Jeudi 3 octobre 2019

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Examen du rapport d'information et des propositions de recommandations sur les violences faites aux femmes handicapées

Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, nous allons examiner aujourd'hui le rapport d'information sur les violences faites aux femmes handicapées, que vont nous présenter nos collègues Dominique Vérien, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Roland Courteau.

Les co-rapporteurs soumettent ce matin à notre approbation un travail qui s'appuie sur la table ronde que nous avions organisée le 6 décembre 2018, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, ainsi que sur l'audition de deux associations représentant des personnes handicapées1(*).

Les personnalités que nous avons auditionnées nous ont éclairés sur des situations alarmantes.

L'examen de ce rapport tombe à point nommé, un mois tout juste après le début du Grenelle contre les violences conjugales, installé le 3 septembre dernier par le Gouvernement, après une prise de conscience opportune mais tardive de l'ampleur dramatique des féminicides dans notre pays. Le cas des violences faites aux femmes handicapées doit être une priorité des réflexions en cours.

À cet égard, je ne peux, mes chers collègues, que rappeler la tribune parue début juillet dans Libération, co-signée par 152 sénateurs de tous les groupes politiques, à l'initiative de notre délégation.

Les co-rapporteurs vont nous faire une présentation à quatre voix des principaux constats et conclusions de leur travail.

À l'issue de leurs interventions, nous statuerons sur les recommandations qui concluent le rapport. Vous pourrez bien entendu proposer des modifications si vous le souhaitez. Puis nous débattrons ensemble du titre de ce rapport d'information.

Je laisse sans plus tarder la parole à Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Merci, Madame la présidente. Mes chers collègues, les auditions que la délégation a menées ont mis à jour un problème persistant : le manque de données globales et consolidées portant sur les violences faites aux femmes handicapées. Il existe quelques enquêtes sectorielles et études internationales qui tendent à montrer que les femmes en situation de handicap sont largement plus exposées aux violences que la population générale. Mais les statistiques dont on dispose ne sont pas encore suffisantes pour que les politiques publiques apportent une réponse pertinente à ce fléau.

Au niveau national, les rares données existantes convergent sur les mêmes constats :

- l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a révélé dans une étude publiée en mars 2016 que les femmes risquant le plus d'être victimes de violences conjugales étaient les jeunes femmes de moins de 25 ans en situation de handicap ;

- selon une enquête sur les viols condamnés, menée en Seine-Saint-Denis par l'Observatoire départemental des violences envers les femmes et citée par Ernestine Ronai le 6 décembre 2018, 15 % des victimes de viols seraient des femmes handicapées ;

- selon le docteur Muriel Salmona, spécialiste des psycho-traumatismes, entendue en février 2019, les femmes handicapées courent quatre fois plus de risques de subir des violences que les femmes dites valides. Ce risque est six fois plus élevé lorsque leur handicap est mental ;

- la présidente de l'Association francophone de femmes autistes, entendue en février 2019, nous a également fait part de chiffres préoccupants : 90 % des femmes autistes seraient victimes de violences sexuelles. Selon elle, 47 % des filles autistes de moins de 14 ans et 39 % des enfants de moins de 9 ans auraient subi une agression sexuelle.

Quelques statistiques existent également au niveau international, avec les mêmes limites que les données françaises :

- en 2007, un rapport du Parlement européen estimait que près de 80 % des femmes handicapées étaient victimes de violences. On ne sait pas toutefois exactement sur quelles données s'appuie ce chiffre ;

- une étude de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne révélait en 2016 que 34 % des femmes se déclarant concernées par un handicap ou un problème de santé subissaient ou avaient subi la violence physique ou sexuelle d'un compagnon, contre 19 % des femmes dites valides. De même, 61 % de ces femmes auraient été victimes de harcèlement sexuel contre 54 % des femmes dites valides.

Tous ces chiffres confirment une surexposition des femmes handicapées aux violences. Toutefois, les quelques données existantes restent parcellaires et partielles, sans dimension nationale ou vue d'ensemble, et ne sont malheureusement pas régulièrement actualisées. Or, cela constitue un obstacle à la construction d'une véritable politique publique de prévention de ces violences. Le Défenseur des droits, que nous avons entendu lors de la table ronde du 6 décembre 2018, a rappelé l'importance cruciale de la connaissance de ce phénomène pour y apporter une solution et aboutir à des politiques publiques efficaces.

Mes collègues co-rapporteurs et moi-même jugeons donc fondamental de disposer de statistiques précises, globales et régulièrement actualisées sur les violences faites aux femmes en situation de handicap, et ce dans toutes leurs dimensions (physiques, psychologiques, sexuelles, conjugales, économiques). Ces statistiques doivent aussi permettre de mieux connaître les circonstances et la fréquence de ces agressions, ainsi que le profil des victimes et des agresseurs.

Par ailleurs, un point de vigilance a attiré notre attention. De façon paradoxale, les institutions accueillant les personnes en situation de handicap ne présentent pas toujours des garanties de sécurité pour les femmes handicapées. Cette absence de protection porte sur trois aspects.

Premièrement, la contraception des jeunes filles : Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes, nous a alertés sur la contraception des adolescentes en institution, qui représente souvent une condition pour qu'elles puissent y séjourner. Cependant, faute de suivi gynécologique et médical adapté, l'association s'interroge sur le bien-fondé de ces pratiques, qui pourraient être, selon les mots de Marie Rabatel, « une manière d'éviter les grossesses en cas de viol ».

Nous souhaitons donc rappeler que la prescription de traitements anticonceptionnels à des adolescentes et des femmes en situation de handicap ne doit répondre qu'à des préoccupations relatives à la santé, à l'épanouissement et à l'autonomie de ces femmes. Il y a évidemment trop peu de lieux spécialisés pour accueillir les femmes en situation de handicap. De ce point de vue, je veux saluer l'existence d'une consultation de l'Institut Montsouris dédiée aux femmes enceintes handicapées, menée par une sage-femme elle-même en situation de handicap. Nous sommes allés la rencontrer indépendamment de ce rapport.

Mme Annick Billon, présidente. - Je confirme que cette personne est extrêmement investie. Grâce à sa volonté et à sa détermination, elle est parvenue à équiper sa consultation avec du matériel adapté aux femmes en situation de handicap. Elle accompagne ces personnes du début à la fin de leur grossesse, sur le plan médical et psychologique. Il faut saluer cette initiative et souhaiter qu'elle fasse des émules.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - L'absence de protection concerne également les stérilisations imposées à des femmes handicapées dans des institutions françaises : le Sénat avait déjà dénoncé ces pratiques en 2003, dans le cadre d'une commission d'enquête sur le sujet, et les jugeaient alors sous-estimées. Aujourd'hui, les stérilisations sont encadrées par la loi et interdites sur les mineurs ou majeurs handicapés mentaux placés sous tutelle ou sous curatelle, sauf contre-indication médicale. Nous espérons qu'elles ont disparu et qu'aucune adolescente, aucune femme en situation de handicap ne fait l'objet d'une stérilisation dans des conditions contraires à la loi.

Troisièmement, la « culture de la soumission » à laquelle sont soumises les familles des personnes en situation de handicap ayant placé leurs proches dans des établissements spécialisés : les familles sont implicitement dissuadées de révéler d'éventuelles violences par peur que leur enfant soit exclu de l'institution, ou par crainte de faire l'objet d'un signalement auprès de l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Les témoignages rapportés à ce sujet par Marie Rabatel nous ont particulièrement interpellés.

Nous souhaitons également souligner l'importance du signalement, qu'il soit administratif ou judiciaire, en cas de mauvais traitements ou de violences sur une personne dans l'incapacité de se protéger en raison de sa vulnérabilité. À cet égard, il nous paraît utile de rappeler que le secret professionnel ne s'applique pas aux cas des violences commises sur des personnes mineures ou qui ne sont pas en mesure de se protéger en raison de leur âge ou d'une incapacité physique ou psychique. Encore faut-il que tout le monde le sache.

Dans ces situations, le fait de ne pas signaler les coupables et de ne pas mettre en sécurité les victimes devrait au contraire être assimilé à de la non-assistance à personne en danger.

Pour autant, le secret médical suscite des interrogations, puisque les médecins, selon le code de déontologie médicale, ne sont pas soumis à obligation en matière de signalement. Ils ont la possibilité - et non l'obligation - de s'exonérer du secret médical dans de telles situations, selon ce qui est qualifié d'« option de conscience ».

Cette question a fait l'objet d'un débat nourri au cours des travaux de la mission commune d'information sur les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leur métier ou de leurs fonctions, qui a travaillé en 2019 et dont plusieurs d'entre nous étaient membres.

