Mardi 28 mai 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Place de l'agriculture française dans le monde - Présentation du rapport d'information du groupe d'études « Agriculture et alimentation »

Mme Sophie Primas, présidente. - Laurent Duplomb, président du groupe d'études « Agriculture et alimentation », nous présente le rapport d'information sur la place de l'agriculture française dans le monde.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Notre groupe d'études s'est fixé pour cap d'établir une sorte de photographie de l'agriculture française à l'instant  « t 0 » c'est-à-dire en ce début d'année 2019. Il s'agit d'un bilan économique non exhaustif de l'agriculture française pour savoir comment celle-ci se positionne sur les marchés mondiaux et connaître les grandes tendances auxquelles elle est confrontée.

Ce bilan nous rappelle l'histoire qui a façonné le modèle agricole français, à savoir un partage des rôles entre la France, qui devait nourrir l'Europe, et l'Allemagne, qui devait fournir la machine-outil. Jusqu'à peu, la France a toujours été une puissance agricole de premier plan. La production agricole française représente après tout 17 % de la production européenne. L'excédent agricole est le troisième excédent national, après l'aéronautique et la chimie.

Toutefois, des éléments alarmants se font jour. La production française stagne en volume, alors que celle de nos partenaires européens augmente de façon importante. L'excédent commercial, encore positif aujourd'hui, risque à terme de disparaître si nous n'y prenons pas garde. Les importations de produits agricoles augmentent. Qui plus est, beaucoup d'entre elles ne répondent pas aux normes que nous imposons à nos produits.

La question suivante qui en découle est donc la suivante : la France est encore un leader mondial, certes, mais pour combien de temps encore ?

Elle est le leader européen de la production agricole, devant l'Allemagne et l'Italie, avec 72,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires au niveau agricole. Elle est toujours première pour certaines productions - céréales, vins, pommes de terre... -, mais elle connaît une érosion importante de son potentiel productif.

La part des agriculteurs ou d'emplois liés à l'agroalimentaire dans la population active est passée de 12 % à 5,5 % en 40 ans. L'enjeu du renouvellement des générations n'a jamais été aussi important : un tiers des agriculteurs a plus de 55 ans.

La surface agricole utile française a diminué de près de 17 % en 60 ans. C'est l'équivalent de la région Grand-Est. Ce constat est valable pour toute l'Europe, mais ce n'est pas le cas du Brésil ou de la Chine, dont la surface agricole utile (SAU) a augmenté, alors que les États-Unis et la Russie ont su maintenir la leur.

La production stagne depuis la fin des années 90. On note une baisse importante de la production de viande depuis 20 ans. La production de lait est égale à celle de 1984, mais elle est produite avec la moitié du cheptel de vaches laitières. Les céréales plafonnent tant en surfaces qu'en rendements.

Dans le même temps, la France perd de manière importante des parts de marché : elle est reléguée au sixième rang des puissances exportatrices mondiales, avec seulement 4,5 % des parts de marché mondial. Elle est le pays qui a connu la baisse la plus importante depuis 2000. L'Allemagne et les Pays-Bas ont su, quant à eux, préserver leurs parts de marché. De nouvelles puissances entrent dans le jeu de la production agricole : Pologne, Brésil, Chine ou Inde.

L'excédent commercial agricole est menacé de disparition du fait de la concurrence européenne. Entre 2011 et 2017, il a été divisé par deux. À ce rythme, la France connaîtra son premier déficit commercial agricole en 2023.

Plusieurs raisons expliquent cette diminution. Ainsi, 70 % de cette érosion s'explique surtout par des effets compétitifs négatifs, au premier rang desquels le dumping social des pays européens concurrents. Le coût horaire du travail est 1,7 fois plus élevé qu'en Espagne et 1,5 fois plus élevé qu'en Allemagne dans les cultures maraîchères. Cela se traduit également par un écart de compétitivité de près de 10 centimes au kilo entre le porc français et le porc allemand.

Par ailleurs, depuis 2016, les coûts de production connaissent en France une inflation élevée comprise entre +4 et +7% qui concerne l'alimentation animale, les engrais, les produits phytopharmaceutiques ou encore l'énergie. Et la loi Égalim ne permettra pas d'endiguer cette tendance.

La fragilité de nos industries agroalimentaires explique aussi ce phénomène : recul du taux de marge, baisse tendancielle du taux d'autofinancement, donc des investissements. La surrèglementation accrue, notamment la surtransposition de directives européennes, accentue ce phénomène. Pour l'OCDE, la France est bien plus exigeante que les autres pays européens en matière de normes environnementales. La faible structuration de certaines filières empêche l'élaboration de toute stratégie permettant la conquête de nouveaux marchés.

Tout cela a pour conséquence le recours massif à des produits agricoles et alimentaires importés. Or ces produits pourraient être produits en France, certains l'étaient même auparavant. Depuis 2000, les importations ont augmenté de 87 %, tandis que les exportations n'ont crû que de 55 %. Ce quasi-doublement aboutit à des chiffres très impressionnants selon les filières. Près d'un fruit ou légume sur deux consommés en France est importé. De même, 25 % de la consommation de porc français provient d'importations. Les chiffres sont encore plus dynamiques pour la volaille : alors que la part des produits importés dans la consommation française de volaille n'était que de 13 % en 2000, elle est désormais de 34 %. Les importations de produits laitiers n'ont pas été épargnées par ce phénomène, notamment en beurre et fromages, alors même que la France est un grand producteur de ces produits.

Des doutes pèsent en outre sur la qualité sanitaire des produits importés. Lors d'un contrôle physique sur les denrées alimentaires - c'est-à-dire un contrôle poussé avec parfois des prélèvements sur les produits -, les taux de non conformités, constatés par les services compétents, des importations alimentaires aux normes françaises fluctuent, selon les produits, entre 8 et 12 % des denrées alimentaires importées. Or ces contrôles sont parfois connus à l'avance. Par conséquent, les taux sont sans doute minorés quand on songe aux produits alimentaires pour lesquels on sait que les contrôles sont très rares. Par exemple, d'après les données de la Direction générale de l'alimentation (DGAL) transmises à la Cour des comptes qui concernent les contrôles effectués de manière aléatoire sur tous les produits alimentaires importés à base de viande, y compris en provenance de l'Union européenne, les chiffres montent à près de 25 % des produits alimentaires importés ne respectant pas les normes françaises.

Au total, on estime qu'entre 10 % et 25% des produits importés en France pourraient ne pas respecter les normes françaises. Cela pourrait représenter 5 à 10 milliards d'euros de produits illégaux vendus en France chaque année. Cette concurrence déloyale entraîne une baisse drastique des prix des produits agricoles vendus en France, ce qui pénalise la production française. Sans parler des risques sanitaires pour les consommateurs.

Quels défis doit dès lors relever l'agriculture française sur le marché mondial ?

Vouloir sauver l'agriculture française par la montée en gamme est une illusion, d'autant que nos concurrents européens ne sont pas sur la même logique et ne vont pas faiblir. Cela ne règle pas le problème des importations, lesquelles concernent surtout les produits bas de gamme et la consommation hors foyer.

Malgré tout, des opportunités existent. Ainsi, 90 % des exportations françaises sont concentrés sur 30 pays. Il en reste donc 150 sur lesquels nous pourrions ouvrir notre capacité exportatrice, surtout en Afrique et en Asie.

En outre, avec l'explosion de la démographie, la croissance de la demande alimentaire va sans doute être très forte. L'augmentation du pouvoir d'achat tirera la demande alimentaire vers des produits plus caloriques, c'est-à-dire plus riches en matières grasses et en protéines. Il faut par conséquent saisir cette opportunité et se rappeler que le revenu d'un agriculteur français est composé par le prix payé par la grande distribution, le soutien de la PAC, mais aussi par les exportations pour une part importante.

Depuis 1990, jamais les indicateurs n'ont été aussi alarmants en France : stagnation de la production, baisse du nombre d'agriculteurs et de la surface agricole, concurrence accrue... En outre, un jour par semaine, les Français consomment intégralement des aliments préparés à base de produits étrangers. Et durant cette journée, il consomme sans doute un repas entier avec des aliments ne répondant pas aux normes françaises.

Ces éléments, il faut en tenir compte pour organiser l'avenir de la politique agricole commune, mais aussi revoir notre réglementation. J'en appelle à la proposition de résolution prise par le Sénat lors de nos débats sur le traité de libre-échange avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande en faveur de la réciprocité et d'un meilleur équilibre entre ce que nous imposons à nos producteurs et ce que nous devrions imposer aux produits importés.

Chaque fois que nous prenons une décision, il nous faut prendre en compte l'intérêt stratégique d'une politique agricole véritablement commune. Moins elle le sera, plus elle mettra en évidence les différences de compétitivité entre les pays et cela se traduira en France par plus d'importations.

Il ne faut pas négliger les impératifs de compétitivité. N'appréhender le problème des revenus agricoles que par le prisme des GMS (grandes et moyennes surfaces) ne rend pas compte de la réalité. Avant d'édicter toute nouvelle norme, il faut mesurer que ce qu'elle fera perdre à un agriculteur français, elle le fera gagner à un agriculteur étranger, car elle accentuera les différences de compétitivité entre les pays.

La France possède des atouts agricoles considérables. Nous devrions nous en souvenir au moment où notre pays se trouve à la croisée des chemins. À force de clouer au pilori l'agriculture française, nous risquons de consommer de plus en plus de produits étrangers.

Ce rapport montre que la France a d'indéniables opportunités : non seulement la capacité des producteurs à reconquérir des parts de marché national, mais aussi celle d'exporter notre savoir-faire et notre alimentation de qualité. Pour cela, il faut que notre pays retrouve la fierté de son agriculture.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci de ce plaidoyer pour l'agriculture.

M. Pierre Cuypers. - Le sucre est un sujet d'actualité. La crise que nous traversons découle d'une disposition communautaire consistant à libéraliser les marchés et à supprimer les quotas. Nos entreprises sucrières se sont vues racheter par des entreprises étrangères, qui envisagent de les fermer d'ici à 2020. C'est le cas de quatre ou cinq usines, ce qui entraînera la disparition de bassins de production de plantes saccharifères.

Il s'agit là d'une désorganisation considérable de l'économie et de l'aménagement du territoire, qui entraîne une situation dramatique. Aujourd'hui, la France exporte 3 millions de tonnes de sucre par an. En outre, elle risque demain d'être dépendante de son approvisionnement en sucre et en saccharose.

Je suis libéral, mais il faut que le marché soit organisé. Or il a été désorganisé.

M. Michel Raison. - Je félicite Laurent Duplomb, car son rapport fait preuve de pragmatisme et s'appuie sur des réalités chiffrées et non sur des fake news. J'espère que ce document sera entendu et utilisé.

M. Jean-Claude Tissot. - Il s'appuie sur des sources et des données indiscutables et dresse un constat incontestable. Pour autant, je ne suis pas d'accord avec la conclusion : je ne pense pas que le salut de l'agriculture française passe par les exportations. Quelle politique agricole a conduit la France à cet abîme ? Sans être particulièrement libéral, je ne suis pas hostile au marché. En revanche, je soutiens depuis longtemps que l'agriculture ne devrait pas faire partie de l'OMC. Faut-il se comparer au Brésil ? Certes, ce pays a augmenté sa surface agricole, mais au prix de la déforestation et de la disparition de son agriculture locale.

Je partage les inquiétudes contenues dans le rapport. Le combat à mener est politique et syndical. Je suis persuadé que le salut de l'agriculture française et européenne passera par une véritable politique agricole commune.

M. Franck Montaugé. - Nombre de difficultés et d'interrogations que met en évidence ce rapport trouvent un début de réponse dans les orientations de la dernière proposition de résolution relative au suivi de la PAC, votée par le Sénat.

Le principe cardinal sur lequel s'est construit le marché européen - une concurrence libre et non faussée - devrait valoir à l'échelle mondiale. De ce point de vue, le rapport met bien l'accent sur le problème de l'équité de traitement des agricultures mondiales et de la pénétration du marché européen. Il faudrait que les responsables français et européens fassent valoir nos principes économiques et notre respect à l'égard de nos agriculteurs et de nos agricultures. C'est le point faible de notre agriculture nationale dans le concert international.

M. Daniel Gremillet. - Il faut rappeler la place de l'agriculture française au sein de l'Union européenne comme au sein du marché mondial. Le bilan chiffré évoqué serait d'autant plus pertinent si toutes les données étaient établies sur la même durée - par exemple depuis 20 ans, depuis 15 ans ou depuis la création de l'Union européenne. Cela donnerait plus de sens encore à ce travail et permettrait d'avoir des chiffres comparables, par exemple sur la surface agricole utile (SAU), notamment avec les autres pays européens.

Les agriculteurs français sont très jeunes ! Aux États-Unis, la moyenne d'âge des agriculteurs est de 61 ans. Pourrait-on connaître l'âge moyen des agriculteurs dans les autres pays européens et les pays ayant une influence agricole ?

Oui, il faut lutter contre la déforestation au Brésil, mais les difficultés décrites dans le rapport sont aussi la conséquence de l'affaiblissement de la politique agricole française et européenne ! Il n'est qu'à voir notre dépendance à l'égard de la Nouvelle-Zélande et des autres pays producteurs de moutons : c'est parce que nous avons baissé pavillon sur la production ovine que nous en sommes là.

Il faut que l'Europe ait une véritable politique agricole, car la sécurité alimentaire de la décennie 2030 se construit aujourd'hui.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Comment améliorer le revenu des agriculteurs ? La problématique des exportations est essentielle ; la viabilité des exploitations sur l'ensemble de nos territoires y est étroitement liée.

Un autre débat fait suite aux récentes élections européennes, celui de la montée des valeurs et des attentes écologiques. Comment voulons-nous nourrir demain la population, française, européenne et mondiale ? Comment développer une agriculture respectueuse de l'environnement au sein de l'Union européenne ? Avons-nous un modèle commun ? C'est ce travail qui attend les futurs députés européens, puisque potentiellement un quart des produits consommés en France ne répondent pas aux normes françaises.

Le rapport fait-il la part entre les importations hors Union européenne et celles qui proviennent de l'Union européenne ?

M. Jean-Claude Tissot. - Ce que l'on produit ou ce dont on pourrait se passer permettrait-il d'éviter les importations ?

François Mitterrand a sacrifié la production ovine au moment de l'affaire du Rainbow Warrior, permettant à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande d'exporter leurs moutons via l'Angleterre. Or la Nouvelle-Zélande traverse une période de sécheresse qui va rendre exsangue toute une partie de son territoire et réduire la production.

Quid du climat ? Il va falloir faire avec le réchauffement climatique et en tenir compte dans l'élaboration d'une politique agricole commune.

Mme Françoise Férat. - Certains chiffres qui se trouvent dans ce rapport m'ont traumatisée. Le constat dressé est utile. Comment le partager ? Quelles actions le rapporteur envisage-t-il pour mettre ce travail en musique ?

M. Franck Montaugé. - Dans quelle mesure l'agriculture française n'est-elle pas souvent la variable d'ajustement ou la variable de négociation d'autres accords, par exemple industriels ?

M. Pierre Louault. - Il me semble que nous n'avons pas suffisamment étudié les causes de l'érosion de la place de l'agriculture française en Europe et dans le monde et de la diminution de nos exportations. Les enjeux de compétitivité et de qualité de la production se trouvent au coeur du recul de notre capacité concurrentielle. L'avenir réside dans la qualité des produits, attachée à l'image de marque de la France. Le marché agricole n'apparaît pas suffisamment rémunérateur, alors que les consommateurs recherchent des produits de qualité. Pourquoi aligner nos prix sur les cours mondiaux dès lors que nos règles de production diffèrent ? Nous devons protéger la production de qualité. Si l'Union européenne conserve une réglementation environnementale sévère, elle doit parallèlement protéger ses agriculteurs en encadrant davantage les importations.

Hélas, il n'existe plus, depuis longtemps, de véritable stratégie en faveur de l'agriculture française. Nos concitoyens connaissent mal le métier d'agriculteur. Ils imaginent que des règles datant de plus de quarante ans peuvent encore s'appliquer : quelle utopie ! Face à la désinformation, les agriculteurs doivent s'organiser pour faire connaître leur métier ; il en va de la survie de l'agriculture française.

