Mercredi 3 juillet 2019

- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -

Audition de MM. Raymond Vall, sénateur du Gers, président de l'Association nationale des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et des pays, Michael Restier, directeur, et Mme Julie Frère, directrice du Pays de Bray

La réunion est ouverte à 16 heures

Mme Laurence Harribey, présidente. - Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de notre collègue Raymond Vall, en sa qualité de président de l'Association nationale des pôles territoriaux et des pays (ANPP). M. Vall est accompagné de M. Michael Restier, directeur de l'association, et de Mme Julie Frère, directrice du pays de Bray.

L'ANPP a pour objet de susciter des initiatives et de regrouper des moyens en faveur des pays par un échange permanent d'informations et d'expériences entre les représentants des collectivités territoriales et de leurs regroupements, des entreprises et associations susceptibles de répondre à leurs besoins.

Créée en 1997, l'ANPP a pour objectif d'appuyer l'expression nationale des pays, à partir de la remontée des problèmes et pratiques du terrain. Elle cherche également à stimuler une mutualisation entre les pays et des transferts de savoir-faire à travers une mise en réseau et la mise en valeur des actions conduites à l'échelle des pays.

Notre mission d'information a pour objet de dresser un bilan de l'utilisation des fonds européens en France, dans un contexte marqué par le transfert aux régions de la gestion de ces fonds qui contribuent directement au développement de nos territoires.

Vous avez souhaité être entendu par notre mission d'information et nous sommes très intéressés par votre témoignage. Quelles sont vos difficultés à avoir accès aux fonds européens ? Du point de vue de l'ANPP, quelle appréciation portez-vous sur le transfert aux régions de la gestion de ces fonds ? Ce transfert a-t-il eu des conséquences sur les pays et les projets de territoire ? Estimez-vous qu'il s'est accompagné des moyens nécessaires, notamment en ressources humaines ? Comment pourrait-on, selon vous, améliorer la gestion des fonds européens ? Voici quelques-unes des questions qui intéressent notre mission d'information.

Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Colette Mélot, à vous poser des questions.

Cette audition est ouverte au public et à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

M. Raymond Vall, président de l'Association nationale des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et des pays. - Mon propos introductif sera bref car je préfère laisser la parole à Mme Frère et M. Restier, qui sont directement en prise avec le terrain.

Sur les 340 groupes d'action locale (GAL) portant des fonds LEADER, 70 % d'entre eux sont portés par des pays ou des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR). Notre association réunit environ 260 territoires. Nous sommes des incubateurs, des creusets de l'évolution de l'intercommunalité sur les territoires ruraux et périurbains. Nous avons la volonté de porter des contrats de coopération, tels que les contrats de ruralité, ainsi que toutes les actions intercommunales visant à favoriser la mutualisation. Aussi, nous ne nous considérons pas comme une « couche supplémentaire » d'un mille-feuille administratif, mais comme un espace de solidarité et de mutualisation.

Personnellement, mon appréciation de la situation actuelle de la gestion des fonds européens n'est pas très positive. Si je m'en tiens au seul programme LEADER, nous sortons d'une période catastrophique et décourageante. Elle se clôt en outre dans l'inquiétude car nous ne connaissons pas le devenir de ce fonds dans la prochaine programmation.

Les PETR et les pays sont un espace de démocratie participative, dans les GAL, mais aussi dans les conseils de développement. Les forces vives des territoires y participent pour porter un projet. Nous souhaitons les aider à les réaliser. Or, actuellement, nous rencontrons des difficultés pour le faire car le programme LEADER, que nous pratiquons désormais depuis plusieurs générations et sur lequel nous avons l'habitude de pouvoir compter, connaît des retards de deux à trois ans. Je vous laisse imaginer les conséquences sur les projets et le financement des structures qui les portent ou les aident. Ces dernières prennent parfois des risques financiers importants, à la limite de leur survie. Enfin, je n'imagine pas que LEADER soit diminué ou supprimé dans la prochaine programmation. Si tel est le cas, je vous prédis une révolte des territoires ruraux...

Mme Julie Frère, directrice du Pays de Bray. - Le PETR du pays de Bray est situé en Seine-Maritime, au-dessus de Rouen. Nous regroupons trois communautés de communes et travaillons pour 115 communes regroupant 66 000 habitants. Le PETR porte depuis maintenant trois générations, soit depuis 2000, le programme LEADER. Aussi, nous commençons à avoir une expérience approfondie de ce dernier. Parallèlement, nous nous sommes également positionnés en tant qu'animateur d'une zone Natura 2000. Nous gérons à ce titre des crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) depuis 2011. Enfin, depuis 2015, nous sommes volontaires pour porter un projet agroenvironnemental et climatique qui nous conduit à gérer des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC). Nous avons donc une bonne vision de la gestion du FEADER à l'échelle de la région Normandie. En revanche, je ne pourrai pas vous donner des informations concernant le Fonds social européen (FSE) ni le Fonds européen de développement régional (FEDER), avec lesquels nous ne travaillons pas.

Nous n'arrivons pas encore à percevoir si le dysfonctionnement que nous subissons actuellement résulte du transfert aux régions de l'autorité de gestion des fonds européens, ou s'il est plus général. Nous sommes en effet conscients que les crédits LEADER et FEADER ne sont ni simples ni faciles d'accès.

Toutefois, nous avons constaté, pour la région Normandie, une adoption des programmes de développement rural (PDR) avec un an et demi de retard. Cette région a entamé sa programmation à partir de janvier 2018, soit avec quatre ans de retard. Nous avons constaté une non-anticipation de cette nouvelle compétence de gestion, ainsi qu'un transfert quasi-inexistant des agents compétents des services de l'État vers les nouvelles autorités de gestion. Nous avons dès lors été confrontés, en début de programmation, à un problème d'ingénierie dédiée et qualifiée.

