jeudi 23 mai 2019

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de M. Jean-Marc Mompelat, directeur adjoint et délégué outre-mer, accompagné de MM. Nicolas Taillefer, chef du service Risques sismiques et volcaniques, et Goneri Le Cozannet, expert changement climatique, direction des risques et prévention, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir les représentants du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) dans le cadre du deuxième volet de notre étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer.

Après l'adoption en juillet 2018 d'un premier rapport d'information sur la situation de nos outre-mer face aux risques naturels majeurs, centré sur les problématiques de la prévention et de l'anticipation des risques, nous avons souhaité, dans le cadre d'un second rapport, étendre notre réflexion aux problématiques liées à la reconstruction et à l'organisation de la résilience des territoires sur le plus long terme.

M. Guillaume Arnell, est rapporteur et coordonnateur sur l'ensemble des deux études. Sur la deuxième étude, le binôme de rapporteurs est constitué d'Abdallah Hassani, qui n'a pas pu être présent aujourd'hui en raison de l'actualité à Mayotte, et de Jean-François Rapin, sénateur du Pas-de-Calais, qui est également président de l'Assemblée générale de l'Association nationale des élus du littoral (ANEL).

Le BRGM avait déjà été auditionné pour le premier rapport. Il est représenté ce matin par Jean-Marc Mompelat, directeur adjoint et délégué outre-mer, qui est accompagné de Nicolas Taillefer, chef du service « Risques sismiques et volcaniques » et Goneri Le Cozannet, expert changement climatique, à la direction des risques et prévention.

Chacun sait que le Bureau de recherches géologiques et minières est l'organisme public français de référence dans le domaine des sciences de la Terre pour la gestion des ressources et des risques du sol et du sous-sol. Il a d'ailleurs participé, à la suite de la campagne océanographique réalisée par le navire Marion Dufresne, à la mission scientifique qui vient de mettre en évidence l'apparition près de Mayotte d'un nouveau volcan sous-marin, à 50 kilomètres de Petite-Terre et 3 500 mètres de profondeur, dont la taille actuelle est évaluée à 800 mètres de hauteur avec une base de 4 à 5 kilomètres de diamètre !

On mesure l'importance de telles structures pour la compréhension de ce type de phénomène géologique, l'information de la population et le déploiement des mesures nécessaires pour y faire face.

Geoffrey Aertgeerts, géologue régional et expert au Bureau de recherches géologiques et minières, qui avait déjà été auditionné lors de notre étude précédente, nous a rappelé que le BRGM intervient dans la caractérisation des aléas, en particulier les risques littoraux et qu'il travaille sur la dynamique côtière ainsi que sur les mouvements de terrain, notamment les chutes de blocs.

Nos travaux visent à présent à proposer des recommandations sur la question de la résilience et nous savons que vous disposez d'un réseau de terrain étendu, car, outre un siège social à Orléans, le BRGM est présent sur tout le territoire national, les 5 départements et régions d'outre-mer ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

C'est la raison pour laquelle nous souhaitons recueillir vos propositions à la lumière des événements récents et de vos missions en cours.

Je vous laisse sans plus tarder la parole pour votre exposé liminaire sur la base de la trame qui vous a été transmise par le secrétariat de la délégation, avant que les rapporteurs, et éventuellement les autres collègues, puissent vous interroger.

M. Jean-Marc Mompelat, directeur adjoint et délégué outre-mer. - Merci, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Je suis honoré de cette nouvelle invitation. Je présenterai rapidement quelques éléments de contexte, puis laisserai Goneri Le Cozannet intervenir sur les questions de changement climatique. Enfin, Nicolas Taillefer élargira notre propos.

Le réseau régional du BRGM est très dense, avec une présence dans toutes les régions y compris en outre-mer. Les services géologiques relevant toutefois d'une compétence locale, le BRGM n'intervient pas en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, mais seulement en appui des collectivités et de l'État à sa demande.

Nous répondons aux enjeux de risque naturel, dans un contexte où les risques de cyclone sont de plus en plus aigus, en lieu avec le réchauffement climatique. Nous contribuons à la résilience et à l'aménagement durable des territoires.

La résilience signifie d'abord la capacité des systèmes subissant des agressions à revenir à leur position initiale ou à adopter une autre position. Plus largement, et face à une agression seulement potentielle, la résilience signifie également la capacité d'adaptation et d'agilité d'un système pour prévenir les problèmes. Cette notion recouvre donc un continuum et un cycle entre gestion de crise, prévention et reconstruction : elle implique la nécessité de mieux construire, le déploiement de stratégies à long terme, etc.

À titre liminaire, il me semble important, concernant l'outre-mer, de rappeler les points suivants, sans ordre d'importance.

Le BRGM est l'opérateur pour le dispositif catnat pour les mouvements de terrain en outre-mer. En métropole, cette compétence est partagée géographiquement avec d'autres établissements. Nous mettons à disposition une expertise de proximité reconnue pour les diagnostics d'urgence, en particulier dans le cas de mouvements de terrain. À La Réunion, par exemple, nous jouons un rôle important pour assurer un retour à la normale des réseaux, notamment, et du réseau routier en particulier.

La nécessité de réaliser une « photographie à chaud » des événements lorsqu'ils surviennent n'est pas assez soulignée, parce qu'elle est généralement effacée par le souci légitime de la reconstruction. Elle est cependant essentielle pour la compréhension des phénomènes, l'entretien de la mémoire et la possibilité de réaliser des retours d'expériences. Or, réaliser cette photographie suppose d'avoir prévu des moyens à cette fin.

Il est important d'entretenir, voire, dans certaines régions, de développer une culture du risque. Il faut pouvoir capitaliser sur des catastrophes virtuelles à travers des scénarios et des exercices de simulation.

Les techniciens et acteurs locaux ultra-marins demandent régulièrement une réglementation et des outils plus adaptés, ce qui implique (malgré l'éloignement) d'associer les acteurs ultra-marins à la définition des règles qui les concernent, afin de mieux prendre en compte les particularités de ces territoires.

M. Goneri Le Cozannet, expert changement climatique, direction des risques et prévention, du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). - Bonjour. Je travaille sur le changement climatique et les risques côtiers au BRGM. 

Selon la définition donnée par le GIEC dans son rapport de 2018 sur le réchauffement climatique de 1,5 degré, la résilience signifie « la capacité d'un système et de ses composantes d'anticiper, d'absorber, de s'ajuster ou de récupérer après un événement dangereux de manière rapide et efficace, y compris via la préservation, la restauration ou une amélioration de ses fonctions et structures essentielles ».

En outre-mer, plusieurs types de systèmes, de fonctions et structures essentielles différentes, sont à envisager. Par exemple, les îles peuvent être de deux types : hautes ou basses. Un grand nombre d'entre elles sont tropicales, incluant donc des structures de coraux. Les zones basses notamment contiennent beaucoup d'infrastructures critiques, comme à Jarry en Guadeloupe.

