Jeudi 16 mai 2019

Présidence de M. Roger Karoutchi -

La réunion est ouverte à 08 h 30.

Examen du rapport sur l'adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l'horizon 2050

M. Roger Karoutchi, président. - Aujourd'hui, nos collègues Ronan Dantec et Jean-Yves Roux présentent leur rapport sur l'adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l'horizon 2050, sur lequel la délégation à la prospective devra ensuite se prononcer.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - En préambule, je souhaiterais insister sur le fait que ce rapport vise à faire prendre conscience à tous les acteurs du terrain, qu'ils soient politiques, économiques, mais également à nos concitoyens, de la nécessité de prendre des mesures d'adaptation face au changement climatique. Deux politiques coexistent : la politique d'atténuation, qui vise à éviter les dérèglements climatiques, et la politique d'adaptation, qui cherche à limiter les impacts du changement climatique sur la société et les activités humaines. Elles ne doivent pas être opposées l'une à l'autre, d'autant qu'il est désormais évident que nous ne pourrons éviter une augmentation des températures de 2 ° C d'ici à 2050. En réalité, le fait de devoir s'adapter ne signifie pas qu'on renonce à atténuer la hausse des températures, objectif qui reste une priorité. En effet, si nous ne faisons rien, le réchauffement climatique devrait s'accentuer dans la seconde moitié du 21ème siècle. Un relèvement global des températures de 5° C entraînerait une crise géopolitique majeure qui toucherait l'ensemble de notre planète.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Pour s'adapter, il faut savoir à quoi s'adapter. La première partie de notre rapport a donc cherché à identifier les changements climatiques actuels et à venir, ainsi que les impacts de ces changements sur l'homme et la nature. Depuis trente ans, les effets du changement climatique sont devenus très visibles en France.

D'abord, on constate une hausse des températures moyennes. Sur la période 1959-2009, l'augmentation atteint + 0,3 °C par décennie. Les trois années les plus chaudes enregistrées depuis 150 ans sont postérieures à 2010. Toutes les régions françaises sont concernées, même si le réchauffement est plus accentué dans l'Est de la France.

Par ailleurs, on observe des vagues de chaleur plus fréquentes et plus fortes : les vagues de chaleur recensées depuis 1947 ont été deux fois plus nombreuses au cours des 34 dernières années qu'au cours des 34 années précédentes. Les cinq vagues de chaleur les plus longues et les quatre les plus sévères se sont produites après 1982. La canicule de 2003 reste cependant encore un événement exceptionnel.

Le niveau des précipitations moyennes annuelles en France n'a pas évolué depuis 1959. Toutefois, cette stabilité masque des changements très significatifs du régime des pluies entre les régions, d'une part, avec une baisse tendancielle des précipitations dans le Sud et une augmentation dans une grande moitié Nord, et entre les saisons, d'autre part, avec des printemps plus humides au Nord et des printemps et des étés plus secs dans le Sud.

La France est ainsi en voie de « méditerranéisation » : la région de Montpellier, dans laquelle la température moyenne estivale s'est accrue de 2,3° C en 30 ans, est passée de la catégorie climatique « méditerranéen subhumide » à la catégorie « méditerranéen semi-aride ». Valence est désormais passée en climat méditerranéen, tout comme Toulouse et Millau.

Une autre tendance climatique majeure est la hausse du niveau de la mer et des risques de submersion côtière.

Enfin, on constate des changements climatiques accélérés en montagne. Les glaciers reculent tandis que la baisse de l'enneigement est très marquée, particulièrement sous le seuil des 1800 mètres d'altitude.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Passons des constats actuels aux prévisions. Dès maintenant, il est possible de prédire avec beaucoup de fiabilité la situation climatique pour les 20 à 30 prochaines années : avec une hausse des températures de + 2 ° C, nous serons confrontés à des vagues de chaleur plus fréquentes et plus longues, le niveau de la mer continuera à monter, tandis que la tendance à la diminution de l'enneigement se poursuivra. La France se caractérisera également par des situations chroniques d'extrême sécheresse des sols du fait d'une évapotranspiration plus importante.

