Jeudi 8 novembre 2018

- Présidence de M. Roger Karoutchi, président -

La réunion est ouverte à 08 h 30.

Examen du rapport d'information sur les nouvelles mobilités

M. Roger Karoutchi, président. - La délégation examine ce matin le rapport qu'elle a décidé de consacrer aux nouvelles mobilités. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, nous avions organisé le 10 octobre dernier, avec l'appui technique de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), un débat de prospective consacré aux nouveaux engins de déplacement personnel, qui a rencontré un vif succès. Notre collègue Olivier Jacquin propose d'organiser un second débat le 12 décembre prochain sur la question de la tarification à l'usage des différents modes de transport.

Je vous signale que j'ai demandé à ce que le rapport sur les nouvelles mobilités fasse l'objet d'un débat en séance publique avant la discussion du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM), qui devrait être examiné au Parlement en 2019.

Mme Michèle Vullien, rapporteure. - Le 21 juin dernier, nous avions fait devant vous un point d'étape sur nos travaux consacrés aux « nouvelles mobilités ». Lors de ce premier échange nous dressions quelques constats. Le premier d'entre eux est évident : nous sommes dans une période de transformation profonde de l'approche de la question des mobilités sous l'effet de plusieurs facteurs. Le progrès technique rapide permis par la démultiplication des innovations numériques joue beaucoup dans cette transformation : les applications mobiles nous guident dans nos déplacements, nous permettent de les préparer, de payer nos tickets ou réserver notre taxi ou notre VTC. Ces outils sont même un fil à la patte : sans eux, nous sommes parfois perdus.

Le numérique embarqué dans les voitures permet aussi d'avancer sur le chemin du véhicule autonome : des expérimentations sont menées, par Uber, Tesla, Google, mais aussi par les constructeurs automobiles français et le récent rapport de Mme Anne-Marie Idrac, que certains d'entre nous ont rencontrée hier lors d'un déjeuner-débat, insiste pour que la France se dote d'orientations stratégiques pour le développement de ces technologies.

Les innovations s'adressent aux usagers des transports, aux citoyens, qui bénéficient d'une « mobilité augmentée » en étant mieux informés et en bénéficiant d'un accès permanent et aisé aux services de mobilité. Elles s'adressent aussi aux collectivités et entreprises qui organisent et gèrent les services de mobilité : c'est vrai pour le fret avec toute la logistique qui peut être suivie en temps réel, c'est aussi vrai pour les gestionnaires d'infrastructures de transport, qui peuvent mieux connaître et anticiper les flux de véhicules ou de passagers et ajuster leurs actions en permanence (fermeture et ouverture de voies etc...).

Le progrès technique, c'est aussi le développement de nouveaux modes de propulsion, et le remplacement progressif des motorisations thermiques par une propulsion électrique, qui va bouleverser toute l'économie des transports, des fournisseurs d'énergie aux fabricants de véhicules. J'indique toutefois que je considère, à titre personnel, que le tout électrique n'est pas la panacée, et que je préférerais de loin qu'on s'oriente vers une multitude de solutions de motorisation.

Mais il n'y a pas que le progrès technique qui transforme les mobilités : les phénomènes que nous observons résultent aussi d'une transformation des attentes sociétales et des habitudes de consommation : l'économie du partage a ainsi fait son irruption dans les mobilités avec le covoiturage, les vélos en libre-service et désormais le « free-floating » dans les grandes villes pour les vélos, les trottinettes, les scooters, etc... Il faudra réguler tous ces nouveaux modes, car la ville doit rester agréable à vivre.

Le constat des transformations profondes des mobilités doit cependant être nuancé : tout changement de modèle brutal paraît difficilement acceptable et la voiture individuelle reste le principal mode de déplacement en France et elle continuera à exister. Le problème est d'ailleurs moins la voiture que l'autosolisme !

La question des mobilités est au carrefour de multiples enjeux. Nous sommes au demeurant tous mobiles, et ceux qui ne le sont pas ont besoin que des services soient amenés auprès d'eux.

