Jeudi 22 novembre 2018

- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -

Quel avenir pour les services publics dans les territoires ? Les propositions du rapport du Comité Action Publique 2022 (CAP 2022) relatives aux collectivités territoriales et à l'action publique locale

M. Jean-Marie Bockel, président. - Mes chers collègues, avant même d'ouvrir cette séance et d'accueillir nos invitées, je souhaite saluer avec beaucoup de plaisir et d'amitié Jacques Mézard, qui nous revient. Monsieur le ministre, bienvenue, vous êtes chez vous, dans la délégation comme au bureau. Notre collègue Josiane Costes a été remarquable en votre absence. En effet, elle s'est beaucoup impliquée dans les travaux du Sénat en général et de la délégation en particulier, en digne émule de Jacques Mézard, que nous avons connu et apprécié avant son passage au Gouvernement. Nous l'avons d'ailleurs également apprécié pendant cette période, car il n'a jamais oublié d'où il venait et qui il était, et a fait de son mieux. Je voudrais donc l'accueillir chaleureusement.

À vous, Mesdames, je vous indique que la délégation n'est pas au complet parce que le Congrès des maires se tient actuellement. Suivant la tradition, le Sénat a décidé que nous n'arrêtions pas nos activités. Mais les meilleurs sont présents, ainsi que ceux qui sont intéressés en raison de leur engagement dans des rapports d'information. En effet, nous avons aussi engagé un travail sur la ruralité ainsi que sur les relations entre communes et communautés. Vous allez nous éclairer sur ces questions. Je remercie d'ailleurs Marc le Dorh d'avoir assuré l'interface.

Je salue Mme Véronique Bédague-Hamilius, coprésidente de CAP 2022, PDG du consortium Nexity Immobilier d'entreprise, et Mme Michèle Kirry, préfète de la région Bretagne depuis le 30 octobre 2018, responsable du Groupe « Nouvelle action publique territoriale » de CAP 2022. Toutes deux ont des agendas extrêmement contraints, mais nous consacrent toutefois du temps, particulièrement vous, Madame la Préfète, qui entrez en fonctions. Merci vraiment à toutes les deux pour vos efforts.

Le 13 octobre 2017, le Premier ministre a installé ce Comité Action Publique 2022. Il comprend une quarantaine de membres mêlant économistes, personnalités issues des secteurs public et privé, et élus. Les coprésidents en sont Mme Bédague-Hamilius ; le directeur de Sciences Po ; et le président du groupe Safran, d'origine australienne.

Vous avez examiné 21 politiques publiques, avec trois objectifs : améliorer la qualité de service pour les usagers ; améliorer les conditions d'exercice des agents publics ; baisser la dépense publique pour les contribuables. En tant que responsables de collectivités de toutes tailles, nous avons connu la gestion de carrière des agents territoriaux, les négociations avec les syndicats, les devoirs envers les citoyens, et nous avons dû concilier ces objectifs contradictoires. J'apprécie que votre perception globale de ces questions nous sorte d'emblée du discours démagogique récurrent, notamment sur le nombre de fonctionnaires.

Trois propositions du rapport CAP 22 sont relatives aux collectivités territoriales : assurer le « dernier kilomètre » du service public dans un monde numérique, supprimer les doublons et améliorer le partenariat entre l'État et les collectivités territoriales.

Je rappelle simplement la publication récente d'un rapport d'information de la délégation aux collectivités territoriales intitulé « Où va l'État territorial ? Le point de vue des collectivités », rédigé par Éric Doligé, qui ne fait plus partie de la délégation ni du Sénat, et par Marie-Françoise Pérol-Dumont, ici présente.

Renforcer la cohérence de l'action publique territoriale.

Nous souhaitons également avoir votre avis sur l'ingénierie territoriale et les besoins d'accompagnement des collectivités par l'État. Tous ces sujets font parallèlement l'actualité du Congrès des maires, du malaise des élus locaux à celui dans les territoires, que nous vivons de manière forte en ce moment.

Avant de laisser la parole à nos invitées, je reviens sur le retour de Jacques Mézard. Pour la bonne forme, sommes-nous tous d'accord sur sa reprise de fonctions ? Oui ? C'est donc validé. Il fallait que cela soit dit.

Mme Véronique Bédague-Hamilius, coprésidente de CAP 2022. - Je vous remercie de cette audition, que nous percevons plus comme une marque d'intérêt que comme une contrainte. Vous constaterez toute l'énergie et la passion que Michèle Kirry a mises dans ce travail.

Ce groupe de travail « Nouvelle action publique territoriale » n'était initialement pas inclus dans notre feuille de route. En effet, nous avions uniquement quelques grands thèmes à étudier, avec des pilotes. Lorsque nous avons commencé à travailler - et ce n'est pas sans lien avec les douze années que j'ai passées dans une grande collectivité territoriale, d'abord en tant que directrice des finances puis comme directrice générale des services (DGS) -, nous avons convenu qu'il était impossible de travailler sur l'action publique sans s'intéresser au lien entre l'État et les collectivités territoriales. Nous avons donc demandé au Gouvernement l'autorisation de créer un nouveau groupe, informel. Afin de réunir différents regards sur ce travail, son pilotage a été confié à Michèle Kirry ; Philippe Laurent, maire de Sceaux ; et Jean-Baptiste Fauroux, DGS de Nouvelle-Aquitaine.

