Mercredi 12 décembre 2018

- Présidence de Mme Catherine Fournier, présidente -

La réunion est ouverte à 18 h 15.

Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances

Mme Catherine Fournier, présidente. - Nous clôturons nos auditions sur le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (Pacte) avec celle de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Nos trois rapporteurs ont commencé leurs analyses il y a un mois. Nous avons entendu en commission Jean-Dominique Senard et nous avons organisé deux tables rondes, l'une réunissant des économistes et l'autre portant spécifiquement sur les privatisations.

Votre audition arrive en fin de processus, monsieur le ministre. Nous en attendons donc moins une présentation d'ensemble du projet de loi que des réponses à nos questions. Aussi, je vous demande de bien vouloir limiter autant que possible votre propos liminaire.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. - J'obéirai à cette recommandation, madame la présidente, je serai bref dans ma présentation.

Le projet de loi Pacte arrive au Sénat dans des circonstances politiques qui ont radicalement changé en quelques mois. Nous faisons aujourd'hui face à une crise qui nous concerne tous : une crise sociale - la crise de ceux qui ont un travail mais qui n'arrivent pas à en vivre dignement -, une crise démocratique - des millions de Français estiment n'être représentés ni par vous, ni par les députés, ni par le Gouvernement, ni par l'exécutif - et une crise de la Nation - une nation qui se vit comme unie et ne supporte pas les déchirements territoriaux, qui se vit comme laïque et qui ne supporte pas de voir l'islam politique prendre tant de place, et qui se vit comme porteuse d'un projet collectif qu'elle n'arrive plus à définir. Je dis cela comme ministre de l'économie et des finances, mais aussi comme ancien parlementaire, comme élu local et comme ancien ministre de l'agriculture, qui a sillonné la campagne française et qui aime profondément la ruralité.

Ce projet de loi est une petite pierre - restons modeste - qui peut apporter une réponse au désespoir de millions de Français. En effet, dans la méthode, elle répond à ce qu'attendent les Français, c'est-à-dire du dialogue. Je remercie donc les députés, qui ont amélioré substantiellement le texte, au travers d'amendements issus de tous les groupes. Cette méthode a aussi consisté à associer des chefs d'entreprise, des élus, des salariés. Si ce texte a fait si peu de vagues et a recueilli une si large majorité en première lecture à l'Assemblée nationale, c'est parce que, quand on travaille ensemble, cela passe mieux. Je compte donc sur le Sénat, qui connaît si bien les territoires et le tissu économique français, pour améliorer encore ce texte.

Le premier volet de ce projet de loi concerne la simplification. Dans la colère qui s'exprime aujourd'hui, il y a aussi le ras-le-bol des artisans, des commerçants et des petits entrepreneurs, qui en ont assez de la paperasse, des taxes et des contraintes administratives. Or ce texte peut répondre à leur demande de simplification. Je donnerai un exemple : l'allègement des seuils sociaux. On supprime le seuil de vingt salariés, et, quand on ne franchit pas pendant cinq années consécutives le seuil de cinquante salariés, il n'y a pas d'obligation. Il y a aussi des simplifications dans les modalités de transmission.

Pour les salariés, on a simplifié le maquis incompréhensible de l'épargne retraite. Il n'y aura désormais plus qu'un produit portable au long de la carrière. Aujourd'hui, on change de métier et d'entreprise, on n'entre plus à vingt dans une entreprise dans laquelle on reste toute sa carrière. On gardera donc son produit d'épargne retraite toute sa carrière. De même, beaucoup de salariés sont en difficulté à la fin du mois ; ils veulent mettre de l'argent de côté, mais veulent aussi pouvoir le récupérer en cas de besoin. Avec ce texte, ils pourront libérer leur épargne retraite avant la fin de leur carrière. En outre, on n'obligera plus les salariés à toucher leur épargne sous forme de rente ; ils auront la liberté de la toucher en capital ou en rente, comme des citoyens libres et responsables.

Voilà des éléments de simplification qui répondent en partie à la colère qui s'exprime.

Un deuxième élément répond à cette colère : la justice. Nous voulons plus de justice dans notre économie. Il n'y a pas de succès économique sans justice économique. Cette justice se retrouve dans les mesures relatives à l'intéressement et à la participation ; nous supprimons le forfait social de 20 % pour toutes les entreprises de moins de 250 salariés qui versent de l'intéressement. Cela améliorera le salaire net de millions de salariés et cela incitera les petites entreprises à la performance économique. J'espère que beaucoup de PME et TPE s'empareront du dispositif.

La justice économique touchera aussi les indépendants. Le statut de conjoint collaborateur deviendra le statut par défaut des conjoints d'indépendants. Cela évitera à nombre de conjoints, souvent des femmes, de se retrouver sans protection sociale ni retraite.

J'en arrive au troisième volet du projet de loi ; nous voulons profiter de ce texte pour clarifier les rôles respectifs des entreprises et de l'État. Le monde de l'entreprise ne se limite pas à faire du profit. Elles valent beaucoup plus, et leurs salariés aussi. Ce qui transforme notre vie quotidienne provient des entreprises. Une entreprise est une collectivité dont l'activité a un sens et, d'ailleurs, les entreprises qui réussissent le mieux sur la planète sont celles qui se sont donné le sens le plus clair.

Ainsi, nous souhaitons modifier le code civil pour reconnaître ce sens de l'activité économique, en suivant les recommandations de Jean-Dominique Senard et de Nicole Notat. Nous valorisons le rôle des entreprises en leur faisant dépasser, si elles le souhaitent, le seul objectif de profit économique.

Nous redéfinissons aussi le rôle de l'État, qui n'a pas vocation à diriger des entreprises dont l'activité n'est pas stratégique, liée à l'indépendance nationale ou à la souveraineté nationale. D'où la privatisation des Aéroports de Paris (ADP), de la Française des jeux (FDJ) et d'Engie. Je rappelle en effet que 60 % des bénéfices d'ADP relèvent de la boutique de luxe ou de l'hôtellerie. Le reste - contrôle des pistes, des personnes, des frontières - restera dans les mains de l'État. Il me semble donc préférable de récupérer cet argent, environ 10 milliards d'euros, pour financer l'investissement dans des innovations profitables à terme mais non pas immédiatement - stockage des énergies renouvelables, programmes de santé ou encore intelligence artificielle.

