Mercredi 19 septembre 2018

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Audition de Mme Véronique Bédague-Hamilius, MM. Ross McInnes et Frédéric Mion, co-présidents du Comité action Publique 2022

M. Vincent Éblé, président. - Mes chers collègues, nous reprenons nos réunions en examinant un très beau thème. Nous recevons Mme Véronique Bédague-Hamilius, M. Ross McInnes et M. Frédéric Mion, co-présidents du Comité Action publique 2022 (CAP 22), pour évoquer les travaux de ce comité, dont l'importance nous avait été confirmée par le Gouvernement lors de l'examen de la dernière loi de programmation des finances publiques. Ces réflexions devaient permettre, après arbitrages gouvernementaux, de dégager des économies structurelles correspondant à la trajectoire annoncée pour nos finances publiques à l'horizon de 2022.

Notre collègue Christine Lavarde représentait le Sénat dans ce comité.

Les travaux de CAP 22 ont été nombreux, mais, malheureusement, peu transparents. En juillet dernier, alors que se tenait au Parlement le débat d'orientation des finances publiques, aucune information n'avait été délivrée aux parlementaires, de même, semble-t-il, qu'aux membres du comité. La presse commençait pourtant à distiller certains contenus du rapport. Le manque de transparence à l'égard de la représentation nationale est arrivé au point que le rapporteur général et moi-même avons dû invoquer, à la mi-juillet, les pouvoirs de la LOLF pour obtenir du Premier ministre la transmission du rapport, ce qui est assez inédit pour un processus censé réformer l'action publique.

Votre présence aujourd'hui était donc attendue, madame, messieurs, et je sais que vous aurez à coeur de nous présenter la manière dont le comité a travaillé et les conclusions auxquelles il est parvenu, au moment où le Gouvernement s'apprête à présenter le projet de loi de finances pour 2019, contenant, sans doute, plusieurs mesures inspirées de vos propositions.

M. Frédéric Mion, co-président du Comité Action publique 2022. - Avant d'évoquer la méthode suivie et les conclusions du comité, comme vous nous avez invités à le faire, monsieur le président, quelques remarques liminaires pour préciser la singularité de notre travail et de la mission qui nous a été confiée.

Vous avez indiqué que les travaux de CAP 22 devaient déboucher sur des propositions d'économies budgétaires importantes. C'est exact, mais ce n'est pas l'élément essentiel qui les a guidés. Il nous a été demandé de nous interroger sur l'amélioration des conditions de délivrance du service public, la restauration de la confiance des usagers et l'amélioration des conditions de travail des agents, ce qui pouvait nous conduire à repérer des gisements d'économie.

Le périmètre de notre mission couvrait l'ensemble des administrations publiques : administration centrale, collectivités territoriales, organismes de sécurité sociale et hôpitaux. C'est, je crois, une originalité par rapport aux précédentes entreprises de réforme de l'État.

Le comité était constitué de quarante-quatre personnalités aux profils divers. Aucun de ces membres n'a été convié au titre d'une expertise approfondie dans un domaine particulier, ce qui explique que nous nous soyons attachés à définir l'esprit et la méthodologie globale de la réforme, plus qu'à entrer dans un luxe de détails.

Nos travaux ont été rythmés par des échanges très réguliers avec les ministres, leurs principaux collaborateurs et les directeurs d'administration centrale, eux-mêmes chargés d'établir une feuille de route, ce qui a permis d'affiner les propositions au fil du temps. C'est pourquoi bon nombre des mesures annoncées depuis quelques semaines par le Gouvernement sont le fruit de nos préconisations.

Mme Véronique Bédague-Hamilius, co-présidente du Comité Action publique 2022- Plusieurs convictions nous ont animés.

Première conviction, le développement du digital nous offre l'opportunité d'améliorer la qualité du service public et les conditions de travail des agents, tout en dégageant des économies. Par la numérisation de certaines tâches répétitives ou de contrôle, il est notamment possible d'amener les agents vers des missions de conseil aux citoyens. C'est une chance historique à saisir !

Deuxième conviction, ce sont les réformes qui feront naître les économies, et non l'inverse. Il nous semble donc préférable de concevoir des réformes, plutôt que de recourir, comme cela se fait depuis des années, à des techniques de « rabot » ne faisant que dégrader la qualité de service et les conditions de travail des agents.

Troisième conviction, la transformation très rapide de l'environnement - numérique, démographique, social, etc. - entraîne une évolution importante des attentes des citoyens, en particulier en termes de personnalisation, transparence ou co-construction du service public. En outre, le niveau de la dépense publique n'est plus soutenable à long terme.

Dernière conviction, née au fil de nos travaux collectifs, le service public est un facteur de réduction des inégalités et un élément d'attractivité des territoires. Par conséquent, notre volonté de réforme ne se traduit par l'abandon d'aucun pan du service public.

Mes collègues vont se charger de vous présenter l'essentiel de nos propositions.

Certaines tendent à changer de modèle : en passant de la défiance - qui conduit à des comportements alourdissant l'action publique - à la confiance ; en passant d'une organisation verticale à l'autonomie des managers - un mouvement traversant l'ensemble des organisations - ; en passant de l'opacité sur la performance à la transparence ; en recentrant les administrations centrales sur leurs missions de conception de la stratégie et de contrôle.

D'autres propositions visent à atteindre des objectifs majeurs. Il faut clarifier certains systèmes devenus trop complexes pour être compris par les citoyens, qui, de ce fait, les considèrent comme injustes ou inéquitables. Il convient également d'améliorer la qualité du service public et de s'appuyer sur le numérique.

Enfin, certaines de nos propositions ont pour but d'éviter des dépenses publiques inutiles.

S'agissant de la première catégorie, « changer de modèle », nous souhaitons insister sur quatre préconisations du rapport qui, d'après nous, en constituent le coeur.

Première proposition : refonder l'administration autour de la confiance et de la responsabilisation. Notre administration est extrêmement centralisée, notamment l'administration d'État, et le cadre budgétaire proposé aux managers publics est déresponsabilisant. Comment un manager peut-il réformer lorsqu'il ne connaît pas réellement le budget qui lui est alloué ou qu'il dispose d'une marge de manoeuvre très réduite en matière d'allocation de ses moyens ? Les dispositifs de contrôle a priori et a posteriori sont également trop lourds. D'après nous, aucune réforme durable de l'administration publique n'est possible si l'on ne remet pas les managers au coeur de l'action publique, d'où l'idée de recentrer les fonctions de stratégie et de contrôle sur l'État, en confiant l'exécution à des entités ou des équipes autonomes en termes de gestion.

Ensuite, bâtir un nouveau contrat social entre l'administration et ses collaborateurs. Ce nouveau contrat irait de pair avec l'orientation précédente. Nous recommandons plus de souplesse sur le terrain, avec, notamment, le recours à des contrats privés, l'allégement des commissions administratives paritaires centrales ou l'enrichissement du dialogue social.

Investir dans le numérique. À nouveau, ce levier essentiel permet d'automatiser certaines opérations mécaniques, de personnaliser le service et d'améliorer la satisfaction de l'usager.

Assurer le dernier kilomètre du service public. Nous recommandons une vigilance particulière sur le fait que le service public soit bien rendu sur l'ensemble du territoire, notamment via des maisons du service public nouvelle génération.

Dans l'esprit de ces quatre propositions, le Gouvernement a déjà mis en oeuvre plusieurs actions par la loi pour un État au service d'une société de confiance ; avec l'élaboration de plans de transformation numérique ; avec les deux circulaires du 24 juillet 2018 - la circulaire relative à l'organisation territoriale des services publics et la circulaire relative à la déconcentration et à l'organisation des administrations centrales - ; avec le lancement de l'opération « carte blanche » à Cahors ; par l'affichage d'indicateurs de résultats pour des services publics ; avec le travail en cours sur le nouveau contrat social.

M. Ross McInnes, co-président du Comité Action publique 2022. - Avant d'aborder la présentation plus détaillée des mesures - je ne les égrènerai pas toutes -, je tiens à m'associer aux propos de mes collègues : l'objectif est loin d'être uniquement budgétaire et, effectivement, nous sommes parvenus à la conclusion que le service public constituait un élément très fort d'attractivité du territoire.

Le Gouvernement a annoncé, hier, un plan santé. L'absence de coordination entre hôpital et médecine de ville est, selon nous, préjudiciable sur le plan de la qualité et source de dépenses inutiles. Nous préconisons la réduction du nombre de lits par habitant et la promotion de l'ambulatoire. Sur un budget de 200 milliards d'euros, l'amélioration de l'efficience et du service rendu au patient pourrait s'accompagner d'environ 5 milliards d'euros d'économies.

Au niveau du système éducatif, nous devons passer d'une culture de moyens à une culture de résultats. Les professeurs passent leur temps à noter les élèves, mais refusent de l'être eux-mêmes : une culture de l'évaluation doit être mise en place. Il faut aussi responsabiliser les chefs d'établissement, notamment en leur donnant le choix de l'équipe pédagogique, réviser la formation initiale des enseignants et instaurer des obligations de formation continue de qualité et hors année scolaire. Ces mesures ont d'ores et déjà été annoncées. Dans ce domaine, nous n'envisageons aucune mesure d'économie.

S'agissant de l'enseignement supérieur, les résultats sont affligeants et nous ne parvenons pas à recruter les compétences de pointe dont nos entreprises ont besoin. Il faut donc poursuivre l'autonomisation des universités engagée par Valérie Pécresse et piloter la recherche par contrat.

Le constat est également affligeant en matière de logement. Alors que l'aide au logement représente 2 % de notre PIB, contre 1 % chez nos voisins européens, les coûts de construction sont en hausse de 30 %. Nous proposons d'octroyer à l'intercommunalité la compétence pour les permis de construire, de fluidifier l'accès au logement social et de transformer le statut des bailleurs sociaux en société anonyme.

Face au labyrinthe des dispositifs sociaux, nous préconisons la simplification. Nous devons aller vers une allocation sociale unique, avec des incitations au retour à l'emploi.

Je ne m'attarderai pas sur la réduction des délais de jugement, récemment évoquée par la ministre, et sur l'amélioration du taux d'exécution des peines, par la multiplication des dispositifs permettant de lutter contre la surpopulation carcérale.

Pour tendre vers une administration fiscale et des organismes de prélèvements sociaux plus économes, nous pourrions nous appuyer sur le numérique, mais aussi, d'après nos estimations, dégager 1 milliard d'euros d'économie en simplifiant les mécanismes de recouvrement.