La situation climatique à plus long terme, d'ici la fin du siècle, est moins prévisible et dépendra des efforts accomplis dans les prochaines années pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre : certains scénarios prédisent une stabilisation de la situation, d'autres une accélération du dérèglement climatique. En cas de poursuite des émissions globales au rythme actuel, la situation pourrait devenir alarmante pour la France qui serait écrasée de chaleur, subirait des vagues de chaleur extrême et serait confrontée à une hausse du niveau de la mer proche d'un mètre. Au-delà de la France, l'ensemble de la planète serait confronté à une forte hausse des températures moyennes, des vagues de chaleur extrêmes, avec des risques de crise alimentaire généralisée et de conflits armés.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Compte tenu des changements climatiques en cours, nous avons souhaité comprendre les effets de ces changements sur les sociétés humaines et sur la nature.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je commencerai par les effets sanitaires. La hausse des températures va entraîner une surmortalité et une baisse de l'espérance de vie, mais également une recrudescence des pathologies liées à la pollution de l'air, une augmentation des risques allergiques, la prolifération de certaines algues, comme les cyanobactéries, avec des risques non négligeables de contamination de l'eau potable. Le réchauffement climatique a également un impact sur les risques naturels. Le risque incendie va s'intensifier et se généraliser à l'ensemble du territoire, obligeant des régions qui ignoraient ce risque à s'y préparer. Les risques de submersion permanente ou temporaire vont également s'aggraver, d'autant que la modification des régimes des vents va conduire à une montée des vagues et de la houle.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - La hausse des températures va également avec un impact négatif sur les ressources hydriques. D'un côté, l'évapotranspiration et le changement du régime des précipitations vont réduire la quantité de pluie qui alimente les cours d'eau et les nappes phréatiques. De l'autre, la hausse des températures entraîne une augmentation des besoins de prélèvements en eau, notamment pour l'irrigation et le soutien d'étiage des cours d'eau. Le rapport Explore 70 réalisé par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) constate que la recharge des nappes pourrait être réduite de 25 % à 30 % dans le bassin de la Loire et de 30 % à 50 % dans le Sud-Ouest vers 2050. De même, les débits des cours d'eau pourraient être réduits de 30 % à 60 % en moyenne. En l'absence de mesures d'adaptation des politiques de l'eau, on s'oriente donc vers des pénuries et des conflits entre les usages : comment maintenir à la fois l'alimentation en eau potable, préserver la qualité des eaux et des milieux aquatiques, irriguer les cultures, assurer la navigation et refroidir les centrales nucléaires ?

L'agence de bassin Adour-Garonne a réalisé une étude prospective, « Garonne 2050 », qui conclut que, dans ce territoire déjà en situation de fort stress hydrique, même en restreignant tous les usages, il ne sera pas possible de faire face aux besoins sans développer fortement le stockage de l'eau. Le besoin sur ce seul bassin est estimé à 300 millions de mètres cube dans le scénario médian, ce qui est considérable !

Si le changement climatique risque de perturber de nombreux secteurs économiques, tels que ceux de l'énergie, des transports, du tourisme, notamment en montagne, l'agriculture est cependant le plus directement affecté à travers la stagnation des rendements, la baisse de la qualité nutritive, la modification de la phénologie pour les cultures comme les arbres fruitiers ou la vigne, la modification de la qualité organoleptique des produits ou encore la dégradation de la santé animale et végétale. Par ailleurs, le réchauffement climatique va entraîner une très forte aggravation de la sécheresse des sols, dont la durée moyenne devrait passer de deux mois actuellement à quatre mois vers 2050. Or, la sécheresse a des effets terribles sur la production agricole et sur l'élevage, comme le montre l'exemple de la sécheresse de 2018.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Notre rapport s'attache à faire des propositions pour nous adapter aux dérèglements climatiques. Un constat, tout d'abord : nous ne partons pas de rien en matière de politique d'adaptation. Depuis dix ans, les connaissances sur le changement climatique et ses impacts ont fortement progressé et les politiques d'adaptation au changement climatique ont été régulièrement mises à jour. Ainsi, depuis la canicule de 2003, de réels progrès ont été réalisés dans la gestion des vagues de chaleur. Par ailleurs, de nombreux acteurs sont déjà impliqués dans les politiques d'adaptation, qu'il s'agisse de la communauté scientifique (BRGM, Institut national de la recherche agronomique, etc.) et de divers opérateurs comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ou le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Toutefois, certains acteurs du terrain, tels que les collectivités territoriales, ne sont pas encore suffisamment sensibilisés aux enjeux d'adaptation au changement climatique alors qu'il faut au contraire décliner les politiques d'adaptation dans tous les territoires et dans tous les secteurs économiques. De même, l'opinion publique reste encore trop focalisée sur les politiques d'atténuation des dérèglements climatiques, même si une inflexion semble en train de s'opérer.