M. Jean-Marie Bockel, président. - M. Fauroux devait venir et s'est finalement désisté. Mais je le connais bien, c'est un homme de qualité.

Mme Véronique Bédague-Hamilius, coprésidente de CAP 2022. - Oui. Il a commencé en Alsace, a été DGS de Lyon, puis de Nouvelle-Aquitaine.

L'une des suggestions émises dès le début par Michèle Kirry était de ne pas proposer une énième réforme des limites des collectivités territoriales - ce qui est toujours une tentation - mais de travailler à améliorer l'existant.

Mme Michèle Kirry, préfète de la région Bretagne. - Pour être honnête, j'ignore les raisons pour lesquelles j'ai été choisie. Pour l'essentiel, ma carrière s'est déroulée en administration centrale, et j'occupais un poste territorial. J'ai toutefois été très heureuse que l'on me confie ce groupe. J'ai eu deux postes à la Direction générale des collectivités locales (DGCL), j'ai été préfète de terrain, et j'ai vécu beaucoup de réformes de structure. Lorsque j'étais directrice de l'administration générale du personnel et du budget puis directrice des ressources humaines des ministères sociaux, j'étais pleinement impliquée dans les réorganisations révision générale des politiques publiques (RGPP), réforme de l'administration territoriale de l'État (REATE) ; et armement des nouvelles agences régionales de santé (ARS). Durant ce double parcours, territorial et central, j'ai observé comment la situation était ressentie de part et d'autre. Je n'oublie donc jamais la manière dont les agents des collectivités et de l'État perçoivent cette succession de réformes.

La méthode du groupe de travail est collaborative : tout a été réalisé dans un temps extrêmement court, à partir de mi-janvier 2018 et de la remise d'un rapport qui a nourri le rapport CAP 22 lui-même. Il me paraissait impossible de travailler en chambre, bien qu'il y ait matière à le faire, notamment grâce aux rapports des assemblées et de la Cour des comptes. Toutefois, j'éprouvais vraiment le besoin d'animer un véritable groupe de travail, avec une parole libre, et d'y mêler des services de l'État et des collectivités.

Nous avons donc constitué un groupe de travail composé à parts égales de représentants des services de l'État, des collectivités territoriales et d'élus. Je précise que nous avons ouvert le groupe « Nouvelle action publique territoriale » aux représentants des collectivités territoriales qui faisaient déjà partie des groupes thématiques de CAP 22, et avons obtenu des réponses positives.

Tout a commencé le 29 janvier 2018 par une séance d'aspect psychanalytique, où chacun pouvait exprimer son ressenti sur l'exercice de ses fonctions, l'enchevêtrement des missions, la perte d'efficacité. Philippe Laurent était présent. Nous nous trouvions dans un lieu neutre. Cette séance a été fort productive. Elle a débouché sur un atelier, qui s'est tenu le 26 février 2018, pour approfondir les éléments discutés précédemment.

J'ai aussi eu plusieurs auditions. Nous avons également éprouvé le besoin d'aller sur le terrain et avons rencontré les agents de la préfecture de la Marne, le 12 mars 2018. Frédéric Mion, l'un des coprésidents, est venu avec nous.

Le travail a également été nourri par des contributions libres d'acteurs de terrain. J'avais personnellement engagé tous les participants aux ateliers à faire parvenir leurs contributions, dont certaines étaient très riches. J'ai également eu une rencontre très intéressante avec le représentant des administrateurs territoriaux, Fabien Tastet ; des directeurs de centres de gestion ; des élus ; des DGS ; du Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) ; et des associations représentant les directions départementales interministérielles. Ces dernières, depuis la mise en oeuvre de la REATE, répertorient ce qui fonctionne mal. Nous devrions nous en inspirer ; je suis convaincue que recourir plus souvent à une approche ascendante permettrait d'obtenir des réformes mieux ancrées dans les réalités de terrain.

Dès le départ, le cadrage était clair : il ne s'agissait pas de revenir sur la réforme des structures. En effet, mon constat est le suivant : depuis une dizaine d'années, l'administration territoriale, dans sa double composante État et collectivités, a connu un rythme de réformes extrêmement soutenu (RGPP, REATE, lois MAPTAM et NOTRe). Ces réformes ont privilégié les structures au détriment des missions. Or, la question fondamentale est : qui est le mieux outillé pour faire quoi ? C'est donc cet angle de travail que nous avons adopté. Notre ambition était d'aborder la réforme de l'action publique sous l'angle de l'efficience accrue de la mise en oeuvre des politiques, et de proposer une gouvernance territoriale qui soit plus efficace pour les acteurs et plus lisible pour les citoyens, sans toucher aux structures.