À l'issue de ces travaux, nous avons été invités à organiser des ateliers entre les membres du comité et les ministères pour chaque politique publique. Les réformes annoncées ou en préparation reprennent certaines de nos propositions.

Dans notre présentation, nous avons intégré deux exemples de réformes ministérielles engagées à la suite de ces ateliers. Au ministère de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin et Olivier Dussopt ont annoncé plusieurs mesures en juillet, comme l'unification progressive des réseaux de recouvrement, la suppression de certaines petites taxes ou l'accélération du saut technologique à Bercy. Au ministère du travail, un renforcement de la coordination entre les différents acteurs du service public de l'emploi est envisagé.

M. Frédéric Mion. - Je conclurai en évoquant nos propositions transversales concernant l'organisation des administrations publiques, en particulier celle qui concerne la suppression des doublons, encore constatés, entre les services préfectoraux et les collectivités territoriales. Dans la lignée de nos préconisations, le Gouvernement a par ailleurs annoncé des mesures complémentaires en matière d'organisation territoriale de l'action publique.

M. Vincent Éblé, président. - Cette présentation, très éclairante, n'est pas inutile car, de notre débat sur la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, nous avions tiré un sentiment un peu différent. Le ministre nous avait effectivement indiqué qu'il attendait l'éclairage de votre comité pour savoir par quels modes opératoires seraient dégagées les économies attendues ; vous nous expliquez aujourd'hui que la recherche d'économies n'est pas l'objectif : il y a là une petite contradiction que je ne peux m'empêcher de relever !

Pouvez-vous illustrer par des exemples concrets deux des préconisations de votre rapport ? Ainsi, quelles missions de l'État pourraient-elles être confiées à des agences ou au secteur privé comme vous le recommandez ? Quels services publics pourraient faire l'objet d'un paiement direct par l'usager ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je tiens à saluer le travail du comité, notamment le fait que le périmètre complet des administrations a été couvert et que, si certains points traités sont classiques, d'autres sont plus inattendus. Certaines propositions rejoignent celles que la commission des finances formule depuis plusieurs années, par exemple sur l'inefficacité de certains dispositifs dans le domaine du logement ou sur le constat de l'inefficacité de la technique du rabot.

J'ai plusieurs questions à vous soumettre. Vous chiffrez des économies, mais vous préconisez parallèlement des évolutions, comme l'amélioration de la prise en compte du handicap ou de la dépendance, qui engendreront des dépenses nouvelles : celles-ci ont-elles été intégrées dans vos chiffrages ? Des préconisations -  par exemple, l'évolution du mode de prise en charge à l'hôpital, par exemple - nécessiteront d'augmenter les dépenses à court ou moyen terme. La situation actuelle de la France, dont le déficit va repartir à la hausse et qui est le seul pays européen à continuer à s'endetter, nous permet-elle d'envisager de telles dépenses ? Par ailleurs, vous n'avez absolument pas évoqué le régime des retraites et n'avez formulé aucune proposition de réduction de la masse salariale de l'État, qui est pourtant son premier poste de dépenses. Était-ce hors champ de notre saisine ? Enfin, une question un peu provocatrice : avez-vous obtenu l'assurance, au démarrage de vos travaux, que ceux-ci ne finiraient pas comme la révision générale des politiques publiques, la RGPP, ou la modernisation de l'action publique, la MAP ?

Mme Christine Lavarde. - Permettez-moi de poursuivre dans cette ligne un peu provocatrice, en évoquant la forme de nos travaux... N'avez-vous pas eu le sentiment que nous avons travaillé avec un chausse-pied, dans le cadre d'un calendrier très serré ? Des échanges réguliers avec les membres du Gouvernement ou leurs conseillers ont été mentionnés : qu'en est-il de l'indépendance du comité ? Le rapport définitif, synthèse de la synthèse des contributions rédigées par les différents sous-groupes de travail, reflète-t-il bien toutes les propositions avancées ? N'aurait-il pas été préférable de rendre public le contenu complet de ces travaux ?

M. Vincent Delahaye. - La proposition visant à assurer le dernier kilomètre du service public dans un monde numérique est-elle une simple mesure d'affichage ? Si tel n'est pas le cas, que se cache-t-il derrière ce slogan, qui me paraît trop ambitieux ? Quel service public promet-on dans ce dernier kilomètre ? Peut-on avoir plus de précisions sur les préconisations concernant le service audiovisuel ? Enfin, étant rapporteur spécial avec mon collègue Rémi Féraud de la mission « Action extérieure de l'État », je me suis intéressé plus particulièrement à ce domaine : avez-vous étudié le service rendu à nos compatriotes - souvent avec plus d'efficacité et dans de meilleurs délais - à l'étranger ? Est-ce un oubli de ne pas avoir mentionné la réduction de la masse salariale des agents travaillant à l'étranger, mesure pourtant évoquée par le ministre ?

Mme Sylvie Vermeillet. - S'agissant de la suppression des petites taxes, a-t-on ciblé certaines taxes collectées par les collectivités territoriales ? Si oui, des compensations sont-elles prévues ? Dans le domaine de la santé, pour lequel vous invoquez une meilleure coordination des acteurs entre médecine de ville et hôpital, avez-vous songé à supprimer les agences régionales de santé, dont l'inefficacité est démontrée ? Par ailleurs, j'ai bien entendu les propositions de Mme Agnès Buzyn sur le déploiement du numérique, mais le « e-bouche-à-bouche » et le « e-massage cardiaque » ont tout de même des limites ! Pouvez-vous enfin préciser ce que recouvre la suppression des niches sociales et fiscales inefficaces ?

M. Ross McInnes. - Les retraites et le traitement du chômage n'entraient pas dans le périmètre de notre mission. Par ailleurs, certaines évolutions, comme le développement du numérique, exigeront effectivement des investissements. Chaque fois que nous avons pu fournir un chiffrage ou établir un solde, nous l'avons fait. C'est le cas pour la suppression des petites taxes ou la réduction de certaines aides aux entreprises qui se révèlent inefficaces. S'agissant de notre proposition de faire payer certains services publics, je peux citer l'exemple des contrôles sanitaires : pourquoi ne pas demander une contribution des entreprises, dès lors que ces contrôles, en améliorant la crédibilité de la filière, constituent une aide à l'exportation ? De même, certains services consulaires sont gratuits, alors qu'ils s'adressent à des citoyens ne payant pas d'impôt en France. On peut également penser, en matière de transports, aux péages urbains pour supporter les coûts cachés de la pollution.

M. Frédéric Mion. - Les économies budgétaires ont bien fait partie de nos réflexions, mais ce n'était pas le point d'entrée unique de nos travaux pour la transformation de l'action publique. Les questions de Mme Lavarde traduisent sans doute sa perception de l'intérieur, pour la partie des travaux qu'elle a suivis. Le calendrier très serré relève d'un choix du Gouvernement, que je ne commenterai pas. Mais lorsque l'on réforme, mieux vaut ne pas commencer par deux ou trois années de réflexion si l'on veut conserver un certain élan. De ce point de vue, le Gouvernement a montré son sérieux pour réformer l'administration publique.

Le rapport connaîtrait le même sort « funeste » que la RGPP ou la MAP ? Après les récentes annonces du Gouvernement, je me réjouis de constater que nos propositions ne sont pas dénuées d'utilité...

Vous m'interrogez sur l'indépendance de nos travaux. Nous avons voulu, choix méthodologique fort, une réflexion qui ne soit pas hors sol, grâce à un dialogue fructueux avec les ministères, qui ont la connaissance la plus intime des politiques et des contraintes de l'action publique - plutôt que des préconisations ambitieuses dans tous les sens.

Nos travaux reflètent-ils les convictions des quarante-quatre membres de notre groupe ? La réponse négative est dans la question : chacun aurait des nuances personnelles à apporter, ligne par ligne. Nous avons choisi de publier un rapport ramassé, focalisé sur quelques gros objets de réforme. Il n'entre pas dans les détails de sous-mesures par politique publique, et ne rend pas compte de la richesse des débats du groupe de travail. Des arbitrages ont conduit in fine à un consensus ; certes, la méthode était probablement perfectible, mais elle n'a pas failli au regard de la mission qui nous était confiée.

L'essentiel de nos préconisations sur l'audiovisuel public ont été reprises par le Gouvernement, notamment pour mutualiser les réseaux locaux de l'audiovisuel public, avec le rapprochement entre France 3 et France Bleu. Toutes les chaînes de télévision nationales n'ont pas besoin de diffusion hertzienne - et notamment France 4. Concentrons les moyens sur la production de contenu et la diversité de l'offre.

Sur le paiement des services offerts aux expatriés par les services extérieurs de l'État, la France est bien plus généreuse que les autres pays. Or ces services sont beaucoup plus coûteux lorsqu'ils sont fournis à l'étranger, avec des régimes d'expatriation du personnel. Ce surcoût pourrait être à la charge du bénéficiaire pour certains services. Le Quai d'Orsay répartit ses emplois poste par poste, selon les situations locales, qui sont souvent le fruit de l'histoire - ce n'est pas optimal pour l'action extérieure de l'État. Le Gouvernement a choisi le coup de rabot, en réduisant les crédits pour la masse salariale du ministère des affaires étrangères de 10 à 15 % - mieux vaudrait une répartition fine des effectifs.

Mme Véronique Bédague-Hamilius. - S'agissant, des agences, nous avons peut-être mal choisi le terme. Il ne renvoie pas à une privatisation, ces agences ne sortiraient pas de la division d'un ministère, mais elles auraient une équipe avec un mandat dans la durée, des objectifs, une visibilité sur les moyens annuels et bénéficieraient d'une fongibilité des crédits, sans autonomisation juridique. La direction resterait au sein de l'administration centrale mais aurait la liberté sur les moyens de mise en oeuvre de la politique. Le mode de management des directeurs d'administration centrale est actuellement très contraint par le fonctionnement quotidien. Et il faudrait supprimer le contrôle a priori.

M. Jean-François Rapin. - Ma première question est politique et rejoint les interrogations d'Albéric de Montgolfier et de Christine Lavarde, sur l'avancement du plan et les relations avec le Gouvernement. Lors de cette rentrée, le Gouvernement annonce ses plans, et nous remarquons des éléments conjoints avec vos propositions. Nous supposons que le travail a donc été réalisé en parallèle. Plus de transparence aurait permis d'anticiper les mesures, notamment le plan santé, pour lequel tout reste à faire, puisque les négociations conventionnelles n'ont pas encore été entamées. C'est dommage, alors que le comité Action publique 2022 et le Gouvernement ont partagé ces informations.

