Mardi 24 juillet 2018

- Présidence de Mme Corinne Imbert, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition conjointe de M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), accompagné de Mmes Françoise Weber, directrice adjointe déléguée responsable des produits réglementés et Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles et de Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), accompagnée de Mme An Lé, chef de pôle au sein de la direction des médicaments génériques, homéopathiques, à base de plantes et des préparations

Mme Corinne Imbert, présidente. - Notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses travaux en accueillant des représentants de deux agences sanitaires : pour l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques, Mme Françoise Weber, directrice adjointe déléguée responsable des produits réglementés et Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles ; l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est représentée par Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires, et Mme An Lé, chef de pôle au sein de la direction des médicaments génériques, homéopathiques, à base de plantes et des préparations.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Mme An Lé, Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé. - L'ANSM a un champ de compétences très vaste. Elle est en charge de l'ensemble des médicaments, dont ceux à base de plantes, mais aussi des préparations magistrales et officinales ainsi que des matières premières intégrées dans les médicaments. Elle intervient également sur les produits d'origine biologique, les dispositifs médicaux, les produits cosmétiques et de tatouage. La typologie de produits est variée et l'approche réglementaire l'est tout autant. Notre métier consiste en une évaluation du bénéfice/risque de ces produits, notamment des médicaments. Nous menons des activités d'inspection des établissements de fabrication, procédons à des expertises juridiques et réglementaires et disposons enfin d'une mission d'information et de communication.

Le code de la santé publique définit un médicament à base de plantes comme étant composé de substances actives d'origine végétale, à base de plantes ou d'extraits ou obtenues après distillation, comme les huiles essentielles. Il se présente sous la forme d'une spécialité pharmaceutique, avec un conditionnement et un étiquetage. Les préparations officinales sont également des médicaments. De même, les drogues végétales en l'état peuvent être considérées comme des médicaments.

Les médicaments à base de plantes sont soumis aux règles générales s'appliquant aux médicaments en termes de qualité pharmaceutique de fabrication. Il existe des référentiels de bonnes pratiques pour leur préparation, et des règles de distribution et de délivrance.

Pour ces médicaments à base de plantes, et c'est une particularité, il existe trois modalités de mise sur le marché. La première est l'autorisation de mise sur le marché nécessitant le dépôt d'un dossier complet. L'efficacité du médicament concerné est démontrée par des essais cliniques dans les mêmes conditions qu'un médicament d'origine chimique. Le deuxième procédé est une autorisation de mise sur le marché se fondant sur un usage médical bien établi. L'efficacité doit alors être démontrée depuis au moins dix ans par des données bibliographiques versées au dossier. La troisième catégorie d'autorisation concerne les médicaments traditionnels, sur le fondement de la directive 2004/24 CE. Leur efficacité traditionnelle plausible, basée sur la tradition, doit être prouvée depuis au moins 30 ans dans le monde et 15 ans dans un État membre.

Les directives ont prévu l'organisation de groupes de travail avec l'ensemble des États siégeant à l'Agence européenne du médicament. L'un des groupes de travail est chargé de l'élaboration de monographies de l'Union européenne permettant de définir la substance active, les conditions d'emploi, les indications, les posologies. Il existe également un processus d'enregistrement par reconnaissance mutuelle entre les États membres.

Enfin, nous encadrons et évaluons les préparations magistrales et officinales préparées sous la responsabilité du médecin prescripteur et du pharmacien les réalisant. Pour mémoire, une préparation magistrale est destinée à un seul patient. Elle est réalisée par le pharmacien - en officine ou dans une pharmacie hospitalière - sur la base d'une prescription médicale et ne peut être réalisée que s'il n'existe pas de spécialité disponible ou adaptée. Les préparations officinales sont réalisées sur la base d'une formule inscrite au formulaire national et délivrées sur conseil. C'est le cas des tisanes, pour lesquelles il existe une monographie au formulaire national qui les décrit et les encadre : on peut mélanger au maximum cinq plantes ayant une activité thérapeutique et trois plantes visant à faciliter l'administration.

Dans ce cadre, l'ANSM élabore des bonnes pratiques de préparation et prend des mesures de police sanitaire. Je pense notamment à la badiane de Chine, qui a fait l'objet de falsifications avec de la badiane du Japon. Nous avons également identifié des problèmes avec le fruit vert du citrus contenant de la synéphrine, présent dans des préparations amaigrissantes.

L'ANSM participe également à l'élaboration des référentiels de la pharmacopée européenne et française. La pharmacopée européenne décrit les matières premières en tant que substance active ou les excipients, les méthodes d'analyse et d'utilisation, les spécifications sur les substances actives. La pharmacopée française établit les référentiels de qualité sur le substrat actif et définit ce qu'est la plante médicinale avec une activité médicamenteuse. Ces plantes relèvent de deux listes, la liste A et la liste B, qui sont le fruit d'une longue histoire. Elles ont été initialement décrites dans les codex de 1818 et ont fait l'objet depuis de plusieurs révisions. Ces listes décrivent la plante, la partie de plante utilisée, le nom vernaculaire, les conditions et modes d'administration - par voie orale ou cutanée. La liste A comprend actuellement 455 plantes médicinales. La liste B regroupe les plantes nécessitant une politique sanitaire ou présentant une toxicité intrinsèque. Des plantes de la pharmacopée également utilisées sous forme condimentaire ou alimentaire ont été sorties du monopole pharmaceutique : un décret de 2008 en dénombre 148.

Notre rôle est également d'inspecter les établissements de fabrication, d'importation et de distribution. Les inspections portent majoritairement sur des établissements fabriquant des extraits de plantes ou des huiles essentielles utilisées ensuite dans les médicaments. Sur les 30 opérateurs contrôlés, peu d'écart ont été identifiés. En revanche, nous avons mis en évidence des difficultés dans la chaîne d'approvisionnement des huiles essentielles, notamment lorsqu'elles sont en provenance d'un autre pays.

Une particularité française sont les établissements (sept en France) distributeurs en gros de plantes médicinales inscrites à la pharmacopée. Ils sont chargés du stockage, des contrôles nécessaires à la distribution en gros, en vrac, en sachet-dose, en fragments à l'état frais ou desséché des plantes médicinales. Les inspecteurs y ont observé des écarts, notamment des problèmes de traçabilité, de qualité microbiologique des plantes, avec des contaminations croisées ou encore des dates limite d'utilisation dépassées. Toutefois, un énorme travail d'amélioration est mis en oeuvre.

Dans le cadre de nos missions de surveillance, le choix s'est porté cette année sur le contrôle qualité des médicaments à base de plantes (contrôle des contaminations microbiennes et des falsifications, recherche de contaminants comme les alcaloïdes pyrrolizidiniques, conformité des étiquetages). Les résultats ont montré des non-conformités sur les aspects microbiologiques, conduisant à des retraits de lots.

Nous contrôlons également la publicité des médicaments auprès du grand public, en veillant à ce que les professionnels de santé ne dérivent pas des indications thérapeutiques et des données scientifiques. Comme pour tous les médicaments, nous assurons la pharmacovigilance et mettons en oeuvre des mesures de police sanitaire. A titre d'exemple, le thé vert a été utilisé dans des médicaments contenant des extraits alcooliques forts, ce qui a conduit à des hépato-toxicités. En ce qui concerne les huiles essentielles, nous avons été confrontés, ces deux dernières années, à de nombreux questionnements des professionnels de santé et des patients alors même que l'offre et la demande explosent. Les reconnaissances de la tradition ne sont pas aussi abouties que pour les plantes médicinales et les cas de toxicovigilance sont en augmentation. Depuis peu, nous avons eu des demandes de qualification de produits et deux demandes d'essai clinique.

