Mercredi 10 octobre 2018

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Rapport spécial du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) relatif aux conséquences d'un réchauffement climatique de 1,5°C - Audition de Mme Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du GIEC

M. Hervé Maurey, président. - Nous entendons ce matin Mme Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Je rappelle que le GIEC a été créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) et qu'il fait figure d'autorité scientifique en charge d'évaluer les évolutions climatiques. 195 États, soit la quasi-totalité des pays du monde, en sont membres. Sa structure est unique dans la mesure où elle regroupe la communauté scientifique et la communauté politique. Les États sont amenés à approuver les conclusions des scientifiques. Le GIEC a reçu le prix Nobel de la paix en 2007 et a largement contribué à la prise de conscience de l'ampleur des conséquences des changements climatiques. Il a présenté, il y a quelques jours, un rapport spécial sur les conséquences du réchauffement climatique de 1,5 °C d'ici à la fin du siècle, conformément aux dispositions de l'Accord de Paris. Ce rapport était extrêmement attendu. Rédigé sur la base de 6 000 études, il a fait l'objet de 42 000 observations. Le « résumé à l'intention des décideurs » qui l'accompagne a enfin été approuvé par les États en session plénière ce lundi, en clôture de la 48ème session du GIEC, au terme de débats, parfois âpres, qui ont duré près de cent heures.

A quelques semaines de la COP24, notre commission, très impliquée sur ces sujets, ainsi que le groupe de travail, présidé par notre collègue Jérôme Bignon, qui suit les négociations internationales climatiques, attendaient tout particulièrement ce rapport au ton à la fois lucide et volontariste ; un sursaut exceptionnel permettant de limiter les effets de ce dérèglement climatique.

Avant de nous présenter le contenu du rapport proprement dit, sans doute pourriez-vous nous donner quelques indications sur la manière dont travaille le GIEC et dont sont choisis ses experts. Je rappelle que certains articles publiés dans la presse anglo-saxonne ont mentionné l'existence de pressions sur les experts.

Je vous laisse la parole, Madame, en vous remerciant de votre présence parmi nous.

Mme Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). - Je rappellerai, à titre liminaire, les principaux messages du rapport.

Le changement climatique affecte déjà les gens, les écosystèmes et les moyens de subsistance partout. Il y a des avantages indéniables à limiter le réchauffement à 1,5°C par rapport à 2°C ou plus. Chaque demi-degré compte. Limiter ce réchauffement global à 1,5°C n'est pas impossible mais exige des transitions sans précédent dans tous les pans de la société. La volonté politique est cruciale. Limiter le réchauffement climatique à 1,5°C peut aller de pair avec la réalisation des objectifs du développement durable (ODD), pour l'amélioration de la qualité de vie de tous.

Ce rapport est le résultat du travail de 91 auteurs de 40 pays à parité entre pays développés et pays en développement. Nous avons reçu plus de 500 propositions d'auteurs, émanant des gouvernements et des organisations observatrices du GIEC. Les co-présidents et vice-présidents des trois groupes de travail ont sélectionné, de manière consensuelle, les auteurs de ce rapport. Ils ont ainsi choisi d'associer 133 contributeurs supplémentaires et ont passé en revue 6.000 publications scientifiques, dont les trois-quarts ont paru après le précédent rapport du GIEC, à la suite de la COP21. Les chapitres de ce rapport ont fait l'objet d'une lecture croisée (« peer review ») : les versions successives du rapport ont reçu 42 000 commentaires émanant de plus de 1 000 relecteurs de la communauté scientifique et des gouvernements. Ses conclusions, dressées sur la base de faits scientifiques, ont été discutées, mot pour mot, par les représentants des 195 pays. Enfin, les faits scientifiques mentionnés par ce rapport présentent des implications diverses selon les différents pays.

La première section du « résumé à l'intention des décideurs » porte sur la compréhension d'une hausse de 1,5°C de réchauffement global. Où en sommes-nous ? Depuis la période préindustrielle, les activités humaines ont provoqué un réchauffement planétaire de l'ordre de 1°C - soit entre 0,8 et 1,2°C. Nous vivons déjà avec les conséquences de ce degré de réchauffement, comme l'intensification d'événements extrêmes, la montée du niveau des mers ou le recul de la banquise arctique, parmi d'autres changements. Si le monde continuait à se réchauffer au même rythme, le réchauffement planétaire atteindrait 1,5°C entre 2030 et 2052. Alors que les émissions passées, depuis la période préindustrielle jusqu'à aujourd'hui, vont continuer à provoquer des changements dans le système climatique, l'augmentation supplémentaire de 1,5°C ne leur sera pas imputable ; tout dépendra ainsi des émissions de gaz à effet de serre à venir.

La seconde section porte sur les projections de changement climatique, les impacts potentiels, et les risques associés. En 2015, les connaissances sur ce point n'étaient pas suffisantes pour éclairer les choix politiques. Sur la base des travaux récents, nous disposons désormais d'une image claire des conséquences induites soit par la stabilisation de la hausse des températures à 1,5° C, soit par leur augmentation de 2°C. Ainsi, les modèles de climat projettent des différences robustes entre la situation actuelle et un réchauffement global de 1,5°C, et entre 1,5 et 2°C. Chaque demi-degré de réchauffement compte par rapport aux impacts. Ces différences portent sur l'augmentation de la température moyenne dans les océans et au-dessus des continents, l'intensification des températures extrêmes dans les régions habitées, les pluies torrentielles dans de nombreuses régions, et les sécheresses dans d'autres, en particulier sur le pourtour méditerranéen.

D'ici à 2100, la montée du niveau des mers sera moins importante de 10 cm si le réchauffement est stabilisé à 1,5°C plutôt qu'à 2°C. Cela se traduirait par 10 millions de personnes en moins exposées aux conséquences de la montée du niveau des mers. On estime ainsi à 100 millions le nombre de personnes qui seront exposées aux conséquences du réchauffement planétaire, fussent-elles limitées à 1,5°C. La perte de biodiversité et le risque d'extinction d'espèces sur les continents seraient deux fois moindres à 1,5°C que 2°C. Cette moindre hausse induirait aussi des pertes plus limitées de rendements pour les céréales comme le blé, le maïs ou le riz, et d'autres céréales, en particulier en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud-Est, en Amérique centrale et en Amérique du Sud. La population mondiale exposée aux pénuries d'eau serait, quant à elle, deux fois moindre à 1,5°C qu'à 2°C.

Dans les océans, un réchauffement de 1,5°C entraînera une dégradation de 70 % à 90 % des récifs de coraux tropicaux, contre plus de 99% à 2°C. Les conséquences du réchauffement dans les océans seraient beaucoup plus élevées à 2°C qu'à 1,5°C, avec, par exemple, une chute plus importante du tonnage des pêcheries en particulier dans les régions tropicales. Ainsi, limiter le réchauffement à 1,5°C par rapport à 2°C pourrait réduire de plusieurs centaines de millions les personnes exposées aux risques climatiques et susceptibles de basculer dans la pauvreté.

La troisième partie de ce résumé à l'intention des décideurs porte sur les émissions et les transitions de grands systèmes compatibles avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C. La réalisation de cet objectif impliquerait de réduire les émissions de dioxyde de carbone mondiales de 45% en 2030 par rapport à leur niveau de 2010. En comparaison, limiter le réchauffement à 2°C impliquerait une baisse de ces émissions de 20% d'ici à 2030.

Les émissions mondiales de dioxyde de carbone devraient atteindre ce qu'on appelle le « net zéro » autour de 2050. Toutes les émissions résiduelles devraient alors être compensées par des actions pour extraire le CO2 de l'air et le stocker de manière durable. Par comparaison, cette neutralité carbone serait atteinte en 2075 pour limiter le réchauffement à 2°C. La limitation du réchauffement à 1,5°C serait également consécutive à la réduction des rejets de substances affectant le climat autres que le dioxyde de carbone. Agir dans cette situation présenterait des effets immédiats sur la qualité de l'air et l'amélioration de la santé publique.

Limiter le réchauffement à 1,5°C implique des changements à une échelle sans précédent historique : des réductions d'émissions dans tous les secteurs, l'utilisation d'une large palette de technologies, des changements de comportements, ainsi qu'une augmentation significative des investissements vers les options bas carbone. Il s'agit bel et bien d'une transition vers de nouveaux systèmes, non seulement énergétiques, mais aussi agro-forestiers, urbains et de transports. Des progrès rapides ont été réalisés dans certains secteurs comme les énergies renouvelables. Il faudrait que les transports et l'aménagement du territoire en bénéficient également !

Afin de limiter le réchauffement à 1,5°C, il faudrait extraire le dioxyde de carbone de l'atmosphère et le stocker de manière durable. Les méthodes pour y parvenir incluent la plantation d'arbres, la restauration d'écosystèmes, l'utilisation de la bioénergie avec captage et stockage, les modifications de la gestion des terres, et d'autres approches qui en sont aujourd'hui aux prémices de leur développement. L'extraction à grande échelle de dioxyde de carbone pourrait avoir des implications pour la sécurité alimentaire, la préservation des écosystèmes et la biodiversité.

Les contributions nationales des gouvernements, effectuées dans le cadre de l'Accord de Paris depuis trois ans, ne sont pas suffisantes pour contenir le réchauffement en dessous de 1,5°C, même avec des actions extrêmement ambitieuses et difficiles après 2030. Afin d'éviter de dépasser 1,5°C de réchauffement planétaire dans quelques décennies, les émissions de CO2 doivent diminuer substantiellement avant 2030.

La dernière partie du résumé porte sur le renforcement de la réponse planétaire au changement climatique. Les décideurs de l'ensemble des pays, réunis lors de la session du GIEC, ont décidé, à la suite de la COP 21, de le reconnaître explicitement comme élément du développement durable et au nombre des efforts d'éradication de la pauvreté. Les impacts du changement climatique et la manière dont nous y répondons sont étroitement liés au développement durable et aux objectifs de développement durable (ODD), qui recherchent un équilibre entre le bien être pour tous, la prospérité économique, et la protection de l'environnement.