M. Marc Daunis. - Voilà un rapport fort intéressant sur un sujet important. Votre travail s'est focalisé sur les tendances lourdes, mais certaines évolutions plus récentes n'ont pas suffisamment été mises en exergue. Ainsi, entre mars 2018 et mars 2019, notre excédent commercial s'est amélioré. Est-ce un effet de conjoncture lié au blé tendre ou une tendance plus pérenne en conséquence de la réduction de la production des oléagineux ? Dans ce second cas, la piste mériterait d'être étudiée.

La montée en gamme des productions françaises constitue, à mon sens, une solution trop promptement rejetée. Certes, elle ne peut suffire, mais elle n'en constitue pas moins une piste pour l'avenir. Les besoins en nourriture de la population mondiale ne cessent de croître, mais nombre de pays disposent des moyens d'y répondre. Dès lors, l'agriculture française ne devrait-elle pas opter pour une montée en gamme de ses productions, notamment s'agissant des produits transformés ? Nous sommes arrivés aux limites du système productiviste : les consommateurs recherchent une nutrition de qualité.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le temps nous est compté, j'invite notre rapporteur à être bref dans ses réponses.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Monsieur Cuypers, l'exemple du sucre paraît effectivement parlant : la production française obéit à des règles strictes et subit un coût du travail élevé ; in fine, elle se délocalise à l'étranger, notamment en Allemagne. Dans ma région, la sucrerie de Bourdon s'apprête à fermer, privant quatre cents agriculteurs de filière betteravière et, partant, d'une diversification de leurs revenus.

Monsieur Tissot, ce n'est pas parce que les importations vont diminuer que les exportations, qui représentent 25 % des revenus des agriculteurs français, s'amélioreront. Nous avons déjà essayé de monter en gamme pour accroître les exportations, avec le blé bio par exemple ; ce fut un échec. N'oublions pas les réalités économiques ! Le prix du lait français est peu ou prou aligné sur le cours mondial. S'il s'en éloignait, le lait étranger envahirait nos rayons : telle est la réalité des consommateurs. Biolait a récemment demandé à ses agriculteurs de limiter leur production à 95 %. De même, Sodial a déclassé, pour un coût de 5 millions d'euros, quarante millions de litres de lait bio. Le lait bio ne se vend pas suffisamment ; la montée en gamme ne représente donc pas la solution.

Monsieur Montaugé, je rejoins votre analyse s'agissant de l'équité de traitement. Nous avons d'ailleurs voté une résolution relative aux importations en provenance de Nouvelle-Zélande. Pour autant, l'équité de traitement n'éliminera pas les différences de productivité. Si le coût du travail reste, en France, bien supérieur, les pays étrangers conserveront une marge de compétitivité. Pour cette raison, les pommes polonaises sont affichées à 90 centimes le kilogramme, contre près de 2 euros pour la production française. Si le glyphosate venait à être interdit, cet écart s'aggraverait.

Monsieur Gremillet, la moyenne d'âge des agriculteurs français s'élèverait à 51 ans.

Enfin, madame Férat, la France consacre annuellement 10 millions d'euros au contrôle sanitaire des produits agricoles, soit l'équivalent des recettes fiscales hebdomadaires du Loto.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous continuerons à suivre ce sujet, ainsi que l'application de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim. Je remercie à nouveau notre rapporteur de la qualité de son travail.

La commission des affaires économiques autorise la publication du rapport.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Je vous remercie à mon tour de votre confiance et de votre vote unanime.

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -

Présentation du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques « Les scénarios technologiques permettant d'atteindre l'objectif d'un arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040 »

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous accueillons conjointement la députée Huguette Tiegna et notre collègue Stéphane Piednoir, rapporteurs de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur le rapport dédié aux scénarios technologiques permettant d'atteindre la fin de la commercialisation des voitures thermiques en 2040.

Je salue la qualité du travail réalisé par l'Opecst sur un sujet à la fois très actuel, très visible et très concret. Votre rapport témoigne du soin que met le Parlement à évaluer les choix de politiques publiques, y compris sur des sujets techniques. La présence de collègues de nos deux commissions au sein de l'Opecst contribue à enrichir nos débats. Vos travaux, débutés en juillet 2018, s'inscrivaient dans un double objectif : anticiper l'évolution des mobilités dans le cadre de la transition écologique et estimer l'impact de la disparition des véhicules thermiques sur la filière industrielle.

L'industrie automobile emploie plus de 200 000 personnes en France et, indirectement, 2,2 millions de personnes y sont rattachées. L'interdiction des ventes de véhicules thermiques représenterait donc un véritable bouleversement, alors que le marché domestique demeure le premier débouché des deux principaux groupes français, Renault et PSA. D'ailleurs, le contrat stratégique de la filière automobile signé en 2018 compte la révolution technologique parmi les défis majeurs à relever.

Les véhicules électriques ou hybrides, présentés comme la principale alternative viable aux véhicules thermiques, ne représentaient, en 2017, que 5,1 % des ventes de véhicules neufs. S'agissant des véhicules électriques, la valeur ajoutée se déplace, avec une partie mécanique nettement simplifiée et des batteries pouvant représenter jusqu'à 30 % du prix des véhicules. Quelles opportunités de conversion avez-vous identifiées pour la filière et par quel scénario la transition rapide, mais compétitive de l'industrie automobile pourrait-elle être assurée ? La question est d'autant plus centrale que les constructeurs chinois ont investi près de 130 milliards d'euros dans les véhicules électriques en 2018, soit treize fois plus que les constructeurs français, et que 60 % des batteries vendues dans le monde sont fabriquées en Chine. Face à ces chiffres vertigineux, la Commission européenne vient d'autoriser le financement d'un projet de champion franco-allemand de batteries électriques. Quel regard portez-vous sur ce projet et quels sont les défis à relever ?

Avez-vous, enfin, estimé l'impact d'une interdiction de la vente de véhicules thermiques sur les équipementiers et fournisseurs de la filière, des entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou des petites et moyennes entreprises (PME) qui ne disposent souvent pas des mêmes budgets de recherche et de développement, ni d'investissement, que les grands constructeurs ?

M. Hervé Maurey, président. - Je tiens également à saluer nos deux collègues et à les féliciter pour le rapport qu'ils ont produit avec une méthode assez inédite, puisqu'ils se sont appuyés sur l'expertise du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de l'Institut français du pétrole-Énergies nouvelles (IFPEN) pour construire et analyser plusieurs scénarios de transition.

Le plan Climat présenté en juillet 2017 a fixé pour objectif la fin de la vente de véhicules thermiques en 2040, soit un défi technologique, économique et financier. La vente de véhicules électriques connaît une forte croissance, mais leur part reste marginale à environ 2 % du le parc roulant. Passer en vingt ans d'un parc automobile dominé par les véhicules thermiques à un parc intégralement décarboné nécessite une mutation sans précédent de notre industrie, mais également des investissements, privés comme publics, considérables.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, le législateur est invité à s'emparer de la question, sans forcément disposer des informations lui permettant de réaliser un choix éclairé. Alors que le Sénat s'est montré réticent à inscrire cet objectif dans le projet de loi compte tenu de la difficulté à en maîtriser les conséquences, les députés ont choisi d'y procéder. Votre rapport arrive donc opportunément.

Avez-vous évalué le coût que représenterait cette transition et le montant des investissements que devront réaliser constructeurs et pouvoirs publics afin d'adapter les infrastructures de transport et de développer les bornes de recharge ? S'agissant des choix technologiques, l'hydrogène semble constituer une énergie prometteuse. Avez-vous identifié son potentiel et estimé comment son développement pourrait être accéléré ? Le développement du véhicule électrique pose, par ailleurs, la question de son impact environnemental au long de son cycle de vie. Avez-vous étudié des pistes pour améliorer le recyclage des batteries, actuellement insuffisant ? Enfin, les scénarios élaborés envisagent-ils une réduction de la place de la voiture dans les modes de déplacement ?

Mme Huguette Tiegna, députée, vice-présidente de l'Opecst, rapporteure. - Le 2 juillet dernier, la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire et celle des affaires économiques de l'Assemblée nationale ont commandé à l'Opecst une étude approfondie et prospective permettant d'élaborer des scénarios technologiques visant à atteindre l'objectif fixé pour l'échéance de 2040.

Pour répondre à cette saisine dans un délai compatible avec le calendrier d'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, nous avons mené deux démarches parallèles. D'une part, nous avons fait appel à un appui extérieur pour la réalisation de scénarios technologiques. Après appel d'offres, cette mission a été confiée à un groupement constitué du CEA et de l'IFPEN afin de mobiliser leurs compétences scientifiques et de bénéficier de leur maîtrise en matière de réalisation de scénarii. D'autre part, nous avons suivi une démarche d'investigation conforme aux pratiques habituelles de l'Opecst en procédant à une large consultation des parties prenantes : chercheurs, associations, acteurs institutionnels, industriels et représentants des différentes filières impliquées, au travers d'auditions individuelles, d'une audition publique consacrée à la question des infrastructures de recharge des véhicules électriques et de deux déplacements, au laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten) du CEA et en Norvège. Nous avons rencontré près de 150 interlocuteurs.

Nos investigations se sont concentrées sur les aspects technologiques des véhicules particuliers, hormis quelques auditions consacrées aux utilitaires et véhicules lourds. Nos délais ne nous ont pas permis d'explorer d'autres formes de mobilité, telles que les mobilités douces, l'intermodalité ou les aspects sociologiques de la problématique.

Nous avons croisé les données et les conclusions des travaux du CEA et de l'IFPEN avec les informations recueillies par nos soins. Ainsi a-t-il été possible de nous approprier leurs scénarios, ainsi que la majorité de leurs conclusions et recommandations. Cette démarche nous a également permis d'approfondir divers sujets, afin d'identifier des recommandations aussi opérationnelles et précises que possible pour alimenter le projet de loi d'orientation des mobilités ou, le cas échéant, d'autres textes.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Depuis quelques années, une conjonction de changements techniques, réglementaires et sociétaux contribue à accélérer la mutation du secteur des transports, singulièrement des véhicules particuliers, vers des solutions plus respectueuses de l'environnement. La lutte contre le changement climatique, l'amélioration de la qualité de l'air, la diminution de la pollution sonore, la réduction de la dépendance énergétique et la nécessité de s'inscrire dans un marché automobile mondial en mutation rapide peuvent être citées comme les principaux facteurs de cette évolution.

Je m'attarderai sur le dernier facteur. De fait, plusieurs changements récents conduisent à anticiper une transformation rapide du marché au profit des véhicules à faibles émissions. D'abord, les ventes mondiales de véhicules électriques ont connu une croissance exponentielle, de 47 000 unités en 2011 à plus de 2 millions en 2018. En Chine et aux États-Unis, la progression annuelle a dépassé 75 % sur la période, alors qu'elle s'est limitée à 34 % en Europe principalement en raison d'une insuffisance de l'offre, la demande n'ayant pas été satisfaite. En France, les ventes de véhicules électriques ont crû de plus de 25 % entre 2017 et 2018 avec une nette accélération en fin d'année, confirmée début 2019, puisque la progression s'est établie à 60 % pour les deux premiers mois de l'année par rapport à 2018.

Dans le même temps, les annonces d'investissement des constructeurs automobiles dans le véhicule électrique impressionnent : début 2018, elles étaient évaluées à 80 milliards d'euros ; désormais, elles dépassent 265 milliards d'euros, dont la moitié en Chine. Les constructeurs français ont investi, quant à eux, 9 à 10 milliards d'euros. L'afflux d'investissements en Chine s'explique notamment par la position dominante du marché chinois, qui représente plus de la moitié des ventes de voitures électriques en 2018, et à la levée progressive des obstacles aux investissements étrangers dans ce secteur. L'investissement de l'industrie allemande en Chine, estimé à 120 milliards d'euros, représente l'aboutissement d'une coopération de plusieurs années entre les deux pays.

Les autorités chinoises considèrent qu'une ou plusieurs entreprises locales pourraient devenir des champions mondiaux de l'automobile, à l'instar de leurs fabricants de batteries. Il s'agit d'un véritable enjeu pour l'industrie automobile française et européenne.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Les équipes du CEA et de l'IFPEN ont réalisé un travail de grande qualité dans un délai contraint par le calendrier initial d'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, témoignant de l'attachement de ces deux organismes à leur mission de conseil de la représentation nationale.

Leurs scénarios sont fondés sur un modèle mathématique à même, à partir des paramètres fournis, de déduire une combinaison optimale de technologies pour répondre à la demande à un coût minimal. Les objets modélisés incluent le système énergétique - mix électrique, carburants liquides, vecteur hydrogène -, les composants technologiques - batteries, piles à combustible et réservoirs pour l'hydrogène - et cinq types de véhicules déclinés par segments ou catégories : citadine, moyenne gamme et haut de gamme. Seuls les véhicules à usage privé sont pris en compte, qu'il s'agisse de véhicules particuliers ou d'entreprise, c'est-à-dire achetés par des sociétés ou appartenant à des loueurs de longue durée. Les véhicules commerciaux ne sont pas modélisés.

Trois scénarios sont envisagés : médian, pro-batterie et pro-hydrogène. Les trois principales hypothèses convergentes concernent un mix électrique conforme au scénario Ampère du Réseau de transport d'électricité (RTE), soit 46 % de nucléaire et 50 % d'énergies renouvelables en 2035 ; une augmentation de la taxe carbone à 100 euros la tonne en 2030 et 141 euros la tonne en 2040 ; une croissance continue des prix des véhicules thermiques.

Les scénarios précités se distinguent par les hypothèses de progrès technologique. Dans le scénario médian, les progrès de la recherche et développement sur les batteries et les piles à combustible sont conformes aux attentes d'une majorité de scientifiques. Dans le scénario pro-batterie, ils se révèlent plus rapides qu'attendu et les prix des véhicules thermiques reculent plus rapidement. De même, dans le scénario pro-hydrogène, les progrès sur les piles à combustible et les réservoirs à hydrogène sont accélérés, ainsi que la baisse des prix.

L'évolution du parc des véhicules thermiques est similaire dans les trois scénarios, avec une disparition totale des véhicules thermiques non hybrides en 2040 et un volant résiduel de véhicules hybrides non rechargeables équivalent. Le scénario pro-batterie conduit à des résultats équivalents au scénario de référence ; les ventes de véhicules électrifiés sont seulement anticipées de quelques années. Le scénario pro-hydrogène indique, quant à lui, que cette technologie pourrait jouer un rôle majeur si deux conditions se trouvent réunies : des progrès techniques plus rapides que prévu, permettant une baisse accélérée des prix, et un soutien public estimé à 10 000 par véhicule jusqu'en 2040.

Dans les trois scénarios, les émissions de CO2 se réduisent considérablement après avoir crû en début de période ; elles sont divisées par cinq d'ici à 2040 dans les scénarios médian et pro-batterie. Pour atteindre les objectifs de décarbonation des transports, notamment la neutralité carbone en 2050, le CEA et l'IFPEN indiquent qu'il serait nécessaire de substituer des biocarburants liquides aux carburants fossiles.

Les coûts associés à cette transition sont élevés, de l'ordre de plusieurs centaines de milliards d'euros sur une période de vingt ans. L'impact financier majeur est lié à la disparition progressive de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). En 2019, elle devrait atteindre 37,7 milliards d'euros : 45,1 % de cette somme reviennent au budget général de l'État, 32,6 % aux collectivités territoriales, 20,1 % à un compte d'affectation spéciale « transition énergétique », notamment pour soutenir les énergies renouvelables électriques et le biométhane, et 3,2 % à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf).

Les coûts liés à la mise en place des infrastructures nécessaires, comme les bornes de recharge et les stations hydrogènes, sont évalués, pour le scénario médian, entre 30,7 et 100,6 milliards d'euros, entre 32,8 et 108 milliards d'euros pour le scénario pro-batterie et, selon le scénario pro-hydrogène, entre 42 et 103,9 milliard d'euros.

Le CEA et l'IFPEN mettent en évidence sept enseignements issus des scénarios technologiques et formulent une quinzaine de recommandations, que nous partageons en majorité, notamment s'agissant de la poursuite de la recherche et développement sur les biocarburants liquides de deuxième et troisième génération. Le biogaz semble, en effet, plus opérationnel dans un contexte de réduction des besoins en hydrocarbures pour la mobilité.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Parallèlement à la réalisation des scénarios, nous avons procédé à de nombreuses auditions, dont celle du 29 novembre 2018 consacrée aux infrastructures de recharge des véhicules électriques, ainsi qu'à deux déplacements. Cette démarche nous a permis d'approfondir les conditions nécessaires au développement des véhicules décarbonés, et d'identifier des recommandations pratiques.