Afin de donner un nouvel élan aux politiques d'adaptation, nous effectuons quatre recommandations stratégiques déclinées en 18 propositions.

D'abord, il nous paraît indispensable d'inscrire plus activement l'adaptation au changement climatique dans le débat public. Pour atteindre cet objectif, il faut mieux utiliser les lieux institutionnels dans lesquels se construit le débat sociétal, tels que le Parlement, le Conseil économique social et environnemental (CESE) ou encore le Conseil national de la transition écologique (CNTE), dont j'ai l'honneur de présider la commission spéciale chargée de l'orientation de l'action de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC).

Par ailleurs, nous devons renforcer l'accompagnement par l'État des collectivités et des acteurs économiques. Si l'État met à la disposition des acteurs du terrain une « boîte à outils » déjà bien fournie, il y a encore des trous dans la raquette. Ainsi, en dépit des annonces faites dans le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) de 2018, Hervé le Treut nous a confié qu'aucun crédit n'était affecté au programme « gestion et impacts du changement climatique ». Il n'existe donc pas aujourd'hui d'action de recherche nationale interdisciplinaire destinée à créer l'expertise nécessaire pour affronter la crise des territoires face au réchauffement climatique.

Afin d'assurer la diffusion des connaissances et de donner aux collectivités territoriales des outils statistiques pour définir leurs politiques d'adaptation, nous avançons une proposition forte : garantir un accès gratuit à toutes les données climatiques, et notamment aux scénarios climatiques régionalisés de Météo-France.

Pour accélérer la déclinaison des politiques d'adaptation dans les collectivités et les filières économiques, la démarche de prospective régionale lancée par la région Nouvelle Aquitaine nous paraît être un modèle qui mériterait d'être généralisé.

Il est également nécessaire de progresser dans la quantification de l'effort financier indispensable aux politiques d'adaptation. Cette quantification n'est pas facile, car, pour une large part, l'effort à fournir peut s'intégrer dans les investissements courants. Un des enjeux majeurs de l'adaptation est de faire en sorte que ces derniers prennent pleinement en compte la problématique du changement climatique. Le secteur du bâtiment est un exemple pertinent. En effet, les constructions réalisées aujourd'hui ont vocation à perdurer pendant plusieurs décennies. Il est donc essentiel de les concevoir et de les réaliser pour qu'elles soient adaptées au réchauffement climatique. Si on cherche à les adapter après, l'adaptation sera plus coûteuse et moins efficace.

Pour être acceptées à la fois par la population et les territoires, les politiques d'adaptation devront mettre en place des outils de mutualisation des coûts et de solidarité financière pour soutenir les populations, les secteurs d'activité ou les territoires les plus exposés aux impacts du changement climatique ou les moins bien armés pour y faire face. Un des enjeux est de faire du secteur assurantiel un levier de l'adaptation. La prise en charge par les assurances du coût des sinistres devrait pouvoir être modulée afin d'inciter l'adaptation du bâti aux changements climatiques. Actuellement, les règles d'indemnisation peuvent constituer un frein aux politiques d'adaptation. Il faut au contraire les transformer en levier.

En ce qui concerne le rôle respectif des collectivités territoriales dans les politiques d'adaptation au dérèglement climatique, les régions doivent être confortées dans leur rôle d'orientation stratégique. Par ailleurs, il convient de faciliter la déclinaison opérationnelle des politiques d'adaptation par les intercommunalités. Enfin, les autres niveaux d'organisation territoriale doivent également être associés dans la conception et la mise en oeuvre de ces politiques.

Enfin, la dernière recommandation stratégique du rapport est d'accentuer l'effort national dans quatre domaines d'adaptation complexes et sensibles : un soutien renforcé aux territoires les plus vulnérables au changement climatique ; une politique ambitieuse d'adaptation au bâti ; la mise en place de politiques de l'eau qui tiennent compte du changement climatique ; l'instauration d'un plan national d'adaptation de l'agriculture.

