Mercredi 3 juillet 2019

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Audition de Mme Stéphane Pallez, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente-directrice générale de La Française des jeux

M. Vincent Éblé, président. - Mes chers collègues, permettez-moi, en préambule, de souhaiter la bienvenue à notre collègue Jean Bizet, qui nous fait le plaisir de nous rejoindre en lieu et place de Fabienne Keller. Son expertise en tant que président de la commission des affaires européennes nous sera extrêmement utile et viendra renforcer notre mission eu égard aux interfaces assez nombreuses entre les problématiques européennes et les problématiques financières de façon générale.

Nous sommes réunis conformément à la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, qui énumère les emplois ou fonctions soumis au pouvoir de nomination du Président de la République. Nous entendons ainsi Stéphane Pallez, candidate proposée par le conseil d'administration de la Française des jeux, réuni en Assemblée générale le 5 juin dernier.

Nous devrons ensuite voter sur la proposition de nomination. En application de l'article 3 de la loi organique précitée, les délégations de vote ne sont pas autorisées. L'audition se tiendra ensuite à l'Assemblée nationale, puis le dépouillement aura lieu de façon simultanée dans les commissions des finances des deux assemblées en fin de matinée.

Les votes des deux commissions des finances seront agrégés et seul un vote négatif représentant plus de trois cinquièmes des voix peut empêcher la nomination de la candidate.

Je vous précise que cette audition est ouverte à la presse et au public. Elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.

Madame Stéphane Pallez, je vous souhaite la bienvenue à la commission des finances du Sénat.

Votre curriculum vitae nous a été distribué. Vous êtes à la tête de la Française des jeux depuis novembre 2014. L'entreprise entre toutefois dans une phase nouvelle de son développement, puisque l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « Pacte », autorise le transfert au secteur privé de la majorité du capital de l'entreprise.

Mme Stéphane Pallez, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente-directrice générale de la Française des jeux. - Je suis très heureuse de vous présenter aujourd'hui le bilan de mon premier mandat, ma vision de la Française des jeux, ainsi que mon projet. J'espère que vous m'accorderez votre confiance pour me permettre de poursuivre la transformation et surtout le développement de l'entreprise.

Aujourd'hui, comme l'a rappelé le président, le projet de privatisation est sous les feux des projecteurs, avec la vaste refondation de la régulation qui l'accompagnera. Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé récemment son intention de lancer la préparation d'une introduction en bourse de la Française des jeux ; je ne doute pas que ces points susciteront de nombreuses questions de votre part.

Au préalable, permettez-moi de vous présenter l'entreprise et de vous parler de son évolution depuis cinq ans.

La Française des jeux est une entreprise assez exceptionnelle eu égard à son activité, bien sûr, mais, surtout, à l'attachement qu'elle suscite : elle jouit d'une forte notoriété auprès du grand public ; elle bénéficie d'un fort taux d'engagement de ses salariés et elle a des relations très fortes avec l'ensemble des parties prenantes, notamment historiques - je fais allusion aux actionnaires historiques que sont les associations d'anciens combattants.

Forte de ses racines, cette entreprise a besoin de s'inscrire dans le monde d'aujourd'hui. Lorsque j'ai pris mes fonctions à la fin de l'année 2014, j'ai engagé un nouveau plan stratégique, qui a été approuvé par le conseil d'administration de l'entreprise en juillet 2015 et sur la base duquel nous avons considérablement fait évoluer l'entreprise.

Le secteur des jeux d'argent et de hasard connaît depuis quelques années d'importantes évolutions, avec des enjeux majeurs, au premier rang desquels le risque d'un vieillissement des joueurs, voire d'une réduction de leur nombre, un risque d'autant plus fort avec le développement des usages numériques. Qui plus est, depuis 2010, date de l'ouverture à la concurrence du marché des paris sportifs en ligne, l'univers est beaucoup plus concurrentiel, même si l'essentiel de l'activité de l'entreprise s'opère dans un cadre monopolistique.

Le plan a consisté à s'appuyer sur les atouts de l'entreprise, avec l'objectif de renouveler assez largement la manière dont l'entreprise interagit avec ses clients, afin de lui permettre de poursuivre sa croissance, tout en restant attachée à son modèle de valeurs, son modèle historique et un modèle de régulation. Pour ce faire, nous avons engagé des investissements considérables pour numériser notre offre et notre distribution, pour moderniser notre réseau de points de vente et, par là même, soutenir un maillage territorial étroit, en vue de participer à la croissance du marché des paris sportifs et de développer de manière générale l'innovation, tout en poursuivant notre engagement en matière de jeu responsable et en valorisant nos actifs technologiques.

La Française des jeux est le principal opérateur de jeux d'argent et de hasard en France : elle gère des droits exclusifs sur la loterie dans les points de vente et en ligne ainsi que sur les paris sportifs dans les points de vente ; elle opère également sur les paris sportifs en ligne, dans un marché en forte concurrence. C'est la deuxième loterie européenne derrière la loterie italienne Automatica et la quatrième loterie mondiale, sachant que les deux premières sont chinoises. Le montant des mises à la fin de l'année 2018 s'élevait à 15,8 milliards d'euros, avec une croissance régulière de l'ordre de 4 % depuis 2014. Elle a redistribué 10,7 milliards d'euros aux joueurs sous forme de gains et 3,5 milliards d'euros au titre des contributions aux finances publiques. L'entreprise compte 2 500 salariés - 500 dans des métiers technologiques, 300 dans le marketing et 800 dans le domaine commercial, les trois secteurs les plus importants.

Concernant la numérisation de nos activités, nous avons atteint notre objectif de 20 % de mises numérisées, soit des mises en ligne, soit des mises faites par des moyens numériques dans le réseau - et c'est là un point très important de notre stratégie pour conserver une certaine attractivité auprès de nos joueurs. Ainsi, notre base de clients est large. Pour ce faire, nous avons construit un écosystème d'innovation, avec un certain nombre d'investissements dans des fonds d'investissement, de partenariats avec la Web School Factory, par exemple, l'accueil du premier incubateur français dédié à l'expérience client omnicanale dans notre nouveau siège.

Nous avons également beaucoup investi sur les paris sportifs, un marché encore en construction en France, qui est donc en forte croissance. Nous avons réussi à insuffler un dynamisme dans nos points de vente, ce qui n'était pas acquis eu égard à la concurrence du marché en ligne. Le marché des paris sportifs dans les points de vente a crû de 20 % l'année dernière, ce qui est une belle réussite, même si le marché en ligne a augmenté, quant à lui, de 50 %. Nous investissons évidemment sur le marché en ligne parce que nous ne voulons pas nous retrouver marginalisés.

Nous avons développé des activités pour valoriser les actifs de la Française des jeux, rendre notre modèle d'affaires plus résilient et assurer des relais de croissance pour demain. À cet égard, je citerai notre développement à l'international : nous vendons notre savoir-faire à d'autres loteries sous la marque FDJ Gaming Solutions et nous menons des expériences dans le domaine des services et du divertissement.

Pour favoriser l'innovation et développer le numérique, nous nous sommes appuyés sur ce qui constitue, à mes yeux, l'ADN de l'entreprise, à savoir notre réseau de proximité. Je l'ai dit, la Française des jeux est proche des Français et elle a un fort impact économique et social, que nous mesurons tous les ans, depuis trois ans, grâce à une étude réalisée par un organisme indépendant. Ainsi, en 2018, la Française des jeux a créé ou maintenu sur l'ensemble du territoire plus de 50 000 emplois et a contribué au produit intérieur brut (PIB) à hauteur de 5,4 milliards d'euros. Notre réseau, le premier réseau de proximité en France, comprend plus de 30 000 points de vente, qui sont accessibles à moins de dix minutes à pied en ville et en voiture en zone rurale par plus de 90 % de la population. Notre réseau, qui n'est pas propre à la Française des jeux, permet à des réseaux de proximité comme les bars-tabac-presse et les distributeurs de presse en particulier d'avoir une activité complémentaire. D'ailleurs, nous avons récemment réussi à stabiliser ce réseau, qui avait tendance à diminuer, en engageant trois types d'actions.

Premièrement, nous avons investi à hauteur de 180 millions d'euros pour moderniser ce réseau, en proposant des équipements plus modernes. Deuxièmement, nous avons entrepris de recréer des points de vente avec nos partenaires du réseau pour compenser la fermeture de bars-tabac et distributeurs de presse, qui est due à leur activité principale. Troisièmement, nous avons complété ce réseau par une diversification, qui reste pour l'instant marginale, mais qui nous a permis de stabiliser, pour la première année, le nombre de points de vente à 30 000, contre plus de 40 000 voilà dix ans. Cela a été rendu possible grâce aux nouvelles relations que nous avons nouées avec nos partenaires de ce réseau historique, à savoir la Confédération nationale des buralistes et Culture Presse : nous avons passé un accord avec eux en février 2018 aux termes duquel nous avons revu la structure de la rémunération que nous leur versons pour favoriser leur développement et le nôtre, aligner nos intérêts et introduire une différenciation de leurs commissions en fonction du type de jeu. Cet accord se traduira, à la fin d'année 2019, par une augmentation de l'ordre de 0,3 point de la rémunération moyenne - en 2018, nous avons versé 785 millions d'euros au réseau - ; nous avons donc un poids important dans le soutien économique de ce réseau.

