Mercredi 20 février 2019

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 15.

Contrôle budgétaire - Service militaire adapté - Communication

M. Vincent Éblé, président. - Nous en venons à la présentation par Nuihau Laurey et Georges Patient, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Outre-mer », des résultats du contrôle qu'ils ont réalisé sur le service militaire adapté.

M. Nuihau Laurey, rapporteur spécial. - Avec mon collègue Georges Patient, nous avons décidé de nous pencher sur un des principaux dispositifs financés par la mission « Outre-mer », le service militaire adapté ou SMA. Nous avons choisi de nous déplacer à Mayotte car ce territoire connaît la situation la plus difficile, notamment en termes de chômage des jeunes. C'est le territoire où la problématique de l'insertion socioprofessionnelle est la plus complexe. Le SMA est un outil militaire créé en 1961, placé sous la direction du ministère des outre-mer. Il a pour mission principale de faciliter l'insertion dans la vie active des jeunes adultes ultramarins volontaires en situation de marginalisation. À cet effet, il propose, sous statut de volontaire dans les armées et dans un cadre militaire, un parcours socioprofessionnel destiné à renforcer leur employabilité. La formation, d'une durée moyenne d'un an, s'articule autour d'une remise à niveau dans les savoirs de base, d'une éducation citoyenne, d'une formation aux premiers secours et d'une préformation professionnelle, avec un parcours sanctionné par un diplôme et, enfin, le passage du permis de conduire. C'est un dispositif original et efficace.

Le dispositif apparaît comme particulièrement performant, puisque le taux d'insertion (stagiaires en emploi ou en poursuite de formation) des volontaires stagiaires atteint des niveaux très satisfaisants, entre 74 et 77 % sur les sept dernières années, eu égard aux caractéristiques socio-économiques des outre-mer et des jeunes sélectionnés, sur lesquelles reviendra plus précisément Georges Patient. Certains territoires, comme Mayotte, dépassent même les 90 % d'insertion réussie. Les résultats montrent en outre une tendance à l'augmentation de la qualité de l'insertion révélée, dans la quasi-totalité des territoires, par la part croissante des emplois durables. Ainsi, la part des volontaires stagiaires bénéficiant d'un emploi durable (CDI ou CDD long) dans les six mois suivant la fin de leur formation au SMA a augmenté de près de 20 points entre 2013 et 2016, passant de 34 à 53 %.

L'efficacité du dispositif repose en partie sur sa grande capacité à s'adapter aux besoins locaux. Les cadres du SMA entretiennent de manière permanente des liens de travail sur le développement des filières et les compétences à acquérir, avec les employeurs locaux. Lors de notre déplacement à Mayotte, nous avons ainsi pu assister au Conseil de perfectionnement (CP), qui se tient annuellement au sein de chaque SMA, et permet d'adapter les différentes formations aux débouchés, et en constater l'efficacité.

Ce dispositif revêt aujourd'hui une importance particulière, car il a connu une importante montée en puissance ces dernières années, sous le nom de « SMA 6000 ». En 2009, alors que le département de la Guadeloupe traversait une crise sociale, le gouvernement a décidé de doubler les effectifs accueillis par le SMA, qui sont donc passés de 3 000 en 2010 à 6 000 en 2017.

Dans ce contexte, les crédits du SMA ont connu une augmentation de plus de 60 % depuis 2010, atteignant 222,42 millions d'euros en crédits de paiement (CP) en 2017. Le coût moyen d'une formation au SMA s'élève à 36 740 euros en 2017. Ce coût a subi, au cours des dernières années, une baisse importante, qui est en réalité davantage imputable à l'abaissement de la durée des formations concomitante à « SMA 6000 », qui a permis d'en diminuer le coût unitaire. En neutralisant l'effet de la diminution de la durée de la formation, son coût reste stable. La Cour des comptes, qui a adressé cette année, dans son rapport public annuel, un satisfecit au dispositif, relève que le coût annuel est proche du service militaire volontaire (SMV) et supérieur à celui de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE), aux emplois d'avenir ou à l'apprentissage. Cette comparaison nous semble toutefois devoir être nuancée notamment par l'existence de charges majorées en outre-mer, en matière de fonctionnement, de construction et de rémunération des effectifs d'encadrement, pouvant expliquer des surcoûts atteignant 50 % du montant des opérations et par l'implication du SMA dans la lutte contre les addictions et l'illettrisme.

Au total, notre rapport décrit un dispositif dont l'efficacité est établie et reconnue par l'ensemble des acteurs sur le terrain. D'importants défis restent toutefois à relever pour l'avenir.

Le principal enjeu porte sur le redéploiement des effectifs de volontaires du SMA en fonction des évolutions sociales et démographiques propres à chaque territoire. Jusque-là, la montée en puissance du SMA s'est faire de manière relativement homogène selon les territoires, en proportion des effectifs historiques. Nous estimons, à ce titre, que « SMA 6 000 » n'a pas suffisamment pris en compte les évolutions propres à chaque territoires. Le SMA connait ainsi des difficultés de recrutement dans les Antilles, en raison de l'épuisement des « viviers » de jeunes éligibles. Les taux de sélection y apparaissent ainsi proches du plancher, respectivement à 1,3 et 1,2 candidature par place en Guadeloupe et en Martinique. Dans les Antilles, la concurrence avec des dispositifs visant la même fin, bien que totalement distincts dans leurs modalités, comme la Garantie jeunes est également problématique et les classes des centres de formation des apprentis sont parfois loin d'être complètes.

Réciproquement, certains territoires, comme Mayotte, la Nouvelle Calédonie ou la Polynésie française connaissent une forte demande, se traduisant par des taux de sélectivité plus élevés.

Nous plaidons donc pour qu'une redéfinition stratégique de l'ampleur des promotions du SMA en fonction de l'évolution sociale et démographique de chaque territoire soit effectuée. Cette redéfinition pourrait utilement prévoir un redéploiement des effectifs de volontaires des zones « excédentaires » (par exemple, les départements des Antilles) vers des zones « déficitaires » (comme la Nouvelle-Calédonie, La Réunion ou Mayotte).

Nous proposons également des ajustements plus ciblés, visant à renforcer l'employabilité à long terme des jeunes volontaires du SMA. L'objectif « SMA 6000 » atteint, un nouvel horizon a été défini par la ministre des Outre-mer en février 2018, dénommé « SMA 2025 », lequel « vise à investir pour une employabilité durable au service des jeunes et des entreprises des outre-mer ». Dans ce cadre, nous proposons de revenir sur le raccourcissement des formations du SMA (les formations les plus longues étant celles connaissant le meilleur taux d'insertion) et de renforcer prioritairement le suivi des volontaires du SMA au-delà des 6 mois, et le différencier par type de formation et de débouché, afin de veiller à l'amélioration réelle de l'employabilité des stagiaires sur le long terme.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Je m'associe pleinement aux observations de mon collègue Nuihau Laurey ; le SMA constitue indéniablement un dispositif pertinent, efficace et particulièrement utile au développement des outre-mer, même si des évolutions devront y être apportées dans les années avenir, s'agissant, notamment, du redimensionnement des unités au regard des besoins de chaque territoire d'outre-mer.

Le service militaire adapté inscrit son action dans un contexte particulier, marqué par un ensemble de difficultés socio-économiques qu'il me semble important de rappeler. Les outre-mer connaissent une situation économique et sociale très défavorable par rapport à la métropole. Cette situation est particulièrement sensible s'agissant des jeunes. Le taux de chômage des 15-24 ans est ainsi supérieur à 50 % dans les départements d'outre-mer et atteignait près de 58 % en Guadeloupe contre 23,7 % en métropole en 2016. Réciproquement, le taux d'emploi des 15-24 ans était en moyenne deux fois inférieur en outre-mer à celui de la métropole (28,4 %). Le niveau d'éducation constitue par ailleurs un problème endémique. En 2014, le taux d'illettrisme s'élevait à 19,2 % en moyenne dans les départements d'outre-mer, contre 3,5 % pour l'Hexagone.

Le SMA se distingue par son mode de recrutement « par le bas », qui vise à sélectionner les profils les plus éloignés de l'emploi. Le respect de ce principe se matérialise principalement par la forte proportion de non diplômés (personnes qui n'ont pas le brevet des collèges), qui représentent près d'un tiers des promotions, et des personnes en situation d'illettrisme, qui représentaient en 2016 37,8% des volontaires stagiaires accueillis.

Les bons chiffres de l'insertion qui vous ont été présentés par mon collègue Nuihau Laurey doivent être rapprochés de ce contexte particulièrement difficile. Il est clair qu'eu égard à l'environnement socio-économique dans lequel il intervient, le SMA est efficace et indispensable.

Comme l'a indiqué Nuihau Laurey, la comparaison avec les dispositifs similaires (service militaire volontaire, apprentissage, Epide) est rendue particulièrement complexe par la spécificité du SMA, qui accueille un public particulièrement éloigné de l'emploi et qui doit faire face à des charges majorées en raison des spécificités des outre-mer. Le coût du SMA doit être comparé au « coût social évité », c'est-à-dire le coût de la non-intervention. Ce dernier regroupe ainsi les aides en faveur des jeunes (aides sociales comme l'ALS-APL, la CMU, le RSA...), les aides à l'emploi (emplois d'avenir, contrats en alternance...) et les domaines dans lesquels le SMA permet de réduire les externalités négatives (lutte contre l'illettrisme, contre les addictions ou encore contre la délinquance). Au total, selon une évaluation demandée en 2014 par le ministère des outre-mer et réalisée par un cabinet de conseil, le fait d'investir fortement dans une année de SMA pour un jeune génère en fait une économie dès la cinquième année, chiffrée à 26,5 millions d'euros pour une cohorte de 6 000 bénéficiaires. Le SMA constitue donc incontestablement un « investissement » judicieux pour les pouvoirs publics.

Le SMA a connu une importante augmentation de ses financements depuis 2010, dans le cadre de « SMA 6 000 », de 60 %. L'évolution est toutefois contrastée en fonction des types de dépenses. Ainsi, depuis 2014, les dépenses de personnel sont restées quasiment stables (+ 2 %), tandis que les dépenses d'investissement ont connu une baisse de 41 %. Ces évolutions mettent en évidence un réel risque d'effet d'éviction des dépenses de fonctionnement et d'investissement lié à l'augmentation des effectifs, potentiellement préjudiciable à la qualité des formations dispensées par les unités. Un important besoin d'investissement subsiste en effet, qui concerne prioritairement la fonction hébergement. Un effort en la matière apparaît indispensable dans les prochaines années.

En plus d'une baisse de la part des dépenses d'investissement dans le budget du SMA, la mise en oeuvre de « SMA 6000 » a entrainé une importante mise sous tension des effectifs encadrants, qui rassemblent des cadres militaires provenant du ministère des Armées et des formateurs issus pour la plupart du monde civil. Le taux d'encadrement, qui s'élevait à 25 % en 2010, a connu une baisse de 10 points sur la période 2010-2017, et ne s'élevait plus qu'à 14,9 % en 2017. Ces quatre dernières années, cette baisse a concerné l'ensemble des unités, à l'exception de La Réunion, dont le taux d'encadrement est resté stable. De l'avis général, les taux d'encadrement du SMA ont aujourd'hui atteint un niveau plancher, susceptible de mettre en péril ses résultats et la sécurité de ses activités. Nous pensons qu'une hausse du nombre de personnels encadrants constitue un impératif absolu.

Enfin, il nous paraissait important d'évoquer la nature des relations qui pourront exister entre le SMA et le futur service national universel (SNU). Des différences importantes distinguent le futur SNU du SMA, tant dans son objet que ses modalités. Le SMA est un dispositif militaire d'insertion socioprofessionnelle, pour les jeunes éloignés de l'emploi, tandis que le SNU vise, selon le Gouvernement, à renforcer « la cohésion sociale et nationale, la prise de conscience des enjeux de la défense et de la sécurité nationale et l'affirmation des valeurs de solidarité ». Si nous pensons que le SMA, qui fonctionne bien, doit préserver sa spécificité, il apparait clairement que des synergies pourront utilement être trouvées (découverte du SMA en phase I du SNU, mutualisation des encadrants, etc.).

M. Victorin Lurel. - Je remercie les rapporteurs pour leur présentation, et me joins à leur observation quant à l'efficacité du SMA. Lorsque j'étais ministre, je l'ai beaucoup soutenu, même s'il faut rappeler que le plan « SMA 6000 » a été lancé sous le mandat de M. Nicolas Sarkozy. Ce dispositif est pertinent et efficace, mais il y a eu un débat sur cette efficacité. Le mode de calcul de l'insertion est en effet sujet à caution, car les taux semblent supérieurs à la réalité. Sur la présence territoriale du SMA, il y avait à l'époque un projet d'en installer un à Wallis-et-Futuna et à Saint-Martin. Une solution a été trouvée pour Saint-Martin, qui bénéficie d'un contingent de places au régiment de Guadeloupe ; qu'en est-il pour Wallis-et-Futuna ? Pouvez-vous également nous préciser comment se passe la montée en puissance du SMA de Mayotte ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer si les aides aux collectivités sont toujours maintenues ?

M. Sébastien Meurant. - Les Epide connaissent le même type de problème d'épuisement des « viviers » que celui que vous évoquez pour le SMA. Certaines classes ne sont pas remplies. Comment expliquer ce phénomène ?

M. Vincent Éblé, président. - Je souhaitais interroger nos rapporteurs spéciaux sur la coordination entre le SMA et les autres dispositifs existant en outre-mer en faveur des jeunes, comme par exemple le service civique. Certains jeunes sont-ils réorientés d'un dispositif vers un autre, en fonction de leur profil ?

M. Nuihau Laurey. - Concernant les modalités de calcul de l'insertion, c'est véritablement un sujet central car l'efficacité de ce dispositif est précisément fondée sur cet indicateur. Une analyse plus fine est présentée dans le rapport, notamment sur les recrutements longs (CDI et CDD de plus de 6 mois), dont la part a fortement augmenté ces dernières années. Il y a donc une solidification de cette insertion. En revanche, s'agissant du suivi des bénéficiaires, nous pensons qu'il est impératif d'aller au-delà des six mois, pour vérifier si les personnes sont bien orientées ou recrutées vers d'autres dispositifs. Je précise également que 25 % des jeunes sont également inscrits en poursuite de formation, et sont considérés comme « insérés » dans ce cas ; à ce stade, aucune information ne nous a été communiquée quant à l'ouverture d'un régiment à Wallis et Futuna, qui ne semble donc pas d'actualité.

M. Georges Patient. - Le rapport évoque la question de l'adaptation du SMA aux besoins des territoires. Dans certains territoires, parmi les jeunes qui seraient les plus susceptibles d'être ciblés, figurent des jeunes qui ne sont pas Français, mais qui sont d'ores et déjà résidents. En l'état, ces derniers ne peuvent être formés au SMA. Il faudrait peut-être que le SMA s'ouvre progressivement aux jeunes étrangers en voie de naturalisation.

La commission donne acte aux rapporteurs spéciaux de leur communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - Recouvrement des amendes pénales - Communication

M. Vincent Éblé, président. - Nous entendons maintenant la communication de M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice » sur son contrôle relatif au recouvrement des amendes pénales.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - On distingue les amendes pénales, prononcées par les juridictions, des amendes « radars » et des amendes forfaitaires, émises par les services verbalisateurs. Le recouvrement des amendes pénales est d'abord un enjeu en termes de crédibilité de la réponse pénale, et, mais dans une moindre mesure, un enjeu financier pour l'État.

Alors qu'en 2016, le produit de l'ensemble des amendes, sanctions, pénalités et frais de poursuite versé à l'État représente plus de 2 milliards d'euros, le montant des amendes prononcées par les juridictions et inscrites au casier judiciaire national cette même année s'élève, au total, à 385 millions d'euros, correspondant à plus de 200 000 peines d'amendes fermes.

Globalement, le nombre d'amendes pénales diminue ces dernières années, au profit d'autres peines considérées comme plus « pédagogiques ». Néanmoins, les amendes représentent, en 2017, plus d'un tiers des peines principales prononcées par les juridictions.

Tous les contentieux ne sont pas concernés de la même façon par les amendes : sans surprise, les infractions économiques et financières et, mais dans une moindre mesure, les infractions en matière de stupéfiants, représentent une part significative du montant total des amendes inscrites au casier judiciaire.

Il est, à ce jour, impossible de rapprocher précisément ces 385 millions d'euros d'amendes inscrites au casier judiciaire national des recouvrements effectués par le Trésor public. En effet, il n'existe pas de suivi cohérent et spécifique du recouvrement des seules amendes pénales car le Trésor public recouvre également, sans les distinguer, les droits fixes de procédure dus par toute personne majeure condamnée. En outre, les amendes fiscales et douanières ne sont pas recouvrées selon les mêmes modalités par le Trésor public. Enfin, un nombre significatif d'amendes pénales n'est pas inscrit au casier judiciaire.

Sous ses réserves, on peut néanmoins estimer les sommes effectivement recouvrées au titre des droits fixes de procédure et des amendes pénales (hors amendes fiscales et douanières) pris en charge par le Trésor public. Ainsi, fin 2017, le taux de recouvrement des amendes pénales prononcées en 2016 est estimé à 48 %. Cela représente 168 millions d'euros. À titre de comparaison, le taux de recouvrement des amendes forfaitaires majorées des « radars » est de l'ordre de 30 %.

Même s'il n'est pas parfait, un recoupement entre le fichier de recouvrement des amendes et le casier judiciaire permet de mettre en évidence d'importants écarts de recouvrement en fonction du contentieux. Ainsi, le recouvrement est particulièrement faible s'agissant des condamnations pour escroquerie, pour vols ou en matière de stupéfiants, tandis qu'il est assez élevé s'agissant de blessures ou d'homicides involontaires ou en matière d'environnement.

Deux mesures incitatives ont été créées pour faciliter le recouvrement des amendes pénales : il s'agit de la création des bureaux de l'exécution des peines et de la réduction de 20 % des amendes payées sous 30 jours.

La création, en 2005, des bureaux de l'exécution des peines (les BEX) installés au sein des tribunaux et qui permettent aux condamnés de payer leur amende à l'issue de l'audience est considérée comme un moyen d'inciter à s'en acquitter immédiatement. Toutefois, ce système ne fonctionne que si le relevé de condamnation pénale, c'est-à-dire le titre exécutoire, a été édité dès l'audience et si le BEX est ouvert : ce n'est pas toujours le cas lorsque les audiences se terminent tardivement.

De plus, dans certains tribunaux, l'ancien tribunal de grande instance de Paris ou celui de Laon par exemple, l'installation de ce service dans des bâtiments anciens n'est pas toujours appropriée. Au contraire, lors de notre visite au nouveau TGI de Paris, nous avons pu constater que les locaux étaient adaptés à l'accueil du public. Cette question n'est pas spécifique aux amendes mais à l'exécution des peines de façon plus générale et nécessite une mobilisation forte du ministère public.

Les moyens de paiement constituent un second enjeu, puisque les BEX sont, normalement, équipés d'un terminal pour carte bleue mis à disposition par le Trésor public. Cependant, au TGI de Laon par exemple, le terminal fonctionne par intermittence. Les personnes condamnées peuvent également payer par chèque, déposé dans une urne sécurisée qui doit être régulièrement relevée par un agent du Trésor public.

