Mardi 28 mai 2019

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 45.

Examen et adoption du rapport de la mission commune d'information

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous nous réunissons aujourd'hui pour l'examen du projet de rapport présenté par nos collègues Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien. Le rapport provisoire a été mis à votre disposition jeudi dernier pour que vous puissiez en prendre connaissance avant cette réunion.

Nos rapporteures se concentreront sur les principaux constats et propositions avant que nous ayons un large débat et le vote.

Notre mission d'information a procédé au total à quarante auditions plénières, complétées par neuf auditions des rapporteures ouvertes à l'ensemble des membres de la mission et par trois déplacements à Angers, Lyon et Strasbourg. Lors des auditions organisées au Sénat, nous avons rencontré une centaine d'interlocuteurs. Avec les déplacements, le total s'élève à environ 165 personnes. De plus, 120 contributions ont été recueillies via notre espace participatif en ligne. Ce nombre élevé d'auditions s'explique par notre volonté d'examiner le fonctionnement des diverses institutions et structures qui accueillent des mineurs, depuis l'Éducation nationale jusqu'aux clubs de sport en passant par les conservatoires de musique ou les assistantes maternelles. Le rapport comporte des développements thématiques pour que le lecteur retrouve les informations pertinentes sur le secteur d'activité qui l'intéresse le plus.

Une partie non négligeable de nos travaux ont été consacrés à l'Église catholique, ce qui était légitime compte tenu du nombre d'affaires rendues publiques ces dernières années et des annonces faites par l'Église au cours de ces derniers mois, qu'il s'agisse du lancement de la commission Sauvé ou des décisions prises par le pape François.

Nous avons veillé à ne pas reproduire les travaux conduits par Marie Mercier en 2018 au nom de la commission des lois. Sur le volet droit pénal et procédure pénale, le rapport rappelle simplement les principales conclusions du rapport Mercier, qui restent pleinement d'actualité, et présente les modifications issues de la loi Schiappa du 3 août 2018.

Marie Mercier présentera la première partie du rapport, Michelle Meunier, la deuxième partie, et Dominique Vérien, les troisième et quatrième parties.

Chers collègues, vous aurez ensuite la parole et pourrez proposer, si vous le souhaitez, des modifications que nous mettrons en discussion. À l'issue de nos échanges, je vous demanderai si vous approuvez l'adoption du rapport.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Merci, madame la présidente, pour ce travail mené pendant des mois avec beaucoup de sérénité sur un sujet grave et difficile. Nous avons pu échanger et nous exprimer avec le but de toujours mieux protéger nos enfants.

Notre rapport s'attache tout d'abord à dresser un état des lieux des violences sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cade de leur métier ou de leur fonctions, en présentant les données statistiques disponibles, en revenant sur le profil des auteurs et en insistant sur les conséquences de ces violences sur les mineurs, dont la gravité a longtemps été sous-estimée.

Nos auditions ont confirmé le manque de données disponibles pour évaluer précisément l'ampleur du phénomène. Le Conseil de l'Europe fait souvent référence au chiffre d'un enfant sur cinq victime d'abus sexuels, mais ce chiffre agrège des réalités assez diverses, du viol jusqu'à l'exposition à des images pornographiques, et renvoie à des agressions qui ont lieu dans leur grande majorité dans le cercle familial.

Avec mes collègues rapporteures, nous avons auditionné une chercheuse de l'Institut national d'études démographiques (Ined) qui nous a présenté les conclusions de l'enquête Virage. Cette grande enquête de victimologie, réalisée en 2015 auprès d'un échantillon représentatif de 27 000 personnes, révèle que 0,8 % des femmes et 0,3 % des hommes déclarent avoir subi avant l'âge de dix-huit ans un ou plusieurs faits de violence sexuelle commis par un professionnel, qu'il s'agisse de propositions insistantes, de frottage, d'attouchements ou de rapports sexuels forcés.

Quand on examine la répartition par secteurs, on observe qu'un grand nombre de ces violences se produisent dans le cadre de la scolarité : à hauteur de 20 % pour les femmes et de 50 % pour les hommes, ce qui n'est guère surprenant étant donné le temps passé dans le système scolaire. Le travail est le deuxième environnement dans lequel les violences se produisent, ce qui souligne la vulnérabilité des apprentis et des stagiaires : 50 % des violences subies par les femmes s'y produisent, contre 17 % pour les hommes. Les violences commises par les représentants d'une religion concernent 0,5 % des jeunes filles, mais 6,8 % des jeunes garçons victimes, ce qui confirme la particulière vulnérabilité des garçons dans ce contexte, attestée par différents témoignages que nous avons recueillis. Enfin, les garçons sont également plus souvent victimes lorsque les faits sont commis par un éducateur, un animateur ou un travailleur social.

Si l'enquête Virage contient des données utiles, on peut regretter qu'elle ne soit pas renouvelée périodiquement, faute de moyens, et que la taille de l'échantillon empêche une analyse encore plus fine identifiant précisément les situations à risques.

C'est pourquoi notre première proposition est la création d'un observatoire des violences sexuelles, qui pourrait étoffer ces données statistiques et conduire des études criminologiques, afin de mieux comprendre les conditions du passage à l'acte, ainsi que cela nous a été suggéré sur notre espace participatif. On ne combat efficacement que ce que l'on connaît bien.

Le rapport rappelle les règles de la répression pénale des infractions sexuelles sur mineurs et souligne la nécessité, déjà mise en évidence dans mon rapport de 2018, d'entendre les enfants dans un cadre adapté, avec des professionnels formés, en réunissant dans un même lieu enquêteurs, professionnels de santé et travailleurs sociaux. C'est toute l'ambition des unités d'accueil médico-pédiatriques qui ont vocation à accueillir à terme l'ensemble des enfants victimes.

Nous soutenons la démarche d'évaluation de la loi Schiappa annoncée par le Gouvernement, même si nous souhaiterions qu'elle soit confiée à un groupe pluraliste associant députés et sénateurs et non à la seule rapporteure du texte à l'Assemblée, même si j'ai beaucoup d'estime pour notre collègue députée Alexandra Louis, avec laquelle j'avais travaillé. Il conviendra notamment de vérifier si la définition du viol permettra de retenir plus facilement cette qualification et si l'allongement du délai de prescription aura un impact sur le nombre de condamnations.

Une autre mesure qui méritera d'être évaluée dans quelques années est la création des cours criminelles départementales, qui pourrait faire reculer la « correctionnalisation » des viols afin d'éviter les délais de jugement très longs liés à l'encombrement des cours d'assises. Je rappelle que le viol, par définition, n'est jamais consenti et est un crime.

Pour augmenter le nombre de condamnations, nous devons favoriser encore la libération de la parole : celle des victimes, qui ont intérêt à porter plainte sans délai pour que les services enquêteurs puissent recueillir le maximum de preuves ; mais aussi celle de toutes les personnes qui suspectent qu'un enfant est victime et qui peuvent faire un signalement.

Des campagnes d'information pourraient être menées régulièrement, afin de sensibiliser le grand public. Le travail des associations agréées qui interviennent dans les écoles doit être encouragé et développé : à chacune de leurs interventions dans une classe, des enfants révèlent des situations anormales dont ils ont été victimes ou témoins. L'Éducation nationale a un rôle à jouer via les cours d'éducation à la sexualité pour sensibiliser les élèves au respect de leur corps et aux limites qui ne doivent pas être franchies par les adultes. Si cette éducation à la sexualité est bien prévue dans les textes, elle se déroule souvent beaucoup moins bien que prévu.