Il est important d'améliorer l'information sur la toxicité des huiles essentielles. En 2018, nous avons mené un programme de contrôle sur des établissements fabriquant des cosmétiques personnalisables. En 2017, 13 établissements ont été inspectés, sept injonctions ont été prises, dont trois portaient sur les huiles essentielles. En 2018, 17 établissements ont été inspectés, cinq injonctions ont été prises, dont quatre portant sur les huiles essentielles.

En conclusion, nous attachons une attention toute particulière aux besoins de qualité et de sécurité de ces produits. Il importe de garantir un usage sûr, notamment l'absence de perte de chances au regard de traitements conventionnels efficaces, et de veiller aux interactions médicamenteuses bien connues. Un dispositif d'évaluation approprié de la reconnaissance de la tradition (qui peut être orale, secrète, écrite...) doit être mis en place. Il existe des méthodologies disponibles. Enfin, comme l'OMS le souligne, il faut encadrer la formation des praticiens dans la délivrance de ces produits.

Mme Françoise Weber, Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. - L'Anses évalue de manière globale, intégrative et transversale l'ensemble des risques (biologiques, physiques ou chimiques) auxquels l'homme et l'environnement sont exposés, volontairement ou non, dans les domaines de l'alimentation, de l'environnement, du travail, de la santé, du bien-être animal ainsi que de la santé des végétaux. L'Anses est également compétente pour délivrer, renouveler et suspendre les autorisations de mise sur le marché des médicaments vétérinaires (au travers de l'Agence nationale du médicament vétérinaire qui lui est rattachée), des produits phytopharmaceutiques (pesticides), matières fertilisantes et supports de culture depuis 2015 et des biocides depuis 2016.

L'objectif de l'Anses est de mobiliser les connaissances scientifiques pour appuyer les décisions des pouvoirs publics. Nous étudions et documentons avec des groupes d'experts indépendants les dangers auxquels l'homme et son environnement sont exposés. Nous déterminons les modalités et les niveaux de cette exposition. En combinant les dangers et cette exposition, nous effectuons une évaluation du risque. L'Agence assure également des missions d'alerte, de veille, de surveillance et de vigilance afin de récolter et traiter le plus tôt possible les signaux d'effets indésirables liés à l'utilisation des pesticides, des produits chimiques en général, des médicaments vétérinaires, des compléments alimentaires. L'Anses est aujourd'hui responsable de cinq systèmes de vigilance (nutrivigilance, phytopharmacovigilance, pharmacovigilance vétérinaire, toxicovigilance, épidémiosurveillance), garantissant une réactivité maximale en cas de crise sanitaire.

Concernant le champ de votre mission, une priorité porte sur les enjeux de sécurité sanitaire que pose l'utilisation des plantes sous toutes leurs formes, et en particulier des huiles essentielles, qui connaît un fort essor ces dernières années, que ce soit à des fins cosmétiques, de consommation, d'entretien ou d'automédication. Or, beaucoup de questions restent posées sur ces substances et leurs usages, en termes d'évaluation des risques.

M. Matthieu Schuler. - L'Anses a conduit différentes études traitant notamment des huiles essentielles, dans le cadre de saisines ou d'auto-saisines. Elle a ainsi publié en 2017 un avis relatif aux technologies émergentes d'épuration de l'air intérieur. A cette occasion, nous avons constaté que les données concernant les effets de l'exposition aux huiles essentielles étaient lacunaires ou parcellaires.

Dans le cadre de la toxicovigilance, sur le base des signalements remontés via le réseau des centres antipoison, notre groupe de travail « vigilance des produits chimiques » analyse des cas d'exposition aux huiles essentielles, en se concentrant dans un premier temps sur ceux de gravité forte. Pas moins de 12 000 cas ont été remontés, dont 6 000 présentant des symptômes. Entre 2012 et 2017, le nombre de cas avec symptômes a pratiquement doublé. Des travaux ont été lancés sur les cas d'expositions pédiatriques et de mésusages.

La nutrivigilance a pour objectif d'améliorer la sécurité du consommateur en identifiant d'éventuels effets indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires, d'aliments ou de boissons enrichis en substances à but nutritionnel ou physiologique (comme les boissons énergisantes), de nouveaux aliments et ingrédients et de produits destinés à l'alimentation de populations particulières (nourrissons, sportifs, patients souffrant d'intolérance alimentaire...). Ce dispositif unique en Europe a été mis en place en 2009 par la loi « hôpital, patients, santé et territoires ». Le bilan 2017 indique environ 600 cas dont 150 pour lesquels l'analyse peut être menée complètement. Il s'agit très majoritairement de cas impliquant des compléments alimentaires, à plus de 90 %. Nous analysons notamment les allégations de santé (telles que « stimule les défenses naturelles », « facilite la digestion », « augmente la vitalité »). La question de l'utilisation de plantes, le cas échéant sous la forme d'huiles essentielles, dans les compléments alimentaires, a d'ores et déjà fait l'objet de travaux. L'analyse de signalements répétés a conduit à la publication d'avis dont les conclusions ont été introduites dans l'annexe de l'arrêté du 24 juin 2014.

Nous avons plus récemment lancé des études sur les compléments alimentaires destinés aux femmes enceintes notamment ceux contenant de la spiruline ou de la mélatonine. Nous rendrons d'ici la fin de l'année un avis sur les compléments alimentaires contenant de la glucosamine et/ou chondroïtine. Ces travaux répondent au constat du manque d'information concernant les effets liés à l'exposition à des compléments alimentaires, à l'instar des huiles essentielles. Lorsqu'elle réalise ces études, l'Anses ne regarde que le volet innocuité et impact sur la santé. Or, il existe un autre volet important : l'évaluation de l'allégation santé que l'EFSA, l'Autorité européenne de sécurité des aliments, est censée avoir dûment autorisée.

Des travaux sont également en cours dans le domaine du médicament vétérinaire, le recours à la phytothérapie et aux huiles essentielles étant en plein essor pour développer des alternatives aux antibiotiques. Un avis récent de 2018 témoigne du manque d'informations et de documentations sur les allégations revendiquées par ces médicaments et sur l'évaluation de leur innocuité notamment au regard des limites maximales de résidus.

De manière générale et c'est là notre message principal, l'évaluation des risques reste indispensable pour ces produits auxquels la population peut être exposée. Les évaluations que nous réalisons s'inscrivent dans un cadre rigoureux et scientifique, s'appuyant sur des standards reconnus et suivant des procédures transparentes recourant à une expertise collective. Un produit d'origine naturelle, et en l'occurrence végétal, n'est pas systématiquement synonyme d'innocuité ni d'efficacité pour son utilisateur. Nous poursuivons ce même raisonnement pour d'autres types de consommation courante ou d'autres produits réglementés.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci de vos interventions. Quelles sont les données disponibles sur la fréquence et la gravité des risques liés à l'usage des plantes ou produits à base de plantes comme les huiles essentielles ou compléments alimentaires ?

La liste des 148 plantes sorties du monopole pharmaceutique, fixée par un décret de 2008, pourrait-elle être réétudiée et selon quels critères ?

L'évaluation des allégations santé relatives aux plantes est en attente au niveau européen : quels sont vos échanges avec l'EFSA à ce sujet et avec les autres agences nationales ? Que pensez-vous du principe d'une évaluation graduée partant de la reconnaissance de l'usage traditionnel des plantes et intégrant les avancées des connaissances scientifiques ?

Enfin, vous avez évoqué la question de la reconnaissance mutuelle. Selon vous, n'y aurait-il pas un intérêt à renforcer l'harmonisation au sein de l'Union européenne ?

