Mercredi 18 juillet 2018

- Présidence Mme Corinne Imbert, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 45.

Audition de Mme Fabienne Allard, directeur de la marque Naturactive, et de M. Michael Danon, directeur général adjoint, en charge des affaires économiques, du juridique, des affaires réglementaires, de la qualité et de l'information médicale des Laboratoires Pierre Fabre

Mme Corinne Imbert, présidente. - Notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses travaux en accueillant des représentants des laboratoires Pierre Fabre : M. Michael Danon, directeur général adjoint, en charge des affaires économiques, du juridique, des affaires règlementaires, de la qualité et de l'information médicale ; Mme Fabienne Allard, directrice de la marque Naturactive ; enfin M. Bernard Fabre, directeur du pôle « actifs végétaux ». Nous vous remercions de vous être rendus disponibles pour apporter l'éclairage d'une entreprise comme la vôtre aux travaux de notre mission.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Michael Danon, directeur général adjoint des laboratoires Pierre Fabre. -L'histoire de notre groupe est singulière et a pour origine les activités de Pierre Fabre, pharmacien passionné de botanique implanté à Castres. Aujourd'hui, ce groupe rassemble près de quatorze mille collaborateurs dans le monde, avec un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros.

À la mort de son fondateur, en 2013, le groupe a été légué à une fondation reconnue d'utilité publique. L'entreprise, qui n'est pas cotée en bourse et n'est donc pas obsédée par le court terme, réinjecte une partie de ses bénéfices dans des actions caritatives dans des pays émergents, en particulier pour la lutte contre la drépanocytose.

Le prisme de nos activités est large, du médicament aux cosmétiques, en passant par les produits naturels. D'ailleurs, nos marques, comme Ducray, Avene, Klorane ou encore Galénic, sont bien connues du grand public. Un grand nombre de nos équipes sont basées dans le Sud-Ouest de la France. Nous commercialisons nos produits dans plus de 45 pays et avons implanté deux sites de recherche cosmétique, l'un au Japon et l'autre qui va prochainement ouvrir au Brésil.

L'actif végétal est au coeur de nos produits et représente 40 % de notre chiffre d'affaires. Le Cyclo 3, qui fut le premier produit lancé par Pierre Fabre en 1960, a d'ailleurs été fabriqué à base de petit houx. Avec 18 000 plantes, notre échantillothèque est la plus importante au monde de droit privé. Si de nombreux produits cosmétiques commercialisés sont issus des plantes, certains de nos médicaments en cancérologie ont été également conçus à partir d'actifs végétaux.

M. Bernard Fabre, directeur du pôle « actifs végétaux ». - Notre expertise sur le végétal s'inscrit dans une démarche de développement responsable d'actifs végétaux qui repose sur quatre piliers. Le premier vise la préservation durable du patrimoine végétal. Le second se fonde sur la notion de respect, d'abord celui de nos partenaires agriculteurs-récoltants, qui contribuent au développement durable de nos régions d'approvisionnement. Le troisième pilier entend garantir l'efficacité de nos dosages en principes actifs, conformément à une exigence de qualité héritée de notre culture pharmaceutique. Enfin, le dernier pilier est l'innovation, via la recherche croisant les expertises complémentaires de botanistes, d'agronomes, de biologistes et de pharmaciens.

Nos valeurs s'appliquent à l'ensemble de notre filière de production. Ainsi, l'approvisionnement de la quasi-totalité des plantes, à hauteur de 99 %, s'effectue sans impact sur la pérennité des ressources, à l'exception de la gentiane et du cèdre du Liban qui impliquent une démarche spécifique. 90 % des plantes utilisées dans notre usine d'extraction sont cultivées sans traitement chimique ou selon le référentiel de l'agriculture biologique ; les autres plantes font l'objet d'une démarche d'agriculture raisonnée. Notre traçabilité est donc parfaite et se veut qualitative en termes d'innocuité et d'efficacité. 79 plantes sont issues de l'agriculture biologique et 95 % des volumes de plantes extraits dans notre usine sont recyclés. Enfin, 235 espèces de plantes différentes sont utilisées pour produire 427 actifs et près de 200 hectares de terres agricoles détenues par le groupe ont été converties à l'agriculture biologique dans le Sud-Ouest. Pierre Fabre dispose en outre d'un conservatoire botanique implanté à Soual, dans le Tarn, depuis 2001 : 700 espèces, dont 30 % protégées, y sont cultivées. A ce dispositif s'ajoute un arboretum, situé à Ranopiso, sur l'Ile de Madagascar, où sont cultivées 342 espèces, dont 76 menacées. Notre entreprise couvre ainsi tout le champ de la filière, en mettant en avant des préoccupations non seulement pharmaceutiques, mais aussi de développement durable.

Mme Fabienne Allard, directrice de la marque Naturactive. - Le marché des médecines naturelles a enregistré au niveau mondial une croissance de l'ordre de 6 % en 2016 en ce qui concerne les compléments alimentaires. Un tiers des ventes portent sur des produits à base de plantes. En France, le marché des produits de santé ou de beauté naturels représente 3 milliards d'euros, dont 1,8 milliard d'euros pour les compléments alimentaires. La pharmacie et la parapharmacie représentent, à hauteur de 52 %, le circuit principal de la commercialisation de ces produits qui sont également distribués par correspondance ou via l'e-commerce, pour 20 %, et le reste via les circuits spécialisés ou en grandes et moyennes surfaces. Les compléments alimentaires à base de plantes représentent 39 % des compléments alimentaires et connaissent également une forte progression, de l'ordre de 13 %. Les produits de santé naturels demeurent complexes pour le consommateur, en raison de la diversité des statuts réglementaires : dispositifs médicaux soumis à autorisation, compléments alimentaires, médicaments à base de plantes, substances à diffuser ou cosmétiques.

Plus d'un quart, voire la moitié en incluant l'homéopathie, des foyers français sont acheteurs de produits naturels. Il s'agit essentiellement de femmes, âgées de plus de trente ans, qui sont issues des catégories socio-professionnelles supérieures. Un tiers d'entre elles achètent près de 75 % des produits ; elles optent ainsi pour une alternative à la médecine classique, avec une exigence très importante, en termes d'information et de documentation. Ces personnes achètent principalement en pharmacie, principalement sur la base de prescriptions médicales ou de recommandations émises par les pharmaciens. Les critères de choix reposent à la fois sur la naturalité, la sécurité, la transparence, l'efficacité ; le prix apparaît en position secondaire.

La marque Naturactive, qui regroupe l'activité de médecine naturelle au sein des laboratoires Pierre Fabre, a été créée il y a trente ans et perpétue la vision de pharmacien-botaniste, passionné par les plantes et ceux qui les cultivent, de notre fondateur. Ses produits résultent de la connaissance fondamentale des plantes et s'appuient sur la recherche pour garantir leur efficacité et leur sécurité. Nos gammes sont très larges et comprennent à la fois des produits de phytothérapie et d'aromathérapie. Les conseils prodigués par les pharmaciens sont essentiels afin d'assurer la complémentarité de nos produits avec d'autres traitements éventuels en cours. Les compléments alimentaires répondent, quant à eux, aux besoins de consommateurs moins avertis. En outre, la gamme Naturactive possède des atouts que sont la technicité et la qualité pharmaceutique, l'engagement en termes de responsabilité sociale et environnementale, avec une origine France garantie et labellisée, la garantie que la totalité des plantes récoltées sont sans impact sur la ressource et que tous nos fournisseurs sont évalués en fonction de critères sociaux et environnementaux et enfin l'accompagnement officinal expert, labélisé AFNOR depuis 2017.