J'aurai deux questions plus techniques : la proposition n° 9 consiste en un assouplissement du dispositif de gestion des ressources humaines pour les enseignants-chercheurs. Notre commission des finances a également relevé le déficit de mobilité des chercheurs, notamment dans la seconde phase de leur parcours. Comment améliorer cette mobilité essentielle pour la recherche, notamment entre le secteur public et le secteur privé ?

Nous partageons votre analyse selon laquelle le financement des opérateurs de recherche doit être plus incitatif. Comment organiser cette incitation, notamment au travers des appels à projet nationaux ? S'agit-il plutôt de substitution, de transformation ou d'abondement du budget ?

M. Jérôme Bascher. - Pouvez-vous transmettre à notre commission les fiches détaillées ayant conduit à ce rapport afin que nous puissions travailler sur les pistes d'économies dont la France a besoin ?

Malgré les économies - surestimées - que vous proposez, vous ne répondez pas complètement à la mesure de l'enjeu.

La proposition n° 21 est de mutualiser davantage les achats publics. Avez-vous tous, dans vos fonctions, fait de l'achat public ? Si vous mutualisez des achats pour des kilomètres de route par exemple, vous perdez de l'argent. Seulement deux à trois entreprises répondent, et à un prix largement supérieur au marché. La plupart des communes n'ont pas intérêt à mutualiser - même si c'est plus compliqué techniquement. Par ailleurs, les techniques permettant cette mutualisation sont absentes de la législation. J'ai moi-même présidé une des deux agences d'achat public local. Actuellement, il n'y a pas de volonté publique de mutualiser.

Dans la proposition n° 16 sur la lutte contre la fraude, vous évoquez le « zéro cash ». Est-ce vraiment là qu'est le problème ? La fraude touche surtout le commerce électronique... Nous avons abordé ce sujet lors d'un récent déplacement en Autriche pour une conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne ; les fraudes ne se font plus seulement classiquement par un carrousel de TVA, mais par le e-commerce. Vos propositions sont très portées sur le numérique mais elles sont aussi très « ancien monde ».

M. Didier Rambaud. - Vous évoquez les petites taxes à faible rendement. Dans quelques semaines, pour l'examen du projet de loi de finances, nous subirons le lobbying de ceux qui paient les petites taxes. Combien sont-elles, et combien rapportent-elles ?

La proposition n° 18 sur l'organisation territoriale est de supprimer des doublons et clarifier des compétences. Avez-vous réfléchi à un nouveau big-bang territorial ou seulement à de petits ajustements paramétriques ?

Je ne comprends pas votre proposition de mutualiser au niveau départemental tout ce qui touche au collège ; c'est déjà une compétence départementale !

M. Pascal Savoldelli. - Merci de ce travail. Le sujet est vaste, ne tombons pas dans la sécheresse du propos même si nous devons être concis...

Vos travaux accompagnent, voire prolongent le mouvement de réforme actuel, avec la réforme du code du travail, les projets de loi PACTE et ELAN, les propositions sur la santé... Selon vous, notre secteur public est financé monétairement en partie par le PIB du secteur marchand - c'est une analyse très libérale et largement partagée. Mais qu'apporte la dépense publique comme valeur ajoutée et de valorisation du capital ? J'approuve votre intérêt pour l'attractivité du service public, mais elle ne suffit pas : on peut être attractif uniquement sur un secteur, comme le tourisme. J'aimerais savoir si le service public est producteur de valeur monétaire et de richesse. On risque certes de réduire la dépense publique, mais aussi de transférer sa valeur marchande.

Évaluer les services publics et leur efficience est très intéressant, mais selon quels critères - économiques, sociaux, environnementaux ? Jouez cartes sur table ! C'est cela qui intéresse nos concitoyens.

Élus locaux et détenteurs d'un mandat national, nous nous sommes déjà interrogés sur le paiement direct par l'usager. On est en train de développer les agences, comme les Agences régionales de santé (ARS). Avez-vous d'autres exemples ? Quelle que soit la couleur politique du maire, du président de conseil départemental ou régional, il administre sur des critères de droit commun. À partir du moment où il demande le paiement d'un service, n'est-ce pas un élément de rupture de la fonction républicaine ?

M. Thierry Carcenac. - Comment appréciez-vous l'action budgétaire dans ce système, lorsque les moyens sont rares ? La LOLF - et notamment ses éléments les plus positifs - a disparu...

Selon vous, quelle est la place des secrétaires généraux des ministères, qui sont, avec le directeur de cabinet, des relais de la réforme de l'action publique ? Quel regard portez-vous sur la direction interministérielle de la transformation publique et les marchés récemment lancés auprès de cabinets privés pour la réforme de l'État, et pour des sommes très importantes ?

Des investissements importants ont été réalisés dans le numérique, notamment à la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et pour la mise en place de l'Opérateur national de paie (ONP). Mais des difficultés ont été rencontrées avec des opérateurs en interne, voyez l'échec de Louvois. Vous dites aussi que des agences pourraient rester en interne.

Mme Véronique Bédague-Hamilius. - Elles le restent.

M. Thierry Carcenac. - L'Agence France Trésor reste au sein du ministère.

Mme Véronique Bédague-Hamilius. - Tout à fait.

M. Thierry Carcenac. - Mais en même temps vous considérez dans le rapport qu'une externalisation pourrait être plus favorable au citoyen. Mais jusqu'où ? Enfin, quelles externalisations envisagez-vous ? La récente réforme de la délivrance des cartes grises et bientôt l'externalisation d'autres services, contre paiement, conduit à une substitution du rôle de l'État qui intervenait gratuitement. Certes, il y a eu des progrès, le numérique doit se développer aussi, mais quel contrôle doit être exercé ?

M. Dominique de Legge. - Cela fait longtemps qu'on parle de réforme de l'État. Quoi de neuf dans vos treize propositions ? Retarder la dépendance, loger mieux, simplifier les dispositifs sociaux... Merci, j'ai l'impression d'avoir rajeuni de quinze ans !

La dématérialisation est certes sympathique, mais lorsqu'elle ne fonctionne pas, cela devient de la déshumanisation : souvenez-vous de Louvois, des logiciels pour les cartes d'identité ou les cartes grises... Et lorsque vous appelez la préfecture, vous tombez sur un disque annonçant que la communication est payante. Si vous faites payer l'usager, réduisez la facture du contribuable ! Nous avons connu le feuilleton du prélèvement à la source, focalisant sur le moyen, et non sur le montant et l'assiette de l'impôt. Une vraie réforme porterait non sur les moyens de gestion, mais sur la remise en cause des politiques.

Faut-il conférer l'exécution aux agences ? Je ne suis pas satisfait de votre réponse. Les ARS sont-elles selon vous un exemple d'efficacité, de simplification et de transparence ?

M. Frédéric Mion. - Le choix de ne pas publier le rapport est une prérogative, souveraine, du Gouvernement. Il lui appartient d'utiliser ce rapport - tout comme nos travaux préparatoires au rapport - comme il le souhaite. Je vous renvoie à la question de Mme Lavarde : ce rapport est global. Le Gouvernement a choisi de s'inspirer directement de nos travaux pour annoncer des séries de réforme depuis le début de l'été. Nous avons des raisons d'espérer ; nos travaux servent à quelque chose...

Nous voulons encourager la mobilité des carrières des enseignants chercheurs, qui est très limitée actuellement. Cela passerait par des dispositifs incitatifs dans la gestion des carrières, et la non pénalisation des allers-retours entre secteur public et secteur privé - notamment lors du retour dans l'administration. Il n'y a pas d'économies à faire dans le secteur de la recherche, au contraire. Elle est plutôt sous-financée par rapport aux autres pays.

Nous n'avons pas évoqué la mutualisation des achats entre collectivités pour des travaux routiers, mais pour certains achats départementaux tels que pour les équipements des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) qui peuvent connaître des spécificités techniques qui varient d'un département à l'autre, empêchant ainsi toute économie d'échelle. On peut encore citer les flottes d'hélicoptères pour les forces de sécurité.

M. Jérôme Bascher. - C'est une erreur monstrueuse selon moi, que j'avais choisi de ne pas soulever...

M. Frédéric Mion. - Merci de votre pudeur. Nous avons échangé avec les services concernés. Nous avons été des acheteurs publics - et je le suis encore. Nous ne prétendons pas détenir la vérité mais nous soumettons nos propositions au débat. Si certaines propositions sont erronées, gageons que le Gouvernement ne s'y engagera pas.

Nous n'avons pas raisonné en clivage ancien-nouveau monde, je ne comprends pas en quoi cette critique nous serait valablement faite...

M. Ross McInnes. - Nous ne prétendons pas que le cash serait la seule source de fraude, mais c'en est une... Le « zéro cash » supprimerait les espèces, les chèques, les timbres fiscaux et sociaux : elle favoriserait aussi la simplification et la réalisation d'économies. De ces réformes qui conduiraient à des économies, nous nous attachons d'abord à l'amélioration du service rendu à l'usager.

Nous avons identifié 80 petites taxes, pour un total de 2,7 milliards d'euros. Le Gouvernement tranchera sur ce sujet. De même, il peut décider des exonérations pour certains secteurs, comme l'agriculture avec la taxe sur le gazole.

Notre préoccupation, c'est le service du public, qui doit être de qualité. Peu importe qui le rend. Pourquoi des infirmiers de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) devraient avoir un statut alors que des infirmiers prodiguant le même service, de même qualité, dans un groupe mutualiste, n'en ont pas ? Ce qui compte est le patient, la qualité, le coût pour la collectivité. Martin Hirsch nous confiait ne pas arriver à recruter car il n'avait aucune marge de manoeuvre sur les profils recrutés et la grille salariale, à la différence de la Générale de santé, qui embauche la plupart des infirmières...

Voyez également la différence des coûts d'inscription dans les écoles secondaires publiques et privées. Les Français votent avec leur pied, en allant vers le secteur privé lorsqu'ils ne sont pas satisfaits du secteur public. À nous de réformer le secteur public pour qu'il soit attractif.

Y a-t-il une rupture d'égalité républicaine ? Le principe pollueur-payeur fait l'unanimité, le principe utilisateur-payeur peut se développer sur le même modèle...

M. Philippe Dallier. - La politique sur le logement fait l'objet de toutes les attentions. En 2018 le nombre de logements construits diminuera, et ce sera pire en 2019-2020. Vous préconisez la fiscalisation de la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), qu'en attendez-vous, sauf à vouloir la mort du paritarisme ? Et comment garantir ensuite que les sommes reviennent bien à la politique du logement ? Il y a beaucoup de critiques sur Action logement, mais une réforme a déjà réduit le nombre de collecteurs de 100 à 25. Certes, Action logement doit réorienter ses crédits. Qu'attendez-vous de cette fiscalisation ?