M. Matthieu Schuler. - Il n'y a pas de problématique de reconnaissance mutuelle pour les compléments alimentaires. Une fois que l'EFSA a statué pour autoriser une allégation de santé, le complément alimentaire est soumis à déclaration au niveau national. Nous intervenons auprès de la DGCCRF sur certains compléments spécifiques, les DADFMS (denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales), destinés à des populations précises. A partir des recensements effectués par les centres antipoisons sur la période 2012-2017, on compte 19 000 cas d'expositions à des huiles essentielles dont 6 000 étaient des cas symptomatiques. Nous allons analyser d'ici la fin de l'année les cas les plus critiques.

Mme Carole Le Saulnier. - Pour les médicaments à usage humain et les médicaments fabriqués industriellement, la reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché fonctionne bien, sans blocage particulier. Nous reconnaissons les autorisations délivrées par les autres États membres de l'Union européenne.

Mme An Lé. - Après une autorisation nationale préalable, les reconnaissances mutuelles d'AMM d'usage médical bien établi concernant les spécialités à base de plantes fonctionnent également, avec des délais bien respectés. Ce qui pose problème, ce sont les délais pour les autorisations nationales. La procédure issue de la directive européenne de 2004 nécessite une validation des anciennes autorisations de mise sur le marché. Les procédures d'évaluation peuvent être longues, car les exigences sur les médicaments sont importantes. Pour les nouvelles demandes, le délai moyen de délivrance de l'autorisation est d'environ deux ans.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Avez-vous un avis sur l'évolution de la liste des 148 plantes ?

Mme An Lé. - Il s'agit des 148 plantes médicinales hors monopole pharmaceutique. Depuis 2009, nous travaillons avec les outre-mer pour intégrer à la pharmacopée un ensemble de plantes médicinales d'intérêt pour les régions concernées. Des choix stratégiques sont faits par région, soit de proposer comme pour la Guyane des plantes médicinales qui ont vocation à rester dans le monopole pharmaceutique, car à risque, soit une reconnaissance de la tradition familiale. Depuis une dizaine d'années, nous avons intégré 61 plantes des outre-mer en vrac, utilisées selon une approche traditionnelle.

Les indications thérapeutiques de ces plantes relèvent de la compétence du pharmacien et ne figurent pas dans cette liste.

Il serait possible de réévaluer cette liste, en dehors d'une approche alimentaire ou condimentaire, pour y intégrer des plantes n'étant pas à risque, mais avec des règles de qualité, d'étiquetage et de distribution qui devraient être très précises.

Mme Françoise Weber. - S'agissant du médicament vétérinaire, sa réglementation est très proche de celle du médicament humain. Le décret n° 2013-472 a allégé les dossiers d'autorisation de mise sur le marché pour les produits à base de plantes en médecine vétérinaire. Néanmoins, nous avons identifié un obstacle majeur pour l'obtention des AMM : l'absence de limite maximale de résidus. Un certain nombre des composants des médicaments à base de plantes sont toxiques et peuvent se retrouver, dans des proportions parfois importantes, dans la viande qui va être consommée ou dans le lait. Nous avons engagé un travail sur la possibilité de fixer des limites maximales de résidus et essayé de définir une méthodologie. C'est un obstacle important notamment dans les usages en automédication. L'absence de limite maximale de résidus fait courir des risques lorsqu'on utilise ces produits sur des animaux de rente - sans oublier les autres risques comme celui de compositions instables ou frauduleuses. On l'a vu avec l'affaire des oeufs contaminés au fipronil, présenté pour traiter les poux rouges des poules.

Mme Patricia Schillinger. - Quel est le contrôle des ventes réalisées sur internet ? Y a-t-il des autorisations spéciales ? En outre, on ne parle pas assez des produits issus du cannabis. Comment gérez-vous les autorisations ?

Mme An Lé. - Pour les plantes médicinales et les spécialités entrant dans le circuit pharmaceutique, seules les officines de pharmacie reconnues ont l'autorisation de les distribuer sur internet. Nous travaillons avec la DGCCRF pour identifier des produits de contrebande ou falsifiés. Nous avons plus de problèmes avec les produits manufacturés vendus sur internet, en dehors des circuits pharmaceutiques.

Nous avons autorisé le premier médicament à base d'extraits de cannabis, dans le cadre d'une reconnaissance mutuelle avec le Royaume-Uni. Il a fallu modifier préalablement la réglementation nationale, puisque les extraits de cannabis étaient interdits car considérés comme stupéfiants. Les préparations à base de cannabis sont autorisées dans plusieurs États membres, avec lesquels nous échangeons régulièrement. Les problématiques sont les mêmes que pour les autres produits : il faut assurer la sécurisation des circuits pharmaceutiques, vérifier la qualité des compositions et des extraits utilisés, assurer une surveillance et développer la recherche pour mettre en avant l'efficacité de ces préparations.

Mme Carole Le Saulnier. - En ce qui concerne les ventes sur internet, dès lors que les opérateurs sont en France, il est facile d'effectuer les contrôles. La difficulté est tout autre lorsque les opérateurs sont situés à l'étranger, notamment hors de l'Union européenne. Nous prenons des mesures afin que la vente cesse et informons nos collègues des douanes. Toutefois, nous avons conscience que ces mesures ont peu d'impact.

M. Matthieu Schuler. - Pour ce qui concerne l'alimentation, l'Anses n'est pas l'autorité de contrôle. C'est la DGCCRF qui intervient dans le domaine des compléments alimentaires. En 2016, ils avaient mené une campagne sur les sites pour vérifier la conformité des compléments alimentaires par rapport aux obligations réglementaires. Très souvent, on trouve des allégations de santé qui sont non autorisées - les fabricants n'ont pas déposé leurs dossiers pour prouver la solidité de leurs allégations auprès de l'EFSA - ou qui vont au-delà d'une simple allégation de santé en ayant une portée thérapeutique.

L'Anses ne traite pas de manière générique de la question des cannabidïols. En revanche, nous avons un point de vigilance dans la cadre de la nouvelle mission qui nous a été confiée sur les produits du tabac et du vapotage. Nous venons de mettre en place un collectif d'experts, et regarderons de près les éventuels composants à base de cannabidïols dans les liquides de vapotage.

M. Guillaume Gontard. - L'accès aux 148 plantes est facile par internet. En revanche, seul le pharmacien peut donner les informations sur leur usage thérapeutique. Alors que se développe l'automédication, considérez-vous l'absence d'intermédiaires comme un problème, ainsi que le fait d'avoir accès aux plantes sans disposer de ces informations ?

Mme Corinne Imbert. - Pourriez-vous également définir clairement la différence entre allégations thérapeutiques et allégations de santé ?

M. Matthieu Schuler. - L'allégation thérapeutique relève du champ du médicament. On attend un pouvoir de guérison. L'allégation de santé concerne une amélioration du bien-être, et peut ainsi se rapporter à la vitalité, une facilité de digestion....

Mme Carole Le Saulnier. - Le code de la santé publique définit le médicament, soit par présentation, soit par fonction. Une allégation thérapeutique est liée au médicament. Mais, parfois, la différence avec une allégation de santé peut être ténue.

Mme An Lé. - L'étiquetage des médicaments mentionne l'indication thérapeutique, évaluée dossier par dossier. La substance active d'origine végétale va définir une indication thérapeutique, précisée pour un produit fini selon un certain dosage, une posologie, une durée de traitement. Cela ne concerne pas l'ensemble de la plante sous toutes ses formes. Pour les 148 plantes hors monopole pharmaceutique, leur utilisation à des fins alimentaire ou condimentaire ne pose pas de questions. Toutefois, pour le traitement de pathologies particulières, il est important de définir une allégation qui puisse être dispensée par des personnes formées ou une indication thérapeutique relevant du conseil pharmaceutique, dans un contexte de soins.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Vous ne m'avez pas répondu sur la liste en attente au niveau européen sur les allégations de santé des plantes. Des professionnels souhaitent que cette situation se débloque.