Pour limiter le réchauffement à 1,5°C, il existe un ensemble de mesures d'adaptation et d'options pour réduire les émissions de gaz à effet de serre qui, choisies en fonction des critères de transition éthiques et justes, peuvent avoir de multiples bénéfices pour les objectifs de développement durable.

Leur déploiement est plus efficace lorsque les collectivités locales sont épaulées par les pouvoirs publics nationaux. Le renforcement des capacités des pouvoirs publics, des collectivités locales, de la société civile, du secteur privé, des populations autochtones et des communautés locales peut porter ces actions ambitieuses et nécessaires à la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C. La coopération internationale est essentielle à la réussite de cette démarche dans tous les pays, en particulier pour les pays en développement et dans les régions vulnérables.

En guise de conclusion, je rappellerai les points-clefs du rapport : chaque demi-degré de réchauffement compte ; chaque année compte ; et, enfin, chaque choix compte. Ne pas agir aujourd'hui, c'est augmenter le fardeau pour les jeunes générations qui devront faire face aux conséquences du réchauffement et à des options d'action plus difficiles et plus risquées. Limiter le réchauffement climatique à 1,5°C n'est pas impossible, mais la volonté politique pour accélérer les transitions est essentielle. Je vous remercie de votre attention.

M. Hervé Maurey, président. - Merci, Madame, pour votre présentation très précise qui expose l'importance de la tâche, non seulement pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, mais aussi pour convaincre l'ensemble des responsables et des citoyens de la nécessité de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour ne pas aller au-delà. Je ne peux que souhaiter une large diffusion de vos travaux, afin de convaincre ceux et celles qui ne sont pas encore convaincus de l'importance de ces sujets. Je vais d'ailleurs diffuser auprès des maires de mon département des copies de votre rapport.

M. Jérôme Bignon. - Je remercie Madame Valérie Masson-Delmotte d'avoir exposé, avec une telle clarté, un rapport aussi dense. Le GIEC est certes essentiel, mais n'oublions pas la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) qui a présenté ses conclusions à Medellin, en mars dernier, sur les incidences du réchauffement climatique sur la biodiversité. Pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut recréer des pièges à carbone en assurant le développement de la biodiversité. Notre tâche est immense. Le GIEC a-t-il une idée pour convaincre à la fois les politiques, la société civile et les citoyens du bien-fondé de mesures globales ? Si la France aspire à être à la pointe du combat, comment susciter l'assentiment des autres grands États industriels, comme la Chine, les États-Unis et la Russie ?

Mme Valérie Masson-Delmotte. - En fonction du niveau de réchauffement global, le niveau de risque a été révisé à la hausse pour de nombreux aspects, notamment pour les récifs de coraux tropicaux, dont la France dispose en grande partie et qui sont profitables pour la protection de la pêche et le tourisme, avec la reconnaissance d'une augmentation à 1,5 °C. En effet, nous travaillons conjointement sur la partie climat et la partie biodiversité, tant pour les risques que pour les solutions fondées sur la nature. Nous préparons, en ce sens, un rapport spécial sur les conséquences de l'usage des terres sur le changement climatique.

Je souhaite que ce rapport soit largement diffusé dans le monde éducatif. Il expose clairement les risques qui se posent à nous dans les toutes prochaines années. Deux chapitres sont novateurs : l'un porte sur les modalités concrètes du déploiement de solutions dans les secteurs d'activités où l'action est possible. Un autre chapitre démontre les bénéfices à agir dès à présent, en réorientant les investissements, dans des domaines comme celui de la santé publique. Ce point me semble particulièrement éclairant pour guider l'action des pouvoirs publics.

En ce qui concerne votre question sur les gros émetteurs de gaz à effet de serre, il faut appréhender chaque situation au niveau national. Si les émissions ont diminué fortement en France depuis 1990, elles tendent à augmenter de nouveau ces trois dernières années. Il y a donc urgence à réagir chez nous.

M. Christophe Priou. - Merci pour la présentation de votre rapport qui présente une palette de solutions. J'ai bien noté, en tant que représentant des territoires, l'association de l'État et des collectivités publiques. Faute d'un plan d'ensemble, il sera difficile de convaincre l'ensemble des communes, s'agissant notamment de la protection du littoral français. L'augmentation du niveau des océans est de 19 cm sur un siècle ; le GIEC estimant que près de 75% de cette évolution est d'origine anthropique depuis les années 1970. Localement, à l'occasion d'enquêtes publiques, certains de nos concitoyens se sont interrogés sur la pertinence des modélisations et des projections relatives à l'élévation du niveau des océans, pour le littoral français.

Mme Angèle Préville. - Merci pour votre travail scientifique de grande ampleur qui balaie tout doute sur l'impact de l'activité humaine sur le climat de la terre. Je suis favorable à l'inscription dans la loi ou dans la Constitution des objectifs de développement durable. Un changement radical s'impose ! Je souhaite que votre rapport soit diffusé auprès de l'ensemble des générations tant il est urgent d'agir dès à présent. Plutôt que d'initier des actions locales et ponctuelles, je suis favorable au lancement d'un plan d'envergure.

M. Jean-François Longeot. - Vous préconisez des mesures importantes, tout en relevant la faiblesse des engagements souscrits lors de la COP21. Comment faire, lorsqu'on connaît les difficultés à mettre en oeuvre l'Accord de Paris et l'attitude des États-Unis ? Comme l'a résumé l'un des membres du GIEC, les scientifiques ne peuvent répondre à la question de la mise en oeuvre concrète qui incombe au politique. Comment faire et avec quels moyens ?

M. Guillaume Gontard. - Ce rapport est à la fois alarmant et incontestable. Ses objectifs sont réalistes. Sur l'extraction carbone, l'agriculture avait un vrai rôle à jouer, comme l'illustre le programme « 4 pour 1 000 ». Il est vrai que la dernière loi portant sur l'agriculture et l'alimentation n'a guère permis d'amorcer cette démarche. La réduction des émissions carbone n'a jamais été assurée sur le long terme ; cette baisse est bien souvent imputable aux crises économiques. La course à la consommation et à la croissance est-elle compatible avec les objectifs définis par le GIEC ?

M. Claude Bérit-Débat. - Si la démarche doit être engagée à l'échelle planétaire, certains États demeurent cependant réticents à s'engager dans la politique que vous évoquez. En France, la situation se dégrade depuis trois ans : tous les acteurs, comme l'État, les collectivités territoriales et les citoyens, sont pourtant concernés par le renforcement de cette réponse globale ! Les sources de cette dégradation sont certes multiples et concernent notamment les transports et les modes d'exploitation agricole. Il reste possible de sensibiliser les collectivités territoriales, comme l'illustre la politique des transports. La transition agricole sera longue. La situation est donc alarmante et nos territoires ont parfois l'impression de devoir contribuer à une tâche infinie !

Mme Valérie Masson-Delmotte. - Au-delà du constat alarmiste, je pense que le courage politique est plus que jamais nécessaire.

Sur le niveau de montée des océans, le rapport n'est pas en mesure de répondre à la question de savoir si le fait de contenir le réchauffement climatique en-deçà de 2°C préviendra la déstabilisation, sur le long terme, de certains secteurs géographiques comme le Groenland ou l'Antarctique. À l'horizon 2100, le niveau des mers va continuer à s'élever. Il faut d'ores et déjà se préparer à l'élévation du niveau des mers. Les chercheurs français, comme ceux du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), sont en mesure d'affiner les niveaux de connaissance sur le niveau d'élévation des océans et ses incidences sur les territoires.

Croiser les objectifs de développement durable et les options de réponse au changement climatique n'avait jamais été fait jusqu'à présent ! Une littérature scientifique émerge d'ailleurs sur ces multiples intersections. Les modalités d'atténuation, c'est-à-dire les options pour réduire les rejets de gaz à effet de serre, font désormais l'objet d'un consensus : les options d'action qui permettent de réduire la demande d'énergie, maximisent les bénéfices des autres dimensions du développement durable. De même, les régimes alimentaires qui réduisent l'empreinte carbone de la production de nourriture maximisent les autres bénéfices du développement durable, comme la santé ou la pression sur les terres. Notre rapport insiste clairement sur ces derniers points.

Si les promesses des États à l'horizon de la COP21 ne vont manifestement pas assez loin, le mécanisme de l'Accord de Paris permet d'en revoir les ambitions à la hausse tous les cinq ans. En 2023 sera conduit un premier inventaire global ou « global stockage », et le GIEC publiera un rapport plus complet sur les différents points soulevés cette année.

Pour rendre cette transition possible, il faut désinvestir du charbon à l'échelle globale. Le secteur de la finance joue un rôle important : allons-nous continuer à investir dans cette filière ? La réduction de l'utilisation du pétrole à l'horizon 2030 représente un enjeu significatif. En France, la question de la décarbonisation des transports s'avère cruciale à court terme, avec des conséquences essentielles sur la qualité de l'air et la santé publique. De telles réorientations sont autant d'opportunités économiques pour des emplois français non délocalisables.

Certaines techniques agricoles permettent d'assurer le stockage du carbone dans les sols. D'autres expérimentations sont en cours. L'élevage, qui conduit à l'émission d'oxydes nitreux, et l'utilisation d'engrais doivent être reconsidérés. Or, certaines solutions qui permettent d'obtenir d'importants rendements existent : l'enjeu est celui d'une agriculture résiliente dans un climat se réchauffant, afin de réduire les tensions sur la gestion de l'eau et les émissions de gaz à effet de serre. Les relations entre le climat, la santé, l'agriculture et l'alimentation doivent être redéfinies. Je ne suis pas certaine que les derniers débats agricoles aient permis d'obtenir cette approche intégrée, en particulier sur les volets environnement et santé.

Agir sur la demande permet de maximiser les bénéfices sur toutes les dimensions du développement durable. Un modèle de développement où l'augmentation de la consommation est essentielle s'avère difficile à concilier avec la stabilisation du réchauffement climatique à 1,5 °C. Pour en revenir à la situation française, les véhicules neufs actuellement vendus sont plus lourds et émettent davantage de gaz à effet de serre que précédemment. Cette réalité amène à s'interroger sur la notion d'achat responsable et l'incitation que peut constituer la fiscalité.