Je suis totalement opposé à faire disparaître les aides personnelles au logement dans une allocation unique. Certes, nous n'avons jamais la garantie que cette aide serve à payer un loyer, mais dans le privé, si le loyer n'est pas payé, elle est coupée, et sinon, ce sont les bailleurs sociaux qui la perçoivent. C'est une fausse bonne idée, et la Fondation Abbé Pierre et d'autres associations ont sonné l'alarme. L'enveloppe pour la totalité des propositions est de 3 milliards d'euros, c'est déjà ce que vient de faire l'État avec 1,5 milliard d'euros pris dans la poche des bailleurs sociaux, et 1 milliard d'euros à venir avec la contemporanéité des revenus pour le calcul des aides personnelles au logement... Croyez-vous qu'on construira ainsi plus de logements dans ce pays ? Par ailleurs, M. McInnes, on peut aussi être un maire bâtisseur et être élu quatre fois de suite - il faut vous poser la question de la légitimité démocratique... Quand la commune sera totalement transférée à l'intercommunalité, la France n'y aura pas gagné grand-chose...

Mme Sophie Taillé-Polian. - Votre rapport est un projet global d'administration, qui a sa cohérence - même si je n'en partage pas la philosophie - mais sans pragmatisme.

Il veut dégager de la souplesse pour certains aspects de la gestion de l'action publique, et veut donner confiance aux manageurs par le recrutement de contrats à durée déterminée (CDD). Je serais plus encline à favoriser une logique de parcours, et à mettre fin aux blocages entre catégories A+, A, B... Certains postes sont cooptés au sein des grands corps, alors qu'ils pourraient être plus ouverts, non seulement aux personnes issues du privé, mais aussi à celles ayant une grande expérience au sein du secteur public.

Vous prônez plus de souplesse du service public avec la création d'agences mais aussi le développement de la logique d'indicateurs qui me semble rigide, et donne une vision quantophrénique - pour reprendre l'expression d'un sociologue - de l'administration, avec de multiples effets pervers. Des indicateurs, certes intelligemment conçus, avec des objectifs bien définis, peuvent orienter l'action de l'administration, mais celle-ci a surtout besoin de souplesse. Au lieu de dégager de l'efficacité et des moyens, on en est réduit à faire du chiffre, comme dans la police, dans une logique bureaucratique kafkaïenne...Donnons plus de souplesse aux manageurs, alors que la mutualisation de l'action publique est très complexe, coûteuse et favorise les grands groupes. Elle n'est pas forcément efficace.

Rapporteure spéciale de la mission « Travail et Emploi » avec Emmanuel Capus, je m'interroge sur l'adaptation aux cycles économiques. Comment prévoir ces cycles ? Les effectifs de Pôle Emploi ont été réduits l'année dernière pour cette raison, or la baisse du chômage attendue n'est pas là. Augmenter le recours aux CDD renforce la précarité des agents, ce n'est pas une bonne logique humaine, surtout si l'on veut orienter Pôle Emploi sur les personnes les plus en difficultés. Celles-ci auraient en face d'elles des personnes précaires ? Ce n'est pas une bonne dynamique. Oui, il faut plus de moyens, centrés sur les personnes en difficulté. Mais faut-il réduire le service public à un « rôle croupion », tandis que le secteur privé avec une mission de service public récupèrerait toutes les missions qui rapportent ? Qui paierait la rentabilité du secteur privé : les salariés en recherche d'emploi ou les entreprises ?

M. Emmanuel Capus. - Vous proposez la création d'un chéquier d'évolution professionnelle, permettant l'accès aux différents services d'aide au retour à l'emploi, tout en profitant de la mise en concurrence des services. Quelles en seraient les modalités pratiques : l'ouverture d'un droit à service ou une valeur numéraire monétaire ? Comment seraient valorisés les différents services, et cela en limiterait-il le nombre ? Le Gouvernement étudie-t-il cette proposition ?

Comment, et avec quelle échelle, appréhendez-vous un meilleur service de proximité, notamment à travers la numérisation, pour ne pas laisser de côté les territoires ruraux ? Vincent Delahaye évoquait le dernier kilomètre...

M. Arnaud Bazin. - Le débat sur le « zéro cash » dans les relations entre l'administration fiscale et l'usager peut être légitime, mais vous l'envisagez globalement, dans toute la société. Je ne peux envisager de société sous l'oeil d'un contrôle numérique, et je crains des risques totalitaires. Nous serons très nombreux à nous y opposer.

M. Philippe Adnot. - Absolument !

M. Jean-Claude Requier. - La proposition n° 18 tend à supprimer les doublons entre l'État et les collectivités territoriales, et prévoit aussi de donner un plus grand rôle aux régions pour réorganiser les services de distribution d'électricité, sans plus de détail, ainsi que la rationalisation du Fonds d'aide aux collectivités pour l'électrification rurale (FACÉ), dont les investissements seraient contrôlés par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). J'y vois deux menaces : la maîtrise d'ouvrage des collectivités territoriales pourrait disparaître, et l'on pourrait aboutir à la fin de la péréquation : le FACÉ, créé en 1936, est alimenté par une contribution dont le taux est cinq fois plus élevé dans les communes urbaines, pour financer l'électrification des campagnes. Par ailleurs, ce serait un recul démocratique : alors que le FACÉ est un compte d'affectation spéciale (CAS) sous le contrôle du Parlement, la CRE est une autorité administrative indépendante. Ce fonds de 350 millions d'euros a toujours intéressé les gouvernements en période de restriction budgétaire, ils voulaient l'affecter à d'autres travaux.

M. Charles Guené. - Je travaille depuis 2004 sur les maisons de service au public. Je reste sur ma faim pour le « dernier kilomètre ». En interne, les administrations trouvent des solutions dans la trésorerie, la facturation. Quid de la présence publique sur ce dernier kilomètre ? Compte tenu des disponibilités des ressources et de la fuite des services dans des territoires en déshérence - ruraux comme urbains en difficulté - le poids des services publics par habitant est plus ou moins important. Qu'en est-il aussi de la fongibilité ? Nous avons besoin d'une fongibilité géographique, avec un maillage territorial et la mutualisation du personnel. Il faudra que les structures locales s'adaptent et de nouvelles mentalités des fonctionnaires...

Ces éléments seront-ils présents dans le rapport que les préfets devraient remettre mi-octobre ? Espérons que le résultat sera meilleur que les schémas d'accessibilité des services au public, qui sont un échec.

Mme Véronique Bédague-Hamilius. - Lors de notre première réunion, nous avons considéré qu'il fallait consolider les nombreuses réformes territoriales s'étant succédé, plutôt que de proposer une nouvelle réforme. L'État a toujours été réticent à abandonner des compétences au profit des collectivités territoriales, et ses services ont toujours des états d'âme sur leur positionnement.

Ayons confiance dans l'intelligence locale pour le dernier kilomètre. Dans mes précédentes fonctions, des ministères se réorganisaient localement, séparément, sans aucune autorité supérieure du préfet, aboutissant à l'addition de plans définis sans aucune concertation. Certains territoires étaient des « laissés pour compte » du service public.

Madame Taillé-Polian, nous avons toujours évoqué le CDI, la norme dans le secteur privé, et non le CDD. Bien sûr, les indicateurs ne sont pas l'alpha et l'oméga du service public - ni de l'entreprise - mais une base de discussion entre décideurs et leurs services. La vie bouge ! L'important est de débattre du résultat et des moyens pour l'atteindre.

Nous souhaitons faciliter la mobilité tant géographique que de métier des agents publics. Traverser un couloir pour changer de poste prend parfois des mois, car la procédure est hiérarchique. Il faut aussi accompagner ceux qui veulent changer de métier.

M. Ross McInnes. - Nous avons émis des propositions sur le « zéro cash », au Gouvernement de se positionner. Nous considérons qu'il faut le favoriser.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le plafond des règlements en espèces pour les finances publiques est déjà de 300 euros aujourd'hui.

M. Ross McInnes. - Tout ce qui peut être payé de manière dématérialisée doit l'être, comme ce qui est fait actuellement avec le timbre-amende. La faculté d'utiliser du cash doit être restreinte par simplicité, davantage que pour lutter contre la fraude. Il ne faut pas sur-interpréter la proposition.

M. Arnaud Bazin. - Dans les rapports avec l'administration c'est utile.

M. Ross McInnes. - Nous avons choisi l'angle de la qualité de service et de lutte contre la fraude, cela réduit également les coûts.

Les arbitrages du Premier ministre ne reprennent pas le chéquier d'évolution professionnelle ; mais une coordination renforcée s'impose, notamment pour partager les fichiers.

M. Frédéric Mion. - Je remercie chacun des membres de votre commission pour votre lecture très attentive du rapport.

M. Vincent Éblé, président. - Le Premier ministre, à la suite d'une question au Gouvernement posée par Christine Lavarde, nous avait répondu qu'il ne nous transmettrait pas le rapport, qui est un outil de travail pour le Gouvernement. Mais nous l'avons obtenu et nous pouvons produire notre propre réflexion, ce qui est notre rôle, pour mieux équilibrer ces propositions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, Éric Morvan, directeur général de la police nationale et Christian Rodriguez, major général de la gendarmerie nationale, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les équipements de la police et de la gendarmerie (acquisition et utilisation)

M. Vincent Éblé, président. - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission des finances en application de l'article 58 paragraphe 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur l'équipement des forces de l'ordre.

Nos deux forces de sécurité intérieure, la police et la gendarmerie nationales, ont connu ces dernières années des évolutions importantes qui ont fortement accru leur activité opérationnelle - les attentats terroristes, la crise migratoire ou encore la mise en place de l'état d'urgence. Cette forte mobilisation a entraîné une inflexion voire un changement de leurs missions et la mise en place de différents plans de renforcement : plans de lutte antiterroriste (PLAT), plan de lutte contre l'immigration clandestine (PLIC), pacte de sécurité publique.

L'équipement - automobile, protection, armement, habillement - étant central dans l'amélioration de la capacité opérationnelle de nos forces, le budget qui lui est consacré a fortement augmenté, notamment depuis 2015. Mais de nombreuses questions subsistent sur le niveau réel des équipements et sur l'efficacité de la chaîne « achat - équipement - logistique ». C'est pourquoi notre commission a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur les moyens d'équipement de la police et de la gendarmerie nationales.