Une première conséquence du changement climatique venant altérer les capacités de résilience des systèmes en outre-mer tient à la montée du niveau de la mer. Les observations font état d'une augmentation à cet égard de 20 centimètres depuis la fin du XIXe siècle, avec une accélération, puisque cette augmentation est passée de 2 millimètres par an au XXe siècle à 3 millimètres par an aujourd'hui. Les projections indiquent que, quels que soient les scénarios de changement climatique et les réductions de gaz à effet de serre, l'élévation du niveau de la mer se poursuivra au XXIe siècle, et s'accélérera en cas de fortes émissions de gaz à effet de serre.

Selon les conclusions les plus récentes (celles du GIEC en 2018), « l'élévation du niveau de la mer se poursuivra pendant des siècles (confiance : haute) », et « les instabilités des calottes de glace du Groenland et de l'Antarctique peuvent être engagées dès un réchauffement de 1,5 degré à 2 degrés (confiance moyenne) ». Ainsi, les auteurs du rapport du GIEC de 2018 n'ont pas été en mesure de confirmer avec certitude la stabilité des calottes de glace du Groenland et de l'Antarctique pour un réchauffement limité à 1,5 degré. Or, la fonte de ces calottes constitue à long terme le principal risque pour une élévation importante du niveau de la mer, qui pourrait largement dépasser une vingtaine de centimètres. Aujourd'hui, cependant, rien n'indique qu'un emballement de la fonte des glaces au Groenland et en Antarctique pourrait entraîner avant 2050 une élévation significative du niveau de la mer, susceptible de constituer une catastrophe portant préjudice aux capacités de résilience en outre-mer et en métropole.

La variation du niveau de la mer en outre-mer est généralement très proche (à quelques dizaines de centimètres près) de la moyenne globale. Deux cas pourraient cependant être affectés par une élévation du niveau de la mer plus importante que la moyenne : les îles situées dans l'océan Indien, du fait de leur éloignement à l'égard des calottes polaires ; et Saint-Pierre-et-Miquelon, en raison d'une dilatation thermique des océans plus défavorables.

Un autre effet du réchauffement climatique susceptible d'affecter la résilience des littoraux d'outre-mer tient au réchauffement et à l'acidification de l'océan. Ceux-ci (et le premier surtout dans un premier temps) pourront en effet affecter les récifs coralliens, qui protègent les littoraux contre l'énergie des vagues et fournissent des sédiments aux plages. Selon le rapport 2018 du GIEC, « atteindre 2 degrés Celsius de réchauffement climatique augmentera la fréquence des événements de blanchissement et de mortalité des coraux à un niveau tel que la totalité des coraux tropicaux disparaîtront, limiter le changement climatique à 1,5 degré Celsius limitera le déclin de la couverture corallienne à 70-90 % vers 2050, évitant ainsi leur disparition en zones tropicales, limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré permettrait également de réaliser sur les coraux des transplantations, etc., pour limiter leur dégradation ». Le rapport du GIEC fait état d'un seuil critique pour la multiplication des blanchissements coralliens à 1,2 degré Celsius.

Enfin, le réchauffement climatique pourrait entraîner la disparition des « pieds de glace » en hiver, notamment à Saint-Pierre-et-Miquelon. Or, ceux-ci offrent une protection des littoraux contre l'érosion en cas de tempête.

Les effets du réchauffement climatique sur les coraux et le réchauffement de l'océan pourraient intervenir d'ici 2050, et ses effets sur l'élévation du niveau de la mer seulement ensuite.

M. Nicolas Taillefer, chef du service Risques sismiques et volcaniques. - Bonjour. En tant que responsable de l'unité « Risques sismiques et volcaniques », je me concentrerai sur la résilience et la reconstruction dans le cadre particulier du risque sismique, avant d'élargir cette réflexion sur des problématiques communes.

Après une catastrophe, reconstruire constitue une priorité légitime des populations. La difficulté consiste toutefois à rendre compatibles les deux impératifs qui prévalent alors : reconstruire vite, mais aussi reconstruire mieux, afin que les catastrophes ne se reproduisent plus.

Depuis une cinquantaine d'années, l'évolution des normes, notamment dans le domaine sismique, fait que les bâtiments impactés par les séismes sont généralement assez anciens. S'ils sont reconstruits, ils le sont donc selon des normes très différentes à celles qui prévalaient dans le contexte économique de leur construction.

Une nouvelle conscience du risque est également évidente. En cas de nouveau phénomène, la population est désormais très sensible au risque. Toutefois, même si des événements sismiques s'étaient déjà produits à Mayotte, avec des dégradations, sa population restait quant à elle peu consciente du risque, et les secousses qui ont eu lieu ces derniers mois ont réactivé cette conscience, en générant cependant des réactions de panique parfois déroutantes, quoique compréhensibles.

Après une catastrophe, il reste également difficile d'intégrer plusieurs risques dans le cadre des reconstructions. Suite au cyclone Irma, par exemple, il s'agissait bien de reconstruire selon des normes parasismiques les bâtiments endommagés, et non seulement d'abriter à nouveau les populations. Toutefois, ces reconstructions selon de nouvelles normes sont déjà difficiles à faire accepter en temps normal, et pas seulement dans les territoires d'outre-mer : elles le sont d'autant plus en cas d'urgence de reconstruction suite à une catastrophe.

Il n'est pas toujours simple de passer du concept de résilience, généralement accepté aujourd'hui, aux plans d'action.

La culture du risque est très importante pour renforcer la résilience à moyen terme, la connaissance de l'environnement également : savoir à quels risques on est exposé, pourquoi, et quels peuvent en être les impacts. Il est à cet égard nécessaire de comprendre les phénomènes, souvent complexes, mais aussi de s'opposer aux idées fausses qui se répandent d'autant plus vite avec les réseaux sociaux, même si elles ne constituent pas une spécificité de notre époque. Elles peuvent développer une compréhension faussée du risque et de ses conséquences.

La préparation doit aujourd'hui aller plus loin que les exercices de crise. Les exercices de type Richter pour les risques sismiques sont certes très importants, mais il faudrait préparer, non seulement au secours des populations dans l'immédiat après-crise, mais aussi au relèvement et au retour à la normale.

Enfin, comment mesurer cette résilience, et déterminer si l'on a réussi à l'améliorer sur un territoire ? Un pilotage à cet égard semble nécessaire pour une politique de prévention.

La recherche doit mieux appréhender également le multirisque, par exemple les effets en cascade : un séisme peut produire des tsunamis, des mouvements de terrain, etc. Les sciences humaines doivent être associées aux sciences dures pour traiter les questions de gouvernance afférentes.

Le BRGM contribue aussi à développer la culture du risque dans les territoires.