C'est un texte auquel je crois profondément ; il est sorti meilleur et plus fort de l'Assemblée nationale ; il sortira encore meilleur et plus fort du Sénat.

Mme Catherine Fournier, présidente. - Belle conclusion, monsieur le ministre...

Je vais donner la parole aux rapporteurs qui vous poseront leurs questions ; je propose que vous leur répondiez au fur et à mesure ; puis les sénateurs qui le souhaitent poseront aussi leurs questions.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. - Merci de cet exposé. Ce texte est très attendu des entreprises, qui en espèrent de la simplification et une meilleure compétitivité.

Nous avons reçu des économistes lors d'une table ronde ; l'un d'eux a estimé que ce texte était un empilement de mesures utiles mais non décisives pour faire croître les entreprises.

Ma première série de questions porte sur les chambres consulaires. Le projet de loi de finances a réduit drastiquement le financement des chambres de commerce et d'industrie (CCI), qui devront recentrer leurs activités sur l'offre de prestations aux entreprises. Les centres de formalités des entreprises (CFE) sont dans l'incertitude jusqu'à 2023, date de disparition des guichets physiques ; le réseau souhaite mettre fin aux guichets dès 2020. Est-ce possible ?

Par ailleurs, les CCI sont leur propre assureur chômage. Lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, vous avez annoncé rechercher avec Muriel Pénicaud les conditions de l'adhésion du personnel des CCI à l'Unedic ; où en êtes-vous ?

Le projet de loi prévoit la disparition des chambres régionales des métiers et de l'artisanat au profit des CMA de région. Le réseau s'oppose à cette mesure ; ne faut-il pas maintenir une organisation souple favorisant la proximité sur le territoire ?

Seconde série de questions, sur la certification et la publicité des comptes. Les commissaires aux comptes ont réagi fortement à l'alignement des seuils de certification légale des comptes sur les seuils européens. Cela aura pour effet de supprimer 80 % des mandats, et cela aura un impact lourd dans les territoires comptant peu de grosses entreprises ; on estime que 7 000 emplois seront supprimés. Ne faut-il pas repousser l'entrée en vigueur de cette mesure ?

En ce qui concerne la publicité des comptes, sans doute la transparence est essentielle pour l'administration et la justice, mais cela pose un problème de concurrence : les concurrents auront accès à des informations stratégiques pour les entreprises. Comment aiderez-vous les entreprises à protéger leurs informations confidentielles ?

En ce qui concerne les seuils sociaux, la suppression du seuil de vingt salariés est bienvenue et l'instauration du délai de cinq ans pour répondre aux obligations de franchissement du seuil est intéressante, mais cela ne va pas assez loin. Christian Saint-Étienne estime que ce seuil de cinquante salariés est le plus handicapant pour notre économie. Ne devrait-on pas le faire passer à cent salariés ?

La réforme des brevets nécessite de doter l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) en moyens humains pour y faire face. Quinze ingénieurs supplémentaires seront nécessaires. Pouvez-vous garantir que le plafond d'emplois de l'INPI ne sera pas abaissé ?

Enfin, les modalités de la procédure d'opposition administrative des brevets délivrés par l'INPI sont renvoyées à une ordonnance. Pourriez-vous nous en donner les grandes lignes ?

M. Bruno Le Maire. - Je veux rendre hommage à la manière dont les présidents de CCI travaillent sur cette réforme avec moi depuis plusieurs mois. Cette réforme est difficile, elle doit permettre d'engranger 400 millions d'euros d'économies et de réinventer le modèle des CCI, qui ne fonctionneront plus sur des taxes affectées mais sur des prestations. Pour que cette réforme réussisse, il faut répondre aux inquiétudes et aux questions des CCI. On leur permettra de modifier le statut de leur personnel, afin de leur donner la possibilité de recruter de manière plus souple.

En ce qui concerne le personnel des CFE, aller plus vite risquerait de brusquer la machine. Il faut prendre le temps de rassurer le personnel.

L'assurance chômage des CCI est un point clef. Muriel Pénicaud et moi-même négocions avec les partenaires sociaux. Nous sommes en bonne voie pour obtenir l'adhésion à l'Unedic du personnel des CCI ; il faut que les salariés ne soient pas perdants et que le coût ne soit pas trop élevé.

Les CMA nous ont transmis un avis en faveur de la régionalisation. Je suis leurs recommandations. J'écoute ce qu'il est possible de faire et ce qui ne l'est pas. Un rapprochement avec les CCI, au moins pour le fonctionnement - par exemple le partage des locaux -, est probablement à encourager ; en revanche, je ne suis pas favorable à leur fusion totale, qui effacerait l'identité des métiers et des artisans.

Nous avons produit deux rapports sur les commissaires aux comptes : le premier, de l'Inspection générale des finances, a été jugé provocant par les commissaires aux comptes. Comme j'écoute toujours avant de décider, j'ai demandé un second rapport, rédigé, cette fois-ci, en collaboration avec des commissaires aux comptes, afin d'infléchir le premier. Cela aboutit à des propositions qui doivent éviter de faire peser une menace trop forte sur les commissaires aux comptes, en particulier dans les communes petites ou moyennes. D'autres compétences seront confiées aux commissaires aux comptes, comme l'obligation d'audit des sociétés filles lorsque la société mère est importante.

On a pris en compte la quasi-totalité de leurs demandes, mais on ne peut pas à la fois lutter contre la surtransposition des directives et reculer devant l'adoption d'un seuil européen plus favorable aux PME, qui me disent que la certification des comptes leur coûte 5 500 euros par an en moyenne. Il faut aussi écouter les demandes de simplification des PME !

Le passage du seuil de cinquante à cent salariés est un vrai débat, que nous aurons plus longuement en séance.

En ce qui concerne le seuil de représentativité, il serait sage, selon moi, de ne pas y toucher. Je suis attaché à la représentation syndicale, écoutons les mouvements actuels. Il faut plus de dialogue et de représentation syndicale pour porter une parole collective.