Enfin, les personnes condamnées peuvent acquitter leur amende directement au Trésor public où le paiement en espèces est encore autorisé mais plafonné à 300 euros. Même si, comme l'ont souligné certains de nos interlocuteurs, la population pénale a une « préférence » pour les espèces, il ne paraît pas souhaitable d'introduire une exception à cette règle pour les amendes pénales.

La réduction de 20 % des amendes payées sous 30 jours est également considérée par l'ensemble des acteurs comme incitative et justifiée en raison de la difficulté à les recouvrer. Ainsi, sur les exercices 2016-2017, environ 15 % des titres enregistrés par la Trésorerie amendes de Seine-Saint-Denis ont fait l'objet d'une réduction de 20 %. Au total, le coût de cette réduction de 20 % des amendes pénales est de l'ordre de 15 millions d'euros pour le budget général de l'État.

En 2007, votre commission des finances soulignait déjà qu' « entre ministère de la justice et Trésor public, comme entre police, gendarmerie et justice, les interfaces informatiques apparaissent déficientes ». Plus de dix ans après, c'est le même constat qui s'impose.

On pourrait imaginer qu'un système d'information transmette, de la juridiction au Trésor public, automatiquement et sans délai, les informations relatives à l'identité du condamné et les montants dus. Il n'en est rien : le greffe établit un relevé de condamnation pénale, qui est transmis, sous format « papier », à la direction départementale des finances publiques (DDFiP). Ainsi, chaque année, les agents de la DDFiP effectuent 500 000 saisies manuelles afin de recopier les informations transmises par les juridictions dans le logiciel de recouvrement des amendes et des droits fixes de procédure.

La qualité des documents transmis et l'absence d'interlocuteur dans les juridictions figurent parmi les difficultés spécifiques au recouvrement des amendes pénales.

Par ailleurs, alors que le délai est normalement fixé à 35 jours, il s'écoule, en moyenne, 141 jours - soit plus de 4 mois ! - entre la date du jugement du tribunal correctionnel et celle de prise en charge par le Trésor public. En 2007, ce délai était de 177 jours. Comme vous l'imaginez, les délais sont d'autant plus longs que les tribunaux font face à des difficultés importantes (turn-over, stocks et flux d'affaires, etc.). Ainsi, pour les tribunaux correctionnels, on passe d'un délai de 25 jours en Charente à plus de deux ans en Guyane ou 14 mois en Seine-Saint-Denis.

La rapidité de la prise en charge par le Trésor public est pourtant déterminante pour le recouvrement.

Il arrive aussi que des personnes condamnées souhaitent acquitter leur amende alors même que le relevé de condamnation pénale n'a pas encore été transmis par le greffe. L'amende est alors encaissée et, à chaque fois que de nouveaux relevés de condamnation pénale sont adressés à la DDFiP, ses agents doivent commencer par vérifier que l'amende n'a pas déjà été acquittée. En effet, si cette étape n'est pas effectuée, l'État poursuit une personne à tort.

Cette situation est d'autant plus problématique que le logiciel utilisé par la DGFiP qui traite des amendes a été conçu à la fin des années 1970 et qu'il n'est pas possible, par exemple, d'effectuer un tri en fonction du montant des amendes ni de leur date de prescription. À l'époque, les amnisties présidentielles permettaient un apurement régulier du stock d'amendes... Ce n'est plus le cas aujourd'hui, et l'outil ne paraît pas dimensionné pour gérer toutes les amendes et condamnations pécuniaires, soit entre 12 et 14 millions d'actes par an.

J'ai interrogé la direction générale des finances publiques, afin de savoir à quelle échéance ils pensaient pouvoir remplacer logiciel existant : il m'a été répondu qu'alors qu'il était prévu, fin 2017, de moderniser cet outil, finalement, le ministère des finances souhaitait revoir l'ensemble de sa stratégie informatique, afin d'intégrer le recouvrement des amendes au sein d'un outil plus large de recouvrement... Encore quelques délais d'attente, donc !

Pourtant, les dysfonctionnements actuels entravent l'efficacité des moyens d'action des trésoreries amendes, conduisent à des saisies multiples, sources d'erreurs et activité sans valeur ajoutée pour les agents des DDFiP, qui devraient pouvoir se concentrer sur le recouvrement des deniers publics. Les moyens de recouvrer les amendes pénales sont ensuite classiques, avec notamment les oppositions administratives, et n'appellent pas d'observations particulières dans le cadre de ce contrôle.

En tout état de cause, afin d'améliorer le recouvrement des amendes pénales, des relations plus étroites entre les juridictions et les directions départementales des finances publiques sont indispensables et devraient être généralisées, afin de chaque partie prenante soit consciente des contraintes de l'autre, ce qui n'est pas encore tout à fait le cas aujourd'hui. En particulier, les DDFiP ne disposent pas toujours d'un interlocuteur dédié au sein des juridictions de leur ressort.

En conclusion, je dirais que dans notre pays, l'exécution des peines est encore trop souvent considérée comme accessoire, et la peine d'amende ne fait pas figure d'exception.

L'amélioration du recouvrement des amendes pénales passe aujourd'hui prioritairement par la création d'une interface informatique entre le ministère de la justice et la direction générale des finances publiques, et, sans doute, par une sensibilisation des personnels des juridictions aux contraintes du recouvrement.

Dans la perspective d'une refonte des outils de recouvrement de la direction générale des finances publiques, une association étroite du ministère de la justice serait souhaitable, afin de garantir la continuité de la chaîne pénale, mais aussi de permettre la production d'outils statistiques utiles à l'évaluation des politiques pénales.

Aujourd'hui, l'obsolescence des systèmes d'information et l'absence d'interface et de coopération entre les ministères restreignent l'efficacité de la politique pénale.

M. Vincent Éblé, président. - Il y a quelques jours, nous avons reçu M. Alexandre Gardette sur la réforme du recouvrement fiscal et social. Cette question fait-elle partie de son champ de travail ?

M. Philippe Dallier. - C'est assez consternant ! On se demande comment une application datant des années 1970 peut encore fonctionner aujourd'hui. À quelle échéance peut-on envisager qu'elle soit remplacée par un système plus performant ? On a réussi à dématérialiser le recouvrement des amendes « radars », c'est donc qu'on est capable de créer des systèmes efficaces, sur des volumes bien plus importants.

M. Thierry Carcenac. - Avec Claude Nougein, nous avons proposé de réaliser un contrôle sur le recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de stationnement. Je pense que la commission des finances disposera alors d'une vision globale et complète sur le recouvrement. Sur les systèmes d'informations, je crois malheureusement que le problème est général à Bercy. Vous avez indiqué qu'on pouvait encore payer en espèces dans les trésoreries, mais ce ne sera bientôt plus le cas. Savez-vous où en est l'appel à projet ?

M. Claude Raynal. - Sans remettre en cause le bien-fondé des amendes pénales, savez-vous quel est le coût de gestion de leur recouvrement ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Je n'ai pas d'informations précises concernant la possibilité de confier le recouvrement des amendes à l'Agence unique du recouvrement. Mais dans la perspective d'une modernisation des modalités de recouvrement, il serait logique que les amendes soient concernées.

C'est d'ailleurs dans la perspective d'un projet informatique unifiant les applications et les informations en matière de recouvrement qu'il est aujourd'hui envisagé de maintenir le logiciel existant jusqu'en 2023. Je partage le terme employé par Philippe Dallier : c'est assez consternant.

Thierry Carcenac a confirmé le caractère général de l'obsolescence de ces logiciels : le prélèvement à la source a été prioritaire et les autres chantiers ont été mis de côté.

À ma connaissance, l'appel d'offres concernant la possibilité de payer en espèces ses amendes, impôts ou autres, aux bureaux de poste ou chez les buralistes est encore en cours.

Enfin, en tant que rapporteur spécial de la mission « Justice », je me suis focalisé sur les relations entre les juridictions et les services de la direction générale des finances publiques, et je n'ai pas d'éléments sur le coût, pour ces services, de la gestion des amendes.

La commission donne acte au rapporteur spécial de sa communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Dette des entités publiques - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

M. Vincent Éblé, président. - Mesdames, messieurs, chers collègues, nous allons procéder à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission en application de l'article 58 paragraphe 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la dette des entités publiques.

Je salue la présence de M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes, et de M. Emmanuel Belluteau, président de la formation interjuridictions, qui a préparé ce rapport. Ils sont accompagnés des magistrats qui ont participé à cette enquête.

Je souhaite également la bienvenue à Mme Amélie Verdier, directrice du budget, Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice de la sécurité sociale, et M. Anthony Requin, directeur général de l'Agence France Trésor, ainsi qu'à M. Luca Ascoli, chef du bureau D1 et directeur par intérim de la direction « Statistiques des finances publiques » d'Eurostat. Ils pourront nous apporter les éclairages nécessaires ainsi que leurs réactions sur le travail réalisé par la Cour.

Après la présentation de l'enquête par la Cour des comptes, le rapporteur général livrera son analyse et nos invités pourront ensuite réagir aux conclusions de l'enquête et à ses observations.

À l'issue de nos débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour.

Sans plus attendre, je laisse la parole à Raoul Briet, pour qu'il nous présente les principales conclusions de l'enquête réalisée par la Cour des comptes.

M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous accueillir ce matin pour vous présenter les principaux points du rapport que vous nous avez demandé. Outre Emmanuel Belluteau, je suis accompagné d'Inès Mercereau, rapporteure générale des travaux, de Jérôme Véronneau, rapporteur général adjoint, et de Thierry Vught, contre-rapporteur.

Quelques éléments de méthode avant d'évoquer le contenu même du rapport.

Ce travail s'inscrit dans la suite des publications générales de la Cour en matière de finances publiques dans lesquelles, qu'il s'agisse du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, du rapport sur les finances locales ou du rapport sur les lois de financement de la sécurité sociale, nous abordons de façon générale des questions d'endettement des entités publiques.

Nous allons très prochainement rendre publics des travaux se rattachant aux questions d'endettement : nous remettrons dans les semaines prochaines à la commission des finances de l'Assemblée nationale, en application de l'article 58-2 de la LOLF, un rapport sur les sociétés d'économie mixte locales. Par ailleurs, nous avons remis au ministre, fin 2018, le bilan intermédiaire de l'expérimentation sur la certification des comptes des collectivités locales, sujet qui a également des liens avec la matière dont nous débattrons ce matin.

Conformément à l'échange de lettres qui a fondé ce travail, le rapport adopte délibérément une approche toutes administrations publiques - État, administrations sociales et collectivités territoriales - et traite de la dette financière, à l'exclusion des autres éléments de passif dans ses différentes dimensions techniques.

J'en viens à la présentation des principales conclusions du rapport. Ce rapport aborde successivement les questions de périmètre, apprécie les risques et traite des règles d'encadrement de la dette des administrations publiques.

S'agissant du périmètre, le rapport rappelle qu'il existe plusieurs méthodes pour calculer le montant de la dette publique. L'Insee identifie trois agrégats dans les comptes nationaux, l'OCDE et le FMI en utilisent deux autres. Selon l'indicateur retenu, fin 2017, la dette des entités publiques s'établissait entre 2 055 milliards d'euros et 3 090 milliards d'euros, c'est-à-dire entre 89,7 et 134,9 points de PIB. Le premier chiffre correspond à la dette nette des administrations publiques, le second - c'est le plus large - prend en compte l'ensemble des passifs bruts des administrations publiques, sans les consolider, avec des doubles comptes.

Le périmètre le plus utilisé au sens des traités européens, appelé « dette de Maastricht », se situe entre ces deux agrégats. Quel que soit l'indicateur utilisé pour mesurer l'endettement, on constate des évolutions d'ampleur significative à la hausse, et donc des évolutions défavorables. La dette publique a progressé en moyenne de 2,4 % à 3 % par an entre 2008 et 2017.

Nous rappelons que la dette au sens de Maastricht peut être considérée comme une bonne mesure de l'endettement des entités publiques, car ce périmètre inclut la dette de toutes les administrations publiques et exclut tout double compte entre administrations publiques. Son montant ne varie pas en fonction des marchés financiers et elle a l'immense mérite de permettre des comparaisons entre les pays de l'Union européenne.

Cette dette présente naturellement un certain nombre de caractéristiques. Elle exclut les dettes non financières - charges à payer, prestations restant à liquider -, soit environ une vingtaine de points de PIB. Elle élimine les créances et les dettes entre administrations publiques et, comme je l'ai dit, les variations liées aux évolutions des marchés financiers.

Le rapport attire l'attention sur deux points : le premier concerne les modifications de périmètre de la dette publique. Trois exemples peuvent être cités dans un passé récent : l'aide fournie à la Grèce qui, en 2014, a conduit à augmenter l'encours de dette publique française jusqu'à un pic de 3,2 points de PIB.

Le second exemple est tout récent : il tient au fait que l'Insee a intégré dans la catégorie « administrations publiques » la Société de financement de l'économie française (SFEF), qui a été active entre 2008 et 2014 et qui a porté jusqu'à 77 milliards d'euros de dette.

Plus récemment encore, l'Insee, en accord avec Eurostat, a procédé au reclassement rétroactif de la dette de SNCF Réseau au sein de la dette des administrations publiques, ce qui a conduit rétroactivement à augmenter la dette publique de près de 36 milliards d'euros en 2016, de 39 milliards d'euros en 2017, passant à plus de 98,5 points de PIB fin 2017. Globalement, nous estimons à environ trois points de PIB l'impact de ces changements de périmètre entre 2011 et 2017.

Ces évolutions font l'objet d'échanges entre le comptable national, l'Insee et Eurostat. Il existe néanmoins peu d'explications disponibles sur les principales modifications intervenues ou prévues. Face à cette même situation, l'Office for Budget Responsibility (OBR), ainsi que le Trésor britannique, ont pris l'été dernier plusieurs mesures, parmi lesquelles la publication régulière d'informations sur les projets de reclassification ou de changement de méthode à moyen terme et leur impact sur les agrégats de finances publiques. Nous considérons qu'une telle information du Parlement pourrait être assurée régulièrement chaque année à l'occasion des débats sur le programme de stabilité et le projet de loi de finances.

Il existe en second lieu, à côté de la dette, ce qu'on appelle les « garanties », c'est-à-dire les engagements explicites ou implicites pris par une administration publique au bénéfice d'un tiers, par exemple les garanties d'emprunt. Ces garanties accordées par les administrations publiques peuvent, dans certains cas, se transformer en dette, mais ne sont pas - et c'est normal - incluses dans la dette dès lors qu'elles ne conduisent pas à un décaissement en l'absence de réalisation de la condition d'engagement.

S'agissant de l'État, nous avons pu, à l'occasion des actes de certification des comptes de l'État, mesurer qu'au fil des années, des progrès importants, qui restent pour partie à poursuivre, ont été accomplis en matière de recensement. S'agissant des collectivités territoriales, selon notre analyse, confortée en particulier par la première expérience de certification des comptes locaux, les garanties d'emprunt sont bien cernées, mais les autres éléments hors bilan sont mal identifiés.

Il faut rappeler que l'octroi de ces garanties obéit à des règles qui limitent les risques sur les budgets locaux. Un chiffre en témoigne : dans la période récente, les appels en garantie n'ont jamais dépassé 19 millions d'euros pour la totalité des collectivités territoriales, soit une fraction tout à fait réduite de leurs charges de fonctionnement.

La situation financière des 1 257 entreprises dont les collectivités territoriales sont actionnaires n'est pas connue de manière consolidée, la DGFIP estimant que le rapport coût-avantage d'une telle consolidation n'est pas acquis. Il est intéressant de relever que, sur ce total, entre 2014 et 2017, 81 entreprises ont été placées en liquidation judiciaire. Encore faut-il savoir qu'une part significative de ces liquidations ne correspondait pas à des difficultés financières. Selon nos informations, quatre entreprises publiques locales seulement seraient aujourd'hui en situation de redressement judiciaire.

J'en viens au deuxième point de ma présentation concernant les risques. Cela commence par un certain nombre de rappels chiffrés classiques. Le niveau de la dette a augmenté de plus de 30 points en dix ans. Si la totalité des prélèvements obligatoires était affectée au remboursement de la dette, il faudrait deux années de prélèvements pour éteindre celle-ci. La dette représente plus de 33 000 euros par Français, alors qu'elle représentait moins de 20 000 euros en 2007.

La répartition de la dette entre administrations publiques vous est familière : elle pèse environ à 80 % sur la seule entité État. Au-delà des masses, il est important de rappeler que la dette exerce des effets d'éviction sur les budgets publics, qui doivent mobiliser 43 milliards d'euros pour le service de la dette, en dépit du fait que les taux d'intérêt sont extrêmement bas, voire négatifs. 43 milliards d'euros, c'est autant de marges de manoeuvre en moins pour d'autres priorités publiques. Ce montant est voisin du budget du ministère des armées, et deux fois supérieur à celui des dépenses de solidarité de l'État.

L'autre élément qui mérite d'être rappelé, c'est notre situation relative par rapport aux autres États de l'Union européenne, et notamment le fait que l'évolution de la dette française, depuis 2017, se situe à contre-courant de l'ensemble des États de l'Union européenne, qui ont vu leur ratio de dette publique sur PIB décroître, alors que le nôtre continue à augmenter et n'est même pas tout à fait stabilisé.

Le risque de taux apparaît comme le principal risque pesant sur la dette publique française. Il faut cependant distinguer le court terme du moyen terme. Pour ce qui est du court terme, les conditions de financement sont favorables et devraient le rester. L'émission de l'Agence France Trésor à 1,60 % à 30 ans est révélatrice de cette situation exceptionnellement favorable. En 2019, la charge de la dette sera stable si les taux d'intérêt restent stables. Pour les collectivités territoriales, le recours à l'emprunt est globalement modéré. Il en est de même dès lors que la maturité moyenne de leur dette est élevée.

À court terme, la situation profite relativement à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), dont la dette est entièrement financée à cet horizon. À moyen terme, le risque est évidemment différent. L'analyse est moins favorable. La Commission européenne estime, à politique inchangée, que le ratio dette sur PIB pourrait représenter 106 % du PIB à l'horizon 2028. La cour des comptes, dans son dernier rapport public annuel, dans la partie consacrée aux finances publiques, a souligné la fragilité des perspectives de désendettement annoncées par le Gouvernement. Le fait est que les perspectives de désendettement contenues dans le projet de loi de finances tel qu'il a été conçu à l'automne 2019 risquent fort de ne pas se réaliser, compte tenu des ajustements budgétaires qui ont été décidés fin décembre.

S'agissant de l'État, la baisse des taux s'est traduite par une charge budgétaire à peu près stable, en dépit du fait que la dette a doublé entre 2006 et 2018. On est donc dans une situation paradoxalement favorable. Il ne faut cependant pas oublier qu'une hausse de 1 % sur l'ensemble de la courbe des taux se traduirait au bout de dix ans par une augmentation de la charge de la dette de 20 milliards d'euros, alors que cette même hausse de 1 % appliquée au stock de dette de 2010 ne se serait traduite que par une augmentation de la charge de la dette de 14,5 %. Ce risque est donc significatif.