Dans ce secteur, il n'y a pas encore de stratégie d'adaptation au niveau des filières. Il faut dépasser le cadre des actions pionnières individuelles. Il faut également raisonner en ne se limitant pas à l'adaptation des seuls agriculteurs. L'adaptation de l'agriculture est en effet autant l'affaire des grandes coopératives, des industriels, des distributeurs et des consommateurs que celle des agriculteurs. J'insiste aussi sur l'urgence des transformations à opérer. Les impacts agricoles du changement climatique sont là et modifient déjà profondément les paramètres économiques de l'activité. Par exemple, la sécheresse de 2018 a mis en relief les faiblesses du modèle économique de l'élevage dans le Limousin, qui n'est plus viable dès lors que le fourrage doit remplacer les pâturages.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - La montagne est l'un des territoires les plus vulnérables au changement climatique qui s'y produit en accéléré. C'est dans les Alpes que la hausse des températures est la plus rapide. Cela affecte non seulement la biodiversité, mais également des activités au coeur de l'identité et de l'économie des territoires de montagne, à savoir le pastoralisme et le tourisme lié au ski. Le réchauffement climatique fragilise le pastoralisme. Il faut donc accompagner les éleveurs pour s'adapter au nouveau climat. La réduction de l'enneigement, surtout en moyenne montagne, menace l'économie du ski. Avec l'appui technique de Météo-France, Atout-France a publié une étude sur les perspectives climatiques des massifs à l'horizon 2030-2080. Elle montre qu'en 2030, à 1 500 mètres d'altitude, seuls quelques massifs (Jura, Vosges, Alpes du Nord et du centre) pourraient encore disposer d'une couverture neigeuse assez épaisse, pendant une durée suffisante, pour garantir la pérennité de l'offre touristique hivernale. Même à 1 800 mètres, les Alpes méridionales et les Pyrénées, hormis leur partie occidentale, ne seraient pas tout à fait certaines de disposer d'un manteau neigeux suffisant pour la pratique du ski. Il faut donc s'engager dans une diversification de l'offre touristique, et notamment vers un tourisme de quatre saisons en moyenne montagne.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Le littoral est également très menacé par le réchauffement climatique, notamment du fait du retrait progressif du trait de côte. Le problème est connu des pouvoirs publics. Certaines décisions sont difficiles à prendre, comme déclarer des zones déjà construites non constructibles, et exigent un effort de solidarité, en particulier pour le financement des relocalisations. En ce qui concerne les terrains en bord de mer, des mesures temporaires devraient pouvoir être prises - établir un régime spécifique d'occupation temporaire - avec des constructions qui se démonteraient. Ce sujet, en raison de sa complexité et de ses enjeux financiers, pourrait figurer dans le chantier d'une loi- cadre sur l'adaptation au climat.

Un autre sujet qui a vocation à figurer dans un tel texte est celui de l'adaptation du bâti. C'est un enjeu primordial pour assurer la viabilité des villes en 2050-2100. Dès aujourd'hui, il faudrait adapter le bâti pour lutter contre les îlots de chaleur urbains. Cela signifie concrètement intégrer l'enjeu de la canicule dans la culture urbanistique et architecturale, promouvoir la végétalisation des villes, encourager les techniques de production de froid durable, notamment par géothermie, pour éviter la prolifération des climatiseurs. Or, il apparaît que la stratégie de la ville durable à l'heure du changement climatique est loin d'être arrêtée. L'urbanisme doit également mieux prendre en compte les risques d'inondation, notamment en développant des normes de construction anti-inondations applicables en zones inondables. Cela demande de faire des choix, à une époque où les normes sont considérées comme des obstacles.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Le changement climatique nous oblige à adapter nos politiques de l'eau : c'est le troisième chantier qui appelle une attention particulière. Pour faire face aux tensions sur les ressources hydriques, la stratégie est claire. La première priorité, c'est de développer des usages plus parcimonieux de l'eau : améliorer le rendement des réseaux d'eau potable et d'irrigation, développer les équipements hydro-économes ou de récupération des eaux de pluie, faire évoluer les pratiques des acteurs économiques, notamment dans le secteur agricole. La deuxième priorité, c'est de développer des politiques de l'eau fondées sur la nature, telles que la désartificialisation des sols et la préservation des zones humides, qui permettent d'optimiser la recharge des nappes et de lutter contre les inondations. Ces deux priorités impliquent une priorité budgétaire : préserver le budget des agences de l'eau. Elles impliquent également de mettre en place des mécanismes de tarification de l'eau cohérents.