Parallèlement, nous avons transformé notre force de vente, ce qui nous a permis, à la fois, d'améliorer notre performance commerciale et de professionnaliser l'accompagnement de notre réseau, en particulier quant à la gestion des risques. En effet, nous gérons le risque d'addiction, mais aussi les risques de blanchiment, de fraude et de manipulation des compétitions sportives.

À cet égard, je dirai un mot sur le jeu responsable, qui fait partie de la mission de l'entreprise et, d'une manière plus structurelle, de la pérennité du modèle de l'entreprise. J'ai d'ailleurs pris l'engagement spontané de consacrer 10 % de mon budget concernant la publicité à la télévision au jeu responsable : des campagnes portent, par exemple, sur l'interdiction du jeu aux mineurs ou, de manière générale, sur le jeu responsable. L'entreprise a consacré des moyens très importants pour faire connaître et faire appliquer la loi, à savoir l'interdiction du jeu des mineurs, dans le cadre de campagnes d'information, notamment à la télévision pendant les événements sportifs, des moments clés pour communiquer sur ce sujet, ou en formant nos détaillants et en les contrôlant, avec des sanctions financières. Nos résultats sont en progrès, même s'ils restent insatisfaisants eu égard à l'objectif fondamental de politique publique. C'est pourquoi nous allons continuer à investir sur ce sujet : outre les sanctions financières prévues dans nos contrats, des amendes ont été votées dans le cadre de la loi Pacte.

Je rappelle que la part du jeu dans le revenu des ménages français reste modérée par rapport à celle d'autres pays. Selon l'Observatoire des jeux, organisme indépendant, la prévalence du jeu problématique reste faible et les jeux de la Française des jeux sont les moins addictifs dans le secteur des jeux d'argent et de hasard.

Je terminerai mon propos en vous parlant de l'engagement sociétal de la Française des jeux.

Concernant le sport français tant professionnel qu'amateur, notre engagement se fait via l'affectation des mises que vous votez chaque année à destination hier du Centre national pour le développement du sport (CNDS) et, désormais, de l'Agence nationale du sport. Par ailleurs, nous oeuvrons au travers de l'équipe de cyclisme Groupama-FDJ, de différents partenariats pour favoriser la mixité et le sport féminin notamment. À cet égard, je ne résiste pas au plaisir de vous dire que l'équipe cycliste FDJ-Nouvelle Aquitaine-Futuroscope est championne de France depuis le week-end dernier.

Le patrimoine est une cause plus récente, qui est cohérente avec le caractère de notre entreprise, notamment en termes d'implantation territoriale. Le loto du patrimoine a permis de verser l'an passé 22 millions d'euros à la Fondation du patrimoine, lesquels ont été abondés d'une somme quasi équivalente par l'État via le budget du ministère de la culture. Sur les 269 sites, 230 ont déjà commencé à bénéficier de ces financements. Nous allons renouveler l'opération en 2019 : un super loto est prévu le 14 juillet prochain.

Enfin, depuis 2018, les actions de la Fondation Française des jeux portent sur l'égalité des chances. Celle-ci soutient plus de 100 associations et elle est dotée d'un budget de 18 millions d'euros sur cinq ans.

Pour conclure, j'évoquerai la privatisation de la FDJ, une décision de notre actionnaire, qui a été votée dans le cadre de l'article 137 de la loi Pacte, laquelle a été promulguée le 22 mai 2019.

Permettez-moi de rappeler quelques éléments principiels. Lors des débats parlementaires, tous les arguments ont été, me semble-t-il, exposés. La loi Pacte a assez largement répondu à un certain nombre de questions.

L'entreprise restera sous le contrôle étroit de l'État, qui a annoncé vouloir rester actionnaire de l'entreprise à hauteur de 20 % minimum et va surtout conserver un certain nombre de droits exorbitants du droit commun pour assurer ce contrôle, avec un commissaire du Gouvernement au conseil d'administration ou un droit de regard sur certaines opérations liées à la mise en oeuvre de la régulation et au franchissement de seuil au capital. La qualité et la force de la régulation sont en effet des aspects fondamentaux, comme l'a souligné le ministre lors des débats. La majorité des acteurs du secteur des jeux d'argent et de hasard en France sont privés, à l'instar d'ailleurs des grands acteurs internationaux du secteur de la loterie. La Française des jeux est aujourd'hui régulée, et elle le sera demain plus encore, avec la mise en place prévue d'ici au 1er janvier 2020 d'une autorité de régulation indépendante, en vue de renforcer la cohérence en matière de régulation du secteur entre les activités exercées sous droits exclusifs, notamment la Française des jeux, et les activités exercées en concurrence. Ce régulateur sera donc le gardien du respect des objectifs de préservation de l'ordre public et de l'ordre social, qui sont au coeur de la politique des jeux en France - et tel est l'objet du projet d'ordonnance que le Gouvernement prépare et qui devrait être publié dans les prochaines semaines.

En outre, la Française des jeux continuera de contribuer aux finances publiques au travers de la fiscalité des jeux. Ainsi, l'article 138 de la loi Pacte prévoit le passage d'une fiscalité sur les mises à une fiscalité sur le produit brut des jeux (PBJ), avec l'objectif de maintenir dans le temps des grands équilibres et, notamment, de préserver les intérêts des finances publiques, quel que soit l'actionnariat. La privatisation se fera à périmètre constant des droits exclusifs confiés à l'entreprise ; elle ne modifie donc pas notre périmètre d'activité. Je suis, pour ma part, convaincue que la force et la continuité de nos engagements, notamment en matière de jeu responsable et d'impact économique et social, font partie intégrante de notre modèle économique et social.

La privatisation constitue évidemment une évolution très importante de l'entreprise, mais elle nous offre surtout, selon moi, l'opportunité d'augmenter notre capacité à mettre en oeuvre notre stratégie, à renforcer notre agilité, à nous donner des perspectives complémentaires de développement et de partenariat, notamment à l'international, dans le droit fil des actions que je conduis depuis cinq ans. C'est la raison pour laquelle je suis prête à mener ce projet d'évolution du capital, avec la volonté d'en faire un facteur supplémentaire de valorisation et de développement de l'entreprise pour les actionnaires, mais aussi pour l'ensemble des parties prenantes, c'est-à-dire les salariés de l'entreprise et l'ensemble des acteurs impliqués.

J'espère vous avoir convaincus de mon envie de poursuivre ma mission à la tête de cette entreprise, à laquelle je suis extrêmement attachée.

M. Jean-François Husson. - Je vous prie de m'excuser par avance, madame, mais je dois m'absenter pour assister à une autre réunion. Je serai toutefois attentif aux réponses que vous apporterez.

L'article 137 de la loi Pacte renvoie à une ordonnance qui doit préciser le périmètre des droits exclusifs confiés à la Française des jeux. Des voix se sont élevées au Sénat pour souligner les risques d'un élargissement des jeux pour ce qui concerne les casinos en ligne, par exemple. Quelle est votre position sur ce sujet ? Soutenez-vous une extension des jeux confiée à la Française des jeux ?

Outre l'État, la Française des jeux a des actionnaires historiques, tels que « Les Gueules Cassées » ou la Confédération nationale des buralistes. Certains d'entre eux ont exprimé l'envie d'acquérir une partie des parts détenues par l'État. Le Gouvernement s'est prononcé en faveur d'une relance de l'actionnariat populaire et de l'actionnariat salarié. Quelles devraient être, selon vous, dans un premier temps, les lignes directrices de l'introduction en bourse de l'entreprise, puis, dans un second temps, de la cession d'une partie des actions détenues par l'État ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ma première question est quelque peu provocatrice. Dans le cadre de tables rondes portant sur l'évolution des moyens de paiement, il nous a été expliqué que les paiements en espèces pourraient disparaître. Or vous nous avez dit qu'ils progressaient dans votre secteur d'activité. Quel est le pourcentage de mises payées par carte bancaire et en espèces ? La progression que vous avez soulignée n'est-elle pas en partie due au blanchiment d'argent ? Le fait que les gens jouent de plus en plus m'inquiète, surtout s'ils paient en espèces.

Ma deuxième question rejoint les préoccupations de mon collègue sur la privatisation. Vous avez déjà développé une activité dite de « B to B », c'est-à-dire le partage de votre compétence à destination d'autres entreprises de jeux d'argent et de hasard. Quel est l'avenir de ce secteur ?

Ma troisième question porte sur le risque de voir un actionnaire privé contracter le nombre de points de vente ou supprimer des partenariats avec les buralistes en milieu rural, au regard de la diminution de 15 % du nombre de joueurs en dix ans. Celui-ci va chercher la rentabilité, alors que le buraliste est quelquefois le dernier commerce dans une commune.

Ma quatrième question porte sur la fiscalité des jeux d'argent et de hasard, avec une fiscalité portant sur le produit brut des jeux. Quelle en est la conséquence très directe pour l'entreprise ?

Enfin, concernant le loto du patrimoine, je rappelle simplement que l'amendement exemptant de fiscalité le jeu a été adopté à l'unanimité par le Sénat.