Les collectivités territoriales, qui représentent un peu plus de 9 % de la dette publique, sont peu endettées. Leur capacité de désendettement, c'est-à-dire le rapport entre leur encours de dette et leur épargne brute, est proche de cinq ans. C'est une situation globalement correcte, même si environ 10 % des départements, des intercommunalités et de communes dépassaient en 2017 les plafonds de référence fixés par la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022, avec un seuil d'alerte fixé à douze ans. 10 % des collectivités territoriales sont proches ou au-delà de ce seuil d'alerte, la situation moyenne étant beaucoup plus favorable avec un ratio de cinq ans.

Autre événement positif : cette dette des collectivités locales est pour une très large part constituée d'emprunts à taux fixe. Par ailleurs, la situation des emprunts structurés, si elle n'est pas définitivement réglée, présente désormais un risque limité.

Nous avons bien évidemment examiné la situation dans sa globalité, mais une situation moyenne peu préoccupante ne signifie pas qu'il n'y ait pas de situation particulière problématique dans telle ou telle entité.

S'agissant des administrations de sécurité sociale (ASSO), le rapport rappelle les objectifs exprimés par la loi de programmation des finances publiques : diminution de moitié de leur dette à l'horizon de cette loi de programmation du fait de l'amortissement complet de la dette de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), qui serait prévu en 2024, sous certaines hypothèses de recettes. Le rapport souligne néanmoins la fragilité de la situation de l'Acoss.

La loi de financement de la sécurité sociale repose sur le pari d'un transfert important d'une fraction de cette dette à court terme sur la CADES. C'est un pari conditionné par la réalisation des hypothèses en matière économique, en matière de solde du régime général de sécurité sociale et de sa capacité à faire face à la nécessité de transférer des ressources à la CADES et aux évolutions éventuelles du partage des exonérations de charges sociales entre l'État et la sécurité sociale.

La dette de l'Unédic devrait continuer à augmenter pour atteindre 35 milliards d'euros en 2019 et environ 30 milliards d'euros fin 2021. Nous soulignons la nécessité de fixer une trajectoire de réduction de la dette au-delà de 2021, ce qui est en partie lié aux négociations actuelles avec l'Unédic.

Il est par ailleurs à noter qu'un tiers des établissements publics de santé, dont dix-neuf CHU, sont en situation d'endettement excessif, ce qui ne manque pas de soulever quelques préoccupations.

S'agissant des questions de coordination et de gestion opérationnelle des émissions de dette, nous évoquons dans le rapport l'élargissement du recours à l'AFT pour l'Acoss et pour l'Unédic, de façon à réduire les risques opérationnels liés à l'émission de dette.

Dernier point : la question des règles d'encadrement de la dette publique et leur efficacité. S'agissant des organismes divers d'administration centrale - les établissements publics pour simplifier -, l'interdiction de s'endetter est stricte. Pour les collectivités locales, vous le savez, la règle d'or budgétaire permet de limiter leur endettement. La dette des administrations de sécurité sociale fait également l'objet d'un encadrement croissant. Pour l'État, il existe un certain nombre de dispositions : fixation du plafond de la variation nette de la dette, affectation des surplus de recettes au déficit, affectation de recettes au désendettement. Le rapport montre que ces règles sont en réalité sans portée pratique.

Le rapport évoque rapidement la question de l'application à l'État d'une règle de dettes qui s'ajouterait à celle d'ores et déjà prévue par les traités de Maastricht et le traité sur la stabilité et la coordination avec la gouvernance. Il avait été décidé, au moment du vote de la loi organique relative aux lois de finances, de ne pas appliquer de règle du type de la règle d'or applicable aux collectivités locales pour deux raisons principales. En premier lieu, il est difficilement envisageable de priver l'État d'une capacité de réaction en cas de retournement conjoncturel. La fonction contracyclique doit continuer à s'exercer, et l'État a vocation à le faire. En second lieu, la ligne de partage entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement est difficile à tracer.

Nous relevons également que, s'agissant des pratiques de régulation de la dette, certains pays jouissent de dispositifs plus explicites - mais ils ne produisent pas de résultats plus probants. Les États-Unis, dont on parle beaucoup en ce moment, ont une règle de plafonnement de la dette fédérale qui n'a pas empêché celle-ci de pratiquement doubler entre 2000 et 2017, passant de 55 à 105 points de PIB.

La question de la maîtrise de l'évolution de la dette publique renvoie fondamentalement à la question des déficits et, au-delà, à celle de la dépense publique, sujet sur lequel la Cour des comptes s'est naturellement exprimée et continuera à le faire.

Le rapport relève, comme le Conseil d'analyse économique l'avait fait en septembre 2018, qu'il y aurait matière à compléter la surveillance qu'exerce en amont le Haut Conseil des finances publiques sur les trajectoires de finances publiques, en faisant en sorte qu'au-delà des prévisions macroéconomiques et de trajectoire de solde, une attention plus particulière et une surveillance accrue soient apportées aux progressions, aux évolutions et indirectement à la mesure de la dette publique. Une recommandation est formulée en ce sens.

S'agissant des informations relatives à la dette destinées à l'information du Parlement, le rapport relève que celles-ci sont nombreuses mais éparses, et que la consolidation est insuffisante. Il est proposé de compléter le rapport prévu à l'article 48 de la LOLF en vue du débat d'orientation par une analyse en bonne et due forme de la trajectoire de la dette et de sa soutenabilité.

M. Vincent Éblé, président. - La parole est au rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je ne sais s'il est rassurant ou inquiétant de vous entendre. C'est à la fois rassurant puisque la gestion de la dette est maîtrisée, mais aussi inquiétant du fait du stock de dette.

En 2017, j'avais présenté un rapport sur la dette publique. À l'époque, on parlait des 100 % de dette par rapport au PIB comme d'une barre presque inatteignable. On y est presque ! Quant au stock de dette de l'État, on a relativement peu d'espoir. C'est la raison pour laquelle l'actualité nous a incités à demander cette enquête à la Cour des comptes.

Trois types d'interrogations ont motivé le choix de ce sujet. La première question portait sur le périmètre de la dette elle-même. Y a-t-il concrètement des changements de périmètre ? Sont-ils bien appréhendés ?

Vous avez abordé largement le deuxième sujet, celui des risques, notamment la remontée des taux d'intérêt.

La troisième question, qui intéresse évidemment particulièrement la commission des finances, c'est celle de l'information du Parlement, mais également de tous les organes qui peuvent s'intéresser à ce sujet.

Un certain nombre de changements de périmètre ont eu lieu dans les périodes récentes. La Cour des comptes les évalue à environ 3 points de PIB, notamment pour ce qui concerne l'impact des différents changements de périmètre comptable intervenus entre 2011 et 2017. Vous vous souvenez des débats parfois très techniques sur l'intégration ou non de la dette de SNCF Réseau. Les collectivités territoriales sont peu concernées. Vous évoquez les risques que peuvent rencontrer les bailleurs sociaux, que vous considérez comme très faibles. En effet, lorsqu'on examine les garanties mises en oeuvre, c'est finalement relativement marginal.

Cependant une question demeure quant au recensement du hors-bilan. Le sujet est celui de la dette de l'État. J'ai donc une question à poser à Mme Verdier, ainsi qu'à M. Ascoli, pour savoir si des projets de reclassification ou de changement de méthodes pourraient peser sur le niveau d'endettement de la dette française. Certains sujets comme celui de la SNCF pourraient en effet présenter un risque pour le niveau d'endettement français.

Je pense en particulier à l'Agence française de développement (AFD). Eurostat a émis des réserves dans un communiqué du 23 avril 2018, estimant que l'AFD devait être reclassée au sein des administrations publiques. Cette réserve a été levée dans un autre communiqué du 22 octobre 2018. Quelle en est la raison ? Les explications ont-elles été suffisamment convaincantes ? S'agit-il de raisons techniques ? Il existe des interrogations à ce sujet et des échanges ont lieu avec l'Insee, comme ceux concernant le traitement des organismes d'HLM. M. Ascoli peut-il nous éclairer sur ce point ?

La question soulevée par la Cour des comptes de la transparence des discussions relatives au périmètre de la dette publique se pose également. Ce sont des débats parfois très techniques, mais qui ont une incidence directe sur l'appréciation de notre dette. Certains États sont-ils plus transparents que d'autres ? Ont-ils mis en place des procédures permettant notamment au Parlement de mieux anticiper ces modifications de périmètre ? Eurostat pourrait-il publier des informations sur les raisons qui l'amènent à lever des réserves sur le périmètre de la dette d'un État membre ?

La deuxième question est celle des risques. Les règles de gouvernance et de pilotage permettent-elles de maîtriser les risques ? Ce qui nous inquiète notamment, c'est le risque de remontée des taux d'intérêt, même s'il est relativement faible à courte échéance. En outre, on peut estimer, si la remontée des taux était liée à celle de l'inflation ou de la croissance, qu'il y aurait également une remontée des recettes publiques. Ceci est-il pris en compte dans les simulations de la Cour ? L'Agence France Trésor affirme que l'effet total sur le solde public dans ce cas pourrait même avoir un effet positif, malgré l'alourdissement de la charge de la dette. A-t-on bien mesuré ce risque de remontée des taux et ses conséquences sur l'accroissement de nos recettes ? Cela ne conduit-il pas à le relativiser ? Les risques identifiés concernant la liquidité de la dette de l'État sont moindres.

Vous vous interrogez aussi sur la dette des administrations publiques locales et on peut se féliciter que celles-ci soient soumises à moins de risques que par le passé. Vous avez également évoqué la question des emprunts toxiques, qui sont largement derrière nous.

En revanche, il existe une interrogation sur l'Acoss et sur l'Unédic. Je me tourne donc vers Mme la directrice de la sécurité sociale. La Cour des comptes a souligné le montant élevé de la dette de l'Unédic, qui pourrait d'ailleurs s'aggraver en fonction de la conjoncture. Partagez-vous le point de vue de la Cour ? Ensuite, une partie de la dette de l'Acoss est transférée à la CADES. Alain Joyandet, dans l'avis qu'il a rendu sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, avait souligné les divergences des différentes estimations sur le montant de la dette résiduelle de l'Acoss. Avez-vous des éléments sur ce montant et sur les risques qui y sont associés ?

Par ailleurs, la Cour des comptes propose de faciliter la gestion technique des dettes portées par les différents organismes, en permettant à l'Agence France Trésor de réaliser l'exécution des programmes d'émission, comme c'est déjà le cas pour la CADES. Pourriez-vous, monsieur Requin, dresser un premier bilan de la convention de mandat confiant la gestion de la dette de la CADES à l'Agence France Trésor ?

Il existe des informations nombreuses destinées au Parlement et aux assemblées locales. Sont-elles suffisantes ? Elles sont parfois difficiles à lire. Un seul scénario est abordé au titre des risques budgétaires. La direction du budget ou l'Agence France Trésor pourraient-elles nous apporter un éclairage à ce sujet ? Pourquoi le Gouvernement a-t-il souhaité augmenter l'encours de la dette à court terme de 15 milliards d'euros ? Ce choix ne risque-t-il pas d'accroître l'exposition au risque de taux, dans l'hypothèse où le refinancement de ces emprunts aurait lieu après un début de remontée des taux ?

La Cour des comptes propose de mettre en place un objectif de dépenses englobant l'ensemble des administrations publiques. Est-il vraiment utile d'introduire de nouvelles règles budgétaires nationales, alors qu'il existe déjà un corpus de règles européennes très complexe ? Quel est le point de vue de la direction du budget sur cette proposition ?

On reçoit parfois des leçons de certains ministres en matière de gestion des collectivités locales. Rappelons que la dette publique est à 80 % une dette de l'État, et que la situation des collectivités locales s'est plutôt améliorée. Le stock de dette est pour moi moins inquiétant que la comparaison avec les autres États européens sur le déficit. Tous les autres États se désendettent car ils ont réduit plus rapidement leur déficit. Selon les prévisions du FMI, le différentiel de charge d'intérêts avec l'Allemagne sera en 2022, de mémoire, de 34 milliards d'euros. Avec une telle somme, on pourrait faire beaucoup de choses. C'est un élément d'éclairage dans les débats qui traversent actuellement notre société.

M. Vincent Éblé, président. - Pour ma part, monsieur le président de la première chambre, je souhaitais également vous interroger, dans la continuité de ce que vient d'évoquer Albéric de Montgolfier, sur la question un peu délicate de la consolidation de la dette, compte tenu de la grande différenciation, d'ailleurs soulignée par certains éléments de votre exposé, entre la dette d'État et la dette des administrations publiques locales (APUL), qui ne me semble pas être de même nature et qui rend l'exercice de consolidation un peu particulier.

En effet, la dette des collectivités territoriales couvre des investissements, et l'on trouve donc des actifs fonciers immobiliers en regard de la dette. Par ailleurs, la charge de la dette, par nature, doit être financée par prélèvement sur la section de fonctionnement. Ceci apporte des éléments de garantie solides aux prêteurs. Cela n'a rien à voir avec la dette de l'État qui, elle, comme chacun le sait ici, finance des charges courantes de fonctionnement, comme les salaires par exemple. Je m'interroge donc sur le sens économique que peut bien avoir cette consolidation générale.

Ceci renvoie, du point de vue de la dette de l'État, à un véritable questionnement de nature politique. Je ne suis pas certain que le magistrat financier que vous êtes pourra y répondre. Cela fait quarante ans que l'on creuse la dette de l'État ! Ne faut-il pas commencer par réduire la dépense publique avant de se préoccuper du niveau des prélèvements obligatoires ? Cela pose le sujet sous un angle qui fait ici largement consensus

La parole est aux intervenants.

Mme Amélie Verdier, directrice du budget. - La question de la dette parle à tout le monde, la question de fond étant est celle de la soutenabilité du financement de nos politiques publiques dans le temps. Je ne reviens pas sur les constats de la Cour des comptes. Nous les partageons.

J'en retiens l'intérêt pour des règles de cantonnement de l'endettement, pour revenir sur la logique d'une consolidation de dette publique. C'est là-dessus que nous nous comparons aux autres États membres et c'est sur ce sujet que se pose la question de la soutenabilité de l'appel au marché pour financer les dépenses, quelle qu'en soit la nature.

L'État est, en toute logique, emprunteur en dernier ressort. Des règles de cantonnement ont été posées, notamment pour interdire l'endettement de ce qu'on appelle les organismes divers d'administration centrale - les opérateurs pour faire court -, ce qui permet d'afficher la réalité des prix.

Je distinguerai tout d'abord la transparence et la consolidation de l'information. Votre commission a eu, je pense, communication du récent rapport de l'OCDE. Il a été élaboré à la demande du Gouvernement à propos de l'effectivité de notre système de pilotage de finances publiques. Il confirme ce que divers classements, comme celui du FMI, avaient déjà indiqué : la France se caractérise plutôt par un haut niveau de transparence de l'information. Cela a été repris par le président de la première chambre de la Cour des comptes.

Sont recensés tous les différents périmètres possibles de dette publique, les garanties, les engagements hors bilan. On peut bien sûr toujours progresser dans la présentation de ces éléments. Le rapport fait un certain nombre de propositions sur la manière dont on pourrait consolider ces informations dans les documents parlementaires, mais il n'existe pas de dette cachée, de risque caché qui n'ait pas été étudié.

Vous m'avez interrogée plus précisément, monsieur le rapporteur général, sur la question du périmètre et les risques éventuels, après SNCF Réseau, d'autres consolidations. Un premier point de méthode : ce ne sont ni la direction du budget ni aucun des deux ministères de Bercy qui procèdent à ce classement - et c'est heureux ! C'est bien l'oeuvre de l'Insee, en coordination avec Eurostat. Vous vous êtes fait l'écho d'interrogations remontant à l'année dernière, relatives au statut de l'Agence française développement. Nous ne sommes pas partie prenante à ces échanges entre statisticiens sur la façon dont s'appliquent les règles. On s'intéresse bien évidemment aux résultats, mais il n'y a pas de manipulation de ces périmètres de dette - et je pense que c'est très protecteur pour les citoyens.

Les interrogations ne concernent pas que la France. Il arrive régulièrement qu'on se pose des questions sur la consolidation, dans les administrations publiques, de telle ou telle entité. L'important, du point de vue du Gouvernement, est d'être explicite sur les critères retenus et sur les conséquences des décisions prises par des autorités statistiques indépendantes. Je pense que c'est le cas.

On a essayé, l'année dernière, de tenir les parlementaires au courant de la situation de la SNCF au fur et à mesure des échanges. Il n'y a pas lieu de faire d'autres commentaires. La Cour des comptes a raison de pointer le fait que ces débats peuvent être des débats d'experts, alors même que les enjeux sont considérables, mais je ne voudrais pas qu'on puisse laisser entendre qu'il existe des problèmes de transparence, parce que ce n'est pas le sujet. C'est même un des points forts de notre système, apprécié encore récemment par l'OCDE.

Vous nous avez interrogés sur la manière dont on appréhendait le risque de taux. J'insiste sur le fait que le Gouvernement s'astreint à la prudence dans l'appréciation de ce risque en prenant des hypothèses conservatoires. On parie toujours sur une remontée des taux d'intérêt, et on essaye d'être prudent dans cette appréciation. Comment cela se traduit-il concrètement dans nos objectifs de pilotage des dépenses ? L'objectif sur lequel le Gouvernement bâtit sa trajectoire - la norme de dépenses pilotables - est construit hors charges de la dette ce qui, sur la période récente, a permis en moyenne d'avoir plutôt de bonnes nouvelles en exécution, nos objectifs généraux de dépenses publiques ne dépendant pas du niveau des taux d'intérêt.

Cela ne signifie pas que la charge de la dette n'est pas un sujet de préoccupation, bien au contraire. Les ordres de grandeur dont on parle sont fort éclairants, mais on se fixe des objectifs indépendamment des risques de taux, et on est transparent sur le fait que l'on s'attend à une augmentation des taux d'intérêt et du risque de taux dans les trajectoires pluriannuelles.

Sans être trop explicite, je pense que nous pouvons confirmer l'appréciation de maîtrise des risques s'agissant de la dette des collectivités locales. Le rapport mentionne la nécessité de consolider l'information sur les garanties qui peuvent être données. Il n'y a pas de volonté de cacher quoi que ce soit, mais notre système de collectivités locales étant relativement éclaté, l'information est plus difficile à consolider. Comme l'indique toutefois le rapport, le Gouvernement cherche à produire de l'information consolidée en la matière de manière plus régulière.

S'agissant de l'Unédic, il s'agit d'abord de se donner des objectifs en dépenses. Un cadrage a été établi par le Gouvernement sur les situations d'économies. En tant que telle, la question est bien de regarder jusqu'où on peut avoir une trajectoire redressée en termes structurels, qui passe nécessairement par la définition d'objectifs. Je rappelle que l'État garantit la dette de l'Unédic de manière explicite. Le Gouvernement insiste tous les ans sur la situation effective de l'Unédic et rappelle le déficit structurel qui s'y attache.

Je répète que ces risques sur la dette existent et que nous nous attachons à les présenter de la manière la plus transparente possible.

Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice de la sécurité sociale. - Le rapport de la Cour des comptes rappelle la démarche de remboursement et d'apurement de la dette sociale qui s'appuie sur la CADES, à hauteur de 155 milliards d'euros. Il reste à rembourser 105 milliards d'euros. Ce sera chose faite en 2024, des recettes étant affectées au remboursement.

L'encours de dette aujourd'hui porté à court terme par l'Acoss, qui n'a pas été transféré à la CADES, sur lequel vous m'avez interrogée, monsieur le rapporteur général, fait l'objet d'un traitement par l'Acoss, avec une gestion de trésorerie à court terme. Ce montant s'élève pour 2019 à 26,5 milliards d'euros.