Je pense par exemple au cas de la reprise de l'usine de Ford, à Blanquefort, par Punch. Les huit cents salariés de ce site sont exceptionnels, ils ont accepté des conditions de reprise qui forcent l'admiration - gel de salaire pendant trois ans, suppression de jours de réduction du temps de travail, conditions de travail plus difficiles. Je ne me serais jamais imaginé appelant Philippe Poutou pour le remercier de son sens des responsabilités, mais c'est pourtant ce que j'ai fait, car, sans lui, il n'y aurait pas de reprise. J'espère que la direction de Ford comprendra qu'avec des salariés aussi responsables et constructifs, on ne rejette pas une offre de reprise. Sinon, cela attisera beaucoup de colère, et légitimement. Donc, ne touchons pas au seuil de cinquante salariés pour la représentativité des syndicats.

Pour le passage du seuil de cinquante à cent salariés, le coût est très lourd mais cela mérite une discussion.

Sur le plafond d'emplois de l'INPI, aucune modification ne me semble prévue ; il sera adapté à la nouvelle mission d'examen du critère d'inventivité.

Sur la publicité des comptes, il y a effectivement surtransposition, et je suis prêt à revenir dessus. Je crois à la cohérence d'une politique. La politique que je conduis sous l'autorité du Premier ministre et du Président de la République s'appuie sur deux piliers simples : améliorer l'offre économique française - compétitivité, loi Pacte, allègements de charges, simplifications - et redresser les finances publiques. Je tiendrai ces deux piliers, qui font la force de notre politique. Il n'y a pas de croissance économique solide et durable sans redressement des finances publiques.

Certes, le Président de la République vient d'annoncer 10 milliards d'euros de dépenses supplémentaires ; c'est une décision sage et nécessaire pour ramener le calme dans le pays, mais nous ferons tout pour rester le plus près possible de 3 % de déficit public en 2019. En retirant la transformation du CICE en allègement de charges, le déficit de 2019 aurait été de 1,9 %. Avec des dépenses supplémentaires, nous allons dépasser 3 %, mais nous ferons le maximum pour nous en rapprocher le plus possible.

Cela peut passer par la maîtrise de dépenses publiques, par un effort spécifique demandé aux grandes entreprises - j'y suis favorable - et par la taxation des géants du numérique, qui devrait rapporter en année pleine 500 millions d'euros.

Le fait de rester le plus près possible de 3 % est aussi ce qui nous permettra de poursuivre les transformations économiques et sociales de notre programme - réforme de l'État, réforme de l'assurance chômage, réforme des retraites. Nous sommes donc responsables et nous croyons à nos engagements européens, donc nous ferons le maximum pour nous rapprocher du déficit de 3 %.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez face à vous des élus qui sont également responsables, monsieur le ministre. Je partage votre constat : la météo politique ayant considérablement changé, nous ferons en sorte de tenir le cap.

J'ai cinq questions. L'article 51 du projet de loi porte cession de la Française des jeux (FDJ) au secteur privé, mais les modalités concrètes de cette privatisation ne sont pas précisées, notamment pour ce qui concerne la régulation. Même la refonte de la fiscalité des jeux est renvoyée aux calendes grecques. Cela ne revient-il pas à demander au législateur un chèque en blanc ?

Sur la privatisation d'ADP, comment faire en sorte que cette privatisation ne nuise pas aux intérêts des compagnies aériennes françaises, si les redevances aéroportuaires augmentent ? Ne faudrait-il pas renforcer les pouvoirs de l'Autorité de supervision indépendante (ASI), ou confier la régulation à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) ?

Le Fonds pour l'innovation est en place depuis janvier 2018, avec une dotation importante : 1,6 milliard d'euros en numéraire et 8,4 milliards d'euros de titres EDF et Thalès prêtés par l'État. Ce fonds apportera dès cette année un soutien annuel de 250 millions d'euros à l'innovation. Votre objectif est donc assuré sans avoir à procéder aux cessions envisagées. L'État ne risque-t-il pas de perdre le contrôle de deux actifs stratégiques sans réel bénéfice pour le financement de l'innovation ?

Je partage votre volonté d'orienter l'épargne des Français vers les fonds propres de nos entreprises ; cela passe par la réforme de l'assurance-vie. Pensez-vous que votre toilettage permettra de répondre à l'enjeu au travers du contrat « euro croissance », qui a bien du mal à décoller ?

Enfin, sur les crypto-actifs, le Sénat a toujours protégé les épargnants. Le développement des levées de fonds en monnaie virtuelle représente un défi. Pour limiter la fraude, vous proposez un système de visa et d'agrément sur une base volontaire. Pourquoi ne pas le rendre obligatoire ?

M. Bruno Le Maire. - S'agissant des privatisations, je vous présenterai de manière détaillée au cours des débats un dispositif sur les modalités de fiscalité des jeux. Il n'est pas question de demander un chèque en blanc au Parlement, d'ailleurs vous ne le signeriez pas !

Nous voulons aussi renforcer la régulation sur les jeux et mettre en place un dispositif de régulation strict, en particulier pour lutter contre l'addiction des mineurs au jeu. Une autorité indépendante sera créée à cet effet, avec des moyens renforcés par rapport à ce qui existe aujourd'hui. En ce qui concerne l'aspect strictement financier, il y a parfois une confusion entre les dividendes de la Française des jeux, assez modestes, de l'ordre de 80 millions d'euros, et les recettes fiscales, qui s'élèvent à plus de 3 milliards d'euros et qui, elles, resteront inchangées pour le budget de l'État.

S'agissant d'ADP, nous avons défini un cahier des charges très strict qui a été renforcé lors de l'examen à l'Assemblée nationale. Il inclut ainsi des dispositions sur l'emploi adoptées à l'initiative des communistes. Il instaure aussi un contrôle sur les redevances pour éviter de pénaliser les compagnies françaises et en particulier Air France.