Le dernier prix Nobel d'économie a couronné les deux créateurs des modèles économiques intégrés qu'utilise notre rapport pour évaluer les trajectoires en fonction du niveau du réchauffement climatique. Cette compétence est présente dans un laboratoire émanant de l'École des ponts et chaussées, dont certains chercheurs ont contribué à notre rapport.

Enfin, de réels progrès ont été enregistrés en Chine, dans le domaine des performances des véhicules électriques. Pour preuve, la moitié des véhicules électriques vendus dans le monde le sont en Chine. On constate également une mobilisation à l'encontre du réchauffement climatique en Californie ou dans des grandes villes américaines, malgré le manque de vision constaté au niveau fédéral.

M. Hervé Maurey, président. - Le bilan carbone de la voiture électrique fait tout de même aujourd'hui débat : celui-ci n'est-il pas, en définitive, moins performant que celui de la voiture thermique ?

Mme Valérie Masson-Delmotte. - Je vous renvoie aux derniers travaux de l'ADEME qui démontre les bienfaits de l'utilisation du véhicule électrique pour les trajets de courte distance. Les transports doux, comme le vélo, présentent également un fort potentiel : nous sommes en retard par rapport aux autres villes d'Europe, comme Copenhague, Berlin ou encore Londres. Les bénéfices de ce type de transports sont immédiats en matière de santé publique. Il faut que les études, comme celles sur l'impact de l'utilisation du véhicule électrique, soient inscrites dans le cadre national et renvoient à un mix énergétique spécifique à chaque pays. L'électricité rejette des gaz à effet de serre, mais nous avons la chance de bénéficier en France d'une électricité en grande partie décarbonée.

M. Jean-Marc Boyer. - L'année passée, lors de l'examen de la loi Hulot qui visait notamment à réduire l'utilisation des hydrocarbures d'ici 2040, nous avions entendu le même constat qu'aujourd'hui. Quels sont les pays qui désormais libèrent le plus de gaz à effet de serre et que représente la France, en pourcentage d'émissions, par rapport à eux ? La France ne se donne-t-elle pas bonne conscience, en promouvant, de manière isolée, des mesures contraignantes ? N'est-elle pas, en définitive, un peu seule dans cette démarche au sein de la communauté internationale ? De telles mesures ne sont efficaces, à l'instar des traitements en agriculture sur un même espace, qu'à partir du moment où tout le monde s'y met ! En outre, les prévisions du rapport prennent-elles en compte les aléas naturels qui peuvent contribuer à l'abaissement global des températures, comme certaines éruptions volcaniques ont pu le démontrer par le passé ?

M. Cyril Pellevat. - Je souhaite mettre en exergue les territoires à énergie positive (TEPOS) qui sont des structures régionales. La région Auvergne-Rhône-Alpes a été pionnière dans ce domaine en lançant ce programme en 2012 avec l'ADEME. Fin 2014, le Gouvernement a lancé son appel à projets destiné aux territoires à énergie positive pour la croissance verte. Ces territoires pilotes entendent réduire leurs consommations énergétiques de moitié d'ici 2050 et couvrir la part restante par la production d'énergies renouvelables. Aujourd'hui, une soixantaine de territoires se réunissent régulièrement pour élaborer des outils de suivi. Quelle est votre opinion sur cette démarche ? Comment pouvons-nous communiquer, en tant qu'élus de la République, auprès des communes et des communautés de communes ? Pour les territoires ruraux qui sont délaissés, la transition énergétique représente une opportunité de développement et d'attractivité territoriale.

M. Patrick Chaize. - Nous nous sentons tous impuissants, faute de voir émerger des solutions concrètes et convergentes au niveau global ; certains pays contrecarrant l'action de la France. Le bilan carbone établi par pays ne prend pas en compte les importations ; ainsi, l'hydrogène fabriqué à base du charbon qu'achète le Japon ne figure pas dans son bilan carbone. Ne faut-il donc pas faire évoluer les choses dans ce domaine ? En outre, avec l'arrivée du numérique, vous avez évoqué l'importance de se doter en véhicules électriques. Nos besoins en énergie vont nécessairement augmenter. Certes, l'énergie nucléaire, qui n'a guère le vent en poupe, pourrait fournir une solution. Comment faire les choix notamment technologiques qui vont dans le sens de l'urgence ?

Mme Françoise Cartron. - La réalité s'impose à nous autant sur nos territoires qu'à l'échelle internationale. En Gironde, le trait de côte recule et implique de redéfinir, comme à Lacanau, les plans d'urbanisme. Il nous faut également être proactifs. Comment convaincre nos collègues élus ainsi que les agriculteurs et les viticulteurs ? Le GIEC travaille-t-il avec les grandes organisations agricoles dont l'influence est réelle dans notre pays ? Dans les îles Salomon et au Vanuatu, j'ai pu constater que de nombreuses villes risquaient d'être englouties. Désormais, toutes les nappes phréatiques sont infiltrées par l'eau salée et l'élévation du niveau des eaux génère de nouvelles poches de pauvreté qui pourraient s'avérer explosives dans les années qui viennent.

M. Rémy Pointereau. - Nous sommes conscients de la problématique du réchauffement climatique qui n'est pas nouvelle. Comment expliquez-vous cette accélération de l'alarmisme en quelques semaines, surtout en France ? Quelles sont les actions-choc que vous préconisez ? La réalité économique s'impose, comme l'a rappelé, la semaine passée, le ministre en charge de l'écologie, M. François de Rugy. Les agriculteurs font des efforts depuis très longtemps, mais éprouvent toutes les difficultés à dégager un revenu. On veut par ailleurs démanteler dans notre pays un certain nombre de centrales nucléaires, alors que l'énergie qu'elles produisent est sans doute la plus vertueuse. Certes, on peut promouvoir la promotion d'énergies renouvelables, mais de nombreuses associations interdisent l'implantation d'éoliennes ! Un effort de communication s'impose donc tant à l'international qu'au niveau national ! Enfin, pour quelles raisons la baisse des émissions de gaz à effet de serre en France s'est-elle récemment inversée ? Pourquoi avoir choisi comme date de référence précisément l'année 2052 dans votre rapport ?

Mme Valérie Masson-Delmotte. - Le rôle du GIEC est de fournir une analyse des connaissances pour éclairer les politiques. Les mesures qu'il préconise ne sont donc pas prescriptives. Il travaille à l'échelle mondiale tandis que d'autres instances sont impliquées à l'échelle nationale, à l'instar de la stratégie nationale bas carbone de la France.

Pourquoi indiquer qu'au rythme actuel, le réchauffement climatique atteindrait 1,5°C à l'horizon 2030-2052 ; la valeur médiane étant située en 2040. À l'aune des changements mensuels de la température terrestre, l'augmentation anthropique du réchauffement est de l'ordre de 0,1°C tous les dix ans. En suivant un tel rythme, nous devrions atteindre 1,5°C- 2°C de réchauffement climatique entre 2030 et 2052. Notre démarche est ainsi précise.

Je suis également frappée de vous entendre parler d'impuissance. J'ai 47 ans et le GIEC existe depuis 30 ans. Vous avez dû prendre connaissance de ses précédents rapports qui ont été approuvés par l'ensemble des gouvernements, dont le Gouvernement français. Chacun de ces rapports recommandaient des mesures pour l'adaptation et l'atténuation. Or, le territoire français comporte des acteurs du changement qu'il importe de mettre en lumière pour susciter le changement. À mes yeux de citoyenne, votre responsabilité est immense et vous êtes loin d'être démunis de moyens.

Les émissions de gaz à effet de serre en France sont de l'ordre de six tonnes annuelles de dioxyde de carbone par habitant, et douze en y incluant les importations. Comment améliorer le niveau de nos émissions de gaz à effet de serre, compte tenu de ce que nous produisons et consommons ?

Sur la difficulté d'être vertueux de manière isolée, les émissions de dioxyde de carbone diminuent clairement aux États-Unis depuis 2005, du fait de la transition du charbon vers le gaz, indépendante de la politique fédérale actuelle.

En Chine, ces émissions ont fortement augmenté au début des années 2000 du fait de la révolution industrielle ; leur ralentissement s'expliquant avant tout par une stagnation au niveau mondial. En outre, l'évolution de l'Inde constitue désormais un enjeu majeur : la révolution industrielle indienne va-t-elle être conduite en recourant au charbon ou en se tournant vers les énergies renouvelables, notamment solaire, pour assurer l'électrification des zones rurales et lutter contre la pollution de l'air, liée à l'utilisation du charbon, dans les grandes villes ?

Jouer sur l'efficacité énergétique ou agricole profiterait à la France qui dispose de sérieux avantages comparatifs au niveau international pour répondre efficacement aux nouveaux choix de consommation qui se dessinent.

Les territoires à énergie positive font écho aux préconisations du rapport du GIEC : les politiques publiques concertées entre le Gouvernement et l'échelon territorial sont nécessaires à l'accélération des transitions, à la condition que des initiatives comme celles-là soient relayées dans l'opinion.

Vous avez un rôle à jouer pour la diffusion des conclusions du rapport du GIEC. Le fait que les comportements humains agissent sur l'évolution climatique est bel et bien reconnu ! L'approbation de ce rapport par l'ensemble des représentants des pays, y compris ceux dont l'économie repose entièrement sur l'utilisation des énergies fossiles, démontre le poids des faits scientifiques ! Il est essentiel de partager ces connaissances scientifiques dans un monde où les « fake News » prolifèrent !

Sur le numérique, comme sur les véhicules électriques, il faut analyser les produits en terme de cycle de vie, allant de la production au recyclage, afin d'éclairer le choix des consommateurs. Le travail formidable de l'ADEME en ce sens n'est pas forcément visible dans la vie quotidienne.