M. Matthieu Schuler. - Je vais vérifier ce point, mais à ma connaissance, un site recensant les allégations de santé d'ores et déjà autorisées par l'EFSA existe pour les compléments alimentaires.

Mme Anne Lé. - Nous travaillons en lien avec l'EFSA sur les allégations de santé. Le groupe européen sur les médicaments à base de plantes a quelques difficultés concernant les allégations qui portent sur des spécialités d'usage médical bien établi avec une efficacité démontrée. Nous avons des plantes comme le séné ou le millepertuis qui peuvent présenter des risques, intrinsèques, dans le cadre d'une utilisation au long cours ou du fait d'interactions médicamenteuses. Dans ces situations, nous ne sommes pas favorables à ce qu'il puisse y avoir des allégations relevant du domaine des compléments alimentaires, à la frontière de l'indication thérapeutique.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Nous avons déjà travaillé avec l'Anses sur la question des préparations naturelles peu préoccupantes. Disposez-vous des moyens et des effectifs nécessaires pour faire face aux tâches qui vous incombent ?

Mme Françoise Weber. - Pour le traitement des autorisations de mise sur le marché, l'Anses a bénéficié depuis un peu plus d'un an de la recette de la taxe versée au moment du dépôt du dossier. Cela permet d'assouplir le plafond d'emplois, uniquement pour le traitement des dossiers relatifs aux autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, des médicaments vétérinaires et des biocides. C'est un mécanisme à double tranchant : si les demandes diminuent, les effectifs diminueront aussi. Mais ce système nous paraît adapté à une charge de travail très évolutive.

Ce modèle économique ne s'applique pas à ce qui ne donne pas lieu au versement d'une taxe. C'est le cas des saisines faites par les autorités de tutelle ou les membres de notre conseil d'administration. Or, les questionnements - et la charge de travail induite - sont de plus en plus importants. Cela ne nous empêche pas de travailler sur les préparations naturelles peu préoccupantes ou sur les biostimulants. Nous avons une problématique commune avec l'ANSM sur ce point : la reconnaissance de la tradition et la mise en place d'un dispositif approprié à celle-ci. Une évaluation, la plus légère possible, est nécessaire pour la protection des consommateurs vis-à-vis d'un risque toxique ou microbiologique.

Mme Corinne Imbert. - Cette réflexion pourrait-elle aboutir prochainement ?

Mme Françoise Weber. - Nous sommes prêts à nous mettre au travail. Nous avons déjà rendu un avis sur ce qui pouvait être fait ainsi que sur le niveau d'exigence minimal et les critères d'inscription sur la liste prévue par l'article D. 255-30 du code rural. Nous devons ouvrir le dialogue avec les parties prenantes, l'ANSM, les autres États membres et les agences européennes, sur la base de dossiers types, afin de parvenir à un dispositif harmonisé.

Mme Corinne Imbert, présidente. - Merci à tous de votre contribution à nos travaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 40.

- Présidence de Mme Corinne Imbert, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 45.

Audition du docteur Laurent Chevallier, médecin nutritionniste et botaniste

Mme Corinne Imbert, présidente. - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses travaux en accueillant le docteur Laurent Chevallier, médecin nutritionniste et botaniste, auteur en 2015 d'un ouvrage intitulé « Moins de médicaments, plus de plantes ».

C'est notamment pour votre expertise à ce titre que nous avons le plaisir de vous entendre dans le cadre de notre mission. Je vous remercie de vous être rendu disponible pour apporter une contribution à nos travaux.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Mme Laurent Chevallier, médecin nutritionniste et botaniste. - Je vous remercie beaucoup de votre invitation. Je pense que mener une réflexion sur les plantes médicinales et l'herboristerie est quelque chose d'absolument essentiel. Je suis médecin, nutritionniste, attaché au CHU de Montpellier. J'exerce également en clinique où nous avons fondé une unité de médecine environnementale multidisciplinaire qui prend en charge différents troubles. J'ai fait de la botanique et je me suis occupé des diplômes universitaires (DU) de phytothérapie. J'interviens enfin sur ce sujet des plantes en tant que chroniqueur sur France Inter ou dans le Magazine de la santé sur France 5.

On constate un mouvement du corps médical depuis cinq ans vers le développement des thérapeutiques non médicamenteuses où les plantes jouent un rôle considérable. Se négocient actuellement au niveau universitaire des volumes horaires pour sensibiliser les étudiants avant la 3ème année en médecine sur ce type de thérapies.

Parallèlement, a lieu en ce moment une recension des DU concernant les plantes. Il faut savoir que ces DU sont une manne financière pour les universités qui ont tendance à les ouvrir très largement, y compris aux non professionnels de santé qui peuvent alors se targuer d'avoir un diplôme universitaire sur ce sujet. Il convient de protéger le consommateur contre des pratiques qui ont besoin d'être mieux encadrées, en recentrant l'accès à ces DU aux seuls professionnels de santé, c'est-à-dire aux infirmières, médecins, pharmaciens, voire en allant au-delà avec les préparateurs en pharmacie, kinésithérapeutes, sages-femmes ou chirurgiens-dentistes.

Il apparaît essentiel d'orienter les pratiques vers une décroissance médicamenteuse. Aujourd'hui, entre 10 et 30 000 décès par an, et 10 à 20 % des hospitalisations des personnes de plus de 60 ans, sont liés aux mésusages de médicaments, ce qui pose un problème tant pour les individus que pour la collectivité en termes de coûts.

Dans ce contexte, il est important d'identifier les pratiques liées aux plantes médicinales et de savoir si les usages traditionnels ont ou non un fondement scientifique. Des plantes ont pu être utilisées dans le passé alors même qu'elles étaient toxiques mais autrefois leur usage était peut être différent d'aujourd'hui. En fonction des principes actifs et de l'usage qui est fait, la toxicité peut varier. Des méthodes d'évaluation de la toxicité des plantes devraient être définies au niveau européen, sachant que les frontières sont ténues entre le médicament et les compléments alimentaires.

Une évaluation sanitaire des plantes doit être menée, sans toutefois aller jusqu'à considérer la plante comme un médicament, ce qui induirait des niveaux d'évaluation bien trop élevés, comme on l'a vu lors des débats agricoles sur le purin d'ortie. Il doit y avoir des évaluations adaptées, par des organismes spécifiques centralisateurs, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

La culture des plantes médicinales est certainement à développer sur le territoire métropolitain et outre-mer. La valorisation est importante, par exemple par des fours solaires pour le séchage. Cette filière représente un potentiel de développement agricole important en présentant des cultures alternatives pour nos territoires. Or, aujourd'hui, 80 % des plantes sont importées avec des interrogations fortes sur leur qualité sanitaire. Certaines spirulines bios importées d'Asie sont certes sans traitement mais ont juste été ramassées ; finalement, les produits sont très contaminés. Je crois qu'il y a un gisement en France et outre-mer pour les plantes médicinales.

Concernant les 148 plantes libérées du monopole pharmaceutique, ce dont on aurait besoin sur le plan médical n'est pas de libérer d'autres plantes mais de créer une liste noire des plantes dangereuses. Cette liste de 148 plantes est curieuse. Il y a des plantes qui peuvent être dangereuses et des plantes qui ont des vertus thérapeutiques alors que d'autres ne figurent pas dans la liste. Le problème essentiel c'est le grammage, le dosage, le lieu où elles ont été cultivées puisque l'intensité du principe actif peut varier en fonction du lieu de culture.

Il ne faut pas opposer les plantes et le médicament mais y voir une complémentarité. Sur des troubles mineurs du sommeil ou des dépressions légères, on peut commencer par des plantes. Pour des douleurs rhumatismales, des huiles essentielles peuvent être très utiles et réduire l'usage d'anti-inflammatoires.

Nous, médecins, sommes inquiets face au développement sauvage du marché des plantes, au recours à des conseils inappropriés qui induisent des retards de diagnostic et des drames humains dont nous sommes témoins tous les jours.