Toutefois, il n'est pas certain que le respect de ces deux priorités suffise à résoudre les problèmes de pénurie d'eau et, dès maintenant, il apparaît clairement qu'il ne sera pas possible de faire face partout aux besoins sans développer le stockage de l'eau. La question du stockage hivernal de surface doit donc être clairement incluse dans le débat public. Elle doit être traitée de manière pragmatique et responsable, en évitant les postures. Il est possible d'y parvenir dans le cadre d'une démarche de projet de territoire, dans laquelle tous les acteurs concernés construisent une vision partagée de l'avenir de leur territoire et font les compromis nécessaires. Le rapport cite l'exemple des Deux-Sèvres, qui peut servir de modèle sur ces questions.

Enfin, notre rapport insiste sur un quatrième chantier : l'adaptation du secteur agricole. Au niveau technique, les solutions adaptatives sont relativement bien identifiées : décalage de la date des semis, innovation variétale, optimisation des méthodes d'irrigation, mutation structurelle vers l'agroécologie et l'agroforesterie, ainsi que recomposition de la carte des cultures en France. La difficulté réside dans la mutation économique des filières agricoles : elle implique des coûts, des investissements, ainsi qu'une capacité à faire évoluer ensemble non seulement les exploitations agricoles, mais également tous les acteurs de chaque filière. Une telle mutation n'est pas réalisable sans l'appui des pouvoirs publics. C'est la raison pour laquelle nous proposons la mise en place d'un plan national d'adaptation de l'agriculture au changement climatique, dont l'enjeu serait de faire de l'agriculture un atout dans la transition climatique et de préserver la souveraineté alimentaire de la France. Les objectifs de ce plan seraient les suivants : mieux rémunérer les services environnementaux rendus par l'agriculture, notamment en mobilisant des fonds sur le pilier 2 de la politique agricole commune ; fixer aux chambres d'agriculture une mission d'accompagnement des agriculteurs dans la transition climatique ; intégrer l'enjeu de l'irrigation et du stockage de l'eau de manière responsable, en conditionnant le stockage à l'évolution des pratiques agricoles. Selon moi, grâce aux nombreux services agrosystémiques qu'elle peut rendre à l'homme et à la nature, une agriculture qui saura se transformer n'est pas le problème mais une grande partie de la solution aux défis de la transition climatique.

M. Roger Karoutchi, président. - Je tiens à féliciter nos deux rapporteurs pour l'excellent rapport qu'ils nous ont présenté. Je suis convaincu que la délégation à la prospective a tout intérêt à axer ses travaux futurs sur ce type de sujet. Par ailleurs, je soutiendrai toutes les mesures que nous proposeront les rapporteurs pour assurer le suivi de leurs travaux. Sur le sujet du changement climatique, ils nous ont démontré que la réalité peut dépasser la fiction. Je vais maintenant ouvrir le débat.

M. Alain Fouché. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur exposé. La planète n'a jamais paru aussi en danger qu'aujourd'hui. Je me demande si vous n'êtes pas optimistes lorsque vous repoussez au-delà de 2050 l'accélération des changements climatiques. Vous avez insisté sur les mesures que devrait prendre la France pour s'adapter aux dérèglements climatiques. Mais quel rôle doivent jouer les autres pays pour faire face à cet enjeu planétaire ?

M. Didier Rambaud. - Je suis élu d'un département alpin et préoccupé par l'avenir des stations de ski. Vous avez évoqué le seuil de 1 800 mètres en-deçà duquel l'enneigement risque de ne plus être suffisant pour permettre la pérennité des activités touristiques liées au ski. Cela signifie concrètement qu'en Isère, sur les 25 stations de ski, seules deux - les Deux Alpes et l'Alpe d'Huez - continueraient à bénéficier d'un manteau neigeux suffisant.

M. Julien Bargeton. - Merci pour ce rapport, qui me paraît faire le lien avec le rapport que j'avais corédigé sur les solidarités de demain face à la nouvelle donne générationnelle. Vous n'avez pas évoqué cet aspect, mais en ce qui me concerne, je suis très frappé par la mobilisation des jeunes qui sont nombreux à exprimer, à travers des grèves et des manifestations, le fait qu'il ne vaut même plus la peine d'étudier et de se former, dans la mesure où on n'est pas sûr que la planète sera encore viable dans quelques décennies.