La question de l'évolution littorale est globale et affecte tout particulièrement les petits États insulaires, tout comme les régions de basse terre, qui doivent faire face à des risques croisés : la dégradation des récifs de coraux, l'augmentation des pluies diluviennes associées aux ouragans, même avec 1,5°C de réchauffement, la baisse des ressources halieutiques et le risque de rareté de l'eau, à la suite notamment de l'augmentation de la salinité des nappes. Tout l'enjeu est d'agir rapidement et de manière concertée pour gérer à présent le risque. Il s'agit d'anticiper pour se préparer. Faute d'une telle démarche, la gestion de crise s'imposera en permanence chez nous comme ailleurs.

L'innovation de ce rapport réside dans l'examen des conséquences de l'atteinte d'1,5°C supplémentaire qui est imminente. Les risques sont ainsi immédiats ; tout dépassement de cette température générera autant de risques supplémentaires, voire irréversibles. Nous sommes ainsi à la croisée de trois risques : d'une part, les risques climatiques irréversibles et de déstabilisation des sociétés ; d'autre part, les risques liés à l'inaction d'aujourd'hui qui demanderont d'agir plus fortement demain, quitte à déployer des options risquées comme l'extraction, à grande échelle, du dioxyde de carbone de l'atmosphère et enfin, le risque d'une transition maîtrisée, dont on dispose des principaux leviers aujourd'hui. En définitive, quels risques êtes-vous prêts à prendre ?

M. Pierre Médevielle. - Ma question est technique et porte sur la fragilité des océans. Dans de nombreux rapports, cette problématique est abordée via le prisme du réchauffement, mais on parle peu de l'acidification des océans qui me paraît très inquiétante. L'échéance évoquée est celle de 30 ans pour les impacts sur les coraux, certaines populations de crustacés et d'animaux marins qui synthétisent des coquilles calcaires. À cela s'ajoutent les questions de pollution en tous genres et de surpêche. D'après vous, l'hypothèse d'océans vides à échéance de 30 ans vous paraît-elle crédible ?

Mme Christine Lanfranchi Dorgal. - Je tiens à vous remercier, Madame, pour votre engagement en faveur du climat et pour les travaux que vous menez. Vous avez indiqué que les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent cesser d'augmenter, et plus encore doivent diminuer, jusqu'à arriver à une neutralité carbone. En même temps, il y a un constat d'urgence. Pensez-vous qu'au niveau mondial - ou simplement français - nous soyons capables de relever ce défi si rapidement, alors que cela fait des décennies qu'il y a des alertes ? Certains pays refusent d'augmenter leurs efforts. Les catastrophes climatiques prévisibles, et j'utilise cette expression à dessein, qui pourraient être notre futur, sont-elles prises en compte par ceux qui ont le pouvoir d'agir ? On se sent impuissant, d'autant plus qu'il y a beaucoup de transversalité. En outre, il peut y avoir un portage politique, une volonté, un courage, mais il faut aussi des moyens et des possibilités d'agir.

On arrive à des situations extravagantes, comme la cour d'appel de La Haye qui vient de condamner l'État néerlandais parce qu'il est un mauvais élève en matière de développement durable.

M. Hervé Maurey, président. - Le Conseil d'État a également condamné la France pour son inaction.

M. Alain Fouché. - À mon sens, l'information de nos concitoyens est aujourd'hui incroyablement insuffisante. Le rapport du GIEC a fait l'actualité pendant une demi-journée à peine, avant d'être remplacé dans les médias par la succession Hallyday et le remaniement. Il faudrait expliquer aux médias qu'il y a certains sujets qui méritent de rester à l'actualité pendant plusieurs jours.

Par ailleurs, je vous trouve optimiste, lorsque vous dites que la montée des eaux sera significative à partir de 2052. Pour moi, elle sera beaucoup plus rapide. C'est ce que mentionnent d'ailleurs un certain nombre de rapports.

Enfin, certaines habitudes humaines seront sans doute très difficiles à changer, alors même qu'elles impactent le réchauffement climatique mondial. Il y a ainsi de plus en plus de trafic aérien - et nous ne sommes pas prêts d'avoir des avions électriques -, toutes nos voitures sont climatisées, et la climatisation est de plus en plus présente dans les maisons. Comment empêcher les gens d'acheter ces voitures ou d'équiper leurs maisons ? On ne peut pas le faire.

Mme Martine Filleul. - Ma question concerne l'interprétation de votre rapport. Je l'ai lu un peu différemment de mes collègues : en effet, j'y vois des conclusions positives. Au final, si on s'en donne les moyens, il est possible de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. Par ailleurs, j'ai également vu qu'il y avait une polémique sur les conclusions du rapport jugés par certains trop optimistes. Ces derniers arguent en effet qu'il existe déjà des phénomènes tellement inéluctables en cours qu'il est trop tard pour limiter le réchauffement climatique. Je vous avoue être un peu perturbée par ces deux lectures contradictoires. Est-il encore temps d'agir si l'on s'en donne les moyens ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je vous remercie pour votre enthousiasme que vous nous faites partager. Vous l'avez dit, l'atteinte des objectifs suppose une multitude d'actions diverses et variées. Elles sont portées par de nombreux acteurs : citoyens, associations, collectivités territoriales, États dans le cadre d'accords. Mais cet enthousiasme et cette mobilisation des uns et des autres sont-ils suffisants ? On le voit, cela peut porter ses fruits. Ainsi, aux États-Unis, les décisions de Donald Trump ne sont pas de nature à « contrecarrer » les efforts des villes et des États. Toutefois, si l'enthousiasme est présent, il me semble qu'un peu de coercition est nécessaire. Faut-il aller jusqu'à la création d'un tribunal international climatique que certains réclament en considérant que la non-action est un crime ou au moins un délit contre l'humanité ?

Mme Michèle Vullien. - Ce rapport fait suite à de nombreux travaux. Certes, certains scientifiques, dont je ne partage pas l'opinion, expliquent qu'ils sont contre ces travaux et que le climat est régulé par de grands cycles sur lesquels l'activité humaine influence peu. Pour ma part, je pense que l'on peut agir. Dans la métropole de Lyon, dont je suis élue, nous avons mis en place depuis maintenant plus de 15 ans des actions : des plans climat, un plan de protection de l'atmosphère, des agendas 21. Toutefois, comme l'ont déjà indiqué plusieurs collègues, comment fait-on pour que les citoyens changent leurs pratiques ? Encore faut-il être convaincu que certains changements de pratiques ne sont pas de fausses bonnes idées. Je pense notamment aux panneaux photovoltaïques qui ont au final été plus une aubaine financière qu'autre chose, pour lequel nous avons soutenu artificiellement le prix de l'électricité.

Hier, j'ai signé, et je m'en réjouis, un document instaurant des zones à faibles émissions. Cela me rappelle un projet sur lequel j'avais travaillé il y a quinze ans avec d'autres collègues : les zones d'actions prioritaires pour l'air (ZAPA). Au final, ce projet a été abandonné, mais ressurgit aujourd'hui sous d'autres formes.

Vous avez évoqué les voitures électriques. À titre personnel, je ne suis pas persuadée que cela soit une si bonne idée. En effet, pour calculer le bilan carbone, il faut intégrer tout le cycle de vie. Or, ces batteries sont produites en Chine, et peuvent être techniquement très différentes les unes des autres. On arrive alors à des aberrations où on interdit aux bus électriques de circuler dans les tunnels, car, en fonction de la batterie utilisée dans le véhicule, les dégâts peuvent être importants en cas d'incendie ou au contact de l'eau.

Il y a actuellement un foisonnement de solutions. Avec mes collègues Olivier Jacquin et Françoise Cartron, nous travaillons sur la mobilité de demain et l'aménagement du territoire. Cet après-midi, il y aura un débat avec l'ADEME sur les trottinettes électriques, les gyropodes et toutes ces nouvelles formes de mobilité : comment les faire cohabiter avec les modes de mobilité plus classiques ?

Vous avez également parlé du méthane. Il y a des fanatiques qui souhaiteraient la fin de la consommation de la viande. En ce qui concerne les métaux lourds, les Chinois vont dans quelques années tenir le haut du pavé, car ils sont en train de s'emparer de l'Afrique. Au final, il y a un foisonnement d'actions ici et là. Mais comment fait-on pour convaincre l'ensemble de la planète d'agir ensemble ?

Mme Valérie Masson-Delmotte. - Vous avez souligné l'existence de polémiques sur les conclusions du GIEC et la possibilité de contenir le réchauffement climatique à moins de 1,5 degré.

Les chercheurs, pour réaliser ce rapport, ont passé en revue l'ensemble des publications scientifiques disponibles. En regardant les lois de la physique et de la chimie, il reste possible de limiter le réchauffement climatique. Toutefois, cela va dépendre des choix qui seront faits, du libre arbitre de chacun. C'est ce que reflète la conclusion du rapport.

Je suis paléoclimatologue. J'ai publié récemment des travaux sur l'activité des volcans et la variabilité de la température planétaire au cours des derniers millénaires. Je me tiens à votre disposition pour partager ces publications. Une éruption volcanique majeure, c'est concrètement la présence de particules dans l'atmosphère pendant un à deux ans. Cela va entraîner un léger refroidissement, mais qui va disparaître. Le climat continuera alors à se réchauffer, en raison de l'augmentation des rejets des gaz à effet de serre, s'ils se poursuivent. Au final, cette éruption est un épiphénomène par rapport à l'effet à long terme des gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone qui a une très longue durée de vie. Si « on a de la chance », si vous permettez cette expression, la survenue de quelques éruptions volcaniques va modérer, retarder le moment où on attendrait une augmentation de 1,5 degré. Mais en même temps, nous ne sommes pas prêts à faire face aux conséquences d'une éruption volcanique majeure, en termes de sécurité alimentaire par exemple. Il n'existe pas de préparation à l'échelle internationale pour faire face à des pénuries alimentaires si ce type de phénomène se produit. Des exemples historiques en témoignent.