Le groupe de travail a pris acte de trois éléments :

- Les précédentes réformes étaient incomplètes. Depuis 2009 et la RGPP, toutes les réformes se sont attachées à modifier les structures sans réellement interroger la nature des missions, ni leur partage entre État et collectivités ;

- Les différentes vagues de transfert de compétences n'ont pas réellement réussi à clarifier les rôles. Nous constatons que, même dans des pans de compétences entièrement décentralisés, l'État, par réflexe, continue d'en exercer certaines, souvent mal, créant ainsi des doublons. Plusieurs raisons expliquent cette rétention de compétences. Premièrement, l'État central a des difficultés à concevoir une politique publique qu'il ne mettrait pas en oeuvre lui-même. En cela, il se trompe, puisque son rôle se borne à en vérifier la mise en oeuvre. Les agents de l'État ont d'ailleurs intériorisé l'idée selon laquelle seul l'État peut garantir les principes du service public, ce qui dénote une méconnaissance totale des responsabilités des collectivités.

La deuxième raison réside dans le déficit de confiance vis-à-vis des collectivités, qui continuent d'être suspectées d'articuler leur action uniquement sur les calendriers électoraux. Pourtant, trente-cinq ans après les premières lois de centralisation, cette suspicion n'a plus lieu d'être.

La troisième raison transparaît dans le mouvement dit des « gilets jaunes », qui révèle un véritable malaise dans toute une frange de la population. Elle tient dans l'attitude très contradictoire des citoyens, qui désirent à la fois toujours plus et toujours moins de présence étatique. Or, dans un système où l'État s'estime toujours le seul légitime à intervenir dans la totalité de la production du service public, le poids des administrations centrales reste le même. L'État ne remet pas en question ses propres organigrammes ni sa structure RH. Je donne un exemple, issu de ma propre expérience de DRH des ministères sociaux : y compris dans des champs de compétences entièrement décentralisés, l'État continue à recruter des corps entiers de fonctionnaires. Le corps des conseillers d'éducation populaire comprenait à l'époque plus de 1 700 agents, alors que ce sont les collectivités territoriales qui sont les plus proches du terrain. Des concours sont encore organisés tous les ans. Les fonctionnaires des directions départementales de la cohésion sociale continuent à exercer des missions sans aucune valeur ajoutée. Ces chevauchements de compétences sont dommageables pour les agents eux-mêmes et vont à l'encontre de la lisibilité du service public.

- La montée en puissance des collectivités territoriales n'est pas prise en compte. Elle est liée au développement d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui couvrent tous les territoires, à l'émergence des métropoles, et au renforcement des régions. Le système fonctionne donc toujours comme si l'État était le seul garant de la production du service public alors que les acteurs de terrain ont atteint un réel niveau de maturité et méritent la confiance.

Je reviens sur une de mes expériences, vécue au moment de l'Acte II de la décentralisation, la loi relative aux libertés et responsabilités locales. Lors du transfert vers les régions et départements des 100 000 personnels techniciens, ouvriers de service (TOS), ces personnes, qui relevaient du service public de l'Éducation nationale, ont dénoncé la casse du service public. Pourtant, la gestion étatique était invraisemblable, et ces manquements étaient compensés auprès des fonctionnaires par des avantages en matière de temps de travail. La loi leur ayant ouvert un droit d'option, ils ont finalement tous opté pour la fonction publique territoriale. En outre, ils sont mieux rémunérés et la gestion dans les collèges et lycées est plus efficace. C'est un bon exemple de la maturité des collectivités, qui sont devenues de gros échelons de gestion.

Mme Véronique Bédague-Hamilius, coprésidente de CAP 2022. - Lorsque j'ai pris mes fonctions de directrice de cabinet du Premier ministre, après mon poste de DGS, j'ai été fortement frappée par la compréhension uniquement théorique que les hauts fonctionnaires de l'État ont des collectivités locales. Il leur manque des réflexes en matière de politiques publiques territoriales. Je me souviens, par exemple, d'une réflexion collective sur la formation professionnelle où personne n'avait songé à interroger des présidents ou DGS de régions, n'en voyant pas l'utilité. Si nous parvenions à développer cette compréhension-là, nous aurions une action publique totalement différente et beaucoup plus efficace. Nous pourrions supprimer un certain nombre de postes assez sensibles au niveau de l'État, qui n'aident pas le service public parce que les agents eux-mêmes ignorent le sens de leurs missions et doivent interroger des agents des collectivités territoriales.

Si l'État acceptait d'appliquer en profondeur la décentralisation telle qu'elle a été votée, les économies seraient réelles, et les citoyens comme les agents s'en porteraient mieux.

Le groupe de travail relève cinq constats objectifs et documentés par un important rapport de la Cour des comptes.

Mme Michèle Kirry, préfète de la région Bretagne. -

- La réalité de la décentralisation est paradoxale. Tandis que les moyens consacrés par l'État aux services territoriaux n'ont cessé de décroître, particulièrement au niveau départemental, son intervention dans nombre de domaines s'accroît, sans aucune priorisation ni évaluation, y compris dans des champs de compétences transférés. L'État possède encore 400 corps vivants, contre 1 000 auparavant. Parallèlement, le nombre de cadres d'emplois de la fonction publique territoriale est resté le même, inférieur à 60. Il existe encore dans certains ministères des bureaux dont l'intitulé correspond strictement à des compétences décentralisées. Ces derniers produisent des circulaires qui irriguent le terrain sans que jamais l'organigramme soit revu.