M. Vincent Éblé, président. - Dans le droit fil des deux intervenants précédents, nous savons que la loi Pacte autorise la privatisation de la Française des jeux et organise les conditions de cette cession. L'État doit toutefois conserver « un contrôle étroit », exigé par le droit de l'Union européenne pour attribuer des droits exclusifs à un acteur privé sans mise en concurrence préalable. Parmi les éléments de ce contrôle, l'État devrait demeurer au capital à hauteur de 20 % et disposer d'un pouvoir d'agrément du président-directeur général de l'entreprise. Cependant, ces éléments ne figurent pas expressément dans le texte de loi, qui renvoie pour l'essentiel à une ordonnance. D'après nos informations, un projet d'ordonnance a été transmis au Conseil d'État il y a deux semaines. Pourriez-vous nous préciser l'état d'avancement du dossier ? Une introduction en bourse devrait intervenir prochainement : qu'en est-il ?

Comme l'a relevé le rapporteur général, qui, comme moi, accorde une vigilance particulière aux questions concernant le patrimoine historique, nous sommes absolument favorables au loto spécial que la Française des jeux organise désormais. La première édition a rencontré un grand succès populaire en 2018 ; vous avez même séduit une clientèle inhabituelle. Une deuxième édition est prévue en septembre prochain. De quelle manière la préparez-vous ? Les modalités seront-elles identiques ? Par ailleurs, dans quelle mesure la privatisation de la Française des jeux est-elle susceptible d'affecter ce jeu ? Nous sommes vigilants sur la question de la fiscalité appliquée à ce jeu de loterie.

Mme Stéphane Pallez. - Le projet d'ordonnance a été transmis à la Commission européenne - il est obligatoire de la notifier avant de la publier et de la proposer à ratification - ainsi qu'au Conseil d'État en parallèle.

Comme je l'ai précisé précédemment et comme cela a été rappelé lors des débats parlementaires, la Française des jeux serait privatisée sur la base d'un périmètre de droits exclusifs, qui correspond au périmètre actuel de son activité. Le Gouvernement a clairement indiqué qu'il n'était absolument pas question d'accroître ce périmètre, ni de le réduire, pas plus qu'il n'est question d'ouvrir, dans le cadre de la régulation des jeux, le casino en ligne ni en monopole ni en concurrence. Le casino en ligne se caractérise par un critère absolument déterminant, à savoir le niveau de taux de retour aux joueurs (TRJ), qui est de l'ordre de 95 %, un niveau qui n'est pas aujourd'hui autorisé pour la Française des jeux et ne le sera pas demain - et nous n'avons pas l'intention de nous tourner vers le casino en ligne. L'ordonnance déterminera des fourchettes de taux de retour aux joueurs.

Aux côtés de l'État, qui détient aujourd'hui 72 % du capital, figurent des actionnaires historiques dits du monde combattant, qui sont représentés au capital à hauteur de presque 14 %, avec, au conseil d'administration, un représentant de l'Union des blessés de la face et de la tête « Les Gueules Cassées » et un autre de la Fédération nationale André-Maginot, les deux associations qui représentent ces actionnaires. Ceux-ci ont toujours affirmé leur volonté de rester au capital de l'entreprise et le Gouvernement leur a donné des assurances sur ce point : non seulement ils resteront au capital, mais ils resteront représentés au conseil d'administration ; c'est une excellente chose pour l'entreprise, car ils sont l'histoire de l'entreprise, mais aussi son avenir.

Au titre des actionnaires historiques, la Confédération nationale des buralistes participe au capital de l'entreprise à hauteur de 2 %. Les détaillants du réseau des bars-tabac et distributeurs de presse ou de Culture Presse pourront acquérir des actions ; ils ne pourront pas bénéficier d'avantages spécifiques sur le prix, car cela est contraire à la loi.

L'actionnariat populaire fait partie des objectifs du Gouvernement : une tranche, dont le montant n'est pas encore fixé, sera offerte aux particuliers.

Concernant l'actionnariat salarié, la loi est claire : l'État doit offrir au minimum 10 % des parts qu'il cède, ce qui représente 5 % d'actions. Nous travaillons actuellement sur les modalités que nous pourrons offrir aux salariés pour les encourager à acheter des actions et, surtout, les conserver dans la durée. Ce serait un atout pour l'entreprise que d'avoir un actionnariat salarié significatif dans le temps.

Monsieur le rapporteur général, je veux dissiper toute ambiguïté : les montants dont j'ai parlé ne correspondent pas uniquement à des espèces.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Quel est le pourcentage des sommes en espèces ?

Mme Stéphane Pallez. - Je ne le connais pas, mais je puis vous dire que nous appliquons la réglementation anti-blanchiment et que nous sommes même plus stricts que les règles prévues.

J'ai parlé de la totalité des mises de l'entreprise. Par ailleurs, le seuil de paiement des mises en espèces est limité à 1 000 euros.

M. Vincent Delahaye. - C'est déjà pas mal !

Mme Stéphane Pallez. - C'est la réglementation. Pour le paiement des gains, nous sommes soumis au « seuil Perben » de 2 000 euros. En réalité, nous appliquons des seuils plus bas encore, puisque nous demandons une pièce d'identité à partir de 300 euros. Nous sommes donc extrêmement vigilants sur l'application de la réglementation anti-blanchiment.

Nous allons développer une stratégie d'identification de nos clients pour renforcer encore cet aspect-là. En matière de blanchiment, c'est essentiellement sur les paris sportifs que se pose la question. Toutes les personnes sont identifiées pour ce qui concerne les paris sportifs en ligne, et nous mettons au point des programmes pour identifier nos clients dans les points de vente.

Qui plus est, la Française des jeux est soumise au contrôle de l'ensemble des autorités qui travaillent sur ce sujet, à commencer par Tracfin, qui nous a audités cette année. Sans trahir aucun secret, ils ont été extrêmement élogieux sur les contrôles que nous mettons en place. Le contrôle des risques de blanchiment est au coeur de nos missions.

Concernant l'activité de « B to B », nous avons plusieurs contrats avec des loteries européennes, telle la loterie romande. Nous vendons parfois des services de loterie : le terminal de jeu et les services qui permettent de manager et de contrôler l'activité de loterie. Nous opérons pour Santa Casa, au Portugal, par exemple, leur activité de paris sportifs dans les points de vente via notre plateforme de jeu. Notre loterie est d'ores et déjà reconnue comme étant capable de servir les autres loteries parce que nous avons maintenu un savoir-faire technologique. Par ailleurs, nous avons récemment signé un contrat avec la loterie de l'Ontario, ce qui est assez emblématique. La Française des jeux est un champion français à l'international.

L'investissement de réseau est un bon investissement économique pour l'entreprise. L'activité de la Française des jeux repose sur un actif formidable et que beaucoup nous envient : notre réseau physique. En fait, 95 % de notre activité est due au contact direct avec nos clients. Notre réseau est segmenté avec des points de vente plus ou moins importants et nos investissements y sont déployés à due proportion afin d'être rationnels en termes de performance économique. Il s'agit, à mes yeux, d'un investissement fondamental pour l'activité de l'entreprise. Le réseau constitue un actif du futur.

Concernant la réforme de la fiscalité, le Gouvernement a souhaité, dans le cadre de la privatisation, une fiscalité plus standardisée. S'il fallait en retenir une chose, ce serait le fait qu'il revient à l'entreprise de gérer la rentabilité de ses produits, mais il est très protecteur pour l'État que la fiscalité porte sur le produit brut des jeux. Nous avons eu de longs débats sur les taux : un équilibre a été trouvé avec deux taux différents pour la loterie et deux taux différents pour les paris sportifs, selon qu'ils sont en ligne ou dans les points de vente. Ce grand changement pour l'entreprise, qui est en définitive protecteur pour l'État, s'inscrit dans la modernité.

En ce qui concerne le patrimoine, je me félicite de ce que le Parlement, sur proposition de Stéphane Bern, ait mis en place ce loto. Comme je l'ai dit, la Fondation du patrimoine récolte une partie des mises. Au-delà de l'affectation concrète des recettes, nous avons réussi à incarner un lien très fort entre les Français et leur patrimoine, et ce succès dépasse nos prévisions. Nous avons ainsi attiré une clientèle nouvelle, à savoir quelque 200 000 clients nouveaux. Les sondages montrent que non pas une majorité, mais quasiment tous les Français se prononcent pour la poursuite de ce loto.

Nous avons à coeur d'être à la hauteur de cette ambition. Nous avons préparé une deuxième édition des jeux du patrimoine : nous avons sélectionné les dix-huit monuments emblématiques, auxquels s'ajoutent 103 monuments. Nous organiserons un tirage spécial du loto du Patrimoine le 14 juillet prochain, et non pas le vendredi précédent les journées européennes du patrimoine, pour en faire un événement en tant que tel. Concernant les tickets à gratter, qui ont connu un énorme succès, nous avons choisi de proposer cette année, outre les tickets à quinze euros, des tickets à trois euros. Nous espérons collecter cette année entre 25 millions d'euros et 30 millions d'euros - je parle là encore du prélèvement que l'État affecte à la fondation. Vous le savez, l'État n'a pas souhaité changer la fiscalité sur les autres éléments de ces jeux...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous l'avons proposé.