La fusion des régions en cours de programmation a créé une véritable cacophonie. Les régions se sont concentrées sur la nécessaire réorganisation interne de leurs administrations, au détriment d'un certain pragmatisme dans la gestion des fonds européens. En outre, nous avons été confrontés à une défaillance importante du logiciel OSIRIS qui gère le programme LEADER et les MAEC. Cet outil de gestion n'étant pas opérationnel, nous avons été livrés progressivement, mesure par mesure. Par exemple, l'outil dédié à la coopération LEADER, qui est une mesure obligatoire de ce programme, n'a été livré à la région Normandie qu'au moins de janvier 2019. Avant cette date, nous étions incapables de développer un projet de coopération. Aujourd'hui encore, le cadre réglementaire est très mouvant. Or, toutes ces difficultés sont très difficiles à expliquer sur le terrain. Ainsi, en raison de ce cadre encore instable, les agriculteurs « essuient les plâtres » pour les MAEC.

Les retards d'instruction, de programmation et de paiement pour les projets LEADER et les MAEC sont très importants, entre deux et trois ans. Or, de tels délais ne sont pas tenables pour les structures qui gèrent les programmes et les financent. Au mois de juillet de l'année dernière, j'avais en attente pour ma structure 500 000 euros de subventions au titre des exercices précédents. Je n'avais plus de trésorerie disponible pour payer les salaires de mes agents et j'ai dû ouvrir une nouvelle ligne de trésorerie dans l'attente des fonds européens. Si les collectivités peuvent, dans une certaine mesure, faire face à ce retard de trésorerie, ce problème est particulièrement critique pour les agriculteurs et les associations.

Certes, on constate depuis un an une amélioration dans l'instruction et le paiement, mais celle-ci n'est pas suffisante pour rattraper le retard accumulé. Aussi sommes-nous très inquiets pour la fin de la programmation. La Normandie a mis en place des « dialogues de gestion ». Elle souhaite nous imposer des objectifs de programmation et de paiement, en raison du risque de dégagement d'office, mais nous les jugeons intenables. Si la région arrive à introduire ces objectifs auprès des GAL, le programme LEADER, en Haute-Normandie, aura été programmé en un an et demi, alors que la durée normale du programme est de sept ans.

M. Michael Restier, directeur de l'Association nationale des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et des pays. - Nous sommes réalistes. Nous savons qu'en tant que tel, le recours aux fonds européens est complexe. Mais le contexte actuel de la fusion des régions et la refonte de la carte intercommunale ont entraîné des retards importants dans l'utilisation des fonds européens. Tout n'est pas imputable à l'Union européenne. Chacune des autorités de gestion - et la France a la particularité d'en compter 54 - est en partie responsable. Je soulignerai simplement que d'autres États membres ont fait le choix d'une autorité de gestion unique.

L'utilisation des fonds européens se déroule en trois phases : la phase d'instruction, la phase de certification et la phase de paiement. Sur cette dernière phase, nous sommes plutôt en retard. Au 28 juin dernier, un peu plus de 50 % des fonds européens étaient engagés, ce qui nous place légèrement en-deçà de la moyenne européenne. En revanche, le paiement n'est que de 28 %. Là réside le problème qui a engendré une fragilisation du tissu associatif et du tissu entrepreneurial. À l'occasion des élections européennes, on aurait pu réfléchir au moyen d'y faire face... Toutefois, je ne jette pas la pierre aux régions ni à l'État ; de manière générale, nous nous félicitons de l'existence des fonds européens, sans lesquels les territoires ruraux n'auraient pas d'accompagnement des leurs petits projets. Nous entendons, dans certaines régions, une critique liée au coût d'instruction de ces petits projets. Or, la nature même du programme LEADER est l'émergence de tels projets. Les projets plus importants en termes de volume financier et structurants relèvent du FEDER.

M. Raymond Vall. - Il y a une dizaine d'années, je m'étais insurgé contre la disparition des fonds dédiés à la coopération décentralisée. L'Europe se fera aussi par la coopération entre territoires. Aussi me semblerait-il intéressant, dans le cadre de cette mission, que vous ayez accès aux crédits non consommés du volet « coopération ». C'est un véritable scandale ! Certains fonds sont aujourd'hui inaccessibles sur les territoires. C'est seulement en juin 2019 que nous avons pu commencer à reparler des fonds à destination des coopérations.

M. Michael Restier. - Je profite de cette audition pour remercier publiquement tous les animateurs du programme LEADER, qui, contre vents et marées, se battent pour ce programme, pour promouvoir une vision et une image de l'Europe, auxquelles ils croient. Malheureusement, on a pu constater sur le terrain la règle des trois D : démobilisation, dépression et démission. Le turnover sur le programme LEADER a été très important. Ces agents passent énormément de temps au quotidien à expliquer aux agriculteurs et aux petits porteurs de projets les dysfonctionnements des institutions françaises chargées de la gestion des fonds européens et les raisons pour lesquelles ils n'ont toujours pas été payés trois ans après le dépôt des dossiers.

M. Raymond Vall. - Pour avoir travaillé avec l'Espagne, je peux témoigner que la gestion des fonds européens y est plus simple. Vous portez votre projet et la région est votre seul interlocuteur du début à la fin de celui-ci. Compte tenu des transferts de compétences aux régions, il serait bon de s'en inspirer afin de simplifier les démarches sur le terrain. L'État a eu pour mission de créer la Nation ; ce sont les projets de territoires qui construiront l'avenir de cette Nation.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Mon groupe politique a souhaité la création de cette mission d'information car il sentait monter des territoires des inquiétudes et des difficultés que vous pointez également.

Nous sommes actuellement entre deux programmations. Selon les informations qui nous ont été transmises au cours des auditions, la programmation actuelle pourrait se prolonger jusqu'en 2023 ou 2024.

