Mercredi 19 décembre 2018

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse portant modification de l'annexe 1 à la convention du 13 septembre 1965 relative à l'extension en territoire français du domaine de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Hugues Saury, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre la France et la Suisse portant modification de l'annexe 1 à la convention du 13 septembre 1965 relative à l'extension en territoire français du domaine de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire.

Cette organisation, plus connue sous son acronyme historique « CERN » (Conseil européen pour la recherche nucléaire), a vu officiellement le jour en septembre 1954, dans le canton de Genève.

Conformément à ses statuts, le CERN, organisme à l'excellence scientifique reconnue, fait uniquement de la recherche fondamentale en physique des particules, ce qui exclut du champ de ses recherches les études pour l'utilisation, même pacifique, de l'énergie nucléaire et, à plus forte raison, celles ayant la moindre application militaire.

L'Organisation emploie aujourd'hui quelque 2 500 personnes, dont près d'un millier de Français. Elle participe au rayonnement scientifique international de ses deux États hôtes, la France et la Suisse, qui bénéficient, en outre, de retombées économiques très importantes, évaluées pour notre pays à 500 millions d'euros par an.

Initialement créé autour d'un noyau de douze États européens, le CERN s'est ensuite élargi et compte aujourd'hui vingt-deux membres, dont Israël, seul membre non européen à avoir obtenu ce statut.

Le développement de l'Organisation a nécessité son extension en territoire français et a donné lieu, le 13 septembre 1965, à la conclusion d'un accord entre la France et le CERN relatif à son statut juridique sur le territoire français et d'une convention franco-suisse relative à l'extension du domaine du CERN en territoire français, dont l'annexe 1 fait l'objet du présent projet de loi.

Aujourd'hui, le domaine de l'Organisation est établi à plus de 80 % en France, dans le département de l'Ain, principalement sur les communes de Saint-Genis-Pouilly et de Prévessin-Moëns.

Une part très importante de l'emprise du CERN a été consacrée à la construction de points d'accès au tunnel circulaire et transfrontalier de 27 kilomètres qui abrite le plus puissant accélérateur de particules jamais construit : le LHC (Large Hadron Collider).

Outre ces points d'accès, le CERN dispose de deux autres sites : celui de Prévessin-Moëns situé en France, et celui de Meyrin.

Le site de Meyrin est le « berceau » du CERN. Il s'agit du seul site transfrontalier de l'Organisation, équitablement réparti sur les territoires des deux pays hôtes. Il abrite la majeure partie des chercheurs et des installations techniques, ainsi que la quasi-totalité de l'administration.

La convention du 13 septembre 1965 a consacré le principe de souveraineté territoriale des États hôtes sur la partie du domaine du CERN établie sur leur territoire respectif. Ce principe souffre toutefois une exception, relative à l'intervention des forces de police en cas d'urgence. S'agissant des opérations de secours, le cadre juridique en vigueur couvre l'ensemble des situations où les deux pays se prêtent mutuellement assistance. En revanche, aucune disposition n'encadre les opérations effectuées sur le territoire de l'autre partie lorsqu'elles ne sont pas organisées conjointement.

Cette situation de vide juridique appelait donc l'adoption de dispositions ad hoc. Deux instruments internationaux ont été conclus à cette fin : d'une part, un accord tripartite entre la France, la Suisse et le CERN relatif à l'assistance mutuelle entre leurs services dans le cadre d'opérations de secours, signé en décembre 2016 ; d'autre part, un accord bilatéral franco-suisse, conclu en 2017 par échange de lettres, qui amende l'annexe 1 à la convention du 13 septembre 1965, et dont l'approbation fait l'objet du présent projet de loi.

Cet accord bilatéral a précisé le régime applicable aux équipes de secours s'agissant notamment de la protection juridique des agents, des règles de juridiction applicables en cas d'infraction et des modalités de règlement des dommages causés.

L'accord tripartite a, quant à lui, une vocation plus opérationnelle.

La mise en service du LHC a rendu plus prégnants les enjeux de sécurité civile et conduit à une prise de conscience accrue des risques technologiques liés au site.

Les trois parties ont ainsi décidé de donner un cadre juridique spécifique aux interventions de secours, en soulignant, entre autres, l'intérêt d'autoriser une intervention de l'un des États hôtes à la place de l'autre, ou une intervention conjointe en cas d'accident majeur.

Le CERN dispose de son propre service de secours qui assure, à lui seul, la quasi-totalité des interventions sur le site. Il fait toutefois appel, en tant que de besoin et suivant la localisation de la situation d'urgence, aux services français et/ou suisses.

Le nombre d'interventions réalisées sur le domaine du CERN par le service départemental d'incendie et de secours de l'Ain est très faible : il s'élevait à quatre en 2017, contre une seule opération l'année précédente. Presque toutes ces interventions ont été conduites à la demande du CERN, principalement pour aider son service à lutter contre des départs de feux.

Le présent accord modifie donc l'annexe 1 à la convention de 1965 en ajoutant un nouvel article, l'article 3, relatif aux interventions de secours et d'urgences médicales. Ce nouvel article étend aux secouristes le régime juridique qui, jusqu'alors, était réservé aux interventions de police.