-Il y a aujourd'hui des missions de contrôle en déshérence faute de moyens. À force de vouloir agir dans tous les domaines et avec peu de moyens, notamment au niveau départemental, les véritables missions de l'État que sont l'expertise, l'accompagnement aux projets locaux et le contrôle régalien diminuent considérablement. Je prends un exemple tiré de mon expérience de préfète de la Nièvre. J'avais une direction départementale de la cohésion sociale et de la protection de la population, dans un département très agricole où l'un des piliers est l'élevage de Charolaises. Il y avait un abattoir et un inspecteur vétérinaire, chargé de valider l'exportation de la viande, notamment en Italie. Si cet inspecteur vétérinaire se trouvait dans l'incapacité d'assurer ses fonctions, toute l'économie nivernaise s'écroulait.

- À cette logique de silo des administrations centrales s'ajoute une filialisation de l'État. En effet, à côté des administrations centrales, une multiplicité d'agences surgit, dont l'action n'est pas réellement territorialisée mais qui ne sont pas détectées par la préfecture. J'en veux pour preuve la multiplication des appels à projets. Les choix des territoires retenus proviennent toujours du niveau central. Or, comment pourrait-il être le mieux à même de retenir telle ville plutôt qu'une autre ? Nous constatons parallèlement une vraie progression dans la clarification des compétences des collectivités territoriales, notamment permise par la suppression de la clause générale de compétence autorisée par la loi NOTRe.

- Les agents de l'État, comme ceux des collectivités territoriales, ont un profond sentiment d'isolement et de perte de sens. Les agents de l'État se sentent abandonnés et ne perçoivent pas le sens de leur action. Leur souffrance au travail vient de leur conscience professionnelle, car ils ont parfaitement conscience de ne pas effectuer correctement leurs missions. En ce qui concerne la fonction publique territoriale, l'inflation des contrôles, des règlements et de la norme est de plus en plus mal vécue.

L'ensemble de ces constats reflète assez bien le contexte général.

M. Jean-Marie Bockel, président - Nous avons souvent eu l'occasion de dresser un constat similaire à travers différents rapports d'information. Toutefois, que cela vienne de vous est primordial. En effet, vous êtes en responsabilités, et non des moindres, à l'intérieur de l'administration d'État, pour laquelle j'ai beaucoup de respect, d'attentes, et la conscience aiguë que seule la réforme restaurera la place de l'État dans notre beau pays. Charge à chacun de vous entendre et d'agir en conséquence.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Merci, Mesdames, de votre présence, et de nous rassurer un peu sur le sens du travail que nous conduisons dans cette délégation. J'ai eu l'opportunité de travailler avec Éric Doligé, en 2016, sur un rapport dont le thème était « Rôle et place de l'État territorial dans le nouveau contexte post-décentralisation », et nos remarques recoupaient précisément les vôtres. Or, nous nous interrogions, en raison de notre passé. En effet, Éric Doligé et moi étions anciens présidents de départements, et nous nous demandions si nous avions vu la situation à l'aune de notre expérience. Mais votre hauteur de vue vient cautionner le travail que nous avons réalisé.

Dans ce rapport, nous recommandions que l'État se focalise sur ses missions, au plan territorial comme central. Nous avions cité l'exemple des sports, mais c'est valable pour la culture et beaucoup d'autres domaines. Nous avons également préconisé que l'État puisse assurer en amont ses missions de conseil.

Je retiens de votre propos un plaidoyer intelligent pour une décentralisation adaptée à la nouvelle donne territoriale. Il me paraît capital que des personnes occupant des postes tels que les vôtres valident cela. Vous avez évoqué le sentiment de désespérance dans les territoires et le malaise des agents. Les deux se recoupent, parce que ces agents sont souvent des références pour la population en raison de la manière dont ils travaillent. Merci d'avoir souligné cet aspect, que nous n'avions pas inclus dans notre rapport. J'estime que, dans la période trouble que traverse notre pays, le Gouvernement serait bien inspiré de tenir compte de vos remarques.

M. François Grosdidier. - Ce que vous dites est fondamental et rejoint parfaitement tout ce que nous avons pu exprimer. Mais, venant d'élus locaux, cela passait toujours pour la défense de prérogatives ou d'intérêts corporatistes, et non pour la volonté d'avoir des méthodes efficaces au service des citoyens. Nous souffrons depuis des années, voire des décennies, d'être empêchés dans nos actions alors que la demande sociale augmente. Les moyens, financiers comme juridiques, sont plus limités. En effet, lorsque nous parvenons enfin à réunir les services de l'État pour résoudre un problème, nous ressortons avec des problèmes supplémentaires, tandis que chaque représentant de service a le sentiment du devoir accompli parce qu'il a fait prévaloir le point de vue de son administration. Chacun d'entre nous a vécu une expérience similaire.

Le gaspillage des moyens publics entraîne une insatisfaction croissante chez nos concitoyens. Cela pose un problème de démocratie. En effet, la démocratie permet, en théorie, de sanctionner celui qui prend de mauvaises décisions. Or, dans notre système actuel, le plus souvent, celui qui a le pouvoir n'a pas de comptes à rendre, et inversement. Nous avons tous soutenu l'intercommunalité pour ce qu'elle est la seule à pouvoir réaliser. Toutefois, dans de nombreuses situations de proximité, elle entraîne des coûts supplémentaires parce que les circuits de décision sont plus longs et que les citoyens sont moins écoutés.