Nous proposons d'abord de réaffirmer la neutralité technologique, afin de rétablir la confiance quant aux intentions des pouvoirs publics. Plusieurs interlocuteurs ont ainsi évoqué le désarroi des particuliers comme des professionnels depuis l'affaire Volkswagen, dite du dieselgate. Le principe de neutralité technologique est garant de la liberté des industriels de trouver les meilleures solutions, et de celle de leurs clients d'adopter celles qui répondent le mieux à leurs besoins. Ainsi, il serait dommageable de condamner par avance le moteur thermique qui va continuer à jouer un rôle, dans une période de transition, aux côtés des véhicules électriques à batterie, notamment dans les véhicules hybrides rechargeables. De fait, les marchés les plus dynamiques, en dehors de la Chine, connaîtront probablement des difficultés à passer aisément aux véhicules électriques. Alimenté en biogaz, le moteur thermique peut d'ailleurs se révéler plus vertueux. La neutralité technologique permet aussi une transition progressive, limitant les impacts sur le tissu industriel et les emplois.

Il convient également d'éviter la dépendance vis-à-vis des batteries asiatiques. Les batteries lithium-ion représentent 35 % à 50 % de la valeur des véhicules électriques. Le marché est dominé par les pays asiatiques : le Japon, la Corée du Sud et la Chine, laquelle détient 60 % du marché mondial. Les constructeurs chinois ont déjà annoncé leur intention de produire des batteries en Europe, si ce n'est déjà fait. La domination des entreprises asiatiques place les constructeurs européens dans une situation de forte dépendance vis-à-vis de pays eux-mêmes exportateurs d'automobiles. Conscientes des risques, la Commission européenne, l'Allemagne et la France travaillent à constituer un ou plusieurs consortiums industriels européens pour reconquérir la maîtrise de la filière, sorte d'« Airbus des batteries ». Pour y parvenir, il faudra profiter du remplacement prochain de l'électrolyte liquide des batteries lithium-ion par un électrolyte solide, même si, bien entendu, les entreprises asiatiques ne resteront pas passives. Il apparaît également utile, pour protéger le marché européen d'une concurrence trop intense, de définir des critères de qualité environnementale pour les batteries, par exemple sur leur empreinte CO2, leur recyclage et l'approvisionnement responsable en matières premières.

Il semble, en outre, indispensable de préparer le recyclage et la seconde vie des batteries lithium-ion. Il s'agit d'une perspective à moyen terme, car la montée en puissance sera progressive et décalée d'une dizaine d'années par rapport à la vente des véhicules. Les batteries recyclées pourraient devenir une source d'approvisionnement en lithium et en cobalt. Comme pour les batteries neuves, il faut définir dès à présent des critères exigeants, par exemple en termes de performance du recyclage, pour protéger cette industrie naissante. La réglementation européenne, qui date de plus de dix ans, prévoit un seuil par défaut fixé à 50 % de taux de recyclage, alors que les entreprises françaises savent déjà recycler ces batteries à plus de 70 %. Il convient également de préparer un statut spécifique des entreprises de recyclage, doté d'une règlementation adéquate.

Nous recommandons, par ailleurs, d'assurer le déploiement des infrastructures, afin d'assurer, sur l'ensemble du territoire, un accès aisé à un point de charge : au domicile, sur le lieu de travail, ou dans l'espace public. En France, le nombre total de points de recharge s'élevait à près de 240 000 à la fin de l'année 2018, dont environ 26 000 accessibles au public, plus de 85 000 chez les particuliers et plus de 125 000 en entreprise, avec une progression de près de 40 % en un an.

En théorie, 65 % des logements pourraient être équipés d'un point de recharge, mais cela peut s'avérer compliqué dans les bâtiments résidentiels collectifs. La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite Grenelle II, a créé un « droit à la prise », mais, en pratique, les délais sont longs et le processus complexe pour un propriétaire ou un locataire qui veut installer à ses frais un point de charge individuel. Il est possible d'améliorer l'exercice du droit à la prise en demandant aux copropriétés de décider des modalités de raccordement en amont. Ainsi, la réponse pourra être plus rapide : un délai maximum de deux mois nous semble, dans ces conditions, suffisant.

La recharge doit également être facilitée sur le lieu de travail. L'un des freins concrets évoqués lors de l'audition du 29 novembre 2018 concerne l'obligation de payer des charges sociales et des impôts lorsqu'un salarié recharge son véhicule dans son entreprise. L'employeur doit alors mettre en place un système spécifique de comptage et de facturation. Lors de l'examen au Sénat de la loi d'orientation des mobilités, j'ai récemment déposé un amendement visant à lever cet obstacle, afin de permettre aux 35 % de personnes qui ne peuvent disposer d'un point de charge à domicile de pouvoir recharger leur véhicule électrique sur leur lieu de travail.

Il y a ensuite la question des bornes de recharge dans l'espace public, soit pour les personnes dépourvues de place de parking, soit pour les déplacements. Là aussi, nous avons identifié un obstacle majeur : l'absence de rentabilité, à ce stade, pour les acteurs privés. Le projet de loi d'orientation des mobilités comporte déjà des dispositions destinées à améliorer cette situation. Nous en proposons plusieurs autres, en commençant par une meilleure information des acteurs publics et privés sur les possibilités de raccordement et sur le trafic routier.

Enfin, il y a la question de l'impact de ces points de charge sur le réseau électrique. Après avoir entendu les acteurs du domaine, nous considérons qu'il n'y a pas de risque réel en termes de consommation d'électricité tout au long de l'année. Le problème existe néanmoins en termes d'appel de puissance, avec un risque réel d'aggraver les pointes de consommation.

Sur ce plan, il n'y a pas d'autre solution efficace à l'heure actuelle que le pilotage de la recharge. Aussi pensons-nous qu'il faut étendre l'obligation du pilotage aux points de recharge dans l'habitat collectif, en renforçant les aides.

Ces problèmes d'infrastructure se posent aussi, sous une autre forme, pour le gaz naturel véhicule (GNV) et l'hydrogène. Ces réseaux se développent déjà pour des utilisateurs professionnels. Il faut donc avant tout inciter les professionnels à utiliser ces nouvelles énergies, moins carbonées et moins polluantes. Aussi, nous pensons qu'il faut pérenniser ou étendre les dispositions relatives au suramortissement à l'achat des véhicules, tout en veillant à ce que le prix à la pompe soit attractif.

Autre exemple de préconisation : le maintien des aides à l'achat à un niveau suffisant.Le surcoût des véhicules électriques à l'achat reste un problème majeur pour le développement de ce marché. En Norvège, c'est avant tout un prix attractif pour les particuliers qui explique les ventes des véhicules électriques, bien avant les autres avantages tels que les exonérations de péage. Le Danemark en a aussi donné un exemple inverse, lorsqu'il a baissé ses aides à l'achat en 2015 et que les ventes de véhicules électriques se sont effondrées.

En France, un dispositif équivalent à celui de la Norvège est impossible, car celui-ci est basé sur la suppression de taxes déjà très lourdes, qui n'est possible que parce que ce pays n'est pas producteur de véhicules.

Il faut maintenir les aides existantes, notamment le bonus écologique, tant que les prix n'auront pas baissé. Même s'il est impossible de prédire cette baisse, les dernières annonces des constructeurs sont plutôt encourageantes ; ainsi la Volkswagen ID.3, équivalent de la Golf, est annoncée en dessous de 30 000 euros sans aide.

Une autre façon de convaincre les Français consiste à leur montrer que l'achat d'un véhicule électrique peut être intéressant sur le long terme, en termes tant financiers que de protection de l'environnement. C'est ce que permettent les calculs du coût total de la possession d'un véhicule et l'analyse de ses émissions tout au long de son cycle de vie, et non plus seulement en utilisation, comme actuellement.

Aussi, sur le modèle de l'étiquette-énergie pour les logements ou l'électroménager, nous proposons la création d'un label permettant aux consommateurs de visualiser simplement, pour un véhicule, son coût total de possession et ses émissions tout au long de sa vie, sur la base d'une utilisation moyenne.

Voilà quelques exemples de mesures concrètes qui pourraient faciliter le déploiement des véhicules à basses émissions, nous en proposons d'autres parfois assez techniques.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Au terme de notre étude et sur la base des travaux réalisés par le Commissariat à l'énergie atomique et l'Institut français du pétrole-Énergies nouvelles, nous considérons que le double objectif d'une très forte réduction des émissions de CO2 et d'une disparition des motorisations purement thermiques est réalisable pour les véhicules particuliers d'ici à 2040.

Cette transformation sera certainement coûteuse, notamment à cause de la perte des revenus provenant de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, (TICPE) et aussi des infrastructures à mettre en place. La bonne nouvelle, c'est que, pour les particuliers, elle pourrait au contraire se révéler, à terme, favorable pour leur budget déplacement. Il s'agira aussi d'une transformation majeure pour toute la filière automobile, industries et services compris, dans un contexte international lui-même très fluctuant.

Aussi faut-il agir avec prudence, en préparant ces changements, avec toutes les mesures d'accompagnement qui ont été évoquées, et en laissant à chacun des acteurs la possibilité de jouer entièrement son rôle. La LOM permettra de programmer, ce qui est essentiel.

M. Patrick Chaize. - Merci de cette présentation. Plusieurs pistes s'offrent à nous ; mais ne faudrait-il pas faire un choix unique de technologie, sachant que chacune nécessite des investissements considérables en fait d'infrastructures, lesquelles renchérissent les coûts ?

Si nous faisons le choix de l'énergie, comment pourrons-nous faire face aux besoins en production d'énergie, notamment en pointe ? Faudra-t-il prendre des mesures d'encouragement ?

Enfin, vous n'avez pas évoqué une technologie française, le moteur à air comprimé, qui a fait ses preuves et est déjà utilisée. À mon sens, c'est certainement l'une des plus faciles à développer, car le stockage est simple, la recharge est rapide et l'efficacité énergétique est démontrée. Pourquoi ne pas la retenir, alors que c'est une invention française ?

M. Bernard Buis. - L'hydrogène peut être une bonne solution pour le train. De nombreuses lignes en France ne sont pas électrifiées et sont actuellement desservies par des locomotives au diesel qui consomment beaucoup. Mais les points de recharge en hydrogène coûtent cher : environ 1 million d'euros. Il faudrait sans doute choisir des solutions différentes selon les catégories de transport.

M. Charles Revet. - Félicitations pour ce rapport. Les énergies fossiles doivent être abandonnées. Pour les remplacer, nous hésitons entre l'électricité et l'hydrogène, mais ne pouvons-nous pas imaginer que d'ici à 2040, d'autres énergies apparaissent ? Avez-vous fait une comparaison des coûts complets des deux solutions sans subvention ?

M. Ronan Dantec. - Je note avec satisfaction que ce rapport juge la mutation possible dans les délais fixés par l'accord de Paris. Je reste cependant sur ma faim au vu de votre prudence, qui vous conduit à laisser toutes les hypothèses sur la table. Ne prenons-nous pas un risque par rapport au volontarisme de la Chine, qui a racheté Volvo, et fait travailler tous ses ingénieurs uniquement sur l'électrique ?

Quand vous parlez de l'empreinte carbone, intégrez-vous l'énergie grise de la construction du véhicule - au regard de laquelle un des enjeux serait de fabriquer des véhicules qui durent plus longtemps ? Même chose sur l'acier utilisé, dont l'empreinte carbone est différente selon le pays où il est produit.

M. Jean-Claude Luche. - Je suis étonné que le rapport n'établisse pas de priorités entre ses préconisations : 2040, c'est dans vingt ans et il y a certainement des actions plus urgentes que d'autres. Vous ne parlez pas non plus des véhicules portant la vignette Cri'tair 1, qui ont moins d'impact que les autres sur la production de CO2, et qu'il est dès lors moins urgent de remplacer.

Dans l'Aveyron, il faut trois heures et demie pour aller d'un bout à l'autre du département. C'est compliqué si l'on doit recharger plusieurs fois son véhicule. Vous parlez très peu de l'impact sur l'emploi. Dans l'Aveyron, si l'usine qui fabrique des injecteurs fermait, ce serait 1 500 emplois directs en moins, sans compter l'impact sur les 5 000 à 6 000 emplois indirects. Quid des moteurs thermiques des avions et des bateaux - qui polluent bien plus que toutes les voitures françaises ?

Mme Angèle Préville. - Merci pour ce travail crucial. La technologie évolue avec les batteries àélectrolyte solide et les piles zinc-air, mais les gouvernements, par leur lenteur à s'adapter, n'auraient-ils pas des problèmes d'agilité ? Pour l'instant, aucune solution n'émerge entre électrique et hydrogène, même si l'hydrogène semble de plus en plus clairement indiqué pour les transports lourds.

M. Éric Gold. - Nous sommes tous sensibles à la recherche de véhicules non polluants. L'échéance de 2040 semble très proche. Y aura-t-il une stratégie nationale avec des moyens pour un maillage cohérent du territoire en points de recharge, ou faut-il encore s'attendre à ce que les territoires les plus fragiles, ceux où le véhicule individuel est le plus souvent indispensable, soient de nouveau pénalisés ?

M. Daniel Gremillet. - Disposez-vous de l'écobilan des différents scénarios ? D'autre part, hors subventions - car la fiscalité vient toujours de la poche de quelqu'un - quels seraient leurs coûts pour les particuliers ?

Mme Marta de Cidrac. - Ne pensez-vous pas que le poids et la taille des véhicules de 2040 seront un enjeu ? Plus ils seront lourds, plus ils consommeront d'énergie. Quid des infrastructures : voies, chemins, points de recharge ? Pour les entreprises, prévoir des points de recharge posera des problèmes de place. Quant aux nouvelles voies, ne craignez-vous pas qu'elles soient encombrées bientôt par tous les nouveaux petits véhicules tels que les trottinettes ?

Mme Sylviane Noël. - La pollution ne connaît pas de frontières. Or la France émet 1 % des émissions mondiales. Qu'en est-il des démarches engagées par nos voisins européens, notamment pour réduire leurs émissions ? Notre réseau de transport électrique est-il en mesure de supporter cette évolution, sachant qu'en 2040 la part de consommation des véhicules électriques sera équivalente à la consommation d'un pays comme le Danemark ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Le rôle de l'Opecst est d'évaluer les choix scientifiques et techniques, pas de déterminer des politiques fiscales et économiques.

Nous avons rencontré beaucoup de défenseurs de telle ou telle technologie, y compris l'air comprimé. Depuis vingt ans, cette technologie essaie de se développer, mais nous n'avons pas eu accès à des tests scientifiques fiables dont nous aurions pu faire état dans un rapport de l'Opecst. Or nous avons besoin de certitudes. Il est certain que ce serait une énergie neutre, l'air comprimé étant une ressource abondante.

Monsieur Buis, pour que l'hydrogène soit rentable, il faut effectivement l'utiliser dans des mobilités lourdes. Le coût d'un point de recharge d'hydrogène est en effet d'environ 1 million d'euros. On peut donc l'utiliser pour des trains, comme en Allemagne - où, soit dit en passant, la pollution baisse comme chez nos autres voisins -, dans le cadre de flottes de bus dans des intercommunalités ou encore pour le transport scolaire. En revanche, pour le transport des particuliers, la rentabilité n'est pas au rendez-vous.

Sans aides publiques pour les véhicules non polluants, on arrête le match. Le choix est donc le suivant : soit nous continuons à utiliser les hydrocarbures, cette énergie qu'on croyait magique et abondante, et nous attendons d'être au bout pour prendre un virage, soit nous nous préparons. Nous avons un peu de temps: la fin de production des hydrocarbures est prévue dans un siècle. Mais les solutions nécessitent un financement public. Si nous ne voulons pas trop augmenter la taxe carbone, il sera difficile de trouver 37 milliards d'euros.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Monsieur Chaize, si nous ne voulons pas que le dieselgate se reproduise, il ne faut pas faire de choix unique. Si, concernant les batteries, les développements ultérieurs pourront faire varier leur taille et leur autonomie, concernant l'hydrogène, nous cherchons à le produire sans émission supplémentaire de CO: cette technologie est donc en mutation. Si l'État décide de financer une technologie unique, il mettra en danger le monde industriel, caractérisé par le fait que nous produisons des véhicules sur notre territoire, contrairement à la Norvège, par exemple. Il est donc préférable de laisser le choix aux industriels d'affiner les différentes solutions ; en 2040 ou en 2035, on sera peut-être plus en mesure de choisir.