Les titres d'EDF et Thales ne figurent au fonds pour l'innovation qu'à titre provisoire et exceptionnel. L'objectif est que le fonds soit doté à terme de 10 milliards d'euros pour rapporter de 250 à 300 millions d'euros par an, soit 2,5 à 3 milliards sur 10 ans. Ce fonds pour l'innovation de rupture a vocation à préfigurer un fonds européen pour nous permettre de gagner cette bataille que nous sommes en train de perdre sur les innovations de rupture face aux États-Unis ou à la Chine : songez au lanceur réutilisable dans le secteur spatial, à l'Intelligence artificielle, au stockage de l'énergie renouvelable, etc. Si l'on n'y prend pas garde, ces innovations seront américaines ou chinoises exclusivement. Il faut que les nations européennes se regroupent.

Nous voulons des fonds d'assurance vie plus dynamiques. L'encours global de l'assurance-vie s'élève à 1680 milliards d'euros, mais uniquement 10 % sont placés en actions. Le texte dynamise les fonds « euro-croissance » tout en simplifiant le dispositif. Les assureurs nous demandent aussi de modifier les ratios prudentiels sur leurs investissements en actions, objectif auquel je souscris totalement. Si l'on veut que les assureurs puissent investir davantage en actions, il ne faut pas, en effet, leur imposer des exigences en fonds propres prohibitives comme c'est le cas aujourd'hui. Nous devons aussi obtenir une modification de la réglementation européenne. En revanche, je tiens à rappeler que nous avons fait le choix de ne pas faire de Big Bang pour l'assurance-vie, en ne touchant pas à la garantie en capital.

Vous avez parfaitement raison de souligner que les crypto-actifs constituent un marché volatil et fragile. Ils sont soutenus par la technologie de la blockchain très prometteuse dans le secteur financier et dans d'autres secteurs. Nous ne pouvons passer à côté de cette révolution. C'est pour cela que l'on a retenu la voie optionnelle. Plus les crypto-actifs et les crypto-monnaies sont volatils, plus le visa de l'Autorité des marchés financiers (AMF) aura de la valeur pour l'investisseur, lui fournissant un certain nombre de garanties que les autres crypto-actifs ne lui fourniront pas.

M. Michel Canevet, rapporteur. - La situation sociale appelle des propositions nouvelles, et le président de la République en a formulé. D'autres mesures nouvelles seront-elles présentées lors de l'examen du projet de loi Pacte ?

En dépit de la volonté de simplification, le dispositif de l'épargne salariale est très lourd et difficile à appréhender pour les petites entreprises qui n'ont pas de direction des ressources humaines. La formule de calcul de la participation, en particulier, est ancienne et très complexe. Pourquoi ne pas avoir envisagé de la simplifier de façon à rendre le dispositif beaucoup plus lisible ?

L'actionnariat salarié est important pour impliquer les salariés dans l'entreprise. Une disposition adoptée à l'Assemblée nationale exclut les représentants des entreprises pour les opérations de vote concernant certaines décisions des conseils de surveillance des fonds communs de placement en entreprise (FCPE). Cette décision n'est-elle pas trop défavorable aux entreprises qui pourraient en conséquence limiter le développement de ces fonds ?

Concernant la gouvernance des sociétés, vous avez évoqué aussi la question de la responsabilité sociale et environnementale. L'article 62 quinquies A, voté à l'Assemblée nationale, prévoit la nullité des délibérations du conseil d'administration lorsque la parité n'est pas respectée. Cela crée un risque d'insécurité juridique.

Enfin le texte prévoit le recours à de nombreuses ordonnances. Trop à mon goût. Pourquoi n'avez-vous pas plutôt privilégié l'introduction de mesures législatives dans le corps de la loi ? La question des tarifs du gaz ou de l'électricité ne mérite-t-elle pas un débat parlementaire ?

M. Bruno Le Maire. - Certaines dispositions nouvelles ont été introduites par les députés. Rien n'interdit aux sénateurs d'introduire d'autres dispositions sous réserve qu'elles respectent l'esprit du texte.

M. Michel Canevet, rapporteur. - Le Gouvernement proposera-t-il de nouvelles mesures au Sénat ?

M. Bruno Le Maire. - Peut-être sur les CCI si cela est nécessaire, mais l'objectif du gouvernement n'est pas de rajouter des articles à un texte qui en comprend déjà beaucoup. En revanche, les sénateurs sont libres, bien entendu, d'enrichir ou de compléter le texte. Par exemple, si vous arrivez à trouver la formule magique sur la participation, je suis preneur. La formule de calcul est trop compliquée mais on s'arrache les cheveux sur ce sujet depuis longtemps. Il faudrait parvenir à la simplifier mais on n'est pas encore arrivé à trouver un accord là-dessus. J'ai demandé à l'Inspection générale des finances de nous faire des propositions.

Sur l'actionnariat salarié, l'objectif est de parvenir à une représentation équilibrée entre les représentants des salariés et de l'employeur dans les fonds d'actionnariat salarié. Je ne souhaite pas exclure ou mettre en minorité les employeurs dans les fonds. Donc, il convient de trouver une solution. Le débat au Sénat nous y aidera. La nullité des délibérations lorsque l'objectif de parité n'est pas atteint ne figurait pas dans le texte initial du gouvernement, mais cela a été une demande forte des députés. J'avais émis un avis de sagesse positive. Le dispositif est contraignant mais je constate que les dispositifs incitatifs n'ont pas permis d'instaurer la parité dans le paysage économique français. Lorsque le Président de la République a réuni les patrons du CAC 40 et les plus grands patrons français, il n'y avait qu'une poignée de femmes sur une centaine de patrons...C'est inacceptable. C'est pourquoi je suis favorable à des dispositifs plus contraignants sur la parité.

Enfin, les ordonnances seront demandées sur les sujets extrêmement techniques mais chaque sujet sera présenté de manière totalement transparente.

Mme Catherine Fournier, présidente. - Merci. Si vous me le permettez, monsieur le ministre, je constate toutefois que vous êtes entouré de beaucoup de collaborateurs masculins au sein de votre cabinet...