M. Bernard Fabre. - Nous cherchons à extraire les principes actifs des plantes, en concentrant et standardisant les extraits, afin de garantir leur teneur en actifs, tout en veillant à leur biodisponibilité et à leur absence de contamination microbienne. Ainsi, 48 kilos de sureau sont requis pour assurer l'extraction d'un kilo de principe actif. En moyenne, trente contrôles sont conduits de la plante jusqu'à l'extrait. Notre groupe a ainsi opté en faveur de produits concentrés et sécurisés.

Mme Fabienne Allard. - J'aborderai à présent différents points réglementaires. D'une part, la liste de 540 plantes, précisée par l'arrêté du 24 juin 2014, ne reflète pas la réalité, puisque le principe de reconnaissance mutuelle entre les pays de l'Union européenne permet d'en reconnaître un millier. D'autre part, la réglementation des allégations sur les plantes est aujourd'hui bloquée, celle en vigueur pour les compléments alimentaires, conforme aux critères d'évaluation de l'EFSA, ne s'applique qu'aux vitamines et aux minéraux. La complexité des plantes tient au fait que chaque partie de plante doit être prise en compte. Ces allégations sont aujourd'hui en attente et nous ne fonctionnons qu'avec les allégations traditionnelles qui s'avèrent limitées. De nombreuses plantes demeurent sans allégation, ce qui laisse le consommateur dépourvu d'information maîtrisée. En outre, cette situation est un frein à l'innovation, faute de pouvoir communiquer sur les bienfaits des actifs des végétaux identifiés. Le Syndicat national des compléments alimentaires s'est exprimé en faveur d'un principe d'allégation gradué prenant en compte les aspects de sécurité, de toxicologie et d'efficacité.

La formation des professionnels de santé représente un second enjeu. Certes, les pharmaciens s'appuient sur les fournisseurs pour se former et peuvent suivre des formations universitaires de phytothérapie et d'aromathérapie. Ils sont au coeur du nouveau parcours de soins pour accompagner les médications à domicile et les traitements ambulatoires, en particulier en cancérologie. De nombreux patients, en situation de traitement lourd, cherchent un complément dans la médication naturelle pour contrer certains effets indésirables. On pourrait imaginer un système comparable à la nutrition afin d'aboutir à une formation plus systématisée susceptible de s'adresser, de manière graduée, à différents acteurs selon leur degré d'expertise : les naturopathes, les préparateurs, les pharmaciens, les médecins généralistes et phytothérapeutes.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci de votre présentation. Quelles actions mettez-vous en oeuvre, en liaison avec les producteurs, pour préserver la ressource naturelle ? Travaillez-vous avec les outre-mer pour vos approvisionnements ?

Pensez-vous qu'il soit possible de simplifier l'homologation des biostimulants dans les cultures en France ?

En outre, les déremboursements de médicaments de phytothérapie ont-ils entraîné une baisse des ventes ?

Que pensez-vous des propositions visant à créer ou recréer un ou plusieurs métiers d'herboriste, permettant aux usagers de disposer d'un conseil avisé par un professionnel formé ? Quels seraient les contours et les limites de cet exercice ?

M. Bernard Fabre. - Nous travaillons avec les outre-mer notamment sur le monoï qui fait l'objet d'une indication géographique protégée. Nos activités de recherche ont par ailleurs concerné l'introduction en Guyane d'une plante présente en Floride utilisée pour lutter contre l'adénome prostatique. Les plantes ultramarines nous intéressent également, même si notre catalogue en comprend peu.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Y a-t-il des perspectives de développement dans ce cadre ou des partenariats avec d'autres pays ?

M. Bernard Fabre. - À Madagascar, nous avons créé une filiale et notre fondation a investi dans la reconstruction de l'université des sciences pharmaceutiques du Cambodge. En retour, les Cambodgiens ont souhaité nous associer à leur nouveau laboratoire de phytothérapie. Notre groupe privilégie ainsi le développement local et la valorisation in situ des ressources existantes.

Mme Fabienne Allard. - Sur les conséquences limitatives de la liste des plantes, je partage votre constat. En dehors de la liste dite « BelFrIt », il est difficile d'investir sur des produits dont la commercialisation serait limitée à certains pays.

M. Michael Danon. - Le déremboursement des médicaments de phytothérapie renvoie à un problème plus large qui concerne l'ensemble des produits de santé. Lors de la dernière réunion du conseil stratégique des industries de santé, la question des délais d'accès au marché des médicaments a été posée. La France ne respecte pas le délai fixé, au niveau européen, de 180 jours. Depuis de nombreuses années, les autorités publiques ont sorti du champ du remboursement un certain nombre de produits, dont le Cyclo 3 qui avait été le premier médicament élaboré par Pierre Fabre. Il va de soi que cela rend l'accès du patient plus difficile à ce type de produit.

M. Bernard Fabre. - Si les biostimulants sortent de notre domaine d'activité, nous en avons utilisés pour améliorer notre production de certaines substances. Ces produits étaient d'origine italienne. De façon générale, si ces biostimulants sont de plus en plus utilisés par les agriculteurs, ils sortent néanmoins du cadre réglementaire classique.

Mme Fabienne Allard. - Nous sommes à l'écoute de nos consommateurs. En France, ceux-ci sont particulièrement attachés à la pharmacie française et aux entrepreneurs qui ont à coeur de prodiguer des conseils à leur clientèle. Il faudrait mieux former les professionnels de santé à l'usage des produits à base de plantes. Si nous sommes favorables à la promotion de l'usage de ces médecines naturelles, encore faut-il veiller à la sécurité d'usage. Tout recours aux plantes implique des connaissances non seulement botaniques mais aussi physico-chimiques. Il importe d'assurer non seulement la sécurité, mais aussi la traçabilité des substances durant l'activité de transformation. Le marché des compléments alimentaires n'est pas celui de la tisane, tant il implique une maîtrise technique ! Enfin, la médication naturelle doit être suivie dans un contexte sanitaire qui s'avère bien souvent non-exclusif ; le pharmacien, fort de sa formation reconnue, est en mesure de suivre l'ensemble du parcours de soins du patient.

Mme Élisabeth Lamure. - C'est toujours pour nous un plaisir de rencontrer des entreprises en développement implantées dans nos territoires. Quelle est la différence entre un pharmacien botaniste et un pharmacien herboriste ? La complexité réglementaire est-elle typiquement française et vous pénalise-t-elle au niveau international ? Quelles sont, le cas échéant, les modifications que vous appelez de vos voeux pour alléger cette réglementation ?

M. Bernard Fabre. - Le botaniste sait classifier les plantes, tandis que l'herboriste est en mesure de les valoriser et d'en connaître les différents usages, dans un univers plus complexe.

Mme Fabienne Allard. - Nos partenaires européens se heurtent souvent à des écueils réglementaires comparables aux nôtres. Le Canada a mis en oeuvre un régime des produits de santé naturelle, fondé sur des allégations définies de manière graduée, en fonction du niveau de preuves. Ce n'est pas le cas en Europe où la logique d'autorisation demeure binaire.

M. Daniel Laurent. - Comment parvenir à concilier cette forte croissance de la demande avec la préservation de la ressource qui demeure à la fois aléatoire et précaire ?

M. Bernard Fabre. - La préservation des ressources passe par leur culture sur un mode bio. Si une telle démarche s'avère impossible, il faut privilégier une production raisonnée. Les ressources en gentiane et en cèdre du Liban présentent certains risques et ont motivé des modes de culture spécifiques.

M. Daniel Laurent. - Comment procédez-vous pour les productions extérieures ?

M. Bernard Fabre. - Dans une logique de partenariat, deux ingénieurs agronomes assurent des audits et un accompagnement technique avec ces producteurs extérieurs.

Mme Angèle Préville. - Quelle est la répartition entre ce que vous produisez et ce que vous vous procurez ailleurs ? Les limites réglementaires freinent-elles l'innovation ?

