, notamment sur les causes d'infertilité. Nous plaidons pour un soutien fort à la recherche clinique et fondamentale dans le domaine de la fertilité par le biais d'appels d'offres dédiés. Enfin et surtout, nous souhaitons l'engagement d'une réflexion médico-économique sur la situation actuelle des activités biologiques des activités d'AMP et l'impact des modifications prévues par la loi de bioéthique. De notre point de vue, elles devraient aboutir à une juste valorisation de ces activités.

Notre discipline relève d'une biologie hautement spécialisée et interventionnelle. Il n'est pas possible de déplacer des gamètes pour centraliser cette activité sur un seul site, d'automatiser cette activité ou de travailler en série. Aucune économie d'échelle n'est envisageable en AMP. Par ailleurs, nous devons faire face à des évolutions technologiques rapides et à des contraintes réglementaires coûteuses et chronophages. À côté de la diminution récente de la cotation de l'acte de micro-injection, nous avons salué la cotation en B des activités de vitrification ovocytaires et embryonnaires. Cependant, nous restons vigilants à l'égard des négociations à venir en 2020 et 2022. Pour que le texte de loi soit applicable dans des conditions satisfaisantes, il est indispensable qu'une cartographie précise soit réalisée région par région au sujet de l'adéquation entre l'offre de soins actuelle des centres, leurs moyens et les futures demandes afin que chaque centre d'AMP puisse disposer des moyens adéquats en temps médical et paramédical et en équipements. Enfin, nous souhaitons être interrogés sur la question de l'AMP post mortem.

Docteur Patrice Clément, membre de la Fédération nationale des BLEFCO. - Je vous remercie de nous faire participer à vos travaux. Je souhaite intervenir au sujet de la problématique de l'autoconservation telle qu'elle est décrite dans l'article L. 2141-12 proposé par l'article 2 du projet de loi, qui limite aux centres d'AMP publics et privés à but non lucratif la possibilité de réaliser l'autoconservation des gamètes. Cet article est discriminatoire vis-à-vis du secteur privé à but lucratif, puisqu'il prive les patients de la possibilité de choisir librement leur centre d'AMP. Interdire aux praticiens libéraux de pratiquer l'autoconservation des gamètes signifiera une orientation de la patientèle vers un nombre nécessairement limité de structures d'accueil publiques et privées à but non lucratif. Cette mesure aura pour effet direct et immédiat une entrave à l'accès aux soins des patients ainsi qu'un allongement du délai de prise en charge. Elle aura des conséquences contraires à l'intérêt supérieur des patients qui attendaient une ouverture vers une AMP accessible à tous, dans des délais compatibles avec la capacité réelle des centres.

Les professionnels médicaux libéraux ont les mêmes compétences que leurs collègues du secteur public. Ils réalisent 47 000 tentatives annuelles d'AMP parmi les 92 000 recensées par l'Agence de la biomédecine. Ils sont soumis aux mêmes inspections de l'Agence régionale de santé et de l'Agence de la biomédecine. Ces seuls chiffres sur l'activité prouvent l'indiscutable attachement et la confiance des patients vis-à-vis de ce mode d'exercice. La demande de modification de l'article L. 2141-12 est soutenue par la grande majorité des acteurs de l'assistance médicale à la procréation en France, qu'ils relèvent du secteur public ou du secteur libéral, ainsi que par la grande majorité des sociétés savantes de notre discipline.

Professeur Nelly Achour-Frydman, coordinatrice de la Fédération nationale des CECOS. - Je vous propose d'aborder l'évolution technologique en AMP et le diagnostic préimplantatoire, qui est ma spécialité. La suppression du diagnostic préimplantatoire associé au typage HLA soulève des questions éthiques évidentes et paraît surprenante. Cette pratique concernait un faible nombre de couples, ayant un enfant atteint d'une maladie génétique rare, souvent issus d'un niveau socioéconomique peu favorisé et, surtout, sans représentation associative. Ils représentaient donc une cible sans défense. De ce point de vue, la suppression de cet accès aux soins est condamnable.

Par ailleurs, les débats à l'Assemblée nationale montrent que la majorité des députés n'a pas souhaité l'autorisation en pratique courante de la recherche d'anomalies chromosomiques sur l'embryon. Cette technique est appelée « diagnostic préimplantatoire des anomalies chromosomiques ». Le risque de dérives eugénistes, évoqué dans les débats, a heurté la communauté médicale et mérite d'être discuté. Le gouvernement a renvoyé cette question à l'article 14 du projet de loi qui rendrait possible cette pratique sous couvert d'une recherche clinique. Par conséquent, un financement dans le cadre du plan relatif à la fertilité, abordé à l'origine, doit être consacré à ce type de protocole de recherche.

Professeur Nathalie Rives, Présidente de la Fédération nationale des CECOS. - La Fédération nationale des centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain comprend vingt-neuf centres répartis en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer, associés au sein des centres hospitaliers universitaires et des praticiens qui, pour la majorité d'entre eux, exercent une activité biologique et clinique d'enseignement et de recherche.

Nous saluons un certain nombre d'avancées proposées dans le cadre du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale. Il s'agit de l'ouverture de l'AMP avec tiers donneur aux couples de femmes et aux femmes non mariées, de l'autorisation sans l'encourager de la conservation des gamètes en dehors des indications médicales, des conditions d'âge qui seront définies pour cette conservation des gamètes, mais également des conditions d'âge pour le recours à l'AMP.

Le projet de loi prévoit la possibilité d'arrêter la conservation des gamètes et des tissus germinaux, ce qui nous paraît extrêmement important pour gérer les difficultés rencontrées en matière de stockage des échantillons pour les patients qui ne s'inquiètent plus des échantillons conservés. Il nous permet également de mettre en place une évaluation de la loi à l'issue de cinq années. Cela nous semble important afin d'évaluer l'impact de l'AMP avec tiers donneur sur le fonctionnement des activités et l'accessibilité aux soins. Le projet de loi maintient un principe fondamental et fondateur pour tout type de don d'éléments et produits du corps humain, à savoir la gratuité du don en accord avec la non-marchandisation des éléments et produits du corps humain. Nous sommes particulièrement attachés à ce principe. Il met également en avant un certain nombre de points vis-à-vis desquels les professionnels des CECOS émettent un avis favorable, réservé, voire défavorable.

Notre avis réservé concerne un ajout apporté au texte de loi, qui met en doute la capacité de l'équipe médicale à prendre en charge sans discrimination les différentes demandes. Cet accès ne peut faire l'objet d'aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial et de l'orientation sexuelle des demandeurs, car nous ne pouvons pas exercer notre pratique médicale en mettant en avant une discrimination.

Ce projet de loi autorise la transmission des données non identifiantes, à laquelle nous sommes favorables, ainsi que l'identité du donneur aux personnes majeures qui le souhaiteraient. À ce sujet, nous avons un avis plus réservé. Nous pensons que l'accompagnement doit être amplifié et que l'information de l'identité du donneur ne répondra pas à la plupart des interrogations des adultes conçus par don.

Par ailleurs, nous avons défendu depuis de nombreuses années la remise en place d'un registre national des donneurs. Nous souhaitons également la création d'une commission pour la transmission des données non identifiantes et identifiantes ainsi qu'une adaptation du mode de filiation aux couples de femmes qui ont recours à l'AMP avec tiers donneur, ceci en évitant toute discrimination vis-à-vis des couples infertiles et des femmes non mariées.

Le premier élément mis en avant dans ce texte est l'intérêt suprême de l'enfant, mais nous regrettons que les couples, voire les femmes seules soient mis de côté. Le consentement exprimé à l'origine par le donneur vis-à-vis de la transmission de l'identité au jeune adulte qui en exprimerait la demande peut évoluer au cours du temps. Or le donneur n'aura aucune possibilité de revenir sur sa position. En outre, le projet de loi a peu mis l'accent sur un certain nombre de sujets majeurs liés à l'AMP. Il n'identifie plus spécifiquement l'AMP comme une procédure permettant de répondre à l'infertilité pathologique de certains couples et d'éviter la transmission d'une maladie d'une particulière gravité.

La notion d'infertilité mériterait d'être réintroduite dans le texte de loi sans discrimination entre les différentes demandes. Les infertilités pathologiques existent. Leur remise en question fréquente au cours des discussions, y compris au sein de l'Assemblée nationale, va à l'encontre d'un ajout extrêmement positif à la loi, qui concerne la mise en place d'un plan sur la fertilité ou l'infertilité, depuis la prévention jusqu'à la recherche. La notion de l'infertilité doit donc réapparaître dans le texte de manière différente qu'au travers du plan sur la fertilité.

Le projet de loi associe un ensemble de propositions relevant de la réflexion éthique et scientifique et de la décision politique. Cependant, elles ne peuvent être dissociées des conditions optimales de leur mise en oeuvre grâce à des moyens humains et matériels permettant de répondre aux attentes des demandeurs. Le projet de loi doit donc être accompagné de moyens à la hauteur de ces ambitions. Il s'agit de maintenir une prise en charge équivalente à celle que nous proposons actuellement aux couples infertiles.