Concernant la réforme de l'État, personne ne demande moins de policiers ou d'enseignants. Les véritables doublons ne sont plus entre les collectivités elles-mêmes, mais entre l'État et les collectivités. Il devient impossible d'établir un plan local d'urbanisme sans qu'un fonctionnaire de la Direction départementale des territoires vienne nous dire où placer la zone d'activités. Dès lors que l'État décentralise, il devrait s'astreindre à un contrôle de légalité, et non d'opportunité. Or, l'administration centrale intervient de plus en plus dans la mise en oeuvre. Le juge administratif s'octroie le contrôle de l'opportunité du projet, mesurant parfois le bilan coût/avantages. En Belgique et en Allemagne, notre organisation leur paraît insensée !

Nous partageons donc votre diagnostic, et nous aimerions que l'État tienne compte de vos propositions, parce qu'aujourd'hui tout le monde est perdant.

M. Jacques Mézard. - J'ai pu assister de façon plus précise au fonctionnement de l'État. Si le seul objectif est de réduire le nombre de fonctionnaires d'État, je crains que cela n'entraîne pas de solutions positives. Certes, il faut rendre l'exercice de l'action étatique plus économe, mais cela ne peut constituer l'unique objectif. En effet, il est indispensable que l'État définisse précisément son champ d'action. Malheureusement, les administrations centrales ne sont pas prêtes à évoluer. Il y aurait pourtant beaucoup d'efforts de rendement possibles. Je l'ai vécu avec la loi ELAN, lorsque j'ai tenu des propos extrêmement violents vis-à-vis de l'administration centrale.

Alors, comment l'État doit-il fonctionner vis-à-vis des collectivités ? Depuis une vingtaine d'années, nous avons vidé les préfectures et les services de l'État des départements qui ne possèdent pas de siège de région. Là, les préfets ont des difficultés à exercer leurs fonctions parce que les moyens d'action ont été déplacés vers les métropoles régionales. Pourtant, une circulaire du Premier ministre publiée en septembre 2018 stipule que l'échelon pertinent, pour l'État, est celui du département. Une meilleure coordination est donc indispensable. Je suis d'accord pour que chacun fasse ce qu'il a à faire, en application des dispositions législatives, pour mettre fin aux chevauchements de compétences.

Cependant, il faut aussi que l'État ait les moyens de son action partout. Or, la situation est différente selon les territoires. Certains ont voulu de grandes régions, mais il n'est pas aisé de les gérer au niveau local, particulièrement dans le Sud. Dans le Cantal, ma préfète doit prendre deux jours pour assister à une réunion à Lyon ! Voilà la réalité !

M. Jean-Marie Bockel, président - Merci, Jacques, ta parole est d'or.

M. Jean-Pierre Vial. - Je partage ce constat. Il faut maintenant y apporter un traitement. Nos voisins italiens et suisses sont stupéfaits de nos méthodes, et nous reprochent de ne jamais mettre en oeuvre les principes que nous brandissons.

En amont se pose la question des études d'impact. Un pays moderne comme la France devrait délaisser des méthodes qui feraient rougir une PME ! En effet, la seule fois où ce point a été abordé devant le Conseil constitutionnel, c'était pour la loi NOTRe, et il a été écarté. Nous avons appris plus tard que ce n'était même pas par principe, mais par manque de temps. Nous n'avons donc pas d'évaluations préalables. Et il en va de même en aval, pour les évaluations finales.

Il est donc indispensable, dans le travail que vous conduisez, d'ébaucher une méthode, car l'important n'est pas de publier un rapport, mais d'améliorer la situation. Actuellement, la désespérance des élus tient autant à l'absence de perspectives qu'au constat de notre enlisement. Ils ne craignent pas d'affronter les problèmes, mais de ne pouvoir les régler. Nous devons absolument moderniser notre pays.

M. Marc Daunis. - Tout tourne autour de la même question : qui est porteur de l'intérêt général ? Est-il partagé ou est-il uniquement le fait de l'État ? Cette discussion est fréquente parmi les parlementaires, qui voient l'affection de l'État s'étioler depuis la loi sur le non-cumul. Ce qui était une autorité de compétence, avec des personnes au sein des services de l'État qui détenaient une véritable technicité, s'est considérablement affaibli. Les élus sont infantilisés alors que leurs compétences techniques sont au moins égales à celles de leurs interlocuteurs.

J'aurais trois questions :

- La logique de décentralisation dessine deux blocs. D'un côté, l'Europe, l'État, les régions, dont l'action publique est stratégique ; de l'autre, un bloc de proximité comprenant communes, intercommunalités, et départements. Où se situe l'État ? Au-delà du SGAR, quelle est l'utilité de l'État à l'échelon régional ou départemental ? N'avons-nous pas intérêt à laisser l'État assumer les compétences techniques au niveau départemental, et à instaurer dans les régions un interlocuteur garant de la légitimité ? La situation actuelle entraîne des conflits entre les préfets régionaux et départementaux ;

- Comment réarmer un échelon départemental au niveau de l'État si on conserve un fonctionnement en silo ? Je défie quelqu'un qui ne nous connaîtrait pas de deviner l'appartenance politique de chaque intervenant. Or, toutes les sensibilités de l'hémicycle se sont exprimées ; le constat est donc partagé. Comment pragmatiquement pourrait-on déterminer quelques mesures centrales qui dégageraient un consensus ?