En outre, la notion de cycle n'existe pas. Je le rappelle : nous augmentons la proportion de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Les conséquences physiques de ces derniers sont bien connues : ils empêchent le départ dans l'espace d'une partie du rayonnement de la Terre, ils sont responsables d'une accumulation d'énergie dans le système climatique et donc d'un réchauffement des basses couches de l'air au-dessus des continents ainsi que des océans en surface et en profondeur. 90% de cette énergie supplémentaire a été emmagasinée par les océans. Cela a pour conséquence que l'on ne peut pas revenir en arrière : cet accumulateur est là et nous piège dans un climat plus chaud quoi que l'on fasse. Cette proportion plus élevée de gaz à effet de serre est également responsable de la fonte des glaces, des neiges, des sols gelés, de la banquise Arctique.

En outre, en raison d'une atmosphère plus chaude, cette dernière contient plus d'humidité, ce qui fait que la même tempête donnera aujourd'hui des pluies plus importantes qu'il y a 50 ans. Par ailleurs, les événements extrêmes comme les vagues de chaleur seront plus importants. Par exemple, on estime qu'avec un réchauffement climatique de 1,5 degré en moyenne planétaire, les vagues de chaleur augmenteront de 3 degrés, et encore plus dans les villes. Pour un réchauffement moyen de 2 degrés, elles augmenteront de 4 degrés. Il y a ainsi des effets amplificateurs importants à prendre en compte.

Certaines de vos questions relèvent du droit, ce qui est hors de mon champ de compétence. J'observe par exemple que les tribunaux américains ont laissé avancer une action menée par des enfants dans différentes régions relative au droit fondamental prévu par la Constitution américaine de « public trust ». Il s'agit de rôle des pouvoirs publics et de la confiance que l'on peut légitimement attendre de ceux-ci pour permettre à chacun d'avoir un environnement sain, de profiter de son héritage culturel. Le procès devrait avoir lieu prochainement.

Beaucoup de discussions portent sur l'action citoyenne, la vie démocratique locale. La communauté scientifique peut aider les acteurs de la transformation. Une belle réussite d'initiative est le Train du climat. J'ai eu la chance d'y participer en France et au Maroc. C'est formidable, car c'est un moment d'échanges entre les acteurs du monde de la recherche académique, les acteurs de terrain et les citoyens curieux qui cherchent à comprendre, à trouver des pistes d'action. Ce train va reprendre en Aquitaine. Il permet des échanges entre des personnes qui se côtoient, mais ne discutent pas suffisamment ensemble.

La question de la rupture technologique a été évoquée. Dans notre rapport, cela est très clair. Il y a un chapitre entier, écrit par des spécialistes de la transformation, qui ont travaillé sur des transformations historiques et actuelles. Pour eux, nous sommes devant une rupture, qu'ils appellent disruptive sur la production d'électricité et les sources d'énergies renouvelables dans le monde, grâce au progrès technique, à la réduction des coûts, mais également au progrès réalisé en matière de stockage de l'électricité. Dans certaines parties du monde, des discussions sont en cours sur un charbon propre, c'est-à-dire un captage et un stockage par enfouissement du dioxyde de carbone. L'analyse faite montre qu'il y a un surcoût par rapport aux énergies renouvelables : d'un point de vue de la faisabilité économique, cela coûte aujourd'hui moins cher de produire de l'électricité renouvelable et de la stocker que de produire de l'électricité avec du charbon, d'en extraire le dioxyde de carbone, de le capter, et de l'enfouir de manière durable.

Les villes ont un rôle important à jouer. Certes, nous parlons bien sûr des régions rurales, et notamment du rôle de l'agriculture porteuse de solutions. Mais, les villes pèsent lourd dans les émissions de gaz à effet de serre, sur l'empreinte environnementale à travers le commerce, la consommation. Elles sont autant de leviers d'action qui sont essentiels. Nous sommes dans un mouvement d'urbanisation sans précédent dans le monde, en particulier dans les pays en développement. La France est bien positionnée parmi les acteurs de la conception des villes, de l'aménagement de ces dernières, des services environnementaux à proposer. C'est une opportunité formidable. Le GIEC a organisé en mars dernier au Canada, à Edmonton, une conférence internationale sur les villes et les sciences du changement climatique. 700 participants du monde entier, des acteurs de terrain du monde des collectivités territoriales, de l'industrie ou du monde académique se sont retrouvés. Nous avons proposé un agenda de recherches et d'actions. Tout l'enjeu est de le mettre en oeuvre. Les villes ont besoin de connaissances pour agir, pour savoir les actions à mener qui maximalisent les bénéfices. Dans chaque grande ville, il y a des universités qui peuvent aider à produire des connaissances. La mise en relation des acteurs du monde académique et de terrain est essentielle pour définir ce que peut être concrètement un agenda d'actions.

Enfin, il est important de s'interroger sur ce que nous faisons concrètement chacun d'entre nous. Tous les leviers d'action sont formidables. Vous avez posé la question des « fanatiques » qui ne veulent plus manger de viande. Mais il y a énormément de bénéfices à substituer une partie des protéines animales par des protéines végétales. Il existe en France des filières extrêmement performantes, sans avoir besoin de recourir à des importations. Elles ne demandent qu'à être soutenues. En outre, il y a des bénéfices pour la santé publique, pour les coûts, par exemple dans les cantines scolaires. En résumé, de très nombreux leviers d'action existent qui peuvent être vertueux à la fois pour le climat, l'activité économique, la santé, les coûts pour les pouvoirs publics et les familles.

M. Didier Mandelli. - Nous avons chacun une responsabilité individuelle et collective pour tenter de faire évoluer les choses. Je suis optimiste et convaincu que l'homme saura s'adapter, comme il l'a fait depuis toujours, pour la survie de son espèce. C'est un réflexe de survie que je pense collectif. Ma question porte sur un volet rarement évoqué qui est celui des effets dus à la démographie. Je vais citer l'exemple de Madagascar qui est un des pays à la fois les plus pauvres du monde mais aussi l'un des plus vulnérables sur ces questions de changement climatique. On note une accélération des phénomènes, qui sont plus précoces dans la saison, plus intenses et plus fréquents. Je pense aux cyclones notamment. La population est passée en 30 ans de 5 à 23 millions d'habitants. On déforeste à hauteur de 2 % le patrimoine naturel sur l'île tout simplement pour se chauffer, pour faire cuire les aliments... Autant les pays occidentaux développés peuvent aujourd'hui s'adapter, autant nous devons accompagner ces pays et ces régions du monde qui ont du mal à faire face. Comment ces aspects sont-ils intégrés par le GIEC ?

M. Michel Vaspart. - Ma question rejoint celle de Patrick Chaize sur l'électricité. Notre responsabilité est de mettre en place des politiques publiques. Nous avons des décisions à prendre, des textes de lois et des règlements à établir. Vous avez parlé tout à l'heure de la nécessité d'anticiper au risque d'être en gestion de crise en permanence. J'ai un peu le sentiment que nous serons dans la deuxième solution.

J'étais jeudi dernier au Salon de l'Automobile. J'ai été impressionné par les évolutions en matière de mobilité. On nous incite à aller vers le tout électrique, avec des phases bien entendu, notamment la phase de l'hybride. Mais ces transformations m'interrogent. Nous avions jeudi soir un dîner avec les dirigeants de Peugeot, de Renault, ainsi qu'avec ceux de la nouvelle plateforme qui a été constituée et qui regroupe l'ensemble des constructeurs automobiles, les équipementiers et les sous-traitants. Cette plateforme PFA est présidée par Luc Chatel. Comment fait-on pour alimenter tout ce qui va être à l'électricité dans quelques années, sans rouvrir de centrales à charbon ? On veut fermer des centrales nucléaires, mais on sait que les énergies renouvelables - éoliennes, panneaux solaires - ne suffiront pas en l'état. Bien entendu, cette question concerne plus le ministre de l'environnement que le GIEC, mais c'est un problème pour lequel il n'y a pas de réponse aujourd'hui ; ni même d'anticipation. Or, on sait que lorsque l'on décide de construire de tels équipements, il faut un certain nombre d'années en raison des levées de bouclier que cela produit, des recours. Par ailleurs, j'ai également appris lors de ce diner, et c'est un sujet que notre commission pourrait regarder de près, qu'un moteur électrique nécessite dix fois moins d'heures de travail pour le monter qu'un moteur à explosion. Comment règle-t-on le problème social que cela va engendrer? Toutes ces questions ont besoin de réponses avant ou au moins en même temps que l'on décide de lancer des politiques pour supprimer le moteur à explosion d'ici 2030. C'est un vrai sujet à la fois social, économique et environnemental.

M. Ronan Dantec. - Le 26 novembre prochain sera présenté au Sénat - et vous êtes tous cordialement invités - le premier rapport mondial de l'action non étatique en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Il s'agit de mesurer la réalité de la mobilisation des villes et des entreprises. Toutefois, ce que l'on constate aujourd'hui est insuffisant par rapport aux attentes du rapport du GIEC. On peut effectivement parler de la mutation vers le véhicule électrique, mais les émissions de gaz à effet de serre des transports automobiles augmentent à peu près partout. Les SUV deviennent la norme culturelle et ils sont encore à l'essence ou au diesel. On connait le temps d'action des politiques publiques. Les voitures que l'on vend actuellement seront encore en circulation dans 12 ans, ce qui nous amène à 2030. Le temps d'une vraie mutation avec des impacts quantitatifs est plutôt 2040.

Je trouve le scénario de l'augmentation de 1,5 degré un peu dangereux. En effet, on parle des propositions disruptives pour une action sur un temps d'action si court qu'elles apparaissent finalement peu crédibles, entraînant une réaction d'impuissance. Or, cette dernière conduit aux populismes et à la montée vers la guerre.