M. Bernard Fabre. - Je ne peux vous répondre quant à la répartition que vous évoquiez. Nous vous ferons parvenir ces éléments. Notre laboratoire travaille sur les seules plantes autorisées, en s'appliquant une sorte d'autocensure. Cette liste limite manifestement l'innovation.

Mme Fabienne Allard. - La pharmacopée asiatique, par exemple, ne figure pas sur la liste des plantes autorisées. Nous avons donc dû interrompre notre recherche sur ces plantes.

Mme Corinne Imbert, présidente. - Je vous remercie de votre présentation. On a souvent tendance à opposer la médecine naturelle à la chimie. Or, il ressort de votre présentation que le développement de la phytothérapie profite notamment des progrès de la chimie, pour valoriser les principes actifs extraits des plantes.

Audition de M. Laurent Gautun, fondateur gérant d'Essenciagua

Mme Corinne Imbert, présidente. - Notre mission d'information accueille à présent M. Laurent Gautun, fondateur-gérant d'Essenciagua, entreprise familiale située en Lozère et spécialisée dans la distillation artisanale des plantes. Je vous remercie de vous être rendu disponible pour présenter votre activité et contribuer aux réflexions de notre mission sur la filière des plantes médicinales et les métiers liés à l'herboristerie.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Laurent Gautun, fondateur-gérant d'Essenciagua.- Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre mission.

Après une formation de biochimie complétée en gestion de qualité, commerce et entrepreneuriat, j'ai exercé différentes fonctions durant treize ans dans un groupe français de chimie. Un voyage en Amérique du Sud et la découverte de la jungle d'Amazonie, fabuleuse mine de remèdes naturels cachés, ont été pour moi une véritable prise de conscience. Fort de ces expériences, j'ai créé ma propre entreprise artisanale en 2005, pour revenir à des valeurs professionnelles qui me correspondaient mieux. Aujourd'hui, Essenciagua, TPE spécialisée dans l'aromathérapie, est indépendante et installée dans un nouvel atelier innovant en Lozère, en cohérence avec le slogan du territoire « La Lozère Naturellement ». Deux millions d'euros ont été investis et nous employons 7 personnes déjà qualifiées ou que l'on forme à des emplois productifs pérennes.

Nous distillons à échelle artisanale 40 plantes, alimentaires à la base, 100 % françaises, pour en extraire des hydrolats et des huiles essentielles. Il s'agit d'un travail physique, technique et pointu, que nous faisons sans cesse évoluer pour une montée en gamme même si le procédé est à la base simple et traditionnel. Comme pour un grand cognac, nous parlons, pour nos fabrications, de grands crus artisanaux, qui fixent aussi des exigences de qualité indispensables aux usages en matière de santé.

Pour notre TPE, dont le chiffre d'affaires est de moins d'un million d'euros, c'est un engagement annuel d'une cinquantaine d'hectares éclatés sur divers biotopes régionaux. Cet engagement sur la filière agricole en amont nous a valu non seulement le soutien financier renouvelé des institutions locales mais aussi celui de l'Agence Bio à travers ses fonds « Avenir Bio », y compris pour nos partenaires hors métropole, comme à Mayotte.

Notre modèle se singularise dans le secteur de l'aromathérapie par des débouchés diversifiés (alimentaire, bien-être, santé humaine ou animale et agriculture) qui sont la condition même de notre viabilité économique, malgré les multiples contraintes règlementaires.

Dès la création d'Essenciagua, et j'insiste sur ce point, nous avons pu entrer très vite sur le marché de l'aromathérapie grâce aux magasins spécialisés, probablement sensibles à nos arguments productifs et bio. Pour autant, nous avons toujours pensé que les professionnels de santé devraient être les mieux armés pour revendre des produits aussi techniques, a fortiori qualitatifs. La réalité commerciale est comme souvent plus complexe et paradoxale. En treize ans, notre gamme et l'entreprise ont muri. Elles répondent à une attente forte de certaines pharmacies spécialisées pour une gamme de qualité, fabriquée France.

Nous avons toujours choisi de soutenir la « vente accompagnée » en excluant la revente sur Internet car le lien physique avec le client nous paraît fondamental, ne serait-ce que pour faire des mises en garde, à défaut de pouvoir conseiller.

Pour nous, il y a trois enjeux majeurs à la crédibilité et à la sécurité de nos produits : la qualité-traçabilité, la formation et la recherche.

La qualité des produits mis sur le marché devrait être primordiale. La qualité, avant de se contrôler, doit se concevoir. Dans cette optique, nous produisons avec des composants 100 % bio, de l'eau de source pure de nos montagnes, une qualité de vapeur innovante pour exclure tout traitement sulfites, des process innovants, des conditions de stockage optimisées ainsi qu'une conformité aux bonnes pratiques de fabrication.

Nous distillons des plantes fraiches en provenance d'une quinzaine d'exploitations ou coopératives, majoritairement situées en Occitanie, en direct, sans intermédiaire. Tout comme nous travaillons en direct avec nos clients, ce qui nous donne une meilleure maitrise.

Une vraie transparence sur les origines des plantes et les modes de transformation utilisés doit être mise en place. On nous parle de sécurité et on pense qu'importer 80% des plantes et extraits, le plus souvent de lointaines contrées serait une situation tenable. L'actualité indique tous les jours le contraire.

La lavande, c'est le symbole du sud de la France et on laisse ce produit qui soigne depuis des millénaires jusqu'à un usage massif en 1915 sur le front, être souillé de signes de danger pour la santé ou les cours d'eau. C'est une pure ineptie que l'on accepte sur notre patrimoine.

Nous demandons un statut spécifique aux huiles essentielles qui leur reconnaisse leur réalité agricole et permette de communiquer, justement, autant sur les usages traditionnels multiples que sur les risques potentiels. Cette impossibilité de communiquer est la source de mésusages. Dressons une liste d'allégations autorisées comme l'a fait la Belgique en 2014.

Armez-nous pour satisfaire en qualité la demande française et permettez-nous, dès lors, d'exporter nos savoirs-faire afin que nos terroirs ne deviennent pas des déserts économiques, aux ressources délaissées ! Ce patrimoine naturel de valeur, associé aux savoirs-faire ancestraux, est un gisement d'emplois pour la ruralité. Orientons également la règlementation européenne au lieu de la subir.

Comment ces plantes qui nous entourent pourraient-elles être à la fois si inefficaces et si dangereuses ? Tout cela n'est qu'alibi pour masquer certaines lacunes actuelles ou sauvegarder des intérêts particuliers. D'autant plus que chacun accède désormais plus facilement à l'information. Le « danger » tant redouté par les autorités ou la pensée dominante est un danger tout relatif. Et pourtant, cette idée est relayée de façon souvent exagérée par les médias, en omettant de mettre en balance le bienfait immense tant sur le plan de la santé préventive que sur le plan de l'économie locale. Nous, producteurs artisans français, qui nous battons pour nos produits et notre patrimoine culturel, vous interpelons, pour la mise en place d'une approche en santé préventive par les plantes. Sans refuser le progrès d'une médecine moderne de plus en plus coûteuse, la population utilise ces thérapies naturelles et non remboursées au quotidien.

Le déficit de conseil actuel est criant. Défendons un plan de formation large, pour les professionnels de santé comme pour les revendeurs pour pouvoir conseiller efficacement les produits en comprenant leur biochimie. Fixons des cadres sérieux à la naturopathie et à l'herboristerie comme on l'a fait pour l'ostéopathie ! Relançons la formation continue. En 2016, le recentrage des dispositifs de développement professionnel continu a exclu l'aromathérapie alors que des attentes importantes dans ce domaine ont été exprimées.