Nous avons décidé de parler de sous-consommation chronique car nous n'avons pas le sentiment d'une véritable amélioration dans le temps. Or, au fil des auditions, nous avons eu l'impression qu'il n'y avait pas en France de sous-utilisation ou, en tout cas, que celle-ci ne serait pas plus importante que dans les autres États membres. Toutefois, doit encore être démontrée la réalité d'une amélioration tant pour l'instruction que pour le paiement. Or, vous avez dressé un tableau dramatique, notamment pour LEADER. Nous sommes conscients des problèmes rencontrés par ce dernier. Nous savons que la situation est quelque peu meilleure pour le FEDER ou le FSE.

Avez-vous l'impression que le transfert de la gestion des fonds européens aux régions contribue à améliorer l'existant ?

Nous avons également l'impression que l'une des difficultés vient de la réglementation française. D'ailleurs, vous avez-vous-même indiqué qu'en Espagne, ce serait plus simple. Vous avez également évoqué la problématique des logiciels ou la fusion des régions.

M. Raymond Vall. - Pour les territoires organisés en PETR, les crédits LEADER représentent des enveloppes modestes, deux à trois millions d'euros consommables sur six ans. Mais, en contrepartie, ils doivent être en théorie facilement accessibles.

Vous indiquez que la sous-consommation n'est pas démontrée. Je n'en suis pas si sûr. Il faut s'interroger sur l'accessibilité des fonds. Pour certains territoires, présenter des dossiers pour INTERREG ou le FEDER est insurmontable. Les territoires à faible capacité d'ingénierie ont le sentiment d'être pénalisés. J'aimerais que vous ayez accès à l'argent rendu par l'État depuis dix ans. Ici même, Michel Mercier, alors ministre de l'aménagement du territoire, avait dénoncé les renvois de fonds, en particulier en matière de coopération.

Nous constatons un transfert dans l'utilisation des fonds : ce sont toujours les mêmes structures qui ont les moyens de présenter les dossiers répondant aux délais et critères exigeants et qui, par conséquent, bénéficient de ces fonds. Les autres ne récupèrent que des miettes du programme LEADER. Mes propos ne sont pas péjoratifs, mais traduisent une réalité.

Nous avons subi la carte des nouvelles régions. D'ailleurs, je ne l'avais pas votée car elle a été dessinée dans des conditions très difficiles. Cette fusion a représenté un choc des cultures. Ainsi, en Occitanie, la région Midi-Pyrénées était parfaitement rodée à l'utilisation des crédits LEADER et FSE, tandis qu'en Languedoc-Roussillon, tout se décidait à l'échelon du département ou de la région. Les territoires souffrent de l'absence d'harmonisation au sein d'une même région. Il a fallu trois ans à la suite de cette fusion pour que les régions s'ouvrent à nouveau aux citoyens. Certes, au niveau européen, ces regroupements étaient nécessaires car nos régions étaient des « naines » dépourvues d'autonomie fiscale par rapport aux autres régions européennes. Il y a sept ans, le montant du budget de la Catalogne représentait le budget de l'ensemble des régions françaises. Aujourd'hui, les régions doivent se saisir complétement des fonds européens et s'attacher à ce qu'ils soient répartis avec un souci d'égalité entre les territoires.

M. Philippe Mouiller. - J'ai interpellé les présidents de deux régions sur la situation du programme LEADER. Ils m'ont tous les deux indiqué avoir pris des mesures afin d'améliorer la situation. Or, celles-ci ne sont pas les mêmes selon les deux régions. De manière générale, les mesures prises par les régions sont-elles similaires ?

Par ailleurs, j'ai été membre d'un GAL et j'ai constaté que l'administration avait tendance à confondre « avis » et « conformité ». Ainsi, sous le couvert du contrôle de légalité, le sous-préfet se donnait une compétence de censeur qu'il ne possédait pas.

M. Michael Restier. - Il existe des différences importantes selon les régions. Ainsi la Nouvelle-Aquitaine a-t-elle mis en place des lignes de trésorerie afin d'accompagner les territoires.

Même si les régions ont fusionné, les programmes restent ceux des anciennes régions. Je vous laisse imaginer la complexité des réunions des GAL organisées par la région... Il faudrait presque des réunions distinctes en fonction des programmes applicables.

Les régions Bretagne, Centre et Grand-Est ont pris de nombreuses mesures pour aider les territoires face aux délais rencontrés.

Lors des États généraux des pôles territoriaux et des pays, qui se sont déroulés fin 2018 à Nancy, nous avons constaté une large mobilisation. La question du report va se poser. Il faut tout d'abord que nos partenaires l'acceptent. En outre, ce report ne doit pas être trop long - un an et demi maximum - car une autre programmation arrive ensuite. Il ne faut donc pas décaler au fur et à mesure les programmations. Lors de la dernière programmation, 1,2 milliard d'euros ont été rendus sur le FEADER. Pour cette génération, ce fonds alloue à notre pays 11,4 milliards d'euros, dont 700 millions pour LEADER. Il serait judicieux de ne pas renouveler la mauvaise expérience passée. Les régions se sont saisies de ce sujet. Comme vous l'a indiqué ma collègue, la région Normandie s'est fortement impliquée pour la partie engagement. Mais il manque encore un engagement similaire pour les paiements.

M. Raymond Vall. - Sur le terrain, les territoires ont l'impression que l'État cherche à leur mettre des bâtons dans les roues ou émet le postulat selon lequel les collaborateurs des collectivités territoriales auraient pour projet de détourner l'argent européen. C'est un sentiment très désagréable pour nos agents.

J'ai également beaucoup d'attentes vis-à-vis de la future Agence nationale de la cohésion des territoires. Elle doit accompagner les projets de territoire, en lien avec les préfets de région, préfets et sous-préfets. En outre, l'État va-t-il enfin transférer totalement la gestion des fonds aux régions ? Cela faciliterait l'aménagement du territoire ou le développement économique. En bref, j'espère que la future Agence va simplifier le travail des régions, notamment en veillant à une meilleure articulation avec l'État.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Quelles sont vos préconisations ?