Je ne crois pas que les classes politiques du monde soient convaincues de la gravité du changement climatique. C'est un supplément d'âme, mais dans les priorités politiques de chacun cela ne se perçoit pas - on le voit au Sénat où nous sommes chacun, porte-parole d'un groupe d'intérêt, qui a besoin de temps et ne veut pas forcément que les choses bougent. Dès lors, est ce que le GIEC ne se trompe pas dans sa propre stratégie qui est un peu un compromis ? Je ne parle pas ici des données scientifiques sur lesquelles il y a aujourd'hui un consensus à l'exception de quelques obscurantistes climato-sceptiques. Il me semble que le GIEC est obligé de raconter une histoire, d'essayer de donner une trajectoire d'action qui mobilise. Or, on arrive à des trajectoires qui apparaissent totalement éloignées des réalités, et peuvent nourrir un sentiment d'impuissance. Est-ce que le GIEC n'aurait pas intérêt à mobiliser sur un objectif de 2,5 degrés à horizon de 25-30 ans pour lequel des dynamiques économiques peuvent encore arriver ? Une fois celles-ci enclenchées, les températures peuvent rebaisser et arriver à une augmentation de 1,5 degré. Vous demandez une mutation très rapide, très loin des dynamiques à l'oeuvre dans le monde.

En outre, je me demande si le GIEC est l'échelle la plus pertinente. Je suis frappé par la tentative de créer au niveau mondial un consensus qui est quelque chose de positif et amène les acteurs à agir. Mais n'aurait-on pas besoin de GIEC nationaux, ou dans notre cas européen ? Il s'agirait de rassembler à cette échelle l'ensemble de la communauté scientifique, notamment des sociologues, des économistes, pour créer un rapport de force politique très différent. Le rapport du GIEC ne crée pas de rapport de force politique. Il serait intéressant d'avoir ce groupe de réflexion au niveau national ou européen pour pouvoir dire ce qui est faisable et crédible à cette échelle.

M. Benoît Huré. - Je vous remercie, Madame, pour la clarté de vos propos et l'incitation à ne pas se résigner malgré l'ampleur du défi. Mais, même s'il faut être déterminé, il faut également être humble. La France représente à l'échelle de la planète moins de 1% de la population et des terres émergées. Si on ne veut pas que nos comportements soient vains, il faut que les choses soient portées et relayées dans le cadre d'une autorité mondiale, ou d'un début de gouvernance mondiale pour que les pays ne s'affranchissent pas de cette préoccupation.

En outre, il y a un problème d'éducation pour modifier les comportements. Les enfants sont la cible la plus efficace pour aller le plus vite.

Vous avez abordé un aspect positif dans nos changements de comportement qui est la santé. On n'en parle pas assez. Des modifications de nos consommations énergétiques directes ou indirectes ont des impacts directs sur notre santé. Je pense que c'est un créneau très positif pour la mobilisation de nos concitoyens. Il faut sortir de l'aspect de politiques ou actions en lien avec l'environnement ressenties comme punitives ou répressives, pour entraîner un enthousiasme.

Enfin, je ne suis pas un climato-sceptique, loin de là, mais je suis retombé il y a quelques temps sur des publications d'organismes datant de 1978 qui nous sensibilisaient sur un refroidissement de l'atmosphère, en raison d'évolution des cycles. On le sait, notre ère a connu des périodes de plusieurs années ou dizaines d'années froides, ou très chaudes, humides, très sèches,... Mais vous l'avez dit, et il me semble important de le repréciser que ces cycles n'empêchent pas le mouvement général de réchauffement climatique.

M. Olivier Jacquin. - Je me posais la question de savoir si à force de faire ce métier, on n'en devient pas pessimiste. Mais vos réponses sont éclatantes et je salue votre énergie. Il a fallu trente ans pour venir à bout, ou presque, des climato-sceptiques. Vos travaux posent la question de savoir comment affronter maintenant ceux qui pensent que nous en faisons assez ou se réjouissent des 24 degrés en terrasse de café à Paris un 10 octobre, alors même que nous connaissons une sécheresse épouvantable. Nous avons une responsabilité individuelle, il faut que chacun d'entre nous agisse à son niveau.

Je relaie l'information qu'a donnée notre collègue Michèle Vullien tout à l'heure. Tout à l'heure se déroulera un colloque sur les mobilités urbaines autour de vélo et des nouveaux engins de déplacements personnels. Nous sommes cinq à avoir travaillé sur ce sujet. Je peux vous dire l'énergie qu'il a fallu pour organiser ce petit colloque. Nous avons failli avoir une démonstration de ces engins de déplacements personnels sur le parvis de la cour d'honneur, mais je n'ai pas eu les autorisations nécessaires pour le faire. Or, il me semble important de voir tout l'intérêt que peuvent représenter un vélo-cargo et des vélos électriques. Ce n'est plus une question seulement urbaine, mais ces engins peuvent être utilisés en milieu péri-urbain et même en secteur rural.

J'ai l'impression que nos concitoyens sont beaucoup plus prêts à bouger que le monde politique, ce qui est un paradoxe.

Enfin, comme notre collègue M. Houllegate, je m'interroge sur la nécessité d'une instance supranationale, comme cela existe déjà pour le risque nucléaire. Cela dépasse votre champ, car vous avez bien indiqué que le rôle du GIEC était d'éclairer les décisions politiques, mais qu'il n'avait pas de rôle proactif. Mais, vous devez avoir envie de temps en temps de passer à l'action, d'agir concrètement.

M. Hervé Maurey, président. - Avant de vous donner la parole après cette dernière salve de questions, je réitère mes interrogations du début sur le fonctionnement du GIEC, le choix des scientifiques, et les pressions qui ont pu être évoquées par la presse internationale.

Mme Valérie Masson-Delmotte. - Le GIEC dispose d'un secrétariat d'une dizaine de personnes basé à l'organisation météorologique mondiale à Genève. La préparation des rapports est faite par un groupe de 34 personnes - les membres élus du bureau du GIEC. Nous sommes élus par les délégués des différents gouvernements. La France a proposé ma candidature, comme présidente du groupe 1 du GIEC. J'ai été élue et la France met à ma disposition les moyens pour avoir une unité d'appui technique d'une dizaine de personnes basée à l'université de Paris-Saclay. Cette unité, embauchée en contrat à durée déterminée, existe grâce au financement de trois ministères. Elle prépare toutes les réunions et la mise en forme du rapport. Les membres élus du bureau du GIEC interagissent avec les délégués des différents gouvernements en session plénière, laquelle prend toutes les décisions, en particulier la décision de préparer les rapports. Les nominations sont faites par les délégués des différents gouvernements, ils déterminent également les points sur lesquels les rapports vont se focaliser. Les organisations observatrices - par exemple de grands programmes mondiaux de recherche - proposent également des nominations. Nous avons des candidatures pour rédiger les rapports. La sélection de ces auteurs se fait au consensus par les co-présidents et les vice-présidents des groupes de travail concernés par les rapports. C'est la première fois que nous travaillons, à travers les trois groupes de travail du GIEC, sur les bases physiques d'adaptation et d'atténuation du réchauffement climatique. Nous avons sélectionné 91 auteurs, sur la base de quasiment cent nominations. C'est une pression extrêmement forte et cela montre à quel point de nombreux chercheurs souhaitaient participer à la rédaction de ce rapport. Ce dernier est également nouveau en ce sens où nous avons des chercheurs de disciplines différentes qui travaillent ensemble sur un même chapitre. Les six chercheurs qui travaillent en France et ont participé à la rédaction sont aussi bien des spécialistes de la biodiversité et du climat que des interactions climat/cycle du carbone, des sciences politiques, des sciences économiques ou des sciences sociales. Cela reflète la diversité des expertises qui étaient nécessaires pour répondre à l'invitation de la COP21. En effet, je rappelle que nous n'avons pas choisi de faire ce rapport, mais c'est une commande de la COP21, qui en session plénière a également commandé deux autres rapports : l'un portant sur le changement climatique et l'usage des terres, abordant des sujets comme la désertification, la dégradation des terres, la sécurité alimentaire et nutritionnelle, la gestion durable des terres, et devant être remis en août 2019 ; l'autre portant sur le changement climatique, les océans et la cryosphère, c'est-à-dire la neige, la glace et les sols gelés, et devant être remis en septembre 2019, certainement à Monaco. Ce rapport est une commande des gouvernements, et nous les mettons face à leurs responsabilités. Ils ont approuvé ce rapport ; c'est un point extrêmement important.

Je n'ai pas répondu à la question sur les océans. Nous avons une conclusion principale et quatre points sur ce sujet. Je tiens à souligner que nous ne donnons pas d'échéance. Toutefois, avec une augmentation d'1,5 degré, donc à horizon 2040 au rythme actuel, les risques augmentent pour les pêcheries et l'aquaculture à travers les effets du réchauffement des eaux, de l'acidification, du manque d'oxygène et des conséquences sur la survie, l'habitat, la reproduction, les maladies des espèces et le risque d'espèces invasives.

Une simulation montre une chute du rendement des pêcheries de 1,5 million de tonnes dans le monde pour un réchauffement de 1,5 degré et de 3 millions de tonnes pour un réchauffement de 2 degrés. Le réchauffement climatique est à la fois un enjeu en termes de biodiversité marine, mais aussi pour les rendements des pêcheries, des communautés qui en vivent.

En ce qui concerne la démographie, cette question est abordée dans les rapports du GIEC dans les scénarios socio-économiques. Nous abordons l'évolution démographique à travers l'angle des risques climatiques qui sont le résultat de trois points : les aléas climatiques dans chaque région du monde ; l'exposition au risque, c'est-à-dire le nombre de personnes qui vivent dans les zones à risque ; les vulnérabilités qui dépendent des capacités d'adaptation, du niveau de développement économique et des solutions disponibles. Une population en croissance dans des zones exposées aux conséquences du réchauffement climatique augmente le risque. Par ailleurs, en ce qui concerne les gaz à effet de serre, l'équation la plus connue concernant le climat est l'équation de Kaya. Les émissions de gaz à effet de serre sont le produit de quatre termes : la population ; la richesse par habitant, soit le PIB par habitant ; l'énergie par unité de PIB - plus vous êtes efficaces, plus vous découplez la production de richesses de la consommation d'énergie -, le contenu CO2 du mix énergétique, soit la quantité de CO2 par unité d'énergie consommée. La démographie est donc un élément pris en compte, au même titre que le niveau de richesse ou l'efficacité énergétique nationale.

Dans les scénarios avec une forte augmentation de la population et une forte augmentation de la consommation, il est impossible de stabiliser le réchauffement climatique. Il existe des scénarios socio-économiques par région et par pays. Cette approche permet en toute transparence de formuler des hypothèses qui sont utilisées à la fois pour l'évaluation des risques, des dommages, mais aussi des options d'actions.