Mme Stéphane Pallez. - Je vous fais confiance pour être persévérant ! Néanmoins, l'État a pris un engagement très significatif en affectant l'équivalent des autres taxes prélevées au budget du ministère de la culture, qui lui-même, en a réaffecté l'essentiel au patrimoine. Cette année, l'opération Patrimoine a apporté quelque 50 millions d'euros de financements additionnels.

Je ne vois pas en quoi la privatisation changerait les choses. D'ailleurs, Stéphane Bern a pris la loterie britannique comme modèle, une loterie privée. Le patrimoine est un élément constitutif de l'activité des loteries avec les territoires et la communauté nationale. C'est le Parlement qui décide de l'affectation des recettes, quel que soit l'actionnariat de l'entreprise.

S'agissant de l'ordonnance, elle sera publiée quand le parcours auprès de la Commission européenne aura été achevé : compte tenu du délai de trois mois qui s'applique, elle est publiable au plus tard en septembre. Elle décrira le contrôle étroit de l'État, c'est-à-dire les pouvoirs spécifiques qu'il aura et en vertu desquels il pourra procéder à la vente de ses actions ; elle créera la nouvelle autorité de régulation, l'Autorité nationale des jeux, en prévoyant son collège, ses commissions et sa gouvernance ; elle va procéder à une recodification de l'ensemble de la régulation sur les jeux, qui figurera, pour la première fois, dans un texte unique et elle définira, enfin, des catégories de jeux avec des fourchettes de taux de retour aux joueurs.

Le calendrier de la privatisation dépend de tous ces éléments : il ne saurait y avoir privatisation avant que la régulation ne soit mise en place, conformément aux dispositions adoptées par le Parlement. Il convient donc d'attendre la publication de l'ordonnance et les décrets d'application, ainsi que la préfiguration de l'autorité de régulation, sans parler des aspects plus techniques à l'égard de l'Autorité des marchés financiers, par exemple. L'État aurait l'intention de céder 50 % du capital et d'introduire la Française des jeux en bourse, en accordant une place importante aux particuliers et aux salariés.

M. Marc Laménie. - Quel est à court ou moyen terme le devenir des buralistes dans les territoires ruraux notamment, car il y va de la vie de nos villages et de nos bourgs ? Nous sommes tous attachés au maillage de notre territoire. Quel est le niveau de rémunération des buralistes, car ils connaissent des difficultés ? Quels moyens financiers sont mis au service de la lutte contre les addictions ?

M. Jacques Genest. - En vous écoutant, tout va bien ! Dans ce cas, pourquoi privatise-t-on une entreprise qui fonctionne bien ? On dit toujours qu'un paysan qui vend un veau a toujours la vache, mais quand il vend la vache, il n'a plus de veau à vendre. Il faut donc être prudent. On proteste contre la privatisation d'Aéroports de Paris, pourquoi ne le fait-on pas pour la Française des jeux, car, moralement, c'est pire encore ?

De plus, le réseau des buralistes est aujourd'hui mis à mal par la concurrence déloyale aux frontières et par le fait que les gens fument moins. Vous dites que l'État aura un pouvoir de contrôle. En fait, cela m'inquiète quand on voit ce qu'il fait de ses services publics, avec la fermeture des trésoreries dans les zones rurales, par exemple. Pourquoi s'opposerait-il à la fermeture des bars-tabac ?

M. Éric Bocquet. - Vous avez déjà répondu à ma question concernant l'avenir des actionnaires minoritaires. Il conviendrait toutefois que les engagements du Gouvernement dont vous avez parlé soient contractualisés. Que pensent les salariés, dont vous n'avez pas parlé, du projet de privatisation ? Y sont-ils associés d'une manière ou d'une autre ?

M. Pascal Savoldelli. - Il s'agit plus d'une explication de vote. Je ne referai pas le débat ; nous pensons que se pose un problème de santé publique et que la privatisation est une aberration économique.

Vous êtes très favorable à l'évolution du capital de la Française des jeux telle que l'a déterminée le Gouvernement. Je n'ai rien à dire sur vos compétences ; vous avez fait vos preuves, madame Pallez. Je fais simplement remarquer que je suis choqué - sans doute n'y êtes-vous pour rien ! - que soient mises en avant vos filiations dans le CV établi par la Société générale de presse et d'éditions qui nous a été distribué.

Mme Stéphane Pallez. - Je suis d'accord avec vous, mais je n'y suis pour rien.

M. Vincent Éblé, président. - Le CV nous a été transmis par le Secrétariat général du Gouvernement.

M. Pascal Savoldelli. - Votre parcours montre que vous accompagnez les orientations définies par l'exécutif national, ce qui est tout à fait respectable. Mais nous ne participerons pas au vote, en cohérence avec notre choix politique.

M. Claude Nougein. - Vous avez répondu en grande partie à la question que je souhaitais poser concernant les buralistes, qui nous font part de leurs inquiétudes dans nos permanences. Dans le cadre du protocole d'accord sur la transformation du réseau des buralistes, il leur a été donné un petit coup de pouce, mais ils espèrent beaucoup de la Française des jeux. Est-il possible d'améliorer les marges des buralistes, au détriment peut-être de vos résultats ou des contributions financières versées à l'État ? Est-il possible de créer de nouveaux produits pour leur permettre d'augmenter leur chiffre d'affaires ?

M. Emmanuel Capus. - Je vous remercie de votre présentation, qui, à titre personnel, m'a rassuré : par principe, je ne suis absolument pas opposé la privatisation, bien au contraire. Pour reprendre la métaphore de notre collègue, la question est non pas de savoir si l'on vend la vache, mais s'il revient à l'État d'être fermier et de gérer la vache ou pas. Or je ne suis pas certain que ce soit le rôle de l'État de gérer les jeux d'argent et de hasard d'autant qu'il ne s'agit plus seulement d'une situation de monopole.

Ma question porte sur la numérisation des jeux, avec une concurrence de plus en plus forte des pure players - exclusivement en ligne. Je crois comprendre que 95 % du chiffre d'affaires provient du réseau. Comment envisagez-vous l'évolution des jeux en ligne ? Comment vous y préparez-vous ? La Française des jeux s'est-elle acculturée à cette évolution ? Quels en sont les dangers pour votre réseau ?

M. Claude Raynal. - Merci de votre présentation. Il était intéressant d'avoir un point d'étape sur la Française des jeux. Ce projet de privatisation me pose toujours quelques difficultés. La comparaison entre l'éthique et le profit est un vrai sujet, qui se pose avec plus d'acuité encore quand il s'agit de faire entrer des acteurs privés au capital. Par nature, les acteurs privés veulent augmenter les profits. Dans le cadre de votre entreprise, il s'agira alors de chercher de nouveaux joueurs et d'augmenter la dépendance - sans vouloir être trop affirmatif, c'est en tout cas un risque.

Pour reprendre une citation du XVIIIsiècle, « les vices privés font la vertu publique ». Avec la privatisation, n'y a-t-il pas un risque que les vices privés s'accroissent ?

Vous avez parlé de la régulation. Pour réguler au mieux, n'avait-on pas une super formule ? Quand on est le patron, on régule comme on veut. En quoi la privatisation constitue-t-elle un plus ? Pour l'État, il s'agit de récupérer des moyens financiers. Mais qu'en est-il pour l'entreprise ?

Enfin, que pensez-vous des loot boxes, ces objets que l'on peut acheter en ligne dans les jeux ? Cette pratique est interdite en Belgique. La Française des jeux doit-elle investir dans ce secteur ou l'État français doit-il interdire ces ventes ?

M. Patrice Joly. - Mon intervention s'inscrit dans la droite ligne de celle de mon collègue précédent. Considérez-vous que le jeu soit une activité marchande comme les autres ? En quoi constitue-t-elle une activité d'intérêt général ? Si tel n'est pas le cas, comment agissez-vous pour qu'il en soit ainsi ?

Une étude réalisée en 2014 par l'Observatoire des jeux démontrait que les catégories les plus modestes étaient celles qui étaient concernées par la dépendance : 70 % des personnes à risques n'avaient pas le baccalauréat et 51 % étaient des ouvriers et employés. Savez-vous quelles catégories sociales jouent et quelles sont celles qui sont en phase d'addiction ? Joue-t-on plus dans les métropoles ou à la campagne, dans les villes moyennes ou dans les grandes villes ? Le jeu n'aggrave-t-il pas les conditions de vie des plus modestes ? Existe-t-il une corrélation entre l'addiction au jeu et d'autres addictions, telles que l'alcool ou la drogue ? Quelles actions menez-vous pour accompagner ces personnes et quelles sont les perspectives à ce sujet ?

M. Michel Canévet. - À l'aube de la privatisation, pour laquelle je n'ai pas d'états d'âme, ma préoccupation porte sur les implantations sur notre territoire de la Française des jeux, que nous souhaitons conserver tant pour ce qui concerne les effectifs de l'entreprise que ceux du réseau qui commercialisent les produits. Pouvez-vous nous donner des assurances en ce sens, car nous sommes très attachés à nos territoires ?