M. Raymond Vall. - Il est désormais nécessaire d'aller au bout de la démarche de transfert, maintenant que la région détient l'essentiel des compétences. Le temps passé par l'État au contrôle doit désormais être utilisé pour apporter une ingénierie et favoriser l'émergence de projets. Une fois que ces projets auront émergé, la région pourra les accompagner, notamment au moyen des fonds européens.

M. Michael Restier. - Cette programmation a transféré aux régions la responsabilité financière des fonds européens. Ainsi, l'Europe édicte des normes, mais l'État et les régions également. Chacun cherche à se couvrir, d'où la création de normes supplémentaires.

Par ailleurs, il faut une concordance des périmètres. Aussi l'Agence de services et de paiement (ASP) devrait-elle être régionalisée.

J'espère que la prochaine programmation refera confiance aux territoires, qui ont porté contre vents et marées les fonds européens. L'État et les régions doivent nous faire confiance et comprendre que nous ne sommes pas là pour abuser de ces fonds. Enfin, un accompagnement fin des petits porteurs de projets est nécessaire, avec des enveloppes à la hauteur de leurs projets.

M. Daniel Laurent. - Nous ne devons pas oublier dans nos réflexions les agriculteurs confrontés à des difficultés importantes en raison de retards de paiement - deux ans dans le meilleur des cas.

Mme Julie Frère. - Nous portons un projet agroenvironnemental et climatique, ainsi qu'un projet de préservation de l'environnement. Cela représente 4,4 millions d'euros pour 115 communes depuis 2015. Ces montants sont colossaux. À titre d'exemple, pour cette MAEC, le cadre réglementaire est encore mouvant, ce qui est insupportable. Les services de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) instruisent en ce moment les dossiers au titre de 2017. Je ne parle même pas du paiement ! Or, depuis 2017, les règles ont changé. En 2015, notre technicien agricole a contractualisé et tenu des engagements envers le monde agricole. Les dossiers restent en attente à la DDTM, sans y être instruits. Lorsque, enfin, on procède à leur instruction deux ans plus tard, les règles ont changé et s'appliquent de manière rétroactive. Par exemple, un plafonnement a été mis en place. L'agriculteur escomptait 18 000 euros, mais, en raison de ce plafonnement, il ne pourra recevoir au maximum que 12 000 euros. L'agriculteur doit donc rembourser les 6 000 euros d'avances.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Qui a mis en place ces règles ?

Mme Julie Frère. - Ce sont les services de l'État et la région. Les règles changent, et la convention n'a pas été éditée. Au final, trois agriculteurs ont déposé un recours au tribunal administratif contre la région.

M. Raymond Vall. - Dans ces conditions, le retard accumulé est catastrophique car les règles changent, et les gens qui ont de bonne foi bénéficié d'avances doivent en rembourser une partie. Aucune entreprise ne peut supporter un délai de trois ans pour être payée. Des banques locales ont fait des avances de trésorerie à des syndicats ou des associations fragiles. Sans cela 10 % à 20 % des structures locales, comme des PETR ou des syndicats, auraient déposé le bilan. Cette situation est ridicule car elles ne sont nullement responsables de ce retard.

La nouvelle architecture annoncée par la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires doit permettre d'apporter une ingénierie aux territoires qui n'en ont pas. Il est en outre indispensable de sortir du non-dialogue existant entre l'État et les régions, qui a des effets catastrophiques sur les territoires.

M. Daniel Laurent. - J'ai l'impression que l'État, qui n'est pas riche, bloque ces fonds pour pouvoir les utiliser autrement, et que les régions font de même - tout cela au détriment des porteurs de projets. On constate une complexification des normes, des dossiers. Ce n'est plus possible. L'administration et les régions devraient être facilitatrices. Il est urgent de nous réformer.

M. Raymond Vall. - La fusion des régions a conduit à un important regroupement de personnels. Il faut réorienter ces effectifs sur les nouvelles compétences qui doivent être clarifiées, et optimiser la gestion des fonds européens. Aujourd'hui, les dossiers INTERREG entre la France et l'Espagne ne sont jamais instruits dans notre pays.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Je comprends bien cet univers kafkaïen. Certains collègues appellent à aller au bout de la démarche et à transférer intégralement la gestion des fonds européens aux régions. D'autres, peut-être en se faisant l'avocat du diable, s'interrogent sur l'opportunité d'une recentralisation de cette compétence.

M. Raymond Vall. - Je vais vous donner un exemple concret : les territoires d'industrie. Ce programme a été mis en place par l'État pour soutenir localement nos industries. L'État a cadré l'appel à candidature. Mais il a ensuite confié à la région la gestion des dossiers. On ne peut pas vouloir définir une nouvelle politique d'aménagement du territoire en affirmant s'appuyer sur les territoires et encourager l'émergence de projets en provenance de ces derniers et, en même temps, dès qu'un projet émerge, s'arroger un droit de regard et se demander s'il est pertinent. En outre, aujourd'hui, l'État n'est même pas le principal cofinanceur. Laissons à ceux qui accompagnent ces projets, avec un taux élevé de cofinancement, le soin de pouvoir exercer leurs compétences.

M. Daniel Laurent. - On ne gère bien que de près. Il faut que la décentralisation soit effective et concrète.

M. Philippe Mouiller. - Je partage cette analyse. Par ailleurs, je m'interroge sur le rôle des pays et des PETR en matière d'accompagnement des porteurs de projets. J'ai parfois des problèmes dans l'information même de ces derniers. Au-delà du seul programme LEADER, les porteurs de projets sont perdus car ils n'ont pas accès à l'information, ce qui constitue un premier obstacle, avant même d'entendre parler de la complexité des dossiers.