En ce qui concerne l'électricité, cela relève des stratégies nationales. Le rapport du GIEC montre très clairement que pour conserver des trajectoires compatibles avec la limite du réchauffement à 1,5 degré, les énergies renouvelables doivent fournir entre 70 et 85 % de l'électricité en 2050. En outre la fraction du nucléaire augmente dans la plupart des trajectoires à 1,5 degré. La fraction de production d'électricité avec des combustibles fossiles, nécessitant captage et stockage de dioxyde de carbone doit également être en augmentation.

Le GIEC a été présent dans les négociations internationales sur le climat. En effet, il n'y aurait pas eu d'accord à Paris si un rapport n'avait pas été confié au GIEC. C'était une demande des pays les moins avancés et des pays les plus vulnérables. Après, il revient à chaque pays de voir s'il veut utiliser ou non ce rapport. Je précise d'ailleurs que ce dernier est imparfait sur l'action des acteurs non étatiques, car il n'y a pas assez de littérature scientifique. Cela serait vraiment utile que le monde académique se penche sur cette question, notamment dans la perspective du prochain rapport. Le groupe de travail n°3 du GIEC sur l'atténuation a changé la structure de son rapport et va renforcer les analyses liées aux actions non étatiques. Il va également s'intéresser aux choix de comportements. Il y a une vraie attente de production de connaissances nouvelles. Les choix de financement de la recherche en France comme ailleurs, peuvent accélérer cette production de connaissances. Nous avons des chercheurs en sciences sociales qui ont contribué de manière sans précédent à ce rapport.

L'acceptabilité publique est importante. Elle peut freiner ou au contraire accélérer la mise en oeuvre des transitions. Ce qui compte, c'est l'évaluation que chacun fera de la perception de l'équité des procédures de décision et de la perception de la distribution des conséquences attendues des choix et des décisions politiques. C'est un point essentiel, peu évoqué, de notre rapport. Il comporte des dimensions sur l'éthique, l'équité, sur ce que peuvent être des transitions justes inscrites dans un cadre démocratique. Je vous invite par exemple à prendre connaissance de notre chapitre 5, qui est le plus abouti sur ces dimensions.

Je partage beaucoup de vos interventions notamment sur la nécessité d'être humble, sur l'ampleur du défi, et sur la nécessaire mobilisation, en particulier de la jeunesse. J'interviens beaucoup dans les écoles, les universités, les formations professionnelles. Il est très frappant de voir la mobilisation de la jeunesse. Beaucoup de jeunes cherchent à aligner leurs choix professionnels avec le fait d'être porteurs de solutions. Ils ont besoin pour cela d'être accompagnés par les pouvoirs publics. C'est quelque chose de fondamental que vous percevez peut-être chez vos proches.

Le pessimisme ou la dépression ne mènent à rien. Mais ce contre quoi il faut lutter, c'est l'indifférence ou le fatalisme. En visant 1,5 degré de réchauffement, on limite les risques. Si on laisse faire, on dépassera facilement les deux degrés d'augmentation, voire on atteindra les 3 degrés. L'atteinte de l'objectif fixé implique que les transitions se poursuivent au rythme attendu par les engagements à horizon 2030. Si on n'agit pas dans les décennies à venir, ces risques vont s'accélérer. Je pense que vous en êtes tous conscients.

Pour terminer, je vous félicite de cette initiative sur la mobilité moderne. Travaillant sur le plateau de Saclay, je dois dire que les progrès réalisés par le vélo électrique me permettent d'arriver sans transpirer sur mon lieu de travail, ce qui est une rupture formidable.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie, Madame, pour votre intervention et vos réponses. J'espère que nous aurons une version en français de votre rapport dans des délais raisonnables, pour pouvoir le diffuser, sensibiliser autour de nous. Cela est plus facile à faire avec un document en français.

Comme vous l'avez dit, je crois que chacun doit se sentir concerné dans son comportement individuel. C'est la technique du colibri : on a tous notre petit rôle à jouer, et c'est l'ensemble de ces petites actions qui contribuent à éviter les drames qui nous guettent. Il ne faut pas se donner bonne conscience en se disant que de toute manière, nous sommes plus vertueux que d'autres. Il y a une démarche collective à avoir, un travail de sensibilisation des pouvoirs publics en direction de l'ensemble des acteurs, citoyens ou collectivités locales.

À ce sujet, je reprends un thème cher à Ronan Dantec : il faut que les collectivités locales reçoivent les moyens nécessaires pour assurer cette transition écologique. On aura l'occasion d'en reparler lors de l'examen du projet de loi de finances, mais c'est la raison pour laquelle nous sommes un certain nombre à demander à ce qu'une partie de la taxe carbone soit versée aux collectivités territoriales. Je l'ai rappelé au ministre François de Rugy lors d'une rencontre la semaine dernière. Les collectivités territoriales ont un rôle important à jouer, mais elles ne peuvent pas l'assumer si on ne leur donne pas les moyens de le faire.

M. Ronan Dantec. - À ce sujet, Monsieur le Président, nous avons reçu le 3 octobre une réponse de la cheffe de cabinet du Premier ministre, qui est un refus absolu de la territorialisation de la contribution carbone-énergie. L'argument donné est qu'il est plus important de répondre au trou créé dans les caisses des collectivités territoriales par la suppression de la taxe d'habitation. Encore une fois, c'est une vision à court terme qui prévaut.

M. Hervé Maurey, président. - Nous aurons l'occasion d'en reparler au moment des débats sur la loi de finances.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Groupe de travail sur le suivi des négociations internationales sur le climat et l'environnement et de la mise en oeuvre des objectifs de développement durable, relative à l'intégration des objectifs de développement durable dans les processus budgétaires - Communication de M. Jérôme Bignon

M. Jérôme Bignon, président du groupe de travail sur le suivi des négociations internationales sur le climat et l'environnement et de la mise en oeuvre des objectifs de développement durable. - Je remercie le président et le bureau d'avoir pris l'initiative de me confier le soin de vous présenter en quelques mots les objectifs de développement durable et les moyens qui sont à notre disposition, en tant que parlementaires, pour nous les approprier et accélérer leur mise en oeuvre, notamment par le biais de l'exercice annuel de l'examen budgétaire.

Un bref rappel, tout d'abord, de ce que sont les objectifs de développement durable. Ils ont été adoptés en septembre 2015 par l'Assemblée générale des Nations unies dans le cadre de l'Agenda 2030 pour le développement durable. Ils sont au nombre de 17 et se déclinent en 169 cibles et 232 indicateurs.

Ces objectifs couvrent tous les volets du développement durable : climat, biodiversité, eau, énergie, mais aussi pauvreté, faim, santé et bien-être, égalité des genres, prospérité économique, paix, éducation, ou encore agriculture, travail, industrie. Ils ont remplacé le processus des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), qui ont expiré en 2015. Par rapport à ces anciens objectifs, les objectifs de développement durable présentent 5 spécificités. Premièrement, ils sont universels - à la différence des OMD qui ne visaient que les pays en développement. Deuxièmement, ils intègrent l'environnement et le développement durable dans un même cadre d'objectifs. Troisièmement, ils associent à la lutte contre l'extrême pauvreté la préservation de la planète face aux changements climatiques. Quatrièmement, ils mettent en place une démarche de consultation inédite de la société civile. Cinquièmement, ils sont « indivisibles », c'est-à-dire qu'on ne peut répondre à un objectif de développement durable sans tenir compte de ces interactions avec les autres objectifs. Ils sont interconnectés.

Bien sûr, les objectifs de développement durable ne constituent pas un engagement juridiquement contraignant pour les États mais chaque année, se tient à New York ce qu'on appelle un Forum politique de haut niveau, chargé du suivi de leur mise en oeuvre. Dans le cadre de ce Forum, les États sont invités à rendre compte, dans le cadre de « revues nationales volontaires », de leurs progrès dans la mise en oeuvre de ces objectifs. Notre président a d'ailleurs pu s'y rendre cette année au sein de la délégation française et pourra peut-être nous en dire un mot. Il est à noter qu'en septembre 2019 cette réunion aura lieu devant l'Assemblée générale des nations unies au niveau des chefs d'État et de gouvernement.

Au niveau français, le suivi de ces objectifs de développement durable est assuré par la Déléguée interministérielle au développement durable - que nous avons reçue devant notre commission, Mme Monnoyer-Smith, mandatée par le Premier ministre et en partenariat avec le ministère des affaires étrangères.

Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) du 8 février 2018 a mis en place un comité de pilotage interministériel des ODD (à l'image de ce qui avait été fait pour la COP 21), qui a été réuni pour la première fois le 26 avril 2018 sous l'égide des secrétaires d'État Brune Poirson et Jean-Baptiste Lemoyne. Il s'agit en fait d'une instance de débat et d'échanges, regroupant les représentants de l'État et de toutes les parties prenantes (organismes de recherche, assemblées territoriales, ONG, associations, élus, entreprises, etc) et qui a pour mission de construire collectivement la feuille de route sur la mise en oeuvre par la France des 17 objectifs de développement durable.

Vous l'aurez compris, si on veut que la société civile et les territoires s'emparent des objectifs de développement durable et donc faire des progrès dans leur mise en oeuvre en mobilisant tout le monde, l'enjeu est désormais de passer en quelque sorte d'un « objet technocratique non identifié » à des objectifs partagés par tous et mis en oeuvre à tous les niveaux.