Ce projet de loi implique également la constitution de nouvelles banques de gamètes, et plus spécifiquement celle de spermatozoïdes conservés en vue de dons, et doit également favoriser le recrutement de nouvelles donneuses. Il doit prévoir une période de transition permettant l'évolution des dispositions réglementaires vers les nouvelles conditions fixées par la loi. Ce sera une période d'instabilité, qui doit durer le moins longtemps possible.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Madame le Professeur Nelly Achour-Frydman, vous avez évoqué la décision de l'Assemblée Nationale de supprimer le diagnostic préimplantatoire associé au typage HLA, que vous estimez condamnable. Vous soulignez que le risque d'eugénisme évoqué a heurté la communauté médicale. Au-delà de l'éthique qui guide votre exercice au quotidien, comment rassurer les autorités et les concitoyens vis-à-vis de ce risque ?

Professeur Nelly Achour-Frydman. - J'estime condamnable que l'accès au DPI avec typage HLA soit ôté de la loi. Le DPI des aneuploïdies est un autre problème. Le DPI avec typage HLA a concerné vingt-cinq couples en dix ans. Cette activité est vraiment confidentielle. Sa mise en place s'est avérée complexe. Ce sont essentiellement les équipes des hôpitaux Antoine-Béclère et Necker qui ont effectué ce type de diagnostic. En effet, il n'était pas possible de congeler les embryons sains et non compatibles afin de recommencer des tentatives. Il est nécessaire que nous puissions congeler les embryons non compatibles pour recommencer et tenter de disposer d'embryons compatibles. Les couples n'abandonneront pas ces embryons. L'objectif est d'essayer d'avoir un enfant sain et compatible pour sauver l'enfant précédent, gravement malade.

L'argument éthique selon lequel il n'est pas envisageable de concevoir un enfant au bénéfice d'un tiers et non plus pour lui-même, peut s'entendre. Toutefois, ces couples ont déjà essayé spontanément d'avoir ces enfants. La recommandation des médecins de retenter une grossesse pour essayer d'avoir un enfant compatible spontanément ne gêne personne. Par conséquent, cette discussion n'a pas de sens.

Concernant la recherche des aneuploïdies, il faut tenir compte d'un double problème. Le fait d'avoir refusé l'autorisation en pratique courante sous couvert de l'existence d'un risque d'eugénisme a beaucoup heurté la communauté médicale. Le DPI est mis en place depuis une vingtaine d'années dans le cadre d'anomalies génétiques. Jamais un couple ne répondant pas aux indications n'a été pris en charge. Les médecins respectent la loi à la lettre.

La deuxième raison du refus tient à la discussion sur la possibilité de dépister une trisomie 21. Le corps médical y voit une forme d'incohérence, puisque la trisomie 21 est systématiquement recherchée au stade foetal. Il paraît donc contradictoire de l'autoriser au stade prénatal, et non au stade préimplantatoire. Selon l'expérience internationale, le dépistage de la trisomie 21 sur l'embryon implantatoire concerne moins de 3 % des embryons. Il ne s'agit pas de l'anomalie majoritaire susceptible d'être dépistée, ni même celle que l'on souhaite forcément rechercher. L'objectif est d'identifier des anomalies qui empêchent la grossesse ou provoquent des fausses couches. Nous sommes favorables au fait de ne pas rechercher la trisomie 21. Le deuxième argument que j'estime compréhensible consiste à rappeler que l'efficacité de cette technique n'est pas prouvée à 100 %. Certaines études montrent qu'elle présente un intérêt. D'autres études se permettent de poser des questions. La recherche clinique proposée dans le cadre de l'article 14 semble une bonne solution, mais il faut avoir les moyens de mener cette recherche. En termes de financement, le taux de succès du PHRC est un peu bas.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ma première question, à laquelle vous m'avez invitée, concerne l'AMP post mortem. Ma deuxième question porte sur la réintroduction de la notion d'infertilité dans la loi. Pouvez-vous y revenir ? Par ailleurs, quelle est votre opinion sur les conditions de levée de l'anonymat et sur la possibilité de levée de l'anonymat des donneurs de l'ancien régime ?

Professeur Rachel Levy. - La Fédération des BLEFCO a renvoyé le questionnaire complété, qui comprend les réponses aux questions que vous soulevez.

Concernant l'AMP post mortem, je rappelle qu'en cas de décès d'un membre du couple, le projet de loi prévoit de consulter le membre survivant au sujet du devenir des embryons obtenus en AMP et conservés.

En cas de décès de son conjoint, la partenaire d'un couple disposant d'embryons conservés se verrait contrainte de choisir entre leur destruction, leur utilisation en recherche ou l'accueil de ces embryons par un couple ou par une femme célibataire. Devenue veuve, elle pourrait solliciter pour elle-même l'accueil d'un embryon d'un autre couple, mais n'aurait pas la possibilité de disposer des embryons conçus dans le cadre de son projet parental. De même, en cas de décès du conjoint ayant autoconservé ses spermatozoïdes dans le cadre d'un projet parental, la veuve serait autorisée à requérir un don de spermatozoïdes, mais ne pourrait pas avoir accès aux gamètes autoconservés de son conjoint, que la loi contraint aujourd'hui à détruire. Dans les deux cas, la partenaire survivante du couple subirait la perte de son conjoint et l'impossibilité d'avoir accès aux gamètes conservés et aux embryons conçus dans le cadre d'un projet parental. Enfin, si son âge est avancé, elle aurait très peu de chances de pouvoir mener un nouveau projet parental avec un nouveau partenaire. Dans ce cadre, l'ouverture de l'AMP aux femmes célibataires rend inique le maintien de l'interdiction d'une AMP post mortem. Nous demandons que le couple puisse donner son accord ou non pour l'utilisation des embryons en cas de décès du conjoint. De même, l'utilisation post mortem de gamètes conservés lorsque le conjoint y a consenti de son vivant et dans le contexte d'un désir d'enfant paraît légitime.

Dans les deux cas, il est indispensable de faire preuve de vigilance quant aux conditions de délais de réalisation et au contexte de ces demandes et de s'assurer du bien-être de l'enfant. Nous proposons donc la mise en place d'une commission multidisciplinaire.

Professeur Catherine Guillemain, vice-présidente de la Fédération des CECOS. - Vous avez également posé une question sur la disparition de la notion d'infertilité dans le texte. Nous pensons qu'il est important de maintenir cette notion de prise en charge potentielle des couples infertiles pour des raisons médicales, mais également pour éviter de transmettre une maladie grave. Il s'agit également d'un moyen de justifier la surveillance de nos pratiques destinées à améliorer les résultats des tentatives d'assistance médicale à la procréation. Il est important de maintenir le fait que la prise en charge concerne les couples confrontés à une infertilité constatée médicalement et de pouvoir prendre en charge des couples en cas de risque de transmission d'une maladie grave. Cela permet de justifier les actions de communication visant à rappeler à la population générale que la fertilité est potentiellement limitée dans le temps et peut être altérée par un certain nombre de facteurs environnementaux. Il est important de disposer de protocoles et de moyens d'études sur les facteurs, la gamétogenèse et la capacité à nous reproduire.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Cela signifie-t-il que vous limiteriez le recours à l'AMP aux couples hétérosexuels infertiles ?

Professeur Catherine Guillemain. - Non. La prise en charge des nouvelles demandes de couples de femmes et de femmes non mariées ne pose pas de problème. En revanche, le fait de ne pas mentionner les couples médicalement infertiles nous dérange. En outre, cela représente un danger à moyen terme et à long terme, car ces situations sont prises en charge par l'Assurance Maladie.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je me suis sans doute mal exprimée. Je n'évoquais pas le cas des femmes seules et des couples homosexuels, pour lesquels j'ai compris que vous êtes favorables à leur possibilité de recours à l'AMP. Ma question porte sur les couples hétérosexuels et sur la limitation de l'accès à l'AMP à ceux qui ont des problèmes d'infertilité plutôt que l'ouverture à des personnes qui n'ont a priori pas besoin de recourir à ces techniques.

Professeur Catherine Guillemain. - Ces situations sont marginales. La prise en charge dans le cas de couples hétérosexuels pour lesquels aucune anomalie n'a pas été diagnostiquée représente moins de 10 % des cas. Il s'agit d'une infertilité du fait du temps sans conception.

Professeur Nathalie Rives. - La médecine identifie des symptômes qui seront considérés comme idiopathiques dans la mesure où nous ne disposons pas de moyens diagnostiques pour mettre en évidence l'origine de la pathologie. Concernant les couples infertiles, les moyens actuels ne permettent pas dans un certain nombre de cas d'identifier l'origine de l'infertilité. Par ailleurs, le fait de ne pas être reconnus comme infertiles est très mal vécu par ces couples. À titre d'exemple, il n'est pas possible de dire à un garçon né avec une absence de testicules qu'il n'a pas de pathologie. Une femme ayant reçu des traitements anti-cancer extrêmement toxiques et rendue infertile peut difficilement entendre qu'elle n'est pas infertile et qu'il ne s'agit pas d'une pathologie. La reconnaissance de l'infertilité de couples doit être maintenue dans la loi tout en acceptant les autres demandes.