Vous avez évoqué des efforts en matière d'investissement à hauteur de 180 millions d'euros. Vous vous appuyez sur les forces propres de l'entreprise, mais aussi sur un réseau de courtiers mandataires, qui pourraient légitimement trouver une place dans l'actionnariat de l'entreprise. Qu'en est-il de la poursuite de leur activité ?

Mme Stéphane Pallez. - Le réseau et le maillage territorial suscitent beaucoup d'intérêt. Depuis cinq ans, nous avons stabilisé le réseau à 30 000 points de vente. On parle beaucoup des 180 millions d'euros d'investissement, alors que ce qui est massif, c'est surtout la compensation de la disparition des points de vente, que ce soit dans les régions frontalières ou bien en centre-ville où le niveau des loyers est élevé. Nous avons souhaité recréer des agréments Française des jeux dans d'autres points de vente de notre réseau historique, en concertation avec la Confédération, pour éviter des pressions sur d'autres points de vente qui fonctionnent bien. Pas moins de 800 nouveaux points de vente ont ainsi vu le jour. Cette dynamique est conforme au modèle économique de l'entreprise.

En février 2018, nous avons passé un accord sur la rémunération. Certains s'interrogent sur le niveau de cette rémunération : est-il suffisant ? L'accord a changé la structure de la rémunération, ce qui se traduit par 0,3 point de pourcentage supplémentaire. En moyenne, si la réglementation sur le jeu responsable est appliquée, les rémunérations peuvent atteindre 5,5 %. L'an dernier, nous avons versé 785 millions d'euros aux exploitants. L'investissement que nous avons fait a permis de continuer à développer l'activité avec une croissance des mises et une croissance de rémunération du réseau portée à 3,5 %. Pour passer cet accord, nous avons dû réfléchir à la meilleure manière de développer le réseau, en lui apportant de nouveaux services et en le faisant bénéficier d'applications numériques qui renouvellent son fonctionnement. Nous avons, par exemple, créé une application qui permet à un joueur de préparer son pari sportif sur son téléphone mobile puis de le valider en point de vente, ce qui peut donner lieu à du chiffre d'affaires pour les points de vente. Loin d'être notre ennemi, le numérique attire de nouveaux clients, grâce à une offre moderne, élargie et divertissante.

Nos 30 000 points de vente sont répartis sur l'ensemble du territoire. Certaines zones sont moins bien servies que d'autres et nous veillons à maintenir le maillage, car il est tout autant fondamental pour l'entreprise que pour la collectivité nationale. Je suis toujours très fière de constater que la Française des jeux contribue parfois à maintenir le seul et dernier commerce d'un village français.

Allons-nous encore augmenter la rémunération du réseau ? L'accord de 2018 s'applique sur deux ans, de sorte que cette rémunération vient d'être augmentée. L'effort est important pour l'entreprise, mais constitue un investissement d'avenir positif.

Nous essayons d'introduire dans notre réseau l'ensemble de nos produits, y compris les paris sportifs, qui sont en pleine croissance. D'où mes efforts pour obtenir une fiscalité correcte dans ce domaine. Nous veillons à introduire également des services complémentaires, et nous avons, par exemple, signé un accord avec Western Union pour rendre possibles les transferts d'argent dans les points de vente.

Le monopole conféré à l'entreprise repose sur le principe selon lequel le jeu d'argent reste une activité illicite tant que les États ne l'ont pas autorisé dans un cadre régulé. La vertu publique consiste surtout à prévoir des financements publics qui perdurent, quelle que soit l'activité de l'entreprise : pas moins de 3,5 milliards d'euros ont été versés l'an dernier au budget de l'État. L'enjeu fondamental est celui de la régulation. Les choix sont nationaux, ce qui explique que le casino en ligne est interdit en France, alors qu'il existe dans d'autres pays. La privatisation est compatible avec le système dont les deux leviers - régulation et affectation aux finances publiques des prélèvements sur les jeux - sont indépendants de la détention du capital et perdurent, quels que soient les actionnaires. Le contrôle étroit de l'État lui confère des pouvoirs importants. Avec 20 % du capital, il exercera des droits beaucoup plus importants. L'État ne renonce pas en tant qu'actionnaire à exercer un contrôle sur l'entreprise, ce qui est pour le moins rassurant.

La privatisation de la Française des jeux a donné lieu à moult déclarations. Le Gouvernement a traduit son intention dans une loi adoptée par le Parlement. Mon rôle n'est que de gérer l'entreprise pour qu'elle se développe dans le respect de sa nature. La privatisation est compatible avec ce modèle et ouvrira des opportunités à l'international.

Les données sur l'addiction relèvent de l'Observatoire des jeux, juge de paix de l'addiction en France. La Française des jeux offre surtout des jeux peu addictifs, comme les jeux de tirage. La France reste un pays modéré en termes d'addiction au jeu, ce qui est un résultat positif de la régulation. Pour autant, nous restons attentifs au sujet. Nous avons conçu des matrices où nous étudions le potentiel de risque de nos jeux. Nous menons aussi des études de terrain que nous soumettons à notre régulateur, pour vérifier que chaque jeu est compatible avec nos principes.

Nous avons mis en place un outil numérique - le Playscan - pour inciter les joueurs à définir leur comportement de jeu, afin de pouvoir les bloquer s'ils vont au-delà. Nous sommes en relation permanente avec des organismes spécialisés comme la Fédération Addiction ou SOS Joueurs. Nous développons des dispositifs de signalement des joueurs en état d'addiction ou de détresse. L'activité de jeux d'argent ne sera pas viable si l'on ne s'investit pas sur ce sujet.

Les courtiers mandataires ne remplissent pas les critères posés par la loi pour avoir accès à l'offre salariée ; ils n'y auront donc pas accès. Quant aux loot boxes, ils dépendent de la régulation des jeux vidéo tout en s'apparentant aux jeux d'argent ; ils n'entrent pas dans mon champ de compétences.

Depuis cinq ans, l'entreprise s'est employée à rendre le monopole plus digital et numérique. Un monopole qui n'est pas moderne s'assèche progressivement. Nous souhaitons continuer à développer un modèle où les joueurs seront les plus nombreux possible, dans un cadre régulé.

Je reste à votre disposition pour poursuivre ces échanges riches et intéressants.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site internet du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination par le Président de la République aux fonctions de présidente-directrice générale de La Française des jeux

La commission procède au vote sur la proposition de nomination de Mme Stéphane Pallez aux fonctions de présidente-directrice générale de La Française des jeux.

MM. Éric Bocquet, vice-président et Marc Laménie, secrétaire, sont désignés en qualité de scrutateurs.

La réunion est close à 11 heures.

À l'issue du vote de la commission des finances de l'Assemblée nationale, la commission des finances du Sénat procède au dépouillement, simultanément à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, en présence de M. Vincent Éblé, président, et MM. Éric Bocquet, vice-président et Marc Laménie, secrétaire, en leur qualité de scrutateurs.

Le résultat du vote, qui sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, est le suivant :

Nombre de votants : 28 ; Blancs : 7 ; Pour : 19 ; Contre : 2.

La réunion est ouverte à 11 heures.

Nomination de rapporteurs spéciaux

La commission nomme Mme Christine Lavarde rapporteur spécial des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » pour les programmes « Infrastructures et services de transports » et « Affaires maritimes » et le compte d'affectation spéciale « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs », et M. Jean Bizet rapporteur spécial des crédits de la mission « Investissements d'avenir ».

Désignation d'un membre du Bureau de la commission

La commission nomme Mme Christine Lavarde vice-présidente de la commission en remplacement de Mme Fabienne Keller.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission demande à se saisir pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, sous réserve de sa présentation en Conseil des ministres et de son dépôt, et nomme M. Alain Joyandet rapporteur pour avis.

Actualisation du programme de contrôle budgétaire de la commission

M. Vincent Éblé, président. - Notre collègue Jacques Genest, rapporteur spécial des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » souhaite mener un contrôle budgétaire sur le thème : « l'implantation des services de l'État dans les territoires : état des lieux et enjeux financiers. »

Compte tenu du caractère transversal de ce sujet, il associera bien évidemment les rapporteurs spéciaux concernés aux auditions qu'il pourra conduire, en fonction des services concernés.

La commission adopte le programme de contrôle ainsi modifié.

Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2018 - Examen du rapport

M. Vincent Éblé, président. - Nous en venons à l'examen du rapport d'Albéric de Montgolfier sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2018.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous nous trouvons à un moment important du calendrier budgétaire, où nous sommes amenés à regarder le passé - l'exécution 2018 - pour mieux préparer l'avenir - ce sera l'objet de notre réunion de la semaine prochaine, consacrée au débat d'orientation des finances publiques.

D'un point de vue macro-économique, l'année 2018 pourrait constituer un tournant, en signant la fin de la croissance de rattrapage dont a bénéficié le Gouvernement depuis le début du quinquennat et qui l'a grandement aidé à atteindre ses objectifs budgétaires. L'an dernier, le Gouvernement a de nouveau pu « surfer » sur la conjoncture, en bénéficiant d'une croissance effective de 1,7 %, soit un niveau conforme à la prévision et nettement supérieur à la croissance potentielle de l'économie française, que l'on estime comprise entre 1,2 et 1,3 %.