Dans cette perspective, il convient bien sûr de consolider les crédits alloués au numéro d'appel 119, crédits que le Gouvernement avait voulu réduire dans le dernier projet de loi de finances, avant que la mobilisation des associations de protection de l'enfance ne l'oblige à faire machine arrière - et c'est une très bonne chose.

Pour libérer la parole, il faut également faire mieux connaître les obligations de signalement prévues par nos textes : l'article 40 du code de procédure pénale et surtout l'article 434-3 du code pénal, qui prévoit l'obligation de porter à la connaissance des autorités judiciaires ou administratives les actes « d'agressions ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur ». Cet article est celui qui est mobilisé le plus fréquemment par les procureurs. L'article R4124-44 du code de la santé publique dispose que « lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. Lorsqu'il s'agit d'un mineur ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience ». Il « alerte » est au présent de l'indicatif : c'est donc une obligation.

Les personnes couvertes par une obligation de secret professionnel ont la possibilité de s'en affranchir et de signaler des faits à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) ou au procureur. C'est ce qu'on appelle l'option de conscience.

Avec mes collègues rapporteures, nous nous sommes interrogées sur l'opportunité d'aller au-delà de cette option de conscience, qui laisse aujourd'hui toute liberté aux professionnels de santé de signaler ou de garder le silence, au profit d'une véritable obligation de signalement qui leur serait imposée, mais qui pourrait entraîner des conséquences non-évaluées à ce jour.

Dans son Guide relatif à la prise en charge des mineurs victimes de 2015, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice estime que l'obligation de dénoncer s'impose, y compris aux dépositaires d'un secret professionnel, lorsque le crime ou le délit est susceptible de se reproduire. Selon cette interprétation, l'obligation de porter assistance à une personne en danger l'emporterait sur le respect du secret professionnel. Mais cela reste une interprétation et nous proposons une réflexion portant sur la clarification de cette interprétation. Pourra se poser la question de savoir s'il faut aller encore au-delà et instaurer une obligation générale de signalement à la charge des professionnels de santé et des travailleurs sociaux lorsqu'ils constatent qu'un mineur est la possible victime de violences sexuelles.

Il me semble que nous n'avons pas creusé suffisamment la question du secret professionnel ; nous n'avons pas entendu les ordres professionnels. Peut-être pourrions-nous indiquer qu'il s'agit là de pistes de réflexion méritant d'être soumises à une plus large concertation. Le débat s'ouvrira, sans perdre de vue l'intérêt de la protection des mineurs.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - La deuxième partie de notre rapport présente les mesures qui pourraient être mises en oeuvre dans les différentes structures qui accueillent des mineurs afin de mieux protéger les enfants et les adolescents contre le risque de violence sexuelle. Certes, le risque zéro n'existe pas, mais nous devons nous donner pour objectif de le réduire au minimum. Nos travaux nous ont permis d'identifier trois leviers sur lesquels il est possible d'agir.

Le premier consiste à vérifier les antécédents judiciaires des professionnels et des bénévoles pour éviter que des prédateurs sexuels soient placés au contact des mineurs ; il est possible de passer les recrutements au crible du casier judiciaire et du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (FIJAISV) ; de procéder aux mêmes contrôles pour le personnel en place ; et d'organiser une information de l'employeur par l'autorité judiciaire si un de ses agents est condamné, comme le prévoit la loi dite de Villefontaine.

Le deuxième levier d'action concerne la formation, initiale et continue, des professionnels placés au contact des mineurs ainsi que celle du personnel d'encadrement : formation à la prévention, à la détection, au signalement et au traitement des violences sexuelles.

Enfin, il est indispensable que, dans chaque organisation, la direction et l'encadrement tiennent un discours clair et organisent des procédures de signalement et de remontées d'informations, afin que la libération de la parole l'emporte sur la peur du scandale.

Concernant la vérification des antécédents judiciaires, nous avons constaté que le contrôle du FIJAISV était loin d'être systématique. Créé en 2004, ce fichier contient l'identité et l'adresse du domicile des auteurs d'infractions sexuelles sur mineurs. Il contient davantage d'informations que le casier judiciaire puisqu'y figurent l'ensemble des condamnations, même non encore définitives, rendues à l'encontre d'un majeur comme d'un mineur, ainsi que certaines mises en examen.

Ce fichier gagnerait à être beaucoup plus utilisé. Sa consultation est obligatoire pour certains recrutements mais pas pour d'autres, sans que l'on discerne la logique d'ensemble : c'est une sédimentation historique qui explique ces différences de pratiques. Nous pensons également qu'il serait intéressant d'y faire figurer, sauf décision contraire de la juridiction, les mises en examen assorties d'un placement sous contrôle judiciaire ou d'une assignation à résidence sous surveillance électronique, ainsi que les condamnations pour consultation habituelle d'images pédopornographiques. Si la consommation de ces images constitue, chez certaines personnes, une forme de dérivatif qui leur évitera de passer à l'acte, elle constitue chez d'autres la première étape d'un parcours criminel. Nous pensons que, dans ce domaine, le principe de précaution doit l'emporter.

Nous nous sommes attachés au cours de nos travaux à évaluer les politiques de lutte contre les infractions sexuelles mises en oeuvre par les différentes institutions qui accueillent des mineurs.

L'Éducation nationale et les accueils collectifs de mineurs, c'est-à-dire les colonies de vacances, les camps de scouts et les centres aérés, procèdent à des contrôles approfondis sur les antécédents judiciaires de leur personnel, avec une consultation systématique du FIJAISV.

L'administration de la jeunesse et des sports a développé une téléprocédure automatisée qui facilite la consultation du FIJAISV par les employeurs, avant d'embaucher un salarié qui travaillera dans un accueil collectif de mineurs. D'autres organisations gagneraient à s'inspirer de cette téléprocédure afin de passer rapidement au crible du fichier les individus placés au contact des mineurs sans créer une charge de travail excessive pour nos administrations.

Nous avons perçu, tant à l'Éducation nationale que du côté des accueils collectifs de mineurs, une réelle attention portée au problème des violences sexuelles sur mineurs. Au sein de l'Éducation nationale, des mesures conservatoires sont mises en oeuvre en cas de doute sur un enseignant et le conseil de discipline se réunit sous la présidence du recteur d'académie. Des contacts réguliers sont noués avec l'autorité judicaire et des référents sont mis en place, pour être informé sans délai de toute affaire qui mettrait en cause un enseignant. De leur côté, les professionnels employés dans un accueil collectif de mineurs peuvent faire l'objet d'une mesure administrative de suspension prise en urgence en cas de signalement, même en l'absence d'ouverture d'une procédure pénale.

C'est sans doute du côté de la formation des enseignants que des marges de progression existent puisqu'ils ne sont pas tous sensibilisés à la détection des signes qui peuvent laisser présumer qu'un enfant est victime de violences sexuelles, ni à l'écoute de l'enfant victime. Or un enfant qui s'exprime et qui n'est pas entendu risque de ne plus prendre la parole par la suite. Dans les accueils collectifs, les animateurs titulaires du BAFA sont sensibilisés à cette question, tandis que le personnel de direction reçoit une formation plus approfondie.