L'enjeu environnemental est majeur. La France affiche des ambitions élevées avec la stratégie nationale bas carbone et le Gouvernement a annoncé la fin des véhicules thermiques pour 2040, ce qui impose de réinventer les mobilités, mais l'objectif me paraît à titre personnel assez critiquable : allons-nous jeter des véhicules à moteur thermique qui fonctionnent encore, et sur lesquels on a fait des progrès avec notamment des filtres à particules ?

L'enjeu industriel est lui aussi fondamental. Les mobilités numériques ou encore le véhicule électrique déplacent la chaîne de valeur, des constructeurs traditionnels vers les fournisseurs de services numériques, gestionnaires de données, ou encore fabricants de batteries, qui sont principalement asiatiques ou américains. Va-t-on laisser le champ libre aux GAFAM américains ou BATX chinois, auxquels on ne pense pas toujours d'emblée et qui sont pourtant très puissants ? Va-t-on conserver une industrie des transports performante et innovante en France et en Europe ?

L'enjeu pour les finances publiques n'est pas mince : pas moins de 45 milliards d'euros de dépenses publiques et 50 milliards d'euros de recettes, en comptant les 30 milliards de TICPE, qui fait l'objet de multiples affectations, concernent les mobilités au sens large.

L'enjeu social ne doit pas être oublié : l'absence de solution de mobilité est un vrai facteur d'exclusion et les désordres des mobilités - embouteillages, temps de parcours longs en transports collectifs - frappent d'abord les plus vulnérables. Or, les nouvelles mobilités risquent de laisser sur le côté une part importante de la population, notamment les 6 à 11 millions de Français touchés par l'illectronisme.

Enfin, l'enjeu territorial consiste à offrir des solutions de mobilité partout, pas seulement dans les centres urbains déjà hyperconnectés et hyper-reliés entre eux et à l'international. J'aurais d'ailleurs souhaité donner à notre rapport le sous-titre suivant : « le maillage pour tous ». Les zones périurbaines ou encore les zones rurales doivent bénéficier des nouveaux services pour ne pas dépendre quasi-exclusivement de la voiture individuelle. Les nouvelles techniques numériques offrent aussi des solutions pour mieux organiser des services de mobilité voire les créer dans les zones peu denses. Il convient aussi que ces territoires soient bien connectés aux zones denses pour ne pas enfermer les habitants dans une seule logique de déplacements de proximité.

M. Alain Fouché, rapporteur. - Une fois les constats effectués, la question principale qui se pose à nous est la suivante : comment vont se mettre en place les mobilités de demain dans les territoires, quels scénarios nous paraissent les plus probables, et éventuellement quels scénarios pouvons-nous redouter ?

Pour répondre à ces questions, il faut d'abord identifier les critères ou déterminants des comportements de déplacement des individus et des marchandises. Trois d'entre eux nous paraissent fondamentaux.

Le premier critère est celui des dynamiques territoriales des activités économiques et de l'habitat. Va-t-on vers une polarisation accrue des territoires et une spécialisation toujours plus forte des espaces ? Va-t-on à l'inverse vers une meilleure distribution des activités sur les territoires ? La polarisation contribue aux mouvements pendulaires domicile-travail et aux inégalités territoriales.

Nous avons entendu des géographes, qui sont divisés sur la question de la métropolisation : la métropole est autant attirante, par les emplois et les services que l'on y trouve, que repoussante par les effets de congestion ou encore le coût plus élevé de la vie. On observe depuis peu une sorte de renouveau rural, et l'accroissement des possibilités de mobilité pourrait bien encourager les ménages à s'installer dans les zones moins denses et y développer des activités à forte valeur ajoutée.

Le deuxième critère est celui du coût des nouvelles mobilités. Pour le moment, on a le sentiment que tous ces nouveaux outils mis à notre disposition sont gratuits ou quasi-gratuits : il y a encore cinq ans, on payait pour disposer d'un GPS. Désormais, les applications gratuites de guidage routier sont en train de les remplacer.