Cependant, l'économie française semble progressivement s'essouffler. Ce ralentissement est particulièrement visible lorsque l'on suit l'évolution du PIB en glissement annuel, en comparant le niveau du PIB pour un trimestre donné à ce qu'il était au même trimestre de l'année précédente. Ainsi mesurée, la croissance française a connu une forte accélération entre le quatrième semestre de 2016, avec 1,2 %, et le dernier trimestre de 2017, au cours duquel elle a même frôlé les 3 %. Depuis ce point haut, elle a continûment ralenti, pour finalement retrouver au quatrième trimestre de 2018 un rythme de 1,2 %. Le ralentissement observé l'an dernier s'explique par une moindre contribution de la demande intérieure, et non par le commerce extérieur, qui apporte pour la première fois depuis 2012 une contribution positive à la croissance française.

Cette évolution paraît compatible avec la thèse d'un épuisement de la « capacité de rebond » de l'économie française. En effet, si l'économie peut croître temporairement à un rythme plus élevé que son potentiel pendant une phrase dite de rattrapage, elle doit ralentir une fois son « potentiel de rebond », aussi appelé écart de production, revenu à zéro. D'après le Gouvernement, c'est précisément dans cette situation que l'économie française se trouverait désormais.

Des interrogations demeurent sur la position exacte de l'économie française dans le cycle. En effet, les indicateurs macroéconomiques traditionnels de surchauffe (inflation, dynamique des salaires) restent aujourd'hui atones, ce qui pourrait suggérer l'existence d'une « capacité de rebond » supplémentaire. Dès lors, les estimations du niveau de l'écart de production à l'issue de l'exercice de 2018 divergent selon les instituts. L'hypothèse gouvernementale selon laquelle la « capacité de rebond » serait désormais épuisée présente néanmoins un caractère central au regard des estimations disponibles et paraît ainsi la plus plausible.

Pourtant, le Gouvernement a préféré différer une nouvelle fois le redressement structurel des comptes publics, ce qui risque d'isoler encore davantage la France au sein de la zone euro. À l'issue de l'exercice de 2018, le solde public s'est établi à - 2,5 % du PIB, contre - 2,8 % du PIB en 2017. Il s'agit d'un résultat légèrement meilleur que celui qui est attendu dans le cadre du PLF de 2018 et de la prévision actualisée du PLFR de 2018, à savoir 2,6 % du PIB. Un tel constat ne permet toutefois ni d'apprécier si ce redressement présente un caractère pérenne, ni s'il est imputable au Gouvernement.

Or ce dernier a bénéficié non seulement d'une croissance de rattrapage, mais également d'un fort dynamisme des prélèvements obligatoires, dont l'élasticité à l'activité s'est élevée à 1,2.

Au total, il ressort de la décomposition de l'évolution du solde public que son amélioration traduit pour deux tiers l'effet de la conjoncture et du dynamisme des recettes, et pour un tiers seulement un effort structurel de redressement des comptes publics. En effet, la baisse des prélèvements obligatoires a permis de diminuer leur poids dans la richesse nationale de 0,2 point.

La diminution de la dépense publique en volume mise en avant par le Gouvernement est trompeuse. Si l'on neutralise les facteurs exceptionnels que constituent le contrecoup de la recapitalisation d'Areva effectuée en 2017 et le moindre remboursement de la taxe à 3 % sur les dividendes, et que l'on tient compte des crédits d'impôt enregistrés en dépense en comptabilité nationale, la croissance de la dépense publique en volume est en réalité positive et même supérieure au niveau de 2017.

L'exercice de 2018 me paraît marquer l'échec de la stratégie budgétaire du « en même temps », qui visait à mener en parallèle une baisse du déficit structurel et des prélèvements obligatoires, faute d'un effort suffisamment important en matière de maîtrise de la dépense publique. Seules la conjoncture et la forte élasticité des recettes permettent encore de le masquer, mais nous avons vu que cela ne devrait pas durer !

Ce manque de sérieux budgétaire transparaît plus clairement encore à la lumière des règles budgétaires européennes et surtout des efforts réalisés par nos principaux voisins. La France n'a respecté aucun de ses engagements européens en 2018. La déviation maximale autorisée a même été dépassée s'agissant de la règle de dette, ce qui a conduit la Commission européenne à rédiger un rapport préalable à l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif.

À l'issue d'une évaluation globale de l'ensemble des facteurs pertinents, tenant compte notamment des faibles risques qui pèsent à court terme sur la soutenabilité de la dette française et des réformes structurelles mises en oeuvre par le Gouvernement, elle a toutefois conclu qu'une procédure pour déficit excessif fondée sur la dette n'était pas justifiée à ce stade, à l'inverse de ce qu'elle a décidé dans le cas italien. Si le Gouvernement a donc une nouvelle fois pu compter sur la bienveillance des institutions européennes, l'absence de respect des règles budgétaires nourrit la divergence observée entre la France et le reste de la zone euro.

Sur le plan du déficit, avec une amélioration du solde nominal limitée à 0,2 point, la France figure parmi les pays de la zone euro où le redressement opéré l'an dernier est le plus faible. L'écart avec le reste de la zone euro, déjà important à l'issue de l'exercice de 2017, continue ainsi à se creuser, alors même que le reste de la zone euro est désormais à l'équilibre budgétaire.

Le ratio d'endettement français est pour la première fois supérieur à celui du reste de la zone euro hors Allemagne, tandis que le différentiel avec l'Allemagne atteint près de 40 points de PIB. En matière de coût budgétaire de la dette, ce différentiel avec l'Allemagne atteint 34 millions d'euros, même avec des taux d'intérêt très faibles. L'économie française est vulnérable, en dépit de l'effet anesthésiant de la baisse des taux. Nous y reviendrons plus longuement dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques.

L'amélioration nominale du déficit a cette fois encore été portée par la sphère sociale et les collectivités territoriales, qui confortent leurs excédents. S'agissant des administrations publiques locales, si la croissance de la dépense publique (+ 2,4 %) est très légèrement supérieure à l'objectif (+ 2,3 %), cela tient à la reprise plus forte qu'escompté de l'investissement local (+ 7,8 %). Ainsi, c'est bien la contribution des dépenses d'investissement qui explique l'essentiel de la croissance de la dépense locale en 2018.

À l'inverse, la progression des dépenses de fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales (+ 0,3 %) est très inférieure à l'objectif fixé dans le cadre de la contractualisation (+ 1,2 %). Cela correspond à un montant d'économies de 3,5 milliards d'euros si l'on retient le tendanciel du Gouvernement et même de 5 milliards d'euros si l'on prend pour base de calcul celui de la commission des finances, qui tenait compte des efforts consentis par les collectivités territoriales lors de la période de référence. Encore une fois, les collectivités territoriales ont démontré leur capacité à participer à l'effort collectif en matière de maîtrise de la dépense.

La situation est plus contrastée pour la sphère sociale. L'amélioration du solde est inférieure de plus de 2 milliards d'euros à la prévision révisée et tient en grande majorité à la conjoncture et aux hausses de prélèvements obligatoires, ainsi que l'a rappelé la Cour des comptes la semaine dernière.

Surtout, il faut garder à l'esprit que l'excédent de la sphère sociale est subordonné à la contribution positive de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), qui s'élève actuellement à 0,6 point de PIB. Or, cette contribution a de fortes chances de s'éteindre avec la Cades en 2024. En l'absence de contribution positive de la Cades, les administrations de sécurité sociale resteraient légèrement déficitaires en 2018, ce qui témoigne à la fois de la fragilité de la situation budgétaire de la sphère sociale et de la nécessité de poursuivre le redressement des comptes sociaux dans la durée.

Venons-en maintenant à l'État, dont le besoin de financement en comptabilité nationale, à hauteur de 69,9 milliards d'euros, explique à lui seul le déficit public. En comptabilité budgétaire, le déficit est de 76 milliards d'euros, en aggravation de 8,4 milliards d'euros par rapport à 2017. Mais, pour avoir une vision correcte des effets de la politique gouvernementale, il faut neutraliser certains effets, en particulier la recapitalisation du secteur énergétique qui avait aggravé temporairement le solde de 7,5 milliards d'euros en 2017. Le creusement du déficit budgétaire réellement lié à la politique menée en 2018 est nettement plus élevé : je l'estime à 13 milliards d'euros. Cette évolution est due aux mesures de réduction d'impôts, que l'on approuverait si elles étaient gagées par des mesures d'économie : ce n'est pas le cas puisque les dépenses sont en réalité en nette augmentation.

Passons en effet à un examen rapide des missions dont la consommation des crédits évolue le plus en valeur absolue. Sur 29 missions, 20 voient leurs dépenses augmenter. La mission « Enseignement scolaire » croît de 1,3 milliard d'euros, avec, toutefois, un ralentissement dans la création de postes. La mission « Défense », qui subit une sous-budgétisation récurrente sur les opérations extérieures et les missions intérieures, progresse de près de 1 milliard d'euros aussi bien en dépenses de personnel qu'en fonctionnement et en investissement. Pour la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », c'est la revalorisation de la prime d'activité et de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) qui explique l'exécution supérieure de près de 800 millions d'euros. Enfin, il faut noter, pour la mission « Recherche et enseignement supérieur », la hausse des crédits consacrés à la formation supérieure, la recherche spatiale et aux projets de l'Agence nationale de la recherche. S'agissant enfin de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », c'est la généralisation du « chèque énergie » qui a l'impact le plus important.