Vous m'avez demandé quels étaient les risques que pouvait présenter cette somme. En termes de taux, la situation est plutôt favorable depuis plusieurs années à la gestion d'un endettement à court terme. Le rapport de la Cour des comptes l'a bien souligné. La situation est plutôt favorable à l'Acoss. En termes de liquidité, il est important de souligner que l'Acoss n'a jamais eu de difficultés, même dans des situations de tension sur les marchés financiers, comme en 2008-2009.

Nous veillons attentivement à ce que la sécurité sociale puisse bien financer ses besoins à court terme. Il est prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale une reprise de dette de l'Acoss, avec un transfert vers la CADES à partir de 2020. Ce montant de reprise de dette sera ensuite ajusté entre 2020 et 2022, comme le prévoit la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

M. Anthony Requin, directeur général de l'Agence France Trésor. - Je voudrais tout d'abord saluer le rapport de la Cour des comptes et la qualité des échanges que nous avons eus avec les rapporteurs. Nous partageons la plupart de leurs constats.

Deux remarques générales sur notre trajectoire d'endettement. En premier lieu, nous sommes en voie de stabilisation du ratio de dette rapportée au PIB, résultat d'un effort constant engagé depuis 2009 en faveur de la réduction du déficit budgétaire.

En second lieu, nous accusons un certain retard vis-à-vis d'un certain nombre de pays européens. Nous sommes dans une situation sensible, car nous nous situons à notre point d'inflexion. Nous avons stabilisé le ratio de dette sur PIB et, si nous maintenons nos efforts, nous pouvons entamer une trajectoire descendante. C'est un moment qu'observent attentivement les agences de notation et les investisseurs.

Les agences de notation reprochent à la France de ne pas être en mesure, lorsque la croissance revient, de stabiliser et d'infléchir ce ratio de dette rapportée au PIB. C'est d'ailleurs ce qui est à l'origine de la dégradation de notre qualité de crédit ces dernières années. C'est ce qui nous a manqué au cours des vingt ou trente dernières années, le stock et l'encours de dette accusant un choc à la hausse, de même que le ratio de dette sur PIB, et n'arrivant pas à être stabilisés ou infléchis en période de retour de la croissance.

Il nous appartient de démontrer que nous sommes capables de nous insérer dans un mouvement durable de réduction de ce ratio de dette sur PIB. Les décisions prises en matière de finances publiques et, au premier chef, par le Parlement, sont d'une importance cruciale pour la qualité de crédit de la France, à l'origine de laquelle se trouvent les conditions d'endettement très favorables dont nous bénéficions encore aujourd'hui.

S'agissant de la situation différenciée par sous-composantes de la dette publique, la situation de l'État apparaît effectivement plus dégradée que celle des collectivités locales ou des organismes de sécurité sociale. L'amélioration optique des composantes ASSO et APUL résulte sans aucun doute de bonnes décisions de gestion, mais aussi de choix publics et de transferts de ressources au bénéfice des collectivités locales et des administrations de sécurité sociale. Je pense par exemple à la décision de compensation des allégements généraux de charges, qui ont eu pour effet de concentrer le déficit public sur l'État. Ces choix de politique publique sont tout à fait justifiés, mais ont pour effet de concentrer sur l'État le déficit budgétaire.

L'accroissement de la taille du programme de financement de l'État est un défi pour les années à venir. Nous allons avoir des refinancements de plus en plus importants, et si nous ne sommes pas en mesure de contrôler le déficit budgétaire à la baisse, nous rencontrerons sur les marchés des problèmes de financement de plus en plus importants.

S'agissant du rapprochement entre l'Agence France Trésor et la CADES, les équipes ont été réunies sur un même site à Bercy. On peut d'ores et déjà considérer que cette mutualisation a permis une réduction du risque opérationnel, notamment en stabilisant les équipes de la CADES transférées à l'AFT. Nous développons petit à petit la mutualisation des méthodes de travail et des outils informatiques. Nous bénéficions également de l'expérience acquise par des équipes très expérimentées et très professionnelles.

Vous avez posé une question sur l'évolution de la dette à court terme dans le cadre de la loi de finances pour 2019, en augmentation de 15 milliards d'euros, en vous interrogeant sur son explication et sur les risques qu'elle pouvait générer. Je pense que le risque de refinancement lié à cette augmentation très modérée de la dette à court terme est entièrement maîtrisé. La dette à court terme a représenté en 2010 près de 18,9 % de la dette totale de l'État. Ce montant a été progressivement réduit ces dernières années, puisqu'elle ne représente plus que 6,7 % de la dette négociable de l'État à la fin 2018.

Nous avons considérablement réduit le stock de titres d'État à court terme, les fameux Bons du Trésor français (BTF). L'encours, qui était de 200 milliards d'euros, a été ramené à 126 milliards d'euros à la fin 2017 et à 112 milliards d'euros à la fin 2018.

On se retrouve dans une situation où il nous faut conforter ce segment dans sa liquidité. La décision d'augmenter de 15 milliards d'euros la taille des encours de BTF a été également prise à cette aune. Ce n'est pas la seule explication. La deuxième explication est liée à la nature du besoin de financement pour 2019, qui est revu à la hausse, avec près de 26 milliards d'euros d'augmentation du déficit budgétaire lié à des éléments non récurrents, comme le choc de la transformation du CICE en allégements de charges pour les entreprises, qui nous conduit à devoir encourir un double coup de cette bascule du CICE en allégements généraux, ou l'effet sur le déficit public du prélèvement à la source, qui se traduit par une moindre recette fiscale pour l'État de 6 milliards d'euros.

Cet impact aurait certes pu se traduire par une augmentation du programme de financement à long terme de l'État de 26 milliards d'euros, mais cela aurait constitué un message un peu alarmiste pour le marché à propos de l'évolution des besoins de financement de l'État, alors que nous sommes en situation de consolidation budgétaire. Il nous a semblé préférable, pour cette raison, de faire financer ces éléments non récurrents par une augmentation de la dette à court terme.

La dernière question portait sur le risque de taux et le risque de refinancement. Ce risque est effectivement bien appréhendé dans notre approche budgétaire, non seulement pour 2019, mais aussi pour les années ultérieures. Nous prenons, dans le cadre de la préparation des programmes de stabilité, une hypothèse d'augmentation des taux à long terme de 75 points de base par an pour les faire converger vers 4 %.

Pour 2019, je rappelle que notre hypothèse était basée sur des taux à dix ans de 1,40 % à la fin de 2018 et de 2,15 % à la fin de 2019. Les dernières données montrent que notre taux d'endettement à dix ans est aux alentours de 0,55 %. Nous sommes effectivement prudents, et je pense que le risque de taux est parfaitement intégré dans toutes nos esquisses budgétaires, à court terme ou à moyen-long terme.

M. Luca Ascoli, chef du bureau D1 et directeur par intérim de la direction « Statistiques des finances publiques » d'Eurostat. - Eurostat est responsable de l'harmonisation des règles et des chiffres officiels présentés dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Ceci inclut également la dette de Maastricht. Nous travaillons en étroite coopération avec les pays membres. Les règles sont publiées dans un manuel mis à jour tous les trois ans.

On doit donc répondre aux questions qui nous sont adressées par 28 pays. On a évoqué le fait qu'on avait émis une réserve sur le classement de l'Agence France Développement, réserve qui a été levée après que la gouvernance de l'AFD a été modifiée. Il n'y a donc plus aucun problème à ce sujet, puisque nous considérons que l'AFD est bien classée dans le secteur des sociétés financières et non dans le secteur de l'État.

En ce qui concerne les risques, nous discutons sans cesse avec les pays membres. Notre préoccupation principale est d'harmoniser les règles. Nous nous penchons en ce moment sur les hôpitaux, classés parmi les APU dans certains pays et en dehors dans d'autres. En France, les hôpitaux publics font partie de l'administration publique. Il n'y a donc pas de risque à ce niveau. Il en va de même pour le chemin de fer. SNCF Réseau a été reclassée dans le périmètre de l'État. Même à l'époque de RFF, qui était classé en dehors du secteur public, une bonne partie de sa dette relevait déjà de la dette de l'État, l'Insee considérant qu'il n'était pas possible de rembourser cette dette avec les moyens de RFF. On pouvait donc estimer qu'une bonne partie de la dette aurait été remboursée en fin de compte par l'État.

Le troisième secteur pour lequel on réalise une comparaison entre les 28 pays de l'Union européenne concerne les logements sociaux. En France, les HLM sont effectivement classés en dehors des administrations publiques. La situation des différents pays de l'Union européenne est quelque peu hétérogène à ce niveau. Dans certains cas, les entités qui s'occupent des HLM ont été récemment reclassées dans le périmètre des administrations publiques. C'est le cas de l'Irlande. On essaye d'harmoniser les règles et le classement au niveau européen.

M. Raoul Briet. - S'agissant des questions de périmètre, j'appelle votre attention sur le fait qu'au Royaume-Uni, suite à un travail de l'OFR, équivalent du Haut Conseil des finances publiques, un mécanisme d'échange d'informations plus organisé a été mis en place sur ce qui est prévu en termes de modification de périmètre des entités publiques. Notre pays gagnerait à s'en inspirer.

M. de Montgolfier a évoqué la question de l'augmentation des taux d'intérêt accompagnant un retour à meilleure fortune économique, donc neutre en termes de finances publiques. Ce sont des débats très classiques entre la direction du budget et la direction du Trésor. Je rappelle que si cela a un effet positif en première intention sur les recettes, il arrive un moment où les dépenses s'ajustent sur la croissance économique et sur l'inflation, venant neutraliser le surcroît temporaire de recettes.

Je pense donc qu'il serait dangereux, d'un strict point de vue budgétaire, de considérer que l'augmentation de la charge d'intérêt serait auto-absorbée par le reste de l'appareil. Je pense que l'effet de second tour sur les dépenses doit être pris en compte.

Pour ce qui est de la consolidation, chaque entité politique et juridique est effectivement responsable de sa dette mais, comme l'a dit Anthony Requin, vu des marchés et de l'extérieur, la maison France représente des administrations publiques, avec une forme de solidarité financière en termes d'appréciation du risque entre les hôpitaux, les collectivités locales, la sécurité sociale et l'État. Il existe des compromis institutionnels qui font que, dans certains pays, la part relative de la dette va plutôt aux collectivités locales. Il y a donc de fait et financièrement une forme de lien qui s'établit entre ces différentes dettes.

Enfin, je ne répondrai pas à la question sur la stratégie budgétaire, pas plus que la directrice du budget. Je rappelle simplement l'insistance que met la Cour des comptes à traiter du sujet de la dépense publique. Deux sujets sont importants, la dépense et la dépense. C'est un point central et, s'il y a eu des progrès dans la période récente, il en reste d'importants à réaliser. Je pense qu'il est essentiel de se rappeler ce sain et bon principe !

M. Vincent Éblé, président. - La parole est aux commissaires.

M. Pascal Savoldelli. - Je pense que la discussion aurait mérité un temps plus long - même si nous avons déjà eu des débats sur la soutenabilité de la dette.

Vous avez dit que la maturité de la dette de l'État était de sept ans à sept ans et demi. Il faut cependant veiller à ne pas présenter ce sujet comme un scénario catastrophe, et ne pas participer à une démocratie d'opinion. Les taux à dix ans sont pour le moment à 0,52 %, soit un point sous l'indice des prix à la consommation. Or le taux pondéré des émissions 2019 ressort, un mois et demi après les premières adjudications, à 0,38 %. Nous sommes dans l'expression d'une parole publique, et il convient d'être prudent.

Vous avez par ailleurs évoqué à juste titre la soutenabilité de la dette publique. Pouvez-vous me garantir qu'il n'y a aucune corrélation entre la dette privée et la dette publique ? La réponse, si je puis me permettre, devrait figurer dans le rapport, ce qui n'est pas le cas. Si je le trouve très fourni et très intéressant par ailleurs, il apparaît assez faible pour ce qui est de l'évolution des recettes fiscales.

Enfin, vous confortez l'idée que je me fais des relations qui doivent être celles de l'État avec les collectivités territoriales. L'État a une maturité de la dette comprise entre sept ans et sept et demi. Les collectivités territoriales ont une maturité de la dette de dix-neuf ans. Selon moi, il faut un nouvel acte de décentralisation et une révision constitutionnelle qui reconnaisse l'autonomie fiscale et financière des collectivités locales, car on sera sûr de produire de l'investissement public, les collectivités territoriales n'empruntant que pour de l'investissement.

M. Éric Bocquet. - Ce sujet nous passionne, tant il est essentiel dans le débat public depuis quelques décennies maintenant. Avec la dette, on est sûr d'être toujours dans l'actualité !

Un article des Échos du lundi 18 février 2019 titrait : « Et si la dette publique était un faux problème ? ». Je cite l'auteur de l'article, M. Vittori : « Les taux d'intérêt à long terme sont encore aujourd'hui étrangement bas ». Je m'interroge sur cette formulation. Dans le corps de l'article, on trouve également une citation de M. Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, qui affirme : « Si la dette publique est nuisible, elle n'est pas catastrophique. Elle peut être utilisée, mais à bon escient ».

On voit que ce sujet de la dette est un sujet politique et non pas strictement comptable. Pascal Savoldelli a raison : on ne parle pas de recettes dans votre rapport, que j'ai lu avec beaucoup d'attention. Vous l'avez dit vous-même : il y a deux sujets importants, la dépense et la dépense.

Un bébé est né ce matin. Il est endetté à 32 000 euros à cause de ses parents, qui ont voulu les 35 heures, de ses grands-parents, qui ont voulu la sécurité sociale, et de ses arrière-grands-parents, qui ont voulu les congés payés ! La France vit au-dessus de ses moyens : nous ne pouvons plus financer notre modèle social ! Voilà la doxa officielle...

Deuxième remarque : vous semblez avoir du mal à cerner la réalité de cette dette - et vous le dites. Les termes sont assez intéressants. Vous parlez de « lacunes », de « recensement imparfait », d'« informations éparses », de « méthodes fluctuantes », de « périmètre mal défini », d'« informations partielles », etc.

Cela m'étonne par rapport au fait que, chaque année, quand on commence l'examen du projet de loi de finances, c'est d'abord le dogme de la dette qui est posé, incontestable, irréfutable, pierre absolue qui doit guider nos réflexions et nos choix budgétaires. Je m'étonne un peu de ce décalage entre la difficulté que vous avez à cerner les choses et cette réalité qu'on affirme chaque année depuis maintenant 45 ans : la dette, la dette, la dette, comme le poumon du médecin de Molière !

J'aimerais par ailleurs savoir avec quels établissements travaille l'Agence France Trésor. Comment sont sélectionnés les établissements bancaires avec lesquels vous traitez, ceux qui sont chargés de gérer la dette, les obligations de l'État ? Je pense à certaines banques à qui l'on confie parfois cette mission. Il y aurait matière à discussion à ce sujet.

La France va emprunter 200 milliards d'euros cette année, un peu plus que ce qui était prévu. C'est le programme de dette le plus important de l'histoire de notre pays, d'après ce que j'ai pu lire. Nos créanciers sont-ils devenus fous ou sommes-nous complètement irresponsables ? Peut-on imaginer qu'une banque prêterait à un client à découvert de l'argent pour acheter un nouveau véhicule ?

Les taux d'intérêt négatifs ont donné lieu, il y a quelques années, à des primes d'émission que le budget de l'État a pu récolter grâce à ces taux négatifs. On remboursait les coupons plus chers qu'on ne les achète aujourd'hui. Fin 2016, on avait récolté 73 milliards d'euros de primes d'émission, dont 52 milliards d'euros avaient été mis de côté pour le futur. La Cour des comptes a réalisé un audit des finances publiques en juin 2017. Vous en parliez alors. Ce chiffre était de 20,8 milliards d'euros en 2016 et de 22,7 milliards d'euros en 2015. Comment ces sommes sont-elles utilisées dans le budget de l'État ? Le Parlement, à ma connaissance, ne dispose pas de cette information. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?

M. Michel Canévet. - Si nous avons beaucoup d'informations, nous éprouvons des difficultés à avoir une approche aussi globale que celle que présente le rapport de la Cour des comptes, et j'observe que la mesure de la dette va de 89 % à 135 % du PIB. C'est dire si l'on a encore des marges d'interprétation.

J'ai par ailleurs savouré l'optimisme du directeur général de l'Agence France Trésor, car j'ai plutôt le sentiment que nous avons un certain nombre de difficultés devant nous. La dette continue en effet à évoluer, et un certain nombre d'éléments doivent nous conduire à la prudence en la matière. Je pense à la suppression de la taxe d'habitation, en partie réalisée, qui doit être compensée par l'État. Cela doit se faire obligatoirement par la dette, puisqu'il n'existe pas de réserves. Tout ceci peut constituer un motif d'inquiétude.

Cela étant, vous avez raison, monsieur le président de la première chambre : il faut absolument que l'on puisse agir sur les dépenses. C'est un impératif, car le retour à l'équilibre des finances publiques est absolument essentiel, et on sait bien que nous avons aujourd'hui un certain nombre d'incertitudes sur la question des recettes. Éric Bocquet l'a évoqué à l'instant mais, avec un objectif global de diminution de la pression fiscale, il est bien évident que celle-ci devrait diminuer ou ne pas augmenter de façon aussi importante que les besoins identifiés.

Vous avez notamment proposé, monsieur le président, que nous fixions un objectif de dépenses en euros constants chaque année. Qui doit s'en charger ? Est-ce le Parlement, les administrations centrales, ou une autorité indépendante ?

Je voudrais également demander à Mme la directrice de la sécurité sociale si la dette des hôpitaux et des établissements publics qui leur sont rattachés est véritablement identifiée et maîtrisée. Le rapport parle de 30 milliards d'euros en 2016, sur les 225 milliards d'euros de dette des ASSO. Avez-vous une bonne connaissance de la situation réelle ? C'est là un enjeu important, ces postes de dépenses augmentant assez fortement pour un certain nombre d'établissements. Je présume que la situation doit être analogue pour l'ensemble des établissements du périmètre de la fonction publique hospitalière.

Enfin, le Haut Conseil des finances publiques a-t-il aujourd'hui les moyens de mener une analyse pour éclairer le Parlement ?

M. Philippe Dallier. - En entendant certains de nos collègues, je me disais qu'au sein du parlement grec et de sa commission des finances, deux ans avant la grande catastrophe, certains devaient se dire que la dette n'était pas un problème. Certes, on n'en est pas là, mais je pense qu'on a intérêt à y réfléchir. Avec 20 milliards d'euros à dix ans pour 100 points de base, le risque est quand même considérable !

Cela étant, je voulais revenir sur la situation des collectivités locales et vous demander si vous ne sous-estimez pas le risque lié aux emprunts garantis, notamment vis-à-vis des bailleurs sociaux. La situation des communes est globalement saine, le taux d'endettement est relativement réduit, les taux sont longs, très majoritairement fixes, mais il y a des emprunts garantis. Je vais citer l'exemple d'une commune que je connais bien en Seine-Saint-Denis, qui compte 24 000 habitants, 12 millions d'euros d'encours de dette - moitié moins que la moyenne nationale, tout à taux fixe. Tout va bien. L'emprunt garanti auprès des bailleurs sociaux s'élève à 57 millions d'euros, soit deux budgets annuels de la commune.