La recherche mondiale explose sur les usages des plantes, sous forme brute ou sous forme d'extraits simples comme les huiles essentielles. En France, cette recherche est marginalisée, par méconnaissance mais aussi en raison de trop faibles enjeux commerciaux. Et pourtant la recherche dans les centres hospitaliers serait une source d'économies majeures sur nos dépenses de santé. À notre niveau, nous travaillons avec différents acteurs de la santé animale et humaine sur la mise en place de protocoles.

Nous devons agir maintenant et faire bouger des lignes en construisant des programmes de formation exigeants et diplômants, en introduisant la transparence sur les origines des plantes, en agissant sur les règles de commerce de la filière, avec un statut des huiles essentielles clarifié, ainsi qu'en agissant sur les concurrences déloyales en particulier venant d'internet ou encore celles induites par des exigences règlementaires inadaptées.

La France a tous les atouts pour exporter ses produits naturels, s'ils sont de haute qualité. Cela lui donne une responsabilité de veille législative et d'initiative en Europe pour promouvoir les approches thérapeutiques complémentaires. C'est pour toutes ces raisons aussi que le Sénat, en qualité d'institution des territoires et des patrimoines, doit poursuivre cette initiative d'adapter les cadres existants.

J'invite, avec le département de la Lozère, la mission à venir nous rencontrer pour y construire un travail de prolongement expérimental autour de sa spécificité médico-sociale. M. Jacques Blanc, ancien sénateur, président de notre communauté de communes, nous soutient dans ce projet dont il est l'un des principaux initiateurs. Faites confiance aux acteurs qui travaillent concrètement la plante, c'est avec eux que vous construirez la sécurité et surtout que l'on pourra maintenir la population en bonne santé, à des coûts soutenables. En conclusion, je citerai Francis Hallé, émérite botaniste : « On a besoin des plantes à un point qu'on n'imagine pas ».

M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci de cette présentation dynamique et passionnée ! Sur quels travaux se fondent vos conseils sur les usages et vertus des huiles essentielles ? Développez-vous des activités de recherche ?

Les huiles essentielles sont en vente libre à part quinze d'entre elles. Que pensez-vous des propositions visant à créer ou recréer un ou plusieurs métiers d'herboriste, permettant aux usagers de disposer d'un conseil avisé par un professionnel formé, même non pharmacien ?

Quelles actions mettez-vous en place, en liaison avec les producteurs, pour préserver la ressource naturelle et favoriser la biodiversité qui est aujourd'hui mise à mal?

M. Laurent Gautun. - Sur les propriétés des plantes, une abondante bibliographie internationale existe. Nous travaillons avec des experts de très haut niveau dans la pratique médicinale d'aromathérapie qui forment les membres de notre équipe, laquelle dispose également de sa propre expertise. Nous sommes aussi vigilants quant aux retours de nos clients, s'agissant surtout des mésusages.

La dangerosité de certaines huiles essentielles justifie que quinze d'entre elles soient interdites à la vente en dehors des pharmacies. La sauge officinale est à juste titre interdite en France mais elle est en vente libre en Belgique.

Je suis favorable au cadrage et à la reconnaissance des pratiques existantes de naturopathie ou d'herboristerie par une formation diplômante. Cela doit s'accompagner d'exigences. L'articulation avec les professions de santé est aussi fondamentale. Dans notre ruralité où la population est vieillissante, des besoins existent en soins et en accompagnement, auxquels les médecins présents ne peuvent pas toujours répondre. Soyons également vigilants quant à la viabilité de ces métiers.

S'agissant de la ressource, nous ne travaillons pas sur des plantes protégées. Certains sites peuvent, inversement, manquer d'exploitation : on manque parfois de cueilleurs en France. La mise en culture des plantes est créatrice d'emplois. Sur le Causse de Sauveterre, on trouve des puits de biodiversité phénoménaux. En Lozère, nous tâchons d'introduire une diversification dans le cadre d'activités d'élevage. Or, les textes peuvent s'avérer dissuasifs en matière d'expérimentation. Nous travaillons avec un vétérinaire en ce sens avec des résultats bluffants. Le développement de ces solutions alternatives permettrait d'atteindre l'un des objectifs du plan santé, qui est de préserver l'efficacité des antibiotiques.

Nous acceptons par ailleurs de ne pas fournir des plantes exotiques, comme le bois de rose ou le santal, qui font pourtant aujourd'hui l'objet d'une demande importante. Nous sommes clairement les avocats des plantes régionales ! Le laurier et la livèche sont oubliés au profit du tea-tree et du ravintsara qui nous viennent d'Australie ou de Madagascar. Il y a des effets de mode dans les plantes : alors que l'angélique était en vogue au Moyen-Âge, elle est aujourd'hui oubliée. C'est en cultivant de telles plantes que nous serons en mesure de les préserver.

Mme Marie-Pierre Monier. - Nous sommes conscients de l'importance et du potentiel de ces plantes à parfum, aromatiques et médicinales pour l'agriculture et nos territoires ruraux. Leur culture peut pallier au manque d'activité dans certains territoires ruraux. Il faut également rappeler que la lavande n'est pas un produit chimique.

M. Laurent Gautun. - Tout particulièrement en Drôme ! La lavande doit être préservée. La Commission européenne l'a compris. Cette ressource est française et c'est à nous de la défendre !

Mme Marie-Pierre Monier. - La disparition des plans de lavande semble imputable au réchauffement climatique.

S'agissant des allégations en santé sur les plantes, quelles sont vos propositions ? Jusqu'où peut-on aller ?

M. Laurent Gautun. - Cette question est complexe. Mais la Belgique a tracé la voie avec pragmatisme. Avoir une menthe poivrée et ne pas être en mesure de la vendre comme une aide à la digestion dans une tisane est tout de même étonnant ! D'après un compte rendu de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) de novembre 2017, « d'une manière générale, il n'existe pas de retour de nutrivigilance, de même que sur les conditions d'administration. » Mieux assurer l'accès des consommateurs aux produits et à l'information, bien que les pharmaciens jouent déjà un rôle important en ce sens, est essentiel.

Il est également possible d'améliorer les coûts de prise en charge. Ainsi, selon une étude conduite par des pharmaciens de l'Université de Lorraine dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), où deux millions euros étaient consacrés aux médicaments, l'introduction de nouveaux produits d'aromathérapie a permis une économie de près de 600 000 euros ! La France est un grand pays consommateur de médicaments : alors que les médicaments seront de plus en plus onéreux, cette démarche permettrait de relâcher la pression financière et d'utiliser ces ressources en faveur du maintien de personnels soignants de proximité.

Mme Corinne Imbert, présidente. - Avec combien de producteurs travaillez-vous ?

M. Laurent Gautun. - Nous travaillons dans une quinzaine de structures : des coopératives, des producteurs spécialisés dans les plantes aromatiques ou des exploitations agricoles ayant vu leur intérêt à diversifier leurs activités. En Lozère, les climats d'altitude sont favorables à la production des plantes aromatiques peu consommatrices en eau qui représentent une alternative susceptible de préserver les productions agricoles.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Vous avez qualifié les résultats de votre expérimentation avec un vétérinaire de « bluffants ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Laurent Gautun. - Notre démarche a permis d'améliorer l'état sanitaire global d'un troupeau. Les plantes ont des propriétés très larges et présentent des qualités anti-inflammatoires.

M. Daniel Laurent. - Produisez-vous autre chose que des huiles essentielles ? Quel est le taux de croissance de votre entreprise ?

M. Laurent Gautun. - Malgré une part importante d'huiles essentielles importées, notre croissance est de 20 % par an, soit un taux proche de celui du secteur. Nous répondons à une demande de produits d'usage immédiat en proposant des produits labellisés bio.