Concernant la production d'énergie qui alimente les véhicules à batterie, nous sommes partis des objectifs de la RTE : 46 % d'énergies renouvelables et 50 % d'énergie nucléaire. La France a une importante production d'énergie nucléaire, ce qui n'est pas le cas de ses voisins, mais elle est en interconnexion avec des pays qui produisent des énergies qui ne sont pas décarbonées. Il est indispensable que nous soyons capables de quantifier les émissions occasionnées par la production et le transport, jusqu'à la livraison des véhicules des deux types. C'est à ce prix que nous pourrons parvenir à la neutralité carbone, car rien ne sert d'utiliser ces technologies si la fabrication se fait à l'aide d'énergie produite par la combustion du charbon.

À chaque fois que l'on retire les accompagnements par l'État, la solution s'effondre. Les Norvégiens l'ont constaté. Il est donc difficile d'en sortir, sachant que les technologies ne sont pas encore abouties. Il faut laisser les industriels les développer.

Il y a effectivement des projets en France aussi pour faire circuler des trains à hydrogène. Onze régions se sont dites intéressées. Le temps que ces produits se mettent en place, la SNCF aura trouvé le moyen de produire de l'hydrogène. Il faut que des industriels développent des solutions de véhicules à hydrogène. N'oublions pas que la pile à combustible est aussi une batterie.

Il est clair que d'ici à 2040, il y aura d'autres technologies : la France a une très bonne recherche ; l'armée développe parfois des solutions pertinentes, mais qui n'arrivent pas sur le domaine public. Il n'est pas exclu que quelqu'un trouve le moyen d'utiliser des véhicules sans émission de CO2 et de particules.

Jusque'à aujourd'hui, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) accompagne les territoires pour leurs projets d'installation d'infrastructures. Les zones blanches dans ce domaine ne sont pas forcément causées par un manque de financement, mais par l'absence de volonté des politiques locaux. Si l'on veut atteindre l'objectif de 2040, l'État via l'Ademe et les collectivités territoriales devront travailler ensemble. Mais ce n'est pas la seule piste : beaucoup d'entreprises y réfléchissent. Beaucoup de garages pourraient mettre en place des places de recharge payantes pouvant être réglées par carte bleue. Peut-être faut-il aussi inciter les particuliers à en installer. L'autoroute de demain devra comporter les infrastructures nécessaires.

Vous évoquez la question de la taille des véhicules : les industriels répondent à la demande, qui est variée. En 2040, les moyens de déplacement devraient être ceux que nous avons aujourd'hui ; peut-être seront-ils moins nombreux grâce au covoiturage ?

La ministre s'est exprimée sur le sujet des trottinettes : je crois qu'elle a évoqué une interdiction avec les collectivités locales.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Si les 32 millions de véhicules tous transports terrestres confondus passaient à l'électrique, la consommation d'électricité subirait une hausse de 20 %, ce qui est considérable. RTE prévoit parallèlement une baisse de la consommation grâce à une meilleure isolation des logements et à une meilleure performance des appareils.

Entre le développement des bornes et la diffusion des véhicules, c'est un peu la poule et l'oeuf. Dans les territoires, des actions volontaristes ont prévu des infrastructures, ce qui a un coût pour les collectivités. On ne peut pas faire avec l'électricité ce qu'on faisait avec les hydrocarbures - autrefois, les gens avaient des bidons d'essence dans leur garage ou dans leur coffre. Or les véhicules sont à l'arrêt 90 % du temps, ce qui permet de les recharger au garage ou au travail. Le seul problème qui reste est l'autonomie pour les longs trajets, par exemple pour partir en vacances - à moins de pouvoir s'offrir une Tesla à 70 000 euros !

En Norvège, 95 % de l'électricité est verte, car d'origine hydraulique. La question du coût et de l'empreinte carbone de l'électricité servant à recharger les véhicules ne se pose donc pas.

Nous sommes conscients des enjeux liés à l'emploi. Il y a sept fois moins de fonctionnalités dans un véhicule électrique ; son adoption fera donc potentiellement disparaître des métiers. Il faudra bien y faire face, notamment s'y préparer en termes de formation de nos jeunes.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Les industriels doivent être accompagnés dans l'innovation. La plupart des petites entreprises dans le domaine de la mobilité bénéficient du crédit impôt recherche (CIR). Les industriels investissent d'eux-mêmes, car ils ont conscience que ces technologies sont des perspectives d'avenir. La France avait pris du retard dans la production de véhicules électriques, mais le dernier salon a calmé les inquiétudes : chaque constructeur y a proposé une solution non polluante. Nous devons laisser les industriels choisir les technologies, mais l'État doit les soutenir. Les modalités seront définies dans la loi « énergie ».

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - La mode des SUV a provoqué une hausse du poids des véhicules thermiques, ce qui a provoqué une augmentation des émissions.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Concernant les freins gouvernementaux, dès lors que l'on a inscrit l'objectif de 2040 dans la loi, l'État doit aller plus vite. Ce ne sera pas toujours facile : je ne sais pas combien de fois le gouvernement changera d'ici à 2040, mais l'inscription dans la loi devrait aider.

L'Opecst ne s'occupe pas de fiscalité. Il faudra étudier la TICPE dans le projet de loi de finances à venir. Dès aujourd'hui, nous devons programmer notre fiscalité pour atteindre notre objectif.

M. Didier Mandelli. - Un petit rappel de ce que nous venons de voter dans le cadre de la LOM : le financement des bornes est passé de 40 à 75 %, nous avons intégré des mesures concernant les copropriétés et les parkings publics ; nous avons verdi la flotte, notamment des professionnels ; nous avons pris des mesures pour les zones de faibles émissions et la mise en place de voies réservées pour les véhicules à faible émission ou très faible émission.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie de cette présentation. Nous serons attentifs à ce que les débats du projet de loi d'orientation des mobilités à l'Assemblée nationale soient cohérents avec les travaux de l'Opecst.

M. Hervé Maurey, président. - Merci.

La réunion est close est 16 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 29 mai 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente. - Chers collègues, notre ordre du jour étant chargé, je reporte ma communication sur la présence des sénateurs au sein d'organismes extra-parlementaires.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Nous examinons ce matin la proposition de loi visant à améliorer la lutte et la prévention contre l'habitat insalubre ou dangereux de notre collègue Bruno Gilles, sénateur des Bouches-du-Rhône, déposée après le drame de la rue d'Aubagne survenu à Marseille en novembre dernier. Nous avons déjà examiné cette proposition de loi en mars. Vous avez accepté de prendre un peu plus de temps pour approfondir notre réflexion sur les dispositifs proposés dans la proposition de loi. Vous m'avez missionnée pour examiner d'autres dispositifs de prévention et de simplification des procédures en matière d'habitat indigne.

J'ai procédé à de nombreuses auditions complémentaires et effectué plusieurs visites sur le terrain. Nous sommes ainsi allées avec la présidente Sophie Primas, le 28 février, en Seine-Saint-Denis à Montfermeil et à Aubervilliers avec Fabien Gay et Philippe Dallier ; le 1er mars à Marseille avec Anne-Marie Bertrand, Cécile Cukierman et Bruno Gilles ; du 9 au 13 mai en Guadeloupe et en Martinique avec Catherine Conconne ; puis le 20 mai dans la Somme à Ham et à Amiens avec Daniel Dubois. Je remercie la présidente qui a accepté de mobiliser des moyens importants pour que nous puissions effectuer des visites de terrain extrêmement instructives ainsi que les collègues qui nous ont accueillies sur leurs territoires.

À Marseille, un peu moins de sept mois après le drame de la rue d'Aubagne, 1 250 personnes ont été relogées. Il reste 223 ménages à reloger, soit un peu moins de 500 personnes.

Je tiens à souligner l'engagement des élus et des maires dans la lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil. Malgré leur volontarisme, ils rencontrent des difficultés dont la solution n'est pas nécessairement législative.

L'ensemble des services de l'État, déconcentrés ou non, doivent se mobiliser pour lutter contre des situations qui sont indignes de notre grand pays. C'est un des messages que nous ont adressés les élus que nous avons rencontrés, notamment ceux de Seine-Saint-Denis. Si le préfet ne prononce pas les sanctions en matière de permis de louer, si l'on ne poursuit pas les marchands de sommeil en justice, si les directions départementales des finances publiques ne se retournent pas contre les propriétaires défaillants pour récupérer les sommes engagées par les élus au titre des travaux d'office, on perd en crédibilité et en action. L'éradication de l'habitat indigne suppose une mobilisation forte et coordonnée des différents acteurs.

Les bailleurs sociaux doivent également être mobilisés. Or lors de notre déplacement dans la Somme, le maire de Ham nous a indiqué avoir essuyé des refus de tous les bailleurs sociaux pour intervenir sur une opération de réhabilitation portant sur sept logements. Le maire a engagé une déclaration d'utilité publique depuis 2012, des recours ont été mis en oeuvre et finalement la commune deviendra propriétaire de cet ensemble, sans opérateur. La situation financière des bailleurs sociaux est, certes, difficile. Je sais combien la réduction de loyer de solidarité a pu les fragiliser. Néanmoins, ils ont un rôle à jouer dans les opérations de réhabilitation de l'habitat indigne y compris, et même surtout, en milieu rural.

Outre une mobilisation de l'ensemble des acteurs, la lutte contre l'habitat indigne suppose des moyens humains et financiers. De ce point de vue, l'APL-accession est un outil essentiel de la politique de lutte contre l'habitat indigne. Sa suppression lors de la loi de finances pour 2018 a conduit certains ménages à renoncer à la réalisation de travaux de rénovation. Pire, en Guadeloupe et en Martinique, nous avons pu constater avec Sophie Primas et Catherine Conconne que les programmes de résorption de l'habitat indigne avaient été fortement ralentis voire carrément stoppés, alors même que l'économie budgétaire pour l'État n'est que de 50 millions d'euros. Nous nous en sommes émues. Le Sénat s'était opposé à cette suppression décidée unilatéralement. Il est urgent que le Gouvernement rétablisse l'APL-accession au plus tard lors de la prochaine loi de finances. Il en va de la crédibilité des élus et de l'action publique en la matière. Je déposerai un amendement d'appel en séance pour interpeller le ministre sur cette question. Je sais que ce sujet relève d'une loi de finances mais j'espère que le ministre prendra des engagements dans l'hémicycle.

Il faut également des moyens financiers pour aider les propriétaires à rénover leur bien. L'Agence nationale de l'habitat (Anah) joue un rôle essentiel en la matière. Le Gouvernement doit être cohérent et affecter à l'agence des moyens à la hauteur des enjeux. Mais au-delà des moyens financiers, il faut d'abord convaincre les propriétaires de rénover et d'entretenir leur bien.

L'absence de rénovation énergétique conduit à un double phénomène. D'abord, non rénové, le logement ou la maison perd inévitablement de sa valeur et peut être racheté à bas coût par des marchands de sommeil. Ensuite, pour faire face au paiement de leur facture d'énergie, les propriétaires de ces véritables passoires thermiques, souvent âgés ou impécunieux, sont parfois conduits à louer dans des conditions indignes une partie de leur habitation. Ils deviennent ainsi de fait des marchands de sommeil. Comment convaincre ces propriétaires, qui n'ont ni les moyens ni les compétences, de s'engager dans un chantier de rénovation ?

À Montfermeil, le maire nous a présenté un dispositif particulièrement intéressant, le Parcours de rénovation énergétique performante (PREP), qu'il a mis en place. Le PREP fait intervenir le maire, qui va informer ces propriétaires ; un tiers, qui garantit la qualité des interventions techniques ; un tiers payeur, qui identifie les aides dont le propriétaire peut bénéficier et qui l'accompagne dans ses démarches. Cette démarche coordonnée est susceptible de donner confiance à ces propriétaires pour qu'ils s'engagent dans ce chantier.

Plus généralement, à l'issue de mes visites et auditions, je me demande s'il ne faudrait pas mettre en place une géographie prioritaire et un programme de lutte contre l'habitat indigne sur le modèle du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Il restera toujours, ensuite, la problématique des moyens financiers.

J'en viens aux principales orientations que j'ai retenues pour la proposition de loi en m'inspirant à la fois des objectifs poursuivis par notre collègue Bruno Gilles et des observations recueillies sur le terrain.

Tout d'abord, la détection et la prévention de l'habitat indigne est un axe essentiel que l'on néglige bien trop souvent. Plus on interviendra en amont, plus on limitera le nombre de logements indignes. Mieux vaut prévenir que guérir. Je vous proposerai deux mesures en ce sens.

La première concerne le diagnostic technique global qui a pour but de faire un état des lieux de la copropriété. Les principaux résultats sont transmis au registre des copropriétés accessible aux élus. Cet outil est aujourd'hui sous-exploité puisqu'il est facultatif. Or il permettrait aux copropriétaires d'engager des travaux au vu du diagnostic et donnerait aux élus des données supplémentaires pour détecter en amont des copropriétés en voie de dégradation. On a vu à Aubervilliers des immeubles dont la façade sur rue était impeccable mais qui en réalité étaient dans un état de dégradation importante à l'intérieur. Le diagnostic serait un outil de repérage pour les élus. La maire d'Aubervilliers nous a dit que si la porte de l'immeuble n'avait pas été laissée ouverte, personne n'aurait jamais suspecté qu'il s'agissait d'habitat indigne. C'est pourquoi je vous propose de rendre le diagnostic obligatoire pour les copropriétés de plus de quinze ans.

La deuxième mesure concerne les syndics. Ils sont aux premières loges pour détecter les logements indignes. Je propose de leur donner la possibilité de faire des signalements sur les cas d'habitat insalubre, dangereux et non décent.

Une deuxième série de dispositions vise à clarifier, simplifier et accélérer les procédures en matière de traitement de l'habitat insalubre ou dangereux. Nous en discuterons peut-être plus longuement.

La règlementation actuelle comprend pas moins de treize polices qui s'appliquent à des situations différentes et qui font intervenir des autorités et des procédures différentes. Cette multiplication des polices n'est pas un gage d'efficacité et peut aussi être source de contentieux. Il est nécessaire de réduire et harmoniser toutes ces polices. Dans la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), une ordonnance prévoit cette simplification et cette clarification. En commission mixte paritaire, nous avions accordé un délai de 18 mois au Gouvernement. Mais après le drame de Marseille, nous avons considéré qu'il n'était pas possible d'attendre autant de temps. Je ne comprends même pas que le Gouvernement n'ait pas accéléré les choses. La lutte contre l'habitat indigne doit être une priorité nationale. Nous devons arrêter de tergiverser. Je vous propose donc de revenir sur l'habilitation à légiférer et de modifier directement le droit en vigueur. Il s'agit ainsi de mettre en place une police spéciale du logement qui traitera selon une procédure identique les cas de péril et d'insalubrité.

J'aurais souhaité n'avoir qu'une seule définition du logement indigne qui recouvrirait le logement en péril, le logement insalubre et le logement indécent. Mais cela suppose d'avoir un seul acteur de cette police du logement et donc des transferts de compétence entre l'État et les collectivités. Malheureusement l'article 40 de la Constitution nous empêche de le faire. C'est bien dommage ! Pour autant, par notre travail, nous apportons des éléments importants au Gouvernement qui, lui, peut agir.

Le traitement des logements en péril et des logements insalubres demeure donc distinct à ce stade. Le maire continuera de prendre les arrêtés de péril et le préfet continuera de prendre les arrêtés d'insalubrité. Mais dans les deux cas, ils devront suivre une procédure qui sera identique, grâce à mon amendement.

Le dispositif devra certainement être amélioré mais c'est une première pierre à l'édifice et il appartient au Gouvernement de compléter cette réforme.

Une autre mesure que je propose concerne le rôle des syndics dans ces procédures de péril ou d'insalubrité. L'existence d'un syndic professionnel apparaît comme un atout pour mettre en oeuvre les mesures prescrites notamment lorsqu'elles concernent des parties communes. C'est pourquoi je vous proposerai de rendre obligatoire la présence d'un syndic professionnel pour la durée de l'arrêté de péril ou d'insalubrité.

Une troisième série de dispositions renforce le rôle des collectivités territoriales dans la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux. Certaines mesures prévues par notre collègue Bruno Gilles telles que la création d'un nouveau cas d'expropriation, la transmission du casier judiciaire aux élus ou l'inversement du principe selon lequel le silence de la collectivité à l'issue d'un délai d'un mois vaut autorisation de louer sont des pistes extrêmement intéressantes.