Il y a trois ans, je ne vous aurais pas posé la question : les bailleurs sociaux étaient globalement dans une bonne situation et, en cas de problème, la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) faisait le nécessaire. On est à présent dans un nouveau monde, et je vous renvoie à une intéressante étude de la Caisse des dépôts et consignations, qui démontre que, après les mesures du Gouvernement sur la réduction de loyer de solidarité (RLS), le secteur sera globalement en autofinancement négatif en 2037. Les mesures de compensation de la Caisse des dépôts qui visent à aider les bailleurs servent essentiellement à repousser les emprunts. On renégocie la dette, on la pousse devant nous. Arrivent les prêts de haut de bilan, on la pousse à nouveau devant nous !

Les bailleurs sociaux empruntent essentiellement à taux variable. Ne sous-estimez-vous pas les risques ? Certaines communes ont énormément d'emprunts garantis. Or il n'existe pas de limites en la matière. Certaines sont très largement engagées et pourraient bientôt se trouver face à des difficultés si, tout d'un coup, les taux d'intérêt flambaient.

Mme Fabienne Keller. - Les partenariats public-privé (PPP) sont-ils bien inclus dans la mesure de la dette ? Je pense aux PPP sur les lignes de TGV Le Mans-Rennes ou Bordeaux, ou sur les bâtiments publics, les gendarmeries, les tribunaux et autres commissariats.

Concernant les collectivités locales, vous avez évoqué le bilan intermédiaire de l'expérimentation en vue de la certification des comptes locaux, mais vous ne nous en avez pas donné les conclusions. C'est une piste intéressante pour éviter que les collectivités qui ont une dette plus raisonnable n'évoluent vers une situation financièrement plus risquée. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Autre question à Mme la directrice de la sécurité sociale : comme mes collègues, je m'inquiète de l'endettement des grands CHU, qui assument de très gros investissements, indispensables pour être techniquement à niveau. Toutefois, une grande partie se fait par endettement. Or les grands plans de financement d'il y a dix ou quinze ans n'existent plus. Quelle est votre analyse à ce sujet ?

Mme Christine Lavarde. - Le comparatif sur l'évolution de l'endettement entre la France et l'Allemagne qui figure dans le rapport de la Cour des comptes m'a particulièrement intéressée. On voit bien que l'écart va grandissant, mais on ne raisonne pas sur le même périmètre. Cela rejoint les deux interventions précédentes qui concernent l'endettement des hôpitaux, puisqu'il est inclus dans la dette française, alors qu'il est exclu dans la dette allemande. Savez-vous comment évoluerait l'écart entre les deux pays si on raisonnait sur le même périmètre ?

Par ailleurs, existe-t-il d'autres éléments qui ne soient pas forcément inclus dans l'ensemble des pays de l'Union européenne ou de la zone euro, ce qui fausse un peu les comparaisons ? Que notre pays figure parmi les dix pays les plus endettés au monde selon le FMI m'inquiète pour notre avenir.

M. Jean-François Husson. - J'ai apprécié la rigueur des chiffres, dont on dit qu'ils sont têtus. Je m'interroge d'ailleurs et je rejoins mon collègue Éric Bocquet. Dans les pays avancés, le poids de la dette publique a augmenté de 50 % depuis 2007 selon le FMI, passant grosso modo à plus de 100 % du PIB, alors qu'on était à 70 % du PIB en 2007.

En second lieu, les taux d'intérêt ont baissé de trois points environ aux États-Unis et de quatre points dans la zone euro. On entend une petite musique selon laquelle avoir une dette publique n'est pas un problème puisque les taux d'intérêt sont bas et qu'on est plutôt gagnant. Quel est votre avis à ce sujet ?

Mme Nathalie Goulet. - En tant que sénateur de l'Orne, je trouve qu'on est en train de jouer au sapeur Camembert, puisqu'on va creuser des trous pour rembourser les dettes. Il se trouve que je suis aussi rapporteur des engagements financiers de l'État. Je ne suis donc guère rassurée.

Je me focaliserai pour ma part sur la sécurité sociale. Une enquête est en cours sur la fraude documentaire, les fausses identités et leur impact financier. Les services de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) dénombrent 20,9 millions de numéros d'immatriculation attribués à des Français nés à l'étranger ou à des étrangers arrivant en France et demandant un numéro d'immatriculation. Or il n'y a pas 21 millions de personnes nées à l'étranger sur le territoire national. Pourriez-vous nous indiquer le nombre exact de numéros d'inscription au registre du Service administratif national d'immatriculation des assurés (SANDIA) ?

Par ailleurs, quels outils d'évaluation de la fraude documentaire avez-vous mis en place ?

M. Jean-Marc Gabouty. - Vous avez parlé de la transparence de la dette, ce que je conçois parfaitement, bien que la vision qu'on en a puisse être opaque du fait de la complexité du dispositif et de l'ensemble des mécanismes budgétaires de l'État. On peut se poser la question de savoir à quoi la dette a servi en termes d'emploi. On verra que cela a une importance pour les collectivités locales.

Dans un souci de transparence et de clarification, n'estimez-vous pas que l'on pourrait renforcer les mécanismes de cantonnement au niveau de la dette de l'État, et aller vers un système proche de celui de la CADES, de manière à avoir un budget de l'État hors charge de la dette, avec des objectifs de retour à l'équilibre sur ledit budget, sachant qu'on continuera à emprunter pour faire face à la charge de la dette ? Seul l'État ayant le droit de faire de la cavalerie, ni les collectivités ni les entreprises ne peuvent se permettre ce genre de choses.

S'agissant des collectivités locales, je ne pense pas que les critères généralement retenus en termes de désendettement soient nécessairement les plus pertinents. Ce sont pourtant ceux qui sont principalement utilisés par la DGFIP dans les différentes analyses, sans tenir compte des aspects patrimoniaux. On peut être en bien meilleure santé avec une dette relativement élevée, un patrimoine important et négociable et une forte épargne que sans dette ni épargne.

Par ailleurs, estimez-vous qu'il existe un lien entre la qualité et la capacité d'endettement de la France et le niveau de l'épargne, celui-ci étant supérieur à l'ensemble de l'endettement public et privé, soit 5 000 milliards d'euros ?

Comment considérez-vous le fait de tout ramener au PIB, qui constitue une forme d'intoxication collective ? On dit toujours que la dette de l'État va représenter 80 % du PIB et la dette publique 100 % du PIB mais, en réalité, la dette de l'État représente quatre années et demie à cinq années de recettes fiscales. Comment sortir de cette approche ?

M. Dominique de Legge. - Je ne partage pas tout à fait l'appréciation de M. Requin selon laquelle le déficit aurait pour cause les transferts de l'État vers les collectivités territoriales. Avec ce type de raisonnement, on peut expliquer que le déficit de l'État augmentera demain parce que la décision a été prise de supprimer la taxe d'habitation et qu'il faut la compenser ! Il faut donc être très prudent lorsque l'on veut établir ce type de rapprochement, permettez-moi de vous le dire comme je le pense. Cela peut expliquer les difficultés que peuvent rencontrer les collectivités territoriales dans leur dialogue avec l'État.

Ma question s'adresse à la Cour des comptes. Pouvez-vous nous dire quelle est la dette potentielle comparée à la dette réelle ?

M. Patrice Joly. - Un certain nombre de collègues ont évoqué la question des ratios au regard des débats qui animent les économistes. Il aurait été intéressant de mettre en perspective les ratios retenus pour apprécier la situation financière de la France et des États en général. Ce serait un éclairage important pour les décideurs politiques.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur la question de la dette publique et du lien avec la dette privée. Si la dette publique peut être plus importante en France que dans d'autres pays, l'évolution de la dette privée l'est également depuis quelques années. Il s'agit cependant de niveaux d'endettement inférieurs à ceux de la Grande-Bretagne ou des États-Unis même si, globalement, nous sommes plus endettés que les Allemands.

Ce que vous avez dit à propos des transferts d'endettement des collectivités à l'État ne correspond pas à la réalité. J'étais, il y a encore un an et demi, président du conseil départemental de la Nièvre. Nous avions calculé que la différence entre les compensations et les charges transférées représentait le niveau d'endettement de la collectivité, soit 250 millions d'euros à l'époque, c'est-à-dire le niveau de l'investissement global correspondant au déploiement du numérique haut débit sur l'ensemble du territoire départemental. Je conteste donc votre rapprochement.

Enfin, le rapport fait référence aux agences de notation. Je me demande s'il n'aurait pas été utile de prendre quelques précautions à ce sujet au regard de la fiabilité de leurs travaux. On s'est aperçu, au moment de la crise de 2008, qu'elles avaient été totalement défaillantes. Il me semble que les évoquer, même si on mesure l'impact qu'elles peuvent avoir sur les marchés financiers, est d'une certaine manière les cautionner, et je ne suis pas sûr qu'elles le méritent au regard de l'histoire récente.

M. Anthony Requin. - Concernant l'Agence France Trésor et les établissements avec lesquels nous travaillons, notre marché de la dette est structuré de manière duale. Nous recourons à un marché primaire. Nos émissions interviennent essentiellement par le biais d'adjudications, plus rarement par syndications. Ce marché primaire est ouvert à de grands établissements financiers spécialistes en valeurs du Trésor. Ils sont au nombre de quinze.

Ces établissements viennent d'être renouvelés pour une durée de trois ans. Ils sont sélectionnés après dépôt d'un dossier de candidature. L'appel à candidatures est ouvert et transparent. Ces établissements doivent répondre à un cahier des charges, la charte des spécialistes en valeurs du Trésor, qui comporte un certain nombre de droits : pouvoir acquérir du papier d'État, donc de la dette de l'État, lors des séances d'adjudications que nous réalisons tous les lundis pour les titres à court terme, et deux fois par mois pour les titres à moyen-long terme.

La charte comporte également des devoirs : assurer la liquidité de la dette française à tout moment, en proposant des fourchettes de prix à la vente et à l'achat pour animer le marché secondaire, assurer la liquidité de la dette d'État, élément très important et très apprécié des investisseurs, assurer l'information des marchés, publier des notes de recherche sur les titres que nous mettons en adjudication et sur l'économie française et, de manière générale, conseiller l'AFT sur toutes les opérations de marché effectuées.

Les candidatures donnent lieu à audition par un comité de sélection, dont la composition récente a été publiée. Le dernier comité de sélection était placé sous la présidence de M. Christian Noyer, ancien gouverneur de la Banque de France. Il comporte un parlementaire de chaque chambre.

À l'issue de ce comité de sélection, une recommandation est transmise au ministre par la directrice générale du Trésor, qui décide de la liste des établissements retenus pour trois ans.

Vous avez posé une question sur les taux d'intérêt négatifs et la génération de primes à l'émission et de leur usage. Je voudrais juste rappeler que les primes à l'émission ne sont pas des recettes budgétaires, mais des ressources de trésorerie. Nous en avons rendu compte dans les nombreux échanges avec la Cour des comptes et avec les rapporteurs de la commission des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale. Nous avons utilisé ces excédents de ressources de trésorerie pour diminuer notre endettement à court terme, qui est passé de 200 milliards d'euros en 2010 à près de 112 milliards d'euros en fin d'année dernière.

Cette réduction a notamment été rendue possible par la génération de ces primes à l'émission consécutives à la baisse des taux d'intérêt. Il faut naturellement s'attendre, dans l'avenir, à ce que ces taux d'intérêt augmentent. De la même façon que nous avons généré des primes à l'émission, nous risquons de générer des décotes à l'émission. Elles ont vocation à être couvertes par notre instrument de trésorerie à court terme.

Une dernière remarque s'agissant de mon commentaire sur la composition de l'endettement par sous-catégorie de personnes publiques. Je ne voudrais pas qu'il y ait de malentendus. J'ai indiqué que la situation était différenciée entre les administrations de sécurité sociale, les collectivités locales et l'État. J'ai précisé que ceci était probablement le résultat de décisions de bonne gestion, mais qu'il ne fallait pas oublier que l'État a été le seul à concentrer les conséquences des décisions d'allégements généraux de charges décidées par la représentation nationale au cours de ces dernières années. Ce faisant, le déficit a été de ce fait concentré sur l'État. Ces allégements, bien, qu'il s'agisse d'une politique publique générale endossée par la représentation nationale, n'ont pas été répartis nécessairement entre les trois sous-composantes, ce qui entraîne un effet spécifique d'alourdissement du déficit budgétaire de l'État.

Il n'y avait aucune intention de ma part d'émettre un jugement sur la manière dont les finances publiques locales sont gérées. Je pense que la Cour des comptes a dû faire des analyses sur la dynamique de dépenses au niveau local, au niveau social et au niveau de l'État ces dernières années. Il suffit de les consulter pour pouvoir se faire un jugement.

Mme Amélie Verdier. - Madame Keller, le comptable national ne regarde pas la question juridique, mais la réalité du partage de risques. La ligne Sud Europe Atlantique a bien été présentée et intégrée dans les chiffres. De manière générale, en matière de transports, il est rare - mais pas impossible - que ce type de montage aboutisse à une prise de risque suffisante par le partenaire privé pour que cela reste en dehors des comptes publics. Certains États l'ont fait. Tout dépend de la manière dont le partenariat public-privé (PPP) est conclu. Au-delà des questions juridiques, ce qu'on observe, c'est bien la réalité de l'engagement public en soutien. Sur la période récente, tous les PPP substantiels, notamment en matière de transport, ont été consolidés dans les comptes publics.

Mme Lavarde a évoqué la question de la comparaison avec l'Allemagne. Des différences de périmètre ont été explicitement pointées, mais le diagnostic est à peu près le même en dynamique si on neutralise cet effet de changement de périmètre. Les hôpitaux ont été cités. C'est également le cas des retraites complémentaires, qui connaissent des différences de point de départ, mais qui ne changent pas fondamentalement le diagnostic.

Vous avez été plusieurs à faire allusion au sens économique de la dette, question tout à fait pertinente. Il me semble important de dire qu'on ne peut traiter de la même manière, en partant de zéro, un État qui se créerait et qui se poserait la question de l'opportunité de s'endetter à un instant t, sans prendre en compte la considération du stock de dette. Le stock de dette français est élevé et ne s'est pas réduit sur la période récente, même si on arrive au point d'inflexion.

Je ne sais, pour répondre à MM. Savoldelli et Bocquet, si l'on va revenir sur la question des recettes fiscales. Ce qu'on peut dire de manière factuelle c'est que, lors de la précédente grande crise des finances publiques, les gouvernements successifs ont répondu par les prélèvements obligatoires. Sur la période 2011-2013, ils ont augmenté de manière substantielle. Depuis, les gouvernements poursuivent une politique de réduction des prélèvements obligatoires. Le Gouvernement cherche à les réduire d'un point à l'horizon du quinquennat.

Au-delà de ces choix politiques, ce qui nous distingue de nos collègues européens, c'est bien notre relative difficulté à maîtriser la dépense publique quand la situation économique est meilleure, même si, à moyen terme, la dépense publique a ralenti. Sur dix ans, la dépense publique était sur un trend d'augmentation de l'ordre de 2 % en volume. Il a ralenti à un petit peu moins de 1 % en volume. Le Gouvernement se propose de réduire cette dynamique de manière plus nette.

Mme Mathilde Lignot-Leloup. - Des questions ont été posées sur l'endettement des établissements de santé. Le rapport le rappelle, l'endettement des hôpitaux représente 30 milliards d'euros. Il montre que la situation s'est un peu améliorée, mais c'est un point d'attention important, avec notamment un endettement qui peut parfois être lié à des investissements. Dans les années à venir, l'objectif est notamment de s'assurer que, en cas d'aides à l'investissement, on privilégiera plutôt les aides directes en capital pour éviter autant que faire se peut le recours à l'endettement.

Autre élément important : au-delà de cette situation globale d'endettement des établissements de santé, une attention particulière est portée aux situations d'endettement excessif ou aux modes de financement de cet endettement.

Concernant ce dernier point, il s'agit de savoir si les hôpitaux ne sont pas exposés à des risques de taux, et notamment à des risques d'emprunts structurés. Y recourir est interdit pour les nouveaux emprunts. Restait à expertiser la question d'établissements de santé qui pouvaient continuer à être exposés à d'anciens emprunts structurés, avec la nécessité pour eux de sortir de ces situations. Le ministère de la santé a estimé qu'environ 85 établissements de santé pouvaient continuer à être exposés à ce risque.

Une mesure de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 doit permettre aux établissements de santé de renégocier leur situation. Ce dispositif avait été mis en place pour les collectivités locales, mais manquait pour les établissements de santé. C'est un élément qui vise à éviter l'exposition à ces types d'emprunts particuliers.

S'agissant de la question de Mme Goulet, le SANDIA a aujourd'hui un stock de 18 millions de numéros d'inscription au répertoire des personnes physiques (NIRPP), qui ont été attribués à des personnes nées à l'étranger ou étrangères. L'attribution d'un NIRPP ne veut pas dire que la personne demande une prestation sociale et, a fortiori, que cela représente une prestation sociale ou une fraude.

Un contrôle a été réalisé sur un échantillon de 1 300 dossiers. Ce contrôle a constaté deux cas de fraude aux prestations sociales, soit un taux de 0,15 %.

Mme Nathalie Goulet. - Ma question portait sur le nombre de NIRPP actifs.

Mme Mathilde Lignot-Leloup. - On compte 18 millions de NIRPP, mais on ne sait pas combien de personnes demandent ensuite des prestations sociales ou sont actives à ce titre. Sur l'échantillon de NIRPP contrôlés, 30 % ne donnaient pas lieu à des demandes de prestations sociales.

M. Vincent Éblé, président. - Un travail est conduit par la commission des affaires sociales à ce sujet. J'avais convié le rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, et le président de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, Jean-Noël Cardoux, qui n'ont malheureusement pas pu assister à notre réunion.

M. Luca Ascoli. - En ce qui concerne les PPP, tous ceux réalisés par le Gouvernement sont déjà inclus dans le périmètre de l'administration publique. Le risque de reclassement de ces PPP dans le périmètre est donc nul. Les PPP comportent une clause appelée « clause Dailly ». Elle permet de transférer beaucoup de risques vers l'État. Dans d'autres pays membres, un certain nombre de PPP ne sont effectivement pas inclus dans le périmètre des administrations publiques.

Pour ce qui concerne les hôpitaux et leur comparaison avec l'Allemagne, il n'y a en ce moment en Europe que trois pays dont les hôpitaux publics ne sont pas inclus dans le périmètre des APU, l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas. Nous sommes en train de discuter avec eux, mais inclure tous les hôpitaux publics allemands dans le périmètre de l'État ne changerait pas grand-chose, car ils sont à l'équilibre. Il en va de même en Belgique et aux Pays-Bas.

En Belgique, si on incluait tous les hôpitaux publics dans le périmètre des APU, la dette de ce pays augmenterait de 0,2 % du PIB. Je pense qu'on n'en est pas très loin en Allemagne.

M. Vincent Éblé, président. - Que suscitent toutes ces questions pour le président de la première chambre ?

M. Raoul Briet. - Merci de l'intérêt que manifestent ces questions. Toutes ne sont pas directement en rapport avec notre enquête.