M. Bruno Le Maire. - Tous mes collaborateurs ne sont pas présents aujourd'hui avec moi pour cette audition !

M. Martial Bourquin. - Nous aurons un débat politique en séance sur la privatisation d'actifs stratégiques pour la France. ADP est un actif stratégique de l'État. Au-delà des questions partisanes, on peut s'interroger sur l'intérêt de cette privatisation. ADP est profondément liée à Air France. Or la situation d'Air France est difficile. Est-ce que le gouvernement a bien évalué cette privatisation ? Le droit européen rend possible une exploitation sans limite de temps. Tant que la société est dans le domaine public, cela ne pose pas de problème, mais si demain elle était privée, cela pourrait poser des problèmes à cet égard. Nous avons aussi en tête la privatisation des autoroutes. La privatisation c'est un fusil à un coup. Or la participation de l'État au capital d'ADP vaut 9 milliards d'euros et rapporte 174 millions de dividendes par an. Cela mérite d'avoir un débat sur ces questions ! Quand on voit la situation de nos autoroutes et la difficulté pour l'État de financer des infrastructures après ces privatisations, on peut s'interroger sur l'intérêt de l'opération. Le monopole public de l'État ne pose pas de problème mais si demain un groupe privé dirigeait ADP, cela pourrait en poser. Vous avez évoqué une participation plafonnée à 70 % pour éviter un droit d'exploitation éternel. ADP vaut 16 milliards d'euros en Bourse. Sa valorisation pourrait monter en cas de privatisation à 25 milliards d'euros. La privatisation est-elle une bonne affaire pour l'État ? Ce n'est pas sûr. Mieux vaudrait conserver ces actifs stratégiques que sont les deux aéroports de la région parisienne, qui sont aussi les aéroports de la France. En Angleterre, qui est allée très loin dans les privatisations, on observe un retour en arrière. Même les conservateurs disent que les privatisations sont allées trop loin et travaillent à redéfinir un contrôle de l'État sur les grandes infrastructures.

Mme Anne Chain-Larché. - L'État est à la recherche de rentrées financières immédiates. Il ne faut pas se voiler la face. On nous présente les privatisations en disant que l'on va réduire la dette de 0,4 % de PIB, mais c'est sans compter les récentes promesses du Président de la République pour calmer la crise que nous traversons ! La privatisation d'ADP sera une opération one shot et l'on se séparera définitivement d'une société hautement stratégique. Les aéroports de Paris sont la porte d'entrée de la France et la porte d'entrée de beaucoup de capitales européennes également. Des dizaines de millions de personnes y transitent chaque année. Comment sera assurée leur sécurité demain ? ADP représente aussi un moteur économique qui irradie toute la France. Quel sera le contrôle de l'État ? Vous avez évoqué un cahier des charges sur les hausses de redevances. Il est important que nous soyons rassurés dès à présent sur l'impact sur les compagnies aériennes. ADP représente également une réserve foncière importante. On peut s'attendre à des spéculations sur nos territoires qui seront difficiles à endiguer.

Les représentants des chambres consulaires nous ont alertés sur la question de la cession des entreprises et de l'obligation d'information des salariés. En 2014, la loi sur l'économie solidaire, dite loi Hamon, a créé une obligation d'information des salariés en cas de cession d'entreprise sous peine de sanctions allant jusqu'à l'annulation de la vente. En juillet 2015, le Conseil constitutionnel a jugé la sanction disproportionnée à la liberté d'entreprendre. En août 2015, la loi Macron a intégré la disposition préconisée par les sages et a adouci l'obligation d'information des salariés. Il nous semble que le projet de loi revient sur cet assouplissement. J'aimerais comprendre quelle est l'intention du gouvernement pour pouvoir, tout simplement, informer et rassurer les salariés.

Je veux enfin rejoindre l'éloge que vous avez fait de la responsabilité des salariés. C'est tout particulièrement le cas à l'usine Arjowiggins Security que vous nous aidez, monsieur le ministre, à essayer de sauver.

M. Fabien Gay. - Nous traversons une crise politique et démocratique très forte qui s'est accentuée dernièrement mais qui n'a pas commencé avec vous. Les revendications ne me font pas mal aux oreilles : hausse du Smic, augmentation des salaires, rétablissement de l'ISF, etc. Mais il faut être humble car nous sommes tous mis dans le même sac. Ceux qui jouent à mépriser les corps intermédiaires, les élus locaux, les syndicats, les partis politiques jouent avec le feu. Je suis de ceux qui pensent qu'il faut un dialogue et je suis assez heureux que l'on ait pu enfin le renouer. Vous avez parlé de justice économique, et donc d'intéressement et de participation ; à l'inverse, je souhaite la justice sociale, ce qui suppose la hausse des salaires, et pas simplement des revenus. Depuis 30 ans, 10 points de richesse nationale sont passés du travail au capital. Il est normal que les gens pointent la question de la justice sociale. Le Président de la République n'a pas répondu au problème avec la hausse du SMIC à 100 euros, car il n'a pas touché à cette question fondamentale.

En outre, je pense que l'on ne pourra pas faire l'économie d'un débat sur le CICE qui donne 40 milliards d'euros aux entreprises, sans conditions.

M. Philippe Dominati. - Ce texte est attendu et va dans le bon sens, mais je voudrais revenir également sur la privatisation d'ADP. Je suis plutôt partisan de l'économie libérale, mais là, je reconnais que j'ai un doute sérieux. D'abord en tant qu'élu parisien, parce que souvent les Parisiens ou les Franciliens sont sollicités pour financer les infrastructures de transport. Tout a commencé avec un projet de liaison entre le coeur de la capitale et l'aéroport Charles-de-Gaulle. Un groupe privé a voulu obtenir la concession, mais comme ce n'était pas rentable, il a choisi de rentrer subrepticement dans le capital d'ADP, à hauteur de 4,5 %, à 78 euros l'action. En cinq ans, l'action a doublé et on annonce la privatisation d'ADP. Selon le gouvernement, les dividendes sont faibles. Mais qui fixe les dividendes d'ADP, si ce n'est le conseil d'administration que contrôle le gouvernement ? Bien des pays refusent de se dessaisir d'un actif aussi stratégique que leurs aéroports. Au-delà de la région parisienne, c'est l'image de la France qui est en jeu. L'utilisation des recettes de la cession est aussi problématique. Alors que le budget du Grand Paris Express dépasse de 20 milliards la prévision initiale, pour s'établir à 40 milliards d'euros, il serait judicieux que le produit de la privatisation soit fléché vers les transports collectifs en Île-de-France, afin d'éviter que les entreprises payent des taxes nouvelles pour financer les aménagements. Je ne suis pas convaincu par vos arguments en faveur de la privatisation : la recette ne rapportera pas plus au budget de l'État que ce que le Président de la République a lâché en une soirée...