Néanmoins, les auditions ont souligné deux séries de difficultés. Soit ces mesures nécessitent des moyens pour leur mise en oeuvre qui font défaut, soit elles présentent sur le plan juridique quelques faiblesses, notamment au regard du droit de propriété. Je vous proposerai autant que faire se peut des ajustements pour conserver ces dispositifs et les améliorer lorsque cela est possible.

À l'issue de mes auditions, il est également apparu que les maires avaient besoin d'outils supplémentaires comme un droit de préemption spécifique en matière d'habitat indigne par exemple.

Enfin, j'ai prévu des mesures concernant les marchands de sommeil. La loi ELAN a déjà conforté ce volet répressif. Les articles 7 à 9 de la proposition de loi renforcent les sanctions contre les marchands de sommeil et confortent le rôle des associations agissant dans la lutte contre l'habitat indigne. J'y suis favorable. Je vous propose néanmoins des ajustements et notamment que le produit des amendes prononcées dans le cadre du permis de louer et du permis de diviser bénéficie aux collectivités locales. En contrepartie, je vous propose de préciser que ces mêmes collectivités ne peuvent demander aucuns frais pour le traitement des demandes du permis de louer.

Mme Annie Guillemot. - Ce débat sur l'habitat insalubre est extrêmement important dans le contexte actuel. Le nombre de permis de construire délivrés a baissé de 10 % au dernier trimestre. Il faut pouvoir construire et attribuer des logements. On va manquer de moyens. La clause de revoyure signée avec les offices HLM ne nous encourage pas à avoir ces moyens.

Nous partageons l'avis de Mme Estrosi Sassone sur la géographie prioritaire. Le problème pour les maires est aussi de disposer des services de l'État. Il faut huit mois pour obtenir la nomination par le tribunal administratif d'un syndic provisoire dans une copropriété, même si c'est le maire qui le demande.

Nous saluons le travail de notre rapporteur et soutiendrons un grand nombre d'amendements. Nous nous abstiendrons sur l'amendement de réforme des polices dont ne mesurons pas encore toutes les conséquences - c'est un gros travail qui a été mené.

Enfin nous continuons à travailler sur les règles applicables en outre-mer et proposerons d'autres amendements en séance, notamment sur l'APL-accession.

M. Pierre Cuypers. - Merci à notre rapporteur pour son rapport très intéressant. Il serait bon de faire une analyse plus fine de l'insalubrité. Quelle est son origine ? Parfois, l'extérieur de l'immeuble est en bon état et l'intérieur est rendu insalubre par les occupants, presque immédiatement après sa restauration. La police n'ose même plus aller dans ce type de bâtiments. Le résultat peut être l'effondrement du bâtiment. Comment distinguer qui est à l'origine de l'insalubrité dans le diagnostic et comment faire en sorte que l'insalubrité ne s'installe pas de manière pérenne ?

M. François Calvet. - Je souhaite rebondir sur la remarque portant sur l'organisation administrative du système. Chaque fois que l'on veut faire reconnaître l'insalubrité, on se heurte à un enchevêtrement de compétences. Il faudrait proposer quelque chose de moderne qui réponde aux problèmes de procédure et qu'on ne soit plus obligé de soulever des montagnes pour aboutir.

Mme Sophie Primas, présidente. - L'article de simplification des polices va dans ce sens.

Mme Valérie Létard. - Je salue le travail de fond de notre rapporteur qui apporte une analyse en profondeur des sujets. Je rejoins M. Calvet sur la complication de la règlementation en raison du nombre élevé d'interlocuteurs.

Nous sommes solidaires des propositions exprimées. Sans offrir toutes les solutions tout de suite, ce texte offre un cap.

Je souhaite appeler votre attention sur la vente de patrimoine, qui peut engendrer un risque de copropriété dégradée. Peut-on intégrer dans le texte la prévention des copropriétés, en travaillant avec les organismes HLM et les syndics ? Dans le monde du logement social, cette question se posera et son impact peut être dramatique. Attachons-nous à prévenir pour ne pas en arriver à des situations inextricables. Dans le département du Nord, des plans de vente s'organisent. Je crains le pire après les ventes à la découpe d'immeubles par des bailleurs sociaux.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous suggère de déposer des amendements en séance.

M. Daniel Dubois. - Je félicite notre rapporteur de son travail de fond. Je vous remercie pour votre visite dans la Somme. Je souhaite aborder la problématique spécifique des territoires ruraux. Le diagnostic peut être un peu plus facile qu'en zone urbaine car la collectivité est plus petite mais ensuite, les problématiques s'amoncellent. Or les collectivités rurales n'ont pas la puissance technique pour les gérer.

Mme Sophie Primas, présidente. - Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) non plus.

M. Daniel Dubois. - En effet. Il y a des problèmes de logistique et de technicité.

La problématique financière est lourde aussi. Les bailleurs sociaux affichent un niet catégorique. Ils n'interviennent plus en milieu rural. C'est d'autant plus problématique que nous lançons une politique de revitalisation des centre-bourgs. Soyons cohérents. Ni les moyens techniques et financiers ni les opérateurs ne sont au rendez-vous.

Dans son discours, après la crise des gilets jaunes, le Président de la République a évoqué la déconcentration pour le numérique, le logement et l'environnement. Si le logement est transféré aux collectivités territoriales dans ces conditions, merci et bon courage !

Mme Anne-Marie Bertrand. - Je félicite notre rapporteur de son travail sur ce sujet pour lequel il est urgent d'agir.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Bravo pour ce rapport très éclairant.

Le diagnostic est bien évidemment essentiel mais évitons d'empiler les mécanismes pour les petites communes rurales. Ne peut-on pas lier ce dispositif à la mise en place d'un programme en faveur du centre-bourg ? L'une des difficultés rencontrées par les petites communes est plus l'enchevêtrement juridique et le financement que le diagnostic. On sait en général ce qui ne va pas.

M. Fabien Gay. - Merci à notre rapporteur qui a participé à une visite très éclairante sur la situation en Seine-Saint-Denis.

La problématique du logement concerne en réalité beaucoup d'autres problématiques : misère sociale, emploi, santé. L'une des portes d'entrée de la solution à ce problème global est la rénovation des logements.

L'insalubrité touche tous les types d'habitat : il y a des copropriétés extrêmement dégradées, des grands ensembles sociaux et de plus en plus de logements individuels, comme à Montfermeil. Le problème est : qui paie ? Comment accompagner les propriétaires ? Comment l'État fait-il en sorte de ne pas laisser les collectivités et les bailleurs tous seuls ? Nous devons creuser davantage cette question.

Plus le diagnostic est effectué tôt, mieux c'est. Nous voterons une partie des amendements à ce propos. Il faut aussi renforcer les sanctions contre les marchands de sommeil. C'est inévitable.

Je me méfie toujours du terme « simplification », surtout porté par le Gouvernement, car « simplifier » rime souvent avec « détricoter », mais pour le coup, il le faut. La maire d'Aubervilliers disait qu'elle était en bataille depuis 18 ans au sujet de copropriétés. Il y a besoin d'agir plus rapidement. Cela pose la question des autres services publics et notamment des moyens consacrés par la justice à ces affaires.

Mme Sylviane Noël. - Je me félicite de ces mesures attendues par nombre d'élus locaux. Ce matin, un maire de mon département de Haute-Savoie confronté à un grand nombre de copropriétés dégradées m'alertait sur le manque d'efficience des procédures à la disposition des élus locaux. Il soulignait notamment que les conditions d'audition des parties modifiées l'an dernier allongeaient encore davantage les délais avant la mise en oeuvre de mesures d'urgence. Espérons que cette proposition de loi résoudra ces problèmes.

Mme Anne Chain-Larché. - Bravo pour ce travail si utile. À l'heure d'Airbnb et de PAP, les maires ruraux ont très peu de moyens d'alerte et de lutte. Hormis un signalement à l'Agence régionale de santé (ARS), le maire est totalement démuni alors qu'il devrait pouvoir saisir directement cette fameuse police que vous souhaitez.

M. Bernard Buis. - Merci pour ce rapport. Les maires des petites communes sont démunis et ont besoin d'être accompagnés. Une personne importante, dans les territoires ruraux, est le sous-préfet. Lorsqu'on arrive à l'intéresser à ce sujet et à le mobiliser, on fait avancer les choses. Nous pourrions insister sur son rôle.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Beaucoup de constats sont partagés. Les moyens, humains, financiers, d'ingénierie, ne relèvent pas de la loi.

J'entends qu'il faut être prudent sur la simplification. Essayons de proposer quelque chose de cohérent et il appartiendra au Gouvernement d'agir jusqu'au bout pour qu'il n'existe plus qu'un acteur unique.

Avant de débuter l'examen des amendements, je voudrais indiquer que pour apprécier la recevabilité des amendements au regard de l'article 45 de la Constitution, c'est-à-dire l'appréciation du lien entre un amendement et le texte, j'ai considéré que les dispositions visant à prévenir et à lutter contre l'habitat indigne, insalubre et dangereux entraient dans le champ de la proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Articles additionnels avant l'article 1er

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - La loi ALUR a créé le diagnostic technique global (DTG) pour assurer l'information des copropriétaires sur la situation générale de leur immeuble et, le cas échéant, pour élaborer un plan pluriannuel de travaux. Les données essentielles du diagnostic technique global doivent être transmises au registre des copropriétés accessible aux pouvoirs publics. Le diagnostic n'est pas obligatoire, sauf rares exceptions.

Afin de renforcer la prévention de la dégradation des copropriétés et la détection de telles copropriétés par les pouvoirs publics, mon amendement COM-10 rend obligatoire ce diagnostic pour les logements construits depuis plus de quinze ans et soumis aux règles de copropriété. Si la copropriété comporte moins de cinquante lots, le contenu du diagnostic sera simplifié. Cette obligation entrera en vigueur dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi pour que les professionnels puissent s'organiser.

L'amendement COM-10 est adopté et devient article additionnel.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Aujourd'hui la loi Hoguet, qui régit la profession de syndic, précise que le principe de confidentialité des données dont les syndics ont connaissance lors de leur activité ne fait pas obstacle au signalement d'habitats indignes au maire de la commune concernée. Or actuellement l'habitat indigne, insalubre, en péril et non-décent recouvrent des champs d'application différents. Par mesure de sécurité juridique et afin que le syndic puisse signaler au maire l'ensemble des situations, mon amendement COM-27 étend la possibilité de signalement aux immeubles insalubres, en péril et non décents.

Mme Annie Guillemot. - Nous sommes tout à fait d'accord. Aujourd'hui quand un balcon cède, quelle police doit-on retenir ?

L'amendement COM-27 est adopté et devient article additionnel.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Mon amendement COM-28 rectifié est très important. Il porte sur les polices spéciales en matière d'insalubrité et de péril. Le délai de dix-huit mois dont dispose le Gouvernement pour légiférer par ordonnance est devenu trop long depuis les événements de Marseille. Aussi, je vous propose de supprimer la partie de l'habilitation visant à harmoniser et simplifier les polices administratives en matière de lutte contre l'habitat indigne et de modifier directement le droit en vigueur. Je propose de maintenir les deux autres points de l'habilitation mais de réduire son délai de six mois. Le Gouvernement doit accélérer ses travaux.

Cet amendement harmonise et accélère les procédures de police spéciale en matière d'habitat insalubre ou dangereux, en créant une police spéciale du logement qui traite des différents cas de dégradation du logement selon une procédure identique dont les dispositions sont rassemblées dans le code de la construction et de l'habitation.

Les élus étant les mieux à même de traiter ces situations d'habitat dégradé qui les concernent au premier chef, je souhaite que cette police du logement soit exercée par les présidents des EPCI, sauf si les maires demandent à exercer leurs pouvoirs en la matière, l'État conservant son pouvoir de substitution en cas de carence. L'article 40 de la Constitution m'empêche de désigner une autorité unique. Dès lors, dans cet amendement, le président de l'EPCI, ou le maire s'il a décidé de conserver ses pouvoirs, continue à prendre les arrêtés de péril et le préfet à prendre les arrêtés d'insalubrité.

Le fait de ne pas pouvoir, pour des raisons de procédure, désigner une autorité unique implique de maintenir des définitions distinctes pour un immeuble en péril et un immeuble insalubre mais j'estime qu'à terme la police du logement devra s'appliquer à « l'habitat dégradé » qui correspondrait à une définition unique et recouvrirait les cas de péril, d'insalubrité, d'indignité et de non décence. J'ai tout de même pu harmoniser les procédures applicables aux deux situations les plus importantes que sont les immeubles en péril et les immeubles insalubres. Le texte prévoit une définition de ces deux situations. Si la définition du bien en péril correspond au droit actuel, j'ai rassemblé sous une seule définition les différents cas d'insalubrité. Là encore, il y en avait plusieurs.

Le droit de visite est également inscrit, pour plus de lisibilité, dans le code de la construction et de l'habitation. Les délais pour constater la situation d'insalubrité ou de péril et pour remettre le rapport de constat, fixés aujourd'hui chacun à trois mois, sont raccourcis. L'article 5 de la proposition de loi réduit à un mois le délai de visite, ce qui serait manifestement impossible à tenir. Je partage bien sûr avec Bruno Gilles la volonté d'accélérer la phase d'instruction. Néanmoins, j'estime préférable de donner un délai global de deux mois pour visiter les locaux et transmettre le rapport à la personne concernée. Si la visite est faite en une semaine, il reste plus de temps pour faire le constat.

J'ai choisi de maintenir une distinction entre les situations d'urgence et de non urgence. L'existence de revêtements dégradés au plomb en présence d'enfants mineurs et de femmes enceintes sera considérée comme une urgence.

J'ai ensuite harmonisé les procédures non urgentes sur le modèle de la police du péril. En effet, les représentants des propriétaires regrettent de ne pas être aujourd'hui associés en amont dans le cadre de la procédure d'insalubrité. C'est pourquoi je vous propose qu'à l'issue d'une phase contradictoire qui durerait au maximum deux mois à compter de la transmission du rapport, l'immeuble soit déclaré en péril ou insalubre par arrêté. Cet arrêté vaudrait mise en demeure pour le propriétaire de procéder dans un délai déterminé aux mesures et travaux nécessaires pour mettre un terme au péril ou à la dangerosité de l'immeuble. La saisine de la commission départementale compétente en matière d'environnement, de risques sanitaires et technologiques (Coderst) actuellement prévue pour les cas d'insalubrité serait supprimée. Cette tranche du millefeuille rallonge les procédures sans être efficiente.

Une interdiction définitive ou temporaire d'habiter les lieux ou de les utiliser peut être prononcée. L'article 6 de la proposition de loi prévoit qu'en cas d'interdiction définitive, sa date d'entrée en vigueur devrait intervenir au plus tard dans un délai de trois mois contre un délai d'un an actuellement. Je partage avec Bruno Gilles le souhait d'accélérer la phase de relogement mais j'estime par pragmatisme qu'il faut tenir compte du marché du logement. Aussi le délai maximal est-il fixé à six mois dans les zones tendues et à trois mois dans les zones non tendues. À l'issue du délai, si la personne n'a pas exécuté les mesures et travaux prescrits, elle est redevable du paiement d'une astreinte et l'autorité compétente peut exercer les travaux d'office sans qu'il soit procédé de nouveau à une mise en demeure. Les sanctions sont également harmonisées.

J'ai essayé de résumer notre ambition dans cet amendement : clarifier et simplifier les différentes polices et procédures. Nous ne pouvons pas aller jusqu'au bout, vers un acteur unique, mais nous pouvons mettre le Gouvernement au pied du mur.

Mme Annie Guillemot. - Même si j'ai un troisième cycle d'urbanisme, je trouve cet amendement compliqué. Le Gouvernement est effectivement au pied du mur. Il devra faire très attention aux conséquences.

Le groupe socialiste s'abstiendra ce matin mais continuera à travailler et cette abstention ne préjuge pas de sa position en séance.

Avec cet amendement, notre rapporteur a fait le travail de l'État. Le gouvernement avait tout le temps de le faire...

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Depuis la loi ELAN !

Mme Annie Guillemot. - ...depuis le renvoi en commission de la proposition de loi décidé en mars dernier.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. -Des milliers de logements sont concernés. Puisque le ministre a lancé le plan « Initiative copropriétés » et semble vouloir investir le champ de l'habitat insalubre, indigne et dangereux, qu'il fasse la preuve de son ambition en agissant sur le principal frein actuel.

Mme Annie Guillemot. - Ce qui s'est passé à Marseille se reproduira ailleurs. C'est un problème national.