Je voudrais évoquer un autre sujet qui me tient à coeur, à savoir climat et numérique. Je suis persuadé que le numérique peut être un outil pour nous permettre de nous adapter au changement climatique. Ce sujet mériterait peut-être un rapport complémentaire. Par ailleurs, je suis impressionné par le décalage entre la prise de conscience des enjeux liés aux dérèglements climatiques et les difficultés pour passer à l'acte et prendre des décisions, notamment en raison de la question de leur financement. En ce qui concerne le bâti par exemple, depuis des années, les gouvernements successifs prévoient des milliards d'euros pour la rénovation thermique des immeubles. Or, peu de copropriétés se lancent dans ce genre de travaux. Est-ce que la question du financement de la transition énergétique ne mériterait pas une étude spécifique ?

Mme Michèle Vullien. - Vous avez cité la région Nouvelle Aquitaine, mais la région Rhône-Alpes-Auvergne a également mis en place un plan climat ainsi qu'un plan de protection de l'atmosphère. Par ailleurs, nous avions mis en oeuvre un agenda 21, dispositif dont on ne parle plus aujourd'hui mais qui avait l'avantage de développer des initiatives très concrètes et de contribuer à modifier nos pratiques. Il existe donc une véritable prise de conscience des enjeux par les collectivités territoriales, et ce depuis plusieurs années. Désormais, il faut insister sur le changement des pratiques, ce qui nécessite une action interministérielle. À ce sujet, je note qu'un décret du 15 mai 2019 crée le conseil de défense écologique, qui propose de réunir régulièrement, autour du Président de la République, le Premier ministre ainsi que les principaux ministres chargés de la transition écologique et les opérateurs de l'État mobilisés sur ce sujet. Certes, l'adaptation au changement climatique nécessite de l'argent, mais il revient également à chaque collectivité territoriale de développer des pratiques vertueuses.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je ne partage pas le point de vue des « collapsologues » qui me paraissent néfastes, parce qu'ils tétanisent l'action et basent leurs propos sur des présupposés erronés, à savoir l'arrêt de l'économie en raison de la fin du pétrole d'ici 2035. Moi, je pars du principe que la crise n'est pas une crise énergétique - il existe un gisement d'énergies renouvelables qui sont à notre disposition -, mais climatique. En ce qui concerne nos prévisions pour 2050, nous nous appuyons sur le fait que depuis 1959, la planète s'est réchauffée d'un peu plus d'un degré. On ne va pas de nouveau gagner un degré en dix ans. Il nous reste donc vingt à trente années pour prendre des mesures dans un monde qui deviendra certes de plus en plus hostile, mais qui ne va pas s'effondrer à cette échéance. Il est difficile d'anticiper les conséquences géostratégiques du réchauffement climatique au niveau international. Tant que ce réchauffement reste cantonné à un ou deux degrés, les crises régionales risquent de se multiplier - la crise syrienne est liée au climat -, mais nous ne serons pas confrontés à une crise internationale majeure. En revanche, une augmentation des températures de quatre à cinq degrés conduit à un scénario beaucoup plus pessimiste.

En ce qui concerne les difficultés à élaborer une stratégie, c'est en grande partie lié au fait qu'on a longtemps méconnu l'importance d'une politique d'adaptation, volontairement délaissée au profit des politiques d'atténuation et de réduction des émissions avec lesquelles on pensait qu'elle entrait en concurrence. C'est par exemple ce qui s'est passé à Nantes, même si le plan climat mis en place il y a vingt ans a permis de diminuer de 30 % les émissions de gaz à effet de serre. On n'a pas souhaité insister sur les politiques d'adaptation de peur qu'elles empêchent de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique. Aujourd'hui, il est impératif de réhabiliter les politiques d'adaptation. En ce qui concerne l'échec des politiques d'atténuation au niveau du bâti, je l'explique par l'inadaptation des modes de financement proposés. Ainsi, c'est un leurre de proposer un taux zéro à des personnes qui peinent à finir leurs fins de mois. Cela permet de faire des annonces mais l'argent provisionné est récupéré par le ministère des finances à la fin de l'exercice budgétaire. L'adaptation du bâti au changement climatique passe par l'adoption de nouvelles normes, ce qui n'est pas consensuel. Il faut donc un débat national sur ce sujet, ainsi que sur le financement de la transition agricole. J'insiste également sur le rôle des assureurs : moduler les indemnisations en fonction des efforts faits par les victimes de sinistres pour s'adapter au changement climatique doit être une priorité.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Il est évident que les mesures d'adaptation au dérèglement climatique doivent être défendues au niveau européen.