S'agissant des couples de femmes, notre avis est favorable. Concernant les femmes seules, notre avis est plus réservé. Nous ne remettons pas en question la capacité d'une femme seule à élever un enfant, mais nous avons des craintes d'ordre médical. Qu'advient-il si une femme enceinte dont la grossesse aura été induite au travers de notre action rencontre des complications liées à sa grossesse et décède à l'accouchement ?

La prise en charge des couples infertiles n'est pas systématique. Certaines prises en charge sont refusées pour diverses raisons, notamment médicales ou sociales. Comment pourrons-nous faire accepter nos refus ? Nous devons également nous assurer du bien-être de l'enfant à venir, conformément aux textes. S'agissant des couples de femmes et des femmes seules, le taux de refus de prise en charge à l'étranger est supérieur à 50 %, notamment en Belgique. En cas de refus, nous risquons d'entendre dire que nous pratiquons une discrimination comme le laisse entendre l'ajout à l'article 1er. Il faut maintenir la reconnaissance que l'infertilité existe et qu'elle n'est pas relative.

Par ailleurs, le texte de loi ne stipule pas que nous devons recontacter les donneurs. Il indique que les donneurs de gamètes ou d'embryons exprimant ce souhait pourront faire part d'un consentement différent auprès de la commission et accepter la transmission de l'identité au jeune adulte conçu par don. S'il s'agit d'une démarche spontanée du donneur, cela ne nous gêne pas. En revanche, le fait de recontacter les donneurs ayant fait un don sous les conditions actuelles de la loi met en jeu des scénarios extrêmement différents selon le contexte du donneur.

Si le donneur a eu des enfants conçus par don au travers de différents couples infertiles alors qu'il reste encore des paillettes en cours de distribution, le fait de le recontacter pour lui demander d'exprimer un nouveau consentement et lever son identité lors de futures conceptions rompt le consentement établi et le contrat avec les couples infertiles. Lorsqu'un donneur leur a été attribué, ce donneur avait consenti de donner de manière anonyme. Cette garantie a été apportée au couple. Si nous modifions cette situation en recontactant le donneur, le consentement établi avec le couple se trouve rompu.

S'il s'agit d'un donneur dont les paillettes sont en cours de distribution et s'il n'y a pas eu d'enfants conçus à partir de ce don, rien n'empêche de le recontacter. En revanche, celui-ci peut nous demander d'obtenir des informations sur l'aboutissement de son don. La loi ne permet pas la transmission d'informations de ce type. Si le don n'a pas donné lieu à une naissance, le donneur peut s'interroger sur l'utilisation qui en a été faite. Il est souhaitable de recontacter les donneurs dans le seul but de leur demander un consentement pour une utilisation du don auprès des couples de femmes ou des femmes seules. Si nous modifions la finalité de l'utilisation des spermatozoïdes de donneurs déjà stockés et qui sont utilisés auprès de couples infertiles, ou pour éviter la transmission d'une maladie d'une particulière gravité, il faut en informer le donneur, qui doit émettre son consentement.

Si ce type de procédure est mis en oeuvre, chaque scénario devra être pris en compte afin d'éviter les ruptures de consentement émis et de contrats établis avec des couples infertiles qui pensent avoir conçu un enfant à partir d'un donneur anonyme. Je pense qu'un consentement doit être respecté.

Concernant les conditions de levée de l'anonymat, la question porte sur la possibilité pour les jeunes adultes majeurs conçus par don qui en exprimeraient la demande d'accéder aux données non identifiantes ou au prénom et au nom du donneur. Parmi les jeunes adultes que nous avons pu rencontrer, certains d'entre eux se manifestent, mais beaucoup ne s'expriment pas du tout. Le fait de transmettre uniquement un nom et un prénom ne suffira probablement pas. Il faudra certainement répondre à toutes les interrogations. Nous souhaitons amplifier l'accompagnement des demandes déjà en cours et des nouvelles demandes dans le cadre de la conception au travers de l'AMP avec tiers donneur. Actuellement, nous raisonnons au sujet de plaintes issues de jeunes adultes conçus il y a au moins une vingtaine d'années, mais ce contexte sociétal était différent de la société dans laquelle évolueront les nouveaux enfants conçus, une fois atteint l'âge adulte.

Concernant notre proposition relative aux données non identifiantes, elle se fonde sur l'enquête que nous avons menée auprès des donneurs et des donneuses, des couples infertiles et d'associations de jeunes adultes conçus. Ces dernières ont rarement répondu. Les donneurs et les donneuses sont favorables à la transmission de données non identifiantes. Les couples infertiles, pour leur part, sont extrêmement réticents, mais ne sont pas très demandeurs de transmission d'autres données, contrairement aux donneurs. La seule position commune entre les donneurs, les couples infertiles et les professionnels concerne la transmission des données médicales.

Nous accueillons des donneurs âgés de 18 à 45 ans. Le fait de pouvoir accueillir des donneurs et des donneuses qui n'ont pas d'enfant réduit l'âge des candidats au don. La manière d'aborder les difficultés de la société à cet âge n'est pas comparable à celle des personnes ayant plus de quarante ans, surtout celles qui ont l'expérience de la parentalité. Pour autant, nous n'avons pas de réelles solutions. Faut-il permettre au donneur ou à la donneuse de changer d'avis ? Le texte de loi l'autorise pour les anciens donneurs. En revanche, les nouveaux candidats se voient imposer une seule possibilité.

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'un des effets du projet de loi est de modifier le contexte éthique et juridique du don. Cette évolution aura-t-elle un impact sur le nombre et les types de dons ? Quel est le nombre d'embryons surnuméraires actuellement congelés en France ? Qu'en est-il de la lignée des cellules-souches ? Enfin, quelle est la part des gamètes conservés et respectivement affectés aux dons et à la recherche et qui sera finalement détruite ? Pensez-vous que ce projet de loi sécurise la question de la destruction pour les professionnels ?

Professeur Rachel Levy. - Selon le dernier rapport médical scientifique de l'Agence de la biomédecine, 177 968 embryons surnuméraires étaient conservés en France au 31 décembre 2017 pour un projet parental. Parmi les 32 878 embryons qui n'étaient plus investis d'un projet parental, 21 727 ont été donnés à la recherche. Dans de nombreux cas, la confirmation à trois mois n'a pas été obtenue. Il est difficile de répondre de façon robuste.

Professeur Nelly Achour-Frydman. - La plupart des demandes de travaux de recherche sur les cellules-souches embryonnaires concernent des lignées importées ou déjà dérivées en France. Le rapport médico-scientifique de l'Agence de la Biomédecine montre que moins de dix lignées ont été obtenues en France. Globalement, l'activité de dérivation c'est-à-dire le fait d'obtenir des lignées de cellules-souches à partir d'embryons données à la recherche est quasi arrêtée. Les chercheurs travaillent sur des lignées importées ou des lignées déjà établies.

Docteur Sophie Mirallie, secrétaire générale de la Fédération nationale des CECOS. - Nous nous efforçons d'interroger les personnes qui se présentent dans notre centre pour faire des dons sur leur positionnement dans l'hypothèse où la levée de l'anonymat serait possible. La plupart affirment qu'elles poursuivraient leur démarche de don et accepteraient la transmission de leurs données identifiantes, car ces demandes émanent d'enfants en souffrance. L'évolution du profil des donneurs est probable, mais elle est déjà entamée. Les personnes ouvertes à la levée de l'anonymat sont de plus en plus nombreuses.

Parmi les couples receveurs que nous recevons en consultation, certains réfléchissent à la possibilité d'attendre la promulgation de la loi pour obtenir un don de sperme afin que leur enfant, une fois majeur, puisse faire un choix. Je ne pense pas qu'une grave pénurie de dons soit à craindre à l'avenir.

Professeur Nathalie Rives. - L'équipe du Professeur Louis Bujan, spécialiste de la reproduction, à Toulouse, a mené durant deux ans une étude achevée début 2018, dont les résultats ne sont pas encore publiés. Il y a une dizaine d'années, 80 % des candidats au don étaient favorables au maintien de l'anonymat du don. 20 % auraient potentiellement accepté de donner si le don n'était pas anonyme. Selon cette étude, 46 % accepteraient potentiellement de donner dans un contexte où la transmission de l'identité du donneur serait possible. Toutefois, ces personnes ont accepté de répondre à l'enquête tout en sachant que le don est actuellement effectué dans les conditions garantissant l'anonymat. De plus, le contexte varie suivant le profil des donneurs entre Paris et la province.

Lors du changement de la loi, il faudra ne pas ignorer la situation constatée dans tous les pays ayant modifié les conditions du don. Les propositions sont moins nombreuses durant une certaine période, puis une hausse est ensuite observée, mais le nombre de dons n'est pas plus important qu'avant la modification de la loi. En effet, il est très compliqué de recruter les donneurs et ces pays importent des paillettes. Nous ne souhaitons pas rencontrer cette situation. Il serait regrettable d'aboutir à un système faisant appel à des structures qui ne respectent pas les mêmes règles éthiques.

Par ailleurs, vous avez soulevé la question de la conservation des échantillons des patients pour la préservation de la fertilité. Nous transmettons à l'Agence de la biomédecine les informations relatives au nombre d'embryons conservés et à leur devenir, soit le maintien du projet parental, le don pour la recherche, la destruction ou le maintien de la conservation.