Aux termes de cet article, les interventions de secours de l'un des États hôtes sont autorisées sur le territoire de l'autre partie en cas d'urgence. Cette intervention peut s'effectuer à la demande du directeur général du CERN, ou sur l'initiative des services de secours des parties, même sans l'autorisation préalable de l'Organisation.

Sur le domaine du CERN, les territoires relevant de chacun des deux États ne sont pas clairement délimités. Il n'existe en effet aucune frontière physique sur le site de Meyrin ; seulement trois bornes ont été positionnées pour permettre aux usagers de se repérer et de distinguer, autant que faire se peut, les territoires français et suisse. Cette absence de délimitation claire rend d'autant plus indispensable l'adoption d'un accord sur la compétence territoriale de chaque État.

Pour conclure, le nouveau cadre juridique ainsi défini couvrira l'ensemble des situations auxquelles nos services de secours et d'urgences médicales pourraient être confrontés. Il permettra de sécuriser leur action et d'écarter tout risque contentieux qui pourrait naître de dommages subis ou causés par ces équipes sur les biens et les personnes lors d'une intervention, non conjointe, menée au sein du domaine du CERN sur le territoire de l'autre partie.

Par conséquent, je préconise l'adoption de ce projet de loi.

La partie suisse a déjà ratifié l'accord. Pour ce qui nous concerne, l'adoption du texte par le Sénat constituerait la première étape du processus de ratification.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 31 janvier 2019, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des ministres de la République d'Albanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et de l'accord de coopération en matière de défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Rachel Mazuir, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons un projet de loi autorisant l'approbation de deux accords de coopération dans le domaine de la défense conclus respectivement avec l'Albanie, en mars 2017, et avec Chypre, en avril 2017.

Ces deux accords, au contenu normalisé, ont pour objet de renforcer la coopération bilatérale en matière de défense avec chacun de ces pays et d'assurer, comme c'est traditionnellement le cas, un statut protecteur aux forces d'un État envoyées sur le territoire de l'autre dans le cadre de cette coopération. Ils s'inscrivent toutefois dans des contextes quelque peu différents.

Examinons d'abord l'accord signé avec l'Albanie. L'Albanie est un petit pays de 2,9 millions d'habitants, bordé par la mer Adriatique et qui a des frontières communes avec la Grèce, la Macédoine, le Kosovo et le Monténégro. La langue albanaise est pratiquée dans ces quatre pays. C'est aussi un des pays les plus pauvres d'Europe avec un PIB de 4 000 euros par habitant en 2017 et un taux de chômage de 14 %, même si, depuis 2015, la croissance est positive, de près de 4 % en 2017.

L'Albanie a entamé sa transition politique au début des années quatre-vingt-dix et sa situation est désormais stable. Depuis 2014, elle a le statut officiel de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne et s'est engagée dans l'amélioration des relations de bon voisinage avec les pays de la région. Depuis 2009, elle est aussi membre de l'OTAN. Ses ressources budgétaires et capacitaires sont faibles - le budget de la défense est de 150 millions d'euros en 2018, dont 18 millions d'euros affectés aux investissements. En revanche, l'Albanie participe aux opérations de l'OTAN : une centaine de soldats est déployée, ce qui est un effort notable, eu égard à la taille de ses forces combattantes (3 540 personnes).

Enfin, si la coopération bilatérale de défense actuelle est faible, l'Albanie, très francophone et francophile, manifeste une forte volonté de coopérer avec la France dans des domaines d'intérêt partagé comme la lutte contre le terrorisme et le radicalisme - notamment le retour des combattants étrangers du théâtre irako-syrien -, la stabilisation des Balkans et la sécurisation des espaces maritimes méditerranéens.

Cet accord intergouvernemental s'inscrit dans le programme d'actualisation du cadre juridique de la coopération dans le domaine de la défense avec les États d'Europe centrale et orientale ; des accords analogues ont ainsi été signés avec la Slovaquie en 2011, la Serbie en 2014 et la Croatie en 2016. Il est appelé à se substituer à un arrangement technique de 1996, dont la portée juridique est, par nature, limitée et dont certaines stipulations sont devenues obsolètes, compte tenu de l'adhésion de l'Albanie à l'OTAN.

L'accord porte sur des domaines et des formes de coopération classiques : échanges d'expérience, formation, exercices, visites. Ainsi, une association de Bourg-en-Bresse forme des jeunes Albanais dans le domaine du tourisme. Malheureusement, ces jeunes, une fois formés, ont quelquefois tendance à rester dans notre pays... L'accord prévoit aussi, sur la base de la réciprocité, un statut protecteur pour les membres des forces envoyés sur le territoire de l'autre État, par un renvoi au statut des forces de l'OTAN de 1951, le fameux SOFA OTAN (Statutes Of Forces Agreement), avec notamment la prise en charge financière des prestations de santé dans les mêmes conditions que les personnels de l'État de séjour et le principe de renonciation mutuelle à toute indemnisation en cas de dommage.