Mais la gratuité est une illusion : les innovations ont un coût et leur mise en oeuvre doit répondre à un modèle économique. Quel sera le coût d'un véhicule autonome électrique dans 10 à 15 ans ? Sera-t-il un véhicule individuel ou un véhicule partagé entre de multiples utilisateurs, avec au final des économies ? Cela peut être compliqué à mettre en place mais n'est pas impossible. Le budget transport des ménages représente environ 15 % de leurs dépenses de consommation, donc la question est sensible.

Dans les transports collectifs, la question du coût est également centrale et souvent mal appréhendée : les usagers ne payent que 30 % du coût réel (sans même compter les investissements), le reste étant pris en charge par les collectivités. Les nouvelles technologies sont-elles susceptibles de changer la donne, par exemple avec des bus autonomes, qui seraient moins coûteux à faire tourner en zone rurale, ou avec du transport à la demande ? Les véhicules autonomes paraissent plus pertinents pour les grands axes. Or, ils ont aussi un grand potentiel dans la ruralité, si l'on est capable de correctement cartographier l'ensemble du réseau routier.

Le troisième critère est celui du degré d'intervention de la puissance publique dans les politiques de mobilité. Qu'il s'agisse de la réglementation de la circulation, de l'utilisation de la voirie, des investissements publics dans les infrastructures, de l'organisation des transports collectifs urbains ou encore de la planification de l'utilisation de l'espace : dès qu'on parle de mobilités et de transports, la puissance publique est partie prenante.

Mais le paysage institutionnel est très éclaté : l'État intervient, mais également les régions, les intercommunalités ou encore les départements avec les routes départementales par exemple. Les politiques en faveur des mobilités coûtent cher et les moyens sont limités : peut-on continuer à investir dans de nouvelles voies ferrées ou de nouvelles routes ? Qui devra payer les routes connectées de demain ? Qui devra aménager les voiries pour permettre aux véhicules autonomes de circuler ? Les autorités organisatrices des mobilités (AOM) doivent-elles jouer un rôle de chef d'orchestre et d'intégrateur de toutes les offres existantes dans leur périmètre ?

Ayons à l'esprit que seule l'intervention publique permet de créer de la péréquation et de la solidarité entre territoires, afin de ne pas en laisser certains mal desservis voire non desservis par des systèmes de transport collectifs ou mal équipés en infrastructures. La manière dont ces trois critères vont se combiner aura une influence décisive sur le visage des mobilités du futur.

M. Didier Rambaud, rapporteur - Notre préoccupation est celle de l'équilibre des territoires. On voit bien que, naturellement, les innovations vont plutôt dans les zones denses pour une raison simple : Uber ou les vélos en libre-service ne peuvent fonctionner que s'il y a une masse critique d'utilisateurs. De même, la tentation est grande de servir en priorité les villes en matière de transports collectifs, qui y sont plus massivement utilisés.

Mais, en même temps, l'innovation dans les mobilités peut être très utile aux zones rurales et le transport à la demande et demain les navettes autonomes peuvent être une alternative à la voiture là où aujourd'hui c'est la seule solution. Il va d'ailleurs falloir inventer des alternatives pour préparer la fin de la voiture à moteur thermique à l'horizon 2040 et la remise en cause du modèle du tout-voiture.

À ce stade, quels que soient les chemins pris par les politiques de mobilité, nous avons identifié quelques tendances lourdes qui s'imposeront à tous, citoyens comme décideurs publics.

D'abord, l'impératif environnemental nous engage vers une décarbonation massive des déplacements : l'électrique, peut-être l'hydrogène - mais à condition qu'on n'utilise pas des hydrocarbures pour produire de l'hydrogène - vont s'imposer dans les 15 à 20 ans qui viennent. C'est assez inéluctable. Les constructeurs automobiles ne s'y sont pas trompés : alors que l'électrique était considéré comme une niche il y a quelques années, ils prévoient désormais d'adapter presque l'ensemble de leurs gammes.

Ensuite, le foisonnement d'innovations, la rapidité avec laquelle les technologies et les pratiques évoluent donnent un peu le tournis et rendent les planifications difficiles voire hasardeuses, ce qui est très perturbant pour les politiques de transport, qui sont celles du temps long, notamment à cause de la lourdeur des investissements en voirie et en matériel.