À l'inverse, il faut noter la baisse notable des crédits de la mission « Travail et emploi », liée à la réduction du nombre de contrats aidés et à l'extinction du dispositif d'aide à l'embauche dans les petites et moyennes entreprises (PME). Pour la mission « Cohésion des territoires », on peut constater les effets sur le budget de la réforme des aides personnelles au logement dans la loi de finances initiale pour 2018. Enfin la mission « Agriculture » revient à un niveau de crédits plus usuel, après une année 2017 marquée par des dépenses exceptionnelles liées à des refus d'apurement d'aides européennes.

Les dépenses de personnel, après un pic exceptionnel en 2017, reprennent une progression plus habituelle avec une hausse de 1,9 %. Le principal facteur d'augmentation est la mise en place de l'indemnité compensatrice de la CSG. Le schéma d'emploi a un impact positif sur les dépenses de personnel. On ne voit toujours pas venir la diminution des emplois de l'État à hauteur de 50 000 postes qui figure dans la loi de programmation des finances publiques, mais que le Gouvernement semble avoir mise de côté.

Sous l'effet d'une conjoncture favorable, les recettes progressent nettement plus vite que la croissance pour la deuxième année consécutive, ce qui suffit à compenser les effets des mesures prises avant ou à l'occasion de la loi de finances initiale. Si l'on prend un à un les principaux impôts, les recettes de l'impôt sur les sociétés sont légèrement supérieures à la prévision en raison d'une évolution spontanée assez favorable, mais en baisse par rapport à 2017 pour plusieurs raisons : l'année 2017 avait connu des recettes exceptionnelles, dont l'instauration des contributions exceptionnelle et additionnelle ; en 2018, les taux ont par ailleurs diminué.

Les recettes issues de l'impôt sur le revenu sont stables, car l'évolution spontanée a été contrebalancée par les effets de la transformation de la réduction d'impôt relative à l'emploi d'un salarié à domicile en crédit d'impôt et par l'entrée en vigueur du prélèvement forfaitaire unique.

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a fourni des recettes en hausse de 4,3 milliards d'euros. Celles de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui s'applique pour la première fois en 2018, sont de 1,3 milliard d'euros, soit un montant supérieur de 52 % au produit prévu lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2018. Si l'on ajoute les encaissements au titre de l'impôt sur la fortune (ISF) pour les exercices antérieurs, le produit total est inférieur de 3,2 milliards d'euros à celui de l'ISF en 2017.

Les recettes non fiscales enregistrent un produit stable d'année en année, autour de 14 milliards d'euros. Elles ont toutefois dépassé de 700 millions d'euros le produit attendu, qui s'explique par le versement par la Caisse des dépôts et consignations d'un dividende de 1 milliard d'euros, contre 500 millions d'euros prévus, et par la soudaine augmentation du coût de la tonne de CO2 qui a permis à l'État de récupérer une partie des recettes issues des ventes de quotas carbone.

Je note toutefois des imprécisions dans les documents budgétaires sur les retours financiers que produisent les investissements d'avenir : selon que l'on regarde les données des opérateurs ou celles de l'État, ces retours varient de plus de 400 millions d'euros.

Le coût total estimé des dépenses fiscales est de 100,2 milliards d'euros en 2018, contre 93,4 milliards d'euros en 2017. Cette augmentation de près de 7 milliards d'euros est due en partie à la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), mais le coût des dépenses fiscales hors CICE est également en hausse de 2,4 milliards d'euros sur un an. Il faut souligner une nouvelle fois la grande approximation de ces chiffrages : seules 287 des 474 dépenses fiscales font l'objet d'un chiffrage dans les documents budgétaires au titre de l'année 2018. Le montant de 100,2 milliards d'euros inclut donc en réalité, pour 34 dépenses fiscales, le chiffrage de 2017 parce que celui de 2018 n'est pas encore disponible.

Certains chiffres sont d'ailleurs incompréhensibles : alors que la loi de finances initiale pour 2018 a fait passer la TVA de 5,5 % à 10 % pour les logements sociaux, le coût de la dépense fiscale correspondante n'a pas changé dans les documents budgétaires, ce qui rend le débat pour le moins biaisé.

S'agissant à présent de l'exécution du budget par rapport à l'autorisation en loi de finances initiale, nous l'avions constaté en examinant le budget de 2018 et cela est confirmé : il y a eu un réel effort de sincérisation du budget.

M. Vincent Éblé, président. - Un budget mauvais, mais sincère, n'est pas non plus la solution !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Aucun décret d'avance n'a été pris en cours d'année, la réserve de précaution hors dépenses de personnel a été limitée à 3 %, et les ouvertures de crédits ont eu lieu dans une loi de finances rectificative limitée aux mesures de fin de gestion. L'amélioration du solde en cours d'exécution est d'abord due à un effet artificiel : un montant élevé de droits de mutation a été comptabilisé sur l'exercice 2018 au lieu de l'exercice 2017.

Ces bonnes surprises concernent les ressources. Du côté des dépenses, l'exécution n'a pas permis de dégager des économies nouvelles. Les crédits consommés ont été pratiquement ceux qui ont été prévus en loi de finances initiale. Les reports vers l'exercice suivant sont comparables aux reports depuis l'exercice précédent. Les fonds de concours ont apporté 900 millions d'euros de plus que prévu, ce qui correspond à peu près aux montants de crédits annulés en loi de finances rectificative ou en loi de règlement.

Au niveau des missions, les écarts à la prévision ne sont pas aussi spectaculaires qu'en 2017, année où trois missions avaient connu un dérapage supérieur à 1 milliard d'euros, mais ils n'en sont pas pour autant négligeables.

La surexécution de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » est liée à un afflux non prévu de fonds de concours, notamment de la part de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). À l'inverse, la sous-exécution de la mission « Travail et emploi » provient de la baisse du nombre de contrats aidés et de l'extinction du dispositif d'aide à l'embauche, pourtant déjà prévue dans le projet de loi de finances.

Enfin, il faut mettre l'accent sur les ouvertures de crédits complémentaires prévues par l'article 4 du présent projet de loi de règlement, qui concernent la mission « Remboursements et dégrèvements », pour un montant inhabituel de 1,4 milliard d'euros. Le ministre de l'action et des comptes publics nous a indiqué par courrier, au mois de mai, que ce dépassement résultait de contentieux individuels à fort enjeu au titre de l'impôt sur les sociétés, intervenus en fin d'année.

Les explications sont peu satisfaisantes, alors que les dégrèvements et restitutions liés à des contentieux sur l'impôt sur les sociétés s'élèvent au total à 3,2 milliards d'euros, contre une prévision de 0,8 milliard d'euros. Il est indispensable de mieux comprendre les raisons qui semblent entraîner une multiplication de contentieux importants perdus par l'administration en matière d'impôt sur les sociétés, mais aussi d'autres impôts tels que l'impôt sur le revenu. On parle de milliards d'euros.

Je prendrai enfin quelques instants pour aborder la démarche de performance. C'est un bel acquis de la LOLF, mais force est de constater que son potentiel n'est pas toujours pleinement exploité. Mme la ministre de la santé Agnès Buzyn nous parlait encore récemment de cet indicateur sur l'espérance de vie ressentie par les Français. Les indicateurs sont souvent théoriques et peu utiles. La maquette de performance en compte encore trop, même si ce phénomène s'est atténué depuis 2015. En 2018, le budget de l'État ne comptait plus que 765 indicateurs contre 1 025 en 2014. La lisibilité de la maquette s'est aussi améliorée avec la mise en place, depuis 2012, d'indicateurs considérés comme les plus représentatifs de la mission, au nombre de 93 en 2018. Cependant, en 2018, moins de 65 % de ces indicateurs sont exploitables, alors qu'ils sont censés être les plus représentatifs d'une mission.

Certaines des missions du budget général sont complètement sinistrées sous cet angle de la performance : pour les missions « Santé » ou « Travail et Emploi », par exemple, aucun sous-indicateur n'est exploitable. Dès lors, à quoi sert la démarche de performance ?

Pour conclure, ce projet de loi de règlement comporte les articles habituels, qui sont de pure constatation et n'appellent pas d'observation particulière. L'article liminaire concerne l'ensemble des finances publiques : la publication du compte provisoire 2018 complet par l'Insee, le 29 mai dernier, a conduit les députés à amender cet article afin de tenir compte de la révision de la croissance et de diminuer de 0,2 point le solde structurel et en améliorant du même montant le solde conjoncturel ; cela n'a pas d'effet sur le solde effectif, mais réduit l'ajustement structurel de 0,1 point.

Les articles 2 à 6 présentent le résultat budgétaire de l'État, son tableau de financement en 2018, le compte de résultat et le bilan en comptabilité générale, le montant définitif des crédits pour le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux. Il s'agit d'articles de pure constatation qu'il n'y a pas lieu d'amender.