J'en viens à l'accord signé avec Chypre. Chypre est, depuis 1960, un État bicommunautaire indépendant, dont les « puissances garantes » sont la Grande-Bretagne, la Grèce et la Turquie. Depuis 1964, l'ONU maintient une force d'interposition qui gère une zone tampon, « la ligne verte ». Depuis 1974, l'île est occupée militairement par la Turquie - avec l'opération Attila qui compte plus de 30 000 hommes - et les négociations interchypriotes directes entre les dirigeants des deux communautés en vue de la réunification sont au point mort. Pour se défendre, Chypre entretient une garde nationale d'environ 12 000 personnes et de 60 000 réservistes. Le budget de la défense était de 320 millions d'euros en 2018, dont un peu plus de 60 millions d'euros destinés aux investissements. La flotte chypriote est la dixième mondiale.

Chypre est aujourd'hui sortie de la crise économique et financière qu'elle a traversée à partir de 2009, grâce au plan de sauvetage de 10 milliards d'euros alloués par l'Union européenne et le Fonds monétaire international entre 2013 et 2016. Le pays est membre de l'Union européenne depuis 2004 et, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune, attend une protection des États membres et, en particulier, de la France, son deuxième partenaire militaire après la Grèce.

Très consciente du caractère stratégique de sa position géographique, Chypre se voit comme une plateforme de dialogue entre l'Union européenne et la rive sud de la Méditerranée, car elle est en bons termes avec la plupart des pays arabes et sa relation avec Israël s'est améliorée. Les gisements gaziers autour de l'île attisent les convoitises. La coopération bilatérale de défense est principalement axée sur la formation et l'entraînement des personnels, ainsi que sur l'organisation d'exercices maritimes et d'évacuation.

Cet accord a vocation à remplacer un précédent accord signé en 2007. Il a pour objet, à la demande de Chypre, d'étendre les champs de coopération à l'échange d'expériences et de connaissances dans les domaines de la sécurité énergétique, de la sûreté maritime, de l'alerte précoce, de l'évacuation des ressortissants et de la gestion des crises, ainsi que de développer des facilités et du soutien logistiques aux forces armées. Il permet d'accorder un statut réciproque aux personnels d'un État déployé sur le territoire de l'autre, en renvoyant au « SOFA UE » de 2003 et prévoit également la validation d'un programme de coopération tous les deux ans. Pour le reste, il contient des stipulations similaires à celles de l'accord avec l'Albanie.

En conclusion, je recommande l'adoption de ces deux projets de loi. Le premier accompagnera la réouverture de la mission de défense française en Albanie, prévue à l'été 2019 - en juin 2019 reprendront d'ailleurs les pourparlers pour une intégration de l'Albanie dans l'Union européenne -, tandis que le second permettra de conserver un point d'appui stratégique important dans la conduite des opérations militaires françaises en Méditerranée orientale, en particulier, dans la perspective d'évacuations de ressortissants depuis le Liban, en cas de crise majeure. L'Albanie a notifié l'achèvement des procédures internes requises pour l'entrée en vigueur de cet accord, tandis que ces procédures sont en cours à Chypre.

L'examen en séance publique devrait avoir lieu le 31 janvier 2019, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Les visites en Albanie sont bienvenues, car ce pays, que nous ne connaissons pas bien, souffre des clichés qui lui sont attachés. C'est également un pays de transit pour les migrants.

Cet accord va dans le bon sens, car nous avons intérêt à travailler avec eux. Les Albanais sont francophiles, et très désireux de se rapprocher de l'Union européenne. Cette motivation pousse la population à accepter des réformes impopulaires, mais nécessaires.

M. Olivier Cadic. - Les militaires français avaient libéré la région de Korça durant la Première Guerre mondiale. Les Albanais ont gardé une grande affection pour la France, et souhaitent davantage de visites. Ils veulent être vus comme des Européens. Il faut se rendre dans ce pays qui a vécu une période triste pour se rendre compte du changement d'ère.

M. Richard Yung. - Chypre sert de plateforme à de nombreux transferts financiers venant du nord et de l'est de ce pays effectués dans des conditions douteuses. Les autorités monétaires et bancaires chypriotes ne sont pas connues pour la rigueur de leur contrôle... Une banqueroute a d'ailleurs touché le pays il y a quelques années.

Par ailleurs, je veux faire remarquer que la France était contente de pouvoir compter sur Chypre lorsqu'il a fallu évacuer par ferry 8 000 de nos ressortissants du Liban. Gardons donc de bonnes relations avec ce pays !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - La francophonie a reculé en Albanie. Nous connaissons les problèmes budgétaires du Quai d'Orsay, mais les Albanais espèrent un renforcement des institutions françaises de la francophonie.

Par ailleurs, il faut noter que nous travaillons en étroite collaboration avec l'Albanie au sein des structures de l'OTAN. La ministre de la défense albanaise est extrêmement active et présente.

Enfin, la diaspora albanaise est très ancienne, bien implantée et en augmentation. Au Kosovo, on compte par exemple 1,5 million d'Albanais, qui constituent une force très importante.