En revanche, nous ne transmettons pas de données relatives à la conservation des gamètes et des tissus germinaux. La mise en oeuvre du dispositif relatif aux tissus germinaux date du début des années 2000. Nous allons peut-être pouvoir les conserver durant au moins quarante ans, en fonction de la date d'ouverture du centre. Pour l'instant, nous n'avons pas la possibilité de détruire les échantillons lorsque le patient ne répond plus. Le fait de limiter la durée de conservation et de pouvoir les détruire si les patients ne répondent plus pendant dix ans est une bonne chose. Nous verrons si des réajustements sont nécessaires.

En fonction de nos activités, environ 10 % des échantillons sont destinés à la recherche, contre 20 % d'échantillons pour lesquels nous pouvons envisager la destruction. La question de la requalification vers le don pourra se poser pour les conservations hors indications médicales.

Professeur Catherine Guillemain. - La très grande majorité des échantillons actuellement conservés concerne des patients atteints de pathologies graves qui reçoivent un traitement gonadotoxique et ont autoconservé leurs gamètes pour en prévenir les risques. La plupart de ces pathologies sont des pathologies malignes. Certains patients ne souhaitant plus utiliser à l'issue de quelques années les paillettes conservées souhaiteraient les donner à des couples infertiles. Toutefois, en vertu du principe de précaution, nous ne sommes généralement pas en mesure de les accepter au titre du don, car ces patients sont porteurs d'une pathologie maligne induisant un risque potentiel de susceptibilité génétique.

La question peut se poser si nous évoluons vers une conservation pour des indications non médicales. Un argument consiste à affirmer qu'au cas où certaines personnes ne souhaitant plus utiliser les gamètes conservés, cela bénéficiera au don de gamètes. Nous serions alors dans une situation de don de seconde intention. Actuellement, lorsqu'une personne souhaite une conservation de gamètes pour elle-même, un certain nombre d'examens sont nécessaires à la constitution du dossier.

Les candidats au don, pour leur part, doivent réaliser des examens supplémentaires, notamment un caryotype. Lorsqu'une personne souhaite après de nombreuses années que ses gamètes conservés servent dans le cadre du don, elle peut signer un consentement en ce sens, mais cela ne peut suffire. Cette personne doit accepter d'effectuer des tests supplémentaires. En pratique, lorsque les embryons sont conservés dans le cadre d'une AMP intraconjugale et qu'un souhait de don est exprimé de nombreuses années plus tard, certaines personnes y renoncent, car elles n'ont pas envie d'effectuer ces examens supplémentaires. Nous pensons donc que le don de seconde intention peut être un leurre.

De plus, certaines sérologies ne font pas partie du bilan d'autoconservation, mais sont obligatoires pour le don. Prenons le cas d'une personne ayant conservé des ovocytes décide ultérieurement de les donner et si les examens de sérologie montrent qu'elle a été en contact avec le CMV. Nous ne pourrons pas connaître la date de sa mise en contact avec le virus. Il est parfois possible de tester les gamètes conservés, mais cela implique de détruire les paillettes. La réalisation immédiate d'un bilan biologique plus large pour l'ensemble des conservations apportait une réponse à cette problématique. Toutefois, la mise en oeuvre systématique d'un caryotype ne serait pas forcément simple.

Docteur Patrice Clément. - L'argument selon lequel les centres privés ne pourront pas procéder à l'autoconservation dans le cadre de l'article L. 2141-12 en raison de cette finalité de don a été avancé lors des discussions à l'Assemblée nationale. En pratique, cet argument est erroné. Nous réalisons déjà ce type d'activité et menons des échanges avec les centres publics pour l'accueil d'embryons. La problématique serait donc gérable. Cependant, le don de seconde intention serait, comme cela vient d'être souligné, compliqué.

Professeur Nelly Achour-Frydman. - Je pense que la sensibilisation des femmes pourrait intervenir lors de l'autoconservation. Pour autant, cette gestion serait complexe, particulièrement si les patientes sont perdues de vue et ne peuvent pas revenir pour la réalisation des examens. La prescription des examens à toutes les femmes semble peu probable. Je soutiens d'ailleurs les propos du Docteur Clément. Il est possible de conclure des accords avec les laboratoires privés qui conservent des gamètes pour réorienter les éventuelles donneuses d'ovocytes vers les centres agréés pour le don.

Professeur Rachel Levy. - Vous nous avez interrogés sur les dispositions relatives à la recherche du consentement pour la conservation des embryons et leur utilisation à d'autres fins qu'un projet parental, et notamment sur la confirmation à trois mois. Celle-ci est extrêmement lourde pour les couples et chronophage pour les équipes des centres, compte tenu du manque de réponses et de la nécessité d'envoyer des lettres recommandées aux personnes concernées.

Lorsque nous obtenons cette confirmation à trois mois, nous constatons une concordance quasiment totale des réponses avec le choix initial. En cas de non-réponse à la confirmation à trois mois alors que nous avions obtenu une réponse lors de la première relance, les embryons sont considérés comme perdus de vue et seront détruits dans un délai de cinq ans. Cela soulève une question éthique puisque, dans certains cas, la volonté initiale du couple n'est pas respectée ou reportée à cinq ans. Cette relance à trois mois nous paraît donc inutile. Nous proposons sa suppression.

Le deuxième point concerne les capacités de stockage des centres d'AMP, qui est déjà mise à mal. En termes de surface disponible, de nombreux centres n'ont pas la capacité d'assurer à la fois la conservation des prélèvements déjà confiés et ceux qui vont l'être dans le cadre de la loi de bioéthique. Malgré des investissements conséquents, nous arrivons à un seuil de saturation. Il est envisageable de lever l'obligation de conservation sur le site où a été effectuée la congélation. La conservation serait placée sous la responsabilité de l'équipe, mais à distance.

M. Alain Milon, président. - Les chercheurs spécialisés dans les cellules-souches embryonnaires et les embryons, notamment le Professeur Marc Peschanski, nous demandent de préciser la distinction entre l'embryon qui part à la recherche et l'embryon qui part en AMP et de considérer la notion d'embryon et de préembryon, qui existe dans d'autres pays. Quel est votre point de vue ?

Professeur Nelly Achour-Frydman. - Vous abordez une question sémantique. L'embryon issu d'une fécondation in vitro est conservé ou cultivé jusqu'au cinquième jour dans le cadre du soin. Sur le plan technique, nous ne savons pas aller plus loin. Nous l'appelons « embryon préimplantatoire ». Je ne pense pas que le changement de nom de l'embryon peut permettre à certains de mieux accepter la recherche ou le diagnostic préimplantatoire.

M. Alain Milon, président. - À combien de cellules ces cinq jours correspondent-ils ?

Professeur Nelly Achour-Frydman. - À cinq jours, le blastocyste comprend une centaine de cellules. Les cellules qui formeront le placenta, le trophectoderme et la masse cellulaire interne sont déjà différenciées.

Docteur Patrice Clément. - 21 000 embryons sont donnés à la recherche. Le nombre d'utilisations est bien moindre.

Professeur Nelly Achour-Frydman. - Parmi ces 21 000 embryons, nous ignorons quel sera le nombre de confirmations à trois mois. Il faut donc prendre ce chiffre avec beaucoup de précautions.

Professeur Nathalie Rives. - Cette confirmation à trois mois est imposée depuis deux ans pour la conservation des gamètes et tissus germinaux. Le nombre de patients et patientes à recontacter est presque dix fois supérieur au nombre de couples à recontacter dans le cas de la conservation d'embryons en vue d'un projet parental ou d'un autre type de projet. L'évolution n'apporterait rien, mais les professionnels de santé devraient effectuer des tâches administratives supplémentaires.

- Présidence de Mme Catherine Deroche -

Mme Michelle Meunier. - Nous vous remercions d'avoir abordé ces nombreux sujets. Je souhaite notamment remercier le Professeur Achour-Frydman pour la clarté de ses réponses sur l'AMP post mortem ainsi que le Docteur Clément pour son intervention relative aux relations entre le secteur public et le secteur privé. Je souhaite poser une question au CECOS au sujet de l'allongement de la durée de conservation des gamètes. J'ai entendu parler d'une conservation pendant quarante ans. Par ailleurs, le don personnalisé est autorisé en Belgique, mais cela n'est pas le cas en France. Il semble que le gouvernement ait maintenu son positionnement à l'Assemblée Nationale. Quel est votre avis ? Chez les couples de femmes, il me semble intéressant de proposer un don d'ovocytes lorsqu'une femme ne veut pas porter l'enfant.

Professeur Nathalie Rives. - Les délais de conservation des tissus germinaux par rapport au moment de l'utilisation peuvent être beaucoup plus longs que ceux des gamètes, des ovocytes ou des spermatozoïdes. Cela pose la question de la pérennité de cette conservation au regard de la transmission des données d'une génération à une autre et des conditions de stockage. La multiplication des centres de stockage nous interroge sur la nécessité d'une centralisation permettant de renforcer les garanties de sécurité à très long terme, car nous ne pourrons pas augmenter indéfiniment le volume des salles. S'agissant des spermatozoïdes et des ovocytes, la mise en place de règles de limites de conservation si les hommes ou les femmes ne répondent pas à dix ans permettra une meilleure gestion de la situation.

