Mercredi 13 juin 2018

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations - Table ronde avec les responsables de l'information de France Télévisions, M6, CNews, France 24, Europe 1 et Franceinfo

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le projet de loi initialement intitulé de « lutte contre les fausses informations » aurait dû être adopté par l'Assemblée nationale jeudi dernier, mais les députés ont arrêté son examen à l'article 1er à l'issue d'un débat passionné qui a mis en lumière de nombreuses inquiétudes sur certaines dispositions de ce texte. Comme vous le savez, le droit existant et notamment la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoient déjà un corpus juridique étoffé pour garantir la véracité de l'information et un débat public de qualité. La proposition de loi qui a été renommée et qui vise dans son nouvel intitulé à lutter contre la manipulation de l'information a pour ambition de répondre à de nouvelles pratiques, qui se développent sur les réseaux sociaux avec l'aide de robots, pour porter atteinte à la sincérité de certains scrutins. L'objectif est louable mais les dispositions juridiques peuvent interpeller.

J'ai déjà pu échanger avec les directions de certains médias qui sont unanimes à considérer que ce texte pose plus de problèmes qu'il ne permet d'en résoudre. J'ai souhaité ce matin que nous allions plus loin en commission en donnant la parole aux professionnels de l'information. Je souhaite donc la bienvenue en notre nom à tous à MM. Donat Vidal-Revel, directeur délégué à l'information d'Europe 1, Pascal Doucet-Bon, directeur délégué à l'information de France Télévisions, Vincent Giret, directeur de Franceinfo, Thomas Bauder, directeur délégué à l'information de CNews, Stéphane Gendarme, directeur de l'information de M6 et Marc Saikali, directeur de l'information de France 24.

Je vous propose que chacun des intervenants prenne la parole pour cinq minutes afin de nous faire part de son sentiment sur les questions posées par le développement des fausses informations, sur la façon dont les journalistes traitent ces questions, sur les méthodologies et la déontologie qui permettent de séparer le bon grain de l'ivraie.

M. Pascal Doucet-Bon, directeur délégué à l'information de France Télévisions. - À France Télévisions, nous attachons une importance particulière à la définition retenue pour la fake news. En effet, la fake news n'est pas une fausse information, elle fait référence à une information contrefaite et une manipulation organisée de l'information.

M. Donat Vidal-Revel, directeur délégué à l'information d'Europe 1. - À Europe 1, nous sommes conscients de la complexité du sujet et nous ne sommes pas opposés à une loi. La diffusion de fausses informations peut constituer une véritable arme contre la démocratie. Pour autant, la question de sa régulation n'est pas aisée. Nous sommes déjà soumis à des règles contraignantes à travers notre comité d'éthique, la loi Bloche sur l'indépendance des médias et les missions du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Notre travail consiste à animer l'équipe de rédaction et, toute la journée, nous vérifions des informations. Par conséquent, d'un côté, il y a des plateformes qui ne font l'objet d'aucune régulation - par exemple elles n'ont pas de comité d'éthique - et de l'autre il y a des journalistes qui vérifient et sélectionnent les informations. On pourrait s'inspirer de la logique du pollueur-payeur et l'appliquer aux plateformes qui diffusent des arguments faux sans les vérifier à travers la mise en place d'un fonds qui financerait le travail de vérification et de recoupement des sources mené par les journalistes. Par ailleurs, plutôt que de se focaliser sur la nécessité de faire disparaître des informations sciemment fausses, on pourrait promouvoir les produits sûrs. C'est la démarche entreprise par Reporters sans frontières avec la mise en place d'un label validant la qualité des producteurs d'informations vérifiées et validées.

M. Stéphane Gendarme, directeur de l'information de M6. - L'examen de la proposition de loi sur les fausses informations soulève trois interrogations. La première porte sur la définition des fake news, qu'il convient de revoir. La deuxième concerne les conséquences du référé. La troisième est en lien avec la période de réserve à la veille et le jour du scrutin à laquelle sont soumis les médias audiovisuels et qui limiterait leur intervention en cas de diffusion d'une fausse information. Il faudrait donc assouplir ce régime.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - À ce stade de la discussion, je vous interroge collectivement sur la possibilité de trouver une définition des fake news à la fois suffisamment précise pour ne pas remettre en cause la liberté d'expression et néanmoins suffisamment large pour être efficace.