Je suis de ceux qui préfèrent voir le verre à moitié plein qu'à moitié vide, vous le savez. Et il y a de quoi, car du chemin a déjà été fait. Je pense notamment à deux avancées importantes : tout d'abord l'Insee a déjà sélectionné 98 indicateurs (parmi les 232 suivis au niveau mondial) adaptés au contexte français et qui serviront de référence pour mesurer la mise en oeuvre des objectifs du développement durable par la France. C'est un premier pas institutionnel important. Ensuite, le dernier comité interministériel de la coopération internationale et du développement dont je vous parlais tout à l'heure mentionne explicitement que le Gouvernement s'engage à « rendre, lorsque cela est pertinent et possible, ses indicateurs de performance budgétaire (PAP/RAP) plus cohérents avec les objectifs de développement durable, tout en conservant des indicateurs d'efficacité et d'efficience dédiés ». Cette mention a été, je crois, très difficile à obtenir. C'est un pas important. Et depuis, les équipes du CGDD, en lien avec Bercy, réfléchissent à comment intégrer les objectifs de développement durable dans notre processus budgétaire national.

Cette question est très importante car le budget, nous le savons bien, est la principale expression politique et économique de la politique gouvernementale. L'intégration des objectifs de développement durable dans le budget permettrait d'améliorer la cohérence des politiques publiques, de renforcer la responsabilité des acteurs et de faciliter les comparaisons internationales. Plusieurs pays se sont d'ailleurs déjà engagés sur cette voie, comme le montre une note de l'Iddri de juillet dernier, que je vous invite à lire.

Cette note identifie différentes manières dont ces pays ont choisi d'intégrer les objectifs de développement durable dans leurs processus budgétaires. Une première manière est d'évaluer l'ensemble des dépenses effectuées par objectif de développement durable et d'en faire une cartographie permettant de voir quels objectifs de développement durable ont prioritairement bénéficié des crédits d'un budget (c'est la voie choisi par l'Inde et par le Bénin il me semble). Mais cette solution présente la difficulté d'être complexe à mettre en oeuvre pour une plus-value discutable et surtout d'être postérieure à l'adoption du budget.

Une deuxième manière est d'inclure un rapport sur les politiques contribuant à la mise en oeuvre des objectifs de développement durable dans le principal document budgétaire : c'est le cas de la Norvège par exemple. Cela se traduit en fait par un chapitre qualitatif sur l'état de mise en oeuvre des objectifs de développement durable. L'avantage est que ce chapitre peut permettre à une coalition d'ONG d'établir un contre-rapport et donc permet à la société civile de s'en saisir. En revanche, je crois que cette option présente un très gros inconvénient, c'est qu'elle permet de se « débarrasser » du sujet « objectifs de développement durable » par la publication d'un énième document budgétaire « à part » que peu de monde lira, non connecté aux documents budgétaires par mission et par programme et donc peu opérationnel.

Une troisième manière, plus rare, consiste en une utilisation des objectifs de développement durable pour améliorer le système d'évaluation de performance budgétaire : c'est cette solution, à mon sens, que nous devons pousser, si l'on veut que les objectifs de développement durable intègrent notre processus budgétaire de manière efficace et concrète.

Au-delà de ces options identifiées par l'Iddri dans sa note comparative, et étant donné les spécificités de la discussion budgétaire française, quelques pistes ont été lancées lors de l'atelier de travail organisé par le CGDD auquel j'ai pu participer il y a dix jours : créer un tableau de bord budgétaire des objectifs de développement durable à partir des indicateurs financiers des objectifs de développement durable ; faire un rapport sur les objectifs de développement durable dans le cadre de la proposition budgétaire - comme je vous l'ai dit cela ne me semble pas la meilleure solution - ; évaluer l'impact des impôts et subventions sur un certain nombre d'objectifs de développement durable (c'est par exemple ce que la Finlande a prévu de faire). Cette dernière piste me semble également très intéressante et je crois que l'on pourrait utiliser la possibilité qui va très prochainement nous être offerte au Sénat de commander des études afin d'en commander une sur les taxes et subventions néfastes sur un certain nombre d'objectifs de développement durable ciblés. Il est en effet absurde d'accorder une aide financière à des actions contreproductives pour l'environnement, alors que l'on a fixé ces ODD.

Quelle que soit la solution ou la combinaison de solutions qui sera finalement retenue par le Gouvernement pour faire évaluer sa proposition budgétaire, cela ne pourra être concret au mieux qu'à partir du budget de l'année prochaine. En outre, un des enseignements de cet atelier, où la représentante de l'administration finlandaise nous a exposé le cas de son pays, c'est l'importance, d'une part d'identifier les priorités nationales, et d'autre part d'avoir un soutien et même un engagement du ministère des finances. Lors de cet atelier, nous avons eu une contribution remarquable et motivée d'un fonctionnaire de la Direction générale du Trésor. Il pourrait être intéressant de l'auditionner, dans le cadre du groupe de travail.

Or, l'un des enjeux sur l'appropriation des objectifs de développement durable est également comment le Parlement se saisit de cette question.

Nous nous sommes mobilisés au Sénat, et plus particulièrement au sein de notre commission, depuis déjà plus d'un an. Nous avons par exemple organisé une table ronde et publié un rapport d'information sur ce sujet en juillet 2017. Dans ce rapport, nous recommandions d'ailleurs une plus grande implication du Parlement sur le suivi de la mise en oeuvre des objectifs de développement durable, notamment au moment de la discussion budgétaire. Plus récemment, nous avons élargi les compétences de notre groupe de travail sur le suivi des négociations climatiques internationales, que j'ai l'honneur de présider, au suivi des objectifs de développement durable. Les deux sont en effet liés. Notre groupe comporte à ce jour 15 personnes. Il est bien sûr ouvert à tous les membres de cette commission. Il pourrait être également important qu'il y ait des collègues d'autres commissions. J'ai pris le soin de commencer à en parler à quelques collègues de la commission des finances, pour que celle-ci soit plus sensible à ces questions, notamment lors de l'examen du budget.

Je crois qu'il est important que nous soyons exemplaires en la matière. Et c'est pour cette raison que le bureau a décidé d'essayer d'intégrer, dès cette année, dans chacun de nos avis budgétaires, la question des objectifs de développement durable. Et ce sont nos rapporteurs budgétaires qui feront ce travail de sensibilisation. Je pense aux Agenda 21 qui ont vu le jour dans les collectivités territoriales. Cela a été pour beaucoup d'entre nous une première sensibilisation à ces questions et à ces méthodes de travail. La territorialisation des objectifs de développement durable dans le cadre du budget des collectivités serait une bonne chose. En effet, aucun relai n'a été pris à la suite des Agendas 21.

L'atelier de travail auquel j'ai participé était conclu par un représentant du ministère des affaires étrangères et du développement international qui indiquait qu'ils avaient déjà fait l'effort d'intégrer les objectifs de développement durable au sein du document budgétaire du programme 209 sur l'aide au développement, notamment en repensant certains de leurs objectifs et indicateurs. Nous pourrions peut-être nous en inspirer.

Voici en quelques mots, mes chers collègues, ce que je tenais à vous dire sur ce sujet, sur lequel nous devons je pense, à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, être proactifs et prosélytes.

M. Hervé Maurey, président. - À la suite de la table ronde que nous avions organisée l'année dernière, nous étions convenus de la nécessité d'organiser un meilleur suivi au sein du Parlement et de notre commission, de la manière dont on est susceptible d'atteindre ces objectifs du développement durable. Cela suppose un suivi au moment de la loi de finances. Aussi, le Bureau de la commission a chargé les rapporteurs pour avis de faire un point sur cette question.

J'ai participé au Forum de haut niveau qui s'est tenu à New York en juillet. J'y étais dans le cadre de l'Union interparlementaire (UIP), et non en tant que président de cette commission. Était également présent notre collègue Frédéric Marchand. Nous avons été choqués du peu de cas que la déléguée interministérielle au développement durable a fait de la présence de parlementaires. Il n'y avait aucun parlementaire dans sa délégation. En outre, nous n'avons eu quasiment aucun contact. On ne peut pas à la fois vouloir sensibiliser les parlementaires à ces sujets, à la nécessité de travailler davantage au suivi et à la mise en place de ces objectifs, et nous traiter de manière aussi inconvenante.

M. Ronan Dantec. - Il y a un enjeu énorme sur les parlementaires. Il faut utiliser l'Union interparlementaire. L'UIP avait réalisé un travail sur le climat à travers l'analyse des politiques publiques législatives. J'ai l'impression que ce travail a été abandonné. Je souhaite que la France relance un travail de comparaison des grandes politiques législatives relatives au climat et aux objectifs de développement durable. On a besoin de voir ce qui marche. Or, on compare très peu.

M. Hervé Maurey, président. - L'UIP est très investie sur les objectifs de développement durable. Il y a des conférences par zone géographique. L'une d'entre elles se tient au mois de novembre à Jérusalem pour ce qui concerne la zone géographique de ce qu'on appelle les « 12 plus ». J'y serai à ce titre.

Mme Michèle Vullien. - Je souhaite participer au groupe de travail « Climat et ODD ».

Désignation d'un rapporteur

M. Hervé Maurey, président. - Un rapporteur doit être nommé pour la proposition de loi portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires. Nous avons reçu la candidature de Louis-Jean de Nicolaÿ.

Il en est ainsi décidé.

Projet de loi de finances pour 2019 - Désignation d'un rapporteur pour avis

Notre collègue Jean-Claude Luche nous a indiqué ne pas être en mesure cette année de présenter son rapport pour avis sur les mesures fiscales du projet de loi de finances relatives à l'environnement et à l'énergie. Je vous propose pour le remplacer la candidature de Jean-François Longeot.

La commission désigne M. Jean-François Longeot. (Union centriste) en remplacement de M. Jean-Claude Luche (Union centriste) en tant que rapporteur pour avis sur les mesures fiscales du projet de loi de finances relatives à l'environnement et à l'énergie.

Questions diverses

M. Jean-François Longeot. - Je viens d'être sollicité par un hebdomadaire national. Ils ont eu connaissance du rapport de l'ANSES sur l'interdiction des cabines UV. J'ai rappelé, qu'en 2015 l'ensemble des membres de cette commission, à l'unanimité, tous groupes politiques confondus, avait adopté cet amendement, que j'avais proposé en tant que rapporteur pour avis sur la loi de modernisation de notre système de santé. Aujourd'hui, on s'aperçoit de la dangerosité de ces cabines. J'ai indiqué que je reparlerai de ce sujet et que je redéposerai un amendement.

La séance est levée à 11h45.