Si l'on considère maintenant les services gérés par les collectivités territoriales, certains contrôles pourraient être significativement renforcés. Les maires, les présidents de conseil départementaux ou régionaux peuvent être destinataires des informations contenues dans le FIJAISV, via les préfectures, mais cette faculté est manifestement peu connue et rarement utilisée. Ainsi, les collectivités se contentent-elles habituellement de contrôler le bulletin n° 2 du casier judiciaire. C'est le cas pour la procédure d'agrément des assistantes maternelles, pour le recrutement des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) qui interviennent dans les écoles ou encore pour le recrutement des professeurs dans les conservatoires municipaux.

La généralisation de la consultation du FIJAISV nous semble devoir s'imposer : rien ne justifie qu'elle soit systématique pour un enseignant de l'Éducation nationale mais pas pour une assistante maternelle ou un enseignant d'une école de musique, de danse ou de théâtre.

S'il faut établir un ordre de priorité, nous recommandons d'opérer rapidement ces contrôles dans les établissements et services qui accueillent des mineurs handicapés. Le plus souvent, ces établissements contrôlent uniquement le bulletin n° 3 du casier judiciaire, qui contient beaucoup moins d'informations que le FIJAISV puisqu'il répertorie seulement les condamnations les plus graves, c'est-à-dire punies d'au moins deux ans de prison ferme. Et nous n'avons pas perçu de la part des trois grandes associations qui fédèrent les établissements et services pour handicapés, l'APF France Handicap, l'Unapei et l'Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), une réelle prise en compte du problème des violences sexuelles sur mineurs à hauteur de l'enjeu, alors que nous avons recueilli plusieurs témoignages, notamment celui du Dr Muriel Salmona, qui ont insisté sur la très grande vulnérabilité de ce public.

L'univers du sport est un autre secteur à risques, en raison de la proximité physique entre les entraîneurs et les jeunes sportifs, de la promiscuité des vestiaires ou des déplacements loin du domicile familial dus à la participation à des compétitions. Dans ce secteur, la rigueur des contrôles exercés sur les éducateurs sportifs professionnels contraste avec l'absence de vérification opérée sur les bénévoles. Il y a là une faille majeure dans le dispositif si nous voulons sécuriser l'accueil des jeunes qui exercent une activité physique et sportive. La Fédération française de football a pris conscience de cette lacune puisqu'elle a annoncé le lancement d'une expérimentation, en partenariat avec le ministère des sports, pour passer au crible du FIJAISV ses 400 000 bénévoles. Il s'agit là d'un premier pas dans la bonne direction avant une généralisation de ce contrôle.

J'ajoute que le sport de haut niveau, tout comme la pratique d'une activité artistique, peuvent favoriser la mise en place de mécanismes d'emprise : parfois, l'élève est persuadé qu'il doit continuer à travailler avec tel entraîneur ou tel professeur de musique parce qu'il favorisera sa réussite au prochain concours ou sa sélection pour la prochaine compétition. L'élève se trouve alors dans une situation de fragilité qui nécessite une vigilance particulière des instances de direction mais aussi de l'entourage de l'enfant ou de l'adolescent.

Nous avons consacré une part importante de nos travaux aux infractions sexuelles commises dans un contexte religieux, ce qui était légitime au regard du nombre d'affaires qui ont touché, notamment, l'Église catholique, y compris pendant les six mois d'activité de notre mission. Le nombre d'affaires couvertes par la hiérarchie catholique nous conduit à qualifier les violences sexuelles sur mineurs de problème systémique au sein de l'Église. Cela ne signifie pas, bien évidemment, que tous les religieux sont concernés, mais nous pensons que le problème dépasse de simples dérives individuelles et qu'il met en cause l'organisation et le fonctionnement de l'institution.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer que le problème des infractions sexuelles sur mineurs n'ait pas été plus rapidement traité au sein de l'Église. Celle-ci dispose de sa propre hiérarchie, de ses propres tribunaux et de sa propre législation, le droit canon, ce qui a pu accentuer la tendance que l'on observe dans toutes les grandes organisations à gérer en interne les affaires d'agressions sur mineurs ; certains catholiques, surtout dans les milieux traditionnalistes, perçoivent l'Église comme une institution assiégée, en bute à l'hostilité du monde moderne, ce qui n'a pas favorisé la transparence sur ces affaires ; le poids de la figure du prêtre dans les communautés catholiques, l'absence de contre-pouvoirs face à la hiérarchie de l'Église et la peur du qu'en-dira-t-on n'ont pas favorisé la libération de la parole des victimes ; plusieurs de nos interlocuteurs ont également pointé la confusion entre le pardon et le travail de l'autorité judiciaire ; sans doute l'Église a-t-elle également sous-estimé, comme d'autres institutions, l'impact dévastateur à long terme de l'agression sexuelle subie par une jeune victime.

La règle du célibat des prêtres et le manque de mixité ont pu également être mis en cause. Toutefois, le fait que la grande majorité des abus sexuels se déroulent dans le cadre familial et soient le fait d'hommes mariés montre que la réalité est plus complexe. En vérité, toute situation d'emprise crée un contexte qui peut donner lieu à des abus et il ne fait pas de doute que certains prêtres peuvent exercer un réel ascendant sur les jeunes qu'ils encadrent.

Une question mérite cependant d'être posée : est-il possible que la carrière ecclésiastique soit choisie par des individus éprouvant une attirance pour les enfants parce que le voeu de célibat leur offrirait une forme de respectabilité et de protection face aux interrogations de leur entourage ? Peut-être la commission Sauvé réunira-t-elle des données statistiques de nature à apporter un éclairage sur cette question difficile.

Depuis plusieurs années, l'Église de France a adopté une série de mesures qui vont dans le bon sens : création de cellules pour l'écoute des victimes, signalements systématiques à l'autorité judiciaire, effort de formation auprès des séminaristes et des membres du clergé, volonté de transparence avec la commission Sauvé, réflexion sur une réparation accordée aux victimes.

Au mois de février, le pape François a convoqué à Rome les présidents des conférences épiscopales pour un sommet sur la protection de l'enfance qui a débouché sur l'adoption de deux séries de mesures : d'abord, un décret sur la prévention et la lutte contre les violences sur les mineurs et les personnes vulnérables au sein de la Cité du Vatican ; puis le 9 mai dernier le motu proprio Vos Estis Lux Mundi (« Vous êtes la lumière du monde »), qui oblige les prêtres et les religieux à signaler tout soupçon d'agression sexuelle ou de harcèlement ainsi que toute couverture de tels faits par la hiérarchie de l'Église.

Il faut reconnaître que ces mesures prises par l'Église de France et par l'Église universelle forment un ensemble complet et cohérent, même si l'on ne peut que regretter qu'elles aient été adoptées si tardivement. Tout l'enjeu est maintenant de les mettre en oeuvre sur le terrain, comme les associations de victimes nous l'ont à chaque fois rappelé.