En ce qui concerne les conséquences du réchauffement climatique sur les activités économiques liées au ski, nous avançons des prévisions qui mériteraient d'être précisées par massif montagneux, mais aussi à un niveau plus fin. À altitude et latitude identiques, l'enneigement varie en effet fortement en fonction de circonstances très particulières comme l'exposition ou la pente. Il faut donc se garder de prévisions trop générales et faire des diagnostics locaux précis, station par station, des impacts futurs du changement climatique. Les stations de ski, notamment celles de moyenne montagne, ont beaucoup investi pour faire face à un moindre enneigement, notamment à travers les canons à neige. Toutefois, les pouvoirs publics devront les soutenir pour accompagner leur transformation.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - A cet égard, je ferai remarquer qu'à l'issue de nos auditions, nous avons constaté que le secteur du tourisme était certainement celui qui était le plus en retard dans l'anticipation des conséquences inévitables liées au changement climatique.

Mme Christine Lavarde. - Dans les zones densément peuplées aussi, les pouvoirs publics s'intéressent aux répercussions du changement climatique. Je constate que votre rapport y consacre un nombre de pages limité. Est-ce parce qu'on manque de données ou, au contraire, vous avez estimé que le sujet était déjà suffisamment bien documenté ? J'en profite pour souligner que les villes et le numérique peuvent être à l'origine de certaines innovations. Ainsi, j'ai eu l'occasion de visiter une start up qui a développé des radiateurs alimentés par l'énergie de microprocesseurs utilisés pour réaliser les calculs des data centers.

Mme Maryse Carrère. - Je voudrais revenir sur trois points.

D'abord, le déficit en eau. Vous avez évoqué l'étude Garonne 2050 qui montre que les débits des cours d'eau pourraient être réduits de 50 %. Vous avez souligné qu'on ne pourra pas se passer d'ouvrages nouveaux si on veut lutter efficacement contre la pénurie d'eau. Or, la création de nouvelles réserves d'eau est loin de faire consensus.

En ce qui concerne la diversification nécessaire des stations de ski vers un tourisme de quatre saisons, elle a déjà été lancée depuis plusieurs années. Toutefois, elle se heurte à une réalité économique : dans les Hautes Pyrénées, le ski représente 650 millions d'euros. C'est le deuxième secteur touristique après Lourdes. En revanche, le tourisme d'été ne représente que 20 millions d'euros. On voit donc les limites du tourisme quatre saisons. Par ailleurs, les stations de ski se sont adaptées grâce à la neige de culture. Certes, il y a peut-être moins de neige globalement, mais avec des chutes ponctuelles massives qui permettent de drainer des touristes.

En ce qui concerne le rôle des assurances, je partage entièrement votre opinion. Je vous rappelle la mission d'information menée par notre collègue Nicole Bonnefoy sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation. Dans ce cadre, nous avons entendu des architectes qui insistaient sur leur responsabilité dans le développement de la résilience des bâtiments face aux risques climatiques, notamment aux inondations.

Mme Françoise Cartron. - La Nouvelle Aquitaine cumule beaucoup de problématiques liées au changement climatique, et notre stratégie doit se fonder sur trois piliers : quelle adaptation aux dérèglements climatiques ? Quelle réparation face aux sinistres ? Quelle physionomie pour nos villes côtières ? Je pense par exemple à la station balnéaire de Lacanau qui doit repenser la moitié de son urbanisme. Il faut donc anticiper les réaménagements. Par ailleurs, l'adoption d'une loi sur le trait de côte est indispensable afin de pouvoir geler des permis de construire dans certaines zones et de pouvoir renforcer dans les actes de vente les informations sur les zones à risque afin, notamment, d'éviter certaines indemnisations dans trente ou quarante ans. Par ailleurs, est-ce que vous vous êtes penchés sur les conséquences du changement climatique sur les vignobles ? Il semblerait que les qualités organoleptiques du vin pourraient être affectées. Je tiens également à féliciter l'ensemble des collègues qui ont soutenu la création d'un programme « Indemnisation des propriétaires de biens immeubles rendus inhabitables par l'érosion côtière » dans la mission « écologie, développement et mobilité durables » dans le projet de loi de finances pour 2019. Enfin, je m'associe aux rapporteurs pour souligner le manque de précision sur les montants financiers nécessaires pour adapter notre société et notre économie au changement climatique. C'est un travail de prospective très important.