Dans le cas de la conservation hors indications médicales, ce délai de dix ans me paraît beaucoup trop long. L'âge à partir duquel ce dispositif sera autorisé serait 32 ans. Dans le cas d'une démarche volontaire de conservation des gamètes hors indications médicales, je pense qu'il faudrait arrêter la conservation en l'absence de réponse pendant cinq ans. Je pense qu'il est nécessaire de différencier la préservation de la fertilité de la conservation hors indications médicales.

Par ailleurs, je ne pense pas qu'il faille aborder la question du don dirigé au sein de couples de femmes. Lorsqu'un couple hétérosexuel conçoit seul ses enfants, les spermatozoïdes du conjoint donnés à la conjointe ne constituent pas un don intraconjugal. Chez un couple de femmes, imaginons que la femme souhaitant porter l'enfant présente une insuffisance ovarienne et soit infertile et que sa compagne ne souhaite pas porter l'enfant. L'utilisation des ovocytes pour que l'autre conjointe porte l'enfant ne serait pas un don, mais une conception en contexte intraconjugal, grâce à des gamètes qui ne sont pas les spermatozoïdes et l'ovocyte du couple. Le texte de loi actuel ne l'empêche pas, puisqu'il ne s'agit pas d'un don.

Professeur Catherine Guillemain. - Le don dirigé concernant un couple qui souhaiterait recevoir les gamètes d'une personne qu'il connaît a déjà eu lieu en France, même avant la promulgation de la première loi de bioéthique. Les professionnels impliqués dans ces pratiques n'étaient pas favorables à ce type de prise en charge, plus ou moins bien perçue au sein des familles. De plus, l'implication des personnes concernées sur le moyen et long terme est difficilement prévisible au moment de la prise en charge.

Professeur Nathalie Rives. - Une collègue de la Fédération des CECOS souligne qu'il serait créé une différence entre les couples recourant à un don anonyme et les couples qui auront recours au don dirigé. Cette notion ne serait pas respectée.

Professeur Nelly Achour-Frydman. - Ce cas soulève la question de la levée d'anonymat, qui n'est pas prévue dans l'esprit de la loi. Il convient également de rappeler la notion de dette entre la donneuse et le couple receveur. Cette situation est souvent comparée avec le don d'organe, mais il n'y a pas d'enfant issu du don d'organe. L'enfant issu du don sera élevé par un couple et la troisième personne peut peser sur la vie de cette famille.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 heures.

Jeudi 21 novembre 2019

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 10 h 15.

Audition de Mme Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches, et de M. Marc Peschanski, directeur de l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques (I-Stem)

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec une audition consacrée à la recherche sur l'embryon, les cellules souches embryonnaires et les cellules souches pluripotentes induites.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable à la demande.

Nous recevons ce matin Mme Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches et M. Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques.

Je souhaite par ailleurs la bienvenue aux étudiants de M. Pierre Calvel d'AgroParisTech que j'ai convié, il y a déjà de nombreuses semaines, à assister à nos travaux.

Je laisse la parole à nos invités pour un bref propos liminaire avant que nos rapporteurs n'interviennent, puis les commissaires qui le souhaiteront.

Mme Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches (FSSCR). - Madame et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, je vous remercie beaucoup pour cette invitation.

Je vais revenir en guise d'introduction sur les cellules souches embryonnaires humaines. Elles sont issues d'embryons obtenus après cinq à sept jours de fécondation in vitro. Elles sont caractérisées par leurs capacités d'autorenouvellement et de pluripotence. Elles ont été dérivées pour la première fois il y a plus d'une vingtaine d'années. Depuis, un cap a été franchi quant à leur utilisation, en particulier dans les domaines biomédicaux. Il existe à ce jour une vingtaine d'essais cliniques internationaux portant sur les dérivés de cellules souches embryonnaires, principalement pour des programmes de médecine régénératrice.

Depuis 2007, le professeur Yamanaka a identifié un procédé permettant de convertir des cellules adultes dans d'autres cellules présentant des caractéristiques identiques aux cellules souches embryonnaires humaines.

Il est nécessaire de distinguer le fait que ces cellules souches induites à la pluripotence sont différentes des cellules souches embryonnaires humaines, du fait d'un phénomène de reprogrammation. La régulation d'expression des gènes est modifiée.

En revenant sur les processus de révision de la loi de bioéthique, nous pouvons, en tant que citoyens, nous féliciter que la loi prenne en compte les évolutions scientifiques et technologiques. Nous pouvons tout de même regretter que le texte de loi de 2013, qui aurait dû nous laisser une certaine flexibilité quant à l'utilisation des cellules, n'ait été que source de problèmes. Nos programmes de recherche se sont vu attaquer en justice auprès de l'Agence de la biomédecine.

A ce stade, environ 50 % de programmes de recherche font encore l'objet d'un processus juridique. C'est ce constat qui a donné lieu à la création de la Société française de recherche sur les cellules souches en 2017. Elle compte plus de 450 membres actifs, scientifiques et cliniciens, couvrant la recherche fondamentale et appliquée. Les domaines traités sont vastes : cellules souches embryonnaires humaines, mésenchymateuses, mais aussi cancéreuses. Notre objectif était de nous faire entendre dans le cadre de la révision sur la loi de bioéthique. Nos revendications à ce sujet étaient triples : une distinction doit être opérée entre un embryon et des cellules souches embryonnaires ; les textes de loi doivent être adaptés, car ils sont trop limitants ; le troisième point porte sur la recherche sur l'embryon. Je ne l'aborderai pas aujourd'hui.

En tant que scientifiques, le fait de passer d'un système d'autorisation à un système déclaratif nous réjouit. Nous espérons vraiment qu'il nous protégera contre ces attaques juridiques.

Nous soulignons l'existence de prérequis, et en particulier le terme de « finalité médicale ». Il est limitant, restrictif et ne prend pas en compte le continuum de la recherche. Un « agrandissement des connaissances de la biologie chez l'homme et de l'amélioration de sa santé » serait plus adapté.

M. Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques (I-Stem). - Bonjour à tous. Je vais aujourd'hui vous parler d'avenir. A ce titre, je dois d'abord mentionner la façon dont les scientifiques français ont abordé l'exploitation des cellules souches embryonnaires. L'angle abordé était à l'époque thérapeutique.

L'I-Stem s'est orienté de façon déterminée vers l'utilisation thérapeutique. Nous avons promis que nous allions travailler sur les possibilités d'exploitation des cellules souches embryonnaires à des fins thérapeutiques. De nombreux opposants ont discuté ces axes. Ils se sont trompés. Nous avons non seulement des programmes de recherche sur de nouvelles thérapies, mais surtout des résultats.

Nous avons exploré deux axes de recherche en particulier. Nous avons tout d'abord travaillé à partir de cellules souches dérivées d'embryons rejetés lors d'un diagnostic préimplantatoire. Les médecins donnent la possibilité à des parents ayant eu un enfant atteint d'une maladie génétique extrêmement grave d'avoir un bébé ne portant pas le gène muté responsable de cette maladie. Les embryons porteurs de la mutation sont donc éliminés. Nous nous sommes associés à des centres permettant d'obtenir des cellules souches embryonnaires porteuses des mutations. Nous les avons étudiées et y avons identifié les anomalies liées à ces mutations afin de les utiliser comme marqueur. Nous avons ensuite testé des composés pour étudier leurs éventuels effets sur les cellules. Après 15 ans de recherche, nous avons publié l'année dernière les résultats de l'essai clinique sur la maladie de Steinert. Il a démontré que la metformine, médicament antidiabétique, permettait aux malades de gagner 10 à 15 % de périmètre de marche. D'autres molécules ont montré des effets positifs sur deux patientes atteintes d'un autisme sévère. Nous ouvrons aujourd'hui la voie pour des maladies génétiques sur lesquelles nous n'avions précédemment aucun impact.

Ce travail donne lieu à des contacts de plus en plus étroits avec des industriels, intéressés par notre approche. Il ne s'agit pas pour eux d'un repositionnement, mais d'un travail vers de nouvelles entités chimiques. L'usage dépasse la recherche et devient du développement.

La thérapie cellulaire est un sujet de recherche plus connu, puisqu'elle bénéficie des faveurs de la médiatisation. Il s'agit d'une greffe de cellules dans un organe qui en a perdu. C'est d'ailleurs l'objectif le plus courant des scientifiques travaillant sur les cellules souches embryonnaires. Les premiers travaux cliniques ont débuté dès 2010 aux Etats-Unis et en Angleterre. A partir de 2014, des travaux ont été menés en France par Philippe Menasché. Ils portaient sur le traitement de pathologies liées à l'infarctus du myocarde. Les résultats lui ont permis de développer et améliorer son approche.

Je vous annonce aujourd'hui que nous avons lancé un essai clinique auprès de patients atteints de rétinites pigmentaires. Il s'agit d'une dégénérescence de cellules au fond de la rétine, que nous remplaçons par des cellules entièrement construites en laboratoire. Nous avons d'ores et déjà implanté deux patients, dix autres sont en attente pour l'année à venir. L'essai vise à retrouver de la vision chez des patients en train d'évoluer vers la cécité.