M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - N'ayant pris mes fonctions qu'après la fin de ce travail, je tiens à souligner que tout le mérite en revient aux personnes qui m'accompagnent pour cette audition. L'enquête que je vous présente, dont le contour a été précisé au début de l'année 2017 avec le rapporteur spécial du budget de la mission « Sécurités », M. Philippe Dominati, se présente comme une analyse des processus d'achat des forces de sécurité intérieure.

Elle a mobilisé une équipe particulièrement nombreuse de la Cour des comptes, qui s'est rendue auprès des services compétents pour la réalisation de ces achats, mais aussi dans quatre secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (Sgami), de très nombreuses unités territoriales de police et de gendarmerie et les principaux établissements dépendant du service des achats des équipements de logistique de la sécurité intérieure. Le Centre de recherche, d'expertise et d'appui logistique (Creal) du Chesnay et l'Établissement central logistique de la police nationale à Limoges ont également été visités, ainsi que les principaux fournisseurs des forces de sécurité. L'équipe a travaillé sur des échantillons de marchés, et audité les systèmes d'information permettant de recenser - parfois avec difficulté - les achats réalisés ; enfin, elle a collecté des éléments de comparaison internationale.

L'enquête s'est déroulée dans de très bonnes conditions. Plus qu'un simple déroulé clinique des procédures d'achat, nous en avons retiré des connaissances approfondies sur les besoins de nos forces et les résultats des politiques menées. Nous avons également rencontré les organisations représentatives des personnels de police et des membres d'associations professionnelles de militaires de la gendarmerie nationale.

Vous avez, monsieur le président, rappelé que les attaques de 2015 avaient créé un contexte d'urgence. Deux autres éléments pèsent sur la procédure d'achat : le progrès technologique, qui implique un certain rythme de renouvellement, et les conditions opérationnelles d'exercice qui entraînent des besoins en matériel nouveaux.

Le contexte budgétaire, bien connu de votre commission, est un phénomène d'éviction des dépenses d'équipement, jusqu'au point bas atteint en 2012, où elles représentaient 1,1 % des crédits de la mission Sécurités. Les attaques terroristes de 2015 ont d'abord entraîné un considérable effort de rattrapage, la part des dépenses d'équipement remontant à 3 % en 2017, soit une augmentation de 180 %, de 132 à 372 millions d'euros. La mutualisation des équipements entre la police et la gendarmerie s'est accélérée, incarnée par deux institutions : le service de l'achat, de l'équipement et de la logistique de la sécurité intérieure (Saelsi) et les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur.

La Cour des comptes a souhaité évaluer l'impact de ces efforts de rattrapage et de mutualisation et les résultats de l'organisation mise en place en 2014. Elle a pour cela conduit un audit complet de la chaîne d'achat, de la reconnaissance et de l'identification des besoins à la mise à disposition des matériels concernés et au maintien en condition ; avec, entre les deux, la fonction achat proprement dite. Ces trois chaînons sont l'objet des trois principaux chapitres du rapport.

Nous avons circonscrit l'enquête à quatre catégories de matériel : les véhicules, les armements et munitions, les équipements de protection et l'habillement. Si le rapport ne porte pas de jugement sur le niveau d'équipement souhaitable des forces de sécurité et le caractère satisfaisant ou non de celui-ci, il met en évidence des lacunes persistantes sur lesquelles je reviendrai en conclusion.

Premier maillon de la chaîne, l'identification des besoins est essentielle dans le processus car elle permet la priorisation des achats et les arbitrages. Notre audit montre que ce dispositif a gagné en cohérence, limité les redondances ou différences inutiles entre forces, et permis de progresser dans la recherche délicate d'un équilibre entre la vision nationale des besoins et l'ajustement des équipements des structures territoriales. L'indispensable approche pluriannuelle des projets a progressé avec l'institution en 2016 de revues de projet.

Le dispositif reste néanmoins perfectible. Ainsi, le dialogue entre forces utilisatrices et services d'achat, à travers les retours d'expérience, pourrait être amélioré. Le dispositif d'identification et de remontée est parfois lourd et insuffisamment normalisé. Enfin, le processus d'identification des besoins doit inclure une réflexion sur les conséquences de l'intégration des nouveaux matériels. Ceux-ci doivent s'inscrire dans une doctrine d'emploi, un environnement opérationnel et une configuration des forces qui doivent être pris en compte dès le début. Autre nécessité, un approfondissement de la veille technologique et une association plus systématique du service de prospective, le centre de recherches et d'études des forces de sécurité. Il conviendrait de formaliser davantage le besoin de dotation théorique des unités, la formalisation étant actuellement plus avancée dans la gendarmerie que dans la police. Ainsi, la Cour des comptes recommande que dans le domaine sensible des véhicules, la réflexion soit davantage fondée sur une analyse des besoins que sur la simple logique de renouvellement : nous observons que le ratio entre les effectifs et les véhicules est plus élevé en France que chez nos plus grands voisins.

Deuxième maillon de la chaîne, le dispositif d'achat proprement dit. Dans ce domaine, les voies d'amélioration reposent sur des systèmes d'information fiables permettant de suivre l'état et l'affectation des matériels, pour avoir une vision claire de l'existant. Le traçage reste aujourd'hui difficile. Deuxième problème, l'absence de formalisation d'une stratégie d'achat au niveau ministériel, pourtant prévue dans le cadre de la politique d'achat définie par l'État. Au cours de son enquête et de ses échanges avec le ministère, la Cour s'est interrogée sur l'existence d'un véritable document synthétisant cette stratégie.

Au cours de la période 2014-2017, le rattrapage que j'ai mentionné s'est placé sous l'égide des deux premiers plans de lutte contre le terrorisme, qui prévoyaient un renforcement urgent des moyens. Or, menées dans un tel contexte, les procédures d'achat n'ont pas été mises en oeuvre avec la plus grande rigueur. Certes le code des marchés publics prévoit des dérogations dans le cadre de l'« urgence impérieuse », néanmoins, la Cour des comptes a parfois eu des difficultés à retracer les achats conduits pendant cette période. Si l'urgence excuse beaucoup, il convient, plus généralement, de professionnaliser les achats. Le niveau pertinent d'achat, entre le niveau central et celui des Sgami ou des régions de gendarmerie, mérite d'être précisé. Ainsi l'augmentation constatée, pour la dernière année faisant l'objet de la revue, des achats en région ne s'explique pas entièrement par un souci de répartition rationnelle. Cela a conduit la Cour des comptes à recommander une meilleure identification du niveau d'achat pertinent, en privilégiant, si possible, les marchés nationaux.

L'attention portée à la performance du système mérite d'être accrue. Nous entendons, pour avoir dialogué avec les services concernés, que cette évaluation peut se prêter à des interprétations méthodologiques. Nous concédons volontiers que la marge de négociation est limitée lorsque l'on s'adresse à une centrale d'achat, mais même dans ce contexte, un dialogue plus exigeant avec les fournisseurs est souhaitable. Donnons cependant acte aux services concernés des progrès réalisés à l'occasion des renouvellements les plus récents : ainsi des gilets pare-balles ont été obtenus à 100 euros l'unité, ce qui marque une avancée notable par rapport aux fournitures commandées sous le régime de l'urgence.

Enfin, dans la fonction logistique, l'intégration entre les deux principales forces est moins importante que dans les deux autres maillons de la chaîne. Les systèmes d'information, les procédures d'approvisionnement logistique, le suivi des équipements au sein des forces reposent sur des circuits presque entièrement distincts, à l'exception, notamment, de la livraison des véhicules.

De façon générale, une attention insuffisante est portée à la fonction logistique. Des insuffisances ont été constatées dans l'exécution des marchés et le respect des délais ; ainsi, fin 2016, un tiers des véhicules commandés n'avaient pas encore été livrés. Le suivi de l'état des équipements, comme le kilométrage des véhicules, n'est pas automatisé. Les systèmes d'information sont dans une certaine mesure interfacés avec les systèmes comptables dans la gendarmerie, mais pas dans la police. Cela entraîne parfois un suivi des stocks dans des conditions non réglementaires. Ce problème est également lié à l'état très dégradé de certains locaux de police et de gendarmerie.

La fourniture de certains services indispensables, comme les stands de tir pour l'entraînement des forces, se rattache à la logistique. Ainsi les nouveaux fusils mitrailleurs ne peuvent être utilisés dans les stands existants, ce qui n'avait pas été anticipé lors de la commande. Il est indispensable d'intégrer dans la doctrine les conditions d'emploi des matériels.

En dépit des progrès constatés, la mutualisation reste à approfondir et consolider, sans se limiter à l'achat : il convient également d'harmoniser les doctrines et les méthodes des deux forces. La fonction logistique reste un point d'ombre : les Sgami continuent à travailler, pour l'essentiel, pour la police nationale.

Les systèmes de gestion utilisés méritent d'être remplacés et fiabilisés, notamment pour le suivi des achats et la connaissance de l'existant.

Les fonctions achat et logistique tendent à être négligées dans toutes les organisations dont la finalité est opérationnelle ; or elles nécessitent un niveau élevé de professionnalisation. Il est indispensable de retenir les spécialistes, peu nombreux, et de mettre en place une politique prospective des emplois pour recruter de bons acheteurs et logisticiens.

Enfin, la gouvernance de l'ensemble réclame des améliorations, en particulier l'intégration des Sgami dans le processus de décision de la police et de la gendarmerie.

En conclusion, l'effort de rationalisation doit être poursuivi autour de trois priorités :: la définition des équipements des forces qui doit procéder d'une évaluation plus fine et plus complète de leurs besoins opérationnels, une politique d'achat inscrite dans une stratégie pluriannuelle formalisée intégrant les progrès technologiques, une revalorisation de la fonction logistique associée à un renforcement de la gestion des stocks. Je tiens à souligner la qualité des échanges avec les services concernés, qui pour l'essentiel n'ont pas contesté les conclusions de l'enquête.