Comme nous l'avons rappelé dans le rapport réalisé avec mes collègues Marie Mercier et Michelle Meunier, rapporteures, publié en mai 2019 en conclusion des travaux de la mission, le secret professionnel ne permet pas aux professionnels de santé de s'exonérer de leurs responsabilités et le signalement, contrairement à ce que certains pensent encore, ne saurait être considéré comme de la délation. Dans le cas des violences faites aux femmes handicapées, ces responsabilités prennent tout leur sens : le signalement de violences peut sauver des vies.

En conséquence, nous préconisons la mise à l'étude de l'introduction, dans le code pénal, d'une obligation de signalement des violences physiques, psychiques ou sexuelles, notamment à l'attention des professionnels de santé2(*).

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, chère collègue. Je laisse désormais la parole à Chantal Deseyne.

Mme Chantal Deseyne, co-rapporteure. - Merci, Madame la Présidente.

Nous avons constaté l'existence d'une double corrélation entre le handicap et les violences faites aux femmes. D'une part, le fait d'être handicapée accroît considérablement le risque d'être victime de violences, notamment sexuelles. Le handicap constitue ainsi pour les femmes une cause de vulnérabilité supplémentaire indéniable.

D'autre part, le handicap peut aussi résulter de violences subies par les femmes. Les personnalités que nous avons auditionnées nous ont alertés sur les cas d'invalidités mentales ou physiques résultant par exemple de viols ou d'agressions sexuelles.

Il est important d'insister sur ce point : les infirmités causées par des violences ne se traduisent pas nécessairement par un handicap physique apparent. Elles peuvent prendre la forme d'un traumatisme psychologique qui peine encore aujourd'hui à être diagnostiqué correctement. En conséquence, les personnes concernées ne sont pas soignées de façon adéquate, avec des conséquences terribles et durables.

Nous proposons donc de mieux documenter le lien de causalité entre les violences subies et le handicap physique ou psychologique. Nous recommandons ainsi, selon les judicieuses propositions d'Ernestine Ronai, que les personnes accueillant les femmes victimes de violences posent de manière systématique des questions permettant d'identifier un lien entre les violences dénoncées et un handicap.

Autre sujet : la vulnérabilité des femmes handicapées est exacerbée par une menace constante. En effet, ces violences peuvent être commises aussi bien au sein de leur domicile, par un conjoint ou par des proches, qu'au sein d'institutions, par des personnels. Pourtant, plusieurs de nos interlocuteurs ont regretté l'inexistence de campagnes de prévention ou d'actions de sensibilisation.

Les données communiquées par Brigitte Bricout, alors présidente de Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), lors de la table ronde du 6 décembre 2018, sont significatives de cette problématique :

- 60 % des violences signalées sur la plateforme d'écoute de FDFA, dédiée aux femmes handicapées, ont lieu au domicile des victimes ;

- 35 % des violences signalées sur cette plateforme ont lieu dans le couple et sont commises par le conjoint ;

- 20 % surviennent dans l'entourage au sens large ;

- 15 % sont imputables aux parents.

De surcroît, les personnes en situation de handicap sont d'autant plus fragiles et vulnérables qu'elles se trouvent bien souvent dans une situation de dépendance économique : elles ont du mal à poursuivre des études, à trouver un emploi et à évoluer dans leur carrière professionnelle. Elles subissent donc encore plus d'inégalités que l'ensemble de la population féminine. La secrétaire d'État auprès du Premier ministre en charge des Personnes handicapées, a insisté sur ce constat au cours de la table ronde du 6 décembre 2018.

Notre rapport identifie ainsi trois facteurs aggravants de la dépendance économique des femmes handicapées. Premier facteur aggravant : les femmes handicapées se heurtent à des obstacles dans le suivi de leur scolarité et leurs études supérieures, victimes de préjugés à la fois sur leur sexe et sur leur handicap. C'est la double peine. Anne-Sarah Kertudo, directrice de l'association Droit Pluriel, a plus particulièrement alerté la délégation sur le taux très élevé de personnes malentendantes ne sachant ni lire ni écrire. Ce point nous a fortement interpellés.

L'une de nos recommandations appelle donc à améliorer l'accès aux études, notamment supérieures, des jeunes filles en situation de handicap, car cela constitue un enjeu important de leur autonomisation.

Deuxième facteur aggravant : la « surdiscrimination » dans l'emploi ne doit pas être sous-estimée car elle a des conséquences sur la capacité des femmes à s'autonomiser et à échapper à leurs éventuels agresseurs. Cet aspect est particulièrement bien documenté dans le rapport du Défenseur des droits sur l'emploi des femmes en situation de handicap.

Le 11e baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi, publié en 2018 par le Défenseur des droits et l'Organisation internationale du travail (OIT), montre ainsi que 34 % de la population active âgée de 18 à 65 ans déclare avoir été confrontée à des discriminations durant les cinq dernières années, contre une proportion de 54 % pour les femmes en situation de handicap, soit plus d'une femme sur deux.

Les préjugés freinent l'insertion professionnelle des femmes handicapées, victimes d'une double exclusion, parce qu'elles sont femmes et parce qu'elles sont handicapées. Il faut savoir que dans un cadre professionnel, un homme handicapé sera considéré comme plus apte à surmonter son handicap qu'une femme handicapée. Dans un premier temps, ces femmes sont soumises à une ségrégation horizontale, puisqu'elles sont davantage que les femmes dites valides susceptibles d'occuper des emplois de niveau inférieur, ou des temps partiels, généralement peu rémunérés, qui les maintiennent dans une situation de précarité. Dans un second temps, elles se heurtent à un plafond de verre accru puisque 1 % seulement des femmes handicapées en emploi sont cadres, contre 10 % chez leurs homologues masculins.

L'une de nos recommandations propose donc que le critère de l'égalité femmes-hommes soit mieux pris en compte dans les politiques visant à favoriser l'emploi et la formation des personnes en situation de handicap. Suivant les préconisations du Défenseur des droits sur le sujet, nous recommandons aussi la mise en place de mesures concrètes pour rendre effectifs les aménagements de poste dans l'emploi et pour développer l'accessibilité des établissements de formation, des entreprises et des administrations au bénéfice des personnes en situation de handicap.

Troisième facteur aggravant : lorsque la seule source de revenu des femmes est l'allocation aux adultes handicapées (AAH), elles demeurent dans une situation de précarité et de dépendance intolérable. En effet, en tant que revenu de solidarité, l'AAH est soumise à des conditions de ressources et intègre les revenus du conjoint dans le barème de versement. Les acteurs entendus par la délégation sont unanimes sur ce point : l'AAH doit évoluer vers une individualisation indépendante des ressources du foyer fiscal, sous peine de rendre la femme totalement dépendante des revenus de son conjoint et de l'exposer davantage au risque des violences conjugales.

Convaincus que l'autonomie économique des femmes handicapées est un prérequis pour leur permettre d'échapper à des situations de violence, nous sommes favorables à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l'AAH. Ce point nous paraît essentiel.

Mme Annick Billon, présidente. - C'est en effet un sujet majeur qu'il faudra sans doute remettre à l'ordre du jour. Merci, chère collègue, pour cet état des lieux exhaustif et préoccupant. Je laisse la parole à Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Merci, Madame la Présidente.

Les personnes auditionnées nous ont rappelé l'importance de considérer les individus handicapés comme des « sujets de droit » et non comme des « objets de soin ».

L'accès aux droits est un aspect clé de la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées. Il tient aussi bien à l'accessibilité des différentes structures d'accueil des femmes victimes de violences qu'à la prise en charge de ces victimes par les forces de police et de justice.

Or, en la matière, d'énormes progrès restent à faire.

Les interlocuteurs de la délégation ont montré que si les démarches pour se rendre au commissariat et porter plainte sont éprouvantes pour les femmes victimes de violences, elles peuvent être insurmontables pour les femmes en situation de handicap. Le manque de formation des professionnels et l'inadaptation des procédures aux formes de handicap de certaines victimes sont des facteurs de blocage encore plus forts pour les femmes handicapées.

La spécificité des violences faites aux femmes handicapées nécessite une formation particulière, qui fait souvent défaut aux forces de sécurité et personnels de la justice. La formation est déjà insuffisante s'agissant des violences faites aux femmes dites valides : vous imaginez les lacunes concernant les personnes handicapées ! Ces difficultés pour porter plainte ont pour conséquence de les maintenir dans des situations de violence.

D'après les informations qui ont été portées à notre connaissance, l'accueil des victimes en situation de handicap par la police demeure très difficile : manque d'empathie, manque d'égards, attitude condescendante, inadaptation des questions ou procédures...

De plus, alors que la crédibilité des victimes est centrale dans la procédure judiciaire, les personnes handicapées sont souvent infantilisées et présumées incapables. Les procédures et personnels n'intègrent pas le fait que les victimes puissent être particulièrement traumatisées. En outre, la manière de poser des questions est généralement inadaptée.