Nous opérons depuis 10 ans, pour la DGPR, un site internet (www.planseisme.fr) qui vise à devenir un portail de référence pour la connaissance des séismes, mais aussi sur les actions de l'État dans ce domaine. Il comprend aujourd'hui des rubriques spécifiques sur l'outre-mer. Nous le refondons actuellement pour le rendre plus réactif aux actualités régionales, qu'il s'agisse d'événements ou d'actions de prévention.

Concernant Mayotte, nous travaillons sur des plaquettes de communication à destination du grand public, afin d'expliquer l'ensemble des risques naturels, et sur des documents plus ciblés à destination des constructeurs, afin de porter à leur connaissance les pratiques de construction adéquates en prévention des risques sismiques et des mouvements de terrain.

Aux Antilles, nous travaillons sur la prévention des risques liés aux mouvements de terrain, et, avec la Caisse centrale de réassurance, nous participons à des activités de recherche partenariales visant à qualifier le coût de ces événements sur le système assurantiel et l'économie plus largement. Ce coût constitue un élément important également pour mesurer la résilience d'un territoire.

Nous développons actuellement une plateforme de synthèse des données liées aux risques et des méthodes d'estimation des risques et dommages. Nous souhaitons en faire une plateforme partagée qui permette aux acteurs locaux d'établir leurs propres simulations de risques naturels, avec leurs propres critères.

En direction des collectivités locales et services de l'État, le BRGM joue également un rôle de référent technique, en contribuant par exemple à des guides d'élaboration de plans de prévention, ce qui suppose de lier les aspects réglementaires aux aspects techniques.

Nous essayons enfin de contribuer à la formation des acteurs et aménageurs pour prendre en compte ces risques.

Le BRGM intervient par ailleurs en appui aux collectivités d'outre-mer.

Dans toutes nos recherches sur les risques naturels, nous nous efforçons de recourir à des zones pilotes, représentatives des risques qui peuvent être rencontrés, et ces zones pilotes sont très souvent situées en outre-mer. Cela permet d'utiliser rapidement les résultats de ces recherches au profit des politiques publiques.

Nous réalisons des études préliminaires aux microzonages et travaillons avec l'Agence des 50 pas géométriques, aux Antilles, pour intervenir rapidement sur les zones à très forte exposition.

Nous aidons sur demande les services de l'État à rédiger des documents techniques : plans de prévention, etc.

À Mayotte, nous intervenons pour le vice-rectorat et la DEAL, qui pilote des études de site pour l'implantation de collèges, en prenant en compte au mieux les risques sismiques et de liquéfaction des sols, etc. La construction d'écoles constitue une problématique extrêmement importante à Mayotte, où le foncier disponible est très limité.

Nous participons également à quelques études relatives à la gestion des déchets après un cyclone ou un séisme : comment les récupérer, où les stocker ? Cette question est centrale et nous commençons à y travailler sur des sites pilotes.

La question du zonage est très centrale également dans les plans de prévention, qu'il s'agisse de PPR ou de zonages nationaux. En matière de réponse au changement climatique, un « zonage adaptatif », qui soit toujours valable dans 30 ans, est nécessaire.

Il doit pouvoir s'adapter à l'évolution de l'urbanisme et du climat, mais aussi à l'évolution extrêmement rapide des connaissances, concernant les problèmes côtiers et les aléas climatiques, mais aussi les risques sismiques ou volcaniques. Cette adaptation est nécessaire pour que les bonnes prescriptions soient fournies aux bons endroits, même si cela implique une certaine lourdeur administrative.

Reconstruire vite n'est pas facile lorsqu'on souhaite oeuvrer de manière qualitative. Il faut tenir compte des enseignements du passé pour choisir les techniques de construction adaptées. Les retours d'expérience suite à une catastrophe individuelle ne sont cependant pas nécessairement représentatifs de tout ce qui pourrait se produire sur un territoire. Les techniques qui ont bien fonctionné face à un événement donné ne sont donc pas nécessairement généralisables.

Après une catastrophe, une question importante est également de savoir si les services, les réseaux et les activités doivent être replacés aux mêmes endroits ou être redimensionnés pour en améliorer la résilience.

Construire mieux suppose de tenir compte du phénomène passé, mais aussi des autres risques. Lorsqu'une région ou une ville est affectée, le cyclone Irma a montré la nécessité de reconstituer les zones urbaines de manière acceptable pour la population.

Le séisme de l'Aquila, qui date maintenant d'une dizaine d'années, a également montré que relocaliser les populations hors d'un centre-ville détruit pose de réels problèmes sociaux, même si les y maintenir présente également des problèmes de sécurité et de vie au quotidien. Nous avons beaucoup à apprendre de ce retour d'expérience sur la manière de reconstruire une activité économique et sociale dans ce contexte, même s'il s'agit d'un séisme survenu en Italie.

Enfin, les réseaux sociaux peuvent-ils apporter quelques informations et données sur la résilience ? Cette question, qui figurait dans la trame que vous nous avez fournie, est intéressante.

Le BRGM travaille sur le projet Suricate-Nat, qui vise à analyser les tweets envoyés lors d'une catastrophe naturelle (inondations, séismes, etc.), afin d'identifier ceux qui informent sur ce qui s'est passé.

Lors du séisme à Bordeaux il y a quelques mois, l'activité sur Tweeter avait d'abord été forte, avant de décliner dans le temps. L'analyse de ces tweets semble permettre une bonne description immédiate de l'événement. Il serait intéressant de voir si elle permet également d'obtenir un retour d'expérience sur la reconstruction, les services et les secours mis en place, etc., et à plus long terme d'estimer si un territoire est revenu à la normale. Cela semble possible techniquement, même s'il faut tenir compte des biais, car les mécontentements sont généralement plus exprimés sur Twitter que les satisfactions.

Les phénomènes de solidarité caractéristiques des réseaux sociaux (cagnottes, groupes d'entraide sur Facebook, etc.) peuvent également être suivis. Les réseaux sociaux constituent ainsi des alternatives aux réseaux plus classiques d'information ou de services, généralement affectés par les catastrophes.

Je présenterai pour terminer quelques projets de recherche.

Le projet européen ESPREssO porte sur l'organisation de la résilience, la création de liens entre science et gouvernance et la gestion des crises et phases transitoires. Il a le mérite de réunir sciences humaines et sciences géologiques, entre autres.

ANR SAMCO est un projet de recherche qui vise à développer des approches innovantes adaptées aux milieux de montagne. Celles-ci pourraient être transposées des zones alpines et pyrénéennes où elles ont plutôt été créées à certains territoires ultra-marins, le relief des îles d'outre-mer étant souvent très mouvementé.

Quant à Vigirisk, il s'agit de notre plateforme, déjà évoquée de mise en commun de données et de méthode d'évaluations des risques.

Enfin, dans le cadre de son contrat d'objectifs, la stratégie de recherche du BRGM inclut désormais un projet de recherche portant directement sur la résilience. Merci de votre attention.

M. Michel Magras, président. - Merci beaucoup pour ces présentations et je donne de suite la parole à nos rapporteurs.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Votre exposé était très clair, synthétique et intéressant pour mettre nos connaissances à jour.