L'article 7 ratifie deux décrets intervenus en décembre 2018, concernant, d'une part, certains services rendus par le ministère de la défense et, d'autre part, les redevances des services de navigation aérienne. Cette ratification permet à ces décrets d'éviter de devenir caducs.

Enfin l'article 8, introduit par amendement à l'Assemblée nationale, prévoit que le « jaune budgétaire » relatif aux opérateurs de l'État distingue ceux qui sont considérés comme des organismes divers d'administration centrale (ODAC) et ceux qui ne le sont pas. Je ne suis pas sûr que le passage par la loi soit indispensable pour enrichir un document budgétaire, mais toute amélioration relative à la connaissance des opérateurs de l'État est utile.

Ce projet de loi de règlement est, pour l'essentiel, un texte de constatation qui témoigne d'une exécution plutôt conforme à l'autorisation. Il découle toutefois du projet de loi de finances pour 2018, dans le cadre duquel le Sénat avait marqué son désaccord avec plusieurs choix du Gouvernement. Je m'en remettrai donc à la sagesse de la commission sur le texte.

Enfin, je dois vous préciser, en ce qui concerne le périmètre du texte qui nous est soumis, que tout amendement déposé en vue de l'examen du texte en séance, pour être recevable, doit respecter le domaine des lois de règlement. Celui-ci est défini par l'article 37 de la LOLF, auquel les auteurs d'amendement sont invités à se reporter.

M. Vincent Éblé, président. - Nous vous remercions pour ce rapport synthétique et clair.

M. Vincent Delahaye. - Cette loi de règlement a fait l'objet du printemps de l'évaluation à l'Assemblée nationale. Je suis curieux d'en connaître les résultats. Il serait bon que le Parlement dispose de son propre outil d'évaluation. Cela nous permettrait d'avancer de manière plus rassurante dans nos analyses et nos propositions.

M. Vincent Éblé, président. - On peut toujours mettre en place un outil d'évaluation. Si nous n'avons pas les données, il tournera à vide.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On nous a présenté, hier, un outil de simulation fiscale. Il est resté limité à l'impôt sur le revenu et se contente pour le moment de permettre de faire varier les tranches d'impôt sur le revenu pour en obtenir son montant, sans pouvoir modifier les règles du quotient familial. Il ne mesure pas non plus encore l'impact budgétaire. Il reste du chemin à faire. On peut déjà faire appel à des consultants extérieurs. Il est certain qu'il faut avoir accès aux données pour pouvoir mener une évaluation efficace.

M. Vincent Delahaye. - Des consultants extérieurs pourraient effectivement nous aider. Le Sénat pourrait prendre en charge dans son budget une partie de ces études qui contribueraient à compléter notre analyse.

Le rapporteur général a bien décrit la situation générale de nos finances publiques. Le redressement est très lent. Le choix du Gouvernement d'alléger les impôts sans baisser la dépense publique est malheureux pour l'amélioration des comptes publics. On peut s'interroger sur un budget qui serait mauvais tout en étant sincère, mais n'est-ce pas toujours mieux que ce que l'on avait avant, à savoir un budget à la fois mauvais et insincère ? Le déficit a augmenté en 2018, car la dépense a continué à croître, même si elle a été mieux maîtrisée que dans le passé. Le Gouvernement n'a pas été assez économe, mais il a été sincère.

Le groupe UC votera en faveur de ce projet de loi de règlement, non pas pour donner un blanc-seing au Gouvernement, mais pour l'inciter à procéder à une revue importante des dépenses publiques, en vue d'un assainissement de nos finances publiques.

M. Dominique de Legge. - Les crédits de la mission « Défense » étaient inscrits en augmentation de + 1,8 milliard d'euros dans la loi de finances pour 2018. On leur enlève 1,2 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE) non consommées et non reportées et 102 millions d'euros en crédits de paiement (CP), alors que, pour la première fois, le budget de la Défense a dû supporter le surcoût des Opex à hauteur de 600 millions d'euros. Il y a un décalage entre les déclarations du Gouvernement et la réalisation budgétaire.

Mme Nathalie Goulet. - Je parle en tant que rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État ». Le bon résultat affiché provient du bas niveau des taux d'intérêt. À force de crier au loup alors que les taux n'augmentent pas, la sanction n'arrive pas. Tant mieux si nous bénéficions de taux d'intérêt qui restent faibles. Cependant, n'oublions pas l'épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Par ailleurs, un certain nombre de missions sont mal évaluées. C'est le cas pour 31 dépenses fiscales attachées au programme 145 de la mission que je rapporte. Cependant, je suivrai la position de Vincent Delahaye.

M. Marc Laménie. - Vous indiquez à la page 17 de votre présentation que les annulations de crédits ont augmenté de 1,2 milliard d'euros sur l'enseignement scolaire par rapport à 2017, alors qu'il s'agit pourtant de la première mission du budget de l'État. Le projet de loi précise que beaucoup d'annulations portent sur des crédits non consommés et non reportés et qu'elles représentent 1,1 milliard d'euros pour l'ensemble des missions. Comment expliquer ces différences ?

M. Jean-Marc Gabouty. - On ne peut pas s'étonner d'une croissance plus atone au quatrième trimestre 2018, où le contexte a pénalisé la consommation intérieure. Une capacité de rebond existe, liée à une augmentation du pouvoir d'achat ou à des achats différés dans un contexte d'amélioration du moral des ménages et du climat des affaires. Le Gouvernement préfère stratégiquement avoir des résultats supérieurs à ses annonces.

J'ai eu une difficulté à comprendre le graphique de la page 10 de votre document. Le solde de la zone euro hormis la France et l'Allemagne y apparaît moins bon que celui de la zone euro hormis la France, ce qui laisse à penser que l'Allemagne contribuerait à la dégradation du solde de la zone euro. Pourriez-vous m'expliquer ce paradoxe ?

M. Éric Bocquet. - À la page 9, vous mentionnez un début de redressement de la situation du Portugal. Ce pays a fait des choix à contre-courant de ce que Bruxelles préconise, en augmentant notamment les salaires en échange d'une baisse des cotisations. La France ne pourrait-elle pas s'en inspirer ?

Le 20 juin dernier, le journal Les Échos faisait état d'une baisse des recettes fiscales en matière de recouvrement contentieux pour la troisième année consécutive. Bercy aurait renoncé à des redressements à hauteur de 1,4 milliard d'euros dans le dossier Vivendi et de 1,9 milliard d'euros pour deux autres dossiers. Connaît-on les raisons de ces abandons ?

M. Claude Raynal. - La sincérité des comptes est un sujet particulier. Elle est considérée comme acquise, alors que certaines suppressions sont significatives : 3 milliards d'euros en AE et 500 millions d'euros en CP. Cela mériterait des explications. Dans certains domaines comme l'agriculture, on connaît les raisons de la sous-consommation des crédits. C'est moins vrai pour la mission « Défense ».

Il faudra que nous revenions sur les propos que M. Darmanin nous tenait en 2017, en les opposant à la réalité en 2018. En matière de sincérité politique, il y a loin de la coupe aux lèvres.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vincent Delahaye, l'Assemblée nationale a effectivement beaucoup communiqué sur le printemps de l'évaluation. Au Sénat, un accord-cadre permettant de lancer des marchés d'études existe déjà. Nous en avons d'ailleurs demandé une dans le cadre de notre mission sur la fiscalité du patrimoine. Nous pourrons aussi nous en servir pour des chiffrages lors de la loi de finances. Mais s'ils n'ont pas accès aux données, même les meilleurs chercheurs du monde ne seront d'aucun recours.

Marc Laménie, selon les tableaux, les chiffres incluent ou non les fonds de concours et les contributions au CAS « Pensions ». Pour connaître les raisons des annulations, il faudrait mener un travail plus précis avec les rapporteurs spéciaux.

Jean-Marc Gabouty, l'Insee table sur une croissance inférieure de 0,1 point aux prévisions du Gouvernement. Quant au graphique de la page 10, il montre au contraire que l'Allemagne, avec son excédent primaire, améliore par définition la situation de la zone euro.

Quelques mots enfin de l'écart entre redressements et recouvrement dans les contentieux fiscaux. La situation, il est vrai, ne s'améliore pas. Le président Vincent Éblé et moi avons eu accès à un certain nombre de dossiers portant sur l'impôt des sociétés, les prix de transfert, la fiscalité internationale : ces affaires sont très compliquées. Lorsque l'administration prononce un redressement, les intéressés invoquent nombre d'arguments pour justifier, par exemple, de loger tels bénéfices dans telle filiale, située dans tel pays. Et devant les tribunaux, ils gagnent souvent alors que les montants sont significatifs ! On doit du reste s'interroger sur le nombre important de contentieux perdus. Le tribunal administratif de Paris, ainsi, a donné systématiquement raison aux « géants du numérique » à propos de la notion d'établissement stable.

Je précise à Marc Laménie qu'il se produit toujours des annulations et des mises en réserve sur les crédits de l'enseignement scolaire, mais finalement cette année moins que dans le passé.

Le projet de loi est adopté sans modification.

La réunion est close à 12 heures.