Les constats exposés pour la police valent aussi pour la justice. Le rapport met plus particulièrement l'accent sur les difficultés rencontrées par les personnes sourdes. À cet égard, selon Anne-Sarah Kertudo, directrice de l'association Droit Pluriel, auditionnée le 14 mars 2019, les personnes sourdes ne sont pas familières du monde judiciaire et les professionnels du droit ne comprennent pas la spécificité de leur situation. Le nombre de permanences juridiques en langue des signes étant à ce jour très limité, le public concerné se voit de fait exclu des lieux d'aide aux victimes.

Nous plaidons par conséquent pour le développement d'outils et de procédures permettant aux personnes handicapées d'entamer des démarches judiciaires dans des conditions adaptées. Cet effort doit notamment porter en direction des personnes autistes et des personnes malentendantes, comme nous y ont invités Marie Rabatel et Anna-Sarah Kertudo.

Par ailleurs, l'accès aux droits des personnes en situation de handicap passe aussi par l'accessibilité matérielle des dispositifs destinés aux victimes, qu'il s'agisse des centres d'hébergement, sur lesquels a insisté le Défenseur des droits, ou des lieux de dépôt de plainte. Dans le même temps, cette accessibilité doit être « vivante », pour reprendre les mots d'Anne-Sarah Kertudo.

Nous recommandons en conséquence un renforcement de la formation et de la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire aux problématiques du handicap.

Autre sujet : nous ne pouvons évoquer l'accès aux droits des personnes handicapées sans parler de leur accès à la santé. Or ce dernier demeure encore trop limité. Le Parlement européen, dans ses résolutions des 29 mars 2007 et 29 novembre 2018, a souligné les difficultés liées à l'inadaptation des infrastructures médicales et regretté le manque de suivi gynécologique des femmes handicapées.

En mars 2018, l'Agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France a publié une étude relative aux besoins et à la prise en charge gynécologique et obstétricale des femmes en situation de handicap, montrant que sur 1 000 femmes ayant répondu :

- 58 % seulement ont déclaré avoir un suivi gynécologique régulier ;

- 85,7 % ont déclaré ne jamais avoir fait de mammographie ;

- 26 % ont déclaré n'avoir jamais eu de frottis.

Je vous laisse donc juges !

L'accès aux soins et aux dépistages des maladies féminines est un droit qui ne peut être enlevé aux femmes en situation de handicap. Le rapport attire l'attention sur cette situation.

Nous jugeons donc indispensable que le suivi gynécologique des femmes et des adolescentes en situation de handicap soit régulier, a fortiori dans le cadre d'un traitement contraceptif, qu'elles résident ou non dans des institutions. Dans le même temps, nous appelons à ce que les équipements de dépistage du cancer du sein soient adaptés aux patientes handicapées. À ce sujet, je rappelle que le mois d'octobre est dédié à la lutte contre le cancer du sein, avec l'engagement actif de l'association Le cancer du sein. Parlons-en, qui fête ses 25 ans cette année. Il faudra peut-être l'alerter à l'avenir pour qu'elle dédie un volet de son action aux femmes en situation de handicap.

Nous estimons également que l'information des adolescentes et des femmes handicapées sur la contraception et leur éducation à la sexualité doit s'inscrire dans la prévention des violences, plus particulièrement sexuelles, auxquelles elles sont particulièrement exposées. Cette information doit être étendue à la prévention des maladies sexuellement transmissibles.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, chère collègue. À l'occasion d'Octobre rose, de nombreuses manifestations sont en effet organisées dans nos territoires, qui associent d'ailleurs des personnes en situation de handicap. Vous avez bien fait de rappeler ce point. Je donne la parole à Roland Courteau, qui va clore cette présentation.

M. Roland Courteau, co-rapporteur. - Merci, Madame la Présidente.

La prise en compte des femmes handicapées dans les politiques publiques de lutte contre les violences est récente et incomplète. De la même manière, l'intégration de la question de violences dans les plans relatifs aux handicaps est parcellaire et demeure une dimension marginale de ces outils de politique publique.

Les personnalités que nous avons auditionnées ont attiré notre attention sur la nécessité d'adopter une approche transversale et inclusive des questions relatives au handicap et aux violences en termes de politiques publiques. Il nous paraît important de rappeler que croiser le genre et le handicap devrait être systématique, afin que les femmes en situation de handicap aient toute leur place dans les plans de lutte contre les violences.

On constate que les campagnes de sensibilisation et de communication mettent très rarement en scène des femmes en situation de handicap. Pourtant leur visibilité est nécessaire pour sensibiliser l'opinion publique à la réalité des violences qu'elles subissent.

Néanmoins, nous pouvons observer quelques avancées - qui sont, bien évidemment, perfectibles - dans les deux derniers plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes :

- Le 4e plan, qui couvre la période 2014-2016, prend en compte les femmes handicapées dans les objectifs définis dans le domaine de la formation initiale et continue des agents du service public et des professionnels. Dans le même temps, les clips de sensibilisation ont été adaptés à certaines formes de handicap puisqu'ils sont sous-titrés et traduits en langue des signes.

- Le 5e plan, qui couvre la période 2017-2019, intègre également cette problématique. Le plan met en exergue le facteur aggravant que constitue le handicap dans l'exposition des femmes aux violences. Les femmes handicapées sont ainsi mentionnées parmi les publics les plus fragiles et auprès desquels l'action publique doit être renforcée.

Si nous saluons l'intégration du handicap dans les 4e et 5e plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes, nous recommandons d'amplifier cette dynamique dans les plans à venir et nous appelons plus généralement à ce que l'approche transversale du handicap dans les politiques d'égalité femmes-hommes soit renforcée.

En outre, nous avons noté que la feuille de route issue du Comité interministériel du handicap (25 octobre 2018) « Gardons le cap, changeons le quotidien », fait référence aux violences. Malgré ces avancées, les personnalités que nous avons auditionnées estiment que la prise en compte des violences faites aux femmes dans la politique du handicap reste insuffisante. Dans le même esprit, notre rapport analyse la Stratégie nationale pour l'autisme au sein des troubles du neuro-développement. Même s'il nous paraît que certaines mesures peuvent contribuer à une prévention indirecte des violences sexuelles à l'égard des femmes autistes, nous avons remarqué l'absence de toute mention explicite de la prévention et de la lutte contre ces violences dans le document. Nous recommandons donc que la dimension de l'égalité femmes-hommes soit intégrée de manière systématique dans les politiques du handicap.

Selon nous, les lacunes identifiées ne sont pas sans lien avec deux constats problématiques. Premier constat : comme l'a souligné Ernestine Ronai à de multiples reprises devant notre délégation, il est important de nommer les choses. Or dans le domaine des violences faites aux femmes en situation de handicap, le terme de « maltraitance » est encore trop souvent préféré à celui de « violences ». Pourtant, la tolérance sociale s'avère bien plus grande si l'on parle de maltraitance que de violence.

Deuxième constat : l'absence d'objectifs autonomes de prévention et de lutte contre les violences sexuelles dans le plan Autisme reflète le tabou, voire le déni, qui existe sur la question des violences sexuelles commises contre des mineurs handicapés dans les établissements qui les accueillent. Pour remédier à ce dernier problème, nous proposons de généraliser la consultation du Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) pour le recrutement des professionnels et bénévoles qui interviennent dans les établissements spécialisés accueillant des jeunes en situation de handicap. Nous reprenons ici une proposition de la mission commune d'information sur les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leur métier ou de leurs fonctions.

Au-delà de ces constats, le rapport met également en lumière un enjeu crucial de la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées : la formation et la sensibilisation de tous les professionnels - pas seulement ceux de la chaîne judiciaire, précédemment évoqués par Françoise Laborde -, afin de favoriser la révélation des violences et de garantir une prise en charge adaptée des personnes handicapées victimes de violences.

C'est un impératif bien connu de la délégation. Il est encore plus prégnant dans le cas des femmes en situation de handicap. L'objectif est de lever les freins qui empêchent les victimes de prendre la parole. Pour révéler les violences subies, les femmes doivent pouvoir se tourner vers des professionnels formés. Dans le cas des personnes en situation de handicap, la formation insuffisante des professionnels peut déboucher sur de graves écueils. Muriel Salmona, psychiatre et psycho-traumatologue, entendue le 14 février 2019, nous a notamment alertés sur la méconnaissance des symptômes du psycho-trauma par de nombreux praticiens. Un médecin mal formé pourra passer à côté d'une situation de violences.

Sans surprise, nous estimons donc que le champ des professionnels formés ainsi que le contenu de la formation gagneraient à être élargis et renforcés. Nous proposons que tous les professionnels et bénévoles en contact avec des personnes en situation de handicap, ou susceptibles de l'être, soient formés au repérage des violences. Ce point concerne aussi bien les soignants, les bénévoles de centres d'accueil, les écoutants des plateformes téléphoniques, que les personnels de l'ASE ou des cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP).