M. Richard Yung. - Je ne parlerai pas d'ADP. Le texte est très attendu et plutôt bien accueilli dans les industries et les entreprises. Le texte est déjà assez complexe et nous devrons veiller à ne pas trop l'alourdir. Mes questions sont d'ordre technique : est-ce que les apprentis et les salariés en formation seront pris en compte dans le calcul des seuils ? Le texte comporte des mesures pour faciliter l'utilisation de l'épargne-retraite avant la retraite, pour l'achat de la résidence principale par exemple. Ne pourrait-on aller un peu plus loin ? Enfin, la procédure d'opposition qui est envisagée en matière de brevets pose une série de problèmes assez difficiles à résoudre et suscite une résistance assez forte des déposants. Comment l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) peut-il analyser l'activité inventive, avec 80 examinateurs ? C'est impossible.

M. Bruno Le Maire. - Messieurs Bourquin et Dominati, madame Chain-Larché, nous aurons en séance publique un débat sur la privatisation d'ADP, que vous avez qualifié d'actif stratégique. Mais en quoi l'État valorise-t-il l'entreprise ? Quel est son intérêt d'en posséder la majorité et de la conserver ? Je vous accorde que, d'un point de vue stratégique, ADP représente la clé d'entrée aérienne sur le territoire national. Néanmoins, rien ne changera en matière de contrôle aux frontières, de sécurité ou de rotations, dont les modalités seront inscrites dans le cahier des charges et mises en oeuvre sous le contrôle de l'État.

Depuis 2005, l'État possède 56,6 % de l'entreprise, le solde appartenant à des agents privés - flottants ou grands investisseurs à l'instar de Vinci - qui disposent d'un droit de jouissance illimité sur les infrastructures. Si nous avions opté pour une privatisation sèche, un article de loi aurait suffi. J'ai refusé cette solution, que ne n'ai pas même présentée au Président de la République, car je ne souhaite pas qu'un acteur privé possède un droit de jouissance illimité. Nous prévoyons, en conséquence, une concession d'une durée de soixante-dix ans, à l'issue de laquelle les actifs seront rétrocédés à l'État. Vous pourriez vous interroger sur les garanties offertes par un tel mécanisme, au regard du constat qui peut être objectivement dressé sur les sociétés d'autoroute. J'étais, à l'époque, directeur de cabinet du ministre concerné et je reconnais que cela fut une erreur de ne pas imposer de garanties. S'agissant d'ADP, une révision des tarifs aéroportuaires est prévue selon un rythme quinquennal, sous le contrôle de l'État. Nous imposerons également des obligations d'investissement sur les actifs - le projet du terminal 4 devra notamment être mené à son terme - afin qu'ils ne soient pas dépréciés à l'issue de la concession. Sur la demande des parlementaires, nous avons prévu que certaines collectivités territoriales pourront entrer au capital d'ADP et, ainsi, participer aux décisions. Je conçois que d'aucuns estiment trop élevés les tarifs autoroutiers, mais n'oublions pas que l'unique portion d'autoroute encore sous le contrôle de l'État se trouve en piteux état. L'État n'a plus les moyens d'entretenir de telles infrastructures aussi bien que les entreprises privées. Les activités relevant de la souveraineté nationale - police aux frontières, contrôle des personnes et des bagages - resteront sous la responsabilité de l'État.

Je ne crois pas pouvoir être qualifié de néo-libéral après avoir nationalisé STX et oeuvré pour sauver l'aciérie Ascoval. La logique du marché de l'acier ne plaidait pas pour une telle solution, mais les 285 salariés de l'entreprise, dont la compétence n'a pas de prix, méritaient que nous nous battions. J'ai agi à rebours de nombreuses recommandations et j'en suis fier. L'économie doit avoir un sens au-delà du compte de résultat, notamment dans les circonstances actuelles. Nous mettrons donc 25 millions d'euros d'argent public dans Ascoval ; je trouve cela légitime, ce qui me semble éloigné d'une posture néo-libérale.

Nous aurons, monsieur Gay, une discussion sur l'intéressement et la participation. À mon sens, la justice sociale réside d'abord dans le fait de disposer d'un emploi. Veillons, en agissant trop brutalement sur les rémunérations, à ne pas favoriser le chômage. L'intéressement et la participation permettent d'éviter un tel écueil, même si, il est vrai, ces rémunérations sont exemptes de cotisations. Le débat sur la justice des rémunérations, passionnant, ressort presque de la philosophie.

Monsieur Yung, les apprentis et les salariés en formation sont inclus dans le calcul des seuils à proportion du temps passé dans l'entreprise. J'estime, par ailleurs, que l'INPI sera en mesure de mettre en oeuvre l'examen que vous mentionnez d'ici deux ans. Enfin, madame Chain-Larché, le projet de loi ne modifie rien s'agissant des cessions d'entreprise et des obligations d'information.

M. Jacques Genest. - Votre projet de loi apporte des améliorations notables, notamment au bénéfice des PME. Je ne crois, en revanche, nullement à votre argument du désendettement pour justifier les privatisations envisagées. L'exemple des sociétés d'autoroute illustre bien les inconvénients de la méthode... Vous avez mentionné les autorités de contrôle indépendantes. À mon sens, des économies pourraient également être trouvées dans les agences de l'État, avant de songer à supprimer des services publics en milieu rural. Je terminerai par une maxime paysanne de l'Ardèche : autrefois, entre la vache et le veau, le paysan vendait le veau, car il avait compris que s'il vendait les deux, il n'aurait, l'année suivante, ni lait, ni veau. Je crois que l'abandon du bon sens paysan par nos dirigeants explique une part de la crise actuelle...