M. François Calvet. - Mesdames, nous partageons vos cinq constats. Nous travaillons ici sur beaucoup de rapports dont on ne voit pas les effets. Je citerai deux exemples. Nous avons rédigé, avec Marc Daunis, un rapport sur la simplification législative du droit de l'urbanisme et des sols. Or, en recevant les fonctionnaires de l'État, nous n'avions pas l'impression qu'ils avaient conscience de la décentralisation, parce qu'ils continuaient à nous dicter les choses.

Le gros problème réside dans les freins à l'économie. Beaucoup de projets n'aboutissent pas parce que l'État s'est interposé. Il ne défend plus notre pays. Mon père, conducteur de travaux des ponts et chaussées, avait toujours comme objectif d'aider la collectivité à réussir. Mais, depuis l'instauration du contrôle de légalité, l'objectif inverse semble prévaloir. Je le vis très mal, d'autant plus que j'habite à la frontière franco-espagnole. Quand nous avons construit l'hôpital transfrontalier - projet que je conduisais depuis dix ans et qui est cité en exemple par tous les commissaires européens -, j'ai réussi à obtenir 18 millions d'euros sur les 31 millions. Malgré cela, tous les travaux ont été délégués aux Espagnols en raison des lenteurs de l'État français à lancer les marchés.

Pourtant, c'est bien l'économie et la création d'emplois qu'il faudrait mettre au centre. Il est indispensable que les projets aboutissent pour que notre pays avance. Malheureusement, nous vivons actuellement le contraire, si bien qu'au niveau local les élus sont dépités et ne veulent plus s'engager.

M. Jean-Marie Bockel, président - L'enquête publiée en ouverture du Congrès des maires montre effectivement que plus de la moitié d'entre eux envisage de ne pas se représenter, ce qui exprime un mécontentement. Leur décision définitive dépendra aussi des réponses qui leur seront ou non apportées.

M. Éric Kerrouche. - Il est rassurant de constater cette lucidité partagée. Ce que vous dites sur l'État me rappelle les travaux de Pierre Legendre sur la mythologie de l'État, qui est tellement enracinée en France qu'il est très difficile d'en sortir. Notre pays s'est construit sur une centralité omnisciente, ce qui explique la situation. Je pourrais aussi souligner qu'il existe un cycle électoral local et que les collectivités y sont peut-être soumises. Cependant, il y a aussi un cycle électoral national et certains fonctionnaires y sont soumis.

Le doublonnage nuit aux collectivités comme à l'État. Actuellement, l'État central est victime d'une obésité morbide qui l'empêche profondément d'agir. Dans un État surchargé, la véritable question est celle de la doctrine territoriale de l'État. Quelle est sa volonté de couverture du territoire ? J'ai travaillé pour le Centre d'étude et de prévision du ministère de l'Intérieur sur des schémas de déploiements territoriaux, mais dans les faits, rien n'a été tranché. Les collectivités ne refusent pas l'État en soi, mais refusent l'arbitraire de l'État quand il est uniquement fondé sur une norme qui compense le manque de moyens. Cette situation est souvent perverse. Les collectivités souhaitent cependant un contrôle de l'État, bien fait et avec des moyens, or cela n'existe plus. La véritable position de l'État est celle d'un état-major régalien au niveau local, mais cela ne passera pas uniquement par la suppression de personnel mais par du ré-aiguillage.

Nous ne sommes pas seulement dans une logique organisationnelle, mais aussi dans une logique institutionnelle et fonctionnelle. Comment l'État va-t-il s'adapter aux évolutions extrêmement fortes qu'ont connues les collectivités dans des proportions inouïes depuis ces vingt dernières années ?

M. Raymond Vall. - J'ai été frappé par la lucidité et le courage de votre rapport. Les élus sont découragés parce qu'ils finissent par se demander qui est porteur de la légitimité d'action et de décision. Réussir à agir est devenu un exploit : concevoir un projet, trouver de l'argent, mais aussi affronter un système qui donne de plus en plus l'impression de marquer sa présence en étant tatillon. Le dialogue est rompu, car nous sommes confrontés à des arguments incompréhensibles par des élus confrontés à une population dont les besoins sont concrets. D'autant plus que c'est un pouvoir que nous contestons qui nous empêche d'agir, et que les personnes responsables changent parfois de position sur une intervention de Paris. Cette première attitude, souvent négative, est perçue comme une réaction épidermique par les élus, c'est pourquoi beaucoup d'entre eux ne souhaitent pas se représenter.

La question du Fonds européen le prouve, et ne parlons pas des fonds de Liaison entre action de développement de l'économie rurale (LEADER) : nous dépensons plus d'argent pour prouver que nous n'avons pas fraudé que nous ne recevons effectivement d'argent de ce fonds. Par conséquent, lorsque nous entreprenons un projet avec les Espagnols, ils posent comme condition que ce soit eux qui portent le dossier. C'est inacceptable !