M. Michael Restier. - Il est possible que, sur quelques rares territoires, l'information délivrée soit un peu moins fluide. Toutefois, nous constatons, de la part de nos membres, un accompagnement très pointu en raison de la détresse dans laquelle se trouvent les porteurs de projets. Le facteur humain joue lorsqu'une petite entreprise ou une association du territoire se retrouve à bout de souffle. Certains de nos gestionnaires et animateurs LEADER sont parfois allés jusqu'à accompagner ces structures dans leurs demandes de prêts, ce qui va au-delà de leurs compétences habituelles.

M. Raymond Vall. - Que reste-t-il de la contractualisation aujourd'hui ? Principalement, seulement les contrats de plan. La région doit contractualiser avec les territoires. J'estime que la compétence en matière de gestion des fonds européens va jusqu'à l'information des porteurs de projets. Jusqu'à présent, en l'absence d'une telle compétence, les régions n'avaient pas la capacité de financer l'ingénierie. Elles ont désormais la responsabilité de mettre du personnel à disposition et de procéder à une information des bénéficiaires potentiels.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Une idée forte de notre rapport pourrait être l'importance de la contractualisation des territoires et des régions. Ce n'est pas dans la culture des régions, qui jusqu'à présent agissaient plutôt par politiques sectorielles. La décentralisation et la fusion des régions obligent à plus de territorialisation et de contractualisation, à l'échelle des pays et des syndicats mixtes.

M. Michael Restier. - Nous sommes favorables à une contractualisation plus cohérente. Toutefois, par exemple, nous regrettons que la région Auvergne-Rhône-Alpes ait le projet de la faire à l'échelle des communes. Les régions Grand Est, Bourgogne-France-Comté, Centre-Val-de-Loire, Occitanie ou Nouvelle-Aquitaine portent, pour leur part, une vraie vision de développement local, qui ne se retrouve malheureusement pas partout. Cela risque de créer une dichotomie dans l'accompagnement des territoires. Or, il est important qu'il y ait une convergence de l'utilisation des fonds sur la base d'un projet de territoire, ainsi qu'une vision de long terme partagée avec un conseil de développement.

Mme Julie Frère. - Les pays et PETR sont les mieux placés pour accompagner un élu d'une commune de 500 habitants, qui est perdu face aux fonds européens, mais aussi aux fonds régionaux ou nationaux. Sur le territoire du pays de Bray, nous avons essayé de revendiquer d'être un « relai local » des fonds européens. Nous n'avons pas reçu officiellement cette dénomination, et le faisons de manière officieuse. En effet, nous n'allons pas renvoyer un porteur de projets au motif que sa demande porte sur un fonds européen sur lequel nous n'intervenons pas ! Grâce à nos réseaux, nous sommes les mieux placés pour le guider, notamment sur la mesure à viser dans sa demande de dossier. L'ingénierie locale doit être confortée. À part nous, je ne vois pas qui pourrait accompagner le petit porteur de projets, qu'il s'agisse d'une association, d'une entreprise ou d'un élu local.

M. Raymond Vall. - Aujourd'hui, les petites communes ont d'autres choses à faire que d'accompagner les porteurs de projets des fonds européens. Les pays et PETR constituent en cela un filet de sécurité pour ces petites communes. Des régions ont fait preuve d'anticipation. Ainsi, en Midi-Pyrénées, si vous ne représentiez pas au moins 40 000 habitants, vous n'aviez pas accès au programme LEADER. Un projet de territoire doit avoir une certaine dimension. En outre, il y a plus de 3 400 communes dans cette région.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Plutôt que de parler de sous-consommation, il faut s'intéresser à l'accessibilité et la sous-accessibilité de certains à ces fonds européens.

M. Pierre Louault. - Aujourd'hui, si le transfert de l'autorité de gestion s'est fait vers les régions, l'État reste l'autorité de contrôle. On empile les règles, cela devient ingérable. Il ne faut pas revenir sur le transfert, mais, à mon avis, l'État devrait fixer des règles nationales, universelles, et les régions viendraient appliquer celles qui les intéressent.

On nous indique que la gestion et le contrôle de certains dossiers LEADER coûtent plus cher que la subvention accordée. Dès lors, ne pourrait-il pas y avoir au niveau du territoire qu'un seul porteur de projets, par exemple le GAL ou la communauté de communes ? Celui-ci rassemblerait l'ensemble des opérations des petits porteurs de projets.

Mme Julie Frère. - Cela n'est pas souhaitable. À titre d'exemple, les communautés de communes du Pays de Bray ont fusionné, alors qu'elles n'étaient pas demandeuses. En outre, elles sont classées en zone de revitalisation rurale et sont extrêmement pauvres. Elles seront donc opposées à se voir transférer la gestion du programme LEADER. Heureusement que les pays sont là pour accompagner ces communautés de communes en grande souffrance !

M. Pierre Louault. - L'autorité de contrôle nous indique que chaque dossier de contrôle du programme LEADER coûte 3 000 euros en suivi administratif, alors que la subvention peut être de seulement 5 000 euros.

Mme Julie Frère. - Une solution pourrait être de construire des dossiers LEADER plus simples, plus faciles d'accès car la masse financière en jeu est beaucoup moins importante qu'un dossier FEADER ou FEDER. Il faut assouplir les procédures LEADER. Avant la fusion des régions, nous avions peur de l'ASP et une crainte de mal faire. Désormais, il y a un contrôle supplémentaire exercé par la région, ce qui est insupportable.

M. Michael Restier. - On nous oppose régulièrement une approche comptable à la nature du programme LEADER. Mais cette comptabilité omet les effets induits sur les territoires et l'effet de levier que représente une subvention LEADER, qui contribue à un écosystème plus grand. Certes, on peut imaginer fixer un plancher à 5 000 euros, mais il faut garder en tête que la nature de LEADER est d'accompagner le petit porteur de projets qui fait vivre nos territoires.