M. Rachel Mazuir, rapporteur. - Un cimetière militaire français se trouve à Korça.

Effectivement, la diaspora albanaise est très importante. Officiellement, le nombre de ressortissants albanais vivant hors de leur pays est de 1 million.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Audition de M. Jânis Sârts, directeur du Centre d'excellence pour la communication stratégique de l'OTAN

M. Christian Cambon, président. - Nous recevons M. Jânis Sârts, qui dirige actuellement le Centre d'excellence des communications stratégiques de l'OTAN (StatCom).

Monsieur le directeur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'avoir fait ce long déplacement depuis Riga pour vous exprimer devant la commission.

La communication a toujours été un instrument d'influence dans les relations entre les États. Le développement de nouveaux moyens de communication via internet et les réseaux sociaux avec les capacités qu'ils offrent lui donne une nouvelle dimension.

Son utilisation récente et assez massive en appui d'opérations militaires hybrides en Ukraine, lors de la prise de contrôle de la Crimée par la Russie puis dans la suite de ce conflit, ou pour influer sur les élections américaines de 2017, en témoigne.

Ces actions s'appuient sur la manipulation psychologique des opinions publiques ou de groupes, et utilisent assez systématiquement à cette fin des informations fausses ou tronquées, les fake news ou infox en bon français.

Cela nous oblige à prendre en considération cette dimension dans notre réflexion stratégique au même titre que l'espace ou le cyberespace, et à réfléchir aux moyens d'entraver et de contrer ces actions, qui sont un obstacle au bon déroulement de nos procédures démocratiques.

J'ai donc pensé que M. Sarts serait l'un des interlocuteurs les plus qualifiés pour nous sensibiliser à cette nouvelle approche des conflits, puisque le Centre d'excellence de l'OTAN qu'il dirige a conduit de nombreuses études et séminaires de réflexion sur ce sujet depuis sa création en 2014.

Monsieur le directeur, vous pourriez dresser un état de la menace, exposer comment la manipulation de l'information s'insère dans des actions de déstabilisation des opinions publiques visant à affaiblir les États ou en appui direct à des opérations militaires, et nous livrer vos réflexions sur la conduite à tenir par les États démocratiques, qui évidemment doivent inventer leurs propres méthodes pour contrer, réfuter, entraver et contrebalancer ces attaques sans renier leurs valeurs démocratiques.

Je rappelle qu'avant de rejoindre StratCom, vous avez exercé des fonctions importantes au ministère de la défense de Lettonie, que vous avez représenté cet État auprès de l'OTAN, avant de devenir secrétaire d'État à la défense pendant sept ans, de 2008 à 2015, et de présider le conseil national de cybersécurité.

Avant de vous recevoir, nous avons rencontré un haut représentant russe qui nous a expliqué que les intentions de son pays n'étaient que bienveillantes à l'endroit des pays baltes.

M. Jânis Sârts, directeur du Centre d'excellence pour la communication stratégique de l'OTAN. - Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité.

Le Centre d'excellence pour la communication stratégique de l'OTAN, créé en 2014, est une des entités accréditées par l'OTAN, mais ne fait pas partie de sa structure de commandement. Il compte treize membres, dont la France qui contribue à ses travaux.

Le centre développe des méthodologies pour l'OTAN et ses membres afin de faire face à certaines situations, et de les aider à tester leurs capacités. Nous n'avons pas de responsabilités opérationnelles dans l'OTAN, nous apportons un support en termes d'expertise et de conseil.

J'aborderai, d'abord, les domaines d'actions.

Chercher à influencer l'adversaire est une idée aussi vieille que le conflit lui-même. Il suffit de se référer aux théoriciens militaires : ils montrent que pénétrer l'espace cognitif de l'adversaire présente un avantage de taille. Cela a toujours été le cas, mais la dynamique a beaucoup changé : nos sociétés ont connu un changement important dans la façon de consommer l'information. Cela s'explique par la numérisation de l'information : 70 à 80 % de celle-ci est consommée sous forme numérique, et de 50 à 60 % des citoyens s'informent sur les réseaux sociaux.

Une étude de Microsoft de 2015 montre que la durée moyenne de concentration en matière d'information numérique est de huit secondes. Aujourd'hui, c'est peut-être même encore moins ! Par comparaison, je vous rappelle que la durée de concentration d'un poisson rouge est de neuf secondes... De plus, des expériences ont démontré que nous consommons davantage d'émotions, qui ont un impact plus puissant, particulièrement quand elles sont combinées à des images, que de faits. Par conséquent, les faits ne jouent plus le même rôle qu'avant, ce qui est un changement massif en termes de flux d'information.

Se produit un phénomène de chambre de résonance ou de bulles d'information. Les réseaux sociaux - Facebook, Twitter, Instagram - cherchent à garder le plus longtemps possible leurs utilisateurs en ligne, l'objectif étant de vendre de la publicité en faisant de nous des « produits ». Ils ont pour objectif de nous faire regarder des contenus toujours plus extrêmes, notamment en matière politique. Certaines chambres de résonance sont très puissantes : l'une de mes préférées, qui regroupe environ 10 000 personnes et est active surtout aux États-Unis, regroupe ceux qui croient que les humains sont dirigés par des lézards aliens...

Ces chambres de résonance deviennent de plus en plus puissantes.