M. Marc Saikali, directeur de l'information de France 24. - Je ne pourrai pas répondre à votre question à brûle-pourpoint, il faut me laisser cinq minutes de réflexion ! Je ferai quatre remarques à propos de la proposition de loi. D'abord, quid de l'application du principe de réciprocité ? Dans un certain nombre de pays dans lesquels nous sommes implantés, les dirigeants nous expliquent qu'ils ont été élus démocratiquement et que s'ils disposent d'un mandat illimité, c'est pour le bien de leur pays. La suspension de la diffusion d'une radio ou d'une télévision étrangère pourra donc conduire à l'expulsion de nos journalistes. Par ailleurs, nous nous interrogeons sur le laps de temps - 48 heures - laissé au juge des référés pour prescrire les mesures visant à faire cesser la diffusion de la fausse information. Il paraît court, mais il est en réalité infini à l'échelle de temps des réseaux sociaux. Le fait de lutter contre les fake news uniquement en période électorale peut également inciter certaines puissances étrangères à lancer une campagne dénonçant la volonté de l'État français de museler la liberté d'expression au moment des élections. J'ajoute que la lutte contre les fake news passe par l'éducation aux médias, à l'instar de ce que nous faisons en collaboration avec France 2 avec la mise en place du programme Info ou intox qui décrypte les formes que peut prendre la manipulation à travers les images.

M. Thomas Bauder, directeur délégué à l'information de CNews. - Le journalisme reste la meilleure arme contre les fake news, dont l'action est encadrée par un comité d'éthique, une charte, le CSA et la société de journalistes. Quelle est la différence entre l'information et les fake news ? L'information est vérifiée et elle fait l'objet de délibérations constantes au sein de la rédaction : faut-il diffuser cette information ? Combien de temps accorder à telle information ? Ce sont des sujets abordés constamment par les journalistes. Enfin, l'information est réversible : à chaque étape de sa production, elle peut être retirée pour être retravaillée ou supprimée définitivement. Au contraire, les fake news ne sont pas réversibles. Je suis prudent en ce qui concerne la labellisation. Les journalistes ne sont pas des jambons ! Toutefois, il me semble qu'il faut distinguer les sites d'actualité des sites d'information qui impliquent un travail journaliste de vérification. A l'instar du protocole HTTPS développé pour les connexions sécurisées, il pourrait être mis en place un protocole HTTPI qui distinguerait les sites d'information des autres sites diffusant de l'actualité.

M. Vincent Giret, directeur de Franceinfo. - Le phénomène des fake news concerne les journalistes, mais également la société tout entière car son amplification à travers les réseaux sociaux est capable de troubler le processus électoral et de remettre en cause la démocratie. Au-delà de la déclaration de principe sur le journalisme comme arme pour lutter contre les fake news, nous journalistes avons une réelle responsabilité dans l'exercice de notre métier. Ainsi, notre rédaction avait sciemment refusé de reprendre « l'information » qui circula sur le candidat Emmanuel Macron le dernier jour de la campagne présidentielle. Parmi les éléments intéressants de la proposition de loi, je retiens la mise en place d'une traçabilité avec l'introduction d'une obligation de transparence concernant les contenus « sponsorisés » par l'intermédiaire des réseaux et des moteurs de recherche. En revanche, je partage les réserves de mes collègues sur les aspects juridiques, et notamment sur l'instauration d'une procédure de référé. Enfin, je suis favorable à la prise en compte du critère de manipulation pour définir la fake news car cela permet de protéger la liberté d'expression. En revanche, cette définition rendra très difficile la qualification de l'information comme fake news et je doute de l'utilité de la loi pour contrer les phénomènes observés récemment.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Avant de donner la parole à chacun des groupes politiques, je voulais vous poser plusieurs questions. Pouvez-vous tout d'abord approfondir la définition d'une fausse information ? Concernant la labellisation les médias qui en bénéficieraient, ne risquent-ils pas de devenir des cibles en incarnant une « information officielle » ? Que se passera-t-il lorsque le juge des référés refusera le retrait d'une information ? Celle-ci pourrait-elle s'en retrouver légitimée ? Pourrez-vous préciser votre position concernant l'article 9 qui étend la compétence du CSA au numérique et l'article 9 bis qui prévoit des accords de coopération pour lutter contre les fausses informations ?