M. Pierre Louault. - Ne peut-on pas envisager un regroupement des dossiers ?

Mme Julie Frère. - Notre PETR ne pourra pas être porteur de projets pour 2,7 millions d'euros de projets financés sur notre territoire. Nous n'avons pas la capacité financière de le faire.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Les réflexions autour d'un plancher pour le programme LEADER doivent également prendre en compte le rôle de cet instrument pour permettre une appropriation de l'Europe sur les territoires ruraux.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Vous avez décrit avec passion et expertise l'ensemble du processus. Nous retrouvons dans vos propos de nombreux points que nous souhaitons mettre en exergue. On peut regretter que, dans notre pays, les réformes s'empilent : on a créé les grandes régions, mais l'État reste présent dans les mêmes domaines.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Pourrez-vous nous donner des informations plus détaillées sur un ou deux cas pratiques que vous nous avez décrits ? Il manque souvent des exemples concrets dans les rapports permettant d'illustrer les problèmes rencontrés.

Mme Julie Frère. - Nous le ferons avec plaisir.

Ce compte rendu a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 heures.

- Présidence de M. Pierre Louault, vice-président. -

La réunion est ouverte à 17 heures 10.

Audition de Mme Lucie Becdelièvre, déléguée générale d'Alliance Villes Emploi

M. Pierre Louault, président. - Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de Mme Lucie Becdelièvre, déléguée générale de l'association Alliance Villes Emploi, que préside notre collègue Nathalie Delattre.

Alliance Villes Emploi représente des élus locaux et communautaires délégués à la formation, à l'insertion et à l'emploi, ainsi que les présidents des maisons de l'emploi et des plans locaux pour l'insertion et l'emploi (PLIE). Elle constitue un réseau d'échanges et de rencontres sur des initiatives prises au niveau local dans les domaines de l'emploi, de la formation et de l'insertion. Elle contribue à la professionnalisation des acteurs locaux, ainsi qu'à leur information.

Notre mission d'information a pour objet de dresser un bilan de l'utilisation des fonds européens en France, dans un contexte marqué par le transfert aux régions de la gestion de ces fonds qui contribuent directement au développement de nos territoires. Vous avez souhaité être entendue par notre mission d'information. Nous sommes donc très intéressés par votre témoignage. Compte tenu de l'objet d'Alliance Villes Emploi, je suppose que vous allez plus particulièrement évoquer le Fonds social européen (FSE).

Mme Lucie Becdelièvre, déléguée générale d'Alliance Villes Emploi. - Je vous remercie de me recevoir. Je concentrerai, en effet, mon propos sur le FSE, même si certaines collectivités peuvent parfois mobiliser d'autres fonds européens de manière ponctuelle.

On compte 147 PLIE en France. Depuis l'origine, leur financement repose essentiellement sur des fonds publics, principalement issus des collectivités locales, à hauteur de 47 %, et du FSE, à hauteur de 47 %. Les financements étatiques sont marginaux. Reconnaissons-le, sans le FSE, les PLIE n'existeraient pas. Les PLIE mobilisent des crédits du FSE au titre de l'axe 3 relatif à la lutte contre la pauvreté et à la promotion de l'inclusion, du programme opérationnel national, dont l'autorité de gestion est l'État. Ils représentent un tiers environ des crédits de l'axe 3, aux côtés de Pôle emploi ou des départements. En 2017, deux tiers des PLIE ont mobilisé 57 millions d'euros au titre du FSE. On estime que, pour la programmation en cours, sur la période 2014-2020, l'enveloppe globale mobilisée par les PLIE au titre du FSE s'élèvera à environ 550 millions d'euros.

Les PLIE bénéficient aussi de financements au titre de l'axe 4 relatif à l'assistance technique, lorsqu'ils sont organismes intermédiaires. En effet, les architectures administratives et financières varient selon les territoires. Tantôt les PLIE sont adossés aux collectivités ; tantôt ils sont regroupés entre eux au sein d'organismes intermédiaires qui comprennent aussi quelquefois un département ; tantôt, enfin, ils reposent sur des conventions bilatérales avec les départements, qui reçoivent et reversent les fonds du FSE, ou avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

Le FSE contribue aussi à financer les maisons de l'emploi (MDE) et représente 14 % de leurs ressources en 2017, au titre de l'axe 2 relatif à l'anticipation des mutations et à la sécurisation des parcours et des transitions professionnelles, ou de l'axe 3, notamment dans le cadre du dispositif des clauses sociales d'insertion ou lorsqu'elles portent également un PLIE. Certaines MDE bénéficient aussi parfois de crédits au titre de l'axe 1 relatif à l'accompagnement vers l'emploi des demandeurs d'emploi et des inactifs et au soutien aux mobilités professionnelles. À titre accessoire, les MDE peuvent aussi mobiliser des crédits de l'Initiative pour l'emploi des jeunes (IEJ) pour l'accompagnement des jeunes dits NEET (Not in Education, Employment or Training), sans emploi ni formation.

Enfin, le FSE est aussi une source de financement non négligeable pour les postes de facilitateurs de la clause sociale, qu'ils soient portés par des PLIE, des MDE ou des collectivités.

Parmi les points positifs du système actuel, il faut souligner que les taux de programmation et de consommation des crédits FSE par les PLIE sont très élevés. Ainsi, fin 2017, la programmation atteignait 104 %, tandis que les dépenses engagées s'élevaient à 64 % pour la période 2014-2020. Les dépenses rejetées sont très faibles car la structuration en organismes intermédiaires a permis aux PLIE et aux collectivités d'acquérir une expertise en matière de gestion des crédits FSE. C'est important car chaque dépense doit être justifiée. Les PLIE peuvent aussi recourir éventuellement aux financements de la réserve de performance. Ainsi, le FSE constitue un levier indispensable pour les politiques d'insertion en France.