Aujourd'hui, l'enjeu est de protéger le consommateur. Celui-ci a une liberté de choix mais il y a une telle foison de propositions, notamment sur Internet, qu'il faut parvenir à encadrer cela. Les naturopathes ne sont plus attaqués pour exercice illégal de la médecine contrairement à ce qu'il se passait il y a quinze ans. Certains sont de qualité mais cela n'enlève rien au coût humain et financier induit par les retards au diagnostic.

Une première piste de réflexion serait de créer sur le modèle de la pharmacovigilance une vigilance sur les effets secondaires que peuvent avoir les plantes, auprès de la Haute Autorité de santé. Depuis 2016, le recueil d'informations, s'agissant des médicaments, est étendu aux associations de patients. Il faudrait créer un dispositif de surveillance plus centralisé et mieux organisé pour ne pas juste faire reposer la santé des consommateurs sur quelques contrôles de la DGCCRF.

La deuxième piste serait le développement de la production des plantes en France, en envisageant un label « Plantes de France ».

Le diplôme d'herboriste devrait plutôt être, selon moi, une spécialité agricole et non une nouvelle profession de santé à laquelle s'opposerait d'ailleurs le ministère. En effet, qui dit profession de santé dit, à terme, remboursements. Cette nouvelle profession de santé créerait également une confusion auprès du consommateur. Nous avons déjà une profession experte en matière de toxicité : ce sont les pharmaciens. En revanche, les agriculteurs cultivant des plantes devraient avoir le droit de les vendre.

Je vous rappelle que si le diplôme d'herboristerie a été supprimé en 1941 c'était pour fusionner les deux professions car le pharmacien devait être un herboriste. Ce n'était pas une volonté de faire disparaître le métier d'herboriste mais plutôt de protéger le consommateur en prévoyant une profession centralisée ayant la double compétence. Finalement les pharmaciens se sont tournés vers le médicament. Ils ont, pour certains, un intérêt moins important qu'auparavant pour les plantes. Il faudrait rétablir cette compétence en les incitant à se former. Il faudrait aussi en parallèle mieux former les médecins. Mais les évolutions en cours dans le monde universitaire démontrent que cela avance !

Il y a matière à approfondir ce sujet. C'est donc une excellente initiative d'avoir ouvert une réflexion par rapport aux plantes médicinales.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci de cet exposé. Comment évaluez-vous la sensibilisation du corps médical à l'intérêt de la phytothérapie ?

Vous avez évoqué le métier de paysan-herboriste. Quels devraient être les contours de ce métier et les limites à ses prérogatives ou de leurs prérogatives si on admettait qu'il y ait un autre corps intermédiaire d'herboriste non pharmacien ?

L'ordre des médecins et celui des pharmaciens mettent en avant des risques de perte de chance ou des risques liés aux interactions entre plantes et médicaments qui ne seraient pas maîtrisés par une personne n'ayant pas l'étendue de la formation en santé d'un professionnel médical : comment contrecarrer ce risque ?

Dr Laurent Chevallier. - Peu de médecins sont sensibilisés. Le corps médical est vieillissant et n'a pas envie de se remettre à de nouvelles pratiques. De même, les plantes n'occupent pas une place fondamentale dans l'approche des jeunes générations de praticiens. D'où l'intérêt de ce qui est en train de se mettre en place au niveau des universités sur les thérapeutiques non médicamenteuses.

À titre personnel, je ne crois pas qu'il faille créer un corps intermédiaire d'herboriste, cela va créer de la confusion chez le consommateur. Que cela soit en revanche un diplôme relevant du domaine agricole serait pertinent puisqu'il faut prêter attention à la façon dont on cultive et que les principes actifs sont différents d'un sol à l'autre. Parallèlement, ces agriculteurs pourraient donner des conseils tout comme le maraîcher peut conseiller à un diabétique de prendre certaines variétés de fraises puisqu'il les sait moins sucrées.

Sur la perte de chance, je pense qu'elle est importante. Il existe des interactions entre les plantes et les traitements de chimiothérapie. Cela peut soit augmenter l'efficacité du traitement soit le neutraliser. Dans certains cas, on peut donc utiliser certaines plantes mais pas n'importe lesquelles. C'est une affaire complexe. On constate des résistances à certains traitements que l'on n'explique pas car les patients ne disent pas avoir recours à des plantes à leur cancérologue. C'est pourquoi la création d'un corps intermédiaire ne serait pas judicieuse en termes de protection du consommateur, déjà perdu face à la pluralité des offres de soins.

Comme pour l'homéopathie, tant qu'on la laisse dans les mains du médecin, il n'y a pas de problème puisque le médecin enverra chez les spécialistes les patients atteints des maladies les plus graves.

Si des gens veulent soigner d'autres gens, qu'ils fassent des études appropriées de médecine, de pharmacie, d'infirmières... Je pense qu'il faut élargir la possibilité de donner des conseils aux infirmières et aux kinésithérapeutes en renforçant leur formation.

Mme Élisabeth Lamure. - Merci pour votre présentation qui était très éclairante d'autant que vous êtes à la fois médecin pratiquant et fin connaisseur des plantes. Conseillez-vous, si j'ai bien compris, un éventuel diplôme d'herboriste uniquement dans les cas où il y a eu une formation initiale de base en médecine voire paramédicale ? Pouvez-vous préciser en outre la nature de la liste noire que vous appelez de vos voeux ?

Dr Laurent Chevallier. - Effectivement, il faudrait qu'il y ait une formation initiale de professionnel de santé. Les infirmières connaissent parfaitement leurs limites et savent quand il faut appeler les médecins, comme les sages-femmes.

Les 148 plantes sont en vente libre. Or, tout dépend de la façon dont elles vont être utilisées, d'où elles proviennent et avec quelles quantités. D'autres plantes ne figurent pas sur la liste comme le plantin.

S'agissant du recours aux plantes médicinales, les choses évoluent dans les hôpitaux de façon extrêmement positive. Il y a quinze ans, on me demandait de ne rien en dire. Aujourd'hui, on serait presque à me demander d'ouvrir une consultation spécifique sur les plantes. La frilosité du corps médical s'est amenuisée. C'est pourquoi vous avez un rôle fondamental pour mieux encadrer ce phénomène. Les gens ont besoin de repères.

La liste noire contiendrait des plantes à ne pas utiliser. Il est urgent de la mettre en place, avec le conseil de botanistes ou l'appui d'autres pays européens comme l'Allemagne par exemple. Certaines plantes dangereuses peuvent se retrouver dans des compléments alimentaires, où les contrôles et la surveillance doivent être rapidement renforcés.

M. Daniel Laurent. - Au fil des auditions, nous avançons dans notre réflexion et vos avis différents permettent de nous éclairer sur l'utilisation des plantes médicinales et les garanties que les consommateurs doivent avoir. Vous avez rappelé que 80 % des plantes sont importées, sans totale garantie sur leur qualité. Vous n'avez pas parlé en revanche des laboratoires qui, lorsqu'on les entend, apportent toutes les garanties attendues. Je partage par ailleurs votre analyse sur la nécessité d'encadrer le recours croissant aux plantes médicinales pour donner des garanties aux consommateurs.

Dr Laurent Chevallier. - Il est probable que de prochains scandales sanitaires viennent de ces plantes d'importation. Elles peuvent avoir des résidus de pesticides et, comme on l'a vu, des contaminations possibles. Or les contrôles coûtent très cher. Et les produits ne sont contrôlés que très rarement.

J'attire également votre attention sur les plantes utilisées à des fins alimentaires. Comment se fait-il qu'on puisse vendre aujourd'hui des boissons revendiquant des formules secrètes à base de plantes ? Il peut y avoir des allergisants ou des interactions même à petites doses avec les médicaments.