Les forces hostiles essayent d'exploiter les vulnérabilités. Il est aujourd'hui beaucoup plus facile de saper les facteurs de cohésion d'une société qu'il y a quinze ans.

J'en viens maintenant aux acteurs néfastes.

Ce sont, en premier lieu, les groupes terroristes. Daech a été la première organisation terroriste à utiliser cette méthode, en s'adressant à ses followers via des réseaux. Mais leur opération tendant à se présenter comme un État islamique global n'a pas fonctionné. Néanmoins, la prochaine grande opération qui surviendra sera le fait de groupes terroristes qui utiliseront une stratégie de communication encore plus sophistiquée, en se basant sur les réseaux pour disséminer l'information et en exploitant ce phénomène de chambre de résonance. Heureusement, en ce moment, les organisations terroristes sont les cibles des plateformes en ligne et ne sont plus aussi efficaces qu'avant ; elles utilisent des plateformes de discussion en ligne réservées à des groupes fermés, mais à une échelle moins importante qu'il y a trois ou quatre ans.

Le deuxième acteur est la Russie, qui utilise différents spectres d'action. Le pays utilise des concepts hérités de l'Union soviétique des années soixante-dix et quatre-vingt. La Russie cherche à exploiter les vulnérabilités existantes au sein des sociétés en utilisant les outils à sa disposition : les médias financés par l'État, comme Sputnik et RT, et des opérations en ligne, telle l'ingérence dans le processus électoral américain. Cette ingérence était continue en 2016 et s'est poursuivie jusqu'aux élections.

La Chine a développé une approche différente, beaucoup plus subtile, privilégiant des stratégies à long terme. Dans cinq à sept ans, elle sera l'un des acteurs les plus performants dans notre environnement numérique. Elle investit dans les technologies, en combinant trois éléments : le captage de données, l'intelligence artificielle, et les technologies de surveillance. Bientôt émergera une technologie de contrôle et d'influence des esprits humains à un niveau inconnu jusqu'alors. La Chine a développé ces technologies d'abord pour des raisons de politique intérieure. La Russie avait fait de même, pour son usage interne, puis a ensuite découvert qu'elle pouvait utiliser ces outils à l'extérieur. Ce sera donc probablement la même chose en Chine.

L'environnement futur ne sera donc pas aussi simple qu'avant... Des éléments clefs vont polluer notre environnement, rendant toute activité sociale plus complexe, avec la possibilité d'altérer le contenu d'une vidéo ou d'une image, empêchant de voir si elle est vraie ou fausse. Dans une campagne électorale, cela aura un effet domino : un événement vrai ne sera plus cru ! Cela ébranle aussi la croyance fondamentale dans la véracité de l'information.

Le big data est un élément important. À la suite du scandale Cambridge Analytica, qui a surestimé ses forces et s'est survendu, on croit avoir suffisamment de matériaux pour influencer le comportement des gens. Cette année, nous avons mené un test avec un scénario particulier durant un exercice militaire. Nous voulions savoir si la quantité de big data pouvait révéler les manoeuvres en cours et influencer le comportement des soldats. Associé à l'intelligence artificielle, le big data peut influencer la sphère militaire et la société dans son ensemble. Nous devons être très scrupuleux sur les endroits où nous entreposons nos données, et sur les personnes qui y ont accès et qui traitent l'information...

L'intelligence artificielle est un outil rendant tous les autres beaucoup plus performants. Sans intelligence artificielle, il est très difficile de générer des deepfakes (permutation intelligente de visages) ou de tirer parti du big data pour fournir des informations. Ces opérations visent des groupes très limités.

Il y a un marché noir d'informations pour manipuler et influencer. En ligne, vous pouvez acheter tous les outils de manipulation numérique : des vues, des partages, des commentaires... C'est paradoxal : sur Google, la première chose que vous voyez lorsque vous cherchez à voir l'audience d'une vidéo, c'est une publicité : pour 20 euros, vous pouvez acheter 2 000 vues ou « likes », et dix commentaires... Google fournit ainsi les plateformes qui peuvent tromper les particuliers et les entreprises. Les algorithmes savent ce qui a été vu par certains types de personnes, comme des mères. Ils peuvent agir dessus. Des comptes bots, robots, sont automatisés. Lorsqu'on analyse les discussions sur la présence de l'OTAN dans les pays baltes ou en Pologne, 80 % des conversations en ligne émanent de comptes automatisés, contre 20 % de comptes humains. Il est très facile de déployer ce type d'opérations, qui impactent les sociétés : les citoyens, qui ont un rapport émotionnel à l'information, peuvent être mobilisés par ces actes et transformer leur action. Dans ce marché noir de l'information, tout repose sur des logiciels développés en Russie - même si les opérations elles-mêmes sont réalisées ailleurs, comme au Brésil, au Mexique ou en France...

Que faire face à ce phénomène ? Il faut d'abord comprendre ce qui est en train de se passer - c'est à la fois simple et difficile. Notre centre d'excellence apporte son soutien aux nations qui le souhaitent pour développer la résilience électorale, et comprendre ce qui s'est passé. Il a fallu deux ans pour comprendre ce qui s'est passé lors des élections américaines de 2016. Combien de temps faudra-t-il pour nos États, qui ont des moyens bien moins importants ?