S'agissant du contenu des formations, il nous semble nécessaire qu'une sensibilisation et une formation sur le psycho-traumatisme soient systématiquement dispensées aux professionnels intervenant dans le secteur du handicap.

Je vous remercie.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci à nos quatre co-rapporteurs pour cette présentation très exhaustive. Le rapport s'inscrit pleinement dans la continuité de nos travaux sur les violences et reflète parfaitement les informations recueillies au cours des auditions. Il montre bien que le traitement des violences faites aux femmes handicapées est un « angle mort » des politiques publiques et que beaucoup reste à faire.

Je suggère que nous délibérions maintenant sur les recommandations du rapport avant de réfléchir à un titre. Nos rapporteurs les ont déjà présentées de façon assez précise. J'attire votre attention sur la dernière recommandation, malheureusement récurrente, qui porte sur les moyens attribués aux associations, un axe clé de la lutte contre les violences.

Avez-vous des remarques et le cas échéant des amendements au rapport ou à ses conclusions ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Merci à nos quatre co-rapporteurs pour la qualité de ce travail, qui me paraît nécessaire pour faire évoluer les choses dans la bonne direction.

Je ne peux m'empêcher d'observer que nous nous heurtons peu ou prou toujours aux mêmes constats s'agissant des lacunes de la politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes. Nous nous efforçons de faire avancer les choses par des amendements, mais cela n'aboutit pas toujours.

Au-delà des initiatives législatives, je crois qu'il est d'abord fondamental que la société change de regard. Il faut sensibiliser les enfants à l'égalité femmes-hommes, dès le plus jeune âge.

Par ailleurs, je m'interroge sur la recommandation n° 5, qui porte sur l'information des adolescentes et des femmes handicapées sur la contraception et leur éducation à la sexualité, en vue de leur épanouissement. Qu'est-ce qui a motivé cette recommandation ?

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Nous avons pu constater que, trop souvent, la contraception est imposée aux jeunes filles en situation de handicap, notamment dans les établissements spécialisés. On peut donc s'interroger sur les arrière-pensées de cette obligation, et il nous semblait important de rappeler que la prescription de traitements anticonceptionnels à ces jeunes femmes ne devrait être motivée que par des préoccupations relatives à la santé, à l'épanouissement et à l'autonomie des intéressées.

M. Roland Courteau, co-rapporteur. - Pour rebondir sur les propos de Dominique Vérien, les interlocuteurs que nous avons rencontrés pour mener ce rapport ont fait état de cas où la contraception est obligatoirement prescrite pour éviter les grossesses en cas de viol dans une institution...

Mme Michelle Meunier. - La sexualité des personnes handicapées a longtemps fait l'objet d'un tabou et si l'on en parlait, il n'était absolument pas question d'épanouissement et de bonheur...

Je veux à mon tour saluer ce rapport qui me semble très complet et dans lequel je retrouve des échos de celui de la mission d'information commune sur les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leur métier ou de leur fonction, dont j'étais co-rapporteure avec Dominique Vérien et Marie Mercier. Je dois dire que le déni des structures spécialisées sur le risque de violences sexuelles commises contre des mineurs handicapés nous a beaucoup interpellés et je suis heureuse que votre rapport aborde ce sujet.

De plus, je partage pleinement votre constat sur le manque de statistiques disponibles.

Mme Frédérique Puissat. - Je félicite à mon tour les quatre co-rapporteurs pour leur travail très complet. On retrouve de manière amplifiée des lacunes que nous avons déjà identifiées dans de précédents rapports abordant la question des violences faites aux femmes.

Il me semble aussi qu'il y a toujours un peu d'ambivalence dans la façon de considérer les personnes en situation de handicap, ce qu'illustre le débat sur l'AAH : faut-il les intégrer dans le droit commun ou au contraire les traiter différemment, au risque de les marginaliser et de les renvoyer à leur handicap ?

Par ailleurs, je me demandais si nous pourrions nous appuyer sur la discussion de la proposition de loi de notre collègue député Aurélien Pradié visant à agir contre les violences faites aux femmes, pour aborder la question des femmes en situation de handicap. Avez-vous eu des contacts avec son auteur ?

Mme Annick Billon, présidente. - Je précise que j'ai été auditionnée par M. Pradié, dans le cadre de sa proposition de loi. Laure Darcos et Laurence Cohen m'ont accompagnée à cette audition. Globalement, ce texte met l'accent sur le volet pénal, notamment le bracelet électronique. Beaucoup de dispositifs existent aujourd'hui, qu'il s'agisse du Téléphone grave danger ou de l'ordonnance de protection par exemple. En revanche, la proposition de loi n'aborde pas le volet préventif centré sur la formation, l'information et l'accompagnement des victimes. Que donnera la généralisation du recours au bracelet électronique au vu de l'engorgement des tribunaux ? Comment appliquer correctement une telle mesure ? Par ailleurs, je constate que cette proposition de loi arrive de façon opportune, quelques semaines seulement après l'annonce par le Gouvernement du Grenelle sur les violences conjugales... Cette surenchère législative de circonstance me laisse un peu perplexe.

Mme Frédérique Puissat. - D'où l'intérêt, il me semble, de travailler collectivement sur ce texte.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Je partage le constat de notre présidente sur la proposition de loi prochainement discutée à l'Assemblée nationale.

Je rebondis par ailleurs sur ce que disait Marie-Pierre Monier. Cela fait des années que nous travaillons sur ces sujets et que nous formulons des recommandations, sans succès. Ne baissons pas pour autant les bras et continuons à déposer des amendements ! Heureusement, les choses bougent un peu, pas forcément par la loi, mais par ce que j'appellerai « la force des choses ». Par exemple, l'école inclusive permet aux enfants d'avoir un regard sur le handicap, à travers l'intégration de jeunes camarades en situation de handicap dans les classes de l'école maternelle ou élémentaire. C'est très porteur et cela fait évoluer notre société.

Mme Laurence Cohen. - Je remercie à mon tour nos rapporteurs pour leur travail exhaustif. Parmi les sujets abordés, celui sur la sexualité est un réel tabou, même si quelques très jolis films existent sur la question. Il y a aussi de l'amour et du désir chez les personnes en situation de handicap !

J'ai plus particulièrement apprécié la notion de personnes handicapées comme « sujets de droits » que le rapport met en avant. N'ayons pas un regard condescendant sur ces personnes.

J'ai réalisé il y a quelques années, grâce à Maudy Piot et à son association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), que certains hommes pouvaient se mettre en couple avec des femmes en situation de handicap simplement pour exercer leur domination sur elles, dans tous les domaines. Les témoignages entendus à cette occasion m'avaient bouleversée.

Comme Marie-Pierre Monier et Françoise Laborde l'ont souligné, le rôle de l'éducation est fondamental. On ne pourra pas parler d'intégration véritable tant que nous ne réaliserons pas, parallèlement, des avancées dans l'éducation pour favoriser un changement de regard.

Je me réjouis de la convergence qui semble exister sur la question de l'AAH, mais je regrette néanmoins que le consensus qui s'exprime dans nos réunions de délégation ne se retrouve pas toujours au moment des débats dans l'hémicycle et que nos recommandations soient parfois abandonnées en séance publique... Je voudrais rappeler au passage que le groupe communiste a déposé une proposition de loi sur l'AAH, qui a été rejetée par le Sénat en octobre 2018. Je vous invite à lire les arguments qui nous ont alors été opposés. Ce sont deux conceptions radicalement différentes.

S'agissant de la proposition de loi d'Aurélien Pradié, je dois avouer que j'ai été très sensible à l'écoute attentive manifestée par notre collègue député, à qui j'ai parlé en toute franchise de sa démarche. Nous avons pu lui faire part de certains points de vigilance auxquels la délégation est attachée et qu'il semblait partager.

Mme Annick Billon, présidente. - Il est vrai que beaucoup de propositions de loi fleurissent sur de très nombreux sujets. Je pense que nous avons les moyens de porter collectivement des amendements sur les problématiques qui nous tiennent à coeur. Les membres de la délégation pourraient également déposer individuellement des questions écrites, par exemple sur le sujet des statistiques. Je répète à cet égard qu'on ne peut traiter un problème que si on le connaît bien. Cette démarche collective aurait plus de poids et sans doute plus d'efficacité pour obtenir une réponse de la part du Gouvernement sur nos propositions.

Mme Michelle Meunier. - Une démarche collective de ce type est tout à fait envisageable.

M. Roland Courteau, co-rapporteur. - Je souscris volontiers à la proposition de notre présidente.

Mme Annick Billon, présidente. - Pour revenir sur l'AAH, il serait sans doute opportun de déposer des amendements le moment venu, à condition qu'ils soient recevables. Un amendement cosigné par quatre rapporteurs de groupes politiques divers aurait indéniablement plus de poids qu'un dépôt à titre individuel. L'amendement pourrait ensuite être proposé à la cosignature des membres de la délégation. De façon plus générale, il me paraît intéressant de réfléchir aux suites de nos rapports, du point de vue des débouchés possibles en séance.