Il convient donc de laisser la place à l'expérimentation tout en donnant un cadre aux nouvelles pratiques : on le voit avec la question du partage des routes ou des trottoirs avec le développement des engins de déplacement personnel comme les trottinettes électriques. L'expérimentation va continuer à se développer car c'est le modèle des start-up : tester vite et s'adapter ensuite si nécessaire.

Enfin, le dépassement du cadre modal paraît incontournable, surtout dans les villes. L'abondance de l'information en temps réel permet de savoir quels sont les modes optimaux de transport à tout moment.

La variété des modes disponibles offre de la flexibilité dans les déplacements du quotidien, qui suivent de moins en moins un schéma pendulaire strict. Les déplacements pour le travail se combinent parfois avec des déplacements pour le loisir, ou pour des courses, les rythmes de vie sont de moins en moins répétitifs et de moins en moins synchronisés. Enfin, le modèle centre-périphérie pour les déplacements est de moins en moins pertinent : il existe en réalité une multitude de déplacements simultanés dans toutes les directions, avec une déconnection forte entre lieux de vie, lieux de travail, lieux de loisirs et lieux des liens familiaux et amicaux.

Ainsi, nos concitoyens attendent un panel de solutions de mobilité : bus, train, voiture, mais aussi vélo, éventuellement partagé. Les gestionnaires de services de transport doivent ajuster l'offre à la réalité de la demande : ne pas avoir de bus trop vides en bout de ligne, renforcer l'offre aux heures de pointe, prévoir des aires de covoiturage pour désengorger les circulations, etc...

Le dépassement du cadre modal passe par le déploiement de solutions de « mobilité comme service » - en anglais MAAS : mobility as a service - comme cela est expérimenté en Finlande, avec une intégration de plus en plus forte de toutes les possibilités - covoiturage, vélo, métro, etc... - autour d'une application de mobilité et une tarification et des systèmes billettiques qui deviennent transparents pour l'usager.

Les futures mobilités vont donc se déployer dans un contexte dessiné par ces trois tendances lourdes que nous avons identifiées. Mais elles peuvent se déployer de manière très différentes dans les territoires : on peut aller vers des mobilités pour tous, avec diversification de l'offre un peu partout, mais on peut aussi aller vers une relégation des territoires ruraux, peu couverts en transports collectifs, qui auraient le plus grand mal à passer le cap de la décarbonation à l'horizon 2040, du véhicule autonome et du partage des usages.

Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Afin d'éviter le scénario des nouvelles mobilités uniquement pour quelques-uns, qui renforcerait les inégalités sociales et territoriales, et pour faire que l'innovation soit réellement au service d'une amélioration des mobilités pour tous, nous avons travaillé à quelques propositions dans trois directions, que nous allons vous présenter successivement : d'abord, conforter le pilotage politique des mobilités, ensuite, mettre l'intermodalité au coeur des futures mobilités, enfin, accompagner l'innovation.

L'indispensable pilotage politique des mobilités du futur doit demeurer à deux niveaux : celui des collectivités territoriales et celui de l'État. Au niveau des collectivités territoriales, nous identifions quatre leviers.

Le premier vise à créer des autorités organisatrices des mobilités (AOM) sur l'ensemble du territoire, de manière à ne laisser aucune « zone blanche de mobilité », à l'échelle des agglomérations, élargies si nécessaire à tout le département. C'est semble-t-il la voie choisie par la LOM.

Le deuxième consiste à renforcer les moyens d'ingénierie publique des mobilités, s'il le faut à travers des structures mutualisées à l'échelle régionale : des politiques locales de mobilité ne peuvent être conçues et mises en oeuvre que si les collectivités territoriales disposent de techniciens compétents, qui manquent souvent dans les petites intercommunalités.

Ensuite, nous estimons nécessaire d'assouplir les cadres législatifs et réglementaires de régulation des mobilités locales pour permettre aux collectivités d'organiser plus librement ces mobilités sur leur territoire à travers de multiples actions concernant les vitesses de circulation, le stationnement, la mise en place d'équipements et de services partagés, les restrictions de circulation sélectives selon les modes utilisés.