En ce qui nous concerne, nous serons particulièrement vigilantes - et vigilants - quant aux efforts entrepris pour la formation des ministres du culte - cette recommandation vaut d'ailleurs pour l'ensemble des grandes religions -, ainsi que pour l'écoute et la reconnaissance des victimes et le signalement des affaires à la justice, les exigences du droit national devant naturellement l'emporter sur les règles internes à l'Église.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - J'évoquerai les orientations retenues concernant, d'une part, la prise en charge des victimes, d'autre part, la prévention du passage à l'acte et le traitement des auteurs afin d'éviter le risque de récidive.

Nous avons souhaité consacrer une partie du rapport à l'accompagnement des victimes, car lorsque la prévention a échoué, la société a le devoir d'accompagner la victime dans sa reconstruction et son parcours de résilience.

Nous réaffirmons d'abord les positions prises l'année dernière par Marie Mercier sur l'utilité des dispositifs aidant à la reconstruction des victimes, indépendamment du procès pénal. C'est le cas de la justice restaurative, qui fournit un cadre où la victime est reconnue, peut exprimer sa souffrance et en retirer un apaisement. Nous rappelons aussi les possibilités d'action en réparation civile qui peuvent permettre à la victime de recevoir une indemnisation pour le préjudice qu'elle a subi.

Mais la reconstruction de la victime passe avant tout par une prise en charge thérapeutique, qu'elle soit médicale ou psychologique, afin de prévenir le développement de troubles, voire de pathologies, conséquences à long terme des violences subies.

Cette prise en charge s'organise dans le cadre plus général de la psychiatrie des mineurs, qui dépasse le champ de notre mission. Nous avons cependant tenu à rappeler la situation critique de la psychiatrie des mineurs, qui ne permet pas d'offrir une réponse satisfaisante à toutes les victimes. Les centres médico-psychologiques infanto-juvéniles sont très sollicités : le nombre de patients a augmenté de 14 % en dix ans, sans que les moyens suivent.

Depuis la loi du 17 juin 1998, la prise en charge médicale des mineurs victimes de violences sexuelles est intégralement remboursée par l'assurance maladie, mais ce dispositif est trop peu connu. Nous proposons donc qu'un important effort de communication soit conduit par les professionnels pour informer les victimes de leurs droits.

Nous avons également constaté, au gré de nos auditions, qu'une prise en charge exclusivement médicale des victimes n'était pas toujours la solution la plus adaptée. Nous proposons donc que la prise en charge intégrale des soins soit étendue aux consultations psychologiques. Cette extension du panier de soins permettra aussi de compenser, d'une certaine manière, la pénurie de psychiatres.

Dans ce contexte sinistré, il convient cependant de saluer l'ouverture, en début d'année de dix centres dédiés aux victimes de psychotraumatismes. Ils ont vocation à proposer aux victimes une approche globale par des consultations, des psychothérapies individuelles ou de groupe et des actions d'éducation thérapeutique. Il est trop tôt pour juger de l'apport de ces centres, qui feront l'objet d'une évaluation dans un délai de trois ans. On ne peut cependant que regretter leur nombre limité et leur répartition territoriale : les régions Bretagne, Normandie et Pays de la Loire ne disposent ainsi d'aucun centre de prise en charge du psychotraumatisme. Il nous paraît souhaitable qu'à terme, une centaine de centres dédiés aux psychotraumatismes soit créée, afin d'assurer une couverture territoriale plus équilibrée.

S'agissant maintenant de la prise en charge des auteurs, je rappelle que des dispositifs spécifiques encadrent le suivi des auteurs d'infractions sexuelles, que ce soit en prison ou en milieu ouvert.

En milieu carcéral, la prise en charge des auteurs est fondée sur le principe de l'incitation aux soins. Les détenus qui acceptent de suivre les soins qui leur sont proposés, ce qui est le plus souvent le cas, bénéficient d'une prise en charge spécifique, qui peut être réalisée au sein de l'un des vingt-deux établissements pénitentiaires spécialisés dans l'accueil de ces condamnés. Ces établissements spécialisés disposent d'équipes soignantes renforcées et du concours d'équipes mobiles. Toutefois, la totalité des auteurs d'infractions sexuelles n'est pas incarcérée dans ces établissements spécialisés, compte tenu des autres critères qui président au choix du lieu de détention, notamment l'objectif de maintien des liens familiaux. Ceux qui sont détenus dans les établissements pénitentiaires non spécialisés sont pris en charge dans le cadre plus général de l'offre de soins en milieu carcéral. Des thérapies de groupes spécifiques aux violences sexuelles peuvent notamment leur être proposées.

L'efficacité de la prise en charge thérapeutique des détenus reste cependant limitée, principalement pour deux raisons. La première est que la majorité des auteurs se plie aux traitements dans une posture passive et utilitaire, notamment pour bénéficier d'un aménagement de peine. La seconde raison est liée à la discontinuité de la prise en charge, due aux transfèrements des détenus et à l'inégale disponibilité des professionnels de santé selon les territoires. Rappelons que les établissements pénitentiaires sont souvent localisés dans des zones rurales, ce qui complique leur accessibilité pour les intervenants extérieurs. Dans l'Yonne, par exemple, un prisonnier doit attendre dix-huit mois avant toute prise en charge médicale.

Cette situation fragilise aussi la préparation de la sortie de prison : la situation géographique des établissements pénitentiaires complique les possibilités d'insertion professionnelle ; l'installation du condamné dans un autre ressort de juridiction à sa sortie peut rompre la continuité de la prise en charge par les professionnels de santé et de la justice.

Il est donc essentiel de renforcer la continuité de la prise en charge sanitaire des condamnés lors de leur sortie de détention, en assurant une meilleure coordination entre les intervenants en milieu carcéral et ceux qui sont chargés du suivi du condamné en milieu ouvert. Pour autant, il n'est pas nécessaire qu'ils restent dans le département où est implanté l'établissement pénitentiaire dans lequel ils étaient incarcérés.

En milieu ouvert, les auteurs peuvent être condamnés à un suivi socio-judiciaire, qui impose au condamné de respecter des mesures d'assistance et de surveillance. Parmi ces mesures, figure l'injonction de soins, qui fait intervenir le juge de l'application des peines, un médecin coordonnateur et un médecin traitant.

La pénurie de psychiatres, que je viens d'évoquer, fragilise toutefois la prise en charge. Il faut saluer à cet égard le travail précieux réalisé par les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), présents dans chaque région, qui apportent un appui aux professionnels de santé, aux professionnels de la justice et aux travailleurs sociaux et qui mènent des actions de recherche et de formation.

Les juridictions ont tendance à ordonner systématiquement une injonction de soins dans le cadre du suivi socio-judiciaire. Pourtant, selon le profil de l'auteur, la prise en charge médicale n'est pas toujours la plus adaptée. De plus, s'il peut être mis fin de manière anticipée à l'injonction de soins, lorsqu'elle n'apparait plus nécessaire, cette faculté est en pratique très peu utilisée. Nous proposons donc de recentrer l'injonction de soins sur le public pour lequel des soins sont réellement appropriés et de ne pas hésiter à dissocier la durée du suivi socio-judiciaire de celle de l'injonction de soins.

S'il existe, comme nous venons de le voir, des dispositifs pour prévenir la récidive, la prévention du premier passage à l'acte est moins bien organisée. Elle est pourtant essentielle pour accompagner les personnes attirées sexuellement par les enfants et réduire le nombre de victimes.