Nous sommes loin de parvenir à une autorégulation. Ces plateformes en ligne ont reçu un important pouvoir dans un environnement démocratique. Nous devons exiger la transparence des algorithmes pour savoir quelles actions peuvent tromper les gens afin de les inciter à agir différemment, ou ce qui est fait des données laissées par les citoyens dans leur sillage numérique... Alors que nous nous sommes battus pour acquérir des droits, nous sommes en train de les perdre dans l'environnement numérique. Les algorithmes pourront toujours davantage déterminer nos choix...

Nous devons avoir une approche globale sur ce sujet de sécurité nationale, qui ne doit pas être uniquement géré par les forces armées. Ces dispositifs viseront toujours le maillon le plus faible, qui n'est pas nécessairement militaire. Les gouvernements, mais également les acteurs de la société civile, doivent agir, car les premiers n'ont pas forcément la crédibilité suffisante. Il faut responsabiliser la société civile.

Voyons comment utiliser les technologies pour rendre cet environnement meilleur. L'essentiel réside dans l'usage de la technologie, pour plus de liberté d'expression, de croyance, d'action et de transparence, par rapport aux conséquences de ces opérations sur les citoyens. Parfois, on mélange liberté d'expression et lutte contre la désinformation numérique. Ne nous attachons pas au contenu des messages. La désinformation concerne l'impact de la manipulation de l'information. Il faut regarder la logistique mise en oeuvre, ce qui la sous-tend. Parfois, nous n'avons pas accès aux données Facebook ou YouTube : nous voyons les visuels mais pas la campagne de coordination interplateformes, la recette qui rend la manipulation possible...

M. Christian Cambon, président. - Merci pour ce riche exposé.

M. Joël Guerriau. - Merci pour cet exposé passionnant, sur un sujet très complexe touchant à la modernisation de la société, avec une part d'inconnu considérable. Comment le centre d'excellence de l'OTAN, installé en Lettonie, fonctionne-t-il, avec combien de personnes ?

Nous devons nous protéger, mais nos données sont déjà pillées par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), sociétés privées dont nous ne maîtrisons rien. Le danger est monumental. Comment parer ces situations de propagande hostile, et ces manipulations par des groupes extrémistes ou des États ?

M. Cédric Perrin. - Merci pour cette intervention extrêmement intéressante, qui arrive à point nommé. En France, nous subissons une propagande qui s'installe et veut déstabiliser le pays. Les médias traditionnels ne peuvent y répondre ; la vérité est désormais recherchée sur Facebook et Twitter. Ces comptes étrangers attisent la haine. Quelles recommandations concrètes pouvez-vous faire à la France pour contrer ces menaces extrêmement inquiétantes ?

M. Olivier Cadic. - Merci, monsieur le président, d'avoir organisé cette audition. J'avais visité cette structure à Riga, il me semblait pertinent et opportun pour notre commission d'entendre son directeur. Actuellement, le problème est non pas les fake news - elles ont toujours existé -, mais leur dissémination... Lisez sur Wikipédia les articles sur la Crimée, le Donbass et le Kosovo : l'information est orientée.

Si un robot peut transmettre une information, un autre peut renvoyer une information différente. Dans les forums de jeux vidéo, les organisateurs doivent contrôler l'information et y répondre, car ils sont responsables. Pourquoi ne pas travailler à une sorte de vaccin électronique, un contre-robot réactif ? Voyez tous les commentaires agressifs qui font suite immédiatement au moindre tweet du Président de la République... Il faudrait que les États travaillent ensemble à ce contre-robot.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Félicitations pour cette intervention passionnante. Je préside la commission sur la dimension civile de la sécurité au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Votre prédécesseur nous a alertés sur ces sujets. Lord Jopling a réalisé, cette année, un excellent rapport sur les menaces hybrides : il suggérait de retravailler la formulation de l'article 5 du traité de l'OTAN afin d'intégrer ces menaces. Nous avons besoin de beaucoup plus d'informations sur ce sujet. Si un pays allié subit une telle attaque, tous les autres pays doivent l'aider à la combattre. Nous vous inviterons également à débattre.

M. Gilbert Roger. - Concrètement, parvenez-vous à coordonner la défense, les services de police et de communication des gouvernements pour qu'ils prennent conscience de l'utilité et de la nécessité de travailler ensemble en interopérabilité ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Merci pour cet éclairage passionnant et clair. La notion de secret a-t-elle encore un sens ? On parle de secret-défense, mais l'enjeu réside désormais davantage dans la crédibilité de l'information que dans l'accès à l'information... La révolution technologique accroît la miniaturisation des objets d'écoute et l'exploitation de nos comportements sur les réseaux sociaux et internet. La démocratie a besoin de la confiance des citoyens, qui s'acquiert au travers de la crédibilité de l'information. Comment la notion de secret peut-elle évoluer dans cette société de l'information ?

M. Yannick Vaugrenard. - Merci pour ces informations, qui complètent opportunément l'autre audition de cette matinée. Une forme de démocratie est en danger. L'émotion est privilégiée sur la réflexion, et peut orienter les décisions intimes de chacun ; les difficultés sont devant nous. Comment faire ?