Enfin, nous pensons qu'il faut faciliter le débat public local sur les mobilités en associant davantage les citoyens, qui seront finalement les utilisateurs finaux des services de mobilité et dont les attentes doivent être recueillies en amont des projets.

Au niveau national, nous insistons pour que l'État soit stratège des mobilités interurbaines et garant de l'équilibre du territoire, avec deux préconisations.

La première suggère de préserver une capacité nationale d'investissement dans les infrastructures de transport, assise sur des ressources pérennes et au moins égale à celle dont nous disposons aujourd'hui à travers l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Deuxièmement, nous proposons de mettre en place des mécanismes de soutien aux actions locales en faveur des nouvelles mobilités, pour les territoires défavorisés, mal desservis et disposant de peu de ressources propres pour corriger des situations d'enclavement.

D'une manière générale, nous appelons à ce que le politique continue d'intervenir pour organiser les mobilités et réguler les initiatives en utilisant toute la palette des outils à disposition : fiscalité, subventions, investissements directs, contractualisation avec cahier des charges, réglementation.

M. Olivier Jacquin, rapporteur - Le deuxième volet de nos propositions concerne l'intermodalité, qui est une voie d'avenir. Il faut pouvoir passer d'un mode de transport à un autre sur un trajet donné, en prenant le mode le plus approprié pour chaque partie du parcours, et ne pas systématiquement recourir à la voiture pour réaliser l'ensemble du trajet. J'ai rencontré dans le train une personne qui m'a expliqué son évolution : il faisait le parcours de 13 kilomètres entre son domicile et la gare en trottinette électrique. En hiver, il prend sa voiture jusqu'à un stationnement gratuit à 2 kilomètres de la gare puis poursuit avec sa trottinette. Il a gagné du temps.

Une voiture en réalité ne sert qu'une heure par jour, transporte 1,1 personne et consomme 15 m² d'espace. L'autosolisme n'est pas pertinent : être tout seul dans sa voiture peut paraître confortable, mais être tout seul dans sa voiture et dans un bouchon n'est pas efficace pour se déplacer.

Nous préconisons de faire beaucoup de pédagogie plutôt que de réguler les mobilités par des mesures punitives. La fermeture des voies sur berge à Paris est mal vécue car comprise comme une guerre contre la voiture. Il convient sans aucun doute de renforcer les alternatives, au-delà d'ailleurs des seuls coeurs d'agglomération. Un des moyens consiste à créer des parking-relais.

Inciter à la réduction de l'autosolisme, c'est aussi facturer le vrai coût de l'utilisation de la voirie : notre collègue Fabienne Keller vient de rendre un rapport sur la question des péages urbains, qui montre leurs effets positifs. Mais facturer le vrai coût de la voirie peut aussi passer par la contribution des entreprises qui fournissent des équipements de mobilité. Nous avons d'ailleurs auditionné des acteurs des mobilités qui ont un modèle économique très pertinent, dépendant de l'utilisation de la voirie, comme Uber, ou encore Cityscoot. J'ai rencontré hier soir un responsable de la société Uber et constaté que cette question du coût de l'utilisation de la voirie paraît difficile à régler, et que les nouvelles mobilités ont du mal à se déployer dans les zones non denses.

Nous préconisons aussi de répondre aux besoins de mobilités flexibles en construisant des services d'information voyageur de très haut niveau, fournissant une information en temps réel. Le bus est un exemple intéressant : il était un mode réservé aux initiés, car on n'avait pas vraiment connaissance des horaires et trajets. Or, maintenant, des tableaux d'affichage et des applications mobiles nous guident avec beaucoup de finesse. Mais pour construire de tels services, il faut disposer d'une batterie de données. Nous avons auditionné les auteurs du rapport du Conseil économique, social et environnemental de 2015 sur la révolution numérique et les mobilités, qui nous indiquaient que la maîtrise des données de mobilité par la sphère privée ouvrait le risque de biais dans l'information donnée aux usagers : qui nous dit que Google ou Waze ne vont pas nouer un partenariat commercial avec MacDonald pour faire passer le plus de monde possible devant les restaurants de cette enseigne ?