Un dernier mot sur le contexte budgétaire. La Cour des comptes a alerté à de nombreuses reprises, et dernièrement dans un référé du Premier président sur le temps de travail et la rémunération des forces de police et de gendarmerie rendu public début juin, sur les tensions budgétaires dans la mission « Sécurités ». Vous connaissez bien le problème du mécanisme d'éviction des dépenses hors titre 2, consacrées à l'entretien et à l'investissement. Historiquement, c'est l'augmentation de la masse salariale induite par les plans de valorisation de 2006 qui a créé les conditions budgétaires de la crise des équipements de 2012. Or dans le contexte budgétaire actuel de la mission Sécurités, tous les éléments d'une nouvelle crise sont réunis. Comme la note d'exécution budgétaire 2017 le souligne, la mission Sécurités est déjà sous tension et les prévisions triennales ne sont pas réalistes, compte tenu des efforts déjà consentis sur le plan des rémunérations et des effectifs. La double saturation des crédits par les revalorisations salariales et l'augmentation programmée des effectifs risque d'aboutir à un nouveau phénomène d'éviction des crédits d'équipement. Or l'effort que j'ai évoqué n'épuise pas la question. Ainsi, le renouvellement des véhicules n'empêche pas la poursuite du vieillissement du parc. Il faut de nouveau suivre de très près les trajectoires de dépenses du titre 2 afin de conserver une marge suffisante pour consolider les améliorations intervenues entre 2012 et 2017.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial de la mission Sécurités. - Je remercie la Cour des comptes pour sa présentation et pour son enquête qui apporte un éclairage intéressant et des analyses précises sur les moyens d'équipement de la police et de la gendarmerie nationales, même si certains éléments entrent dans un niveau de détail qui me semble ne pas relever directement du niveau législatif.

L'examen de l'évolution du budget consacré à l'équipement depuis 2012 est un travail important et extrêmement instructif, puisque ces dépenses - automobile, protection, armement, habillement - ne sont pas isolées dans les documents budgétaires, et ne recoupent pas la catégorie des dépenses de fonctionnement et d'investissement. Leur analyse par le Parlement à l'occasion de l'examen des différents projets de loi de finances est donc rendue particulièrement difficile, tout comme leur traçabilité. Selon l'enquête de la Cour des comptes, les dépenses en équipements et matériels des forces de l'ordre ont progressé de 181 % entre 2012 et 2017, soit un triplement. L'augmentation a été particulièrement marquée à partir de 2015 dans le cadre de plans successifs de renforcement - Plans de lutte antiterroriste 1 et 2, Plan migrants, Plan pour la sécurité publique - pour les quatre catégories d'achats retenues par l'enquête.

Cette forte augmentation, très positive, doit être replacée dans un contexte plus général. La part des dépenses de personnel dans l'ensemble des dépenses atteint 87,03 % pour les deux forces en 2017. Certes, ce taux a diminué de près de 0,5 point sur la période retenue par la Cour des comptes, en partie grâce à l'augmentation des dépenses d'équipement. Toutefois, sur le temps long, on ne peut que déplorer la baisse importante des dépenses d'investissement et de fonctionnement. Ainsi, de 2006 à 2016, alors que les dépenses de personnel ont augmenté de plus de 30 %, les dépenses de fonctionnement et d'investissement ont connu une baisse de 6,89 %. Cette évolution me semble particulièrement préjudiciable à la capacité opérationnelle des forces qui courent un réel risque de paupérisation.

Le contexte actuel ne me semble pas propice à une évolution favorable dans ce domaine. Les dépenses de personnel devraient en effet être alimentées, dans les années à venir, par les 10 000 recrutements au sein des forces de sécurité intérieure annoncés par le Président de la République et par le dynamisme préoccupant des dépenses de rémunération, objet d'un récent référé de la Cour des comptes. Enfin, cette hausse ne concerne pas les dépenses immobilières, qui ne sont pas dans le champ de l'enquête et constituent également une préoccupation majeure. Elles expliquent la relative stagnation du ratio malgré l'augmentation des dépenses d'équipement.

Cette enquête appelle plusieurs observations. D'abord, la quasi-absence de comparaisons internationales. À la demande de la Cour des comptes, la direction de la coopération internationale (DCI) du ministère de l'intérieur a saisi des attachés de sécurité intérieure dont elle a reçu des contributions d'un intérêt quelque peu limité. Le rapport ne comprend donc que peu d'éléments chiffrés relatifs aux comparaisons internationales - même si l'élu parisien que je suis a pu constater qu'à Berlin, le taux de renouvellement est deux fois plus important qu'à Paris. Cela ne fait-il pas obstacle à une meilleure identification des besoins et des matériels ? Le ministère de l'intérieur songe-t-il à effectuer une comparaison sérieuse des niveaux de dépenses d'équipement des forces de sécurité intérieures des grands pays européens ?

Le rapport confirme le vieillissement général du parc automobile. Le taux actuel de renouvellement, tant en police qu'en gendarmerie, ne permet que de ralentir son vieillissement : le remplacement de moins d'un dixième du volume en véhicules légers conduit, alors que les critères de réforme s'établissent à huit ans, à les faire glisser vers les dix ans. Sur la période 2012-2016, le vieillissement des véhicules est supérieur à deux ans dans la police nationale ; l'âge moyen des seuls véhicules légers est passé de 3,65 ans à 5,75 ans au 1er janvier 2017. De nombreux véhicules remplissant les conditions de réforme sont encore en circulation, dans une proportion de 65 % dans la police nationale.

Un plan visant à enrayer le vieillissement du parc automobile est-il envisagé par le ministère de l'intérieur ? Une réflexion stratégique sur la consistance souhaitable du parc automobile est-elle prévue ? Les besoins du terrain seront-ils mieux pris en compte par la direction générale de la police nationale ? Ainsi, les véhicules de la brigade anti-criminalité (BAC) ne sont pas toujours compatibles avec la lourdeur de l'armement transporté dans le coffre. Des solutions utilisées à l'étranger, comme le recours à la location au Royaume-Uni, n'engendreraient-elles pas des économies substantielles ?

Pouvez-vous revenir sur le rôle de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) dans l'achat des véhicules ? Une reprise de cette compétence par le Saelsi ne permettrait-elle pas de gagner en efficacité ?

Concernant l'habillement, le système de compte à points permet à tous les personnels actifs de commander des effets d'uniformes, comme des gilets pare-balles ou des chaussures, sur un catalogue prédéfini. Toutefois, malgré les améliorations relevées par la Cour des comptes, de nombreux agents continuent à effectuer certains de leurs achats en dehors du catalogue, ce qui est bien évidemment interdit. Il n'est pas rare de voir autant de paires de chaussures différentes que d'agents au sein d'une même brigade. Ceci s'explique, selon les agents, par le faible nombre de points, par des délais de livraison trop importants et par la mauvaise qualité de certains équipements présents sur le catalogue. Quelles pistes d'amélioration envisagez-vous ?

L'armement de la police et de la gendarmerie a connu des évolutions récentes majeures ces dernières années, et le rapport relève que les conséquences induites, en particulier sur la formation au tir, ont été insuffisamment anticipées. La situation est critique dans la police. En 2017, 51 % des policiers n'avaient pas bénéficié de ces trois séances réglementaires. L'accès aux stands de tir constitue une difficulté récurrente. Quelles mesures sont prévues pour enrayer ce phénomène ? Est-il envisagé de faciliter l'usage de stands de tir privés en police nationale, en simplifiant leur homologation ?

Enfin, le rapport évoque de nombreuses pistes de mutualisation des achats, soit entre les deux forces, soit avec d'autres administrations comme l'armée ou la douane. Est-il possible de chiffrer les économies potentielles ? Y a-t-il des pistes avancées à moyen terme dans ce domaine ?

M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale. - Je salue la qualité du travail de la Cour des comptes, dont les recommandations nous sont très utiles et constituent pour nous un guide et une référence incontestable, dans les discussions que les forces de sécurité conduisent avec les financiers.

Nous partageons le diagnostic porté sur les trois chaînons de l'achat. Le Saelsi est l'un des deux grands exemples, dans l'histoire récente des forces de sécurité intérieure, de mutualisation réussie, même si des progrès doivent être réalisés dans la logistique. L'autre exemple est le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure (STSISI) qui construit le paysage numérique des deux forces. Cela méritait d'être souligné.

Le ministre de l'intérieur a décidé, précisément dans les domaines de l'achat et la logistique et du numérique, un approfondissement et une professionnalisation de ces missions. L'inspection générale de l'administration conduit en ce moment une mission de réflexion sur la constitution d'une direction du numérique au sein du ministère et d'une direction des achats intégrant les besoins de la police et de la gendarmerie, mais aussi de sécurité civile. C'est un point qui reste en débat, car ces deux grands corps veulent éviter que leur composante métier et leurs exigences opérationnelles ne soient diluées dans une organisation qui éloignerait les décideurs des réalités du terrain ; mais cela montre que la professionnalisation de certaines tâches est prise en compte dans la réflexion.

Depuis sa création le 1er janvier 2014, le Saelsi a dû mettre en oeuvre les plans de lutte antiterroriste, contre l'immigration clandestine, le pacte de sécurité, mais aussi le plan de renforcement des Brigades Anti-Criminalité (BAC) de la police nationale et des pelotons de surveillance et d'intervention de la Gendarmerie (PSIG) et le plan pour la sécurité publique. La notion d'anticipation a été évoquée ; mais en 2011, il était difficile d'imaginer que nous serions amenés à commander, par dizaines de milliers, des armes longues dans la police et la gendarmerie, et d'anticiper les conséquences en matière de formation.

La convergence entre les corps de police et de gendarmerie est en marche et s'intensifie à la faveur du renouvellement ; nous disposons désormais d'éléments de protection entièrement communs sur lesquels le badge peut être apposé par un scratch. Il est vrai que nous avons conservé certains éléments de doctrine distincts. Ainsi, dans la police nationale, les armes portées sur la voie publique sont chambrées, et pas dans la gendarmerie. Tout policier doit considérer que son arme a une cartouche chambrée, même si ce n'est pas le cas. Autre exemple, la gendarmerie admet l'étui de cuisse pour les armes individuelles, au contraire de la police car nous considérons que dans certaines situations, ce positionnement de l'arme peut présenter un danger.

Ces choix ont des conséquences en matière d'équipement et de coût. La gendarmerie s'équipe d'étuis de cuisse ; la cartouche chambrée dans les armes de la police est éjectée au moment du remisage, pour des raisons de sécurité et de fiabilité, ce qui induit un coût assumé par la police nationale.

J'ai noté, monsieur le rapporteur, votre déception vis-à-vis des contributions de la direction de la coopération internationale. Nous partageons également le constat de la Cour des comptes sur l'ampleur du parc automobile et son vieillissement rampant, malgré les efforts de renouvellement. Quant à l'opportunité de continuer à passer par l'UGAP pour les achats, et la pertinence de la location, c'est une vaste question...

M. Jérôme Bascher. - Vaste réponse aussi !

M. Éric Morvan. - On peut aborder la question sous plusieurs angles. Le premier serait la définition d'un référentiel commun dans la police nationale, destiné à établir quels sont les véhicules les plus adaptés aux besoins sans se limiter au renouvellement de l'existant. Ce travail est en cours. Un exemple : avec le renforcement des BAC, les Peugeot 308 se sont révélées inadaptées ; nous sommes donc passés à un modèle supérieur pour embarquer le personnel dans de meilleures conditions de sécurité. Nous réfléchissons aussi aux véhicules de transport des CRS, dont le poids embarqué n'a cessé de croître avec l'évolution des équipements, jusqu'à la limite réglementaire du code de la route.