Mme Frédérique Puissat. - Je souscris au principe d'une telle démarche, mais je souhaiterais disposer de quelques éléments sur les conséquences budgétaires d'une telle disposition avant d'envisager une cosignature. Je suggère par ailleurs de consulter notre collège Philippe Mouiller, spécialiste reconnu de la question du handicap.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Je suis d'accord avec la proposition de notre présidente.

Mme Chantal Deseyne, co-rapporteure. - Je suis tout à fait d'accord pour déposer un amendement, s'il est recevable. Je reste convaincue que l'allocation aux adultes handicapés (AAH) doit être décorrélée des revenues du conjoint, car elle est un vecteur d'autonomie pour les personnes en situation de handicap, qui sont particulièrement vulnérables. Or l'absence d'autonomie financière les rend encore plus fragiles.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Je souscris pleinement aux propos de mes collègues. Même si le montant de l'AAH demeure modeste, c'est un aspect fondamental de l'autonomie des personnes en situation de handicap.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie pour votre participation à ce débat. Le rapport est donc adopté à l'unanimité. Le moment venu, nous pourrions aussi déposer une proposition de résolution sur les violences faites aux femmes handicapées, afin de ne pas limiter notre expression au domaine de la loi.

Il nous reste encore à débattre du titre du rapport. Je vous soumets trois propositions pour lancer la réflexion.

1. - Femmes et handicap : des violences inaudibles/invisibles, une politique publique à dynamiser

2. - Femmes et handicap : combler un « angle mort » des politiques publiques de lutte contre les violences

3. - Violences, femmes et handicap : lever le tabou, mettre fin au déni

Pour ma part, je trouve que la proposition 3 est plus courte et percutante, mais elle présente l'inconvénient de ne pas réellement faire référence au contenu du rapport en termes de politique publique.

Qu'en pensez-vous ?

M. Guillaume Chevrollier. - Je voterais pour la première proposition.

Mme Chantal Deseyne, co-rapporteure. - J'ai une suggestion supplémentaire à vous soumettre : « Femmes et handicap : dénoncer l'invisible ».

Mme Laurence Cohen. - Je suis assez convaincue par la proposition de Chantal Deseyne, mais j'ajouterais volontiers une référence à la politique publique car il y a bien une responsabilité publique sur ces sujets.

Mme Noëlle Rauscent. - Je vote pour la troisième proposition et je profite de cette intervention pour remercier à mon tour les co-rapporteurs.

Mme Michelle Meunier. - Je préfère la proposition de Chantal Deseyne, mais je suggère d'ajouter le mot violences, ce qui donnerait : « Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible ».

M. Roland Courteau, co-rapporteur. - J'ai une préférence pour la troisième proposition, que l'on pourrait combiner avec une partie de la deuxième pour ajouter une référence à la politique publique. Mais cela serait sans doute un peu long.

Mme Annick Billon, présidente. - La proposition de Chantal Deseyne amendée par Michelle Meunier est convaincante ; pourquoi pas, dans le même esprit : « Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible et agir ! » ?

Ce titre semble recueillir l'assentiment général. Je ne vois pas d'opposition.

Le titre du rapport est donc Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible et agir !

Merci pour vos contributions.

Le rapport, ses recommandations et le titre sont donc adoptés à l'unanimité.

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -

Audition de Mme Michaëla Rusnac, Haute fonctionnaire à l'égalité des droits au ministère des outre-mer, chargée du groupe de travail outre-mer constitué en vue du Grenelle des violences conjugales

M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon, Madame la Haute fonctionnaire à l'égalité des droits au ministère des outre-mer, mes chers collègues, je tiens d'emblée à vous remercier toutes et tous pour votre présence. Je remercie tout particulièrement la présidente de la délégation aux droits des femmes, avec laquelle nous avons pris l'habitude de travailler de manière conjointe sur des sujets communs, d'avoir accepté cette audition un peu particulière - je ne sais pas exactement, en effet, qui auditionne qui ce matin : auditionnons-nous Mme Rusnac, ou sommes-nous auditionnés par elle ?

La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes a bien voulu s'associer aux échanges sollicités par le ministère des outre-mer en vue d'un Grenelle spécialement dédié aux outre-mer dont nous avons appris la tenue, tout récemment, à l'occasion d'une séance de questions au Gouvernement organisée à l'Assemblée nationale le 10 septembre dernier.

Nous savons que la délégation aux droits des femmes du Sénat travaille depuis plusieurs années sur ce sujet des violences et qu'elle a produit des études de fond, dont un remarquable rapport en 2018, comprenant un diagnostic précis assorti de nombreuses propositions, y compris pour les outre-mer, intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société. Avec le soutien de nos collègues membres des deux délégations - je pense en particulier à Victoire Jasmin, à Nassimah Dindar, à Viviane Malet et à Guillaume Arnell -, nous avons entamé une collaboration fructueuse entre nos délégations, dont je rappelle qu'elle a donné lieu à plusieurs opérations communes qui ont eu un large écho.

Au cours de l'année 2019, nous avons en effet organisé conjointement, le 20 février, en prélude à la journée internationale des droits des femmes du 8 mars, un grand colloque au Sénat sur le rôle et la place des femmes dans la vie économique et entrepreneuriale des Outre-mer. Cette initiative a mis en lumière l'importance de l'entrepreneuriat féminin dans les territoires ultramarins en tant que levier de développement, de croissance et d'innovation, mais aussi comme source d'émancipation.

Dans le prolongement de l'enquête Violences et rapports de genre (Virage) concernant la métropole, nous avons auditionné ensemble, le 4 juillet 2019, Mmes Stéphanie Condon, responsable scientifique de l'enquête Virage dans les outre-mer (Virage Dom), et Justine Dupuis, chargée d'études à l'Institut national d'études démographiques (INED), sur les résultats pour La Réunion de l'enquête Virage Dom relative aux violences envers les femmes dans les espaces publics, au travail et dans les couples.

À la suite de cette audition très riche au cours de laquelle de nombreux collègues sont intervenus pour dire combien ce problème leur tenait à coeur, nous avons décidé de reprogrammer une audition sur les résultats de l'enquête Virage aux Antilles (Guadeloupe et Martinique) en fin d'année.

Je tiens donc à souligner que les délégations du Sénat n'ont pas attendu l'annonce gouvernementale pour se saisir de cette question qui présente dans nos territoires - il faut l'admettre - des spécificités, ne serait-ce que, par exemple, lorsque sont évoquées des mesures d'éloignement pour un conjoint violent. Comment fait-on, en pratique, sur nos îles ?

Nos auditions nous ont permis, entre autres, de constater que les connaissances dans ce domaine restent lacunaires. Les éléments statistiques manquent pour certains territoires. En outre, les données collectées doivent être replacées dans le contexte de chaque territoire, en tenant compte des niveaux de vie, des différences culturelles, des défis de la modernité dans des sociétés traditionnelles, etc. Elles nous ont aussi permis de comprendre combien il est essentiel d'apporter un suivi et un soutien aux acteurs de proximité qui travaillent auprès de femmes et de familles entières vivant des situations absolument dramatiques.

En conséquence, nous ne pouvons que nous féliciter de la volonté affichée par Mmes Marlène Schiappa et Annick Girardin de faire un focus sur les Outre-mer, même si nous attendons avant tout davantage d'actes et de moyens concrets. Beaucoup de préconisations existent déjà sur le volet ultramarin - je pense par exemple au rapport Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer réalisé au nom du Conseil économique, social et environnemental (CESE) par Mme Ernestine Ronai et M. Dominique Rivière, que nous avions également auditionnés en 2018.

Vous l'avez compris, Madame Michaëla Rusnac, nous sommes heureux de vous accueillir ce matin pour recueillir des précisions sur le futur Grenelle : calendrier, participants, démarche, etc.

Je précise à l'intention de nos collègues que vous avez été nommée Haute fonctionnaire à l'égalité des droits au ministère des outre-mer en 2016. Après une carrière dans le secteur pharmaceutique, vous êtes désormais cheffe du bureau de la cohésion sociale, de la santé et de l'enseignement, chargée de la lutte contre les discriminations, de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences faites aux femmes. Votre mission consiste notamment à « élaborer et à piloter le volet ultramarin des différents plans de santé publique et des stratégies nationales en matière de protection sociale, de cohésion sociale, de jeunesse et de sport ».

Autant dire que nous sommes curieux de connaître le dispositif prévu par le groupe de travail que vous animez en vue du Grenelle.