Si le bilan global est positif, des difficultés subsistent néanmoins. Si le taux de dépenses inéligibles est faible, grâce à l'expertise des gestionnaires, il faut reconnaître que les moyens humains qui doivent être consacrés à la gestion des crédits FSE sont importants. Les procédures sont complexes et les professionnels compétents sont très recherchés ; les lignes budgétaires consacrées à ce poste sont souvent sous-estimées.

Même si l'on note des améliorations, il faut aussi évoquer les difficultés de trésorerie ou encore une certaine insécurité juridique et financière à cause de la durée des procédures de justification des dépenses : des dépenses peuvent se voir déclarées inéligibles au terme d'un contrôle deux ou trois ans plus tard, ce qui peut mettre en difficulté les organismes.

Il faut mentionner aussi des problématiques liées aux contreparties : parfois les PLIE ne peuvent pas dépenser tous les crédits du FSE, faute de pouvoir mobiliser à temps les contreparties nécessaires pour obtenir le cofinancement du FSE en raison du décalage entre la temporalité du FSE et celle des autres financeurs. En effet, alors que les crédits du FSE s'inscrivent dans l'horizon de la programmation pluriannuelle, les crédits des collectivités sont débloqués dans le cadre d'appels à projets annuels ou bisannuels, ce qui entraine une difficulté pour s'inscrire dans la durée. Certains projets se voient donc menacés.

Je dois évoquer aussi la situation des PLIE fondés sur une convention bilatérale avec un département. Le succès des PLIE repose sur la mobilisation de tous les acteurs d'un territoire pour accompagner des personnes en grande difficulté dans une logique de parcours. Dans un PLIE, les parcours durent en moyenne deux ans, ce qui permet d'obtenir des résultats excellents. Lorsque les PLIE reposent sur une convention bilatérale avec un département, le conseil départemental est souvent tenté de transformer le PLIE en opérateur d'accompagnement, en conditionnant le conventionnement à certains critères, de public par exemple, pour viser en particulier les bénéficiaires du RSA. Ainsi, les PLIE perdent leur autonomie de programmation et leur adaptabilité. Ce montage est aussi un facteur de risque, dans la mesure où il place le PLIE à la merci d'un changement de priorités du conseil départemental, par exemple en cas d'alternance politique. Certains PLIE ont dû s'arrêter pour cette raison...

M. Pierre Louault, président. - Soit mais je ne suis pas sûr que les départements soient prêts à se passer du PLIE et des crédits du FSE...

Mme Lucie Becdelièvre. - Dans ce type de montage, c'est le département qui est bénéficiaire du FSE et qui, ensuite, contractualise avec le PLIE pour lui reverser les fonds. Les conditions de la contractualisation sont à sa main.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Merci pour votre éclairage. Quel bilan tirez-vous de l'accord-cadre signé le 9 décembre 2014 entre la direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), l'Assemblée des départements de France et Alliance Villes Emploi, définissant notamment le partenariat pour la mise en oeuvre coordonnée des interventions du FSE pour la période 2014-2020 afin de renforcer l'inclusion et de lutter contre la pauvreté ?

Mme Lucie Becdelièvre. - En dépit du volontarisme affiché, cet accord est resté quelque peu lettre morte. La réunion annuelle prévue entre les acteurs n'a jamais eu lieu car les acteurs n'ont jamais été convoqués par l'État ! Une réunion nous a cependant été annoncée pour faire un bilan en cette période de fin de programmation. En outre, les relations avec les départements sont extrêmement variables en fonction des territoires et des montages juridiques. Il manque une instance de régulation.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Les régions souhaitent pouvoir gérer également l'enveloppe territorialisée du FSE national. Qu'en pensez-vous ? Quels en seraient les avantages et les inconvénients ?

Mme Lucie Becdelièvre. - La dimension territorialisée est essentielle. Il est judicieux que les politiques de l'emploi et de l'insertion soient menées au niveau des bassins d'emploi en articulation avec les politiques de développement économique. Mais nous restons prudents car nous ne souhaitons pas reproduire avec les régions les difficultés que l'on rencontre dans les PLIE en convention avec les départements : l'extrême diversité des situations en fonction des territoires et la dépendance à l'égard des changements de cap politiques. Les PLIE travaillent déjà avec les régions sur la formation professionnelle pour faciliter le retour à l'emploi des personnes qu'ils suivent. Or, on constate que les relations avec les régions sont aussi très disparates.

M. Philippe Mouiller. - Vous avez indiqué que 14 % des ressources des MDE provenaient déjà des fonds européens. Peut-on envisager une compensation par les fonds européens pour faire face au désengagement de l'État ?

Ma seconde question concerne la complexité des systèmes d'instruction des dossiers FSE. Lorsqu'une structure d'insertion dépose un dossier dans le cas d'une instruction FSE, elle doit indiquer ses partenaires et le montant de leurs participations. Or, la plupart du temps, les montants ne sont connus que deux ans après, alors que les partenaires ont aussi besoin de connaître le niveau de participation demandé pour s'engager. En définitive, tout le monde s'attend ! C'est un système de pilotage à vue très français. Comment l'améliorer ? Comment réduire l'incertitude ? Ce système complexe dissuade de nombreux porteurs de projets car le risque encouru au démarrage est élevé.

Mme Lucie Becdelièvre. - Les PLIE ont l'habitude de mobiliser des crédits du FSE. Ils ont acquis une expertise qui leur permet de gérer les dossiers. Donc, la question de la réticence à se lancer à cause des difficultés au démarrage ne se pose plus pour eux. Il est vrai qu'elle peut se poser dans certains territoires qui envisagent de recréer des PLIE. Pour l'anecdote, je précise aussi que trois PLIE en France ne font pas du tout appel aux crédits du FSE.