Un certain nombre d'entre elles ont porté sur la dette publique et la dette privée. Il est exact qu'on doit également se préoccuper de cette dernière. C'est la responsabilité du Haut Conseil de stabilité financière. D'un point de vue macro-financier et macroéconomique - qui relève d'un autre registre que celui de la dette publique - il y a matière à s'inquiéter éventuellement des évolutions de la dette privée.

Quelques observations faisaient référence à la question de savoir si la dette publique est économiquement un sujet important. Vous avez cité une contribution académique d'Olivier Blanchard en début d'année. Il faut la lire en intégralité et en mesurer toute la substance. Je vous donne rendez-vous au prochain rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Vos questions sont légitimes et méritent d'être traitées. Nous comptons bien éclairer ce débat.

Pour répondre à M. Bocquet, ce n'est pas parce qu'il y a des éléments hors de la dette financière que la dette financière n'est pas importante, et que ce qui est hors dette financière est de même nature. Il y a inévitablement un spectre si on veut regarder les passifs ou les engagements des États. Même si des progrès restent possibles, la situation est techniquement appréhendée de façon correcte.

S'agissant de la question de M. Canévet sur les objectifs de dépenses toutes APU, ce n'est évidemment pas à la Cour des comptes de fixer cet objectif. Nous analysons les écarts par rapport aux trajectoires. Au-delà des objectifs de dépenses sectoriels, donner de la visibilité à cette exigence de maîtrise renforcée de la dépense, afficher un objectif de dépenses toutes APU en euros courants et examiner ex post la façon dont cet objectif a été ou non respecté par telle ou telle composante nous paraît participer d'une bonne pédagogie en la matière. Ce n'est évidemment pas une solution magique.

S'agissant du Haut Conseil des finances publiques, c'est une question de mandat juridique. Le mandat qui a été donné par les textes au Haut Conseil est plutôt restrictif au regard de ce qui se passe à l'étranger.

M. Dallier a posé une question concernant les emprunts garantis concernant les bailleurs sociaux. C'est un point que nous avons regardé de près. Il est traité dans le rapport. Compte tenu du fait que le modèle économique et la CGLLS excluent par principe la faillite, et au regard des éléments dont on dispose ainsi que des règles prudentielles qui existent pour l'octroi de garanties par les collectivités locales, il ne nous est pas apparu de risque significatif en la matière.

Je crois savoir, monsieur Dallier, que vous avez sollicité un rapport de la Cour des comptes sur la CGLLS. Je pense, sans préjuger de ce qui vous sera dit, que cela confortera un diagnostic de non-urgence ou de non-gravité de la situation, au regard des éléments dont nous disposons aujourd'hui

S'agissant de la certification des comptes locaux, je me suis un peu avancé, mais je signale que la Cour a remis, en application de la loi, un rapport sur sa propre vision et son propre bilan de la première étape d'expérimentation de la situation des comptes locaux au Gouvernement. Celui-ci, après avoir lui-même réalisé ses propres analyses, transmettra l'ensemble aux assemblées.

Les premiers éléments qui ressortent de ce sujet font apparaître, s'agissant de la dette financière, une situation qui ne présente pas de dangerosité ou de risques particuliers. Le diagnostic très général que j'ai pu porter est donc conforté par les premiers enseignements qu'on peut tirer de cette expérimentation de la certification.

Quant à la correction de périmètre concernant les hôpitaux, on ne parle que de 30 milliards d'euros de dettes. Il reste donc encore matière à écarts. Il faut remettre tout le monde sur la même ligne et voir quelles sont les dynamiques à périmètre donné. Je pense que cet élément ne modifie pas globalement le diagnostic d'ensemble que l'on peut porter.

Concernant la dette sociale, il faut rappeler qu'elle est dans son principe une anomalie si on corrige le fait que le cycle économique peut conduire à des évolutions. On finit par l'oublier, mais il faut le rappeler.

La capacité d'endettement et la structure de l'épargne sont de vastes sujets économiques et financiers. Il existe vraisemblablement des liens entre le niveau de la dette publique, le niveau de l'épargne et surtout sa structure si l'on considère la place qu'occupent, via l'assurance-vie, les obligations d'État et les obligations dans l'épargne financière des ménages.

S'agissant de la question de M. de Legge, une garantie d'emprunt signifie l'existence d'un risque et non la réalisation de ce risque. Ce n'est qu'en cas de réalisation du risque qu'il y a décaissement. Les garanties d'emprunt génèrent des recettes pour le budget de l'État. Il ne faut donc pas assimiler le volume global des garanties à l'équivalent d'une dette ou d'une charge. Cela ne signifie naturellement pas qu'il ne faut pas les recenser ni s'en préoccuper.

Enfin, les agences de notation constituent un élément du paysage. On sait bien qu'en matière de dette, les agences de notation sont plus pertinentes sur des entités autres que les entités souveraines, leur métier initial étant de porter une appréciation des émetteurs de marché. C'est un élément important dont les marchés et les prêteurs tiennent compte. C'est pour cela que cela interfère avec la dette publique. L'appréciation du risque souverain est un sujet particulier.

Je n'ai pas répondu à la question du volume de la dette et de son risque. On peut méditer de manière académique sur la question de la dangerosité de la dette publique. On peut aussi méditer des exemples récents, comme celui de la situation budgétaire italienne, qui s'est ajustée en application des règles européennes et des vigilances exercées par la Commission européenne, mais aussi - d'aucuns diraient surtout - en fonction de la réaction du marché, de l'élargissement du spread, et de ce que cela signifie en termes de marges de manoeuvre de la politique budgétaire.

L'exemple italien démontre qu'un niveau de dette publique, quelles que soient les considérations générales sur son caractère optimal ou non, peut mordre très directement sur les marges de manoeuvre des États en termes de politique budgétaire.

M. Vincent Éblé, président. - Merci.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Albéric de Montgolfier.

La réunion est close à 12 heures 40.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 21 février 2019

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics

La réunion est ouverte à 10 h 35.

M. Vincent Éblé, président. - Nous recevons ce matin Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, qui a souhaité nous présenter les résultats de l'exécution 2018.

Il est traditionnel pour notre commission d'entendre, au cours du premier trimestre de l'année, le ministre chargé du budget sur les résultats de l'année écoulée, avant même le dépôt du projet de loi de règlement du budget de l'État, qui arrêtera le montant définitif des dépenses et des recettes de l'État pour l'exercice clos. J'espère, monsieur le ministre, que cette anticipation n'est pas telle que vous ne puissiez pas nous fournir des données circonstanciées et chiffrées.

Comme chaque année, le projet de loi de règlement donnera lieu à des auditions de ministres et de responsables de programme par notre commission. Chacun de nos collègues approfondira, comme rapporteur spécial, les questions d'exécution qui se posent dans le domaine dont il est chargé.

Monsieur le ministre, si votre audition porte principalement sur le budget de l'État, vous nous direz ce que vous savez déjà de l'exécution budgétaire des administrations de sécurité sociale et des administrations publiques locales. En effet, la consolidation de ces trois ensembles est essentielle pour apprécier, en particulier, la question de la dette.

Nous attendons également de votre part toutes les précisions possibles sur le début de l'année budgétaire 2019.

La Cour des comptes, dans son récent rapport public, a confirmé ce que nous avions bien perçu : la loi de finances ne prend que très partiellement en compte l'incidence budgétaire des mesures en faveur du pouvoir d'achat des ménages adoptées en fin d'année, pour un coût de l'ordre de 11 milliards d'euros.

Nous souhaitons obtenir également des éléments de calendrier sur la présentation du prochain programme de stabilité, dont nous souhaitons qu'il fasse l'objet d'un débat en séance publique, et du projet de loi de finances rectificative.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. - En ce début d'année, je vous présente mes meilleurs voeux pour l'accomplissement de votre mandat.

La présentation de l'exécution du budget de l'année écoulée est la première étape d'un long marathon budgétaire qui nous mènera jusqu'à la fin de l'année. Chaque année, j'ai l'impression qu'il commence de plus en plus tôt... En tout cas, je suis très heureux d'être le ministre qui vous présente les comptes de l'État pour 2018, même si les chiffres définitifs ne seront connus qu'à la fin mars.

L'État ne représente que 30 % des dépenses des administrations publiques, mais il est extrêmement important et symbolique de savoir s'il a tenu ses dépenses et ses recettes et respecté l'autorisation parlementaire.

Nous savons d'ores et déjà que le Gouvernement arrivera à tenir son engagement de maintenir le déficit public sous les 3 % du PIB ; pour la première fois depuis quinze ans, nous serons donc restés sous ce seuil deux années consécutives. Certains parlementaires - dont vous n'étiez pas, monsieur le rapporteur général - n'y croyaient pas : nous tiendrons pourtant cet engagement, quels que soient les chiffres, encore non connus, de la sécurité sociale.

Ces bons résultats sont liés à l'effort de sincérisation de comptes qui caractérise l'action du Gouvernement. Voilà vingt mois que, avec la représentation nationale, nous travaillons, sur le fond comme sur la forme, à cette sincérisation, en rupture avec la gestion budgétaire antérieure.

Je suis le premier ministre des comptes publics depuis trente et un ans à n'avoir pas présenté au Parlement de décret d'avance. J'ai tenu cet engagement malgré les vicissitudes de la vie politique et économique. C'est un progrès pour le respect de l'autorisation parlementaire.

Le Premier ministre a décidé, à ma demande, que les 1,5 milliard d'euros d'économies annoncés en décembre dernier seraient formalisés non par décret, mais dans le cadre d'un projet de loi de finances spécifique. Nous n'agirons donc pas en catimini, et il y aura un débat parlementaire. Par ailleurs, j'ai accédé à la demande de votre commission de vous informer plus en amont en ouvrant le système d'informations Chorus à l'ensemble des membres de votre commission ; vous pourrez ainsi consulter en temps réel les comptes de l'État.

Sur les dépenses, les recettes ou le solde, le Gouvernement a tenu, quasiment à l'euro près, les autorisations parlementaires et les engagements qu'il avait pris, en dépit de certaines mauvaises nouvelles, s'agissant notamment du budget européen et de la charge de la dette. Il a strictement respecté l'objectif de dépenses inscrit dans la loi de finances initiale : 425,4 milliards d'euros. Nous avons donc tenu la dépense publique. En 2018, la dépense aura augmenté d'environ 4 milliards d'euros, dont une grande part de sincérisation. Ces montants rappellent le gouvernement Pinay.

Ce résultat est le fruit des efforts de l'ensemble du Gouvernement. S'agissant de la dépense dite pilotable, nous faisons encore mieux que les prévisions présentées à l'occasion de la loi de finances rectificative de novembre dernier : nous avons réalisé 1,4 milliard d'euros, ce qui relativise beaucoup les 1,5 milliard que nous demandons cette année. C'est une bonne nouvelle pour ceux qui souhaitent diminuer la dépense publique.

Les recettes de l'État ont été légèrement supérieures à ce que nous escomptions, alors même que le Gouvernement a baissé de manière importante le taux de prélèvements obligatoires en 2018. En effet, elles dépassent de 2,1 milliards d'euros le montant inscrit dans la loi de finances rectificative. J'y vois l'effet de la solidité de notre économie et d'une croissance certes moins importante que prévu, mais plus que ce qu'annonçaient certains instituts, voire le Parlement.

L'encaissement du cinquième acompte de l'impôt sur les sociétés (IS) en décembre a entraîné une amélioration de 1,7 milliard d'euros. Malgré la révision des recettes de TVA du fait des événements de la fin de l'année et du ralentissement relatif de la croissance européenne, nous n'avons pas assisté à un effondrement des recettes de TVA en fin d'année. Cela ne signifie pas que des secteurs entiers n'ont pas été touchés, comme le tourisme et les commerces de centre-ville, mais le dynamisme de notre économie a permis d'éviter le pire.

Quant au déficit budgétaire de l'État, il s'établit à 76,1 milliards d'euros, soit près de 4 milliards d'euros de moins que la prévision de novembre. On peut s'en féliciter, même si ce montant reste très important. Le déficit s'explique essentiellement par des baisses d'impôt, supportées surtout par l'État.

Une bonne tenue des dépenses pour 1 milliard d'euros, 2 milliards d'euros de dynamisme des recettes et 800 millions d'euros de hausse dans certaines lignes, comme les recettes non fiscales et les comptes spéciaux : cela fait bien 4 milliards d'euros de bonnes nouvelles.

Nous avons respecté nos engagements aussi sur le plan de la méthode, en n'ouvrant aucun décret d'avance. La gestion budgétaire s'est déroulée en 2018 sur une base rénovée, respectueuse de l'autorisation parlementaire. D'ailleurs, le Conseil constitutionnel, saisi par un certain nombre d'entre vous, a balayé d'un revers de main le grief d'insincérité, en soulignant au contraire la sincérité des comptes de la nation, confirmée par la Cour des comptes. Je pense que, en 2019, je tiendrai une nouvelle fois ma promesse de ne pas présenter de décret d'avance.

S'agissant enfin du calendrier, le ministre de l'économie et des finances présentera, avant la fin de ce qu'il est convenu d'appeler le grand débat, un projet de loi spécifique comportant les mesures sur l'impôt des GAFA, qui répondront largement, monsieur le président, à votre question sur les 10 milliards d'euros. Au reste, le Président de la République n'a pas annoncé 10 milliards de dépenses nouvelles, mais surtout des renoncements à des impôts, à l'exception de 2,8 milliards d'euros consacrés à l'augmentation de la prime d'activité.

Pour ma part, je présenterai, sans doute en avril ou en mai, un projet de loi de finances rectificative sur les 1,5 milliard d'euros qui auraient pu faire l'objet d'un décret d'avance.

Pour le programme de stabilité, le Gouvernement n'est pas tenu de prévoir un débat parlementaire, mais je plaide pour qu'il y en ait un, couplé avec une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Puis viendra, sans doute à l'été, un projet de loi de finances spécifique pour la fiscalité locale, qui réglera notamment la question des 20 % de contribuables qui restent assujettis à la taxe d'habitation.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je commencerai par les points d'accord. L'effort de sincérisation des comptes publics est réel. Vous remarquerez d'ailleurs que la majorité sénatoriale n'a pas saisi le Conseil constitutionnel sur le projet de loi de finances pour 2019, ce qui est assez nouveau en matière de lois de finances. Nous avions beaucoup à dire sur l'organisation un peu cafouilleuse du débat en fin d'année, mais, s'agissant de la sincérité, l'effort doit être salué. Vous avez baissé les taux de mise en réserve, ce qui est important, et il n'y a pas eu de décret d'avance en 2018.

On peut se réjouir que le déficit budgétaire soit un peu inférieur à la prévision du projet de loi de finances rectificative - encore qu'il reste considérable -, mais il faut aller plus loin que la première analyse. Les dépenses, en effet, sont supérieures de 821 millions d'euros à l'autorisation inscrite en loi de finances initiale. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous le confirmer ? L'amélioration faciale du déficit s'explique donc par un surplus de recettes.

À cet égard, si l'on peut parler de bonne tenue de notre économie, je constate aussi une augmentation considérable de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). C'est de là qu'est très largement née la crise cet automne, et il aurait été préférable d'écouter les signaux envoyés par le Sénat sur la trajectoire assez folle de cette taxe pour les années à venir - vous avez d'ailleurs fini par reprendre notre amendement de gel. Songez, mes chers collègues, que le produit de la TICPE, à périmètre constant, a augmenté en 2018 de 30,2 % ! C'est de la fiscalité supplémentaire sur les ménages et les entreprises.

On entend en ce moment qu'il faudrait augmenter encore la taxe carbone. Quelle est la position du Gouvernement ? La trajectoire votée l'année dernière est-elle seulement suspendue ? Nous attendons du ministre de l'action et des comptes publics, dont la parole pèse sur ce sujet plus que celle de parlementaires ou d'autres ministres, une clarification.

D'autres clarifications sont également nécessaires, notamment s'agissant des niches fiscales. Vous avez suggéré d'en supprimer certaines, mais Bruno Le Maire n'a pas forcément la même position. Sur les successions, on entend beaucoup de choses : quels sont vos projets ?

La taxation des GAFA, nous y sommes plutôt favorables, même si c'est novateur de taxer le chiffre d'affaires. Le texte qui sera prochainement présenté en conseil des ministres comportera-t-il d'autres mesures, en particulier la remise en cause de la baisse de l'impôt sur les sociétés ?

S'agissant du projet de loi de finances rectificative, interviendra-t-il avant l'été ? Nous avons besoin de nous organiser, notamment pour travailler sur la question, non résolue, de la taxe d'habitation.

Monsieur le ministre, je vais tout de même vous poser la question que vous souhaitez que je pose sur le prélèvement à la source, pour que vous expliquiez qu'il marche très bien... La majorité sénatoriale déplorait en particulier que, dans sa version initiale, ce système ne prenne pas en compte les crédits et réductions d'impôt. Sous la pression du Président de la République, vous avez été un peu plus réaliste : vous avez acheté la paix sociale en accordant le versement de 60 % des crédits d'impôt de l'année précédente. D'après l'Agence France Trésor, le coût associé à cette réforme est de 6 milliards d'euros : pouvez-vous nous confirmer ce montant ?

En ce qui concerne les économies, les intérêts de la dette ont baissé, de même que le prélèvement sur recettes pour le budget de l'Union européenne. Mais pour le reste, monsieur le ministre, quelles économies avez-vous réalisées ?

M. Vincent Éblé, président. - À celles du rapporteur général j'ajouterai une question, précise et relative à une péripétie ayant débuté en 2017.

Des dysfonctionnements administratifs ont conduit à un retard dans la liquidation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), pour un montant de 1,9 milliard d'euros, correspondent à des recettes de l'État à hauteur de 1,5 milliard d'euros et à des recettes des collectivités territoriales.

Dans un référé publié en janvier, la Cour des comptes fait état d'une « grave anomalie, de nature à fausser la signification des résultats budgétaires des années 2017 et 2018 » et illustrant « une conduite du changement défaillante et l'insuffisance des dispositifs d'alerte et de contrôle interne au sein de la direction générale des finances publiques ainsi qu'avec la direction du budget ». La Cour estime que des changements durables sont à apporter au traitement des formalités d'enregistrement des droits de mutation, afin qu'une telle situation ne se renouvelle pas.

Monsieur le ministre, avez-vous conduit des changements durables ? L'exécution pour 2018 doit-elle être considérée comme sincère en matière de comptabilisation des droits de mutation ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - La Cour des comptes a raison : c'est d'ailleurs moi qui l'ai alertée dès que j'ai su, et vous-même ainsi que le rapporteur général avez reçu copie de mon courrier.

M. Vincent Éblé, président. - C'est exact.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Le problème ne s'est manifestement pas vu en 2017, les DMTO étant déjà très dynamiques cette année-là.

Ces droits ont été prélevés par la DGFiP au nom des collectivités territoriales et bloqués sur un compte, mais non redistribués aux départements. Dès que j'ai reçu la note de la direction générale des finances publiques et de la direction du budget, j'ai saisi la Cour des comptes et présenté les excuses de l'État aux départements, qui ont été intégralement remboursés.

La Cour des comptes a raison de souligner que des anticorps n'ont pas fonctionné. De l'argent est ainsi resté bloqué pendant plusieurs semaines. J'ai demandé que cela ne se reproduise pas et que, en 2019, les sommes soient reversées au fil de l'eau. À ma connaissance, il n'y a pas eu de difficultés en 2018.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce qui m'inquiète un peu, c'est qu'il y a eu un précédent il y a quelques années, avec la taxe d'aménagement. Je l'avais détecté comme président de département.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je peux m'engager à vous adresser le mois prochain une description des procédures mises en place pour éviter ces dysfonctionnements. Il y a beaucoup d'opérations et le système informatique est complexe, mais ce n'est absolument pas une excuse.