Par ailleurs, j'aurais souhaité trouver dans le rapport la spécificité rurale. En effet, elle est souvent réglée avec un ratio démographique, ce qui conduit à la catastrophe. Ce problème se manifeste aujourd'hui d'une manière regrettable. Il est crucial de le résoudre.

Enfin, nous commençons à percevoir que sur des territoires, même ruraux, les habitants ont le droit de se doter d'un projet de territoire et de le construire, à condition qu'on leur en donne les moyens. Il n'est pas forcément nécessaire que cette réponse provienne du préfet ou du sous-préfet. Mais, s'il s'agit de recentraliser ce pouvoir d'imagination pour qu'il puisse mieux être contrôlé, je crois, comme Marc Daunis, qu'il sera très difficile de réaliser ce nouvel espoir, d'autant plus que l'on connaît désormais les difficultés du niveau régional à se mettre en place. L'État est effectivement inadapté à ces nouvelles lois.

Mme Catherine Troendlé. - Tout d'abord, merci à vous, Mesdames. J'ai trouvé vos conclusions à la fois décapantes, pragmatiques et totalement réalistes. J'aurai deux remarques. Premièrement, j'avais oeuvré avec Éric Doligé sur l'idée que les élus locaux pourraient bénéficier d'un droit d'adaptation de la législation. En effet, l'élu est une personne responsable, capable de comprendre l'objectif d'une norme ou d'une législation et de l'ajuster à son territoire, ses besoins et ses moyens.

Ma deuxième remarque porte sur le travail transfrontalier. Dans le sud du Haut-Rhin, avec l'Eurodistrict, nous travaillons avec les Suisses et les Allemands. Nous constatons que la France est toujours à la traîne lorsqu'il s'agit de prendre des décisions, parce qu'elle attend l'avis du préfet, du conseil départemental, de la région, alors que nos collègues étrangers disposent d'un pouvoir décisionnel. Nous pourrions avancer bien plus vite.

Mme Michelle Gréaume. - Dans le rapport CAP 22, il était spécifié que les précédentes réformes avaient des limites, notamment le manque d'implication des acteurs (agents, fonctionnaires, cadres). Mais comment motiver des fonctionnaires alors que l'on songe à réduire leur nombre et revoir leur retraite ?

M. Jean-Marie Bockel, président - Contrairement à ce que Marc Daunis a dit précédemment, je pense que nous ne sommes pas tous exactement sur la même ligne. Il est vrai que nous pensons que la relation entre l'État et les territoires devrait être beaucoup plus harmonieuse. Toutefois, les situations sont très diverses. J'ai le sentiment qu'il y a eu des améliorations dans certains territoires, urbains comme ruraux, mais dans d'autres lieux, pas du tout. Donc, ce que nous aimerions voir émerger commence déjà à exister ici et là, parce qu'il existe quand même des bonnes volontés, des intelligences et des capacités de travail. Nous ne sommes pas toujours plus mauvais que nos voisins européens, même si les expériences vécues par nos collègues sont réelles. Nous avons déjà chez nous des exemples à suivre, encore faut-il savoir où aller.

Mme Véronique Bédague-Hamilius, coprésidente de CAP 2022. - L'accord que nous avons ici n'est pas partagé à l'intérieur de l'État. Les hauts fonctionnaires d'État n'ont pas réellement conscience de la réalité des collectivités locales. Lorsque j'ai quitté l'administration d'État pour rejoindre une collectivité, ils n'ont pas compris. Il y a donc un véritable travail à réaliser au sein de l'État.

M. Jean-Marie Bockel, président - Vous donnez l'exemple de ce que je disais précédemment : je pourrais témoigner de fonctionnaires de l'État comprenant parfaitement les collectivités. Les deux cas existent.

Mme Véronique Bédague-Hamilius, coprésidente de CAP 2022. - Vous avez raison ; je parlais de l'administration centrale. J'ai toujours milité pour une fusion de l'INET et l'ENA, refusée tantôt par l'un, tantôt par l'autre. Tous ces fonctionnaires, chacun avec leurs caractéristiques, possèdent des compétences intéressantes. Quelques fonctionnaires territoriaux seraient bénéfiques à l'État, et inversement. Le fonctionnaire territorial, notamment, n'oublie jamais de veiller au déploiement final sur le territoire.

Vous évoquiez ces réunions que l'on quitte sans avoir pu prendre de décision : les entreprises le vivent quotidiennement. Mon entreprise construit des logements sur le territoire : certaines autorisations d'urbanisme, nécessitant l'aval de l'État, sont très difficiles à obtenir. Les préfets finissent par régler les problèmes seuls, et sont usés par cette disproportion.

Par ailleurs, je ne suis pas certaine qu'il n'y ait plus de doublons dans les collectivités, contrairement à ce que vous disiez. Dans une commune que je connais, la collectivité, l'établissement public territorial (EPT) et l'État continuent à se recouvrir, notamment en matière culturelle et sportive.