Mme Corinne Imbert, présidente. - Je vous remercie de votre présentation passionnante.

Audition de M. Jacques Chevallet, président du groupe Arkopharma

Mme Corinne Imbert, présidente. - Nous accueillons à présent M. Jacques Chevallet, président du groupe Arkopharma, laboratoire pharmaceutique spécialisé dans le domaine de la phytothérapie et implanté à Carros, près de Nice. Il est accompagné de Mme Valérie Clément-Ngo, directrice des affaires réglementaires.

Je vous remercie, monsieur le président, de vous être rendu disponible pour contribuer aux réflexions de notre mission sur la filière des plantes médicinales et les métiers liés à l'herboristerie.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle est ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Jacques Chevallet, président du groupe Arkopharma. - Je me réjouis de la création de cette mission d'information, la santé naturelle étant la thématique des laboratoires Arkopharma depuis 38 ans. Notre offre thérapeutique est complémentaire de l'allopathie, plutôt en première intention, dans une approche graduelle et raisonnée de la médecine, avec ses potentialités mais aussi ses limites.

Nos laboratoires ont oeuvré à la reconnaissance des médicaments de phytothérapie en étant les premiers à soumettre une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans ce domaine. Nous promouvons l'amélioration de la qualité des produits et sommes certifiés ISO 22 000. Nous répondons aux normes de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l'ANSM, et sommes également très engagés dans la démarche RSE. Nous avons en outre suivi en 2007 une évaluation ISO 26 000 et sommes certifiés Ecocert, beaucoup de nos produits étant biologiques. Arkopharma est un acteur français important, bien que d'une taille relativement modeste sur le marché de la santé, avec un chiffre d'affaires de 200 millions d'euros. Nous embauchons 1 200 collaborateurs en Europe, dont 800 sur notre site de Carros. Nos équipes de recherche et développement représentent 8,5 % de nos effectifs français. Nous maîtrisons 95 % de notre production et en exportons 43 %, essentiellement en Europe.

Nous sourçons nos plantes partout dans le monde. Seuls 50 % de nos produits proviennent d'Europe, soit en raison d'une problématique d'offre, soit parce que les plantes ne sont pas autochtones européennes, comme l'arpagophytum qui ne se trouve qu'en Namibie. Sur 400 tonnes de plantes sèches annuelles, le sourcing France, que nous essayons de privilégier, s'élève environ à 60 tonnes : ortie, reine des prés, passiflore, hamamélis, mélisse, fenouil, fragon, échinacée, tilleul, bruyère.

Nous privilégions une approche « totum ». Toute la partie active de la plante est cryobroyée, afin de ne pas en altérer l'activité pharmacologique. Le spectre des actifs est ainsi très large, mais la qualité du sourcing exigeante, le profil de la plante ne pouvant être amélioré par extraction.

Nous procédons à une identification microscopique puis analytique à la réception de la plante, vérifions l'absence de contaminants : 80 personnes travaillent ainsi à l'assurance et au contrôle qualité, et 40 personnes en analytique, s'agissant de mélanges complexes nécessitant des méthodes poussées. Nous assurons également la sécurité des produits en post-commercialisation par des processus de pharmacovigilance, de nutrivigilance, de cosmétovigilance ou de matériovigilance. Les signalements pour les médicaments de phytothérapie sont dans 98 % des cas non graves et s'élèvent à deux cas par million d'unités vendues, à comparer aux 27 signalements par million d'unités vendues des autres médicaments, ce qui confirme le ratio efficacité-tolérance des produits à base de plantes.

La tendance du marché pour les produits de phytothérapie n'est pas très dynamique, mais le développement de la phytothérapie dans les pratiques de santé n'a jamais fait l'objet de mesures incitatives de santé publique. Les médicaments représentent 24 % du chiffre d'affaires et les autres produits, majoritairement des compléments alimentaires, 76 %, ce qui s'explique en partie par la différence de coût de développement et de gestion entre une AMM et un dossier de complément alimentaire. Dans ce domaine, il n'y a pas d'harmonisation européenne des pratiques, de dossier sécurisé que nous pourrions soumettre aux différents pays. Sur les compléments alimentaires, les réglementations ne sont pas non plus harmonisées - plantes autorisées, dosages... - ce qui est un frein à la commercialisation des produits dans l'ensemble des pays européens.

Les indications pour les produits de phytothérapie sont les maux du quotidien.

Les circuits de distribution sont principalement les pharmacies - 68,7 % des achats - mais aussi la parapharmacie, les hypermarchés, l'Internet, les magasins de diététique et la vente directe. En Espagne, les pharmacies réalisent 81,6 % des ventes et les herboristeries seulement 8,9 %. Le nombre d'unités vendues par habitant est de 18,1 en France et de 7,3 en Espagne. L'Italie, qui abrite également des herboristeries, est le premier marché européen. Il n'y a donc pas forcément de corrélation entre l'existence d'un réseau d'herboristeries et la consommation de produits à base de plantes.

D'après une enquête Ipsos, si 63 % de la population se dit intéressée par la naturalité dans une approche de santé, seuls 25 % utilisent déjà les produits de phytothérapie ou d'aromathérapie. Il existe une certaine mixité des circuits de vente, avec une prépondérance du circuit pharmaceutique. Seuls 15 % des acheteurs n'achètent jamais en pharmacie. On retrouve cette même mixité en Espagne et aux Pays-Bas. Dans 75 % des cas, les consommateurs achètent un produit à la suite de la recommandation d'un professionnel de santé ; viennent ensuite le bouche-à-oreille, puis la publicité.

La formation des professionnels de santé à ces approches, qu'elles soient thérapeutiques ou nutritionnelles, pourrait être améliorée, en particulier celle des pharmaciens. Un médecin chinois, par exemple, y consacre un an de formation.

Nous ne sommes pas promoteurs du remboursement des produits à base de plantes compte tenu des problématiques de financement. Nous constatons toutefois, depuis une quinzaine d'années, l'absence d'incitation au développement de ces approches de santé à visée préventive, curative ou nutritionnelle.

L'officine porte la majorité des ventes, mais nous savons que ce circuit est fragilisé, tout en offrant un maillage territorial important. Le commerce de détail souffre d'une façon générale, notamment avec le développement de l'Internet, aussi ne nous paraît-il pas forcément pertinent de promouvoir et d'assurer le contrôle d'un nouveau circuit de distribution.

D'un point de vue réglementaire, nous nous battons pour la reconnaissance de la tradition d'utilisation des plantes, que l'usage soit thérapeutique ou nutritionnel. L'expérience n'est pas le seul critère, mais c'est un critère qui doit être reconnu.

En pratique, il n'y a pas de réelle harmonisation européenne : notre capacité à commercialiser nos produits sur l'ensemble du territoire européen est faible.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Quelles actions mettez-vous en place, en liaison avec les producteurs, pour préserver la ressource naturelle ?

M. Jacques Chevallet. - La moitié de nos achats - nous ne produisons rien nous-mêmes - sont contractualisés, ce qui assure une certaine stabilité économique aux producteurs. Nous discutons avec eux pour les convertir au bio, car cela répond à une attente de plus en plus forte des consommateurs, pour les produits nutritionnels comme thérapeutiques. Une telle conversion prend au moins trois ans. Lors du passage au bio, nous augmentons nos stocks pour faire face à une éventuelle défaillance : c'est notre façon de participer au risque de la conversion. Pour l'instant, nous privilégions la région PACA, mais nous avons pour projet de relocaliser certaines cultures ailleurs en France pour augmenter notre part d'achat dans notre pays, et notre part d'achat de produits bio.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Vous approvisionnez-vous outre-mer ?