Nous proposons aussi d'encourager les pratiques de mutualisation à petite échelle, dans les espaces peu denses avec par exemple le covoiturage de proximité ou l'autopartage local. C'est cependant complexe : Île-de-France Mobilités a expérimenté pendant un an une prime de covoiturage de 2 €, qui n'a permis que 2 000 trajets par jour, ce qui est très peu à l'échelle de l'Île-de-France.

Enfin, nous souhaitons que l'accessibilité soit au coeur de l'ensemble des solutions de mobilité, pour ne pas en exclure les populations fragiles, peu à l'aise avec les technologies numériques ou en situation de handicap. Lors de l'audition d'Éric Chareyron, on nous a indiqué que les questions d'illectronisme ou de difficulté à lire la signalétique constituaient des obstacles importants aux mobilités qu'il convient de lever.

Notre dernier bloc de proposition concerne l'indispensable accompagnement de l'innovation dans le domaine des mobilités, qui est foisonnante dans les espaces denses et beaucoup moins dans les espaces peu denses. Ne soyons pas défaitistes : en France, nous disposons de champions des mobilités : RATP, SNCF, Transdev, Keolis. Ces entreprises travaillent aussi avec succès à l'étranger. On dispose également d'un tissu de start-up extrêmement inventives.

Le premier axe d'accompagnement de l'innovation consiste à favoriser un modèle d'innovation ouverte, pour éviter de se retrouver captifs d'opérateurs majeurs venus du monde de l'Internet. Il faut donc imposer l'ouverture des données de mobilités pour tous les opérateurs.

Il convient aussi de favoriser le maintien en France des start-up de la mobilité numérique et créer des dispositifs d'encouragement à l'expérimentation de technologies nouvelles « in vivo » pour tester si les modèles marchent ou pas. Nous préconisons aussi de capter les fonds européens de soutien à l'innovation au profit des projets portant sur les nouvelles mobilités.

Enfin, nous suggérons d'adapter l'action publique aux pratiques innovantes de mobilité, par exemple en permettant aux particuliers de participer aux services publics de transport de personnes, afin de créer une offre qui n'existe pas : le covoiturage et l'autopartage peuvent aussi intéresser les communes rurales. Il faudra pour cela dépasser les cadres juridiques et fiscaux actuels. C'est l'enjeu de la future LOM. Il faut toutefois aussi éviter d'importer dans les mobilités le modèle Airbnb où les particuliers deviennent des concurrents des opérateurs classiques, sans respecter les contraintes imposées aux professionnels. Une petite anecdote : Uber a du mal à trouver des chauffeurs. J'ai suggéré d'augmenter les rémunérations ! On a le même souci avec Deliveroo.

Nous pourrions aussi assouplir le cadre applicable aux délégations de service public dans le domaine des transports, afin d'encourager les innovations et d'accompagner les ruptures technologiques.

Pour conclure, nous voudrions souligner que les nouvelles mobilités ne rendent pas obsolètes les modes actuels. Nous aurons encore besoin d'infrastructures de transport, de routes, de voies ferrées et de signalisation, notamment pour les déplacements de masse. Le mode guidé a encore de l'avenir, comme nous l'ont confirmé les spécialistes que nous avons auditionnés. Le progrès technique, en particulier celui offert par le numérique, fournit l'opportunité d'enrichir en contenu les déplacements des hommes et des objets, de réduire les temps subis, de mieux maîtriser les aléas des mobilités. Prendre le vélo, c'est aussi faire du sport, et prendre le TER c'est aussi pouvoir travailler ou lire en se déplaçant. On perd peut-être du temps par rapport à un trajet en voiture mais on gagne en qualité de trajet.