Deux associations, que nous avons rencontrées, mènent des actions de prévention. L'association Une Vie, qui porte le projet PedoHelp, diffuse sur son site internet des messages de prévention en direction des personnes pédophiles, à qui elle propose de signer une « charte de non-passage à l'acte », afin qu'elles s'engagent symboliquement dans cette démarche. L'association l'Ange bleu propose quant à elle une permanence d'écoute et organise des groupes de paroles réunissant pédophiles et victimes, pour les aider à prendre conscience de la gravité des violences et des troubles ressentis par les uns et par les autres. Ces associations manquent toutefois de moyens et leurs actions, bien qu'utiles, ne peuvent pas à elles seules assurer une prévention satisfaisante sur l'ensemble du territoire.

C'est pourquoi nous proposons la création d'un dispositif d'écoute et d'accompagnement des personnes attirées sexuellement par les mineurs. Une douzaine de CRIAVS ont déjà mis en place un « réseau écoute et orientation » pour assurer l'écoute de ces personnes et les orienter vers des dispositifs de prise en charge. Nous proposons d'aller plus loin, en créant un dispositif inspiré du modèle allemand du Dunkelfeld. À l'origine, le Dunkelfeld, que l'on pourrait traduire par « zone d'ombre », est un service de l'hôpital de la Charité à Berlin. Il a depuis essaimé en une dizaine de centres qui proposent une écoute des personnes pédophiles, un diagnostic et un accompagnement thérapeutique visant à faire évoluer durablement leurs comportements pour éviter le passage à l'acte.

Sur ce modèle, nous proposons donc la création d'un dispositif national offrant, d'une part, une permanence d'écoute pour apporter une aide immédiate aux personnes, d'autre part, une prise en charge thérapeutique, encadrée par des professionnels spécialement formés. Un premier centre d'écoute et d'accompagnement, à dimension nationale, pourrait être ouvert, avant d'envisager, à moyen terme, l'ouverture d'autres structures sur le territoire.

Demandé par les CRIAVS et par plusieurs associations, le renforcement de la prévention du passage à l'acte est déterminant pour compléter nos dispositifs de lutte contre les agressions sexuelles et réduire ainsi le nombre de mineurs victimes.

Mme Florence Lassarade. - Merci à toutes les trois de cet excellent rapport, exhaustif. Ma question s'adresse à Marie Mercier : comment peut-on envisager d'améliorer le signalement des infractions par les personnels soignants au regard du secret médical ?

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Notre groupe avait souhaité au départ la constitution d'une commission d'enquête sur la pédophilie au sein de l'Église. Après plusieurs rebondissements, c'est finalement cette mission commune d'information qui a été créée. Ses travaux sont d'excellente qualité et feront vraisemblablement référence.

Pour autant, cette démarche n'a pas atteint son objectif. Sur plus de trente propositions, trois concernent l'Église. Le rapport note l'évolution incontestable de la parole au sein de celle-ci, y compris celle du Pape, la mise en place de la commission Sauvé, et fait le choix de faire confiance à l'institution catholique pour mettre un terme à ce qui s'y passe. De fait, plusieurs sujets ne sont pas abordés.

S'agissant du droit canon, nous avons beaucoup échangé avec certaines personnes auditionnées sur la manière dont ils envisageaient l'intervention de la justice civile et, en dépit de progrès sur plusieurs sujets, rien n'a avancé : le secret, l'absence de sanctions prévues par notre droit, les procédures particulières.

La procédure interne à l'Église n'est pas notre problème : nous devons considérer les auteurs d'infraction au regard de notre législation nonobstant toute autre législation spécifique.

De même, le rapport ne va pas assez loin sur la question de l'indemnisation financière, à laquelle peut être tenue, en droit français, toute personne causant un préjudice. Or nous avons salué le fait que les représentants de l'Église envisagent une telle indemnisation, y compris d'un point de vue symbolique ! Si nous considérons que l'institution a une responsabilité, il faut envisager cette indemnisation.

Enfin, le sujet de la « cause » est abordé de façon latérale. Au cours d'auditions a été évoqué l'interdit de la sexualité - je ne parle pas du célibat : un grand nombre de pédophiles sont des hommes mariés. Je note que deux archevêques au moins ont considéré qu'il fallait pouvoir envisager l'ordination d'hommes mariés ; cet interdit n'est donc pas intangible.

Déçue des conclusions de ce rapport, j'envisage de ne pas les voter.

Mme Laurence Rossignol. - Je ne reviens pas sur la genèse de cette mission commune d'information. Au départ, nous voulions identifier les mécanismes par lesquels l'Église catholique avait pu être le cadre d'actes pédocriminels tout en en protégeant les auteurs.

Un sujet est évoqué dans le rapport sans donner lieu à proposition : le secret de la confession. Si j'ai bien compris, celui-ci n'existe pas dans le code pénal ; en revanche, la chambre criminelle de la Cour de cassation l'a reconnu. C'est au législateur d'intervenir pour mettre fin à une jurisprudence. Le secret de la confession est invoqué par les avocats des auteurs de ce type d'infraction, et, selon le droit canon, ainsi que l'a rappelé monseigneur de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, si un prêtre vient se confesser d'avoir commis un tel acte, l'absolution ne peut lui être donnée sauf s'il se dénonce ou accepte d'en parler en dehors de la confession. À défaut de se dénoncer, il faut donc en conclure que la seule sanction qu'encoure ce prêtre, c'est le refus d'absolution ! Pour la victime et la société, l'absence d'absolution n'est pas une sanction à la hauteur du crime commis. Il faudrait donc que nous proposions d'inscrire clairement dans le code pénal que le secret de la confession n'est pas le secret médical ou le secret professionnel de l'avocat, qui connaît des exceptions, d'ailleurs.

La proposition n° 9, à savoir « Introduire dans le code pénal une obligation de signalement pour les professionnels de santé et les travailleurs sociaux qui constatent qu'un mineur est victime de possibles violences physiques, psychologiques ou sexuelles », reprend en fait la mesure adoptée par le Sénat lors de l'examen de la loi d'août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, écartée finalement en commission mixte paritaire, ce qui est regrettable.

Par ailleurs, la proposition n° 39 aurait dû faire référence au secret de la confession pour indiquer qu'il n'est aucunement prévu par le code pénal et ne peut être assimilé aux autres secrets professionnels.

Mme Muriel Jourda. - Merci à nos rapporteures pour ce travail, qui a donné lieu à des auditions parfois pénibles.

Mme Laurence Rossignol souhaite que la proposition n° 9 aille plus loin ; à moi, elle pose question, comme la proposition n° 8 : « Clarifier et faire connaître l'obligation pour les professionnels tenus à une obligation de secret de dénoncer les faits dont ils ont connaissance si cela permet d'empêcher un crime ou un délit de se reproduire. » Selon la direction des affaires criminelles et des grâces, un médecin pourrait être incriminé pour ne pas avoir empêché la commission d'un crime, alors qu'un autre texte dit exactement l'inverse. Je ne suis pas certaine que cette interprétation de la direction des affaires criminelle et des grâces soit juridiquement exacte. Ce qui est certain, c'est qu'une clarification s'impose.