Monsieur le rapporteur général, je n'ai pas les mêmes chiffres que vous sur la dépense globale : pour moi, les dépenses sont inférieures de 1,37 milliard d'euros au montant inscrit en loi de finances initiale. Il me semble que vous n'intégrez pas les bonnes nouvelles liées au budget européen et au prélèvement pour les collectivités territoriales. Mais si nous ne nous référons pas tout à fait à la même norme comptable, nous n'avons pas de différence sur le fond.

En ce qui concerne le prélèvement à la source, je constate que, quand le bébé est beau, il a plusieurs pères...

M. Vincent Éblé, président. - Permettez à la partie gauche de notre commission de considérer que c'est un peu grâce à elle !

M. Gérald Darmanin, ministre. - En partie. Dans cette période, de nombreux anciens ministres du budget, de droite comme de gauche, m'ont expliqué que tout était prêt et qu'il n'y avait plus qu'à appuyer sur le bouton...

Monsieur le rapporteur général, vous ne pouvez pas à la fois vous féliciter de l'acompte de 60 % et nous critiquer sur le coût de trésorerie, de 5,9 milliards d'euros.

En comptabilité, la réforme sera totalement neutre pour le budget de l'État. Elle améliorera même les recettes, sans doute dès la première année, puisque nous aurons prélevé à la source les revenus d'un certain nombre de personnes qui, par inadvertance ou phobie administrative, ne payaient pas d'impôt sur le revenu - souvent des personnes qui ont des revenus très élevés. Le taux de recouvrement de l'impôt sur le revenu pourrait passer de 98 à 99 %, ce qui représente 750 millions d'euros de recettes supplémentaires.

S'agissant des collectivités territoriales, j'ai réservé des chiffres plus précis pour la Haute Assemblée.

M. Vincent Éblé, président. - Nous vous en remercions.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Toutes collectivités territoriales confondues, les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 0,7 %, contre 1,2 % dans le contrat de Cahors. Pour celles qui ont contractualisé, l'évolution est de 0,3 %. Je rappelle que, en 2017, ce taux était de 1,6 %. Les contrats ont donc permis de ralentir les dépenses de fonctionnement.

L'État, je le souligne, n'a pris aucune mesure d'augmentation des dépenses obligatoires pour les collectivités territoriales. J'ai rétabli le jour de carence et ai refusé l'augmentation du point d'indice.

Les dépenses d'équipement s'établiraient à 35,5 milliards d'euros, ce qui traduirait une augmentation de 6,1 % des dépenses d'investissement, grâce notamment à l'effort de 8 milliards d'euros consenti par l'État à travers la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et les dotations spécifiques.

En d'autres termes, le contrat de Cahors, qui consistait à limiter les dépenses de fonctionnement pour augmenter les dépenses d'investissement est un progrès important. On peut même imaginer que la tendance sera accentuée cette année, qui est préélectorale. Du point de vue des comptes publics, en tout cas, ces contrats remplissent leur objectif.

Mon avis sur les niches fiscales n'est pas très nouveau : c'est celui de beaucoup de ministres du budget, mais aussi de beaucoup de parlementaires et de rapporteurs généraux... Dans les 100 milliards d'euros qu'elles représentent, il y a tout et son contraire : le quotient familial est comptablement considéré comme en faisant partie, mais je pense surtout aux 14 milliards d'euros de crédits d'impôts et de réductions d'impôts, qui profitent aux Français qui choisissent tout à fait légalement de faire de l'optimisation fiscale. Sur ces 14 milliards d'euros, 7 milliards d'euros profitent aux 10 % de Français les plus riches, qui paient 70 % de l'impôt sur le revenu.

M. Albéric de Montgolfier. - C'est une lapalissade !

M. Gérald Darmanin, ministre. - C'est le système shadokien que nous avons collectivement construit. L'impôt sur le revenu est devenu insupportable, mais au lieu d'en baisser les taux, nous l'avons mité. Ces niches ont parfois des avantages : investissements Outre-mer ou lutte contre le travail au noir dans le service à la personne. Mais il faut évaluer l'efficacité de ces 474 niches fiscales. Le contribuable qui gagne 15 000 à 20 000 euros par mois doit-il bénéficier de la même niche fiscale que l'ouvrier salarié ? Il faut savoir que 12 000 foyers fiscaux français qui gagnent plus de 10 000 euros par mois bénéficient de 10 000 euros de crédits d'impôts ou de réduction d'impôts ! Est-il normal que l'ouvrier paie le double-vitrage du PDG ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La moitié des foyers fiscaux ne paient pas l'impôt sur le revenu.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Certains ouvriers gagnent 2 000 euros par mois. La suppression de niches fiscales augmenterait certes les impôts, personne ne peut le nier. Ma proposition de citoyen, ce serait d'utiliser une partie du produit de cette suppression pour baisser les impôts qui frappent les plus modestes. Baisser de 200 euros l'impôt sur le revenu pour 17 millions de foyers fiscaux coûterait pas moins de 3 milliards d'euros. Au lieu d'avoir un impôt très élevé avec beaucoup de niches, nous aurions une baisse générale importante.

Je ne suis pas favorable à l'augmentation des droits de succession. Nous avons les taux les plus élevés du monde après le Japon et la Corée du Sud. La question qui se pose est la mobilité du capital : comme les Français vivent de plus en plus vieux, leurs enfants héritent souvent à 55, voire à 65 ans, à un âge où ils ont en général moins de besoins qu'à 35 ans. Je serais donc favorable à l'allègement de la fiscalité plutôt sur les donations que sur les successions.

La TICPE a augmenté de 9,4 % et non de 30 %. L'État n'en est pas le seul bénéficiaire : les collectivités territoriales et les comptes spéciaux en profitent également. S'il est vrai - ce dont je doute - que ma parole compte plus que celle des autres, croyez-moi sur ce point.

J'approuve la ligne du Président de la République, selon laquelle il ne faudra pas sortir du grand débat avec des hausses d'impôts.

La taxe sur les GAFA devrait rapporter de 500 à 600 milliards d'euros. Bruno Le Maire viendra la présenter devant le Sénat. Mais, si vous me permettez l'expression, la maison reste ouverte pendant les travaux : alors que nous avons perdu des contentieux, nous avons ouvert des discussions avec des grandes entreprises pour parvenir à des transactions, que j'ai refusées si le montant était inférieur aux contrôles fiscaux précédents, et que j'ai acceptées s'il était supérieur. Cela a été le cas pour deux entreprises, dont Amazon, pour qui cela a représenté plusieurs centaines de milliers d'euros. Monsieur le rapporteur général et Monsieur le président, vous pouvez venir vérifier sur place et sur pièces...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous l'avons fait la semaine dernière !

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je me félicite du jugement en première instance dans l'affaire UBS, dans laquelle l'administration fiscale a porté plainte et s'est portée partie civile.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les mesures relatives à l'impôt sur les sociétés figureront-elles dans le projet de loi relatif aux GAFA ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Oui.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Aurons-nous un projet de loi de finances rectificative avant l'été ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Il vous sera présenté en mai ou juin. Vous me parlez d'économies. Le Gouvernement auquel j'appartiens en a fait, des économies dans le budget 2018, impopulaires, et que vous avez combattues, telles que la réduction des aides personnalisées au logement (APL) et la fin des contrats aidés.

M. Vincent Éblé, président. - Venons-en maintenant aux questions de nos collègues.

Mme Nathalie Goulet. - J'ai rencontré récemment des agents d'Eurofisc à propos de la fraude à la TVA, à laquelle la Commission européennes est très attentive, et qui représenterait 20 milliards d'euros.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Plutôt 50 milliards avec le carrousel.

Mme Nathalie Goulet. - De nombreux États membres de l'Union européenne, ont acquis un logiciel qui permet, grâce à l'intelligence artificielle, de repérer les fraudes : c'est le cas, après la Belgique, qui avait un problème spécifique, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de l'Estonie, de la Hongrie, de l'Espagne, de la Slovaquie, de l'Autriche, de la Pologne et du Danemark. Qu'attendons-nous pour le mettre en place ?

M. Éric Bocquet. - La transaction avec Apple a rapporté 500 millions d'euros pour 10 exercices, de 2007 à 2017. C'est peu pour une entreprise dont le chiffre d'affaires en Europe est de 62 milliards d'euros. Je suis d'accord avec M. Le Maire, lorsqu'il trouve inacceptable qu'une entreprise paie 14 points de moins d'impôts sur les sociétés que les autres... À quoi correspondent ces 500 millions d'euros ? Et sur le fond, peut-on négocier son impôt ? Il me semble, au contraire, que l'impôt, c'est la loi, et qu'elle doit s'imposer à tous.

L'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) revient avec insistance dans le grand débat. Selon le Gouvernement, c'est un impôt répulsif pour les grosses fortunes. Parlons de chiffres : il y a eu 383 départs d'assujettis à l'ISF en 2002, 666 en 2005, 800 en 2007 et 784 en 2014 ; mais en 2017, le nombre d'assujettis était supérieur à 358 000 ! Oui, il y a ceux qui partent, mais il y a aussi ceux qui reviennent. En 2014, ils étaient 300. Il faut donc il faut relativiser les choses : cela fait moins de 0,2 % de départ.

Auriez-vous déjà de premières indications d'un regain d'investissement de la part de ces gens qui ont été « libérés » de l'ISF ; investissent-ils lourdement dans l'économie pour « gagner de la croissance et de l'emploi » ? Avez-vous des retours sur le « ruissellement » ?

On ne peut qu'applaudir au verdict rendu dans l'affaire UBS. Si la condamnation est confirmée, pourra-t-on laisser à cette banque le soin, avec d'autres, de gérer la dette de la sécurité sociale ? Cela ne posera-t-il pas un problème éthique ?

M. Roger Karoutchi. - Je souhaite à Gérald Darmanin une carrière aussi longue que celle d'Antoine Pinay, qui est mort à 103 ans après avoir été une dizaine de fois ministre, président du conseil et médiateur de la République et qui a laissé une marque, puisque soixante ans après nous parlons toujours de sa gestion financière.

Le Président de la République ne veut pas sortir du grand débat avec des charges fiscales plus lourdes, c'est bien. Mais l'une de vos collègues s'est montrée récemment ouverte à la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité. S'il n'y a pas d'impôts en plus mais des recettes en moins, je suis inquiet pour le déficit. S'il était inférieur à 3 % en 2018, ce ne sera pas le cas en 2019, vu ce qui a été voté en décembre dernier... Mais si rien ne bouge budgétairement à l'issue du grand débat, vous n'aurez plus guère que des mesures institutionnelles, comme la réduction du nombre de parlementaires, à annoncer : cela risque de faire un peu court sur les ronds-points !

M. Philippe Dallier. - L'année 2018 a été celle de la Réduction de loyer de solidarité (RLS) pour les bailleurs sociaux, qui a permis à l'État de faire des économies sur les aides personnalisées au logement (APL). En échange de la mise en place progressive de la RLS sur trois ans, l'État a augmenté la TVA sur la construction à 10 % pour les bailleurs sociaux. Vers la fin de l'examen de la loi de finances, lors d'un épisode mémorable, le Sénat a dû arracher au Gouvernement une estimation de ce que cela pourrait rapporter à l'État. On nous a parlé de 300, puis de 500, puis de 800 millions d'euros, alors que cela pourrait être encore davantage, en réalité. Pourriez-vous nous donner un chiffre ? Enfin, il y avait un deal : lorsque la RLS serait arrivée à 1,5 milliard d'euros, le taux de TVA redescendrait à 5,5 %. Mais les professionnels n'en sont plus si sûrs. Doit-on craindre que Bercy ne s'en souvienne plus ? Cette augmentation a fait perdre 20 % de financement de logements sociaux par rapport à 2017. Si cela continuait, on irait droit dans le mur. Le deal tient-il toujours ?

M. Jean-Claude Requier. - A peine a-t-on voté la loi de finances initiale que l'administration travaille au budget de l'année suivante. Le cycle budgétaire des collectivités est plus resserré : ne peut-on pas s'en inspirer ?

Une députée de la majorité, membre de la commission des finances, s'est prononcée en faveur d'un impôt sur le revenu pour tous - idée à laquelle le groupe RDSE est favorable...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - ... en mémoire de Joseph Caillaux !

M. Jean-Claude Requier. - Même si le montant est symbolique, ce serait important.

M. Julien Bargeton. - Nous assistons tous à des réunions du grand débat ; les thèmes fiscaux reviennent souvent, mais aussi l'incompréhension de la matière budgétaire. Que pourrions-nous faire pour restaurer la confiance en rendant la procédure plus sincère, plus lisible, plus compréhensible ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - La fraude à la TVA est très importante : elle est à la mesure de cet impôt, qui est le plus important. Je regarde avec intérêt les pratiques des autres pays européens. Nous avons appliqué en cette matière un texte que le gouvernement précédent n'avait pas appliqué, avec notamment l'obligation pour les commerçants de disposer d'un logiciel de caisse. Nous allons développer en interne cette année des fonctionnalités analogues à ce que vous décrivez, Madame Goulet, tout en évitant le coût important du logiciel, grâce à la vérification des numéros de TVA grâce au data mining et en fusionnant les informations détenues par les douanes et la DGFiP.

Monsieur Bocquet, l'impôt, c'est la loi, mais avec la loi, combien aurions-nous obtenu d'Apple ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Zéro !

M. Gérald Darmanin, ministre. - Exactement : nous perdons la plupart du temps devant les tribunaux. Et puis, la transaction, c'est la loi ; votre assemblée l'a autorisée - même si votre groupe s'y est opposé. J'applique donc la loi de la République.

Une des sociétés a levé elle-même le secret fiscal, mais je ne commente pas les montants que vous mentionnez. Le rapporteur général et le président, de deux bords politiques différents, ont pu examiner les transactions ; ils n'ont manifestement pas constaté de dispositions contraires aux intérêts des contribuables.

Avec la fiscalité européenne et la loi GAFA, nous pourrons aller plus loin. Le débat sur l'ISF durera sans doute jusqu'à la fin du quinquennat, mais je ne crois pas que le Président de la République le rétablisse. Constate-t-on du ruissellement ? Je constate une baisse du chômage, une croissance supérieure à celle des années précédentes et à la moyenne de l'Union européenne. La suppression de l'ISF ne date que de 2018, il faut du temps pour en tirer le bilan. Ce n'est que cette année que nous pourrons le faire. Le Gouvernement est favorable à l'évaluation, mais il faut attendre.

J'ignorais qu'UBS finançait la sécurité sociale. Je regarderai cela d'un peu plus près et reviendrai vers vous.

Fixer un taux de TVA à 0 % serait illégal du point de vue des obligations européennes. On pourrait certes le proposer dans un débat avec nos partenaires... Mais il y a déjà beaucoup de taux réduits à 2,1 % ou 5,5 % en France. Certes, l'augmentation sous le gouvernement précédent du taux de TVA sur les transports de voyageurs a dû toucher nombre de nos concitoyens. Rappelons-nous que nos taux de TVA sont inférieurs à la moyenne de la zone euro et de l'Union européenne.

Comment fera l'État avec moins de recettes ? Comme l'a dit M. de Courson hier : « avez-vous les moyens de vos baisses d'impôts ? ». C'est une vraie question. Nous avons effectivement baissé les impôts ; nous serions au-dessous du point de prélèvements obligatoires en moins promis pendant la campagne par le Président de la République sans les mesures de décembre dernier. Où vont ces baisses d'impôts ? Pardonnez-moi ce truisme : à ceux qui en paient.

M. Vincent Éblé, président. - A ceux qui en paient beaucoup, surtout !

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je vous rappelle que 10 % des Français paient 70 % de l'impôt sur le revenu.

M. Vincent Éblé, président. - Comme vous l'avez rappelé, la TVA est notre principal impôt.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Nous ne l'avons pas augmenté, contrairement à ce qui s'est passé pendant les derniers quinquennats...

M. Philippe Dallier. - Ce n'était pas une très bonne idée...

M. Gérald Darmanin, ministre. - Nous faisons un pari économique. Le niveau de prélèvements obligatoires que la France a atteint est trop élevé. Si nous baissons les impôts, il faut tenir les dépenses. Nous l'avons fait en 2018 et nous le ferons en 2019. Notre engagement, c'est de le faire encore en 2020, 2021 et 2022.

Monsieur Dallier, la hausse du taux de TVA pour les bailleurs sociaux a rapporté 700 millions d'euros.

M. Philippe Dallier. - Donc, le compte y est !

M. Gérald Darmanin, ministre. - Pour 2018, oui. Je ne suis pas ministre du logement. Mais en tant que ministre du budget, j'applique la loi : trois ans, c'est trois ans. Il faudra aussi parler de la contemporanéisation des APL, désormais possible grâce au prélèvement à la source.

Sur le resserrement de la procédure budgétaire, je prêche dans le désert. Je partage certaines propositions du Sénat. Nous passons ensemble trois à quatre mois pour examiner la loi de finances, très agréables sans doute, mais longs en comparaison de la seule journée que nous passons sur la loi de règlement. Ce serait inimaginable dans une collectivité ou une entreprise ! Je propose donc un rééquilibrage. Mais je suis à peu près seul.

Les commissaires des finances s'intéressent exclusivement au budget de l'État, mais l'essentiel des dépenses et des recettes a trait au champ social, et les finances locales ne sont pas en reste. J'ai donc proposé de fusionner les documents budgétaires pour permettre une vision d'ensemble. C'est un vieux débat entre sociaux et budgétaires...

Le débat sur la révision constitutionnelle a été reporté. Mais je ne doute pas qu'il revienne sur le devant de la scène. Ce sera alors l'occasion de revenir à ces discussions.

Personnellement, l'impôt sur le revenu pour tous me semble une belle idée... mais il ne serait pas très utile de le mettre en application. Lorsque nous avons baissé les APL de 5 euros, tout le monde m'a expliqué que les gens ne pourraient plus manger, avec 60 euros de moins par an - et je connais les difficultés que l'on peut rencontrer dans ce cas. Que diront-ils si je propose un impôt sur le revenu de 5 ou 10 euros par mois ? Le point de vue se tient philosophiquement. Mais historiquement, nos impôts indirects sont très élevés, bien plus que les impôts directs. Ces gens paient déjà la TVA, la CSG...

M. Albéric de Montgolfier. - ...les cotisations sociales.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Nous entendons de plus en plus parler d'affectation budgétaire. C'est un danger : à la fin, à force de faire payer la culture pour la culture, le logement pour le logement et l'environnement pour l'environnement, plus personne ne voudra payer pour l'éducation nationale et la défense. Certains contribuables commencent même à refuser de payer l'impôt sur le revenu sous prétexte qu'ils n'ont pas d'enfants !

Je préfère la pédagogie. Bercy, comme vous dites, a essayé de s'y efforcer. Dans le cadre du prélèvement à la source, nous envoyons des informations à tous les citoyens, en leur disant : c'est bien d'avoir des services publics gratuits, mais voici ce que cela coûte. Dans ma commune, j'avais mis en place la cantine à un euro. J'avais aussi distribué aux parents une documentation pour leur expliquer combien coûtait en réalité un repas.