Quant aux laboratoires, je n'ai pas une grande expérience, ne connaissant que les laboratoires Pierre Fabre qui ont développé une branche plantes médicinales. Ce que j'ai vu, c'est qu'ils traitaient cela comme des médicaments avec beaucoup de rigueur. Pour les autres, je ne peux pas vous répondre. Ce qui est sûr, c'est que les laboratoires sont contrôlés surtout au niveau des papiers et peut être pas suffisamment sur les produits.

Mme Angèle Préville. - Parmi les 80 % de plantes importées, quel pourcentage pourrait être cultivé en France ? Sur la question d'un métier de paysan-herboriste qui pourrait se dessiner, quelle formation devrait-il avoir ? Pourrait-il faire de la vente directe ? Quelles allégations de bien-être pourrait-il faire ? Les effets secondaires des médicaments ont engendré un mouvement de retour en faveur de l'utilisation des plantes. Les médecins et professionnels de santé devraient apporter ces conseils, pour informer des effets possibles des plantes sur les autres traitements, comme les chimiothérapies.

Dr Laurent Chevallier. - Sur les 80 % de plantes, je pense que toutes pourraient être cultivées en France ou outre-mer grâce à notre climat tempéré. Un métier de paysan-herboriste serait une bonne idée sur la base d'un diplôme agricole. En revanche sur les allégations, il faut être plus prudent. Pourquoi ne pas permettre de telles allégations aux musiciens ou aux acteurs qui fournissent aussi du bien-être ?

Mme Angèle Préville. - Même si cela est dans leur formation ?

Dr Laurent Chevallier. - Je pense que ces intermédiaires ajoutent de la complexité. Ils peuvent vendre des plantes comme un maraicher peut vendre des légumes, qui peuvent d'ailleurs avoir des bienfaits eux-mêmes.

Concernant les médecins, le problème est qu'ils n'ont pas été formés à ces thérapies non médicamenteuses ! Les pharmaciens en savent bien plus.

Je réitère enfin que s'agissant des produits à base de plantes, il ne faut pas tomber dans le travers d'évaluations trop complexes que connaît le médicament sans quoi on ne pourra jamais utiliser aucune plante.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Nous avons constaté que les pratiques de ventes de plantes avec allégations sont possibles sur Internet. D'un autre côté, il existe des herboristes professionnels qui sont de vrais professionnels des plantes qui n'ont pas le droit de donner des allégations. Tous ne se réclament pas professionnel de santé mais revendiquent le fait de pouvoir notamment se baser sur les savoirs traditionnels. Ils aspirent à exercer leur métier en lien avec les professions médicales, comme en Belgique ou au Québec où cela fonctionne. Cela fait partie des questionnements que l'on a. Quel est votre avis ?

Dr Laurent Chevallier. - Les gens que vous avez vus, certains que je suis amené à rencontrer, ont une formation scientifique extrêmement faible. L'usage traditionnel ne suffit pas. N'oublions pas que la France est dotée d'un des meilleurs systèmes de santé du monde qui protège le consommateur. Tout le monde est autorisé à soigner à la condition qu'il soit professionnel de santé.

Par rapport à ce que l'on voit sur Internet, il faut comprendre qu'on ne pourra pas être coercitif. D'où l'importance de créer des labels pour obtenir des garanties grâce aux contrôles effectués. L'immense majorité des agriculteurs respectent la réglementation ce qui n'est pas le cas le plus souvent de produits importés. Le consommateur doit avoir des garanties sur les pesticides, les engrais, les cultures pour l'inciter à recourir à des plantes de qualité. Ensuite, demandons à la HAS de créer en son sein un département plantes. Les plantes médicinales doivent avoir un avenir en France, soit au travers d'un diplôme d'herboristerie réservé aux professionnels de santé, soit au travers d'un diplôme de paysan-herboriste les autorisant à vendre quelques plantes en vrac. Après tout, on vend bien du thym dans le commerce. Mais que cela ne soit pas compris comme une profession de santé par les consommateurs. Préservons notre système de soins à mon sens.

Mme Corinne Imbert, présidente. - Merci docteur pour votre intervention. Nous avons bien entendu votre enthousiasme et l'avenir que cette filière pouvait avoir dans notre pays.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Table ronde autour de représentants de syndicats agricoles : Mme Sophie Fagot et M. Benoît Joulain pour la Confédération paysanne ; M. Soumaila Moeva, administrateur des Jeunes agriculteurs, producteur d'ylang-ylang à Mayotte, accompagné de Mme Mathilde Roby, juriste

Mme Corinne Imbert, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions, la dernière en plénière, en entendant des représentants des syndicats d'agriculteurs : Mme Sophie Fagot et M. Benoît Joulain pour la Confédération paysanne, tous deux membres de la commission PPAM (plantes à parfum, aromatiques et médicinales) ; M. Soumaila Moeva, administrateur des Jeunes agriculteurs, producteur d'ylang-ylang à Mayotte, accompagné de Mme Mathilde Roby, juriste. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles et la Coordination rurale n'ont pu être représentées mais pourront nous adresser une contribution écrite. Je vous remercie toutes et tous de vous être rendus disponibles pour apporter une contribution à nos travaux.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Benoît Joulain, membre de la Commission PPAM de la Confédération paysanne. - Notre commission existe depuis 2012 et a été créée en réponse aux problèmes que connaissent les producteurs de plantes aromatiques et médicales (PPAM). Elle défend les droits des producteurs dont la plupart travaillent en circuit court ou en vente directe. Elle assiste les petits producteurs lors des contrôles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui se sont intensifiés depuis ces trois dernières années. Elle assure enfin une veille réglementaire pour les plantes aromatiques et médicinales tant la réglementation en est complexe. Notre quotidien est fait de normes ! Comme représentants des territoires, vous connaissez l'importance du maillage des agriculteurs pour le tissu économique et de l'installation de nouveaux producteurs afin d'assurer le renouvellement des générations paysannes.

D'après le dernier recensement général agricole, environ 53 % des producteurs de PPAM détiennent des exploitations de moins de cinq hectares. Alors que le secteur agricole connaît, de manière globale, une décroissance, les surfaces cultivées en plantes aromatiques et médicinales ont connu, quant à elles, une nette augmentation, de 15 %, tandis que les autres surfaces agricoles diminuaient de 2 % entre 2000 et 2010 ; le nombre d'exploitations en PPAM a augmenté de 23 %, contre une baisse de 26 % dans les autres spécialités agricoles. Beaucoup de petits producteurs de PPAM s'installent avec une activité de vente directe. Les producteurs qui s'installent demandent la « dotation jeune agriculteur » (DJA).

Les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) n'ont pas toujours conscience, et connaissance, de la surrèglementation qui s'applique en particulier aux petits producteurs avec une activité de vente directe.

54 % des huiles essentielles sont commercialisées en magasins bio, principalement comme des produits alimentaires ; seules 11 % le sont en officine et 24 % sur internet. Les infusions sont majoritairement vendues en grandes surfaces : 3 300 tonnes y sont ainsi écoulées contre 110 tonnes en pharmacie.

La majorité des produits commercialisés en France sont d'origine internationale. Ils sont achetés sur les marchés de gros et non aux petits producteurs. C'est le cas des herboristeries existantes ou des pharmacies. Cela représente une forte concurrence : à titre d'exemple, le tilleul de Chine est vendu 5 euros le kilogramme contre 100 euros pour le tilleul français ; une plante vendue en Chine ou en Inde de 50 centimes à 2 euros le kilogramme est vendue, lorsqu'elle d'origine française, jusqu'à 200 euros le kilo.