La proposition n° 9 me laisse assez dubitative. Cela revient à écorner encore le secret médical, élément essentiel du rapport entre le médecin et son patient. Surtout, rien dans le rapport ni aucune des auditions que nous avons menées ne nous permettent d'en arriver à cette conclusion. Je vois mal comment l'on pourrait mettre à mal le secret médical sans avoir préalablement entendu les ordres professionnels concernés - nous avons entendu un seul médecin, qui n'y était d'ailleurs pas favorable. Il ne faudrait pas affaiblir, sur ce point, la cohérence de nos travaux.

M. Olivier Henno. - Nous avons tous en tête des exemples dramatiques d'abus sexuels sur mineurs ; je pense en particulier à des événements qui se sont produits non loin de chez moi. La question de la lutte contre la récidive, dont il est souligné qu'elle est peu efficace, est abordée à travers celle de la prise en charge des auteurs d'infraction sexuelle. Or vous ne préconisez pas un renforcement de l'arsenal judiciaire. Il faudrait approfondir ce point.

Mme Annick Billon. - Bravo pour ce travail dense.

Nous ne sommes pas parvenus à chiffrer précisément le nombre d'agressions sexuelles sur mineurs, où qu'elles se produisent. Dès lors, on ne sait pas sur quel levier agir pour apporter une réponse efficace. Il faut donc connaître leur ampleur dans le secteur du sport, dans les associations, au sein des cultes, etc. Ces structures doivent nous donner des chiffres précis.

Nous avons beaucoup parlé d'agressions sexuelles, d'obligation de signalement... Mais tant que la société n'aura pas défini précisément l'agression sexuelle, en la distinguant du crime sexuel, toute réponse sera difficile. Les rapporteures ont aussi évoqué la loi Schiappa. Ce n'est qu'avec un interdit clair sur toute relation entre adulte et enfant, avec un seuil d'âge, qu'on sanctionnera plus facilement les crimes. La libération de la parole est cyclique, et n'équivaut aucunement à des sanctions. Elle ne suffit pas : il faut une loi pour fixer un cadre. Le Sénat avait voté une obligation de signalement. Il faut un message clair, y compris envers les médecins et les associations. Sinon, il y aura toujours aussi peu de déclarations. Pour les encourager, il faut protéger la personne qui signale, car il peut y avoir des erreurs. Bref, je vous félicite pour ce travail, qui a été difficile car les réponses diffèrent nécessairement selon les structures : Églises, associations sportives où fourmillent les bénévoles, écoles...

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Merci pour ce travail de qualité, et pour les auditions, toutes passionnantes - même si la dernière m'a paru hors sujet. Je suis sceptique sur les propositions nos 8 et 9. Le secret médical diffère de celui imposé à un travailleur social, et nous devons nous garder de rendre systématique le signalement : cela multiplierait les erreurs et serait contre-productif. Il n'y a pas de différence entre un enfant victime d'une agression sexuelle commise par un curé, un animateur, un éducateur ou un enseignant. Ce qui s'est passé à l'Église est un scandale, mais ce n'est pas une raison pour diriger notre texte contre cette institution. Tout l'intérêt de notre mission d'information a été d'aborder cet horrible problème de société, pour que la parole se libère dans tous les milieux - car ces drames peuvent se produire partout où des enfants sont accueillis.

M. François-Noël Buffet. - Si je suis favorable à un examen attentif de ce qui se passe au sein de l'Église, je crois que nous aurions eu tort d'y circonscrire cette mission d'information, car il y a des difficultés dans tous les milieux associatifs, qu'ils soient sportifs, cultuels ou culturels. Ce qui compte, c'est la protection de l'enfance, quel que soit le milieu et l'origine de l'enfant et de l'agresseur. Je note par ailleurs que les décisions récentes des tribunaux correctionnels, dans une affaire lyonnaise bien connue, indiquent que le droit pénal français s'applique indépendamment des mesures existantes au sein d'un organisme donné : en clair, le droit canon ne protège pas de l'application du droit pénal - ce qui est normal. Il ne peut pas y avoir d'autoprotection.

La proposition n° 9, sur la levée du secret médical, me gêne. Je comprends la nécessité de favoriser le signalement, mais ne me sens pas en état de remettre en cause le principe du secret professionnel, surtout sans avoir mené un travail collectif étroit avec le monde médical et ses divers ordres. Faire évoluer, oui, mais décider sans concertation nous expose à faire une grosse bêtise juridique, et à nous attirer les foudres des médecins. Nous devons regarder ce point de très près, car il emporte des conséquences pour les victimes comme pour les médecins. En tous cas, je suis réservé sur cette proposition.

Les autres propositions s'appliquent à tous. La première crée un observatoire. C'est en effet l'outil manquant, car les outils pénaux et procéduraux existent. Ce qui manque aussi, c'est l'élargissement des outils d'accueil et de libération de la parole. Mais l'observatoire est indispensable, et il faudra lui donner les moyens de son indépendance.

Sous réserve de ces observations, M. Savin et moi-même émettrons un vote favorable.

Mme Laurence Rossignol. - Quelle sera la différence entre cet observatoire et le Groupement d'intérêt public « enfance en danger » (Giped) qui dispose déjà en son sein d'un observatoire national de la protection de l'enfance ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Le Giped travaille sur l'observation et la statistique. Là, il s'agirait d'un observatoire des violences sexuelles faites aux enfants, semblable à celui concernant les violences faites aux femmes.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Il y a déjà des associations, aussi. Mais l'objectif serait de faire du recueil scientifique de données - or le Giped ne produit que des chiffres très partiels.

Mme Laurence Rossignol. - N'est-ce pas déjà la mission du Giped ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Nous en avons auditionné la responsable.

Mme Laurence Rossignol. - Est-elle d'accord ?

Mme Corinne Imbert. - Je ne me prononcerai pas sur l'opportunité de lever le secret professionnel, dont parlent les propositions nos 8 et 9. Mais il me semble qu'il y a un problème de cohérence, puisque la proposition n° 8 parle de « clarifier et faire connaître » quand la proposition n° 9 veut « introduire dans le code pénal l'obligation de signaler ». Il est vrai que les cellules de recueil des informations préoccupantes sont très peu saisies par les médecins - dans quelques pourcents des cas, seulement. Les médecins sont attachés au secret professionnel. Leur difficulté, face à un cas, est parfois d'écrire. Ils peuvent passer un coup de fil au procureur, mais nous devrions leur simplifier la tâche en créant une fiche de déclaration simplifiée, où ils n'auraient qu'à cocher quelques cases.

M. Bernard Bonne. - Le secret de la confession diffère du secret professionnel : ce sont les auteurs qui se confessent, pas les victimes.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Ou l'inverse...

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Les victimes s'y confient.

M. Bernard Bonne. - Comme il s'agit de confesser une faute, ce sont plutôt les auteurs : se confesser n'est pas se confier. La non-absolution est une marque forte, assez rare.

Je suis étonné qu'on parle de revenir sur le secret médical. Tout médecin qui constate une violence faite sur un enfant doit déjà la dénoncer. Un médecin qui voit un enfant avec les deux bras cassés ne va pas le renvoyer dans sa famille ! Le secret professionnel diffère selon qu'on a l'auteur présumé en face de soi, ou pas. Si l'on suspecte ou constate une violence sexuelle, le médecin doit le dire aux parents pour que ceux-ci la dénoncent ou, s'il soupçonne le parent, il doit le dénoncer. Introduire l'obligation de dénoncer, pourquoi pas ? Mais je croyais que cette obligation existait déjà... J'ai connu ce genre de cas dans mon exercice médical. À l'échelle du département, nous nous efforcions de rendre la dénonciation obligatoire.