M. René-Paul Savary. - Je note que le principe d'adaptation peut quand même aller à l'encontre du principe de précaution.

Le changement climatique exige une véritable solidarité entre les villes, qui concentrent les besoins en eau ou en énergie, et les campagnes, dans lesquelles sont construits les ouvrages et les infrastructures. L'adaptation au changement climatique nécessite également une réorganisation des filières. Ainsi, le développement des éoliennes n'a pas profité à l'industrie française. Par ailleurs, la modulation des indemnisations préconisée par le rapport ne doit pas concerner uniquement le monde agricole, mais également le secteur du bâtiment.

M. Jean-Luc Fichet. - La question du tourisme a été abordée. Il y a des changements de comportement qui se traduisent par un intérêt accru pour la randonnée. Pour autant, on constate que la stratégie d'allongement des saisons n'a pas de succès auprès des touristes. Le développement du tourisme de quatre saisons exige une réorientation de nos rythmes de vie. En ce qui concerne le retrait du trait de côte, les stratégies peuvent varier d'un territoire à l'autre, certains adoptant des politiques plus vertueuses que d'autres. Par ailleurs, on observe une évolution des mentalités chez les nouvelles générations, qui sont beaucoup moins impressionnées par la technique des engins à moteur, que ce soit les tracteurs, les voitures ou les bateaux, et ont développé une conscience environnementale beaucoup plus aigüe que les anciennes générations. On peut espérer qu'ils aient des comportements plus exemplaires.

Mme Sylvie Vermeillet. - Dans le cadre du travail de révision de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE), ne faudrait-il pas créer une compétence générale en matière de changement climatique à destination de l'ensemble des collectivités territoriales ?

M. Jean-Pierre Moga- En Nouvelle Aquitaine, nous avons depuis longtemps conscience des conséquences du changement climatique sur la gestion de l'eau. Il faut réfléchir à un stockage sous-terrain de l'eau de ruissellement. De manière générale, l'eau doit être économisée en hiver afin de pouvoir l'utiliser l'été pour refroidir les villes et les communes, notamment à travers leur végétalisation. Dans des zones industrielles autour d'Agen, nous avons ainsi réussi à faire baisser la température de 4 degrés en été. La loi sur l'eau devra également être modifiée pour favoriser le stockage de l'eau.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Notre rapport traite de l'enjeu des politiques de lutte contre les îlots de chaleur. Il existe toute une documentation sur ce sujet. Les freins sont cependant moins techniques que politiques et financiers. C'est un sujet complexe et les solutions proposées soulèvent des dilemmes qui devront être tranchés par le débat public. Ainsi, la végétalisation des villes et leur moindre densification permet de s'adapter au dérèglement climatique. Toutefois, cette stratégie est consommatrice de terres agricoles, peut favoriser le développement des moustiques et augmenter les risques d'allergie.

La gestion de la pénurie d'eau crée également des conflits. Aussi, dans notre rapport, nous ne préconisons pas uniquement le développement du stockage de l'eau. Cette solution doit s'accompagner d'une mutation de l'agriculture vers l'agroécologie. En réalité, les enjeux climatiques nous contraignent à définir un nouveau contrat sociétal.

En ce qui concerne le tabou sur le tourisme, il s'explique par la peur des pouvoirs publics de voir les investissements s'arrêter si la situation qu'ils présentent effraie les investisseurs. Le maintien d'un tabou autour du tourisme permet actuellement de maintenir la dynamique économique, mais jusqu'à quand ? En ce qui concerne l'or blanc par exemple, si les investissements privés se concentrent dans les stations de haute montagne, qui resteront rentables malgré le changement climatique, les pouvoirs publics soutiennent les stations de moyenne montagne menacées économiquement par la réduction de l'enneigement. C'est peut-être un signe que les décisions de marché commencent à intégrer des anticipations défavorables liées au réchauffement. En ce qui concerne la révision de la loi NOTRE, il me paraît inutile de donner à toutes les collectivités une compétence générale en matière de changement climatique dans la mesure où les régions ont vocation à impulser cette politique au niveau des territoires. Enfin, si nous avons constaté que beaucoup d'acteurs sont mobilisés autour de la question de l'adaptation au changement climatique, la tendance est forte de travailler en silo, pratique à laquelle il faut mettre un terme pour être efficace et développer une stratégie globale.

La délégation autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information sous le titre « Adapter la France aux dérèglements climatiques à l'horizon 2050 : urgence déclarée ».