La production des plantes médicinales s'opère dans une insécurité juridique permanente. On ne sait pas ce qu'on a le droit ou pas de vendre. D'ailleurs, une étude réalisée à la demande de FranceAgriMer n'a pas été en mesure de présenter la réglementation de manière exhaustive. En outre, le Livre bleu sur les plantes alimentaires est devenu proprement introuvable !

La production bio en France représente environ 10 % des produits aromatiques ou médicinaux. La réglementation sur l'agriculture biologique ne vaut que pour les produits alimentaires. A contrario, un produit de synthèse n'a pas à être indiqué sur l'étiquetage des produits cosmétiques.

Je rappellerai également que 80 % du thym vendu en France est d'origine polonaise.

La formation des producteurs de plantes est assurée par quatre centres de formation professionnelle agricole en France qui proposent des BPREA (brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole) et tendent désormais à proposer des certificats de spécialisation.

La Confédération paysanne promeut une réglementation par produit grâce à l'octroi d'allégations spécifiques, plutôt qu'une approche par le statut du producteur. 

Mme Sophie Fagot, membre de la Commission PPAM de la Confédération paysanne. - Je suis productrice de plantes médicinales dans le Vaucluse. Les petits producteurs, en raison de la taille de leur exploitation, se heurtent à un effet de seuil : jusqu'à 5 hectares, ils sont en mesure de maintenir une grande variété de plantes cultivées, allant de 30 à 50 espèces ; mais cela entraîne un faible volume de produits pour chaque plante, avec des lots de taille insuffisante pour la commercialisation en marchés de gros ou de demi-gros ; ces petits producteurs ont donc recours quasi-systématiquement à la vente directe.

Le temps de travail sur ces petites exploitations est évalué à quelque deux mille heures annuelles. Les productions sont également peu, voire non mécanisées.

La réglementation, à laquelle s'ajoutent des incertitudes fiscales, représente une source de confusion pour les petits producteurs. Cet excès de réglementation cache en fait un déficit de réglementation adapté, prenant en compte notamment le caractère multi-usages de nos produits. Il est cependant possible d'y remédier en s'autorégulant : pour preuve, l'association française des cueilleurs et le syndicat des Simples ont édité des cahiers des charges de bonnes pratiques, dans un objectif de protection du consommateur et de la biodiversité.

Comment clarifier la situation ? Cela reposerait selon nous à la fois sur une logique métier, par le biais de formations diplômantes, et sur une logique produit qui consisterait à définir un statut unique de préparations naturelles traditionnelles, pour les plantes médicinales et les produits alimentaires à base de plantes médicinales. Il y aurait pour les produits issus du travail artisanal une possibilité de reconnaître leurs usages traditionnels, en complément des autres allégations. La tradition donne des indications sur les propriétés des plantes et leurs usages, alors que la science apporte davantage des connaissances actuelles sur les interactions et les restrictions d'usage. Il faudrait en outre accorder aux petits producteurs un taux unique de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 5,5 % puisque leurs productions sont agricoles.

M. Benoît Joulain. - La filière PPAM est organisée depuis l'aval vers l'amont. Cette démarche va à l'encontre des réquisits de la production agricole où les producteurs doivent choisir ce qu'il convient de produire et de mettre sur le marché. Les petits producteurs allant jusqu'à la vente de leurs produits doivent consacrer un surcroît de travail important pour ne pas être dans l'illégalité. Pour les cosmétiques, les démarches administratives sont très lourdes ; les petits producteurs se tournent davantage vers les produits alimentaires, y compris les coopératives comme Biotope des montagnes, à laquelle j'appartiens, surtout que les contrôles de la DGCCRF sont stricts. Une personne a dû se consacrer à temps plein au travail de veille juridique.

M. Soumeila Moeva, administrateur des Jeunes agriculteurs, producteur d'ylang-ylang à Mayotte. - A la suite d'une reconversion professionnelle, j'ai repris l'exploitation de mon grand-père spécialisée dans la production d'huiles essentielles à Mayotte. L'ylang-ylang, production phare à Mayotte, est particulièrement utilisé pour les cosmétiques et la parfumerie de luxe. La production de plantes aromatiques et médicinales rejoint nos traditions locales. Toutefois, nous manquons d'étude scientifique poussée sur les plantes aromatiques et médicinales produites dans les outre-mer.

La production d'ylang-ylang a beaucoup diminué, passant de 26 tonnes en 1993 à moins de 500 kilogrammes aujourd'hui, du fait de la concurrence déloyale des Comores et de Madagascar. Le coût de la main d'oeuvre étant un facteur de renchérissement, il importe d'assurer une rémunération convenable tant aux producteurs qu'à la main d'oeuvre. Cette filière présente néanmoins de nombreux atouts : si la production agricole est confrontée à de nombreux vols à Mayotte, la production d'ylang-ylang demeure, quant à elle, assez sécurisée. Toute la production est assurée à la main. L'ylang-ylang étant cultivé sur de petites surfaces, la formation et l'installation représentent deux enjeux pour la filière, tant la démarche d'entreprise y est précaire. Il faut accorder aux producteurs les moyens d'être résilients et d'assurer non seulement la production mais aussi la commercialisation de leurs huiles.

Avec des cours mondiaux d'huile essentielle à 100 ou 120 euros le litre, le coût de production à Mayotte est de l'ordre de 180 à 200 euros par litre, ce qui est un véritable frein. Grâce aux aides à la production, on parvient à atteindre un prix convenable. La relance du pôle d'excellence rurale, dont le schéma-type ne correspond pas totalement aux attentes des producteurs, est essentielle à la relance de cette filière porteuse pour l'outre-mer. La population revient de plus en plus aux soins traditionnels et prend conscience que de nombreuses espèces végétales contribuent à la prévention. Il faut également encourager les jeunes à reprendre les exploitations agricoles, dans ce contexte économique incertain.

Mme Mathilde Roby, juriste des Jeunes agriculteurs. - Les installations aidées et les attributions de la dotation jeune agriculteur (DJA), en fonction de la production brute standard (PBS) par exploitation définie par un référentiel régional, ne prennent pas assez en compte la spécificité des plantes aromatiques, médicinales et condimentaires. Celles-ci relèvent d'une même catégorie, et du même seuil de 10 000 euros (montant minimal pour l'attribution de la DJA), alors que les productions, selon la surface, présentent des forts écarts de valeur-ajoutée. Des exploitations ne peuvent donc prétendre à la DJA ; les personnes ne peuvent alors bénéficier de formations et d'aides supplémentaires. En outre, l'assurance récolte ne prend pas en compte les plantes aromatiques. Le statut de producteur-cueilleur devrait selon nous être inscrit au registre des actifs agricoles, en vigueur depuis le 1er juillet dernier. Notre association soutient enfin les contrats pour paiement des services environnementaux grâce auxquels les exploitations des PPAM, à partir du moment où leur production contribue à la biodiversité, pourraient être davantage valorisées.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci de vos interventions. Quel est le revenu moyen des producteurs de PPAM ? Ces productions peuvent-elles constituer une voie de diversification intéressante et une source de revenus complémentaires ? Quelles mesures notamment réglementaires permettraient-elles, selon vous, de faire émerger la filière et ses métiers, notamment celui de paysan-herboriste ? En outre, pouvez-vous nous préciser les motifs de cette occultation du Livre bleu européen ? Vous nous interpellez en tant que parlementaires !

M. Benoît Joulain. - Environ la moitié des agriculteurs ne parviennent pas à dégager plus de 350 euros de revenus mensuels. La concurrence est âpre et les producteurs en vente directe éprouvent de réelles difficultés à vivre de leur métier. Nous gagnons peu rapporté au volume d'heures de travail. La réglementation doit évoluer : la liste des 148 plantes sorties du monopole pharmaceutique n'est plus adaptée. Puisqu'il s'agit de plantes médicinales issues de la pharmacopée, nous devrions pouvoir dire qu'elles sont médicinales et quelles sont leurs propriétés ! Or, nous devons les vendre sous statut alimentaire. Si le Livre bleu dresse la liste des plantes alimentaires qui transitaient en Union européenne avant 1997, la législation, sur cette base, fait défaut pour autoriser la libre vente de ces plantes alimentaires. Nous préconisons ainsi qu'un texte assure la transcription des préconisations de ce Livre bleu dans notre législation, afin que les producteurs ne soient plus limités par la liste initiale de 148 plantes.