Il faut une attention particulière aux espaces fragiles, qui ne sont pas toujours les espaces ruraux, mais parfois aussi des zones périurbaines. Il y a du rural très bien placé : quand vous êtes à 7 kilomètres d'une gare TER accessible depuis une véloroute, vous n'êtes pas si mal positionnés pour l'avenir, notamment pour faire face à la hausse du coût des carburants ! Pour les espaces peu denses, le véhicule partagé et les nouvelles organisations des systèmes de transport, comme le transport à la demande, sont certainement des solutions intéressantes. Dans mon département, il y a même une expérience de transport solidaire par des volontaires au profit de personnes âgées, personnes malades ou personnes sans emploi, avec un défraiement. Dans l'Orne, il y a une expérience de location de véhicules électriques appartenant à des collectivités publiques lorsque ces véhicules ne sont pas utilisés : les soirs ou les week-ends.

Nous ne sommes donc pas pessimistes mais appelons à une grande vigilance pour ne laisser aucun territoire sur le bord du chemin. Il ne faudrait pas que les nouvelles mobilités résultent d'opérateurs privés dans les villes, en laissant au public le soin de gérer les zones les moins rentables.

M. Yannick Vaugrenard. - On ne peut pas mettre en place de mesures restrictives des mobilités, dont une des formes est l'augmentation du coût des carburants, sans offrir de solutions alternatives. Faute de quoi, la pédagogie est nulle et le résultat politique catastrophique. La transformation des mobilités pose la question de notre approvisionnement énergétique, car elles consomment davantage d'électricité. Ceux qui sont contre le nucléaire vont ainsi être placés devant leurs contradictions. Si nous voulons une véritable indépendance vis-à-vis du gaz russe ou des hydrocarbures, on ne peut se passer du nucléaire. Les énergies vertes comme le solaire et l'éolien posent le problème de l'absence de stockage de l'énergie produite.

La question de la fracture sociale et territoriale est au coeur de la réflexion sur les nouvelles mobilités et je suis heureux qu'elle ait été prise en compte dans le rapport. Enfin, il est bon que les start-up innovent, mais il faut aussi que les nouvelles mobilités soient pensées et planifiées, sinon le jeu de l'offre et de la demande risque de créer des déséquilibres. Le rôle de la puissance publique restera donc déterminant.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je partage l'essentiel des constatations et orientations des rapporteurs mais je m'interroge sur un point : n'y a-t-il pas contradiction entre l'ouverture des possibles et l'accès de plus en plus inégalitaire aux moyens disponibles ? Ces inégalités proviennent de celles des revenus : on peut faire payer l'usage de la route mais chacun n'a pas les mêmes capacités à payer. Ces inégalités proviennent aussi des lieux de vie : le rural et l'urbain ne sont pas logés à la même enseigne. La création des grandes intercommunalités devait permettre de créer davantage de transports au-delà des périmètres urbains stricts. Or, devant prendre en charge de plus en plus de compétences, ces intercommunalités ne peuvent pas le faire car ça coûte très cher. Ainsi, le transport à la demande existe depuis longtemps mais ne se développe pas à la vitesse qui serait souhaitable.

On ne sortira pas de la contradiction entre modernisation et moyens disponibles si la puissance publique n'intervient pas. Or, cette intervention n'est pas à la mode. Le rail s'est développé grâce à des efforts considérables d'investissement avec le plan Freycinet. Aujourd'hui, on laisse malheureusement au marché le soin de développer les nouvelles mobilités.

Mme Fabienne Keller. - En tant que sénateurs, nous devons dire que notre crainte principale est celle de territoires ruraux non irrigués par des services de transport. La philosophie a changé au Sénat : il y a vingt ans, on parlait de routes départementales et de voitures ; désormais, l'approche se modifie et on parle de multimodalité.

Je suis inquiète du choix de propulsion tout électrique. Il faut rester ouverts car les technologies bougent et présentent des avantages et des inconvénients. Il y a quelques années, on nous disait que le diesel était la solution, avant que l'on mesure les nuisances.

La question des données est fondamentale et sera au coeur de la LOM.

Le rapport encourage les débats publics sur les mobilités. La SNCF a toujours hésité à s'engager dans de tels débats avec ses usagers, car le dialogue est souvent difficile.

Je partage l'objectif de chaînage des transports et d'intermodalité, mais à coût constant, pour optimiser les déplacements. La voiture individuelle est d'ailleurs un mode de rabattement pertinent autour des villes, dès lors que le reste du trajet est effectué grâce à des transports collectifs mieux structurés.