Mme Françoise Laborde. - J'ai beaucoup appris au cours des auditions - qui portaient sur un sujet horrible - notamment sur la définition de la pédophilie, de la pédo-criminalité, et sur les mécanismes de l'inceste et de la pédophilie. En effet, nous devons disposer de plus de statistiques. La Défenseure des enfants nous l'a bien dit : ce qui n'est pas identifié, pas quantifié et pas qualifié a peu de chances d'être traité. En 2016, j'avais posé une question écrite au ministre de la Santé sur les problèmes de pédophilie et d'abus sexuel. Dans trop de milieux règne l'omerta sur ces questions.

Dans notre culture, après Vichy, on ne dénonce pas ses voisins. Mais il faut bien faire comprendre qu'une dénonciation qui amène des personnes à être tuées n'a rien à voir avec une dénonciation qui sauve des enfants ! La prise en charge des victimes a un coût, sans doute bien supérieur à celui de la prévention. Dix centres pour toute la France, métropolitaine et outre-mer, c'est insuffisant. Le « non » doit être un apprentissage précoce pour les enfants - sans les traumatiser ni les culpabiliser, bien sûr. Dans les enceintes religieuses, il y a, en plus de l'autorité, l'emprise spirituelle, qui amène une déstructuration de la personne. Il faut rappeler aux religieux de toutes obédiences que les lois de la République s'appliquent avant le droit canon, ou avant la charia. Sur l'inceste, la loi Schiappa est encore récente. Il entrera dans notre mission de contrôle de procéder à son évaluation.

Mme Florence Lassarade. - Un médecin n'a aucun état d'âme à signaler de tels faits quand ils sont avérés. Le problème se pose lorsqu'il n'y a qu'une suspicion. Par exemple, les douleurs abdominales de l'enfant sont notre pain quotidien. Des violences sexuelles peuvent les expliquer. Faudra-t-il faire un signalement à chaque fois ? De plus, le médecin peut être instrumentalisé, par exemple dans des divorces. Il me paraît donc difficile de rendre le signalement obligatoire.

Mme Laurence Rossignol. - Peut-on faire un point sur l'état exact du droit ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Les professionnels de santé ne connaissent pas bien leurs obligations. Si on les oblige, ils n'auront plus à se poser de questions. Associer l'observatoire que nous envisageons au Giped, pourquoi pas ? En tous cas, il faut un organisme structuré, travaillant avec les associations de victimes pour aboutir à de vraies données, car les chiffres manquent.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - En fait, l'arsenal législatif existe mais il n'est pas utilisé. Trop souvent, aucune plainte n'est déposée, ou bien on aboutit à un non-lieu, ou à un classement sans suite. Le vrai problème est la prise en compte de la parole des victimes - qu'il s'agisse de femmes ou d'enfants. Résultat : ces faits sont banalisés, alors qu'ils détruisent totalement des personnes, ce qui a un coût terrible, qui se répercute dans la santé publique. Les cours criminelles départementales devraient permettre un traitement plus rapide des affaires de crimes sexuels. La police et la gendarmerie doivent aussi être mieux formées à la détection et à l'écoute des victimes, afin que davantage de coupables soient poursuivis. Aujourd'hui, moins de 1 % des auteurs de viols sont condamnés !

Comment s'assurer que l'arsenal législatif existant soit mobilisé sinon en communiquant, en libérant la parole ? L'objectif doit être de faire changer la peur de camp et de préserver non pas l'institution, mais l'enfant. Le problème se pose vraiment en termes de changement de perception : il faut faire évoluer le regard, sur ce sujet, en communiquant, en formant, en informant.

Le cas de l'Église est-il spécifique ? Avant de commencer les auditions, j'avais tendance à penser qu'un enfant violé est un enfant violé : qu'il soit violé par un instituteur, un professeur d'éducation physique ou un prêtre, c'est la même chose. Mais non ! C'est tout à fait différent : les modes d'emprise et les caractéristiques du violeur ne sont pas les mêmes. Les psychiatres que nous avons entendus nous ont dit que tous ceux qui agressent des enfants ne sont pas forcément des pédophiles, et que, inversement, un pédophile ne cherche pas forcément à dominer les enfants.

Que nous a dit l'évêque de Strasbourg ? Qu'il y a un problème systémique dans l'Église. Les criminels n'y sont pas les mêmes, et les victimes pas totalement les mêmes non plus, qu'au sein des autres institutions - l'interdit de la sexualité y est probablement pour quelque chose. Autrement dit, il existe plusieurs types de violences, et plusieurs types d'agresseurs, sachant, par ailleurs, que 85 % des enfants sont violés dans un cadre de confiance, et en particulier dans le cadre familial. Pour apprendre aux enfants à dire non, il faut leur apprendre à se méfier aussi, à la fête de Pâques, de tonton Jean, qui est statistiquement beaucoup plus dangereux que l'inconnu croisé dans la rue.

Il faut protéger tous les enfants, donc, mais les réponses à apporter ne sont pas les mêmes selon qu'on veut les apporter dans l'Église ou ailleurs. Et le vrai sujet, pour l'Église, est celui du recrutement et du profil psychologique des recrutés.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous avons fait beaucoup d'auditions sur l'Église, sans tabou. Nous avons auditionné des associations, des membres de la hiérarchie ecclésiastique, des journalistes. Peut-être ce travail ne se traduit-il pas en propositions ; nous disons néanmoins - c'est la proposition n° 28 - qu'il faut renforcer la formation initiale et continue des ministres de tous les cultes sur la question des violences sexuelles, tout en rappelant bien la primauté du droit français sur le droit canonique. Est-il question, en la matière, d'un péché ou d'un crime ? Très clairement, d'un crime.

La dimension systémique du problème nous a été confirmée par le futur président de la Conférence des évêques, mais aussi par l'évêque de Strasbourg, qui nous a dit qu'il ne s'agissait pas de cas isolés. Nous serons bien entendu attentifs aux suites données aux annonces qui ont été faites.

Sur la loi Schiappa, nous nous sommes interrogés, en relation notamment avec les orientations que le Sénat avait défendues via la proposition de loi de Marie Mercier. La loi Schiappa mérite d'être évaluée ; le Gouvernement, d'ailleurs, a demandé qu'elle le soit. Tout en soutenant cette démarche, nous souhaitons que l'évaluation soit confiée à un groupe de parlementaires paritaire, associant députés et sénateurs, ce qui serait un gage de moindre partialité.

S'agissant des propositions nos 8 et 9, je rappelle que Marie Mercier n'était pas favorable à l'amendement qu'Alain Milon avait présenté sur le secret médical dans le cadre de l'examen de la loi Schiappa. Ce qui m'avait alors perturbée, c'était l'impossibilité de trancher entre le respect du secret médical, l'obligation de dénoncer et l'option de conscience, qui coexistent dans notre droit. L'obligation de dénoncer l'emporte-t-elle sur l'option de conscience, ou est-ce l'inverse ? On n'en sait rien ! Je suis donc favorable à une réelle clarification permettant d'informer les professionnels sur la nature exacte de leurs obligations - c'est la proposition n° 8.