Mme Sylvie Fagot. - Sur les mesures pouvant favoriser les métiers de l'herboristerie, la Confédération paysanne n'est pas en mesure de se prononcer sur les contenus de ces éventuelles formations, mais cherche plutôt à mettre au jour les débouchés supplémentaires que cette profession offrirait aux petits producteurs. Leurs freins sont davantage liés aujourd'hui à la réglementation. Une étude d'impact de la reconnaissance éventuelle d'un statut d'herboriste sur la filière et sur les petits producteurs serait utile. Où se fourniront les herboristeries ? La création de labels spécifiques répondrait certes à la demande en produits locaux de qualité. Néanmoins, ces herboristes pourraient préférer s'approvisionner en plantes sèches auprès de plateformes de négoce international. Notre souci est de protéger les petits producteurs pour éviter de les reléguer au rang de fournisseurs de produits à faible valeur ajoutée auprès des opérateurs. Il faut également conjurer les risques de la monoculture et de dégradation des conditions de travail.

La question de la formation en herboristerie se pose aussi en termes de contrainte de temps, puisqu'au Québec, elle représente quelque 1 500 heures échelonnées sur quatre ans. Certains producteurs ne pourront donc avoir accès à ces formations. Quelles seront les conséquences pour eux ? Une étude d'impact, qui prendrait en compte la situation des petits producteurs, nous permettrait d'anticiper ce type de difficultés.

M. Soumaila Moeva. - Le sentiment général est que le poids des contrôles réglementaires ne permet pas aux jeunes de s'approprier le métier. L'usage de ces plantes est souvent traditionnel et prescrit par des personnes sans formation reconnue. Il faudrait peut-être mettre en place des formations.

Le coût de production est tel que, sans subvention, les exploitations ne peuvent perdurer ! Cependant, certains producteurs mahorais et réunionnais de vétiver, de géranium ou encore d'ylang-ylang, démarchent directement les parfumeurs. C'est une piste sur laquelle nous travaillons pour limiter le nombre d'intermédiaires et améliorer les revenus des producteurs. Les opérateurs peuvent alors constater la réalité du label bio et du commerce équitable. Nous nous diversifions également, en produisant, pour la consommation locale, du curcuma, du corossol ou des clous de girofle. La production de deux hectares d'ylang-ylang correspond à environ 1 600 euros de revenus mensuels pour un couple. La mise à jour de l'usage des plantes médicinales représente un certain enjeu pour encourager les jeunes producteurs à diversifier leur production. L'agrotourisme, comme je le pratique sur mon exploitation, représente également une source de diversification pour les jeunes agriculteurs.

M. Daniel Laurent. - Le statut de jeune agriculteur risque d'évoluer. La création d'un statut bénéficiant aux nouvelles installations pourrait être intéressante pour certaines filières comme les vôtres. Les marges sont plus importantes pour ceux qui transforment les plantes : c'est un enjeu d'avenir. La structuration de la filière doit aller de pair avec l'augmentation des productions sur notre territoire.

M. Benoît Joulain. - Si nos prix de production sont plus élevés en France, c'est que nos conditions de travail y sont meilleures. En Espagne ou en Pologne, les conditions de travail sont bien plus difficiles. Un grand nombre de producteurs sont dissuadés de s'installer, après leur formation technique et agronomique, en raison de la réglementation de la filière et de l'insécurité juridique qu'elle induit, allant parfois jusqu'à la contrainte pénale en cas d'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie. La DGCCRF entend parfois faire condamner, quasiment pour l'exemple, certains producteurs locaux de plantes aromatiques et médicinales. La clarification de la législation en vigueur revêt ainsi une importance cruciale.

M. Daniel Laurent. - Ceux qui achètent la matière première seront toujours tentés de s'approvisionner à l'étranger, en raison du coût ! Sans rentabilité, il n'y a pas de production possible.

M. Benoît Joulain. - Nous avons une qualité à faire valoir !

Mme Mathilde Roby. - La suppression du crédit d'impôt compétitivité emploi en 2019 et de l'aide à l'emploi aux travailleurs occasionnels par la prochaine loi de finances va induire une hausse des charges. Si la vigne et l'agroalimentaire devraient bénéficier de mesures compensatoires, les producteurs de plantes risquent d'être laissés pour compte.

M. Daniel Laurent. - J'étais intervenu sur ce point lors du débat budgétaire !

Mme Corinne Imbert, présidente. - Certains petits producteurs de PPAM, qui distillent des huiles essentielles et font de la vente directe, ne regrettent pas leur installation. En matière de réglementation, l'essence même des plantes médicinales et leur rapport à la santé, représentent autant de facteurs de complexité. Des petites exploitations, fût-ce même sur des surfaces de moins d'un hectare, peuvent s'avérer de réels succès ! Nous souhaitons la valorisation sur nos territoires d'une production de qualité qui réponde aux attentes du patient-consommateur.

Mme Angèle Préville. - Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par la reconnaissance des préparations naturelles traditionnelles ?

Mme Sophie Fagot. - Cette reconnaissance concernerait l'ensemble des plantes médicinales ou les produits fabriqués à base de ces plantes transformés sur place, comme les huiles essentielles ou les produits cosmétiques ou encore les substances naturelles qui entrent dans les compléments alimentaires, à la condition que leur production soit artisanale. Cette démarche permettrait ainsi de conférer un statut unifié aux produits multi-usages, qui représentent environ 95 % des productions des petits producteurs. Une telle démarche pourrait s'inspirer de précédents, comme celui des préparations naturelles peu préoccupantes ou du label produit traditionnel garanti défini au niveau européen ou encore de pratiques en vigueur dans d'autres pays comme le Canada.

M. Benoît Joulain. - Je vous l'accorde : on peut être très heureux comme producteur de plantes aromatiques et médicales ! La plupart du temps, les producteurs en vente directe peuvent produire toute une gamme de produits au terme de processus de fabrication qui sont peu complexes, comme des eaux florales, des macérations solaires ou des baumes. La réglementation, destinée initialement à encadrer des pratiques très techniques, implique de préciser de manière stricte les usages, alimentaire ou cosmétique. Hormis pour les produits alimentaires, il faut demander des autorisations spécifiques ! À l'instar de ce qu'ont obtenu les producteurs de fromages en montagne en matière de réglementation sanitaire, nous souhaitons que nos produits disposent d'un statut unique afin de pouvoir les commercialiser en toute sérénité.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Je vous remercie de nous avoir fait part de votre expérience de terrain. Je rejoins votre préoccupation de réaliser une étude d'impact. En outre, les paiements pour service environnementaux, annoncés par le Président de la République à Rungis, illustrent votre participation à la biodiversité et à l'environnement. Enfin, les travailleurs saisonniers de votre secteur d'activités ne doivent pas être oubliés.

Mme Mathilde Roby. - S'agissant des paiements pour services environnementaux, notre demande porte sur les paiements privés et non sur les paiements publics assimilables à des subventions. Nous souhaitons que les producteurs demeurent libres de négocier la part des paiements correspondant à la sauvegarde de la biodiversité ou à la protection des sols.

Mme Corinne Imbert, présidente. - Je vous remercie de votre participation à nos travaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 45.

Mercredi 25 juillet 2018

- Présidence de Mme Corinne Imbert, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 35.

Échange de vues sur les orientations du rapport (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.

La réunion est close à 17 h 10.