M. Claude Nougein. - Les nouvelles législations adoptées à la fin de l'année dernière ont provoqué une émotion dans les milieux économiques et dans la presse : sans doute à cause de commentaires ambigus de l'administration, certains ont compris que la donation en nue-propriété avec réserve de l'usufruit serait désormais considérée comme un abus de droit. Depuis des décennies, elle est non seulement utilisée par les familles, mais elle est devenue essentielle dans la transmission d'entreprises. La France pratique déjà des droits de mutation plus élevés que la moyenne européenne... L'ambiguïté a été levée par un communiqué de presse, mais celui-ci n'engage pas l'administration, et encore moins la justice. Pourriez-vous procéder à une publication officielle, par exemple au bulletin officiel des finances publiques (Bofip), afin de remédier sur ce point précis à ce fléau français qu'est l'insécurité juridique ?

M. Marc Laménie. - On constate une progression des dépenses dans certaines missions, comme la Défense ou la Sécurité intérieure. Dans la loi de finances, les plus gros montants sont consacrés à la mission « Éducation nationale », où les besoins en moyens humains sont importants. Qu'en est-il de l'exécution 2018 de la mission « Engagements financiers de l'État » ? Le rapporteur, Nathalie Goulet, pourra confirmer que les montants de cette mission sont importants. Quel impact ont-ils sur l'annuité de la dette ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Le CAS « Pensions » représente au bas mot 58 milliards d'euros. Une réforme est en cours qui risque d'avoir des conséquences sur ce compte. Quelles sont les projections du ministère ? La contribution de l'État aux régimes spéciaux s'élève à 6,3 milliards d'euros, cette année, soit un montant très important. Aucune décision n'a encore été arrêtée. Comment garantirez-vous la maîtrise budgétaire de ce compte ?

M. Jean-François Husson. - Le produit de la TICPE a augmenté de manière très sensible, et j'ai le sentiment que la prévision était inférieure au produit, malgré ce que vous en dites. Voilà dix-huit mois que le désaccord perdure sur la fiscalité énergétique, et plus largement écologique. Par manque de transparence, cette fiscalité reste peu comprise. Les taxes constituent plus de 30 % de la facture énergétique d'un particulier. On arrive même à prélever de la TVA sur des taxes. Pour certains, c'est de la folie furieuse. De mon côté, je considère que cela nuit surtout à la compréhension de la fiscalité. C'est tout sauf judicieux, dès lors que les enjeux touchent à la survie de la planète, à l'écologie au quotidien, mais aussi à la sauvegarde du pouvoir d'achat. Fort heureusement, vous n'avez pas réagi à la tribune des 86 députés sur ce sujet. Quelles mesures envisagez-vous de prendre en matière de fiscalité énergétique et écologique ?

M. Pascal Savoldelli. - J'ai une proposition à vous faire, qui ne se réduit pas à une question de sémantique : cessons de parler de « niches fiscales » et disons plutôt « dépenses fiscales ». Chacun contribuerait ainsi à l'effort pédagogique que vous poursuivez. Préférons cette simplification de sens au choc de simplification par démocratie d'opinion.

Je suis rapporteur sur la mission « Remboursements et dégrèvements » qui représente plus de 100 milliards d'euros. La fiscalité dérogatoire des particuliers avoisine les 14 milliards d'euros, avez-vous dit publiquement. Mais quid du reste, c'est-à-dire des niches fiscales dont bénéficient les entreprises ? Il faudrait en retracer l'évolution en opérant un ciblage précis qui distinguerait les TPE et les grands groupes.

Enfin, dans quel calendrier et selon quelle méthode la loi de finances rectificative sera-t-elle élaborée ? Comment tiendrez-vous compte du grand débat ? Quoi qu'il en soit, la légitimité des parlementaires ne doit pas être remise en cause.

Sans vouloir polémiquer, votre réponse à Éric Bocquet était un peu sèche. Vous ne pouvez pas vous contenter de brandir la formule « l'ISF est en lien avec le chômage et l'emploi », sans faire la démonstration de l'existence du lien plus ou moins mécanique entre les trois. Vous êtes un ministre de la République. Ce raccourci est blessant pour tout le monde.

Pour en revenir aux niches fiscales, après la loi bancaire et le lancement de l'assurance-vie, pas moins de 180 milliards d'euros sont détenus par 0,5 % des assurés, soit moins de 300 000 Français. Les volumes sont là, qui pourraient répondre à des besoins. Allons-y !

Mme Christine Lavarde. - Dans son rapport sur l'endettement des entités publiques, la Cour des comptes rappelle la règle selon laquelle les excédents budgétaires non prévus doivent être affectés au désendettement. Vous nous avez annoncé 2 milliards d'euros de recettes non prévues, cette année. Ont-ils été affectés au désendettement ?

Vous avez été très précis sur l'évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités. Faut-il expliquer la dépense moindre par le fait que la baisse des dotations a réduit les capacités des collectivités ? La dotation forfaitaire a en effet diminué pour un très grand nombre de communes, l'an dernier, et ce sera encore le cas en 2019, à en croire les déclarations du Comité des finances locales. Ou bien est-elle imputable à une diminution de la masse salariale qui a induit pour les collectivités locales des dépenses très inférieures aux seuils de contractualisation, pour la simple et bonne raison qu'elles n'arrivent pas à recruter ?

M. Bernard Delcros. - Êtes-vous certain de pouvoir maintenir la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés sans accroître la pression fiscale, de pouvoir aller au bout de la suppression de la taxe d'habitation tout en assurant une recette pérenne et dynamique aux collectivités, de pouvoir répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens en matière de pouvoir d'achat tout en maintenant le cap du redressement des finances publiques ? Beaucoup diront qu'il suffit de réduire la dépense publique, mais on sait que nos marges de manoeuvre sont étroites dans ce domaine. Tiendrez-vous votre pari ?

Mme Sophie Taillé-Polian. - Il faut arrêter de dire que la France est le pays où le montant des prélèvements obligatoires est le plus élevé, en oubliant de préciser que nous consacrons beaucoup de ces prélèvements obligatoires aux dépenses sociales. Dans d'autres pays européens, ces dépenses ne sont pas socialisées. Elles ne relèvent pas de la dépense publique, d'où des prélèvements obligatoires moindres. Veillons à comparer ce qui est comparable. France Stratégie le confirme : hors retraites, l'écart avec les autres pays européens reste faible, et nous nous situons dans la moyenne européenne en matière de dépense publique, si on enlève les dépenses de Sécurité sociale. Les Français doivent en prendre conscience : réduire drastiquement les dépenses publiques aurait pour effet de faire peser la charge des dépenses sociales directement sur les ménages.

M. Michel Canévet. - Même si l'on peut se réjouir d'une baisse du déficit, il n'en demeure pas moins extrêmement élevé, à 76 milliards d'euros, amélioré essentiellement par un accroissement de recettes. Le débat national montre que la situation financière de l'État préoccupe nos concitoyens. Il ne faudrait pas que la baisse des prélèvements obligatoires ait pour conséquence de moindres recettes. D'où la nécessité d'accroître l'effort de réduction des dépenses. Or, vous parlez d'augmenter l'effort de défense et d'accroître les aides aux pays en voie de développement, entre autres. Pourra-t-on réellement améliorer la situation financière de notre pays dans ces conditions ?

Le retour à l'équilibre des finances publiques est une attente forte de nos concitoyens. Des pistes existent, comme celle de la lutte contre la fraude que préconise Nathalie Goulet, notamment en ce qui concerne la TVA. Il y a aussi la fraude documentaire, sur laquelle nous peinons à obtenir des informations. Le Gouvernement s'implique-t-il dans ce domaine ? Ce serait un moyen de réduire les dépenses indues.

Enfin, est-il normal, monsieur le ministre, de maintenir la CSG non déductible ? Cela revient à payer de l'impôt sur de l'argent qu'on ne perçoit pas.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je confirme les propos du communiqué de presse au sujet des donations. Nous publierons effectivement un Bofip avant la fin du premier semestre, pour n'y ait pas d'ambiguïté possible dans l'interprétation du contrôle des tribunaux.

Le montant des dépenses en matière de défense et de sécurité est conforme aux prévisions. Le ministère de la Défense fait même légèrement mieux. Concernant la charge de la dette, nous ne devrions pas dépasser le montant prévu, en 2019, même si c'est encore un peu trop tôt pour le dire, car nous ne connaissons pas encore le renouvellement des taux de la banque centrale.

Le montant du CAS « Pensions » atteint 58,5 milliards d'euros, soit à peu près 100,94 millions d'euros de plus qu'en loi de finances initiale, soit moins de 2 % de dépassement. L'augmentation est due au programme 741 qui porte sur la retraite des fonctionnaires civils et militaires. Le président de la République a annoncé que la réforme des retraites aurait lieu en 2019, qui mettra fin aux différences en instituant un régime par points unique et qui supprimera aussi les régimes spéciaux. Le haut-commissaire travaille sur le sujet.

Je ne reviendrai pas sur la fiscalité écologique qui constitue l'un des enjeux du grand débat national. Comme vous, je considère que l'impôt sur l'impôt n'est pas un concept facile à comprendre, tout comme la TVA sur la fiscalité locale. D'un point de vue comptable, nous avions prévu que la taxe sur les carburants rapporterait entre 3 et 4 milliards d'euros par an de recettes supplémentaires. Si nous décidions de la supprimer, ce serait des recettes en moins pour l'État, d'où la nécessité de revoir la trajectoire des finances publiques.

Vous me demandez dans quel calendrier. Nous ne pourrons évidemment rien faire avant d'avoir eu les conclusions du grand débat. L'examen de ces conclusions devrait être inscrit à l'ordre du jour du Parlement dans les premières semaines d'avril. Des annonces seront faites par le Premier ministre et le président de la République. On peut imaginer que nous pourrons traduire les conséquences concrètes de ces conclusions en matière de recettes et de dépenses, au mois de mai et juin.

Faut-il parler de « dépenses fiscales » plutôt que de « niches fiscales » ? Le terme est sans doute plus exact, mais ne signifie pas grand-chose, car si on supprime les dépenses fiscales, cela donne des recettes d'impôts en plus. Par exemple, la TVA réduite de restauration est une dépense fiscale, c'est-à-dire un taux réduit d'impôt ou une niche fiscale pour l'entreprise. La supprimer, c'est augmenter l'impôt pour les restaurateurs. Par conséquent, je ne suis pas certain du terme le plus approprié. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une optimisation de l'impôt, pour l'entreprise comme pour le particulier.

Notre système consiste à prévoir des impôts très élevés, puis à orienter la dépense en incitant les gens à procéder à telle ou telle optimisation dans tel ou tel secteur.

Les gouvernements précédents, et singulièrement le dernier, ont réduit ces niches dans leur montant. On a prévu des exceptions à 18 000 euros, peut-être même à 10 000 euros. La question est complexe. Quand on parle de 100 milliards d'euros de fiscalité dérogatoire, cela mérite qu'on ouvre le débat, d'autant que nos concitoyens, en tout cas ceux qui manifestent, demandent la progressivité de l'impôt. En même temps, la fiscalité dérogatoire présente des avantages, notamment pour les particuliers.

Je suis prêt à vous adresser sous un mois, l'intégralité des niches, qu'elles concernent les entreprises ou les particuliers, avec leur montant, la répartition par décile et par entreprise. La suppression concernant le gazole non routier (GNR), c'est encore une niche fiscale. Le périmètre du sujet est très large, mais je suis prêt à faire ce travail de récapitulation. Il vous appartiendra ensuite d'évaluer ces données, comme le fait la Cour des comptes.

J'ai bien conscience que j'ai peu de chance de convaincre Monsieur Bocquet. Ma réponse est aussi lapidaire que sa question : comment évaluer un impôt qui vient d'être supprimé ? Prenons le temps de voir où va l'argent.

M. Pascal Savoldelli. - Vous l'avez supprimé pour améliorer les chiffres du chômage.

M. Gérald Darmanin, ministre. - C'est une mesure d'attractivité. Les décisions économiques doivent aussi tenir compte de l'environnement des affaires. J'ajouterai qu'aucun de nos voisins n'a copié l'ISF.

Madame Lavarde, les excédents budgétaires non prévus ont bien été affectés au désendettement. Quant aux collectivités locales, j'ai pris un certain nombre de mesures qui influent sur la masse de leurs dépenses de fonctionnement. J'ai décalé la mise en oeuvre du dispositif Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR).

M. Philippe Dallier. - Pour 300 000 euros, ce n'est pas une économie !

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je n'ai pas fait payer aux collectivités locales ce qui avait été décidé par le Gouvernement. Je n'ai pas augmenté le point d'indice des fonctionnaires, alors même que certains sénateurs de votre majorité le réclamaient. Or une partie du point d'indice est payé par les collectivités locales. J'ai rétabli le jour de carence, et en 2018, en tant que ministre de l'action et des comptes publics, je n'ai imposé aucune nouvelle norme aux collectivités. Ces éléments contribuent à tenir un budget de fonctionnement, me semble-t-il. En outre, les dotations aux collectivités ont augmenté. La répartition de la DGF est une vieille querelle que personne n'a jamais réussi à régler. Cependant, on constate que les collectivités qui ont le plus contractualisé sont celles qui ont les dotations les plus dynamiques, notamment la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), et qu'elles ont le moins dépensé en fonctionnement. Avec moins de masse salariale, elles ont davantage investi - on a observé une hausse de 6 %.

M. Jean-François Husson. - Il faut donc donner plus de dotations aux collectivités.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Le système de contractualisation a fonctionné. Il a permis de maîtriser la dépense publique, d'embaucher moins d'agents publics, de davantage investir et de désendetter une partie des collectivités locales. Certains présidents de département qui n'avaient pas contractualisé me demandent désormais de pouvoir le faire, alors que la loi ne le permet plus. Ils voient les intérêts d'un système qu'ils dénonçaient hier. Je m'en félicite.

Monsieur Delcros, je pense que nous tiendrons notre cap, malgré une croissance dont on nous dit qu'elle tournera autour de 1,4 ou 1,5 %. Nous maîtriserons la dépense publique si nous parvenons à mener à leur terme les réformes que nous avons lancées depuis deux ans, qu'il s'agisse de l'assurance chômage, de la réforme des retraites, de celle de la fonction publique ou encore de celle de l'audiovisuel public. Dans le champ social, nous tiendrons également l'objectif de l'Ondam à 2,3 %, même si cela constitue un effort important pour le secteur.

Madame Taillé-Polian, je souscris à votre remarque sur les prélèvements obligatoires. J'étais en Australie, il y a une semaine : le taux de prélèvements obligatoires y atteint 24 %. Le ministre du Budget m'expliquait que c'était sans compter les prélèvements obligatoires des collectivités locales. Ce sujet renvoie au principe de solidarité, et je ne crois pas qu'il soit dans l'ADN de votre famille politique de considérer que les dépenses sociales doivent être individualisées. Notre système est basé sur la solidarité, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les pays scandinaves fonctionnent aussi sur un système de solidarité mais avec beaucoup moins de prélèvements obligatoires. Nous avons le plus de dépenses et le plus de recettes, c'est incontestable.

Le déficit de l'État reste trop important. Le déficit général baisse pour la deuxième année consécutive. Je crois que nous tiendrons notre objectif d'un déficit à 3,1 % ou 3,2 % du PIB en 2019, sauf drame économique ou sécuritaire. L'argument de l'opposition n'est pas tout à fait juste, car l'État a assumé l'intégralité des baisses de recettes, qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés ou de la taxe d'habitation. C'est l'État qui a fait l'effort, si j'ose dire, en prévoyant une compensation pour les collectivités locales.

M. Philippe Dallier. - Heureusement, monsieur le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je réponds d'un point de vue comptable : si le déficit de l'État est encore trop important, c'est bien parce que l'État a pris ces mesures.

Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut baisser les dépenses publiques. Cependant, quand vous me dites qu'il faut lutter contre la fraude, ce n'est pas une baisse des dépenses, mais une proposition de meilleur recouvrement, au demeurant tout à fait intéressante. Nous serions très heureux d'entendre les propositions du Sénat pour baisser les dépenses publiques.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On pourrait supprimer des agences régionales de santé (ARS), par exemple.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Monsieur le rapporteur, j'ai constaté que vous étiez rarement suivi dans vos propositions de suppression d'ARS. Quoi qu'il en soit, je vous redis que je suis prêt à explorer les pistes que le Sénat nous proposera pour baisser les dépenses publiques.

En ce qui concerne la fraude aux prestations sociales, Madame Goulet a récemment reçu un magistrat qui a donné le chiffre de 2 millions de dossiers frauduleux pour un montant de 10 milliards d'euros. Les chiffres ont largement circulé, de sorte que tout le monde pense désormais qu'il y a effectivement 2 millions de faux documents et 10 milliards d'euros de perdus. Or l'administration de la Sécurité sociale m'assure que ce n'est pas vrai. Pour davantage de clarté, j'ai annoncé que nous allions évaluer précisément le montant de la fraude fiscale, car il me paraît un peu facile de dire qu'il correspond exactement à celui du déficit. Cependant, tous ceux à qui je propose de confier cette évaluation m'opposent un refus.

M. Éric Bocquet. - Je suis candidat pour m'en charger.

M. Gérald Darmanin, ministre. - J'ai proposé au Premier ministre de commander une mission sur la fraude sociale, parlementaire ou administrative. Nous disposerons ainsi de données scientifiques précises. On me dit en effet que les pertes dues à la fraude sociale tourneraient davantage autour d'1 milliard d'euros que de 10 milliards. C'est sans doute déjà trop. La direction de la Sécurité sociale a réalisé des tests et constaté 0,15 % de fraude sur 1 300 dossiers. Il faudra le vérifier.

Mme Nathalie Goulet. - Nous souhaitons être associés à cette mission. La meilleure nouvelle serait encore qu'il n'y ait pas de fraude sociale du tout.

M. Gérald Darmanin, ministre. - S'il y en a, il faut la combattre. Mais, le pire serait de donner un chiffre de fraude erroné, car comment résoudre un problème irrationnel ?

Mme Nathalie Goulet. - Le rapport modeste que j'avais demandé a toujours été retoqué.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Nous allons le faire.

Mme Nathalie Goulet. - Tant mieux.

M. Gérald Darmanin, ministre. - La CSG non déductible est un impôt difficile à comprendre. D'autant que quand nous avons fait le prélèvement à la source, la seule vraie difficulté à laquelle nous nous sommes heurtés, notamment pour les retraités, a été que le montant de la base imposable n'était pas tout à fait le même que celui mentionné sur la feuille de pension. Cela a généré des différences de quelques euros qui ont été source d'incompréhension. Cependant, supprimer la CSG non déductible représenterait une perte de 6 à 7 milliards d'euros, soit 0,3 point de PIB.

M. Bernard Delcros. - Vous parlez de la recette d'impôt appliqué sur la CSG non déductible ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Oui.

M. Michel Canévet. - Cela me semble très élevé.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je veux bien revérifier les chiffres. Quoi qu'il en soit, supprimer la CSG non déductible coûterait 6 à 7 milliards d'euros. Le fait est qu'on gagnerait en lisibilité, mais que cela ne contribuerait pas à faire baisser la dépense publique.

M. Vincent Éblé. - Merci à tous.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12h30.