Dans la diapositive sur le réchauffement climatique et la montée des eaux, l'incidence perverse du réchauffement climatique sur le littoral ne me semble cependant pas suffisamment mise en avant. Dans les îles que nous sommes allées visiter il y a quelques semaines, cette incidence liée à la présence de zones montagneuses volcaniques, voire boueuses, était évidente. Nous avons ainsi constaté une poussée importante d'algues inhabituelles au pied de l'Eden Roc. De même, les risques de coulées de boue, de reconfigurations du littoral, etc. n'ont pas été pris en compte dans votre exposé. Peut-être les considérez-vous comme négligeables dans l'ensemble de l'incidence du réchauffement climatique ?

M. Goneri Le Cozannet. - Il s'agit au contraire de sujets très importants. Je ne suis pas certain toutefois que le BRGM travaille sur le problème des sargasses.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Les algues que j'ai évoquées n'étaient pas des sargasses, mais des algues vraiment particulières.

M. Goneri Le Cozannet. - Je me suis concentré sur les grands effets du réchauffement climatique susceptibles de remettre en cause les phénomènes de résilience : l'élévation du niveau de la mer et le réchauffement des océans. D'autres effets du réchauffement climatique sont cependant importants également. De nombreux phénomènes géophysiques ne sont pas totalement liés au réchauffement climatique : dans les mouvements de terrain, etc., le rôle de l'hydrologie n'est pas clairement établi, et mérite encore des recherches.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Les reconfigurations côtières qui font suite à ces événements sont parfois très importantes. La résilience au sens où vous l'avez définie n'est alors plus possible, simplement parce que la géographie a changé.

M. Jean-Marc Mompelat. - Dans le cadre d'un financement FEDER, nous menons actuellement un projet de recherche C3F (conséquence du changement climatique aux Antilles françaises), dans lequel nous abordons cette question des conséquences du changement climatique sur les mouvements de terrain et les eaux souterraines.

Un lien pourrait même être établi entre réchauffement climatique et risque sismique. Il y a déjà longtemps, j'avais mené une étude en Guadeloupe qui avait alerté les élus, parce qu'elle montrait, dans la zone de Jarry, que l'élévation du niveau de la mer finit par atteindre des matériaux (remblais, etc.) qui n'étaient pas prévus pour être humides ; ou certaines zones sableuses, qui deviennent liquéfiables.

Depuis un an, l'île de Mayotte s'est enfoncée de 12 à 13 centimètres, suite à un dégonflement de la couche magmatique. Si ce phénomène devait se poursuivre, l'île pourrait s'enfoncer de 1,20 mètre en une dizaine d'années.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Les habitats seraient forcément touchés !

M. Jean-Marc Mompelat. - La performance des réseaux d'eau potable pourrait également être impactée. Des eaux souterraines sont exploitées à proximité du littoral, et certaines zones plus éloignées devront être inondées. Nous prenons donc en compte ces questions, y compris la question de la ressource en eau.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Je me tiens à votre disposition en tant que rapporteur, mais aussi en tant que président de l'ANEL.

M. Michel Magras, président. - Au fur et à mesure du développement de ces îles, le niveau de l'eau augmente dans les zones tampons naturelles autour des bassins versants (les étangs, etc.), de sorte que l'eau n'y stagne plus, mais s'écoule vers la mer. Dans la baie de Saint-Jean, l'herbier a donc progressivement été transformé en vasière, de sorte que le récif de corail qui protège le littoral est menacé par la sédimentation. J'alerte sur ce danger depuis très longtemps. Ce récif a d'ailleurs fait l'objet de transplantations. Les progrès en matière de croissances de coraux ainsi obtenues sont à cet égard remarquables. Au moins trois sociétés se sont spécialisées à Saint-Barthélemy dans la reconstruction corallienne, pour des résultats très intéressants.

M. Goneri Le Cozannet. - Le GIEC a cependant mis en évidence que ces mesures ne resteraient efficaces que si le réchauffement climatique ne dépassait pas 1,5 degré, et ne le seraient plus s'il atteignait 2 degrés.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Le co-rapporteur Abdallah Hassani est absent, mais il souhaitait poser la question suivante, dont je vous donne lecture.

« À Mayotte, la population sait depuis toujours qu'elle est sous la menace des cyclones. Elle se sait depuis une année menacée par des tremblements de terre, et depuis la semaine dernière par un tsunami ou une submersion, avec la croissance extrêmement rapide d'un volcan à quelques dizaines de kilomètres de son territoire, une île isolée au milieu de l'océan indien. Même si le département et les mairies sont mobilisés, cette population n'est pas préparée et formée à ces risques. Ils ne sont pas intégrés dans son mode de vie. Comment la préparer à une culture du danger, afin qu'elle agisse avec plus de calme et d'efficacité possible, en cas d'événements qui peuvent être d'une ampleur exceptionnelle ? ».

M. Jean-Marc Mompelat. - En effet, la culture du risque n'était pas suffisamment développée à Mayotte avant cet événement, mais l'activité sismique restait relativement limitée jusqu'à cet événement. Les mouvements sismiques parfois ressentis par la population restaient anecdotiques. Nous en assurons le suivi.

De plus, le niveau de classement de Mayotte dans le zonage sismique national n'était pas élevé, et bien inférieur à celui des Antilles françaises.

Aujourd'hui, toute la communauté mondiale géoscientifique s'intéresse à Mayotte, car l'événement qui y est apparu est de portée mondiale. Jusque-là, toutefois, les scientifiques ne s'intéressaient pas particulièrement à cette zone, qui paraissait banale d'un point de vue tectonique. Le zonage régional va probablement être révisé désormais.

Un travail sur la culture du risque avait déjà commencé avant cette crise, à l'aide de plaquettes, etc. Nous disposions donc déjà de suffisamment d'éléments pour alerter la population, mais sans doute cette communication serait-elle restée inaudible avant ces événements. Un appareil de surveillance sismique devait être installé dans les écoles, à titre pédagogique. Il faut aujourd'hui profiter de l'écho exceptionnel de l'événement pour agir en conséquence.

En outre-mer, d'une manière générale, il faut désormais que les campagnes de communication sur cette culture du risque reposent sur une compréhension de la sociologie propre à ces territoires. Les outils utilisés ailleurs pourront être repris, mais il faudra qu'ils soient adaptés. Une information préventive réglementaire existe dans les textes. Elle est déployée, avec les documents communaux synthétiques (DCS), les documents d'information communale sur les risques majeurs (DICRIM), etc. Je ne suis cependant pas certain de son efficacité, et que la population connaisse ces documents. Il faut s'appuyer sur les réseaux sociaux, et surtout s'assurer que les habitants soient acteurs de la prévention.