Concernant la proposition n° 9, avant d'introduire dans la loi une obligation pénale de signalement pour les professionnels de santé, il faut que nous entendions les ordres professionnels des médecins et des travailleurs paramédicaux. Ils demandent le statu quo, nous dit-on ; encore faut-il se mettre d'accord sur le contenu exact de ce statu quo.

Il faut donc clarifier la nature de l'obligation et l'indiquer aux professionnels de santé ; mais cette clarification requiert que nous complétions notre travail en demandant à la commission des lois et à celle des affaires sociales l'autorisation de poursuivre notre mission sur la question du secret médical.

Par exemple, le secret de la confession est-il un secret professionnel ? Il faut, pour trancher ce genre de questions, une large concertation. Or je réalise que nous manquons d'auditions spécifiques sur le sujet ; l'intégrer fragiliserait la qualité d'un rapport que, pour ma part, je trouve riche, fruit d'un travail considérable. De surcroît, nous avions annoncé que nous ne reviendrions pas sur le volet pénal de la loi d'août 2018. Y revenir à la marge, sans avoir fait le travail nécessaire, me semble contre-productif.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Je rappelle que notre travail s'inscrit dans le cadre d'une mission commune d'information ; il s'agit donc de rechercher le commun par-delà nos différences. Nous avons beaucoup appris, au gré de ce travail, et nos horizons se sont élargis.

Je précise que les demandes d'auditions que j'ai formulées n'ont rencontré aucun obstacle, aucune entrave. Par ailleurs, ce travail n'est pas terminé : nous aimerions le prolonger.

Quant au rapport, je le voterai, mais je ferai, au nom de mon groupe, une contribution sur l'Église, en commentant notamment ses annonces tardives, et sur les notions de secret et d'obligation de signalement. J'ai été, parmi d'autres, à l'initiative de l'amendement dont il a été question, qui a été retoqué à chaque fois qu'il a été discuté, à l'occasion notamment de l'examen au Sénat de la loi de 2016 relative à la protection de l'enfant.

En la matière, la méconnaissance est réelle. La Haute Autorité de santé a réalisé une fiche très bien faite, mais elle est hélas peu connue des professionnels de santé.

Pour le reste, je rejoins bon nombre des remarques qui ont été faites par les uns et par les autres.

Mme Marie Mercier, rapporteure. - Je voudrais remercier nos collègues pour leurs propos mesurés et bienveillants. Certaines auditions ont été difficiles, d'une difficulté sans commune mesure, évidemment, avec la douleur d'un enfant subissant de telles violences.

De manière générale, nous devons réfléchir à la mise en oeuvre de dispositions cohérentes. Si nous parlons autant du secret, c'est que les choses sont loin d'être simples - mes deux confrères ici présents le savent. En tant que médecins, l'exercice de notre activité est régi par le code de la santé publique et par le serment d'Hippocrate, qui prévoient que nous devons alerter quand nous avons connaissance de quelque chose. Mais, aux termes, cette fois, du code pénal, c'est la violation du secret médical qui est punie. Autrement dit, les choses sont vues différemment selon que l'on est médecin ou juriste.

Quoi qu'il en soit, pour approfondir cette question, il nous faut de nouveau entendre les ordres professionnels concernés.

Mme Annick Billon. - En toute amitié centriste, je voudrais revenir sur ce que disait Dominique Vérien tout à l'heure : il y a plusieurs types de victimes et plusieurs types d'agresseurs. J'estime au contraire qu'il n'y a qu'un seul type de victime, et un seul type d'agresseur ; seule la réponse diffère. Dire le contraire, c'est hiérarchiser.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Non !

Mme Annick Billon. - Simplement, la diversité des lieux dans lesquels se déroulent ces agressions nécessite une diversité de réponses.

En matière d'agression sexuelle et de crime, il existe un déficit de définition. J'ai en mémoire une audition qui m'a particulièrement dérangée, celle du président de la Fédération française de l'enseignement artistique, qui a évoqué le nécessaire contact physique entre le professeur et l'élève. On constate que les interprétations peuvent diverger : un même geste peut être considéré par certains comme relevant de l'agression sexuelle et, par d'autres, comme n'en relevant pas.

Je voterai le rapport

Mme Laurence Rossignol. - Je réponds en particulier à Bernard Bonne sur la question du signalement. Il existe dans le code pénal une incrimination spécifique pour non-dénonciation de mauvais traitement sur mineurs ; la loi prévoit également une possibilité pour les médecins, dans certains cas, de se délier du secret médical, et les exonère des risques de condamnation pour dénonciation calomnieuse dès lors que la dénonciation était de bonne foi.

Je veux bien qu'on dise que nous sommes novices sur le sujet, mais cela fait des années qu'on en parle !

Mme Catherine Deroche, présidente. - C'est un sujet complexe.

Mme Laurence Rossignol. - L'ordre des médecins fait ce qu'il peut pour inciter aux signalements. Mais les statistiques ne bougent pas ! Les médecins représentent toujours moins de 5 % des signalements de violences physiques faites aux enfants, pour mille et une raisons. Ils ont peur, en particulier, des procès en diffamation ; mais, comme nous le leur expliquons inlassablement, ce risque est inexistant - nous avons d'ailleurs voté, en la matière, une proposition de loi superfétatoire de l'une de nos collègues.

Quoi qu'il en soit, rien ne bouge. Il faut donc passer à la vitesse supérieure, introduire dans la loi une obligation pour les médecins, quand ils en constatent, de signaler les maltraitances faites aux enfants, et prévoir qu'ils ne peuvent être poursuivis s'il s'avère qu'ils se sont trompés.

Pourquoi est-ce si compliqué, sur ce sujet, d'avancer ? Tout simplement parce que personne ne veut ni ne demande de se voir imposer des obligations, quelles qu'elles soient, dans l'exercice de sa profession. Il n'y a aucun problème juridique à prévoir une obligation de signalement ; en revanche, j'en suis convaincue, il y a un problème relationnel entre le pouvoir médical et le pouvoir législatif.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Sauf que c'est Alain Milon, qui est médecin en plus d'être président de la commission des affaires sociales, qui avait défendu l'amendement visant à introduire une telle obligation.

Mme Laurence Rossignol. - Quid de la proposition que j'ai faite tout à l'heure sur le secret de la confession ? Il faut dire explicitement qu'un tel secret n'est pas opposable aux juges.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Le secret de la confession est considéré comme un secret professionnel ; cette question sera donc traitée dans le cadre de notre travail sur ce sujet.

Mes chers collègues, je vous propose de modifier la rédaction de la proposition n° 9, dans le sens suivant : « étudier, via une mission spécifique, la possibilité d'introduire dans le code pénal une obligation de signalement pour les professionnels de santé, les travailleurs sociaux et les ministres du culte tenus à une obligation de secret professionnel qui constatent qu'un mineur est victime de possibles violences physiques, psychiques ou sexuelles ». Je souhaite en outre que nous précisions que cette demande sera faite à la commission des lois et à la commission des affaires sociales.

Mme Laurence Rossignol. - Nous bottons en touche !

Mme Catherine Deroche, présidente. - Non, pas du tout ! Nous n'avons auditionné personne sur cette question du secret ; je ne me vois donc pas l'inscrire dans le rapport - notre travail serait décrédibilisé.

Le rapport est adopté.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci à tous.

La réunion est close à 16 h 45.