M. Marc Saikali. - La labellisation constituerait un risque si elle devait concerner les structures et non les contenus puisque une institution bénéficiant d'un label pourrait diffuser des fausses nouvelles sans être inquiétée. La nouvelle compétence reconnue au CSA est une bonne chose puisqu'on peut dire aujourd'hui n'importe quoi sur Internet. La période de réserve lors des scrutins ne permet pas aux journalistes de dénoncer les fausses informations. Lors de l'élection présidentielle lorsque le candidat Emmanuel Macron avait été mis en cause, France 24 avait néanmoins relayé la parole de la commission électorale.

M. Pascal Doucet-Bon. - La notion de manipulation qui est introduite dans le texte constitue un progrès mais elle reste vague, le terme de contrefaçon apparaît adapté puisqu'il suppose que le produit livré n'est pas réel et qu'une organisation est à l'oeuvre ce qui démontre l'intentionnalité. Nous sommes circonspects quant à l'idée de label appliqué aux structures mais ouvert à la labellisation des informations. La création d'un label a priori pourrait toutefois susciter de la méfiance.

Je peux citer le cas d'une journaliste qui anime « What The Fake », à qui j'ai proposé d'intervenir dans le journal télévisé ; celle-ci a refusé au nom du fait que sa démarche pourrait revenir à s'inscrire dans le « grand complot des médias établis ». Le délai de 48 heures reconnu au juge des référés est court et il existe un risque de blanc-seing si le juge devait ne pas ordonner le retrait de l'information contestée. Plus la définition sera précise moins il y aura de contentieux.

Le CSA juge, quant à lui, a posteriori et non a priori, ce qui, en matière d'Internet, pourrait rendre son intervention vaine et illusoire. Pour lutter contre les fausses informations nous avons établi à France Télévisions une chaîne de vérifications. Celle-ci a permis dans le cadre de l'affaire de l'attentat de Trèbes de démontrer en dix minutes que la rumeur selon laquelle le meurtrier aurait été naturalisé français après avoir fait l'objet d'une fiche S constituait une fausse information. Un média avait repris cette fausse information avant de la démentir. Les délais du juge ne sont pas les mêmes.

M. Vincent Giret, directeur de Franceinfo. - Je viens de lire un ouvrage d'Olivier Galland et Anne Muxel sur la jeunesse radicale qui montre comment tout ce qui a tendance à institutionnaliser les médias se retourne contre eux auprès de certaines populations qui sont dans la méfiance. Dans ce cadre, le label constitue une fausse bonne idée qui assimile le média au « système ». Aux Etats-Unis, des études ont montré que les médias qui comptabilisaient les fausses nouvelles diffusées par Donald Trump n'ont pas tiré bénéfice de cette activité.

Les médias doivent travailler leur éthique et assumer leur responsabilité, ils peuvent mutualiser leurs moyens. L'élargissement des compétences du CSA au numérique constitue une évolution naturelle. Il faut reconstituer des « digues de confiance » et la loi ne pourra pas suffire à elle seule.

M. Donat Vidal-Revel. - La démarche de labellisation apparaît contre-productive. Il me semble préférable d'envisager une démarche qui viserait à surpondérer le référencement des médias professionnels qui produisent des informations. On ne peut traiter en effet de la même manière des sources inconnues et des institutions professionnelles. Cette contrainte algorithmique pourrait tenir compte, par exemple, de l'existence d'une société de journalistes et d'un comité de déontologie.