Je ne m'interdis pas de m'interroger sur le dimensionnement de notre parc de 30 000 véhicules. Comparaison n'est pas raison, mais les compagnies aériennes cherchent à réduire au minimum le temps passé par leurs avions au sol pour d'évidentes raisons de coût. Nos organisations ne nous ont-elles pas conduits à constituer un parc dépassant les besoins ?

Autre sujet d'interrogation, l'entretien des véhicules : nos garages sont insuffisamment mutualisés. La pertinence de l'intégration de la fonction de réparation au sein même des services du ministère doit être évaluée. D'abord, nous peinons à recruter des personnels techniques, peu attirés par la fonction publique pour diverses raisons, notamment de meilleures rémunérations et des garanties sur les rythmes de vie dans le privé. Nous le constatons dans les Sgami comme dans les garages centraux, dont celui de Pantin où de nombreux postes sont vacants.

Ensuite, comme les représentants des syndicats vous l'ont probablement indiqué, il faut parfois conduire un véhicule sur plusieurs centaines de kilomètres jusqu'à son lieu de réparation, et charger deux personnes de le faire qui, parfois, attendront sur place le temps de la réparation. Les coûts et les pertes de temps opérationnel liés à ces charges sont mal mesurés faute d'outils pour le faire.

C'est pourquoi certaines opérations d'entretien pourraient être externalisées, tout en conservant les compétences nécessaires pour certains véhicules spécialement équipés ou que, pour des raisons de discrétion, nous souhaiterions réparer nous-mêmes. L'inspection générale de l'administration conduit une mission sur ces sujets, avec des éléments de comparaison internationale. En la matière, la police française est l'une des plus centralisées. Nous achetons en pleine propriété, et réparons nous-mêmes nos véhicules. Certains de nos voisins externalisent la réparation, d'autres louent leurs véhicules à des prix que l'on peut juger prohibitifs.

Toutes ces questions, qui sont totalement pertinentes et mettent en cause des choix stratégiques, sont sur la table. J'espère que l'inspection générale de l'administration (IGA) pourra nous éclairer à la fois sur les coûts et les conséquences sociales.

M. Christian Rodriguez, major-général de la gendarmerie nationale. - Je voudrais revenir sur un point que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur spécial, et sur lequel je n'ai pas tout à fait le même avis que mon ami Éric Morvan.  Il s'agit des véhicules, qui constituent un vrai sujet. L'âge moyen des véhicules a légèrement baissé entre le début de l'année et aujourd'hui, passant de 8,4 à 7,2 ans. Je vous concède que si la baisse pouvait encore s'accentuer, on signerait assez vite ! En gros, une fois qu'un véhicule a les pneus lisses, on en change, ce que les lois votées par le Parlement nous permettent de faire plus facilement aujourd'hui. Et nous sommes en train d'investir un petit peu plus sur ce plan.

Si nous parvenons à trouver un modèle qui permette de garantir le maintien en condition opérationnelle et un âge moyen des véhicules à quatre ou cinq ans, ce sera une bonne option. Il se trouve que La Poste a un modèle que nous regardons, sur lequel l'IGA travaille avec les deux inspections générales.

S'agissant de l'habillement, la Cour a évoqué, à un moment donné, un décalage possible entre notre action et les besoins que les personnels peuvent exprimer. Nous tenons un discours constant. Je préside pour ma part chaque année une commission des « tenues » au sein de laquelle siègent des représentants de l'ensemble des régions de gendarmerie de France. Nous travaillons en visioconférence avec les outre-mer et regardons, point à point, l'ensemble des matériels qu'il faut changer ou arrêter. Nous avons supprimé il y a peu la casquette, que les gendarmes ne supportaient pas, la remplaçant par le bonnet de police. Au-delà de l'anecdote, nous allons plus loin sur ce sujet et essayons d'avoir un réel dialogue avec les utilisateurs, qui nous disent de manière très claire ce qu'ils ont à nous dire au sein des commissions diverses et variées. Il s'agit pour nous d'être complètement en adéquation avec les besoins exprimés sur le terrain : nous sommes là non pour faire fonctionner une direction générale mais pour aider les gens de terrain !

Sur les stands de tir, les armes longues, nous sommes dans l'anticipation, si ce n'est que la construction d'un stand de tir demande un peu de temps. La décision de mettre en place les armes longues, dont nous nous souvenons tous, était liée à un besoin immédiat de nos personnels confrontés à des personnes dotées de ce type d'armes. Nous avions déjà des armes longues mais la demande est aujourd'hui plus importante que l'offre.

Cela étant, pour les armes de poing, notre ambition est non de construire de nouveaux stands de tir, mais de passer des conventions avec les fédérations de tir pour l'utilisation des stands.  Nous considérons que c'est de la perte de temps et d'argent que de faire habiliter un stand déjà habilité par la fédération pour le même type de munition. Notre démarche est assez pratique : ce que l'on souhaite concrètement à terme -  nous sommes pour l'instant à la moitié du chemin -, c'est permettre à un gendarme de faire ses tirs d'entretien. Il y a une partie de tir en situation que nous prendrons en compte, mais si le gendarme doit tirer 90 cartouches par an, nous souhaitons qu'il puisse le faire au stand de tir de la commune la plus proche de son unité d'implantation et qu'il puisse le faire tout seul. Ensuite, il remplit, sur la base de données personnelles, le tir qu'il a effectué, et pour nous, il aura coché la case ! Cela reposera sur la confiance. Sur des sujets comme ceux-là, les gendarmes sont aussi motivés que nous pour que les tirs puissent être effectués dans les meilleures conditions.

En ce qui concerne les garages, la Cour a relevé avec raison que, dans certains endroits, la situation est très perfectible, mais elle a également relevé que cela fonctionne bien dans d'autres, grâce à de bonnes pratiques. Je pense donc que le premier effort consiste à faire en sorte de les étendre partout, ce qui devrait pouvoir se faire assez rapidement.

Je voudrais enfin appeler votre attention  sur un petit point de « désaccord » - le mot est fort. Il y a un sujet de résilience. On l'a vu quand vingt forces mobiles étaient déployées à Calais, on l'a vu avec les trente forces mobiles de Notre-Dame-des-Landes, on l'a vu à Saint-Martin, il arrive un moment où surgit un problème de mécanique que le tissu local ne peut pas prendre en charge. On se rend compte qu'il est indispensable de projeter, au-delà des personnes déployées sur place, une capacité.

Si le modèle futur tend vers une externalisation du soutien automobile, ce qui peut s'entendre, nous devrons préserver une capacité, qu'il faut objectiver : la capacité permettant d'être projeté, par exemple, en Nouvelle-Calédonie. Si nous envoyons près de dix escadrons sur place, il faudra également envoyer le personnel pour entretenir les véhicules. Cela ne signifie pas que nous ayons besoin de tous les mécaniciens dont nous disposons aujourd'hui, il suffit d'avoir la taille optimale, laquelle s'objective. On peut considérer approximativement que 20 % des effectifs doivent suffire, mais cela mérite d'y réfléchir encore. Sans plaider pour demain, je veux dire que les crises sont devant nous, notamment dans les outre-mer, où il faut garder cette capacité de pouvoir répondre rapidement.

Mme Sylvie Vermeillet. - Merci aux intervenants pour la qualité de leurs propos. Une question courte à M. le directeur général de la police nationale et à M. le major-général de la gendarmerie : la réforme annoncée des retraites complique-t-elle les recrutements pour les 10 000 nouveaux postes auxquels notre rapporteur spécial a fait allusion ?

M. Jérôme Bascher. - Je saisis l'occasion de cette audition pour remercier M. le directeur général de la police nationale d'avoir affecté cet été, dans le département de l'Oise, des forces supplémentaires sur la zone de Creil, qui est tout à fait particulière.

S'agissant des véhicules, je constate que les besoins exprimés depuis le terrain sont souvent infinis. Sans avoir de doute sur le caractère raisonnable des uns et des autres, force est de constater que la notion de besoins est parfois un peu compliquée.

Sur les garages, je constate les miracles accomplis par le garage de la gendarmerie, qui parvient à désosser trois voitures pour en faire une opérationnelle. En vérité, je me désole qu'on soit obligé de désosser trois voitures pour essayer d'en faire une qui marche, et c'est bien là le problème ! C'est là où le bât blesse ! En effet, on parle de véhicules neufs, en oubliant de mentionner qu'on a choisi de couper, peut-être un peu trop, les crédits consacrés à l'entretien, jadis en progression eu égard à l'âge des véhicules. Sous le discours selon lequel « on a des véhicules neufs », il reste que le parc moyen, lui, demeure très vieux et je crains, pour ma part, une grande difficulté opérationnelle. J'en appelle donc aux magistrats de la Cour des comptes et au rapporteur spécial pour veiller à un bon équilibre.

M. Thierry Carcenac. - En matière de mutualisation des achats, le rapport évoque un potentiel à mieux exploiter avec les forces armées  et les douanes et il mentionne quelques catégories d'équipement. Au-delà de la direction des achats de l'État, comment envisagez-vous d'aller pour aller plus loin dans le cadre de cette mutualisation ?

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Aujourd'hui, le moral des troupes semble quelque peu atteint dans la police et dans la gendarmerie.  Cet élément d'information est, selon moi, assez déterminant dans nos raisonnements et réflexions.

Premier point, vous avez souligné qu'un effort de financement important - presque un triplement - avait été fait depuis 2012, tout au moins, après les attentats ; vous avez indiqué qu'il serait peut-être judicieux de prélever ces moyens de financement sur le titre 2. Il me paraîtrait intéressant, avant de faire des propositions sur la réduction des sommes inscrites au titre 2, de savoir quel serait le montant du financement idéal pour un vrai renouvellement du matériel. Pour ma part, j'inciterais plutôt à la prudence. Quel serait ce montant selon vous ?

Il reviendrait ensuite au Gouvernement et à la représentation nationale d'établir l'effort nécessaire au sein même du budget de la sécurité nationale ; ou de se prononcer sur la réduction budgétaire d'autres postes. Raisonner uniquement de manière interne n'est pas forcément judicieux.

Deuxième point, il me semble qu'il y a un partage sur le diagnostic élaboré par la Cour des comptes, ce qui est en soi intéressant. J'aimerais savoir si vous partagez les recommandations de la Cour.