M. Marc Daunis. - Ce dispositif est extrêmement important. J'avais évoqué la notion d'autorité unique lors de l'audition organisée par notre rapporteur avec les services de l'État et leur réponse a laissé entendre que leur appétence vis-à-vis de la chose était mesurée. Idem sur la réduction de leurs propres délais. Notre démarche est très importante.

L'autorité unique respecte la responsabilité du maire, à laquelle je suis très attaché, et laisse le choix aux territoires pour s'organiser et décider si l'intercommunalité sera compétente ou si ce sera la commune. C'est central. C'est une position que nous avions retenu dans des textes précédents. Nous sommes là dans une continuité de bon aloi. J'espère que le consensus sera maintenu quelles que soient les mutations à l'avenir.

La proposition de simplification, avec la notion d'habitat dégradé, est très importante. C'est l'une des clés d'entrée dans la prévention des copropriétés dégradées. Voyons comment on peut, ensuite, dérouler des dispositifs plus cohérents.

L'amendement COM-28 rectifié est adopté et devient article additionnel.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Mon amendement COM-22 rectifié clarifie la situation de l'occupant d'un bien présentant un danger grave et immédiat affectant sa santé ou sa sécurité pendant la période intermédiaire entre l'exercice des pouvoirs de police générale du maire et l'exercice des pouvoirs de police spéciale en matière d'habitat indigne. Le maire pourra ainsi interdire, pendant cette période, l'accès, l'habitation ou l'utilisation des locaux pour ce motif. Dans ce cas, la personne ayant mis à disposition ces locaux devra procéder au relogement des occupants et le bail et le paiement des loyers seront suspendus jusqu'à la suppression du risque à l'origine de l'arrêté.

Cet amendement devrait donner satisfaction à nos collègues du groupe socialiste qui ont déposé un amendement donnant au maire le pouvoir de protéger par toute mesure conservatoire les occupants d'un habitat indigne.

Mme Annie Guillemot. - Nous avions effectivement déposé un amendement en ce sens. Je reviens sur le rôle du maire. Dans le cadre des programmes mis en oeuvre par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), c'est le maire qui doit agir, et non l'EPCI, car c'est lui qui est au coeur. La responsabilité pénale est importante.

L'amendement COM-22 rectifié est adopté et devient article additionnel.

L'amendement COM-5 rectifié est retiré.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Les syndics professionnels sont, par leur compétence et leur formation, des acteurs importants de la lutte contre l'habitat indécent et indigne. Leur présence peut contribuer à prévenir mais aussi à enrayer le processus de dégradation d'une copropriété.

Lorsque le maire ou le préfet décide de prescrire des mesures et travaux pour faire cesser des situations de péril ou d'insalubrité, l'existence d'un syndic professionnel apparaît alors comme un atout pour la mise en oeuvre des mesures demandées, notamment lorsqu'elles concernent des parties communes.

C'est pourquoi mon amendement COM-11 prévoit que l'autorité publique concernée saisisse, dans un délai d'un mois, le président du tribunal de grande instance afin qu'un syndic professionnel soit désigné, lorsqu'elle prescrit des mesures pour faire cesser des situations de péril ou d'insalubrité et qu'elle constate l'absence de syndic professionnel. La présence du syndic professionnel sera obligatoire jusqu'à la mainlevée de l'arrêté.

Cela vise les copropriétés gérées par un syndic bénévole ou qui n'ont pas de syndic et qui se trouvent dépassées dans cette situation. Une fois que l'arrêté est levé, le syndic bénévole pourra reprendre son rôle.

Mme Annie Guillemot. - La loi le prévoit déjà. Le maire peut le demander au tribunal.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Cet amendement oblige le maire à le faire.

Mme Annie Guillemot. - C'est une mesure efficace que j'ai expérimentée. Quand le syndic professionnel envoie tout sous sceau du ministère de la justice, les choses bougent.

L'amendement COM-11 est adopté et devient article additionnel.

Article 1er

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Mon amendement COM-12 corrige une erreur de référence.

L'amendement COM-12 est adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Par mon amendement COM-23, je vous propose d'affecter le produit des amendes prononcées par le préfet pour non-respect des règles relatives au permis de diviser à l'EPCI ou à défaut à la commune qui a instauré ce permis. Au regard des coûts induits par la mise en place de cette procédure, il paraît plus logique que ce soient les collectivités territoriales qui bénéficient du produit des amendes. Je pense que tout le monde sera d'accord.

L'amendement COM-23 est adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - J'ai été alertée, notamment par la municipalité de Grigny, sur le fait que les marchands de sommeil étaient les premiers bénéficiaires de la nouvelle règlementation prévue par la loi ELAN qui applique, en cas de colocation à baux multiples, des règles de surface et de volume plus favorables, soit une surface d'au moins 9 m2 et un volume minimum de 20 m3. Je vous propose, à l'amendement COM-13 de revenir sur ces dispositions et de prévoir qu'en cas de colocation à baux multiples, les règles de surface et de volume de l'article L.111-9-1 du code de la construction et de l'habitation, soit 14 m2 et 33 m3, s'appliquent. Nous l'avouons humblement, c'est une faille que nous n'avions pas vue.

Mme Annie Guillemot. - Nous applaudissons des deux mains, d'autant plus que nous avions déposé un amendement en ce sens lors de l'examen de la loi ELAN, qui avait été refusé.

L'amendement COM-13 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Actuellement, le silence gardé pendant un mois à compter du dépôt de la demande d'autorisation de mise en location, communément appelée permis de louer, vaut autorisation de louer le logement. L'article 2 de la proposition de loi inverse le principe et précise que le silence gardé pendant deux mois vaudra rejet de la demande.

Je l'avoue, les professionnels du secteur sont partagés sur un tel inversement du principe. C'est pourquoi je vous propose, à l'amendement COM-14, de mener au préalable une expérimentation en ce sens dans des collectivités volontaires pour une durée de cinq ans. On pourra ainsi mesurer les conséquences de cette nouvelle règle tant pour les propriétaires bailleurs que pour les collectivités territoriales.

Mme Annie Guillemot. - Nous ne sommes pas défavorables à cette expérimentation. Mais, sur le terrain, il y a tellement de changements de règles et de délais différents que les gens n'y comprennent plus rien. Il faudrait que ce soit pareil pour tout le monde.

L'amendement COM-14 est adopté et l'article 2 est ainsi rédigé.

L'amendement COM-3 devient sans objet.

Articles additionnels après l'article 2

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Mon amendement COM-16 reprend le contenu de l'article 200 de la loi ELAN censuré par le Conseil constitutionnel. Il précise que les EPCI ou communes ne peuvent demander aucuns frais pour le traitement des demandes de permis de louer. En effet, dès lors que la mise en place d'un permis de louer n'est pas une nouvelle compétence imposée aux collectivités mais bien un choix qu'elles ont fait, rien ne justifie que cette mesure donne lieu à facturation. L'amendement COM-1 rectifié est identique.

Les amendements identiques COM-16 et COM-1 rectifié sont adoptés et deviennent article additionnel.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Une fois le permis de louer instauré, le bailleur doit déposer une demande d'autorisation à chaque nouvelle mise en location. Les communes peuvent être découragées face à l'ampleur de la tâche. Je propose à l'amendement COM-18 rectifié de dispenser le bailleur de demander un permis de louer lorsqu'il a déjà obtenu une autorisation expresse de mise en location du bien concerné moins d'un an auparavant. Il devra cependant déclarer cette mise en location auprès de la collectivité. Un délai d'un an fait courir peu de risques.

L'amendement COM-18 rectifié est adopté et devient article additionnel.

Article 3

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'article 3 de la proposition de loi prévoit l'accès des maires et des présidents d'EPCI au bulletin n° 2 du casier judiciaire lorsqu'ils sont saisis d'une demande de permis de diviser, d'une déclaration de mise en location ou d'une demande permis de louer.

Les difficultés créées par la mesure avaient d'ailleurs justifié sa suppression par la commission mixte paritaire sur le projet de loi ELAN. En effet, elle risque de désorganiser le service du casier judiciaire au regard du nombre de demandes à traiter. En outre, le maire ou le président de l'EPCI disposera d'une information sur le passé judiciaire du demandeur qu'il ne pourra pas utiliser pour refuser de délivrer le permis de louer ou le permis de diviser car ce n'est pas une condition de délivrance. S'il venait à utiliser cette information, il pourrait voir sa décision contestée en justice. Ces données faisant l'objet d'une procédure d'effacement à l'issue d'un certain délai, cette disposition ne préserverait pas la collectivité de délivrer un permis de louer à une personne ayant été condamnée par le passé comme marchand de sommeil. Il s'agit d'un signal de défiance envoyé aux propriétaires de bonne foi - et il y en a. Enfin, la loi ELAN a prévu que le maire de la commune sur laquelle est situé le bien est informé par le notaire en cas de non-conclusion d'une vente à une personne condamnée à une interdiction d'acheter un bien. Je vous propose de ne pas aller au-delà et de supprimer cet article en adoptant mon amendement COM-15.

Mme Annie Guillemot. - Nous sommes d'accord. Dès lors que le notaire informe le maire, ce dernier dispose de l'information dont il a besoin. Ne sollicitons pas outre mesure le service du casier judiciaire : nous avons déjà du mal à obtenir le casier d'un agent que l'on souhaite embaucher...

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Cette demande de transmission du bulletin n° 2 ne semble pas nécessaire et entraîne des risques de contentieux.

L'amendement COM-15 est adopté et l'article 3 est supprimé.

Article 4

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Je propose, par mon amendement COM-29, de donner un droit de priorité aux collectivités territoriales pour bénéficier du bien exproprié en raison d'un arrêté de péril ou d'insalubrité. En effet, elles sont bien souvent à l'origine du signalement de l'insalubrité ou du péril et seraient mieux à même de valoriser et de gérer un bien exproprié sur leurs territoires plutôt que l'État. La collectivité territoriale peut dire que ce bien ne l'intéresse pas. Il s'agit juste de lui donner la priorité.

L'amendement COM-29 est adopté.

L'amendement de coordination COM-30 est adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'article 4 de la proposition de loi soumet un nouveau cas aux règles dérogatoires en matière d'expropriation, celui des immeubles ayant fait l'objet d'un arrêté prévoyant des mesures pour remédier à l'insalubrité et prononçant l'interdiction temporaire d'habiter, à la condition que, d'une part, le propriétaire n'ait pas réalisé les travaux prescrits dans le délai d'un mois à compter de sa mise en demeure de le faire et, d'autre part, que la personne ne se soit pas libérée de son obligation par la conclusion d'un bail à réhabilitation.

Le Conseil constitutionnel a validé la mise en place de règles dérogatoires en raison du caractère très encadré de la procédure.

En étendant cette procédure dérogatoire à des immeubles déclarés insalubres remédiables qui n'auraient pas fait l'objet de travaux dans un délai d'un mois, et alors même que le droit en vigueur prévoit la possibilité pour l'autorité publique concernée de réaliser d'office les travaux aux frais du propriétaire, l'article ouvre considérablement le champ d'application de la procédure dérogatoire d'expropriation. Dès lors, il présente un risque sérieux d'inconstitutionnalité. C'est pourquoi je vous propose, à l'amendement COM-26, d'ajouter plusieurs conditions. Ainsi, l'expropriation selon la procédure simplifiée serait possible pour les immeubles objets d'un arrêté de péril ou d'insalubrité et faisant l'objet d'une interdiction temporaire d'habiter ou d'utiliser les lieux si les mesures prescrites par l'arrêté n'ont pas été prises et la personne tenue de les exécuter ne s'est pas libérée de son obligation en souscrivant un bail à réhabilitation ; si, après une mise en demeure notifiée par l'autorité publique mentionnant la possibilité d'expropriation, la personne n'a pas exécuté les mesures et travaux prescrits par l'arrêté dans le délai fixé par la mise en demeure et ne s'est pas libérée de son obligation en souscrivant un bail à réhabilitation ; si la réalisation d'office des travaux n'est pas possible ; si, enfin, le coût des mesures et travaux prescrits est supérieur à la moitié de la valeur du bien.

Mme Annie Guillemot. - Dès lors que la situation est remédiable, il faut faire attention. Tous les propriétaires ne sont pas des marchands de sommeil. Si on obtient cette disposition, ce sera déjà et mieux vaut cette mesure qui sécurise le dispositif qu'une procédure qui risque d'être contestée.

L'amendement COM-26 est adopté.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Articles additionnels après l'article 4

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Les dernières lois sur le logement ont renforcé la lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil. Néanmoins, si les maires sont volontaires pour lutter contre l'habitat indigne, en pratique ils sont souvent désarmés, faute de disposer des outils adéquats. Mon amendement COM-31 rend obligatoire la mention du nom du futur acquéreur dans la déclaration d'intention d'aliéner. Cette indication utile dans l'exercice du droit de préemption n'est en effet pas obligatoire alors que les collectivités territoriales bénéficieraient ainsi d'informations supplémentaires pour détecter d'éventuels marchands de sommeil.

Mme Annie Guillemot. - C'était obligatoire mais cela a été retiré il y a 17 ou 18 ans pour éviter les discriminations. Je considère que c'est important, tout en sachant que l'on a affaire à beaucoup de sociétés civiles immobilières (SCI) dont on ne sait pas à qui elles appartiennent. Le groupe socialiste votera cet amendement.

L'amendement COM-31 est adopté et devient article additionnel.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'amendement COM-2 rectifié bis prévoit qu'une part de la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) puisse être utilisée au financement des travaux de déconstruction ou de démolition de l'habitat en péril en accompagnement de communes qui font face à des propriétaires défaillants.

Je souhaite rappeler que l'Anah peut déjà aider la collectivité, à hauteur de 50 % hors taxe du montant de la dépense subventionnable sans limite de plafond. L'aide reste acquise à la collectivité même lorsque cette dernière recouvre des frais engagés auprès du propriétaire. Nos collègues souhaitent prévoir une source de financement supplémentaire. Dès lors que la commission départementale reste libre de décider des catégories d'opérations prioritaires, je ne vois pas d'inconvénient à donner un avis favorable. Il appartiendra à chaque commission DETR de se prononcer.

Mme Noëlle Rauscent. - Si ce sont des logements prévus ensuite pour la location, il n'y aura pas de subvention de la DETR.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Il s'agit de logements en péril qui doivent être déconstruits ou démolis. Le propriétaire étant défaillant, la commune prend la main. Les travaux étant très coûteux, elle peut avoir besoin d'une aide.

Mme Annie Guillemot. - Il faut prendre en compte l'urgence et les moyens de la commune. Cela ne me choque pas. Cela n'obère pas des droits des propriétaires.

Mme Noëlle Rauscent. - J'appelle juste à la vigilance sur les règles de la DETR.

L'amendement COM-2 rectifié bis est adopté et devient article additionnel.

Article 5

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Mon amendement COM-20 supprime cet article par coordination avec l'amendement de simplification des polices spéciales du péril et de l'insalubrité qui traite de la durée maximale d'habitation d'un immeuble insalubre.

L'amendement COM-20 est adopté et l'article 5 est supprimé.

Article 6

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Mon amendement COM-21 rectifié supprime cet article par coordination avec l'amendement de simplification des polices spéciales du péril et de l'insalubrité qui traite de la question du délai de visite pour établir un constat de péril ou d'insalubrité de l'immeuble.

L'amendement COM-21 rectifié est adopté et l'article 6 est supprimé ainsi que le chapitre II.

L'amendement COM-4 devient sans objet.

Articles additionnels après l'article 6

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'amendement COM-6 oblige le propriétaire à reloger tous les occupants, sauf mauvaise foi avérée.

Je souhaite rappeler que le droit actuel fait peser des obligations importantes de relogement sur le propriétaire lorsqu'une interdiction d'habiter les lieux est prononcée en application d'un arrêté de péril ou d'insalubrité. Le propriétaire doit reloger le locataire, le sous-locataire et l'occupant de bonne foi. S'il ne peut les reloger, il doit verser un an de loyer aux pouvoirs publics qui assureront le relogement.

Les auteurs de l'amendement étendent la charge pesant sur les propriétaires avec une réserve : la mauvaise foi avérée. Ils évoquent les cas où le bail a été résilié et pour lequel on peut s'interroger sur l'obligation de reloger ou non l'occupant. Si les locataires démontrent au juge l'existence de l'arrêté de péril ou d'insalubrité qui justifie la cessation des paiements de loyers, on ne peut pas résilier le bail pour ce motif d'impayés et les locataires ont droit au relogement. Au contraire, si le bail a été résilié avant l'arrêté, il n'y a pas relogement.