Au sein du groupe CAP 22, nous militions pour des différenciations de politiques sur le territoire. Il s'avère que, quand j'étais directrice de cabinet du Premier ministre, je convoquais les préfets de région à intervalles réguliers. J'étais frappée que l'État s'entête à dérouler sans cesse des politiques nationales alors que les problèmes diffèrent selon les régions. Il faut accepter la diversité de la France et, tout en respectant l'égalité, se déployer différemment. Je me souviens d'un préfet des Hauts-de-France qui était hors de lui sur les questions de l'illettrisme et des cités minières, précisément parce que ces problématiques particulières n'avaient pas été prises en compte. Nous avons également des difficultés à expérimenter car nous sommes freinés par des textes.

Vous avez évoqué les régions rurales : nous en avions parlé dans le rapport, disant qu'il était capital d'assurer le dernier kilomètre du service public. J'ai grandi dans un village de 5 000 habitants dans le Loir-et-Cher : je connais les situations anciennes et actuelles. Pour ma mère, âgée de 80 ans, c'est terrible. Tout cela ne peut s'organiser que si l'État et les régions coopèrent. Or, j'ai vécu à Matignon ce silo de l'État. Je me souviens d'un maire victime d'une situation que ni l'État ni le préfet n'avaient perçue : plusieurs services de l'État se retiraient sans s'être concertés. Un peu de coordination permettrait une meilleure gestion, mais les résistances sont tenaces et le préfet ne dispose pas de suffisamment de moyens pour répondre au maire qui l'interpelle.

Mme Michèle Kirry, préfète de la région Bretagne. - Comme vous l'avez dit, Monsieur le sénateur, après le temps du diagnostic vient celui du remède, et effectivement la question sous-jacente est : qui porte l'intérêt général ? Je pense que l'État ne peut concevoir une politique publique qu'il ne met pas en oeuvre lui-même parce qu'il se considère seul garant des principes publics. Je me demande si la ligne rouge n'est pas à mettre entre la conception du service public, du côté de l'État, et la production de ce service, du côté des collectivités, dans une démarche de contractualisation qui constituerait un changement de paradigme.

À mon avis, le remède est assez simple. La circulaire du Premier ministre du 24 juillet 2018 a mis fin aux compétences décentralisées et aux chevauchements de compétences où l'État n'a plus sa place. Il est, par exemple, indispensable d'abandonner le tourisme, ainsi que le sport de proximité, pour se concentrer sur le sport de haut niveau.

La deuxième page de l'ordonnance s'illustre par l'idée suivante : l'État devrait cesser les contrats d'adhésion avec les collectivités, signés sans concertation. Le changement de paradigme réside dans le contrat synallagmatique, dans lequel les deux parties s'obligent mutuellement. Or, l'État a pris l'habitude de ces contrats d'adhésion, si bien que le contrat synallagmatique est très insuffisamment utilisé. Pourtant, la loi MAPTAM a créé des conférences territoriales de l'action publique et la délégation de compétences. Je pense donc que tout le monde serait gagnant à recourir au contrat girondin, expression que je préfère à celle de pacte girondin.

Le contrat girondin est un contrat synallagmatique qui utilise différentes techniques. Il identifie les besoins au niveau de chaque territoire et permet une différenciation. L'écriture d'un contrat de territoire est associée à l'expérimentation et à la territorialisation des moyens alloués. La conférence territoriale de l'action publique devient le lieu de suivi de l'exécution du contrat, qui se décline avec des outils déjà présents dans l'arsenal constitutionnel et législatif français. Nous pourrions également recourir à la délégation de compétences, qui pourrait émaner d'une demande des collectivités ou être proposée par l'État. En Bretagne, il existe une délégation totale de compétences sur le livre et le cinéma, qui sont un enjeu majeur. La région est évidemment beaucoup plus compétente que l'État en la matière.

Le remède à notre constat réside donc bien dans une pleine utilisation des outils existants, mais avec le changement de paradigme que constitue le passage du contrat d'adhésion au contrat synallagmatique. Ainsi, au lieu d'employer ses fonctionnaires sur des missions sans valeur ajoutée, l'État doit engager un plan en matière de ressources humaines et les transformer en accompagnateurs de projets, puis renforcer ses compétences de contrôle et d'évaluation aujourd'hui en déshérence. La loi MAPTAM a créé des outils permettant de faire vivre cette contractualisation avec les collectivités et de rénover cette gouvernance territoriale qui doit parier sur la maturité des collectivités.

M. Jean-Marie Bockel, président - Imaginons un instant que l'État mette en oeuvre cette révolution. Cela obligerait les territoires à s'organiser collectivement, de façon à être des interlocuteurs de haut niveau. Je me souviens de l'époque d'Adrien Zeller en Alsace, qui avait instauré, notamment sur les contrats de plan État-région, une organisation des territoires qui leur permettait de trouver un terrain d'entente avant de rencontrer l'État. Nous en sommes donc capables.

M. Jacques Mézard. - En tant que civiliste, j'apprécie votre appel au contrat synallagmatique. Cependant, il concerne les collectivités avec l'État, alors que les Conférences territoriales de l'action publique (CTAP) sont beaucoup plus larges.

M. Jean-Marie Bockel, président - Merci aux nombreux collègues présents ce matin. Cela prouve l'intérêt que nous portons à votre démarche.