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Le quatrième contrat de régulation économique, signé entre l'État et ADP pour fixer le montant des redevances et des investissements, sera-t-il arrêté avant la privatisation et, le cas échéant, intégré au cahier des charges ? Au cours du débat budgétaire, le Sénat a adopté, contre l'avis du Gouvernement, un amendement exonérant le loto du patrimoine de contributions : contribution sociale généralisée (CSG), contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), prélèvement au bénéfice du Centre national pour le développement du sport (CNDS) et taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Olivier Dussopt a alors indiqué que la fiscalité des loteries ferait l'objet d'un débat plus large à l'occasion du projet de loi dit Pacte. Le confirmez-vous ? Comment garantir la pérennité du loto du patrimoine après la privatisation de la FDJ ?

Mme Sophie Primas. - Je me félicite de la nomination d'Anne Rigail au poste de directrice générale d'Air France : il n'est donc nul besoin de quotas imposés par la loi pour permettre aux femmes de diriger nos grandes entreprises... La privatisation de la FDJ va entraîner une importante dynamique pour le monde des jeux. Je m'inquiète, à cet égard, des difficultés qui pourraient s'aggraver pour le Pari mutuel urbain (PMU) et pour France Galop et mettre en danger certains hippodromes. Prévoyez-vous un accompagnement spécifique dans le cadre de la privatisation ? Par ailleurs, le projet de loi prévoit d'inclure la responsabilité sociale et environnementale (RSE) dans l'objet social des entreprises. Je ne comprends pas que vous défendiez une telle disposition tout en prônant davantage de liberté. N'existe-t-il pas, en outre, un risque contentieux ? À trop les contraindre, les entreprises pourraient mener des actions de RSE alibis pour éviter toute mise en cause, au lieu de s'engager véritablement. Enfin, comment comptez-vous garantir la survie des écoles des réseaux consulaires dans le cadre de la réforme des CCI ? Elles proposent de nombreuses formules en apprentissage, qu'elles risquent de délaisser au profit de formations continues ou à destination des étrangers, plus rémunératrices.

M. Bruno Le Maire. - Monsieur Genest, il faut imaginer que la vache donnera beaucoup de veaux ! L'objectif des privatisations n'est pas tant le désendettement, que la création du fonds pour l'innovation de rupture. Nos start-up innovantes comme nos laboratoires de recherche ont d'importants besoins de financement. À titre d'illustration, les biais de sélection de données dans l'intelligence artificielle, sujet démocratique majeur, nécessitent un décryptage complexe des algorithmes gourmand en investissements. Je partage, par ailleurs, votre avis s'agissant des agences de l'État.

Madame Estrosi Sassone, le contrat de régulation pour la période 2020-2025 doit être signé au mois d'avril 2021. Si le Parlement a donné son accord à une concession d'une durée de soixante-dix ans et que celle-ci est réalisée, l'État négociera avec les investisseurs concernés. Si la cession n'a pas eu lieu à cette date, nous mènerons une négociation classique avec ADP. Mon collègue Olivier Dussopt a raison s'agissant de la fiscalité des jeux. Un amendement vous sera présenté pendant le débat. L'avis du Conseil d'État est en cours d'élaboration et nous vous fournirons au plus vite les informations. Mais, soyez rassurée, le loto du patrimoine sera maintenu.

Jean Arthuis prépare un rapport sur les hippodromes, mais aucun accompagnement n'est prévu, madame Primas, à l'occasion de la privatisation de la FDJ. S'agissant de l'objet social des entreprises, c'est facultatif et il s'agit d'une obligation de moyens, non de résultat. Simplement, la RSE sera établie en tenant compte des enjeux sociaux et environnementaux. L'absence d'obligation de résultat élimine le risque contentieux. Quant aux écoles du réseau consulaire, il convient effectivement de veiller, dans le cadre du prochain contrat d'objectifs et de performance, au maintien des plus fragiles, qui ne peuvent survivre sans la taxe pour frais de chambre (TFC). Il conviendra aussi de préserver en priorité les CCI en milieu rural, qui peinent à se financer par des prestations aux entreprises.

M. Jean-Raymond Hugonet. - J'ai particulièrement apprécié la teneur de votre propos introductif où, à trois reprises, vous avez cité la Nation, et dans lequel vous avez fait mention de la nécessaire réduction des dépenses publiques. Hélas, notre nation est en lambeaux, tandis qu'aucune mesure structurelle ne garantit la maîtrise des dépenses publiques. Le sujet central de la privatisation d'ADP réside dans la procédure de la double caisse, l'une pour ce qui coûte, l'autre pour ce qui rapporte, pas incongrue mais très exceptionnelle en matière de gestion de plateformes aéroportuaires. J'aimerais avoir des précisions relatives à la péréquation qui doit s'opérer entre les deux caisses pour que des dividendes substantiels soient versés.

M. Pierre Louault. - Votre projet de loi comporte de nombreuses mesures favorables. Il conviendrait néanmoins d'apporter davantage de souplesse aux CCI, qui jouent un rôle majeur en matière de formation et de création d'entreprises artisanales, d'étaler sur trois ans la réforme des commissaires aux comptes et d'oser s'attaquer à l'administration centrale, coûteuse et trop éloignée des réalités du terrain.

M. Vincent Segouin. - Depuis fort longtemps, la France a placé sa stratégie économique dans les entreprises du CAC 40. Vous souhaitez désormais renforcer les PME. Mais, tandis que les premières sont taxées à hauteur de 8 % environ, les secondes paient l'impôt à hauteur de 33 %. Le projet de loi Pacte suffira-t-il à modifier la donne sans réforme de ces taux ?

M. Serge Babary. - La réforme des CCI ne doit pas faire l'impasse sur leur rôle en matière d'animation économique des territoires. Je suis favorable à une mutualisation de leurs moyens à l'échelon régional, mais leur présence dans les départements doit être préservée, en s'appuyant notamment sur des représentants élus au niveau départemental.