Il convient également d'avoir une attention aux gares, qui doivent être aussi confortables que le train, car les gares sont des nouveaux centres villes ou des nouvelles places du village en Île-de-France.

Au final, les solutions de mobilité sont probablement multiples, car les espaces sont très divers : ruraux, ruraux polarisés, périurbains, urbains voire urbains hyperdenses comme Paris. Il conviendra de définir des typologies avec des propositions de solutions adaptées à chaque espace, en ayant à l'esprit que le transport structure le reste.

M. René-Paul Savary. - On ne parle pas assez de changer de paradigme pour changer de mentalité. Les puits de carbone sont à la campagne. Or, en même temps, ce sont les ruraux qu'on pénalise, par la fiscalité sur le carburant qui est en fait une taxe carbone, par la limitation de vitesse à 80 km/h et peut-être demain par des péages pour rentrer dans les villes alors que ce sont ces espaces ruraux qui devraient toucher la taxe carbone.

Changer les mentalités est difficile : j'ai ouvert un transport à la demande et ai été contraint de le fermer six ans plus tard car les mêmes qui me demandaient la création du service ne l'utilisaient pas !

Je partage votre idée d'une autorité organisatrice des mobilités partout. Car chacun aujourd'hui a tendance à s'organiser dans son coin. Or, il faut faire de l'organisation multimodale. À Reims, la station de tramway est à 500 mètres de la gare TGV car on a manqué de coordination entre acteurs. Enfin, je pense qu'il faut que l'innovation s'adapte aux infrastructures, car si c'est l'inverse, on sera toujours en retard.

M. Roger Karoutchi, président. - Je vous remercie pour vos interventions. Et signale que nous avons prévu d'organiser un débat de prospective le 12 décembre sur la tarification à l'usage des mobilités.

M. Olivier Jacquin, rapporteur - C'est en effet une question très sensible : comment financera-t-on les nouvelles mobilités ? Les péages urbains sont une solution possible. Plus largement, faut-il faire payer le contribuable ou l'usager ? Dans ma région, j'ai travaillé sur les questions de déchets et encouragé l'utilisation du signal prix et des incitations. Cela existe pour les autoroutes : en fonction des horaires, il y a des tarifs variables. Demain, avec le billet numérique, on pourra affiner les modes de tarification. Il ne faudra cependant pas oublier de prendre en compte les questions de précarité et de solidarité.

Mme Michèle Vullien, rapporteur. - Il convient aussi de prendre en compte la dimension économique, en particulier pour les entreprises qui contribuent fortement avec le versement transports.

M. Olivier Jacquin, rapporteur - Attention car demain certaines ressources publiques vont disparaître, comme la TICPE après la décarbonation des moteurs.

Mme Fabienne Keller. - Une précision sur les péages urbains : j'ai rendu un rapport dans le cadre d'un contrôle budgétaire sur les péages de Londres et Stockholm. Il ne s'agit pas d'un péage autoroutier mais d'un péage qui fait payer dès lors que l'on congestionne, que l'on contribue à la pollution de l'air ou à l'accidentologie. À travers la TICPE, les ruraux contribuent plus que leur participation à la congestion automobile, à la pollution de l'air ou même à l'accidentologie. Pour que les péages urbains soient acceptés, il faut de la pédagogie et la recherche de consensus. Le gain du dispositif doit être perçu par tout le monde et la redevance encaissée doit être utilisée intégralement pour améliorer les transports collectifs. La voiture coûte cher à tous en milieu hyperdense. Voici le message. Mais le péage urbain serait difficile à accepter en France. Les péages posent problème aux ruraux et aux plus défavorisés mais il existe des solutions. Je note qu'à Stockholm le péage marche bien, mais pas à Göteborg, car la ville n'est pas assez congestionnée.

M. Roger Karoutchi, président. - Je vous remercie pour vos interventions.

La délégation autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information sous le titre « Mettre les nouvelles mobilités au service de tous les territoires ».

La réunion est levée à 9 h 45