Enfin, une question qui est peut-être de simple bon sens : lorsque se posent des problèmes urgents de mécanique dans la police ou la gendarmerie, est-il imaginable de faire appel aux forces armées, qui peuvent avoir des mécaniciens disponibles ? Cette idée vous paraît-elle ubuesque ?

J'ai été surpris par la différence entre les doctrines. S'il existe une telle différence d'appréciation et d'approche, il importe de s'y pencher, au nom de l'efficacité, car il y a manifestement quelque chose à faire : appartient-il aux politiques d'intervenir ?

Pour finir, je regrette, comme le rapporteur spécial, que nous ne puissions pas avoir suffisamment d'éléments de comparaisons internationales, car celles-ci sont toujours utiles. Pour s'inspirer des bons exemples, ou se réjouir de notre exemplarité !

M. Jean-Michel Lair, conseiller maître à la Cour des Comptes. - En effet, en l'absence de comparaisons internationales établies, nous avons essayé de faire au mieux. Les éléments que nous avons recueillis étaient intéressants, mais ils sont tout à fait insuffisants pour produire des enseignements précis. On connaît bien la difficulté de cet exercice. Nous avons en France une police et une gendarmerie, ce qui n'est pas le cas partout. Nous avons des traditions historiques assez fortes. Nous avons une préfecture de police. La Cour des comptes s'aperçoit parfois, lorsqu'elle recueille des informations à l'étranger, que la réalité ne correspond pas tout à fait aux propos tenus par les personnes consultées - en l'espèce, le réseau des attachés de sécurité. Pour obtenir des éléments utiles, il faudrait envoyer sur le terrain des spécialistes capables d'approfondir l'analyse, dans des pays comparables au nôtre dans leur organisation.

J'en viens aux véhicules, point très important compte tenu des enjeux financiers. La Cour des comptes note que de très larges réflexions sont engagées à partir des analyses des missions, pour déterminer les besoins et dégager la meilleure façon d'y répondre, sans aucun tabou, y compris si nécessaire par la location de véhicules.

Monsieur le rapporteur spécial, vous avez évoqué la question de l'UGAP, sujet assez délicat. L'UGAP offre un certain nombre d'avantages. On voit bien, à l'expérience, qu'il y a quelques inconvénients et certains coûts d'intermédiation : délais de livraison manifestement excessifs et insupportables, absence de visibilité sur le calendrier des livraisons... Le ministère de l'intérieur représente une part extrêmement importante des acquisitions de véhicules. Son retrait du dispositif déstabiliserait l'ensemble du système au détriment des autres acheteurs publics - hôpitaux, administrations... Ce sujet très délicat nécessite une discussion interministérielle.

La question de l'habillement est également abordée sur le terrain. Nous ne pouvons pas savoir exactement l'importance du problème : combien d'agents achètent eux-mêmes une partie de leur équipement ? Ce que nous notons, c'est qu'avec l'amélioration du dispositif du compte à points et les normes de confort unifiées entre la police et la gendarmerie, on devrait aboutir à une plus grande satisfaction des besoins. Pour la police, les habillements - en particulier les chaussures utilisées - avaient été testés par des groupes d'agents qui avaient rendu des conclusions positives. Cela montre bien que les consultations ne sont pas toujours très significatives.

J'aborde maintenant les pistes de mutualisation. Nous mentionnons tout au long de notre rapport de nombreux chantiers sur lesquels il faut progresser. Rien n'est jamais gagné - on le voit bien sur les achats. L'avancée n'est pas linéaire : il y a eu un recul sur certains types de produits. Il faut en permanence consolider ce mouvement.

M. Éric Morvan. - On a évoqué tout à l'heure le fait qu'il faut parfois désosser deux voitures pour permettre à une troisième de fonctionner. En soi, ce n'est pas dramatique, c'est même plutôt vertueux, y compris pour le développement durable. Un problème se pose si les deux épaves ne sont pas remplacées. Nous en revenons à la question du renouvellement automobile.

Sur la réforme des retraites et le recrutement, ce que nous redoutons, c'est que l'annonce d'une réforme des retraites emporte assez souvent un effet d'accélération des départs à la retraite. En effet, les personnes concernées demandent à partir en retraite sur la base du cadre juridique qu'ils connaissent, considérant que le prochain sera moins favorable. Nous redoutons cette situation et nous anticipons le fait que des personnes qui ne souhaitaient pas forcément partir rapidement à la retraite le fassent dès maintenant. La conséquence serait de gonfler nos besoins de recrutement pour être en capacité de remplacer l'excédent générationnel dont nous serons privés. Nous ne pouvons pas procéder à un chiffrage faute de connaître le contenu de la réforme qui sera proposée.

La mutualisation au-delà de la police et de la gendarmerie, c'est une chose que nous faisons déjà avec les douanes, sur l'armement, les protections, les munitions... Nous avons une réflexion pour massifier et obtenir des conditions d'achat plus avantageuses sur un certain nombre d'articles : pourquoi pas avec les polices municipales, sans parler forcément de l'armement, qui est un sujet de débat plus récent ? La situation est plus compliquée du fait du principe de libre administration des collectivités territoriales, mais nous sommes tout à fait ouverts.

L'UGAP est un vrai sujet. Si l'on est égoïste et que l'on regarde les choses à l'aune du ministère de l'intérieur, à certains égards, on a intérêt à ne pas passer par l'UGAP. Toutefois, nous sommes son premier client. Sortir de ce dispositif poserait un problème à d'autres ministères, qui n'auront pas la même puissance d'achat et profitent de la nôtre. C'est un sujet interministériel. Nous pourrions avoir une approche égoïste et ne plus passer par l'UGAP.

Les différences de doctrines ont été évoquées. Cela n'est pas choquant et cela s'explique par des  « terrains de jeux » un peu différents, si vous me permettez cette trivialité. Intervenir dans un tissu urbain peu dense ou dans une cité difficile de la région parisienne n'implique pas les mêmes postures opérationnelles. Cela peut conduire, au-delà de la culture des forces inscrite dans l'histoire, à des doctrines différentes, mais cela n'est pas systématique.

M. Christian Rodriguez a parlé des stands de tir. C'est un vrai sujet, y compris immobilier puisqu'il faut les construire et les entretenir. La police et la gendarmerie n'ont pas les mêmes doctrines en matière d'utilisation des stands de tir privés. Ainsi, la gendarmerie accepte que ses gendarmes tirent dans des stands agréés par la Fédération française de tir, alors que la police nationale exige une double certification, qui fait intervenir une commission spécialisée.

Je pense, comme de M. Rodriguez, que nous aurons besoin de garder une capacité interne d'entretien des véhicules, notamment outre-mer.

M. Christian Rodriguez. - La gendarmerie nationale suit de très près le dossier des retraites. Nous craignons des départs qui nécessiteraient des recrutements. Nous avons nommé un « monsieur retraite », un colonel de gendarmerie qui suit attentivement ces sujets. Il peut être sollicité par qui le souhaite. Nous avons mis en ligne un calculateur de la retraite. La communication est très intense auprès des personnels. Ce sujet est bien évidemment leur première préoccupation.

J'en arrive aux véhicules. Nous avons préservé les niveaux d'entretien. Mais vous n'empêcherez pas les gendarmes de bricoler deux voitures pour en faire une troisième. Aujourd'hui, 3 100 brigades couvrent 95 % du territoire. La moyenne de la superficie d'une communauté de brigade est supérieure à celle de Paris et il n'y a pas de métro ! La voiture est un vrai besoin. Les gendarmes veillent à être capables de se déplacer.

M. Éric Morvan a évoqué les éventuelles mutualisations. Au-delà de l'UGAP, on peut se poser la question concernant les véhicules, les hélicoptères,... Des blindés datant de mai 68, cela commence à dater ! Nous travaillons sur le sujet avec les armées depuis le début des années soixante-dix. La coopération avec les armées se fait très naturellement, notamment outre-mer. Ce sont les armées qui ont les moyens de projection, on l'a vu au fil des crises successives. En métropole, les bases militaires sont beaucoup moins nombreuses qu'auparavant. Il est compliqué d'obtenir un mécanicien.

Une externalisation plus poussée éviterait de déplacer trop loin les véhicules à entretenir ; il faudrait aussi faire en sorte d'améliorer l'entretien pour les véhicules de gamme classique. Si les réflexions aboutissent à un dispositif plus performant, tant mieux !

S'agissant des polices municipales, je rejoins ce qu'a dit M. Éric Morvan. On a ainsi expérimenté le prêt de postes radios pour garantir une interopérabilité entre des polices municipales et des forces de sécurité. Je crois que cette forme d'interopérabilité peut convenir. Dès lors que dans certains endroits, des polices municipales sont fortes et très équipées, il faut conventionner. Les mentalités sont prêtes. Les personnels travaillent de plus en plus ensemble au quotidien. Cela permettra, de proche en proche, de surmonter les difficultés.

La doctrine est très liée à la culture et aux facteurs d'identification de chacune des forces. L'exemple des armes chambrées ou pas est très intéressant. Sur les armes de poing, on disait auparavant : « Vous allez sur le terrain, votre arme doit être chambrée, c'est-à-dire que vous devez avoir engagé une cartouche. » Il faut savoir qu'en engageant une cartouche, le chien reste à l'arrière et il suffit d'une infime pression sur la détente pour que le coup parte. C'est arrivé, et cela aurait pu être dramatique. Nous avons senti que cette règle mettait les personnes en difficulté. Par conséquent, la consigne a été modifiée. Nous avons opté pour une responsabilisation des utilisateurs, qui apprécient le moment opportun pour tirer.

M. Vincent Éblé, président. - Cette affaire ne renvoie pas seulement à la géographie, mais aux situations et aux contextes des opérations. Si vous êtes dans une situation sensible, vous faites en sorte de pouvoir réagir dans les délais les plus brefs.

M. Christian Rodriguez. - La doctrine est la conséquence d'un certain nombre de facteurs, parmi lesquels la culture, l'identification à la force, les modes d'action. Ce sont des sujets sur lesquels nous devons converger davantage. La résistance interne a diminué ces dernières années. Il faut continuer à travailler sur le sujet. Faisons confiance aux directeurs généraux s'agissant de la doctrine !

M. Vincent Éblé, président. - Je propose que la commission autorise la publication de cette enquête en application de l'article 58-2 de la LOLF.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Philippe Dominati.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

Je vous propose de reporter à la semaine prochaine la désignation des candidats à la commission mixte paritaire relative au projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, afin de confirmer la liste des candidats, compte tenu d'un changement de date pour cette commission mixte paritaire.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 12 h 40.