M. Jean-Marc Gabouty. - Le pouvoir d'achat et la justice sociale représentent deux sujets préoccupants pour nos concitoyens. Votre projet de loi les traite par l'intéressement et la participation qui, contrairement à l'opinion émise par notre collègue Fabien Gay, constituent une part variable de rémunération. Vous renvoyez les mesures afférentes à des accords de branche, mais ne prévoyez pas de les rendre applicables aux entreprises comptant entre vingt et cinquante salariés. Les partenaires sociaux s'y montrent défavorables, bien que 20 % d'entre elles proposent déjà ces dispositifs à leurs salariés. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?

M. Bruno Le Maire. - Monsieur Hugonet, la Nation nous rassemble tous et je crois à la maîtrise des dépenses publiques comme condition de sa réhabilitation et de notre succès économique. Le Président de la République a fait des annonces nécessaires et justes, mais nous devons désormais trouver des solutions pour nous rapprocher au maximum de la règle des 3 % de déficit, que nous avons acceptée et qui nous permet de bénéficier d'une monnaie forte, en mettant notamment à contribution les grandes entreprises et les géants du numérique. Nous pourrons ainsi accélérer les indispensables réformes structurelles.

Rappelez-vous à quelle vitesse nos comptes publics se sont dégradés depuis dix ans : en 2007, la dette publique représentait 64 % du PIB, et cette proportion a bondi de plus de 30 points en quelques années ! Nous nous approchons des 100 % mais nous avons commencé à redescendre. Si nous pouvions accélérer le rythme, ce serait mieux.

Il y aussi une sorte de mécanique infernale avec les prélèvements obligatoires : rien ne semble pouvoir arrêter l'augmentation des impôts et des taxes, année après année. Il faut inverser cette tendance ! Nous avons commencé à le faire. Comme ministre des finances, je veux réduire les impôts des Français - et je n'ai pas pour habitude de leur vendre des illusions : ministre de l'agriculture, j'ai toujours dit les choses avec franchise et le plus clairement possible aux agriculteurs. Je le dis avec la même franchise et la même clarté au contribuable français : si nous voulons accélérer la baisse des impôts, il faut accélérer la baisse des dépenses, car je ne connais aucune solution miracle pour baisser les taxes et les impôts sans baisser les dépenses.

La double caisse, du strict point de vue de la maîtrise des finances, est parfaitement vertueuse. L'une des deux, le duty free, rapporte beaucoup et l'autre, les redevances aéroportuaires, coûte gros. L'intérêt de la double caisse est d'éviter que des performances moins positives sur les activités de service public soient systématiquement dissimulées par les revenus commerciaux, ce qui supprime l'incitation à améliorer le service public. Elle fait la transparence sur les prix, quand la caisse unique a un effet inflationniste : à Heathrow, où il y a une caisse unique, les tarifs ont fortement augmenté au cours des dix dernières années, alors qu'à Paris, les redevances d'ADP sont celles qui ont le moins augmenté depuis dix ans. L'aéroport de Francfort, qui est l'un des mieux gérés d'Europe, a un système de double caisse.

Sur la réforme de l'État, vous parlez d'or. Pour avoir dirigé plusieurs administrations centrales, je considère qu'on peut encore faire des efforts. Il faut toutefois préserver les services publics, notamment en zone rurale, et demander des efforts plus importants aux administrations centrales. Nous pouvons faire mieux que ce que nous avons fait, tous gouvernements confondus, depuis vingt ans.

Vous avez évoqué les taux de prélèvements : pour parler simplement, il faut aller chercher l'argent là où il est. Notre fiscalité prend l'argent là où il n'est pas et ne le prend pas là où il est. C'est pourquoi je me bats avec détermination pour que les géants du numérique soient imposés. D'abord parce que, comme n'importe quel Français j'ai soif de justice : que mon libraire paie 14 points d'impôts de plus qu'Amazon qui lui fait directement concurrence pose un véritable problème. Mais il y a aussi une considération d'efficacité : comme la valeur est de plus en plus dans les données, il est indispensable de les fiscaliser. Le combat est difficile, vu les intérêts économiques considérables en jeu.

Au G7 Finances que je présiderai l'année prochaine, la taxation minimale sera ma priorité absolue. Je ne veux plus que des multinationales qui opèrent en France installent leurs sièges aux îles Caïman, aux îles Vierges ou en Irlande pour bénéficier d'un taux d'imposition inférieur. Il y a des oppositions farouches, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis notamment.

J'ai rencontré le président de la CCI dans votre ville, monsieur Babary. Je sais que les conditions d'élection des représentants au niveau départemental sont un sujet sensible, que certains, qui voudraient réformer, sont mis en minorité et que cela pose un véritable problème. C'est pourquoi je souhaite que nous maintenions les élections des représentants au niveau départemental.

Rendre obligatoire l'intéressement et la participation par accord de branche ? Ce texte est fait pour les PME et ne comporte, volontairement, aucune obligation : tout y est incitatif et simplificateur. La question se pose, il ne s'agit pas de se retrouver avec un forfait social supprimé et des entreprises qui ne saisissent pas cette opportunité pour les salariés. Nous aurons le débat, au Sénat j'espère.

Mme Catherine Fournier, présidente. - Vous avez mentionné votre franchise, nous l'avons beaucoup appréciée, ainsi que la précision de vos réponses.

Ce texte est très attendu. Le Président de la République, le Premier ministre ont promis une écoute réelle de notre Chambre, des maires et des présidents d'EPCI. Ils ont aussi annoncé des déplacements du Président de la République lui-même sur nos territoires. Serez-vous aussi ouvert dans votre traitement des amendements que le Sénat pourrait apporter à ce texte ?

M. Bruno Le Maire. - Bien sûr. Mais comme je sais que vous ne vous satisferez pas de mon écoute, je vous suggère de commencer à travailler avec mes équipes. L'écoute, si elle ne se traduit pas par l'adoption d'amendements de sénateurs, ne vaut rien.
J'ai donc besoin de savoir quelles sont les lignes de force qui se dégagent dans chaque groupe, et de connaître les points auxquels vous attachez le plus d'importance. Bien sûr, notre débat ne devra pas faire pencher le texte vers une autre philosophie que la sienne, qui est de faire grandir nos PME et de libérer les capacités de croissance du pays.

Mme Catherine Fournier, présidente. - Merci.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 10.