M. Jacques Chevallet. - Non, uniquement dans notre région - dont la flore est l'une des plus riches de France.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Vous recommandez de mieux reconnaître la tradition d'utilisation des plantes et d'accroître l'harmonisation européenne. Comment voyez-vous ces évolutions ?

Mme Valérie Clément-Ngo, directrice des affaires réglementaires d'Arkopharma. - Les cadres réglementaires dont nous disposons actuellement sont harmonisés, notamment pour le médicament à base de plantes - moins pour le complément alimentaire. Toutefois, dans les faits, quand nous déposons des demandes d'enregistrement, les niveaux d'exigence sont assez disparates d'un État membre à l'autre. Nous l'avons constaté il y a quelques années lors du dépôt de nos dossiers d'AMM, dans le cadre de la revalidation exigée par la nouvelle directive européenne sur les médicaments traditionnels : seule la France a exigé qu'on mette en oeuvre des études de génotoxicité.

M. Jacques Chevallet. - C'est lié au fait que nos produits ne sont pas des extraits mais des « totum ». Nous en avons eu pour trois années de travaux et 2 millions d'euros d'investissements - alors que l'Espagne, par exemple, ne nous demandait rien de tel ! Si les textes sont harmonisés, la pratique ne l'est pas.

Mme Valérie Clément-Ngo. - Beaucoup reste à faire sur les compléments alimentaires, puisqu'il n'existe pas de liste européenne des plantes autorisées en Europe : la liste Belfrit n'est pas valable dans tous les États-membres, et le processus d'évaluation des allégations de plantes est bloqué. Nous souhaitons que chaque produit puisse être commercialisé dans un maximum d'États-membres.

Mme Corinne Imbert, présidente. - À quand remonte votre dernière demande d'AMM ?

Mme Valérie Clément-Ngo. - Le processus de validation par l'ANSM, qui a débuté en 2006, n'est toujours pas finalisé.

M. Jacques Chevallet. - Nous considérons toujours le médicament comme une voie, même si nous n'avons pas déposé d'AMM depuis trois ans en France.

Mme Valérie Clément-Ngo. - Nous en avons déposé dans d'autres États-membres.

M. Jacques Chevallet. - Et nous avons deux projets en cours.

Mme Angèle Préville. - Quelle doit être la formation des professionnels de santé, et des herboristes ?

Mme Valérie Clément-Ngo. - Il y a une demande de formation de la part des médecins et des pharmaciens. Les médecins ne sont pas formés actuellement ; les pharmaciens le sont au cours de leurs études, quoique moins qu'auparavant, avec la botanique, la pharmacognosie et la phytothérapie. Il faut les former pour qu'ils se positionnent comme experts des plantes.

M. Jacques Chevallet. - Les professionnels de santé sont des référents pour les patients. Connaissent-ils le potentiel nutritionnel ou thérapeutique des plantes ? Pas assez. On pourrait imaginer un diplôme d'herboristerie qui serait ouvert à tous les professionnels de santé : infirmières, pharmaciens, médecins... Même sur des symptômes anodins, comme la fatigue, il est important d'avoir des réflexes de professionnel de santé pour bien orienter le patient et ne pas passer à côté d'une pathologie grave. Pour autant, la politique de santé peut promouvoir l'usage des plantes auprès des professions de santé.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Une partie de la population aspire au bien-être par les plantes, et cherche des conseils pour y parvenir, parfois sur Internet, sans encadrement. Des herboristes pourraient fournir ce conseil sans être des professionnels de santé ni poser de diagnostic. C'est ce qu'ils font au Québec, par exemple - en lien avec des professionnels de santé.

M. Jacques Chevallet. - Les compléments alimentaires n'ont pas vocation à traiter une pathologie mais à entretenir un état de bien-être. Certes, la limite entre les deux est parfois délicate à définir. C'est pourquoi il faut plusieurs niveaux dans la santé, de la prévention à l'intervention - et le tout doit être compréhensible par le patient, pour éviter les dérives. Dès lors, je ne vois pas bien comment mettre en place votre suggestion - même si j'en comprends bien l'esprit. Pour l'instant, le consommateur n'a pas de mal à trouver les produits. En tous cas, on peut renforcer la formation des professionnels de santé.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Oui, pour qu'ils puissent mieux conseiller sur l'usage de ces produits.

M. Jacques Chevallet. - Mais il ne faut pas induire une confusion entre professionnels de santé et d'autres conseillers.

M. Daniel Chasseing. - Oui, il y a une demande d'une meilleure formation. Notre maillage national de pharmacie est dense. On pourrait imaginer que des herboristes diplômés trouvent à s'y employer - ou que des pharmaciens soient embauchés dans des herboristeries. Depuis 1942, beaucoup de médicaments sont apparus, ce qui suscite des problèmes d'interactions qui dépassent le niveau du diplôme d'herboriste.

Mme Valérie Clément-Ngo. - Nous pourrions proposer aux pharmaciens, à la fin de leurs études, de se spécialiser en herboristerie, et développer des pharmacies-herboristeries. Déjà, à Marseille, une pharmacie s'est spécialisée dans l'herboristerie.

Mme Corinne Imbert, présidente. - En une dizaine d'années, nous sommes passés d'un diplôme universitaire à douze ou quatorze, et une faculté de pharmacie réfléchit à mettre en place une licence professionnelle qui s'adresserait notamment aux préparateurs en pharmacie.

M. Jacques Chevallet. - Il faut dissocier la compétence de distribution de celle de conseil, que l'on pourrait donner aussi aux infirmières. La distribution peut être plus ou moins développée, c'est un choix. En tous cas, il faut un cadre adapté.

Mme Corinne Imbert, présidente. - Merci. 

Audition du docteur Henry Joseph, pharmacien et pharmocognoste en Guadeloupe

Mme Corinne Imbert, présidente. - Nous sommes en liaison, par visioconférence, avec le docteur Henry Joseph, pharmacien et pharmacognoste en Guadeloupe. Engagé depuis une trentaine d'années dans la valorisation de la biodiversité végétale, il a fondé en 2005 le laboratoire Phytobôkaz qui propose des produits à base de plantes. Le docteur Joseph est membre de l'Aplamedarom, Association pour les Plantes Médicinales et Aromatiques de Guadeloupe. Je vous remercie de contribuer aux réflexions de notre mission en apportant un nouvel éclairage sur la situation dans les outre-mer.

Dr Henry Joseph, pharmacien et pharmocognoste en Guadeloupe. - Comme vous venez de le dire, j'ai créé la société Phytobôkaz avec le professeur Paul Bourgeois, professeur de chimie à l'université Antilles-Guyane. Je suis également membre du comité scientifique du Parc national de Guadeloupe, qui participe à la préservation de la biodiversité de notre région.

Laissez-moi d'abord féliciter le Sénat de la mise en place de cette mission d'information, sur une filière dont les potentialités en termes de développement de métiers d'avenir sont spécifiquement attendues dans les outre-mer.

Les filières innovantes issues des plantes sont en effet de puissants vecteurs de développement économique en outre-mer, en raison de la richesse de notre biodiversité et de l'attachement de nos populations à leur patrimoine végétal, qu'elles considèrent comme un élément indispensable à leur existence, surtout lorsqu'on vit sur une île, comme c'est le cas en Guadeloupe.