Il me semble que l'on a atteint un équilibre entre les obligations des propriétaires et les droits des occupants sur lequel il ne serait pas opportun de revenir. Avis défavorable.

Mme Annie Guillemot. - En séance, nous interpellerons le Gouvernement. Nous visons en particulier les marchands de sommeil qui, entre la première lettre du maire et l'arrêté de péril ou d'insalubrité, résilient le bail de leurs locataires en situation d'impayé, qui, de fait, ne sont pas relogés. D'après la Fondation Abbé Pierre et le DAL, il arrive même que des marchands de sommeil recourent à des méthodes violentes, y compris à des violences physiques. La bonne foi ou la mauvaise sont parfois difficiles à caractériser.

L'amendement COM-6 n'est pas adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'amendement COM-7 vise à augmenter le nombre d'offres de logement correspondant aux besoins et aux ressources de l'occupant que le propriétaire devra présenter.

Actuellement, le propriétaire doit faire une offre de relogement correspondant aux besoins et aux possibilités de l'occupant. S'il n'y parvient pas, le maire ou le préfet, selon le cas, se substitue au propriétaire et doit faire trois offres de relogement à l'occupant.

J'entends l'intention des auteurs, mais cela revient à faire peser sur le propriétaire, qui, dans bien des cas, sera une personne physique, la même obligation que celle qui existe sur les bailleurs sociaux, les collectivités ou l'État, alors même que ces derniers bénéficient de contingents plus importants. L'obligation de proposer trois offres me paraît disproportionnée.

J'ajoute que cette nouvelle obligation va retarder de fait le relogement effectif de la personne par les pouvoirs publics, qui n'interviennent qu'après avoir constaté la défaillance du propriétaire. Je ne crois pas que ce soit l'objectif recherché : le relogement de l'occupant dans les plus brefs délais. Avis défavorable.

Mme Annie Guillemot. - Si le propriétaire est démuni, la municipalité lui viendra en aide pour trouver une solution de relogement. Nous visons là les marchands de sommeil : il n'est pas normal que les maires se substituent à eux en faisant trois offres contre une pour ces derniers, en un lieu où personne ne voudra aller.

L'amendement COM-7 n'est pas adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Aujourd'hui, lorsqu'une personne publique ou un bailleur social a assuré le relogement à la place du propriétaire, ce dernier doit leur verser une indemnité représentative des frais engagés pour le relogement égale à un an du loyer prévisionnel.

L'amendement COM-8 rectifié vise à renforcer cette indemnité, en prévoyant de laisser le maire ou le préfet décider si l'indemnité aura lieu soit sous forme d'une indemnité forfaitaire égale à dix-huit mois du loyer prévisionnel ou sous forme d'un droit de réservation.

En l'absence de critères, le choix du maire ou du préfet sera sujet à contentieux.

Je m'interroge sur le fait d'imposer un droit de réservation. La proposition me semble complexe sur le plan opérationnel. On va multiplier les réservataires pour les bailleurs sociaux.

Je me suis longuement interrogée sur l'augmentation de l'indemnité d'un an à un an et demi. Néanmoins, le paiement d'un an de loyer n'est pas anodin. Je vous propose d'en rester au droit en vigueur. Avis défavorable

Mme Annie Guillemot. - On vise les marchands de sommeil. Le droit de réservation est supérieur à dix-huit mois de loyer.

L'amendement COM-8 rectifié n'est pas adopté.

Article 7

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'amendement COM-24 vise à affecter à l'EPCI ou, à défaut, à la commune qui a instauré l'obligation de déclaration de mise en location le produit des amendes prononcées par le préfet pour non-respect de cette obligation.

L'amendement COM-24 est adopté.

L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article additionnel après l'article 7

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'amendement COM-9 tend à ce que les biens confisqués aux marchands de sommeil soient affectés à la réalisation de logements sociaux ou à l'intermédiation locative.

Il me paraît nécessaire de laisser de la souplesse en la matière et de pouvoir décider de l'affectation du bien en fonction des besoins de la commune. En effet, la commune peut être en situation de dépasser largement son taux de logement social ou peut avoir intérêt à ce que les logements soient achetés par des promoteurs privés pour être soit réhabilités, soit détruits puis reconstruits.

Enfin, je m'interroge sur la mise en oeuvre opérationnelle du dispositif. Peut-on obliger un bailleur social ou une collectivité à acquérir des biens ? Avis défavorable.

M. Marc Daunis. - Lors de l'examen de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, j'avais déposé un amendement sur l'affectation des biens mal acquis. En milieu rural, ce type de dispositif serait particulièrement intéressant. Je ne désespère pas qu'on trouve un point d'équilibre.

Mme Sophie Primas, présidente. - Éventuellement sur avis du maire.

M. Marc Daunis. - Ce qui permettrait de faire converger la proposition de notre groupe et la position de Mme la rapporteure.

L'amendement COM-9 n'est pas adopté.

Article 8

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'amendement COM-25 vise à affecter à l'EPCI ou, à défaut, à la commune qui a instauré le permis de louer le produit des amendes prononcées par le préfet pour non-respect des règles relatives au permis de louer.

L'amendement COM-25 est adopté.

L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 9

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'article 9 de la proposition de loi étend la possibilité pour des associations de lutte contre l'habitat indigne d'agir en justice dans trois nouveaux cas.

Outre qu'il tend à procéder à des modifications rédactionnelles pour plus de clarté, l'amendement COM-17 vise à supprimer l'obligation pour l'association qui souhaite exercer l'action civile d'obtenir l'accord de la victime lorsqu'il s'agit des infractions sanctionnant le non-respect des interdictions d'habiter, la détérioration des locaux pour les rendre impropres à l'hébergement dans le but de faire partir les occupants et le non-respect des obligations en matière de relogement en application de l'article L. 521-4 du code de la construction et de l'habitation.

Il sera ainsi plus facile, dans ce cas précis, d'agir contre les propriétaires indélicats, les locataires d'un logement indigne refusant souvent d'agir en justice par peur des représailles. Ce sont leur santé et leurs conditions de vie qui sont en jeu.

Mme Annie Guillemot. - Nous sommes d'accord.

S'agissant de l'outre-mer, je crois savoir qu'un amendement sur l'APL-accession sera déposé en séance publique.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - En effet, je déposerai un amendement.

Mme Annie Guillemot. - Il serait bien que cet amendement soit cosigné par tous. Ce faisant, la commission adresserait un signal en directions des ultra-marins, d'autant que le déplacement que vous y avez effectué a été très bien perçu.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous verrons comment accéder à cette demande.

L'amendement COM-17 est adopté et l'article 9 est ainsi rédigé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Proposition de loi visant à instaurer un droit effectif à l'accès à l'énergie et à lutter contre la précarité énergétique - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente. - Avant de laisser la parole à Mme Denise Saint-Pé, qui nous présentera dans un instant son rapport sur la proposition de loi visant à instaurer un droit effectif à l'accès à l'énergie et à lutter contre la précarité énergétique, je voudrais brièvement rappeler les règles qu'il nous faudra respecter dans la suite de la discussion.

Cette proposition de loi ayant été inscrite à l'ordre du jour de la séance par un groupe minoritaire ou d'opposition dans le cadre d'un espace réservé, nous sommes en effet tenus d'appliquer le gentlemen's agreement conclu en 2009 entre les présidents de groupe et de commission et validé par la Conférence des présidents. En vertu de cet accord, la commission ne peut modifier le texte, sauf accord du groupe auteur de la demande d'inscription à l'ordre du jour de la séance publique. Il s'agit par-là de s'assurer que le texte qui sera discuté en séance n'aura pas été, au préalable, dénaturé par la commission, contre la volonté de ses auteurs.

Je rappelle enfin qu'en séance publique, notre commission retrouvera sa pleine liberté et pourra défendre les positions qu'elle aura adoptées le 12 juin prochain, lors de l'examen des amendements de séance.

Mme Denise Saint-Pé, rapporteur. - La proposition de loi déposée par nos collègues du groupe communiste que nous examinons ce matin traite du sujet de la précarité énergétique et plus globalement de l'accès pour tous à l'énergie, dont, je crois, chacun d'entre nous mesure l'importance dans la vie quotidienne de nos concitoyens. L'énergie est en effet indispensable pour se chauffer, pour se déplacer mais aussi pour communiquer, tisser du lien social et tout simplement trouver sa place dans la société. C'est une dépense contrainte, qui pèse sur le budget des ménages d'un poids d'autant plus lourd qu'on n'en maîtrise pas les déterminants, qu'il s'agisse, par exemple, de l'évolution du cours des énergies fossiles sur les marchés mondiaux ou de l'isolation de son logement lorsqu'on n'a pas les moyens, malgré les aides, d'y effectuer des travaux.

Avant d'examiner les solutions proposées par le texte pour réduire la facture énergétique et, j'oserais dire, la fracture énergétique, je voudrais préciser de quoi l'on parle et rappeler quelques données chiffrées. Depuis la loi « Grenelle 2 » de 2010, est considérée comme étant en situation de précarité énergétique toute personne qui « éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d'énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'habitat ».

Cette définition nous dit déjà deux choses de la précarité énergétique : d'une part, qu'elle n'est le plus souvent perçue qu'à travers le logement, sans prendre en compte les transports - la plupart des acteurs que j'ai auditionnés estiment que ces deux problématiques nécessitent effectivement d'être traitées par des outils d'observation et par des politiques publiques bien spécifiques - ; d'autre part, qu'elle renvoie à la fois à des éléments objectifs - un niveau de revenus, l'état de son logement - et à des éléments subjectifs - le froid ressenti, la privation pour réduire la facture.

Pour bien mesurer le phénomène, l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) s'appuie donc sur deux indicateurs.

Un indicateur économique, le « taux d'effort énergétique » : un ménage est considéré en situation de précarité énergétique lorsqu'il consacre plus de 8 % de ses revenus pour payer l'énergie de son logement et qu'il appartient aux 30 % de ménages les plus modestes. Selon cet indicateur, 3,3 millions de ménages étaient en précarité énergétique en 2017, soit 6,7 millions de personnes et 11,6 % de la population française.

L'autre indicateur retenu concerne le froid ressenti et permet de mesurer le phénomène d'auto-restriction de la consommation d'énergie : au cours de l'hiver 2017-2018, 15 % des ménages sondés ont ainsi déclaré avoir souffert d'une sensation de froid chez eux. La réalité de la précarité énergétique se situe donc entre ces deux butées et même si les chiffres peuvent varier d'un indicateur ou d'une étude à l'autre, le sujet n'en demeure pas moins majeur.

Pour y répondre, nos collègues du groupe communiste proposent deux grandes séries de solutions concrètes et une mesure d'ordre général, qui consisterait à définir l'accès à l'énergie comme un « droit fondamental » - c'est l'objet de l'article 1er. Dans le droit actuel, l'énergie est certes reconnue comme un « bien de première nécessité », mais c'est surtout l'électricité qui, en tant que « produit de première nécessité », bénéficie d'un statut particulier, comme les récentes décisions du Conseil d'État sur les tarifs réglementés l'ont encore montré : c'est en particulier parce que l'électricité est « un produit de première nécessité non substituable » qu'une réglementation des prix est possible, à l'inverse du gaz où elle a été jugée contraire au droit européen.

Au cours de nos auditions, j'ai donc interrogé mes interlocuteurs sur la portée d'une élévation éventuelle de l'accès à l'énergie au rang de droit fondamental : or tous m'ont confirmé qu'une telle mesure n'aurait pas d'effet juridique notable. Elle ne changerait rien, par elle-même, sur le plan fiscal, pas plus qu'elle n'octroierait, à elle seule, de nouveaux droits. Même si l'on ne peut pas totalement exclure que le juge décide un jour de s'en emparer pour interpréter le droit, voire qu'elle puisse ouvrir la voie à une forme d'opposabilité, à l'image du droit opposable au logement, avec des voies de recours, prise isolément, cette disposition n'aurait sans doute pas d'effet normatif et serait avant tout déclarative. Je préfère pour ma part faire preuve de pragmatisme et réfléchir à l'amélioration de dispositifs existants et concrets, tels que le chèque énergie, sur lequel il reste beaucoup à faire, plutôt qu'au statut, symbolique, du droit à l'énergie.

Mais je ne voudrais pas non plus faire de mauvais procès à nos collègues puisqu'au-delà du symbole, la proposition de loi propose deux types de mesures qui sont, elles, bien concrètes.

La première consisterait à étendre l'interdiction des coupures d'électricité, de chaleur et de gaz, qui ne vaut aujourd'hui que pendant la trêve hivernale, à l'ensemble de l'année, comme c'est déjà le cas pour l'eau, mais ici uniquement pour les bénéficiaires du chèque énergie, soit 5,8 millions de personnes cette année.

En la matière, je dois dire que les auditions que j'ai menées m'ont conforté dans la conviction qu'une telle hypothèse devait être écartée, et ce pour de nombreuses raisons.

Le retour d'expérience de l'eau est d'abord très éclairant puisque les chiffres démontrent, que l'interdiction des coupures toute l'année a conduit à déresponsabiliser une partie des consommateurs et à accroître le nombre des impayés. Dans les trois années suivant son instauration, les impayés et irrécouvrables d'eau ont ainsi augmenté de 20 %, selon les données fournies par la Fédération des professionnels de l'eau. Le même phénomène s'observe d'ailleurs au Royaume-Uni, où le taux d'impayés pour l'eau, dont la fourniture ne peut être interrompue, serait sept fois supérieur au taux d'impayés constaté pour la fourniture d'énergie, qui elle peut être coupée, selon les observations de cette même fédération.

J'ajoute que, d'ores et déjà, la multiplication des fournisseurs depuis l'ouverture des marchés et la gratuité associée au changement de fournisseur conduisent certains ménages à résilier leur contrat en laissant derrière eux des factures impayées, notamment en sortie de trêve hivernale. Comme tous les fournisseurs nous l'ont confirmé, les mauvais payeurs sont loin de se trouver uniquement parmi les ménages les plus modestes.

Sans la menace d'une coupure, ce type de comportement serait forcément appelé à augmenter. Or ce que ne paient pas les uns devrait nécessairement être payé par les autres, ce qui se pourrait se traduire par une augmentation des factures de l'ensemble des consommateurs, y compris celles des plus modestes. L'énergie a un coût, nous ne devrions jamais l'oublier. Or une telle mesure tendrait à masquer ce coût aux yeux des consommateurs. Et nous aurions aussi à y perdre collectivement sur un autre plan, puisqu'en incitant moins à la maîtrise des consommations, la mesure irait à l'encontre de nos objectifs climatiques.

Sans minimiser la réalité des situations parfois très difficiles que nous rencontrons tous sur le terrain, le nombre des interventions pour impayés de factures d'électricité ou de gaz reste très marginal par rapport au nombre de clients desservis - moins de 0,9 % en gaz et moins de 1,5 % en électricité - ; les pratiques des fournisseurs sont par ailleurs très encadrées, et si certains fournisseurs, d'après des observateurs du secteur, ne respectent pas toujours de façon parfaite ce cadre, d'autres vont au-delà des prescriptions légales et réglementaires, en termes de délais comme d'accompagnement. En outre, l'annonce d'une possible coupure ou d'une réduction de puissance a au moins une vertu : en déclenchant tout un processus d'évaluation de la situation du client, d'orientation vers les différentes aides disponibles et d'étalement des paiements, elle fait office de signal d'alerte et évite sans doute qu'à force d'accumuler les dettes, les clients se trouvent dans des situations dont ils ne pourront plus jamais sortir. Étant entendu, bien sûr, qu'au vu de la violence que constitue l'acte de coupure, tout doit être mis en oeuvre en amont pour l'éviter.

Je signalerai enfin qu'en associant cette protection à l'éligibilité au chèque énergie, la mesure poserait des difficultés en termes d'identification des bénéficiaires pour les fournisseurs, en particulier lorsque le chèque énergie a été affecté par leur client à un autre fournisseur. Pour éviter tout risque de contentieux lié à une erreur d'identification, les fournisseurs pourraient ne plus décider d'aucune coupure, y compris pour sanctionner des mauvais payeurs qui n'ont aucune difficulté financière. Ce risque n'est pas théorique, puisque l'on constate déjà aujourd'hui qu'aucune coupure n'est décidée durant la trêve hivernale pour les résidences secondaires alors que la loi ne vise que les résidences principales ; mais faute de pouvoir identifier avec certitude l'usage du logement, on protège les unes comme les autres...