Avant de vous entendre, Madame Rusnac, je cède la parole à Annick Billon.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Mes chers collègues, c'est avec un immense plaisir que la délégation aux droits des femmes participe ce matin à une nouvelle réunion commune à nos deux délégations. Je remercie le président Michel Magras de nous associer à cette audition sur un sujet qui nous tient évidemment très à coeur.

Depuis 2018, nous avons en effet organisé trois auditions, dont deux en commun avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur les violences faites aux femmes dans les Outre-mer - mon collègue Michel Magras vient de le rappeler.

C'est avec une grande humilité que la délégation s'est emparée de cette question. En effet, nous ne prétendons pas disposer d'une expertise sur tous les territoires ultramarins, tant ils sont divers et dotés chacun d'une identité géographique et culturelle propre.

C'est pourquoi la réflexion commune est nécessaire, pour nous permettre de progresser tous ensemble sur ces graves sujets. J'ai pu mesurer par exemple, cet été, à l'occasion d'un déplacement à la Guadeloupe, à Gosier, à l'initiative de notre collègue Victoire Jasmin, combien les solutions que nous élaborons doivent être adaptées à chaque territoire.

Nous avons la chance de compter parmi les membres de nos deux délégations quatre collègues, dont un homme, particulièrement avertis sur ces problématiques : Guillaume Arnell, Nassimah Dindar, Victoire Jasmin et Viviane Malet. Je les remercie.

Au cours de nos travaux, nous avons pu constater que beaucoup de bonnes pratiques existaient en matière de lutte contre les violences conjugales et contre les violences faites aux femmes en général. Il est important de s'assurer qu'elles soient déclinées dans les Outre-mer. De ce point de vue, nous ne pourrons pas ignorer la question des moyens alloués aux politiques publiques dans ce domaine ; l'éloignement géographique ne saurait en effet justifier une différence de moyens lorsqu'il est question de répondre à des fléaux aussi graves.

Nous avions notamment souligné cet enjeu s'agissant des études statistiques. Mais c'est vrai aussi pour la formation des acteurs de la chaîne judiciaire, l'offre d'hébergement d'urgence, tant pour les femmes victimes que pour les hommes violents, le déploiement du téléphone grave danger (TGD), le recours à l'ordonnance de protection ou au bracelet électronique, pour ne citer que quelques exemples.

Je n'en dis pas plus à ce stade - nous aurons le temps d'y revenir - et je remercie à mon tour Michaëla Rusnac pour sa présence.

Madame, nous attendons votre éclairage sur la méthodologie du groupe de travail dédié aux outre-mer dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, et nous espérons que cette démarche permettra d'enclencher un processus efficace et durable.

On ne saurait se satisfaire que le compteur des féminicides continue de tourner comme il le fait chaque mois. Il est bon, certes, de réfléchir à de nouvelles solutions ; mais donnons-nous déjà les moyens d'appliquer les dispositifs existants !

J'étais présente le 3 septembre dernier au lancement du Grenelle. Ce n'est pas seulement une question de moyens financiers, a-t-on alors entendu ; mais les moyens financiers, s'ils ne sont pas suffisants, sont bel et bien absolument nécessaires, tant les chantiers sont nombreux : formation de la police, référents dans les tribunaux, possibilité de déposer plainte dans les hôpitaux, ouverture de places d'hébergement - sur ce dernier chapitre, l'annonce récente de la création de 1 000 nouvelles places me paraît très modeste à l'échelle de nos territoires, de métropole et d'outre-mer.

Mme Michaëla Rusnac, Haute fonctionnaire à l'égalité des droits au ministère des outre-mer, chargée du groupe de travail outre-mer constitué en vue du Grenelle des violences conjugales. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais d'abord vous présenter ma démarche ; je vous expliquerai ensuite la nature du travail que nous sommes en train de réaliser dans le cadre du Grenelle, avant un temps d'échanges.

Haute fonctionnaire à l'égalité du ministère des outre-mer, je suis en outre chargée, au sein de ce ministère, de la santé, de la cohésion sociale, de l'éducation, du sport et de la culture. Ma démarche - j'en suis tout à fait consciente - est inhabituelle : j'ai moi-même sollicité cette audition, ce qui n'est pas classique. Mais j'avais peu de temps pour élaborer des propositions, et, compte tenu de la gravité de la situation, cette méthode me paraissait justifiée. Je souhaite en effet, grâce à vos témoignages, faire remonter des propositions différentes de celles que nous connaissons déjà.

Les chiffres incitent à une réflexion spécifique dans les outre-mer, compte tenu de la géographie, de certains aspects culturels et d'une précarité qui se manifeste, dans ces territoires, de manière particulière. Je souhaite mener cette réflexion sans stigmatiser, en recherchant des solutions innovantes. Ma volonté est notamment de faire partager les idées portées par les femmes ultramarines, qui sont nombreuses, par exemple, à être entrepreneures, et ont toute leur place dans la société.

Le Grenelle des violences conjugales a été lancé le 3 septembre dernier par la secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations; dix groupes de travail ont été mis en place au niveau national, et j'ai été chargée, il y a dix jours, de piloter le groupe de travail dédié aux outre-mer.

En plus du travail de ces groupes de travail nationaux, une dynamique territoriale a été engagée : des actions sont organisées avec les parties prenantes dans les différents départements, pilotées par les préfets et les directions régionales aux droits des femmes et à l'égalité (DRDFE).

Je cite les thématiques retenues : violences intrafamiliales et impact sur les enfants, accueil au commissariat et en gendarmerie, éducation et prévention, outre-mer, santé, handicap, monde du travail, hébergement, coopération entre les numéros 115 (hébergement d'urgence) et 3919 (violences sexuelles et sexistes), justice, violences psychologiques et emprise.

Le groupe de travail « outre-mer » est composé de représentants des ministères de l'intérieur et des droits des femmes, d'Ernestine Ronai, au titre du CESE, de Stéphanie Condon, de l'INED, de représentants de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), qui réalise des outils à destination des professionnels, d'une sociologue et d'un médecin urgentiste exerçant à Mayotte.

Ce groupe constitutif se réunira à quatre reprises, à raison d'une fois par semaine. Chacune de ses réunions portera sur une thématique différente.

La première réunion a concerné la libération de la parole, la prévention et l'éducation. L'objectif était de recueillir des données, de proposer des solutions et de retenir des expérimentations intéressantes. Le deuxième atelier se tiendra demain et portera sur le parcours des victimes et leur prise en charge. Le troisième concernera la communication, la mobilisation et la sensibilisation dans les outre-mer et le quatrième, les représentations genrées, les stéréotypes et l'environnement socioculturel.

Ces différentes réunions auront lieu d'ici au 16 octobre. Nous organisons également un nombre important d'auditions. À cet égard, nous sommes évidemment ouverts à toute suggestion : n'hésitez pas à nous communiquer le nom de toute association qui pourrait nous faire remonter du terrain des informations intéressantes. C'est aussi pour cela que je viens au-devant de vous aujourd'hui.

Nous devons rendre notre copie pour le 29 octobre.

Nous devons définir des propositions sur le plan institutionnel, indépendamment de l'aspect financier. Il s'agit de collecter des idées innovantes ou de suggérer l'adaptation de dispositifs existants. Je pense par exemple au numéro 3919, qui fonctionne de manière insatisfaisante dans les outre-mer, aussi bien pour des raisons d'horaires, de barrière de la langue que de qualité des réseaux.

Mon rôle est également de veiller à la prise en compte des spécificités ultramarines pour toutes les mesures nationales qui résulteront de ces travaux.

Je vais vous présenter ce qui a émergé de la première réunion, même si ces idées ne sont pas, à ce stade, validées.

Les statistiques émanant des services de police ou de gendarmerie présentent le même niveau de précision pour les outre-mer et la métropole. S'agissant des enquêtes de victimation (Virage Dom), comme celle qu'a réalisée l'Institut national d'études démographiques (INED) pour La Réunion, les données ne sont pas entièrement stabilisées et ne concernent pas les seules violences conjugales. Nous disposerons d'informations en automne pour ce qui concerne la Guadeloupe et la Martinique.

La première réunion a également permis de mettre en évidence un certain nombre de freins et de difficultés et de recenser des bonnes pratiques, de définir des objectifs et de faire des propositions.

Ces propositions - dénuées d'aspect financier, conformément à ce que l'on nous a demandé - sont notamment les suivantes : mieux faire connaître les observatoires des violences, qui existent d'ores et déjà sur la plupart des territoires ; créer des « Maisons des femmes », à l'instar de celle qui existe à Saint-Denis, avec des idées de financement originales ; maintenir les structures telles que les Comités locaux d'aide aux victimes (CLAV), avec une animation territoriale ; valoriser et renforcer le rôle des directions régionales aux droits des femmes et à l'égalité, qui exercent aujourd'hui un travail important de pilotage avec peu de moyens ; renforcer la formation des professionnels de santé, qui sont les premiers interlocuteurs des victimes, susceptibles de permettre la libération de leur parole ; mener une sensibilisation dans les écoles ; intégrer dans la formation des enseignants la sensibilisation aux violences ; identifier des personnes capables d'intervenir dans les médias pour diffuser des messages de sensibilisation ; responsabiliser l'entourage, en lui permettant de porter plainte à la place des victimes.