Quarante-deux essais cliniques sont dénombrés. Nous ne sommes plus dans les frémissements et dans les balbutiements, mais sommes entrés dans la phase d'application. Nous sommes à présent en lien avec des industriels qui y consacrent des moyens de plus en plus importants.

J'avais interrogé il y a quelques mois votre commission sur la façon dont les parlementaires pouvaient anticiper ce qu'il se passera dans les cinq à sept années à venir. En effet, nous changeons de registre puisque nos résultats le permettent et que des industriels s'en saisissent. Nous allons donc passer de la recherche à la médecine durant cette période. Les industriels préparent cette médecine pour des centaines de milliers de malades, et plus pour quelques dizaines de patients atteints de maladies rares. Nous allons vers une industrialisation, ce qui demande des investissements considérables.

Ces investissements ne doivent pas être handicapés par des lois les remettant en cause. La loi, concernant aujourd'hui la recherche, doit anticiper l'avenir du domaine médical. La France est en retard en termes d'infrastructures pour la bioproduction. Nous ne devons pas rater le virage industriel. Nous devons à ce titre trouver des modalités juridiques leur permettant de travailler.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Merci pour votre exposé intéressant.

J'ai cru comprendre que dans le texte présenté aujourd'hui au Sénat, le régime de déclaration préalable pour les recherches sur les cellules souches embryonnaires vous satisfaisait. Vous considérez qu'il freinera les attaques potentielles sur les prochains projets. Pouvez-vous nous rappeler sur quels arguments se basent ces attaques dont font l'objet les programmes de recherche ? Nous les connaissons déjà, mais il serait intéressant de les repréciser à nos auditeurs.

Vous avez évoqué le fait que le pays a quelques années de retard sur certains sujets. Quelle place la France occupe-t-elle aujourd'hui en matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires ? Comment exprimer cette nécessaire anticipation au travers du texte de loi ? Pouvez-vous nous apporter, au travers de votre expertise, des éléments permettant d'améliorer la loi dans ce sens ?

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je vous remercie de nous avoir rappelé que vos recherches produisaient du mieux-être, de la lutte contre des pathologies rares et incurables pour la plupart. L'encadrement en la matière est consubstantiel à vos recherches.

Vous estimez que les cellules souches reprogrammées en cellules pluripotentes ne sont pas réellement une alternative à la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Pouvez-vous développer ce point ?

Ma deuxième question porte sur l'encadrement auquel nous devons procéder. Doit-il selon vous porter sur l'origine des cellules ou sur leur capacité ? Je pense notamment aux cellules pluripotentes qu'il est possible de faire évoluer et différencier vers des cellules de type germinal.

Pourriez-vous nous éclairer sur les perspectives de la recherche sur la transformation en tissus et en organes, donc sur la thérapie cellulaire ? La problématique la plus dense à ce sujet porte actuellement sur les reins.

Enfin, le texte transmis de l'Assemblée nationale constitue-t-il à vos yeux un cadrage suffisant pour la poursuite de vos recherches ?

M. Alain Milon, président. - Vers qui doit-on orienter un patient qui souffre d'une rétinite pigmentaire avancée ?

M. Marc Peschanski. - Ces patients sont à orienter vers le docteur Mohand-Saïd, ophtalmologue au CIC des Quinze-Vingts. Les rétinites pigmentaires auxquelles nous nous attaquons aujourd'hui touchent principalement l'épithélium pigmentaire rétinien. Certaines mutations sont spécifiques, d'autres s'étendent à d'autres populations cellulaires. Elles peuvent toucher les photorécepteurs. Notre capacité de thérapie cellulaire n'est à ce jour pas adaptée à leur remplacement. Nous travaillons assidûment sur le sujet afin de renforcer nos approches.

Aujourd'hui, trois grandes mutations nous concernent : RPE65, MRTK et LRAT qui sont toutes trois spécifiques à l'épithélium pigmentaire rétinien.

Mme Cécile Martinat. - Je vais rappeler les motifs des attaques dont nous faisons l'objet pour notre auditoire plus jeune, que je remercie d'ailleurs d'être présent.

Avant les lois de 2011 et 2013, d'interdiction puis d'autorisation, trois prérequis étaient indispensables à l'obtention d'une autorisation : la finalité médicale, la pertinence scientifique et le fait qu'on ne puisse pas effectuer les travaux de recherche avec une autre source de matériel. La situation s'est complexifiée lorsque les cellules souches induites à la pluripotence sont apparues.

Les motifs des attaques ont été multiples. En mars, deux autorisations de recherche portant sur la pertinence scientifique et sur la traçabilité ont été annulées par le tribunal de Versailles. Plus de la moitié des autorisations étant à l'heure actuelle en cours de processus juridique portent sur ces sujets. J'aimerais comprendre comment un juge peut déterminer la pertinence scientifique d'un projet. Avec le temps, les attaques nous visant ont sans cesse trouvé de nouveaux motifs. Elles concernaient au départ les sources alternatives, puis la traçabilité, et enfin les consentements. Les cellules utilisées sont « immortelles ». La majorité des laboratoires utilisent aujourd'hui des cellules embryonnaires humaines dérivées à la fin des années 1990, souvent dans les pays de l'Est. Le consentement à l'époque ne correspondait pas forcément aux prérequis actuels en la matière.

Pour répondre sur la place de la France dans le domaine de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, il est évident que nous avons pris du retard. Il s'agit d'ailleurs d'un des motifs de création de notre société savante. Nous l'avons lancée suite à une certaine lassitude de voir nos programmes attaqués. De plus, un congrès international regroupe tous les experts internationaux sur les cellules souches, en particulier pluripotentes. Nous avons remarqué que la France n'apparaissait même pas dans le top 20 des pays les plus représentés lors de celui-ci en 2017. Nous avons donc décidé de fédérer notre communauté scientifique, ce qui a fonctionné puisqu'en 2018, nous apparaissions enfin dans le top 15.

Nous n'avons pas abordé le problème de la lourdeur administrative et des délais des autorisations qui conduisent beaucoup d'équipes à se limiter dans l'utilisation des cellules souches embryonnaires humaines. Nous ne pouvons qu'espérer pouvoir aller beaucoup plus vite et franchir d'autres barrières à l'avenir. Malgré notre retard, notamment par rapport aux Etats-Unis et à l'Angleterre, nous avons tout de même montré une certaine excellence scientifique, et nous nous en réjouissons.

Je considère que les IPS ne sont pas une source alternative de matériel aux cellules souches embryonnaires humaines. Les cellules souches induites à la pluripotence sont obtenues par modification génétique de cellules adultes. Nous devons pouvoir les comparer aux cellules souches physiologiques. Des exemples montrent que l'utilisation de ces cellules dans le cadre de l'étude de certaines maladies pourrait présenter des défauts liés à la reprogrammation. Elles ne sont donc pas forcément l'outil le plus pertinent. Des disparités existent toujours et il est nécessaire de continuer à creuser cette question d'un point de vue scientifique.

En ce qui concerne le texte de l'Assemblée nationale, je crois pouvoir dire que celui-ci est plus intelligent et plus raisonnable que le premier. Nous pouvons nous réjouir en France du système permettant de revoir régulièrement cette loi. De nouvelles évolutions apparaîtront dans les années à venir, telles que la technologie CRISPR ou les embryons chimériques et synthétiques. Nous devons permettre aux scientifiques de travailler sur ces notions de sorte à ne pas prendre de retard.

M. Alain Milon, président. - Je voudrais adresser aux jeunes présents dans l'auditoire un message publicitaire sur l'utilité du Sénat. Je vous rappelle que l'autorisation de recherche sur les cellules souches embryonnaires vient du Sénat. C'est en outre le Sénat qui a imposé la révision de la loi bioéthique tous les 7 ans. Il semblerait que l'Assemblée nationale soit cette année plus encline à accepter une révision tous les cinq ans, ce que nous demandions au départ.

- Présidence de Mme Elisabeth Doineau, vice-présidente -

M. Marc Peschanski. - Je salue le travail que vous avez fait à l'époque, qui a largement bénéficié aux scientifiques, bien que les résultats n'aient pas été aussi bénéfiques qu'espérés. Il était très important de montrer que l'avis n'était pas unanime dans la représentation nationale.

Je souhaite compléter les propos de Mme Martinat au sujet de la place de la France dans les cellules souches. Lorsque nous avons créé l'I-Stem, lorsque les chercheurs ont pu commencer à travailler sur le sujet, personne en France ne savait manipuler ces cellules puisque c'était jusqu'alors interdit. Cette manipulation demande une pratique et une compétence sophistiquées. J'ai donc cherché à l'étranger des scientifiques acceptant de venir construire cet institut avec moi. Nous avons, grâce à l'appui du directeur général de l'INSERM, pu accueillir des post-doctorants au sein de son établissement ou de l'université d'Evry. Ce retard de 7 ans a été quelque peu compensé par l'utilisation des compétences acquises à l'étranger. Nous avons toutefois été limités par le manque de moyens. Le développement de la recherche a été freiné par l'exclusion des cellules souches embryonnaires de certains appels d'offres. L'Agence de la biomédecine les exclut par exemple de ses financements.