Je m'étonne de la réaction du Secrétaire général de l'OTAN, qui s'en remet aux journalistes pour rétablir la vérité ; c'est nécessaire, mais insuffisant. Comment les démocraties devraient-elles demander aux GAFA de jouer leur rôle ? Est-il possible de faire de l'éducation à ces évolutions considérables et nouvelles ?

M. Hugues Saury. - Dans le domaine de la manipulation de masse, robots et contre-robots nous entraînent dans une surenchère technique, mais les fake news prospèrent sur le terreau de la naïveté et l'ignorance de nos concitoyens. L'éducation serait la meilleure solution pour prendre de la distance et détecter les fausses informations.

Mme Gisèle Jourda. - Merci pour cet exposé très clair. Quelles sont les formations organisées par votre centre sur la lutte contre la désinformation ? Vos intervenants interviennent-ils dans votre centre ou dans chaque pays intéressé ? Ces formations sont-elles différenciées par pays ou plus homogènes - ce qui peut favoriser certains biais ?

En 2017 a été créé un Centre d'excellence contre les menaces hybrides à Helsinki, et un Centre coopératif existe à Tallin. Pourquoi avoir trois centres sur ces thèmes voisins dans le nord de l'Europe ?

M. Christian Cambon, président. - J'ai l'impression que nous sommes toujours dans une situation défensive, face à une invasion de fake news. Certes, il y a une volonté de combattre, mais soyons plus offensifs, tout en respectant les principes de liberté et de démocratie. Nous devons leur donner une leçon ; nous en avons les moyens.

La Lituanie a fait face, en un an, à 57 000 cyberattaques contre les hôpitaux, la distribution d'énergie, les communications téléphoniques... Allons-nous passer notre temps à étudier les dispositifs et à nous en plaindre ? Passons à l'attaque !

Quand tous ces systèmes n'existaient pas, nous avions quelques supports comme Radio Free Europe qui fournissaient de l'information et aidaient à la réflexion des peuples ; ils ont favorisé l'effondrement du bloc de l'Est - nous fêterons, l'année prochaine, l'anniversaire de la chute du mur de Berlin.

Actuellement, nous avons l'impression d'être confits de terreur, alors que nous avons des moyens suffisants. Dans le monde réel, nous sommes respectés pour nos forces militaires conventionnelles et nucléaires ! Soyons plus offensifs dans le monde virtuel, à l'instar de notre puissance militaire.

M. Jânis Sârts. - Nous ne pouvons pas gagner une guerre avec une position uniquement défensive, l'histoire nous le rappelle. Nous combattons là où notre terrain domestique est le plus en difficulté. Si nous voulons apercevoir la lumière au bout du tunnel, nous devons d'abord sécuriser notre périmètre avant d'attaquer. Ainsi, le Royaume-Uni a tenté des mesures de rétorsion contre la Russie à la suite de l'empoisonnement de Salisbury, et a lancé un message. Mais le périmètre est beaucoup plus large, nous devons d'abord établir et sécuriser notre périmètre.

Le centre d'excellence rassemble treize pays : les pays baltes, la Pologne, l'Allemagne, la Slovaquie, l'Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, le Canada, la Finlande, la Suède et la France. Il est également approché par d'autres pays. Il comprend 36 experts, et dispose d'un budget de 3,5 millions d'euros - ce n'est pas beaucoup. Nous collaborons avec des instituts de recherche universitaires et militaires, et développons un effort collectif. Nous nous centrons sur le nécessaire, et rédigeons la doctrine militaire de l'OTAN. Nous travaillons également sur la résilience des processus électoraux avec les États et leurs services de sécurité. Nous avons besoin d'être rejoints par le maximum de pays. Nous sommes peu nombreux, et ciblons nos formations au niveau stratégique. Nous avons développé des scénarios d'attaque possible contre les gouvernements de chaque pays, et fourni des réponses, notamment à partir d'exercices réalisés simultanément en Suède et en Finlande. Si une formation peut être adaptée plus particulièrement à un pays, nous nous centrons toutefois sur le plus haut niveau, car le pouvoir exécutif doit prendre le problème à bras le corps... Il faut traiter un ensemble de choses.

Un cadre réglementaire ne doit pas être rédigé à l'échelle d'un pays, mais de l'Union européenne, pour ce qui concerne les droits numériques et des citoyens, comme il est fait pour la régulation bancaire. Il faut travailler sur les applications pratiques avec des experts juridiques. Il est important que les gouvernements s'attaquent au problème. Dans les pays baltes, en Finlande et en Suède, c'est le bureau du Premier ministre qui mène les opérations et a la responsabilité sur les agences concernées, et qui coordonne les formations. Il faut une approche intergouvernementale pour générer cette capacité de réponse à la crise.

Paradoxalement, nous vivons dans une ère d'information, mais nous devons aussi prodiguer une éducation primaire à l'information. Nous avons créé un jeu pour permettre aux citoyens de développer leur esprit critique, car il est possible de tromper une personne ayant déjà un fort esprit critique. On peut adopter un cadre réglementaire pour limiter ce qui trompe les gens.