Nous n'avons jamais connu l'existence d'herboristeries aux Antilles. Ceci s'explique par l'histoire, car l'usage des plantes médicinales a toujours été entaché d'interdiction notamment par les colons, qui avaient peur que les esclaves ne les empoisonnent par les plantes. Un arrêté du conseil souverain daté du 8 mars 1799 énonce qu' « il est interdit aux gens de couleur, noirs ou esclaves, d'exercer la médecine, la chirurgie, d'utiliser aucun remède sous quelque forme que ce soit, sous peine de 500 francs d'amende pour les gens libres, punition corporelle pour les esclaves, et les colons qui tolèrent ce genre de pratiques seront déchus de leurs dits esclaves. »

Jusqu'à très récemment, les choses sont restées en l'état, même après l'abolition de l'esclavage. C'est ce qui explique non seulement l'absence d'herboristeries aux Antilles mais aussi l'absence de nos plantes d'outre-mer dans la pharmacopée française : leur inscription, je vous le rappelle, date seulement de 2013 alors que la pharmacopée française a plus de 200 ans. Le même problème existe encore avec l'absence d'inscription des plantes d'outre-mer dans la liste des plantes autorisées dans les compléments alimentaires.

Alors qu'aux Antilles nous recensons 625 plantes médicinales et 220 espèces comestibles, on peut dire que l'outre-mer a été oublié. Ce n'est que grâce au travail remarquable de maître Isabelle Robard et de moi-même, soutenus par les parlementaires de nos régions et par l'association pour les plantes médicinales et aromatiques de Guadeloupe que nous avons pu faire évoluer les choses.

Et ce n'est qu'en 2009, au terme de douze années de bataille juridique menée au cours d'un parcours législatif qui s'est heurté à des oppositions tant du gouvernement que des parlementaires, que nous sommes parvenus à faire modifier l'article L. 5112-1 du code de la santé publique, pour prendre en compte les plantes des outre-mer dans la pharmacopée française. 70 plantes sont ainsi entrées dans la pharmacopée française.

Notre combat a également permis l'élargissement des aides européennes en 2011 aux cultures des plantes médicinales en Guadeloupe et à l'île de La Réunion.

La pratique du jardin créole et les savoirs de nos grands-mères ont permis la sauvegarde des savoirs traditionnels liés aux plantes, transmis oralement de génération en génération, malgré toutes les interdictions que nous venons d'évoquer.

Contrairement à l'île de La Réunion, où existent les tisaneurs comme vous l'a expliqué le docteur Claude Marodon, aux Antilles on trouve plutôt les marchandes de simples, connues sur les marchés locaux comme les marchandes de rimed razié.

Pour que ces pratiques puissent perdurer, je suis favorable à la création d'un statut de paysan-herboriste, pour la consommation locale. Les paysans-herboristes ont non seulement la connaissance botanique de la plante, mais savent aussi la cultiver au sein de la petite exploitation familiale ; ils sauront transmettre ce savoir ancestral aux générations futures. Il faudrait compléter leur formation pour mieux maîtriser l'usage des plantes mais aussi connaître leur toxicité, dans le souci de protéger les consommateurs.

Il faut par ailleurs également former les pharmaciens, qui ont une connaissance insuffisante des plantes et notamment de celles des outre-mer. A cet égard, pourrait être repris le diplôme universitaire de phytothérapie tropicale que nous avions mis en place de 2003 à 2005 au sein de l'université de médecine de Pointe-à-Pitre et qui nous avait permis de former durant deux ans cinquante pharmaciens et médecins à la connaissance des plantes, par des enseignements de botanique tropicale, de chimie, de pharmacognosie et de législation des plantes médicinales tropicales.

Vous savez comme moi que le monde est en pleine évolution. De nouveaux défis nous attendent. Quand on vit sur une île, à 8 000 km de la métropole, et que nous importons 100 % de nos médicaments et 80 % de notre alimentation, développer des métiers d'avenir reste un défi, mais une nécessité face au risque d'isolement.

Nous attendons donc beaucoup de votre mission, notamment pour faire entendre notre voix, rattraper le retard pris et développer des métiers d'avenir en outre-mer à partir des plantes. Il faut rappeler que 80 % de la biodiversité de la France est en outre-mer et 97 % de son espace marin. Alors que la transition énergique et écologique est en marche, notamment avec la sortie de la pétrochimie d'ici 2050, et que les circuits courts deviennent essentiels, souvenez-vous que les richesses de la France de demain sont en outre-mer. Mais la valorisation de cette biodiversité ultramarine ne devra pas se faire sans les ultramarins ! Ces richesses doivent être le moteur de notre développement économique local. Il ne faudra pas considérer les ultramarins comme de simples gardiens de la biodiversité.

Pour cela, je propose d'élargir la liste des plantes inscrites à la pharmacopée française aux plantes d'outre-mer, en s'appuyant sur les travaux considérables réalisés au sein du réseau Tramil sur la pharmacopée caribéenne, qui a notamment établi plus de 90 monographies sur les plantes médicinales de nos régions.

Il faudra de même mieux prendre en compte les plantes médicinales des outre-mer dans la composition des compléments alimentaires, en se basant sur le recul d'usage et les travaux scientifiques. Il faudra aussi accentuer la recherche sur les plantes des outre-mer dans nos universités. L'innovation et le développement de nouvelles filières passeront par les plantes.

Il faudra enfin sortir l'outre-mer de la monoculture de canne et de banane, qui fait trop de mal à notre environnement et accompagner la diversification agricole vers des cultures de plantes innovantes à haute valeur ajoutée (plantes oléagineuses, à amidon, à textile, légumineuses, etc.). Parallèlement, les filières industrielles doivent muter pour retrouver le chemin des cultures symbiotiques. Nous souffrons trop de l'usage des pesticides, des herbicides et des fongicides. Depuis treize ans, nous travaillons à respecter la nature en développant des techniques basées sur la vie. Je vous invite à venir en voir le résultat sur nos parcelles à Phytobôkaz.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Vous avez évoqué la reconnaissance d'un métier de paysan-herboriste, sur la base d'une formation spécifique. Selon vous, cette formation devrait-elle être spécifiquement adaptée aux outre-mer ? Par ailleurs, existe-t-il des formations spécialisées, même si elles ne sont pas diplômantes ?

Dr Henry Joseph. - J'envisage trois types de formation totalement différents : une formation de pharmacien-herboriste, une autre destinée aux paysans-herboristes et enfin une autre qui s'adresserait aux professionnels de la culture et de la transformation des plantes en s'appuyant notamment sur la connaissance des alternatives aux pesticides chimiques.

Le paysan-herboriste offrirait une spécialisation à ces paysans qui, d'ores et déjà, en s'appuyant sur la tradition, fournissent la consommation locale.

Il faut parallèlement former les pharmaciens, de façon plus poussée sur les plantes et les compléments alimentaires.

Aujourd'hui, le réseau Tramil, qui rassemble 200 chercheurs et plus de 30 pays des Caraïbes, a développé une véritable pharmacopée caribéenne, qui serait la base de la formation. Nous devons prévenir un risque d'isolement. L'histoire a prouvé que nous ne pouvions nous reposer sur la métropole. Or, la richesse de la biodiversité est ici et nous devons en faire une filière d'avenir !

M. Joël Labbé, rapporteur. - Nous sommes pleinement conscients de la richesse des outre-mer en termes de biodiversité et je me porte garant devant vous que notre rapport saura donner aux outre-mer l'importance qu'ils méritent. S'agissant des plantes d'outre-mer inscrites à la pharmacopée, pensez-vous qu'il soit aujourd'hui possible et souhaitable de les sortir du monopole pharmaceutique ?

Dr Henry Joseph. - En ce qui concerne les plantes d'usage courant, oui. Cela permettrait d'élargir leur usage. C'est également, à mon sens, le seul moyen de pérenniser le savoir. Les pharmaciens, contrairement aux paysans, ne sont pas dans les champs ! Ce n'est pas eux qui transmettront aux générations futures les savoirs traditionnels !

M. Joël Labbé, rapporteur. - Le travail de recensement des propriétés des plantes du réseau Tramil pourrait-il servir de référentiel à des herboristes, même ceux qui ne seraient pas pharmacien ? Ce travail vous paraît-il suffisamment valorisé dans l'hexagone ?