L'I-Stem a eu la chance d'être soutenu par le Téléthon. Cependant, un déploiement d'équipes sur le territoire n'a pas été permis, contrairement à la Grande-Bretagne qui a compté une quarantaine d'équipes dès 2006. La place de la France a été la conséquence de ce retard et de l'absence de financement spécifique.

Nous progressons dans les classements grâce à notre choix de cette orientation thérapeutique, appuyée sur des travaux fondamentaux réalisés à l'étranger. Nous les avons adaptés dans une recherche translationnelle aboutissant à des essais cliniques et des connexions industrielles. En regardant la carte des essais cliniques fondés sur les cellules souches embryonnaires, l'Europe n'est pas en pointe sur ces sujets. Elle compte une demi-douzaine d'essais en Grande-Bretagne, en Israël et en France. La structuration des centres d'investigation clinique opérée à la fin des années 1990 par l'INSERM en commun avec les hôpitaux joue un rôle majeur dans le cadre de la recherche translationnelle. Cette structuration n'existe pas de la même façon dans les autres pays européens. Elle nous apporte un énorme bénéfice pour faire passer les résultats d'une recherche de laboratoire dans la recherche clinique.

Concernant les changements de la loi, demander à des chercheurs en biologie d'avoir une finalité médicale revient à leur demander d'abandonner des pans entiers de la recherche fondamentale, ou de mentir.

Les chercheurs ayant découvert la technique CRISPR, des ciseaux qui coupent l'ADN, travaillaient sur la fermentation des bactéries. Son utilisation a commencé dans des laboratoires de recherche sur des cellules humaines avant de passer à la thérapeutique. Il s'agit du parcours permanent de notre recherche biologique, qui n'est pas unidirectionnel.

Depuis des années, cette finalité médicale oblige les chercheurs à écrire des choses sur lesquelles ils n'ont aucune certitude. Nos opposants nous attaquent sur des présentations ne pouvant être solides puisque les résultats de nos recherches sont toujours des paris faits par les scientifiques.

Ensuite, dans le cadre du changement de la loi, le fait de passer d'un système d'autorisation préalable à un système de déclaration correspond à la façon dont nous travaillons dans nos laboratoires. Lorsque nous travaillons sur des agents radioactifs, nous le faisons dans un cadre réglementaire et pas géré par une loi bioéthique de la radioactivité. Cette réglementation passe par une déclaration et une formation des scientifiques, ainsi que la restriction de l'utilisation de ces agents au domaine de la recherche.

Nous connaissons le cadre réglementaire et le système déclaratif et savons qu'il ne va pas nous ralentir. La demande d'autorisation préalable, au contraire, nous freine en nécessitant quatre mois de gestion par l'Agence de la biomédecine, qui n'ouvre cette possibilité que deux ou trois fois par an. Elle peut aboutir à des échecs par compétition d'autres équipes.

En ce qui concerne les cellules IPS par rapport aux cellules souches embryonnaires humaines, je voudrais juste dire quelque chose qui paraît banal. Lorsque vous avez le choix entre un maïs transgénique et un maïs bio, si le prix est le même, vous aurez tendance à privilégier le second. Nous considérons tous spontanément que ce qu'a produit la nature est meilleur. Quand on modifie le vivant, on ne sait jamais exactement ce que cela va donner. C'est la même chose avec les IPS. En 2007, nous les avons qualifiées de cellules repoussées à la case départ. Dès les mois qui ont suivi, les équipes ont modéré cette affirmation. Nous connaissons de mieux en mieux les éléments qui les différencient. De même que Monsanto observe la disparition d'abeilles après utilisation de son maïs transgénique, nous observons des dégâts collatéraux imprévus par les manipulations génétiques.

Aujourd'hui, les perspectives de la recherche tissulaire et en organes sont l'avenir. La construction d'organe est une des grandes pistes sur laquelle les équipes sont toutes engagées. J'ai abordé précédemment la modification de l'épithélium pigmentaire rétinien. L'équipe de Christelle Monville est en train de travailler sur un moyen de créer deux couches entre l'épithélium et les photorécepteurs. Cette technique permettra la création d'un tissu plus accessible pour les patients ne possédant pas les mutations spécifiques. Nous avons mis au point le traitement du syndrome de Phelan-McDermid à partir de cellules corticales cultivées en deux dimensions. Nous laissons aujourd'hui se développer les différentes couches du cortex pour regarder les interactions cellulaires entre celles-ci. Nous pouvons alors remarquer les altérations apparaissant au cours du développement du cerveau de certains autistes. Cette technique permet de voir comment ces désorganisations d'interactions cellulaires peuvent éventuellement être compensées par certaines approches thérapeutiques.

A I-Stem, nous ne travaillons pas sur le rein, mais collaborons avec une équipe hollandaise spécialisée sur cette question. Il est spectaculaire de voir se développer des glomérules et des tubules. Elles donnent accès à des désordres que nous ne pouvions pas observer jusqu'alors. Personne n'a à ce jour trouvé la façon de construire l'architecture rénale manquante, mais nous en approchons. L'étape suivante consistera à combiner nos cellules avec des moules en biomatériaux pour recréer un organe.

Les pistes d'ingénierie et de chirurgie du génome sont les prochaines pistes à suivre, grâce à CRISPR. Cette technique est très facile à introduire dans les laboratoires et permet de plus en plus d'avancées. Il était auparavant possible d'effectuer des coupures très précises dans le génome. Nous avons ensuite pu y insérer des morceaux d'ADN très précis. Par la suite, nous avons pu le faire au niveau d'une seule base sur les 6 milliards de bases. Les derniers travaux, publiés il y a quelques semaines à peine, ont montré que des chercheurs ont réussi à modifier le système CRISPR. Il peut ne plus couper l'ADN, mais simplement permettre la modification d'une base. C'est un élément extrêmement important pour la sécurité, empêchant des coupures imprévues.

Je répète que la loi de bioéthique concerne aujourd'hui la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires. Nous espérons qu'elle aboutira à une réglementation à ce sujet. Nous devons commencer à réfléchir à l'application, à l'industrialisation et au développement des traitements. La présence d'industriels dans une salle comme celle-ci est indispensable pour qu'ils puissent exprimer leurs besoins, leurs perspectives, et leur optimisme sur ces différentes pistes. Les chercheurs peuvent apporter un certain nombre d'éléments, mais ils ne sont pas les seuls.

Mme Élisabeth Doineau, vice-présidente. - Je me tourne vers l'ensemble des sénateurs présents.

Mme Laurence Cohen. - Merci pour ce riche exposé.

Il me semble important de distinguer la recherche sur l'embryon de celle sur les cellules souches embryonnaires. J'ai l'impression que les questions éthiques ne se posent pas de la même manière sur ces deux cas.

La limite de la culture des embryons à des fins de recherche était auparavant de sept jours. Elle est passée à quatorze jours dans la proposition de loi, en prenant exemple sur les pays voisins. Pensez-vous que ce chiffre est positif et suffisant ?

De plus, vous parlez du virage industriel à ne pas rater et des moyens à investir. J'ai fait un parallèle avec les moyens insuffisants accordés à la recherche. Je plaide personnellement pour la création d'un pôle public du médicament et de la recherche. Je me suis interrogée sur les garde-fous à mettre en place. Ne serait-il pas nécessaire de mettre en place une charte éthique pour éviter les dérives ?

Mme Michelle Meunier. - J'aimerais demander à Mme Martinat : qui sont vos détracteurs ? Vous avez abordé les motifs des attaques, mais pas leur source. Sont-ils des professionnels, des collègues, des confrères ?

Je souhaite également obtenir votre éclairage sur le « bébé-médicament », enlevé du texte de l'Assemblée nationale.

Mme Cécile Martinat. - Nous nous félicitons que la proposition du texte de loi prenne en compte la distinction entre l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Il s'agissait, au niveau de la FSSCR, du point d'ancrage pour commencer à travailler un texte de loi sur les cellules souches embryonnaires humaines.

Je ne travaille pas sur l'embryon, et considère donc que je n'ai pas les connaissances scientifiques nécessaires pour en parler. Pierre Sabatier a dû aborder cette problématique. Si je suis les propos de mes collègues de la société savante, nous regrettons cette limitation à quatorze jours. Deux arguments ont été utilisés pour placer cette limite. La première raison est purement philosophique. La seconde est scientifique : à partir de quatorze jours, nous commençons à voir apparaître des structures neuroectodermiques qui sont les prémices de l'élaboration du cerveau. Il a donc été considéré que l'apparition de la conscience commençait à ce stade, ce qui n'a jamais été démontré. Étendre au-delà de ce délai nous permettrait de mieux comprendre les mécanismes expliquant et contrôler la mise en place de ces structures. Cette compréhension serait extrêmement importante, en particulier dans le cadre de la procréation médicalement assistée et l'infertilité. Beaucoup de femmes consomment ou ont consommé du Gynéfam puisqu'il contient de l'acide rétinoïque, contribuant à la mise en place de ces premières structures.

Continuer la recherche sur ces structures devrait nous permettre de mieux appréhender les mécanismes.