M. Nicolas Taillefer. - La plupart des habitants actuels de Mayotte n'ont pas connu le séisme destructeur qui y a eu lieu en 1993. Il faut tenir compte de la différence de culture du risque entre les nouveaux et les anciens habitants.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je suis conscient que notre rapport porte sur l'ensemble des outre-mer. Je ne peux cependant m'empêcher de me concentrer sur mon territoire, qui, suite à Irma, connaît de fortes tensions dans le cadre de la reconstruction.

Disposez-vous de recommandations en matière de reconstruction en zone à risque ? Sur un territoire peu extensible, et qui dispose déjà d'une organisation territoriale dans les zones côtières, il est difficile de concevoir qu'on puisse rayer simplement de la carte certaines zones, pour relocaliser les populations ailleurs. Cela supposerait d'abord de disposer de réserves foncières, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence. Par ailleurs, il faut pouvoir concilier une démarche pédagogique assidue sur un temps long, pour que la population s'approprie le risque existant.

Notre territoire est multirisque, mais nous ne pouvons pas aller ailleurs. Comment vivre avec ce risque ? Il faut qu'il soit calculé, et qu'il ne mette pas en péril les pouvoirs publics ou les vies humaines. Les pouvoirs publics ne cherchent souvent qu'à se protéger juridiquement d'une autre catastrophe. Depuis 30 à 40 ans, personne dans la population ne s'est inquiété du risque encouru, qui semble découvert subitement.

À Saint-Barthélemy, la construction et l'organisation du territoire se sont faites différemment, mais à Saint-Martin, la sociologie de la population hébergée est différente.

M. Michel Magras, président. - Je souhaiterais également savoir si vous pouvez collaborer sur ces questions avec les autres services de l'État, et notamment les DEAL et le Cerema, qui a travaillé sur les cartographies, etc. Avez-vous avec eux des liens directs ?

M. Nicolas Taillefer. - Les actions que je connais sont souvent demandées et pilotées par la DEAL : les documents de sensibilisation aux risques à Mayotte ont été commandés par la DEAL, la révision des PPR est pilotée par la DEAL.

L'articulation entre la DEAL et le BRGM fonctionne donc très bien depuis très longtemps. Avec d'autres acteurs, plus locaux, la relation est parfois moins fluide.

C'est au niveau que la DEAL que se joue la coopération entre différentes expertises et sa traduction ensuite vers des documents opérationnels.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Nous revenons d'une visite de terrain, durant l'ensemble de laquelle nous avons eu le sentiment d'être constamment sous la surveillance de la DEAL, même sur des aspects qui ne la concernaient pas. De plus, la DEAL est au service de l'État et ne rend compte qu'à son autorité de tutelle, sans tenir compte de la dimension humaine.

Les informations ne sont pas suffisamment croisées ni suffisamment remontées. Les avis des autres personnes compétentes ne sont pas suffisamment pris en compte.

M. Michel Magras, président. - Je confirme les propos de Guillaume Arnell concernant ce déplacement que nous avons effectué ensemble.

J'ai discuté avec les représentants de la DEAL pour comprendre les raisons de leur présence partout, même sur des sujets qui ne relevaient pas d'eux. J'en ai tiré la conclusion que nous ne pourrons pas nous en sortir ainsi.

J'ai beaucoup apprécié votre remarque selon laquelle les ultramarins devaient être associés en amont aux décisions prises. Je milite depuis toujours pour la différenciation territoriale : connaître la sociologie d'un territoire est indispensable pour décider y compris du scientifique. En l'occurrence, la topographie des territoires impose de reconstruire en zones à risques.

J'ai dit au sous-préfet que la mission de l'État dans les collectivités dotées de l'autonomie n'était pas de s'opposer frontalement aux décisions des politiques, mais de les accompagner, de prévenir leurs erreurs, etc. Or, un tel dialogue ne s'est pas instauré à Saint-Martin. Le sous-préfet m'a remercié pour cette remontée d'information, car le ministère avait bien demandé un accompagnement et non une opposition.

De plus, les deux personnes qui nous ont accompagnés ne connaissaient pas les outre-mer et ne sont arrivées qu'après Irma, dans le cadre du programme de reconstruction. Or, la connaissance du terrain et de la population sur lesquels on intervient est fondamentale pour prendre les bonnes décisions.

M. Jean-Marc Mompelat. - Une question de fond se pose à ce sujet. J'avais effectué une mission post-cyclonique dans les Îles du Nord après Irma : il est possible d'affirmer qu'un territoire a été plus résilient qu'un autre.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - C'est une évidence.

M. Jean-Marc Mompelat. - Il est alors tentant de supposer que certains n'ont pas la volonté de faire tout le nécessaire pour prévenir une nouvelle catastrophe.

Ce sont surtout les membres du Cerema qui sont intervenus après Irma. Les compétences des établissements susceptibles d'intervenir se recoupent souvent et il serait totalement contre-productif pour leurs financeurs qu'ils s'inscrivent dans une logique de concurrence. Mayotte présente au contraire un bel exemple de coopération entre les établissements. Le Cerema opérant dans les Îles du Nord de manière compétente, le BRGM n'a donc pas cherché à s'y implanter.

Le respect des règles parasismiques s'impose. En matière d'aménagement, cependant, et sans remettre en question son expertise donc, le cadre dans lequel le Cerema intervient est celui des PPR, qui interdit aujourd'hui d'oeuvrer autrement que selon le droit commun, dont relèvent tous les territoires, notamment les régions et probablement Saint-Martin pour la compétence environnement. Un principe général du PPR consiste notamment à ne pas reconstruire dans les zones détruites. Il sera donc toujours difficile de s'y opposer, quels que soient les arguments. D'un autre côté, il sera difficile d'obtenir l'adhésion des élus de la population chaque fois que la sociologie des attentes du territoire ne sera pas prise en compte.

Le BRGM s'était rendu en Polynésie française, suite à un cyclone qui avait engendré une trentaine de morts liés à des glissements de terrain. La Polynésie avait alors découvert qu'elle devait exercer une compétence de prévention des risques, et nous avions été appelés pour l'y aider. Les élus polynésiens eux-mêmes avaient alors voté les PPR comme dispositifs nationaux, avant de constater aujourd'hui qu'ils ne répondent pas à leurs besoins. Toutes les communes de la Polynésie française ont été dotées de projets de PPR, ce qui a coûté beaucoup d'argent. Finalement, seuls deux de ces projets ont été approuvés, parce que les PPR ne sont pas adaptés. Je suis gêné de l'affirmer devant des représentants de l'État, mais je milite bien aujourd'hui en faveur d'une approche différenciée de l'application des risques. Le risque acceptable ne peut pas être le même d'un territoire à un autre.

Des solutions juridiques doivent être trouvées pour concilier le droit commun et l'égalité des citoyens devant la loi pour réussir à avancer.