Et à l'inverse, toutes les personnes en situation de précarité énergétique ne sont pas éligibles au chèque énergie - c'est le cas, par exemple, des personnes en réinsertion vivant dans des logements en intermédiation locative, des ménages ayant subi des « accidents de parcours », les revenus pris en compte pour l'attribution des chèques énergie étant ceux de l'année N-2, ou de certains foyers qui ont recours aux aides du fonds de solidarité pour le logement (FSL), mais qui ne correspondent pas aux critères d'attribution du chèque énergie. Dans ces cas, la mesure manquerait donc partiellement sa cible.

Les deux autres dispositions proposées poursuivent un même objectif, celui d'alléger la fiscalité énergétique, mais selon des modalités différentes. L'article 3 suggère ainsi d'exonérer les bénéficiaires du chèque énergie des deux taxes qui ont le plus augmenté ces dernières années, c'est-à-dire la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN). Quant à l'article 4, il propose d'appliquer un taux réduit de TVA à 5,5 %, au lieu du taux normal actuel de 20 %, sur une première tranche de consommation dont le niveau serait établi en fonction, notamment, de la composition familiale du foyer, mais sans condition de ressources.

Là encore, je crois que nous pouvons partager le constat - celui d'une hausse des taxes sur l'énergie sur les dernières années, qui est indéniable -, de même bien sûr que l'objectif - alléger la facture énergétique de nos concitoyens - mais sans pour autant partager les solutions proposées, qui seraient non seulement très difficiles, sinon impossibles, à mettre à oeuvre sur les plans juridique et pratique, mais surtout largement inefficaces sur le fond.

Un rappel d'abord sur le constat : entre 2014 et 2018, la part des taxes est passée de 33,3 % à 36 % sur les factures d'électricité et même de 18 % à 27 % sur les factures de gaz. Entre 2010 et 2016, le montant de la CSPE a été multiplié par cinq pour financer les énergies renouvelables électriques et celui de la TICGN par près de sept entre 2013 et 2018, du fait de la hausse de sa composante carbone.

Il reste que sur le plan juridique, l'exonération proposée à l'article 3 serait contraire au droit européen en matière de droits d'accises - c'est-à-dire de taxes dont le montant est fonction d'une quantité : un litre de carburant, un kilowattheure d'électricité, etc., et non d'une valeur. En la matière, les États membres peuvent certes appliquer des exonérations totales ou partielles ou des taux réduits à l'électricité, au gaz naturel, au charbon et aux combustibles solides consommés par les ménages, mais non fixer des régimes d'exonération ou de taux différents entre les ménages.

La même règle vaut pour la TVA, dont le taux ne peut être différencié en fonction de la situation des ménages, ce qui rendrait également très incertaine la conformité au droit européen de l'article 4. Dans les deux cas, cela ne veut pas dire, bien entendu, qu'une redistribution ne peut être opérée au bénéfice des ménages les plus modestes, mais simplement qu'elle doit passer par d'autres outils plus adaptés, à commencer par des aides directes, plutôt que par la modulation ou l'exonération d'impôts indirects qui reviendraient, symboliquement, à exclure ces ménages du financement des charges communes.

Sur le plan pratique, les deux solutions seraient aussi, je le disais, complexes à mettre en place : dans le premier cas, les fournisseurs devraient connaître avec certitude le statut de bénéficiaire du chèque énergie de leur client pour la période de consommation facturée, avec tous les risques d'erreurs et les surcoûts que l'application d'une fiscalité différenciée selon les clients induirait ; dans le second cas, s'ajouterait même une difficulté supplémentaire puisqu'il faudrait alors que le fournisseur ait accès aux données relatives à la composition du foyer, qui sont des données personnelles, avec toutes les questions que cela pose.

Quant au rapport coût-efficacité des deux mesures, il serait lui-même très peu favorable. D'abord, les montants des deux taxes dont l'exonération est proposée sont d'ores et déjà gelés, depuis 2016 pour la CSPE et depuis cette année pour la TICGN. Mais surtout, la perte de recettes pour l'État, qui se traduirait nécessairement en impôts ou en dette publique supplémentaires, serait potentiellement très élevée, de l'ordre de 1,4 milliard d'euros pour la CSPE et autour de 400 millions d'euros pour la TICGN selon nos calculs - je regrette au passage que les services de l'État n'aient pu nous fournir aucun chiffrage.

De même, la mesure « TVA » n'atteindrait pas l'objectif visé. En retenant le critère de la composition familiale, qui ne dit rien sur la précarité sociale ou énergétique des ménages et n'est même pas forcément représentative de l'occupation réelle du logement, la mesure bénéficierait à tous les ménages, y compris les plus riches, conduisant à des effets d'aubaine importants tout en mobilisant des ressources publiques très significatives. Selon les cas, la perte de recettes pour l'État serait d'environ 700 millions d'euros si le taux réduit à 5,5 % portait sur un tiers de la fourniture, de plus de 1 milliard si la moitié de la fourniture était concernée, et jusqu'à 2,1 milliards si la totalité de la fourniture était taxée à 5,5 %. Au total, et dans l'hypothèse la plus basse, les deux mesures combinées coûteraient 2,5 milliards, un montant à rapprocher, par exemple, des 900 millions environ du chèque énergie.

Au vu des difficultés soulevées par ces mesures et des doutes quant à leur efficacité, je suis convaincue que nous pourrions trouver un meilleur usage de ces sommes pour aider les ménages précaires.

Plutôt que d'inventer des dispositifs complexes, hasardeux juridiquement et techniquement impossibles, nous pourrions déjà chercher à améliorer les dispositifs existants, à commencer par le chèque énergie. En effet, ce dernier n'est pas encore arrivé à son rythme de croisière pour les plus précaires. Pour réduire les problèmes d'identification des bénéficiaires du chèque énergie et ainsi permettre une application des droits protecteurs associés à l'octroi du chèque, un système de notification automatique des fournisseurs par l'Agence de services et de paiement (ASP) a été défini ; il s'agit désormais de le mettre en oeuvre dès la campagne de distribution des chèques de l'an prochain, et on ne peut que regretter que ce ne soit pas effectif dès cette année, ce dispositif ayant bénéficié d'une expérimentation conduite depuis mai 2016. Par ailleurs, pour réduire le taux de non-recours au chèque énergie, il faut intensifier et simplifier la communication sur le dispositif : là encore, le courrier-type qui accompagne l'envoi du chèque a été revu et simplifié mais les mécanismes peuvent encore être améliorés, que ce soit pour centrer l'information sur le chèque et non sur d'autres messages, comme les éco-gestes, ou pour expliquer tout l'intérêt de renvoyer ses attestations à son fournisseur. De même, pour faciliter l'envoi du chèque, pourquoi ne joindrait-on pas une enveloppe préaffranchie ?

Je pense surtout qu'il faudrait cibler davantage les plus précaires, en augmentant les montants maximaux du chèque pour les tranches de revenus les plus basses. La hausse de 50 euros du montant moyen est un premier pas, mais il faut aller beaucoup plus loin. Selon les calculs de l'ONPE, il faudrait environ 710 euros par an et par ménage, soit 3,1 milliards d'euros, pour faire tomber le taux d'effort énergétique sous les 8 % pour les 30 % de ménages les plus modestes. Sachant que le montant moyen du chèque énergie est désormais de 200 euros et que son montant maximal est de 277 euros, il y a de la marge...

Au-delà du chèque énergie, les idées ne manquent pas non plus : pour affiner le suivi de la précarité énergétique, davantage d'indicateurs annuels devraient être mis à la disposition de l'ONPE ; alors que les rattrapages de factures de plus de quatorze mois ont été interdits par la loi « transition énergétique » de 2015, certains fournisseurs ne respectent pas toujours cette interdiction, et pour cause puisqu'elle n'est assortie d'aucune sanction : peut-être faudrait-il la prévoir dans la loi ; autre anomalie qui pourrait être corrigée dans la loi : l'interdiction de coupure pendant la trêve hivernale ne s'applique pas aux fournisseurs de GPL en réseau, contrairement aux autres énergies distribuées de la même façon ; il conviendrait peut-être également de rendre obligatoire la contribution de l'ensemble des fournisseurs d'énergie au FSL ; alors que des afficheurs déportés devraient théoriquement être mis à disposition des ménages précaires pour les informer de leur consommation en euros, et en temps réel pour l'électricité, aucun n'a à ce jour été déployé en raison du coût de la mesure. Il y a lieu, sur ce sujet aussi, de « remettre du bon sens » et de travailler à ce que la loi, votée en 2015, puisse être appliquée.

Je n'expliciterai pas l'article 5 de la proposition de =loi, qui reprend une proposition récurrente du groupe communiste, consistant à demander au Gouvernement la remise d'un rapport sur le bilan de la libéralisation du marché de l'énergie. Là aussi, je préfère que les services du ministère consacrent leur temps à réfléchir à des mesures concrètes plutôt qu'à produire un rapport dont les conclusions pourraient du reste ne pas satisfaire pleinement les auteurs de la demande...

Enfin, je ne serai pas non plus favorable à l'article 6, qui entend gager les pertes de ressources publiques résultant des articles 3 et 4 par une augmentation de l'impôt sur les sociétés, ce qui reviendrait à alourdir la fiscalité sur les entreprises d'au moins 2,5 milliards d'euros.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous proposerai donc, à mon grand regret, car je partage la préoccupation générale des auteurs de la proposition de loi, de ne retenir aucune des dispositions proposées. Si vous en étiez d'accord, notre commission n'adopterait donc pas de texte, ce qui permettrait à la discussion en séance de porter sur le texte initial de la proposition de loi, conformément au gentlemen's agreement dont notre présidente vous a rappelé les termes.

Pour l'application de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer qu'entrent dans le champ des dispositions présentant un lien direct ou indirect avec le texte les mesures suivantes, qui reprennent logiquement les différents points du texte : l'accès à l'énergie comme un droit fondamental ; l'interdiction des coupures d'électricité, de chaleur et de gaz pour certains consommateurs ; l'exonération de la tTICGN et de la CSPE pour certains consommateurs ; l'application d'un taux réduit de TVA sur une partie de la fourniture d'électricité, de chaleur et de gaz distribués par réseaux.

M. Fabien Gay. - Un travail sérieux a été mené, et j'en remercie Mme la rapporteure.

Comment définit-on la précarité énergétique ? En séance, j'avais proposé que celle-ci prenne en compte la question des transports.

Je ne crois pas que consacrer ce droit fondamental et interdire toute suspension de fourniture d'un bien comme il a été fait pour l'eau aura pour conséquence d'accroître les impayés ou les fraudes : on ne crée pas un besoin ; on répond à un besoin. En l'occurrence, il s'agit d'un besoin fondamental.

Dans la situation politique actuelle, il nous faut des débats de haut niveau au Parlement. Si l'on considère l'accès à l'énergie comme un droit fondamental, la liste s'allongera-t-elle demain ? Oui, par exemple l'accès à internet. Droite et gauche, nous avons su, au cours du dernier siècle, mener des débats à ce sujet et se pose maintenant la question de la mise en oeuvre de ces droits fondamentaux, laquelle est loin d'être symbolique.

M. Roland Courteau. - Notre groupe soutient cette proposition de loi.

Le mal est trop grave pour tergiverser. Les trois facteurs de la précarité énergétique sont connus : les faibles ressources, les logements passoires et le prix de l'énergie. Le prix de l'électricité a ainsi augmenté de 40 % en dix ans, la CSPE a été multipliée par cinq, la TICGN par sept, et les taxes pèsent à hauteur de 35 % sur le prix de l'électricité et de 27 % sur celui du gaz. Il arrive même souvent que, dans le cas des logements passoires, le montant annuel des taxes dépasse le montant maximum du chèque énergie, soit 277 euros, et la hausse annoncée de 6 % du prix de l'électricité annulera son augmentation récente.

Malgré les mesures déjà prises dans le passé, près de 7 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique. Toutes ne sont pas appliquées, comme l'interdiction des mesures de rattrapage de facturation sur plus de quatorze mois, ce qui est scandaleux. Madame la rapporteure, vous avez cité les chiffres de l'ONPE. Il faudrait effectivement 710 euros de plus chaque année pour que l'effort financier de ces personnes soit inférieur à 8 % de leurs revenus. Nous avions déposé un amendement en ce sens en loi de finances, mais il n'a pas été retenu.

Nous soutenons les mesures correctives proposées par le groupe CRCE, du droit fondamental à l'accès à l'énergie à l'exonération de certaines contributions - certes gelées, mais non pas supprimées -, en passant par la mise en place d'un taux de TVA réduit et l'interdiction des coupures d'énergie. Si celles-ci sont mises en oeuvre, il faudra veiller à ce que les fournisseurs ne compensent pas par des hausses tarifaires.

Quant à la demande de rapport sur la libéralisation du marché de l'énergie, elle est bienvenue. Si, depuis 1960, les prix de l'énergie sont, en France, inférieurs à ceux de nos voisins européens, nous le devons à notre mix énergétique et aux tarifs réglementés. Je crains que les directives sur la libéralisation depuis une vingtaine d'années n'aient eu une fâcheuse incidence sur ces prix notamment. Nous avons trop cédé sur ce terrain, et il ne faudrait pas remettre en cause ce qui reste des tarifs réglementés. L'intensification de la concurrence génère des pratiques commerciales parfois trompeuses, des offres pas aussi vertes et des promotions pas aussi attractives qu'il y paraît.

Le Gouvernement devra mettre le paquet sur le volet préventif, c'est-à-dire la rénovation thermique des logements : on compte 8 millions de logements passoires. Les objectifs fixés en la matière n'ont jamais été atteints. Trop de bailleurs rechignent à engager des travaux ; les obliger à prendre en charge une partie de la facture énergétique de leurs locataires changerait peut-être bien des choses. Trop de bailleurs, enfin, ignorent l'existence des aides. De même, il est bien dommage que la législation relative à la mise en place des afficheurs déportés ne soit pas appliquée.

M. Daniel Gremillet. - Je félicite notre rapporteur et suivrai ses recommandations. Certaines mesures proposées par nos collègues, certes de bons sens, auraient un coût de fonctionnement énorme et seraient d'une efficacité très faible pour lutter contre la précarité énergétique. Je partage son constat d'échec en ce qui concerne l'eau : laisser à penser qu'un bien est gratuit conduit souvent à son gaspillage ; il faut surtout éduquer les personnes bénéficiaires de ces dispositifs de solidarité.

Pour une plus grande efficacité, il faudrait avant tout s'attaquer à la situation d'un certain nombre de logements plutôt que d'engager des moyens financiers à fonds perdus.

Mme Sophie Primas, présidente. - Avec Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Valérie Létard et Dominique Estrosi Sassone, nous avions proposé, lors de la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS), que l'effort demandé au bailleur porte exclusivement sur la rénovation obligatoire des bâtiments les plus mal classés du point de vue de leur bilan énergétique. Cela n'a pas abouti, malheureusement.

M. Franck Menonville. - Nous souscrivons aux propos de Mme la rapporteure. Deux éléments nous paraissent importants : la rénovation énergétique et l'ajustement du chèque énergie.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je salue le travail de notre collègue. Il s'agit d'un important sujet de société. Gratuité et économies d'énergie ne sont pas vraiment compatibles et il faudra trouver des moyens pour tenir compte des réalités difficiles de nos concitoyens.

M. Bernard Buis. - Nous nous associons aux préconisations de Mme la rapporteure. Il faut travailler sur le chèque énergie.

Mme Denise Saint-Pé, rapporteur. - Monsieur Gay, je ne crois pas qu'il faille tout mélanger : la précarité énergétique et la vulnérabilité en matière de transport sont deux sujets différents et les acteurs que j'ai auditionnés ne souhaitent pas un traitement égal de ces deux questions.

Monsieur Courteau, je partage votre constat relatif à l'augmentation du coût de l'énergie. Les taxes ne sont pas le bon outil pour réduire la précarité énergétique : il faut avant tout mieux cibler les personnes précaires et leur donner ce coup de pouce au moyen des mesures que je vous ai détaillées.

Enfin, comme l'a dit M. Daniel Gremillet, l'exemple de l'eau montre que la gratuité entraîne de la déresponsabilisation. Or l'énergie à un coût et celui-ci doit apparaître. Cherchons plutôt des solutions pérennes.

Mme Sophie Primas, présidente. - Pour l'application de l'article 45, je vous propose de retenir le périmètre indicatif proposé par notre rapporteur.

Il en est ainsi décidé.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous propose enfin de suivre la proposition de notre rapporteur de ne pas adopter de texte. En conséquence de quoi la discussion porterait en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

La réunion est close à midi.