L'engagement de l'État en faveur des MDE, qui s'élevait à 80 millions d'euros il y a quelques années, a été réduit à la portion congrue - 5 millions en 2019. L'avenir des MDE dépendra du soutien politique local, de la reconnaissance de leur rôle et de leur plus-value par les collectivités, les élus, les partenaires locaux et l'ensemble des acteurs. Il est vrai que, dans les territoires ruraux ou périphériques, l'apport des crédits de l'État peut être important pour la pérennité de la structure. Le FSE apportera-t-il une compensation ? En partie. Autrefois, les projets nationaux innovants associant plusieurs MDE étaient financés grâce aux crédits de fonctionnement versés par l'État. Aujourd'hui, les MDE « bricolent » en mobilisant différents financements : des crédits européens, des subventions obtenues sur appels à projet, etc. Or, la mobilisation de crédits du FSE peut s'accompagner de difficultés liées aux différences de temporalité de gestion que j'évoquais.

Surgit aussi la question du périmètre des actions car l'enveloppe du FSE est territorialisée. À titre d'exemple, la MDE de Dijon conduit un projet sur la transition énergétique à Dijon et en Franche-Comté. Or, le poste de la chargée de mission responsable du projet est cofinancé par des crédits du FSE départemental. Les heures qu'elle passe en Franche-Comté ne peuvent donc pas être financées sur ce poste et elle doit faire des règles de trois complexes pour déterminer les clefs de répartition des financements... Beaucoup de temps et d'énergie pour des calculs d'apothicaire !

Vous évoquez le pilotage à vue. Vous avez raison. Cela explique aussi le décalage entre programmation et consommation des crédits. Toutefois, les PLIE se sont suradaptés à ce système : grâce à des taux de programmation majorés, à 120 % par exemple, ils arrivent à atteindre un taux de consommation qui équivaut à la quasi-totalité de leurs enveloppes, même si la question de l'inéligibilité des dépenses deux ou trois ans plus tard continue à peser comme une épée de Damoclès. Cette insécurité juridique nuit à la conduite de politiques publiques cohérentes. Les PLIE doivent aussi faire face à des frais bancaires considérables à cause des problèmes de trésorerie.

M. Pierre Louault, président. - Quels sont les délais de paiement en moyenne ?

Mme Lucie Becdelièvre. - Un ou deux ans, quand tout va bien... Alliance Villes Emploi vient juste de recevoir le paiement du FSE au titre d'actions d'animation du réseau menées en 2017, alors que le dossier ne présentait aucune difficulté particulière...

Mme Colette Mélot, rapporteure. - La gestion du FSE pourrait-elle être simplifiée, et de quelle manière ?

Mme Lucie Becdelièvre. - La mise en place de la plateforme ma-démarche-FSE.fr a été un facteur de simplification, mais le système peut encore être amélioré et fluidifié. Les règles françaises sont parfois plus exigeantes que les règles imposées par l'Europe. Le système d'information met du temps à s'adapter aux simplifications de procédure décidées.

Les organismes intermédiaires ne peuvent procéder à des appels de fonds que deux fois par an, mais cette temporalité n'est pas toujours adéquate pour répondre au calendrier des besoins des PLIE. Les crédits dévolus à l'assistance technique sont sous-évalués au regard des besoins. Nous souhaitons aussi un élargissement des options de coûts simplifiés qui permettent de procéder à certaines dépenses de fonctionnement sans justification, mais les membres de notre réseau divergent sur les modalités techniques. On a obtenu une forfaitisation, à hauteur de 20 %, des frais de structure dans la programmation actuelle.

La distinction française entre « chômeurs » et « inactifs », qui détermine les objectifs de performance, est source de difficultés. Certains PLIE se sont vu reprocher de ne pas atteindre leurs objectifs, alors même que le nombre de participants était conforme aux attentes européennes, mais la répartition entre les deux catégories n'était pas conforme aux objectifs qu'ils avaient reçus. Il s'agit pourtant bien, dans les deux cas, de personnes en grande difficulté.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Il s'agit bien d'une distinction française ?

Mme Lucie Becdelièvre. - Oui. C'est la traduction française du cadre européen. Certains PLIE ont perdu des sommes importantes qui ne bénéficieront donc pas aux personnes en difficulté, à cause du non-respect de cette distinction. Artificiellement, les personnes qui entrent dans un PLIE et qui ne sont pas inscrites à Pôle emploi sont classées comme inactives la première année, et parmi les chômeurs la seconde année.

M. Pierre Louault, président. - Cette surtransposition est très française !

Mme Lucie Becdelièvre. - Il faut aussi évoquer les désaccords entre administrations, entre services de l'État.

M. Philippe Mouiller. - En même temps, cela marche bien ! Donc il faut en tirer les leçons.

M. Pierre Louault, président. - Je crois au modèle départemental. Il est vrai que collaborer avec un conseil départemental peut représenter une contrainte pour un PLIE. Certains départements font l'avance des fonds.

Mme Lucie Becdelièvre. - C'est un avantage, en effet, du conventionnement bilatéral.

M. Pierre Louault, président. - Ce modèle a fait la preuve de son efficacité. J'ai connu l'époque où les organismes d'insertion avaient toutes les peines du monde à obtenir des crédits du FSE.

Mme Lucie Becdelièvre. - La collaboration entre les acteurs d'un territoire est essentielle. Le modèle le plus satisfaisant nous semble être celui articulé autour d'un organisme intermédiaire. Le département en est d'ailleurs quelquefois membre.

M. Philippe Mouiller. - Les entreprises à but d'emploi peuvent-elles être éligibles au FSE dans le périmètre des PLIE ?

Mme Lucie Becdelièvre. - Je vérifierai ce point.

M. Pierre Louault, président. - Je vous remercie.

La réunion est close à 17 h 50.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.