Des travaux sont en cours à Mayotte pour améliorer le zonage des mouvements de terrain, qui est l'un des plus contraignants en termes d'aménagement. Or, ces contraintes sont parfois excessives par manque de connaissance, et c'est pourquoi certaines zones sont classées en zones d'aléas élevés alors qu'elles ne le mériteraient pas. Le progrès des connaissances devrait ainsi permettre de ne plus geler de manière excessive certains territoires.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Il est certain que les pouvoirs publics n'aiment pas s'entendre dire qu'ils ont commis des erreurs. Il est pourtant évident que la situation a été mieux gérée à Saint-Barthélemy qu'à Saint-Martin.

Suite au cyclone Ulysse, j'avais entendu les politiques dire qu'ils ne feraient plus jamais les mêmes erreurs. Or, au fil du temps, un glissement vers davantage de souplesse a eu lieu, qui a fait que ces erreurs se sont reproduites, parfois de manière plus grave encore. La responsabilité est donc collective, de la part des élus locaux, qui n'ont pas totalement exercé leur compétence en matière de respect des règles d'urbanisme, de logement et d'habitat sur leur territoire, mais également de la part de l'État. J'ai ainsi remonté au gouvernement la semaine dernière le fait que les préfets des Îles du Nord font état d'un manque de moyens pour le contrôle de la légalité, notamment en matière de construction, d'habitat, etc.

Cette responsabilité collective n'empêche pas qu'il faille discuter, et adopter une démarche pédagogique. J'ai dû expliquer à ma population en quoi consistait le PPRN, alors que le PPR existe depuis 1971. Il a simplement été amplifié suite à Irma, ce qui ne pouvait pas rencontrer l'adhésion d'une population fragilisée, qui ne parvenait pas à se reconstruire socialement, économiquement et matériellement. Une pédagogie est nécessaire pour faire comprendre la nécessité des règles de droit qui s'appliquent à tous, mais la connaissance des experts doit progresser également, pour réussir à ne pas figer des portions de territoire qui ne le méritent pas.

Enfin, l'État a un devoir d'exemplarité. La population ressent pourtant qu'il s'y dérobe. Sur certaines portions du territoire, les reconstructions qui ne respectent pas la réglementation ne font pas systématiquement l'objet de citations en justice, tandis que l'attention semble focalisée sur d'autres parties du territoire, qui concernent souvent les populations les plus défavorisées.

M. Michel Magras, président. - J'interviens depuis toujours avec une perspective scientifique sur les opérations. J'ai milité pour que nous obtenions notre PPRN, dont j'enseignais la nécessité à l'école.

Lorsque nous étions une commune, la responsabilité du PPRN revenait à l'État, qui ne l'a pas mis en oeuvre. Maintenant que nous avons une compétence en matière d'urbanisme, de construction, d'habitation, de logement, d'environnement, etc., il nous revient de mettre en oeuvre le PPRN, qui a donc été prescrit. Nous avons décidé de nous en servir comme outil pour le programme de développement, mais de prendre le temps qu'il faudrait pour le laisser étudier par des spécialistes avant de le faire adopter et de le rendre public. Par chance, nous ne sommes pas concernés par le problème de la zone des 50 pas géométriques.

Je voudrais vous poser deux questions, qui me tiennent à coeur.

Les services du président de la République m'avaient dit, au moment de la restitution des Assises, qu'une grande loi sur les risques était en préparation pour la fin de l'été 2019. Y êtes-vous associés ? Nous n'en entendons plus parler.

Par ailleurs, j'ai eu le plaisir de constater que la collectivité avait accepté de financer, y compris sur mon territoire, une intervention en Litto3D, qui me paraît aujourd'hui aussi indispensable pour l'étude des glissements de terrain, des zones à risques, du sous-sol, etc. que les analyses médicales pour le diagnostic des médecins.

Un film nous avait été projeté sur le travail réalisé à cet égard à La Réunion. Mme Victoire Jasmin était rapporteur sur ce sujet. Des actions sont également en cours en ce sens à Saint-Barthélemy.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Elles sont en cours à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

M. Jean-Marc Mompelat. - Il doit s'agir d'un programme de LIDAR, télédétection par laser, qui permet d'obtenir une image très fine de la topographie, car l'analyse de la morphologie est essentielle.

À la Réunion, nous avions évoqué des reconnaissances réalisées en géophysique héliportée. À ma connaissance, elles n'ont pas été réalisées sur les Îles du Nord.

M. Guillaume Arnell rapporteur coordonnateur. - De telles reconnaissances ont bien été réalisées en collaboration avec Saint-Barthélemy, grâce à un hélicoptère basé à la Guadeloupe.

M. Goneri Le Cozannet. - Une fois les Litto3D acquises, en partenariat avec l'Institut géographique national (IGN) et le Service hydrographique et océanique de la Marine (SHOM), elles sont ensuite disponibles pour toutes les personnes souhaitant modéliser les effets des vagues cycloniques, mais elles ne suffisent pas à obtenir cette modélisation. Il faut encore analyser la propagation des vagues jusqu'à la côte, la trajectoire des cyclones et le niveau d'eau additionnel une fois que les vagues ont déferlé.

M. Michel Magras, président. - Les années suivant Luis, nous avons connu de nombreux cyclones, dont l'un avait provoqué des glissements de terrain à Saint-Barthélemy qui n'avaient jamais été envisagés, et qui auraient pu entraîner beaucoup de morts, car ils sont passés à côté de zones habitées.

M. Jean-Marc Mompelat. - Il faut bien comprendre la difficulté pour l'État de déroger aux règles, même lorsque ce serait adapté à la réalité et à un territoire comme Saint-Martin ou la Guadeloupe. En effet, y déroger aurait des conséquences jurisprudentielles pour l'ensemble du territoire national. La question se pose sur la zone des « 50 pas » en Guadeloupe. Détruire toutes les maisons situées en zone rouge n'est pas possible socialement, et des solutions sont donc cherchées pour maintenir les habitants en zone rouge. La jurisprudence ainsi ouverte est cependant très dangereuse.

M. Michel Magras, président. - C'est pourquoi certains élus dont nous sommes militent pour que cette différenciation soit actée dans le droit national, y compris dans une réforme constitutionnelle si c'est nécessaire.

M. Jean-Marc Mompelat. - En réponse à votre première question, ni la Direction des risques et de la prévention, ni la Direction des actions territoriales n'ont à ma connaissance été sollicitées pour participer à une réflexion sur l'évolution de la réglementation en outre-mer.

Mme Victoire Jasmin. - Bonjour. J'étais co-rapporteur sur la première partie de nos travaux avec Mathieu Darnaud, qui est très impliqué dans ce travail également.

Concernant la résilience, je me suis rendue il y a trois semaines à Saint-Martin, grâce à la délégation et au Sénat, pour évoquer avec les représentants des différents quartiers la synthèse des recommandations retenues parmi la soixantaine émise. Ce déplacement a confirmé les différences d'appréciation et d'anticipation entre les élus de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui m'étaient déjà apparues lors de l'étude.