Les robots sont un problème important. Le cerveau évalue si les autres pensent comme nous. Si vous utilisez des robots pour faire semblant que de nombreuses autres personnes pensent comme vous, vous influencez. Désormais, les robots peuvent interagir et être programmés pour extraire massivement des informations. Ces botnets pourraient rassembler des centaines de milliers de comptes dans un même réseau. Il faudrait un cadre régulateur, transparent, un corps de surveillance pour percevoir le côté secret de l'organisation. Certes, la notion de secret est obsolète. Soutenons les laboratoires numériques légistes. Parfois, je reçois des informations avant même de recevoir les rapports des agences de renseignement. Les services de sécurité doivent gérer ce contexte, qui exige de changer ses modes de fonctionnement, de mettre à disposition des informations et de travailler avec des laboratoires de la société civile qui ont connaissance de certaines informations avant et peuvent les mettre à disposition de tous.

Dans ce nouvel environnement, la confiance est importante. Au milieu du bruit, à qui fait-on confiance ? Très peu d'acteurs disposent de cette confiance. Les bots sont efficaces car les gens font confiance aux voisins, et le bot ressemble au voisin ; c'est plus efficace qu'un discours du porte-parole du Gouvernement... Nous ne pouvons pas vérifier et agir sur tous les bots réagissant aux tweets du Président de la République français. Plusieurs comptes ont été supprimés, mais c'est insuffisant. Jusqu'à l'année prochaine, nous menons une expérimentation sur l'environnement très malsain qui peut exister sur Facebook, et qui nécessite un cadre réglementaire. Les plateformes devraient mettre à disposition leurs données ; or, jusqu'à présent, elles ne traitent pas le problème des bots.

Il y a un grand débat sur le numérique et l'article 5. L'impact de la menace hybride dépendrait de la décision d'un pays dans une situation spécifique. Il y a une lutte d'influence pour perturber la cohésion de la société, qui exploite des vulnérabilités préexistantes. La capacité d'avoir une action globale est difficile. Il nous faut avoir nos propres actions contre ces acteurs. Mais je crois beaucoup à la nécessité d'un cadre réglementaire, régulateur - ce sera difficile, compte tenu de la rapidité des évolutions. Il faut anticiper ce qui arrivera demain, et ne pas se contenter de traiter le passé.

M. Christian Cambon, président. - Merci de cet exposé clair, même si ces réponses ne nous réconfortent pas !

M. Michel Boutant. - Je vais être un peu caricatural. Je ne crois absolument pas à ce que vous venez de dire. La personne que nous avons auditionnée avant vous estimait que les États baltes inventaient ces histoires et que leur grand voisin de l'Est et du Sud-Est était innocents. Ces carabistouilles viseraient à s'attirer les faveurs de l'OTAN. Que répondez-vous à cela ? Ma question, vous l'aurez compris, est à prendre au second degré.

M. Jânis Sârts. - C'est une mauvaise ligne de défense. En Crimée, en Ukraine, pour le vol MH-70, nous pouvons comparer les commentaires et la réalité des faits : nous avons des données qui sont accessibles à tous et qui, croisées entre elles, permettent de déterminer la vérité, et de vérifier les prédictions sur les élections présidentielles américaines. Cette ligne de défense ne tient pas. Elle aurait pu tenir il y a quatre ans, mais nous avons désormais suffisamment d'informations pour comparer.

Nous avons constaté après la création du centre que l'activité russe vers les pays baltes était stable, mais qu'elle augmentait vers l'Allemagne, la France, les États-Unis et les Balkans. Certaines données récentes de Facebook et Instagram ont été analysées par les scientifiques, mais même après avoir été mises en lumière devant le Sénat américain, ces groupes utilisent les mêmes techniques. Il n'est pas normal que le Sénat américain n'ait pas pu avoir à sa disposition des données de Facebook et de YouTube.

M. Christian Cambon, président. - Nous encourageons ce combat défensif. Ce matin, des responsables russes nous disaient que les manipulations sur Facebook pour les élections américaines ne constituaient qu'une part infime du trafic quotidien, et n'avaient pas été de nature à influencer le scrutin... Il est permis d'en douter.

Car ces manipulations constituent une menace pour notre démocratie et nos valeurs. Une fois de plus, à force de tout accepter, de se plaindre sans répondre, nos régimes démocratiques risquent de subir des perturbations beaucoup plus fortes. Actuellement, nous faisons face à de fausses informations : si une partie de la population a exprimé de vraies difficultés, d'autres veulent modifier notre système institutionnel et menacent nos valeurs républicaines. D'attentes de mesures renforçant le pouvoir d'achat ou la protection sociale, nous sommes passés à des discours beaucoup plus graves menaçant la République, se traduisant par l'attaque d'un grand monument français ayant accueilli récemment cent chefs d'État. Retrouvons les moyens de nous défendre et de porter des coups, pour neutraliser l'adversaire, et pas seulement verbalement.

M. Olivier Cadic. - La Lituanie a mis en place un groupe d'amitié Russie-démocratie qui contrebalance le groupe officiel...

M. Christian Cambon, président. - Merci, monsieur le directeur, d'être venu de Riga.

La réunion est close à 11 h 55.