M. Marc Peschanski. - La loi de bioéthique de 1994, interdisant tout travail de recherche sur l'embryon, a été suivie d'un arrêt de tout travail pour améliorer la fécondation in vitro. La France, qui était un pays en pointe en termes de résultats de FIV, est alors tombée très bas dans les classements. Nos collègues demandent donc qu'il soit possible d'étendre le travail sur les embryons jusqu'à quatorze jours, voire au-delà. Dans le cadre de FIV et de grossesses en général surviennent malheureusement régulièrement des défauts de développement, de nidation ou d'interactions avec les structures utérines. Ils doivent pouvoir observer les cellules responsables de la nidation, qui leur échappent aujourd'hui.

Une loi de bioéthique doit éviter que les résultats obtenus par les chercheurs se traduisent par des dysfonctionnements dans leur application à la société, à l'espèce humaine et à toutes les espèces en général d'ailleurs. Les chercheurs ne peuvent travailler qu'à condition d'aller dans des terrains inconnus, qui ne peuvent donc pas être réglementés. Les connaissances apportées seront donc, ou non, appliquées à la société. C'est là que se situe la barrière à mettre en place.

Il ne faudrait pas que les révisions de lois de bioéthique périodiques continuent de nous freiner. La recherche doit être libre, réglementée et surtout qu'elle permette aux scientifiques de s'intéresser à des terrains inconnus, sans quoi ils ne pourront apporter de connaissances nouvelles.

Je partage l'avis de madame la Sénatrice sur le déficit financier de nos recherches, mais rappelle toutefois l'accord de Lisbonne de l'an 2000. Le gouvernement français s'était engagé à aboutir à 3 % de PIB dans la recherche en 10 ans. Nous sommes à 2,2 % en 2019, ce qui se traduit donc par un déclin qui continuera jusqu'à ce que les moyens nécessaires soient mis en oeuvre. L'Allemagne a démarré en 2000 avec 2,15 % du PIB consacré à la recherche, comme nous. Elle a dépassé les 3 % depuis 2010. J'en profite pour vous adresser ce message au nom de la communauté scientifique.

Au sujet du virage industriel, il est aujourd'hui indispensable que vous écoutiez les industriels. Vous travaillez aujourd'hui sur le passé de nos recherches. La loi de bioéthique est régulièrement révisée sur la base des connaissances que nous vous apportons. Il est maintenant utile de regarder vers l'avant et d'anticiper. Le Sénat était très en pointe en 2011 sur sa réflexion bioéthique dans ses choix et ses anticipations. Nous avons la possibilité d'être en avance sur la bioproduction cellulaire, et devons donc l'être. Nous nous dirigeons vers une nouvelle médecine régénératrice, recherchant des traitements sur la base de cellules développées en laboratoire.

Je pense qu'aujourd'hui la question pour les grands acteurs pharmaceutiques est de savoir s'ils vont se développer ici ou de l'autre côté de la frontière. En 2009, nous avons été contactés par Roche, un industriel souhaitant développer ses approches de médicaments, ce qu'il a fait avec succès. Ils avaient compris qu'ils pourraient trouver chez nous des développements introuvables ailleurs. Nous avons donc travaillé deux ans et demi ensemble, en formant leurs équipes et construisant des laboratoires. Nous leur avons proposé d'en construire un à Evry, ce qu'ils ont refusé du fait de leur incertitude par rapport à la loi de 2009. Ils ont eu peur de perdre leurs investissements dans les années suivantes. Nous l'avons donc construit à Bâle.

Mme Laurence Cohen. - N'y a-t-il pas besoin d'une charte éthique ?

M. Marc Peschanski. - Il est nécessaire de leur parler. Je ne peux pas m'exprimer à leur place. Je serais partisan d'une charte, ou en tout cas d'un engagement commun autour de ces développements. J'estime qu'ils seraient heureux de pouvoir le faire maintenant, et surtout d'avoir des certitudes sur l'environnement réglementaire et légal dans lequel ils veulent construire. Certains veulent construire en France.

Le bébé-médicament n'est pas mon domaine de recherche. La position que Cécile Martinat et moi pouvons vous donner est une position de citoyen. La possibilité d'accès à des cellules provenant du frère ou de la soeur d'un bébé atteint d'une leucémie, passant par un tri d'embryons, n'est pas un domaine de recherche. Nous ne sommes donc plus dans une loi de bioéthique s'appliquant à la recherche.

Mme Cécile Martinat. - Pour compléter ces propos, en tant que citoyenne et mère, je défends le point de vue de Marc Peschanski. J'ajoute que nous avons assisté dernièrement à une modification de génome avec les « bébés-CRISPR ». Nous sommes contre toute manipulation par modification génétique.

Ce n'est pas un secret, toutes les attaques émanent de la Fondation Jérôme Lejeune. L'Agence de la biomédecine a dû totalement reconvertir son activité sur la réponse à ces attaques juridiques. J'aimerais connaître le montant dépensé à ce titre par celle-ci, et donc par l'Etat. Nous avions cosigné en 2017 une tribune dans Le Monde dénonçant le fait que cette fondation était d'intérêt public.

Dans la mesure où cette possibilité est utile, je ne vois pas de raison de l'empêcher. La position pragmatique est de voir qu'aujourd'hui, le bébé-médicament n'a pas servi. Nous ne savons pas si ça sera le cas à l'avenir. Ce n'est pas du domaine dans lequel nous pouvons intervenir en tant que scientifiques.

Mme Marie Mercier. - En tant que médecin et mère, je comprends totalement vos propos sur ces avancées thérapeutiques ouvrant des horizons vertigineux et très positifs. Cependant, nous sommes des législateurs. C'est toute la rigueur du droit que nous devons trouver. La loi est pensée pour rendre la société meilleure. Il y a quinze ans, nous nous posions déjà la question suivante : la dignité humaine est-elle dans les gènes ? Mais les gènes de qui ? La réponse est bien entendu négative. Cette position d'équilibre que nous recherchons tous est quelque peu chimérique. Si nous ouvrons toutes les portes, nous ignorons comment certains pourraient les exploiter. Je partage l'avis de ma collègue Laurence Cohen sur la nécessité d'une charte éthique. Il est navrant de constater que ce laboratoire va s'installer de l'autre côté de la frontière. Ne pourrions-nous pas trouver une position « à la française » ? Nous avons en effet des lois qui sont peut-être trop contraignantes et qui freinent ces avancées et le développement de la recherche ? Ne pourrions-nous pas travailler avec les industriels de façon à promouvoir une recherche éthique, via la signature d'une charte, sur les cellules souches embryonnaires tout en nous garantissant d'usages que nous ne pourrions absolument pas partager ?

M. Marc Peschanski. - Il est nécessaire de différencier les pratiques dans les laboratoires de recherche et l'utilisation de leurs résultats. Je tiens beaucoup à la liberté de la recherche, car elle a pour finalité de rendre le monde meilleur en apportant des connaissances, des perspectives et des moyens nouveaux. Il appartient ensuite à la société de décider s'il convient d'exploiter ces connaissances, ces perspectives et ces moyens dans la perspective d'un monde meilleur. Je pense vraiment qu'il faut anticiper ce passage. La recherche est un monde inconnu dans lequel nous entrons progressivement. Nous avons aujourd'hui apporté des résultats, y compris en essais cliniques, permettant de voir que la médecine régénératrice ne relève plus de la science-fiction. De nouveaux acteurs entrent en jeu, entraînant de nouvelles discussions. Nous y assumerons notre rôle de scientifiques en vous apportant les éléments qui vous permettront de comprendre ce que les industriels veulent faire de nos résultats. Il faudra cependant tenir compte de la parole de ces industriels. En effet, lorsque nous réalisons un essai clinique chez douze patients atteints de rétinite pigmentaire, cela épuise à la fois nos ressources humaines et financières. Un tel essai peut amputer nos budgets d'un million d'euros. Nous pouvons fort heureusement compter sur le Téléthon, car l'INSERM ne pourrait pas assumer de tels coûts. Il est donc inenvisageable de se projeter sur 12 000, 120 000 ou 1,2 million de patients. Pour atteindre de telles masses, il faut changer de cadre et évoluer vers un modèle industriel qui implique des développements robotiques, la construction d'usines, la formation de centaines de nouveaux techniciens et ingénieurs. Nous jouerons notre rôle d'experts dans ce cadre, mais pas plus. Les industriels doivent être assurés qu'ils pourront travailler dans un cadre législatif et réglementaire qui leur garantira que leurs investissements et leurs efforts ne seront pas freinés après quelques années.

Mme Cécile Martinat. - J'ajoute que je me méfie toujours un peu des chartes éthiques. Au regard des résultats de la convention d'Oviedo, leur pertinence mérite d'être remise en question. Ce texte, s'il a été pertinent à une époque, ne l'est plus et devrait être renouvelé. Un certain nombre de pays, comme les Pays-Bas, ont d'ailleurs décidé de retirer leur signature, ce texte ne reflétant plus du tout les travaux qu'ils mènent. Il faut être vigilant à la mise en place de chartes, qui peuvent se transformer indirectement en des formes de verrous.

Il ne faut pas oublier que la recherche française est dépendante de tutelles. Ainsi l'INSERM est supervisé par un Comité d'éthique qui surveille les avancées de travaux, évalue leur pertinence et qui est en mesure de rappeler que certaines recherches ne sont pas autorisées. Ces comités institutionnels contribuent donc à la définition d'un cadre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 50.