Des arbitrages politiques sur ces propositions seront rendus par le Gouvernement en vue de la tenue, le 25 novembre, de la conclusion du Grenelle des violences conjugales.

M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - En tant que législateurs, nous sommes habitués à formuler des préconisations. Encore faut-il que les moyens suivent !

Les préconisations que vous avez évoquées sont intéressantes. Nous pouvons tous espérer que certaines aboutiront sur le plan législatif ou réglementaire.

Mme Nassimah Dindar. - Les chiffres des violences conjugales sont connus, grâce à l'enquête Violences et rapports de genre, dite « enquête Virage ». Comme mes collègues pour ce qui concerne leur territoire, je dispose de chiffres précis sur ces violences à La Réunion.

Madame Rusnac, les présidents respectifs des deux délégations pourraient-ils être intégrés à ce groupe de travail ? Ce serait intéressant, car ils entendent la parole des parlementaires ultramarins, qui font eux-mêmes remonter les préconisations des associations sur le terrain. Beaucoup d'entre nous ont exercé des mandats locaux et ont été confrontés à ces difficultés.

J'ai moi-même participé au Grenelle des violences conjugales organisé à la préfecture de La Réunion le même jour que le Grenelle national.

À La Réunion, la parole est d'ores et déjà libérée. Elle l'est au sein de la sororité, des cellules, des villages... Quand une femme ou un enfant est battu, tout le monde le sait ! L'augmentation du nombre de mains courantes montre aussi que la libération de la parole atteint le parcours judiciaire.

Quand j'étais présidente du conseil départemental de La Réunion, j'ai interpellé Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'Emploi, du travail et de la cohésion sociale, pour que La Réunion puisse bénéficier du plan de cohésion sociale. Dans ce cadre, j'ai mis en place, au conseil départemental, un plan contre les violences familiales et conjugales. J'ai organisé la présence de quatre assistants sociaux au sein des gendarmeries depuis 2007. Quand le plan est arrivé à échéance, l'État a décidé que le maintien de ces personnels serait financé à parité, entre l'État et le conseil général. J'ai également mis en place une permanence téléphonique, prise en charge par le département, qui fonctionnait 24 heures sur 24. Avec l'arrêt des financements liés au plan de cohésion sociale, cette permanence a disparu. Or le 3919 ne correspond absolument pas à la demande des ultramarins.

La parole des soeurs circule. J'ai créé il y a six mois un groupe Facebook intitulé « Soeurs du 974 ». En une semaine, 1 800 personnes s'y sont inscrites.

Toutefois, si la parole est libérée, on constate que les plaintes sont souvent retirées. En effet, il existe deux freins en outre-mer aux suites des dépôts de plainte : la précarité financière des familles et l'exiguïté du territoire. Tout le monde est au courant quand une femme porte plainte contre son conjoint. Elle se met à dos le conjoint et sa famille. Or sur une île comme Mayotte, tout le monde est de la même famille ! Si le conjoint violent va en prison, la femme doit trouver un emploi. Elle est obligée de quitter son foyer - parfois son logement social, alors qu'il y a 18 000 demandes de logement social en attente à La Réunion. Les enfants sont contraints de changer d'école.

Le département prend en charge les femmes qui portent plainte durant quatre mois : si elles n'ont pas trouvé d'emploi à l'issue de ce délai, elles sont obligées de revenir à la case départ, avec les risques évidents qu'elles courent dans leur foyer. Faute de moyens, elles ne sont pas accompagnées comme elles le devraient. Ce sont les conjoints violents qui devraient quitter le domicile conjugal et aller dans les centres d'hébergement, pas la femme et les enfants !

Au demeurant, les conjoints organisent leur domination en touchant eux-mêmes les allocations familiales. En attendant de voir leurs droits reconnus par la Caisse d'allocations familiales (CAF), les femmes qui portent plainte doivent solliciter des aides du conseil départemental ou du Centre communal d'action sanitaire et sociale (CCAS) : des démarches longues pour des sommes modiques. C'est la galère ! Certaines sont obligées de se réfugier en métropole.

Je ne nie pas qu'il faille prévoir des mesures de nature institutionnelle, mais il faut tout d'abord changer de braquet. À cet égard, la CAF est un interlocuteur majeur. Nous devons y réfléchir de manière globale, par exemple lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Sans une volonté très ferme, les femmes victimes de violences ne s'en sortiront jamais. Pour elles, c'est la triple peine !

Les choses n'avancent pas. On tourne en rond parce qu'on n'a pas compris la réalité de la circularité dans les territoires ultramarins, où tout le monde connaît tout le monde, et où les femmes ne peuvent pas trouver d'emploi, avec un taux de chômage qui dépasse 40 % chez les moins de trente ans.

Madame Rusnac, associez les présidents de nos deux délégations à votre groupe pour qu'ils puissent porter à votre connaissance ce que nous leur faisons nous-mêmes remonter.

Mme Michaëla Rusnac. - Que peut-on proposer, dans ce cas précis ? Il faut que ce soit le conjoint qui parte - nous soutiendrons cette mesure - mais y aurait-il une autre mesure à mettre en oeuvre ?

Mme Nassimah Dindar. - Il faut en effet que la femme garde le logement, cela lui permet de préserver la stabilité de la famille.

Deuxième mesure : la CAF doit être informée dès qu'une plainte, ou même une main courante, est déposée afin que les allocations familiales soient versées sur le compte bancaire de la femme, car c'est elle qui garde les enfants ; il ne faut pas que ce soit à la femme, déjà traumatisée, de s'en charger.

La police ou l'assistante sociale doivent immédiatement informer eux-mêmes la CAF. Cette mesure ne coûterait rien, mais elle est fondamentale. L'État assume cette dépense pour la nourriture et les vêtements des enfants : il est donc normal que les allocations reviennent à la mère. Or les maris gardent les allocations familiales, on le sait très bien. Dans le contexte de violences, c'est inacceptable.

Aujourd'hui, le transfert prend six à huit mois. Je souligne le fait que ce transfert doit être effectif dès qu'une main courante est déposée, car cela encouragera les femmes à aller plus loin.

Enfin, j'y insiste, il faut impérativement que ce soit le conjoint violent qui sorte du logement, non la femme et les enfants.

M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Une précision de langage, ma chère collègue, parlons-nous de violences conjugales ou intrafamiliales ? Cela concerne majoritairement les femmes, mais cela peut parfois être l'inverse.

Par ailleurs, je ne serai pas aussi pessimiste que vous, les choses vont progresser, il faut trouver les solutions.

Quant à la proposition consistant à intégrer les deux présidents au groupe de travail, je pense que ma collègue présidente de la délégation au droit des femmes sera d'accord avec moi, notre emploi du temps est déjà très chargé. En revanche, un membre de chaque délégation pourrait assurer le relais auprès du groupe du travail outre-mer du Grenelle.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Notre délégation a été conviée au Grenelle sur les violences conjugales, mais celui-ci arrive après une actualité très grave de plusieurs mois. Ce sujet n'est pas nouveau ; notre délégation y travaille depuis de nombreuses années et a fait des propositions importantes. Je conseille donc aux participants du Grenelle des violences conjugales de s'inspirer de notre travail.

N'hésitez donc pas à vous inspirer de nos travaux, Madame Rusnac. Nous avons par exemple publié, rien que l'année dernière, un rapport sur les violences faites aux femmes dans leur spectre large, puis un nouveau rapport à l'occasion de l'examen du projet de loi Schiappa. Nous en avons rédigé un sur le mariage des enfants et les grossesses précoces. Nous sommes donc très engagés sur tous les sujets concernant les violences.

Mme Victoire Jasmin. - Nous venons d'enregistrer le 112e féminicide de l'année ; il concerne une jeune Guadeloupéenne d'une trentaine d'années ; cela s'est passé dans les Yvelines.

Je me réjouis beaucoup de cette réunion. Nous avions sollicité la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, au moment de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, mais nous n'avons pu l'entendre qu'avec la commission des lois. Par ailleurs, je l'ai personnellement interpellée quand elle a fait état de son Tour de France de l'égalité, ce tour de France se limitant en réalité à l'Hexagone.

Nos deux délégations ont souvent travaillé sur les violences, de manière très ouverte, depuis deux ans. Nous avons également travaillé sur la valorisation du travail des femmes et l'entrepreneuriat en outre-mer. Nous avons vu que, dans tous les territoires, des femmes donnent le meilleur d'elles-mêmes et contribuent à valoriser les outre-mer.