La prévention est ce qui compte vraiment aujourd'hui. Différents plans (PPRN, etc.) permettent de se donner bonne conscience en la matière, mais les faire vivre suppose d'impliquer les populations et les professionnels. Sur le terrain, il ne suffit pas d'appliquer la loi.

À Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, avec Michel Magras et Guillaume Arnell, nous avons rencontré les élus des collectivités concernées, avec leurs techniciens. À tous les niveaux, il est important de prévoir des plans de prévention, hors de tout problème technique, pour la continuité de l'activité. Mieux préparer permet de mieux anticiper. La résilience tiendra ensuite compte de ce qui a été prévu initialement.

À la Guadeloupe, nous avions souhaité rencontrer les présidents des communautés d'agglomération. À notre grand étonnement, seules une présidente d'agglomération et une technicienne sont venues pour l'ensemble des communautés d'agglomération. La présidente présente nous a dit de plus qu'elle ne comprenait pas la raison de sa présence, estimant que les communes étaient seules concernées. Je lui ai expliqué qu'en raison des transferts de compétence, les communautés d'agglomération étaient désormais impliquées dans la continuité des activités, car la gestion des déchets et de l'eau ne relevaient plus seulement des maires. Les documents ne servent donc à rien si les personnes ne s'en imprègnent pas.

Faire vivre tous les outils suppose ainsi de poser la question de la responsabilité collective. À Saint-Barthélemy, l'organisation prévoyait déjà un tri des déchets, et un travail avait été effectué auprès des commerçants, des hôteliers,... pour que chacun connaisse déjà son rôle en matière de prévention. À la Guadeloupe ou à Saint-Martin, les déchets (toits tombés, etc.) ont simplement été rassemblés dans l'attente que la collectivité, quelle qu'elle soit, s'en occupe. À Saint-Barthélemy, ils ont été triés et acheminés aux bons endroits par la population même.

Comme présidente d'une fédération de parents d'élèves, j'avais mis en place dans ma fédération une commission de sécurité. Avant même le séisme de Terre de Bas, nous avions émis des propositions et organisé des manifestations avec le BRGM, l'association des maires, etc., et beaucoup travaillé sur le plan particulier de mise en sécurité (PPMS).

Or, une transmission n'existe pas nécessairement entre les générations : ces questions ne sont abordées qu'en cas de problème, alors qu'il faudrait qu'une culture existe. J'adhère à tout ce qui a été dit concernant les services de l'État, mais, quels que soient les textes, les directives ou les rapports établis, encore faut-il qu'ils soient lus par les élus, et que chacun s'en imprègne. Or, il suffit que les parents d'élèves changent, et les PPMS ne sont plus lus. De même, à la Martinique, une école est menacée par les lahars, ces fameuses coulées boueuses.

Outre les différents services de l'État, les élus doivent s'impliquer pour que la différenciation devienne une réalité sur le terrain, pour remonter les besoins des territoires et pour veiller à ce que ces risques soient pris en compte par l'ensemble de la population. Merci de m'avoir donné la parole.

Mme Jocelyne Guidez. - À la Martinique, la population diminue. Pourtant, des maisons sont encore construites dans les collines, malgré les problèmes de glissement de terrain qui se posent, notamment en cas de cyclones. Les maires semblent laisser faire.

M. Jean-Marc Mompelat. - Nous commencerons par répondre à l'intervention précédente, concernant l'importance des mises en situation et de la mobilisation des acteurs.

M. Goneri Le Cozannet. - Vous avez cité les différents éléments permettant d'anticiper une crise : la prévention (par exemple en réalisant des cartes des inondations potentielles en cas de cyclone), la préparation (à la gestion des alertes) et l'adaptation à plus long terme vis-à-vis du changement climatique. Nous réalisons des études dans tous ces domaines.

La concentration sur la prévention dans le domaine côtier date surtout de Xynthia. Lorsque nous avons réalisé les plans de prévention côtiers en Polynésie, nous avons examiné des atolls sur lesquels aucun cyclone n'était intervenu depuis 1983. Il était difficile dans ce cas d'interdire les constructions à certains endroits. Une approche plus centrée sur la préparation à la crise, avec des refuges, etc. semblait plus adéquate, et les pertes économiques comme les destructions de maisons peuvent être acceptables dans les cas de ce type.

Des projets de recherche ont été menés concernant la préparation : par exemple, le projet SPICy, à la Réunion, pour la simulation d'alertes cycloniques ; ou des projets du CNRS et de l'Université de La Rochelle, comprenant des aspects légaux sur lesquels vous pourriez faire intervenir Virginie Duvat.

En adaptation, la question de la relocalisation des habitants se pose. Cependant, je pense en effet prématuré de relocaliser des personnes sur la base de prévisions d'élévation du niveau de la mer à la fin du siècle. Les plans de prévention des risques routiers ne prévoient actuellement une élévation du niveau de la mer que de 60 centimètres en 2100, ce qui constitue un minimum si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent.

Nous pouvons donc travailler sur ces différents aspects d'anticipation de la crise. En vue d'une adaptation sur le long terme, encore faudrait-il cependant connaître les stratégies de réduction des gaz à effet de serre qui auront réellement été engagées. La prévention n'est pas applicable partout, mais surtout dans les zones où il s'agit d'éviter de grandes pertes économiques. La préparation à la gestion de crise est quant à elle très importante pour sauver des personnes là où les pertes économiques sont acceptables.

M. Jean-Marc Mompelat. - L'importance de la mobilisation des acteurs à toutes les échelles dans les exercices de simulation doit être soulignée. Le BRGM est référent dans la réalisation à l'échelle zonale des exercices Richter, généralement mobilisateurs, qui consistent à simuler les effets d'un séisme.

Les exercices réalisés dans les écoles doivent se multiplier, et en général ces exercices de mise en situation doivent être réalisés à toutes les échelles, car ils permettent vraiment d'impliquer les acteurs.

Les plateformes pourront également y contribuer, même si elles ne sont pas encore totalement opérationnelles.

Concernant la Martinique, il est en réalité possible de construire dans certaines zones escarpées en toute sécurité. Une bonne connaissance des risques est nécessaire : toutes les zones escarpées ne sont pas exposées à des glissements de terrain. Il faut donc veiller à ne pas geler des territoires où les ingénieurs sauraient parfaitement construire sans risque. Reste cependant la question, différente, de la préservation des espaces, au regard notamment de la présence de maisons abandonnées qui, souvent en Martinique, ne correspondent pas aux normes sismiques : certaines maisons y sont construites sur pilotis avec jusqu'à six niveaux de transparence pour rattraper les pentes. Les constructions de ce type ne sont évidemment pas admissibles, mais il faut laisser aux techniciens la possibilité de faire ce qu'ils savent faire, sous réserve de contrôles, etc.

M. Michel Magras, président. - Les normes parasismiques ou antisismiques et les normes à respecter pour les cyclones ne risquent-elles pas de se contredire ? Après avoir subi Irma, la population de Saint-Barthélemy a souhaité installer des blocs en béton sous toutes les toitures. Avec le concours des architectes, le principe d'une salle unique avec une charpente normale a été retenu, car un bloc en béton est sans doute moins souple qu'une charpente en bois en cas de séisme.