Dr Henry Joseph. - Quand, en 1998, nous avons transmis à l'agence du médicament notre première pharmacopée caribéenne, la France n'a pas voulu reconnaitre nos travaux. J'ai été invité le 29 janvier 1999 par l'ensemble des ministres de la santé d'Amérique centrale et des Caraïbes, dans le cadre de la rétrocession du canal de Panama aux Panaméens. À l'époque, le défi du ministère de la santé panaméen, intitulé « Santé pour tous », se basait sur les travaux du réseau Tramil.

Ce réseau, qui couvre toute l'Amérique centrale, a développé une méthode de travail systématisée, basée sur des enquêtes menées auprès de la population puis des médecins : on évalue les pratiques médicinales existantes et sont retenues les plantes citées plus de 20 fois sur 100 pour une pathologie donnée. Les scientifiques s'emparent ensuite de ces enquêtes, pour les expertiser. Je pense que ce travail indispensable vaut la peine que la métropole s'en empare et trouve le rayonnement qu'il mérite.

M. Maurice Antiste. - Merci beaucoup docteur pour vos propos. C'est un grand bonheur pour moi d'auditionner aujourd'hui un des nôtres : je suis le seul ultramarin de cette mission d'information et je souhaite féliciter la présidente et les autres membres d'avoir compris l'importance des outre-mer sur le sujet de l'herboristerie. Votre exposé était très clair, car vous avez mis l'accent à la fois sur l'histoire et les projets en cours.

Je crois qu'il y a une nécessité d'autosatisfaction, par la prise en compte de notre propre pharmacopée : la France pourra alors comprendre la richesse qui réside dans la reconnaissance des plantes d'outre-mer. Je suis d'ailleurs de près le programme Tramil et je m'appliquerai à ce que le dialogue se poursuive dans la zone Caraïbe. Le travail que vous réalisez est extraordinaire et il va bientôt trouver sa consécration. Ma question est simple : êtes-vous bien prêt à nous aider à donner toute sa place à la pharmacopée des outre-mer dans la recherche ?

Dr Henry Joseph. - Vos propos me vont droit au coeur. Je souhaite dire que je ne suis pas tout seul : c'est un travail qui a certes été initié en Guadeloupe, mais nous avons créé un colloque international sur les plantes aromatiques et médicinales, qui s'est réuni à l'île de La Réunion en 2001, en Guadeloupe en 2002, en Guyane en 2004, à Tahiti en 2006, en Nouvelle-Calédonie en 2008, puis en Martinique en 2010 avant de repartir pour un tour. Le prochain rendez-vous aura lieu au mois de novembre à Tahiti pour la dixième édition de ce colloque, qui a pour but de réfléchir ensemble au meilleur moyen de valoriser cette biodiversité.

Je souhaite attirer votre attention sur la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, présentée par la ministre Ségolène Royal. Ce texte précise que toute ressource génétique se trouvant sur le territoire français appartient à l'État français, qui sera le seul à déterminer le partage des avantages tirés de la ressource. Dès lors que vous effectuez de la recherche fondamentale, une simple déclaration suffit. Pour le commerce en revanche, un permis est nécessaire afin d'accéder à la ressource génétique. Le permis peut être refusé si les capacités techniques et financières du demandeur ne sont pas à la hauteur de l'objectif envisagé, ce qui ne me paraît pas approprié alors même que nous disposons de 80 % de la biodiversité.

Le développement de l'outre-mer ne doit pas s'opérer sans les ultramarins. Avec la fin du pétrole d'ici 2050, les plantes, par le biais de la photosynthèse, seront d'un grand secours, dans le domaine de l'alimentation ainsi que de la médecine - 64 % des spécialités vendues en pharmacie sont de près ou de loin à base de plantes. Le développement des colorants naturels est un autre enjeu et nous sommes pionniers dans ce domaine. J'ai eu l'occasion de dire à l'occasion de la récente visite à Phytobôkaz du Premier ministre, accompagné d'une délégation ministérielle, que nous sommes une chance pour notre pays et non pas une charge.

Mme Corinne Imbert, présidente. - Vous êtes un merveilleux défenseur des outre-mer. Quel est l'état de la ressource naturelle aujourd'hui en Guadeloupe ? La culture des plantes y est-elle importante ?

Dr Henry Joseph. - 3 800 espèces de plantes sont recensées en Guadeloupe, dont 625 espèces médicinales et 220 espèces comestibles. La plante est une usine de vie. Nous avons 3 800 usines fermées avec 58 % de chômage ! A Phytobôkaz, nous n'utilisons que cinq plantes sur 3 800. Il nous faut valoriser les autres.

Nous sommes en train de développer des filières en Guadeloupe, à commencer par celle des oléagineux car toutes nos huiles sont importées. Nous travaillons sur la production des meilleures huiles végétales en termes de coefficient de frottement. Nous travaillons également sur les plantes territoriales. Je suis très fier de l'indigo de Guadeloupe qui permet de développer un bleu naturel. Notre indigo contient entre 51 et 80 % d'indigotine.

Nous travaillons à développer des filières mais nous ne devons pas rester isolés. Je n'ai pas de financement par exemple pour mes travaux de recherche, que je conduis sur le budget de mon petit laboratoire.

Mme Angèle Préville. - Je suis très intéressée par votre exposé et épatée de la richesse que nous avons en Guadeloupe. Certains chiffres m'interpellent : sur 625 plantes médicinales, seules 70 sont inscrites à la pharmacopée. 90 monographies ont été élaborées par le réseau Tramil : il reste donc encore beaucoup de travail à accomplir.

Dr Henry Joseph. - 335 plantes ont par ailleurs fait l'objet d'enquêtes. Tramil travaille de manière ordonnée : les monographies doivent comporter des éléments botaniques, de chimie, de pharmacologie et de toxicologie. Chaque pays est spécialisé, par exemple Cuba sur la toxicologie et nous sur la chimie des plantes. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu ce travail. Ces chercheurs travaillent sans argent pour permettre l'accès à des soins de santé primaires pour l'ensemble des habitants de cette région.

Mme Marie-Pierre Monier. - Merci pour vos propos très intéressants. Nous avons tous conscience que les choses doivent bouger. Au-delà de notre mission, le problème de financement que vous ciblez est peut-être à aborder au moment de l'examen des crédits de la recherche dans le projet de loi de finances.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci vivement. Vous êtes un excellent ambassadeur et vous ne pratiquez pas la langue de bois. Nous devons nous approprier vos propos, pour faire de la richesse naturelle des outre-mer un moteur de développement économique local. Nous avons également à travailler à la préservation de la biodiversité et il existe là aussi des développements potentiels.

Dr Henry Joseph. - Je vous remercie de nous donner la parole et de nous écouter. Nous avons beaucoup à vous apporter mais, en tant qu'ultramarins, nous sommes marginalisés et avons un grand besoin d'exister. Quand nous exporterons notre indigo au Japon, nous augmenterons le PIB de la Guadeloupe et singulièrement de la France.

M. Maurice Antiste. - Pourriez-vous évaluer le minimum d'aide qui serait nécessaire pour soutenir votre activité courante de recherche ?

Dr Henry Joseph. - Pour ma petite entreprise, qui réalise un million d'euros de chiffre d'affaires, je viens d'investir 600 000 euros sur trois ans en recherche. Je travaille avec plusieurs grandes universités et le CNRS de Montpellier et nous avons déposé des brevets. Je bénéficie du crédit impôt recherche mais il faut avancer les fonds et je ne les ai pas.

Mme Corinne Imbert, présidente. - Une nouvelle fois merci pour votre enthousiasme et votre passion. Je remercie également la technique pour la qualité de cette visio-conférence.

La réunion est close à 17 h 50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.