Je veux saluer Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, qui a rencontré cet été 130 femmes issues des associations en Guadeloupe ; elle a ainsi pu entendre leurs vécus, qui témoignent des réalités quotidiennes de ce territoire.

Aujourd'hui, nous devons travailler ensemble. Nous en savons davantage sur les violences et leur ampleur, grâce à la libération de la parole, mais celle-ci n'est pas encore complète, car le monde est petit en outre-mer... Je vous invite donc à vous inspirer des travaux de la délégation, Madame Rusnac, mais aussi à prendre en compte les spécificités de chaque territoire.

Autre élément à considérer : l'implication des associations, qui font un travail extraordinaire. Je suis moi-même impliquée dans Force femmes, une association très active en Guadeloupe. Je veux aussi me référer au travail de Femmes Totem et rendre hommage à sa présidente.

Comme le disait notre collègue Nassimah Dindar, il est nécessaire de faire en sorte que ce soient les hommes violents qui soient exclus des logements. Les femmes éprouvent en effet de réelles difficultés à être relogées, et il faut en outre préserver la scolarité et le tissu amical des enfants, qu'un déménagement peut perturber. Or ils ont besoin de stabilité.

Il faudrait également que la secrétaire d'État tienne davantage compte du travail réalisé par nos deux délégations et par les associations.

M. Gérard Poadja. - Je ne comprends pas que l'on en soit encore à faire un débat sur les problèmes que les femmes rencontrent. Des outils juridiques et administratifs existent, mettons-les en application ! Que l'on ait besoin d'un budget pour l'accueil des femmes se trouvant dans cette situation, soit, mais il existe déjà des dispositifs.

En outre, il y a, en Nouvelle-Calédonie, deux statuts - statut coutumier et statut de droit commun -, ce qui complique encore la situation.

L'ensemble des magistrats, des policiers et des gendarmes doivent se préoccuper des victimes de violences et trouver des solutions pour les protéger. Ce fléau existe depuis des années, pourquoi en sommes-nous encore à discuter, autour d'une table ? Quelque part, quelque chose n'a pas fonctionné. Nous pouvons donc faire un bilan, mais dépêchons-nous, car, pendant ce temps, la violence continue et des femmes souffrent. Faisons appliquer les dispositifs qui existent, ce serait déjà un progrès.

M. Maurice Antiste. - J'aurai deux questions.

Premièrement, une question de forme : pourquoi parler de « violences conjugales » et non de « violences faites aux femmes », expression que je préfère ? En effet, le mot « conjugal » n'englobe pas forcément toutes les situations de violences faites aux femmes. Je vous recommande l'association Union femmes Martinique, qui est très active sur la question.

Deuxièmement, pouvez-vous nous éclairer sur ce qui a amené à créer un groupe de travail spécifique relatif aux outre-mer dans le cadre de ce Grenelle ? Pourquoi cette attention particulière ? Cela m'interpelle.

M. Guillaume Arnell. - Nous le savons bien, les violences intrafamiliales et conjugales connaissent une recrudescence dans tous les territoires ultramarins. Madame Rusnac, je souhaite que vous nous expliquiez précisément comment ce Grenelle sera décliné en outre-mer, car ces actions sont trop souvent concentrées sur l'Hexagone. Vous avez dit que cela se fera sous l'égide des préfets. Sous quelle forme ? Où en est-on localement aujourd'hui ?

En outre, lors d'une réunion avec la délégation au droit des femmes, nous avons évoqué la question de la place réservée aux hommes dans ce processus. Il ne s'agit pas seulement des hommes victimes de violences, qui sont très minoritaires, mais de la place accordée aux témoignages masculins dans la prise en compte dans la lutte contre les violences faites aux femmes, laquelle, si l'on n'y inclut pas les hommes, sera plus longue et ardue.

Mme Jocelyne Guidez. - Je voudrais évoquer l'environnement. Les territoires dont nous parlons sont petits, les gens se connaissent tous, il est donc particulièrement inapproprié que la femme quitte le domicile. Au contraire, il semble normal de l'y laisser, avec ses enfants, et que ce soit l'homme qui parte.

Notre collègue Dominique Théophile évoquait avant cette réunion le fait que certains jeunes préféraient partir en prison pour « être tranquilles ». Il règne dans ces territoires des problèmes de travail, de drogue et d'alcool qui ont des effets considérables. Tant que ces problèmes ne sont pas gérés, la violence ne pourra pas être traitée.

En outre, je comprends les réserves de notre collègue Maurice Antiste : l'expression « violences conjugales » exclut la problématique des jeunes qui battent, par exemple, leur père ou leur mère, parce qu'ils sont eux-mêmes dans un état désolant et qu'ils ne savent plus ce qu'ils font.

Il ne s'agit pas seulement d'un problème conjugal, et si l'on s'en tient à cela sans aborder les questions sociales, on risque de tourner en rond.

M. Roland Courteau. - La délégation aux droits des femmes du Sénat a été à l'origine de nombreux rapports, Mme Rusnac y trouvera un véritable gisement de propositions.

Nous avons voté les lois de 2006, de 2010 et de 2014, nous en sommes au 5e plan de lutte contre les violences faites aux femmes, au point que les magistrats que nous avons auditionnés en 2016, dans le cadre d'un travail sur le suivi de l'application des lois en matière de lutte contre les violences au sein des couples, nous ont demandé une pause législative. Il faut du temps pour assimiler ces lois nouvelles. Avant 2006, il n'existait pas de texte légal spécifique en matière de violences conjugales, le sujet était tabou, on parlait seulement de « scènes de ménage » !

Reste à savoir comment ces lois sont appliquées en métropole et en outre-mer. Les associations ont-elles les moyens d'accompagner leur mise en oeuvre ? Elles constituent le « bras armé » de l'État en la matière, ne l'oublions pas ; si l'on rechignait à augmenter leurs subventions et qu'elles devaient renoncer à leurs missions, l'État serait bien embarrassé car la politique publique de lutte contre les violences repose sur les associations.

La formation des magistrats, des soignants, des policiers est-elle suffisante ? J'en doute. Voyez ce qu'il en est du traitement des femmes handicapées : notre délégation, travaillant sur les violences faites aux femmes handicapées, a appris que des policiers avaient contraint des femmes malentendantes à mimer le viol dont elles avaient été victimes !

En matière de violence conjugale, la loi prévoit l'éviction de l'auteur des faits du domicile. Cette règle est-elle appliquée ? Je ne sais pas ce qu'il en est en outre-mer, mais en métropole, les magistrats hésitent à le faire, parce qu'ils ne savent pas où l'homme va être hébergé et que cela induira un coût. On retrouve le problème éternel et crucial des moyens financiers.

À mon sens, la prévention des violences conjugales passe par la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes, lesquelles trouvent leur origine dans les stéréotypes sexistes qui imprègnent notre société. Il serait possible d'éradiquer les violences conjugales en dix ou quinze ans si l'on sensibilisait les enfants aux stéréotypes sexistes et aux inégalités. Et cela vaut aussi pour les gendarmes, les policiers et les parlementaires ! La loi prévoit des séances d'information dans tous les établissements scolaires sur ces sujets. J'interviens moi-même dans ce cadre depuis des années. Si l'on veut éradiquer ce fléau, il faut commencer dès le plus jeune âge !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Cette réunion a été passionnante. Je suis d'accord, il s'agit de violences intrafamiliales, et parler de violences conjugales est peut-être réducteur car il faut tenir compte des enfants qui ne savent pas se défendre. On les oublie trop souvent. J'avais d'ailleurs demandé, en vain, la création au Sénat d'une délégation aux droits des enfants.

Je voudrais en outre évoquer le problème des Français à l'étranger. En France, on demande la présence d'assistantes sociales dans les commissariats, mais à l'étranger, celles-ci disparaissent même des consulats. Les Françaises à l'étranger victimes de violences ne sont pas accompagnées comme il le faudrait.

Mme Michaëla Rusnac. - Je vous propose de répondre par écrit aux questions qui m'ont été posées et que nos horaires contraints ne nous ont pas permis d'aborder. N'hésitez pas à me faire parvenir, par l'intermédiaire de vos présidents, le nom des associations que vous souhaitez que nous rencontrions.

S'agissant de Femmes Totem, nous travaillons en effet avec Mme Chantal Clem, qui sera auditionnée.

M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je vous remercie, Madame Rusnac, Madame la présidente Annick Billon et mes collègues pour ces échanges très denses que je crois très utiles à ce stade des consultations du groupe de travail aux outre-mer en vue du prochain Grenelle.


* 1 Association francophone de femmes autistes le 14 février 2019 et Droit Pluriel le 14 mars 2019.

* 2 Cette recommandation reprend l'une des préconisations de la mission d'information précitée.