Après 40 ans d'activité sur l'île, les architectes connaissent l'ensemble des normes qu'il convient d'y respecter, mais disent être parfois confrontés, s'agissant d'une île touristique, à des promoteurs qui demandent par exemple des baies vitrées les plus grandes possibles, quels que soient les risques qu'ils feraient ainsi encourir aux habitants en cas de cyclone : ils demandent aux architectes de leur obéir, dès lors qu'ils les payent. Les collectivités ont leur responsabilité à cet égard, car des règles clairement établies s'imposeraient à tout le monde, y compris aux plus riches.

Enfin, le dernier rapport du GIEC sert de référence pour tout le monde. Or, je n'ai jamais réussi à le trouver en français.

M. Goneri Le Cozannet. - Le rapport que j'ai cité est le rapport à 1,5 degré. La traduction officielle du GIEC n'était pas encore disponible il y a une ou deux semaines.

En revanche, une traduction « citoyenne » en français du résumé aux décideurs du cinquième rapport du GIEC est actuellement disponible en téléchargement gratuit sur la page internet du GIEC.

M. Nicolas Taillefer. - Les règles d'urbanisme portent sur les zones constructibles ou non : dans le PPR, par exemple, les zones rouges sont inconstructibles. C'est pourquoi, dans les territoires à forte pression immobilière, elles ne sont réellement utilisées qu'en dernier recours.

Dès lors que les zones sont constructibles, des règles de construction s'appliquent, mais qui n'interdisent rien. Il n'y a donc pas d'incompatibilité entre les règles parasismiques et paracycloniques : il faut simplement prendre les deux en compte dans les constructions, pour parer aux deux aléas.

Dans l'exemple que vous citez, il n'y a par exemple aucun problème à construire avec une dalle de béton en toiture si le bâtiment est par ailleurs conçu selon des normes parasismiques : c'est ce que préconisera un guide des constructions parasismiques et paracycloniques. On sait ainsi construire des bâtiments parasismiques de plusieurs étages.

Certaines constructions, comme les baies vitrées paracycloniques, sont cependant plus difficiles à réaliser, même si elles restent possibles en théorie.

M. Michel Magras, président. - Dans le BTP, les normes professionnelles ne constituent que des recommandations.

M. Nicolas Taillefer. - Les normes parasismiques sont réglementaires. Les normes paracycloniques ne constituent en revanche que des recommandations.

M. Michel Magras, président. - Malheureusement, les assurances tendent à ne plus accepter d'assurer que les bâtiments répondant à l'ensemble des normes recommandées.

M. Guillaume Arnell. - Des spécialistes de toutes natures participent à la réflexion mondiale sur les risques et les normes. Ne sommes-nous pas trop tentés de nous croire en avance sur les autres ?

La prise en compte du risque est différente sur d'autres territoires nationaux comme le Japon, les États-Unis, et les Pays-Bas, qui ont su accepter les risques inhérents aux constructions sans nécessairement mettre en danger leurs populations : ne devrions-nous pas nous en inspirer en France ?

Enfin, selon vous, comment la nomination d'un délégué aux risques majeurs en outre-mer peut-elle contribuer au renforcement de la gouvernance sur les risques ?

M. Goneri Le Cozannet. - Le Cadre d'action de Sendai pour la réduction des risques, qui succède au Cadre d'action de Hyôgo, constitue un lieu pour échanger au niveau mondial sur les manières de limiter les risques. Il en ressort une nécessité de renforcer la prévention.

Cette discussion n'est cependant pas aussi bien structurée qu'au sein du GIEC sur le climat.

M. Nicolas Taillefer. - Il est important de veiller à la représentativité des territoires dans les retours d'expérience. Ce qui a été fait à Porto Rico après Irma doit par exemple être examiné en ayant conscience que la manière d'appréhender le risque aux États-Unis n'est pas la même qu'en France. Le système assurantiel y est très différent.

Le niveau de risque au Japon n'est pas du tout le même non plus qu'en France, y compris aux Antilles. Appliquer les normes japonaises en France n'aurait donc pas de sens.

Les retours d'expérience doivent donc être partagés sur les réponses organisationnelles et techniques à la crise, mais en tenant compte des spécificités des territoires. Pour la France métropolitaine, mieux vaut par exemple s'inspirer de ce qui se fait en Italie, et pour les îles, de ce qui se fait dans d'autres îles, avec des contextes normatifs et assurantiels différents.

M. Jean-Marc Mompelat. - Il faut rester ouvert aux diverses solutions existantes, à condition de pouvoir les intégrer à la réglementation.

Le cas de la Polynésie française, où le cadre institutionnel est différent, est intéressant à cet égard. Le PPR, qui y avait d'abord été adopté, y apparaît aujourd'hui inadapté, non seulement parce que les élus s'y opposent, mais aussi parce que les dispositifs catnat et assurantiels n'y sont pas les mêmes, de sorte que le texte n'y fonctionne plus de manière équilibrée avec les dispositions en vigueur ailleurs.

Face à ce constat d'échec, le ministre Bouissou a pris l'année dernière l'initiative de lancer une sorte de benchmark de ce qui se passe ailleurs, pour trouver un dispositif plus adapté à la Polynésie. Cette action est en cours et devra être suivie, car elle pourra être riche d'enseignements.

En revanche, j'avais insisté auprès de lui l'année dernière sur le fait que, même si un travail réglementaire sur l'approche du risque (la définition d'un « risque acceptable », etc.) est possible, une chute de bloc reste tout aussi meurtrière aux États-Unis et en France. L'approche du zonage et des aléas doit donc rester universelle, comme l'est la réalité physique des phénomènes. Seule l'utilisation qui en est faite peut gagner en souplesse. Or, en matière réglementaire, il est plus souvent plus difficile de défaire que de faire : c'est le problème que rencontre la Polynésie actuellement.

Nous avons rencontré le délégué ministériel aux risques majeurs en outre-mer lors de la dernière réunion, qu'il présidait, sur la crise de Mayotte. Au regard de la gestion souvent très centralisée des problèmes ultramarins (au ministère des outre-mer comme dans d'autres ministères), un niveau interministériel était sans doute nécessaire pour mieux coordonner la question des risques. Cette nomination me paraît donc utile.

M. Michel Magras, président. - Il me reste à vous remercier pour votre implication et vos propos. Nous serons ouverts à tous les compléments d'information que vous voudrez bien nous transmettre pour notre rapport.

J'ai particulièrement apprécié vos développements sur la notion de différenciation territoriale et la nécessité de tenir compte des réalités locales, des savoir-faire locaux en matière de construction et de la sociologie locale. Cela me semble crucial aujourd'hui.

Merci beaucoup Messieurs. Nous nous tiendrons informés.