Le délai de 48 heures laissé au juge des référés pour trancher apparaît beaucoup trop long et pourrait être à l'origine d'effets pervers terribles.

M. Stéphane Gendarme. - Nous ne sommes pas non plus favorables à la labellisation pour les raisons qui ont été mentionnées par ailleurs. Le recours au juge des référés constitue également une fausse bonne idée. Dans l'hypothèse où le juge ne se déclarerait pas compétent, l'information gagnerait en effet en crédibilité.

La période « de réserve » pose problème puisqu'elle empêche d'intervenir pour dénoncer une fausse information comme ce fut le cas lors de la dernière élection présidentielle. L'intervention du CSA dans le champ numérique peut constituer une bonne chose mais ce sera compliqué. Les rédactions sont toujours partagées entre ne pas donner une information qui va circuler par ailleurs sur Internet et prendre le temps de vérifier les sources.

M. Claude Malhuret. - la question de la définition d'une fausse nouvelle est une fausse question. Il est impossible de trouver une réponse car la notion recouvre plusieurs réalités. Il y a tout d'abord la désinformation étatique. À l'image de Russia Today, les informations sont vraies mais traitées de telle sorte qu'elles visent à affaiblir les pays occidentaux. Les mails de Hillary Clinton constituent une autre réalité puisque la plupart étaient véridiques mais avaient fait l'objet d'un piratage de données. Les sites terroristes posent des problèmes spécifiques qui sont différents des deux précédentes catégories, alors que l'affaire de Trèbes et les manipulations de sites comme le Réseau Voltaire appartiennent à une autre catégorie. Enfin, il y a des millions d'adolescents narcissiques qui veulent provoquer en diffusant de fausses informations sur leurs pages de réseaux sociaux. On peut être reconnaissant au Gouvernement d'avoir mis le sujet à l'agenda mais cette loi n'est pas aboutie.

Concernant le label tout le monde est réticent. Ayant créé le site Doctissimo il y a 20 ans qui était confronté à des sites diffusant de fausses informations d'ordre médical, j'ai l'expérience de la création d'un label de qualité tombé en désuétude. L'expérience montre que ceux qui veulent accéder à de fausses informations sont insensibles aux labels.

Concernant les plateformes numériques, il y a un débat entre les autorités et les hébergeurs. Je pense que ces derniers devraient être considérés comme des éditeurs car ils ont les moyens de trier les informations. Seriez-vous d'accord pour inscrire ce principe dans la loi ?

M. Pierre Ouzoulias. - La diffamation, telle que définie en droit pénal, peut tout à fait s'appliquer à la fausse information. Par ailleurs, il faut valoriser les corps intermédiaires, à l'image des journalistes. Pourquoi les plateformes ne sont-elles pas soumises aux mêmes contraintes pénales que les éditeurs ? Il y a une impunité absolue à la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux. Cela a été le cas dans l'affaire du SAMU alsacien où trois personnes participant à l'accueil téléphonique ont été mises en cause sur les réseaux sociaux, jusqu'à recevoir des menaces, tout comme leurs familles. Aucune poursuite pénale n'a été menée contre les auteurs de ces menaces. Il faut établir une responsabilité.

Mme Sonia de la Provôté. - La contamination de l'information résulte à la fois d'une partialité de l'émetteur et du choix du moment opportun de la diffusion afin d'assurer la multiplication des reprises. Comment, dans ces conditions, permettre une écoute éclairée ? Il n'y a pas de fatalité mais une obligation de développer l'esprit critique.

M. David Assouline. - La législation actuelle offre déjà beaucoup de possibilités. Pierre Ouzoulias nous a rappelé la définition juridique de la diffamation. De même, l'article 27 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse sanctionne la publication, la diffusion ou la reproduction de « nouvelles fausses ». On aurait pu envisager de modifier la loi de 1881, les « fausses informations » d'aujourd'hui étant les « nouvelles fausses » de l'époque. Mais le risque de déstabilisation d'un édifice législatif qui a fait ses preuves depuis plus d'un siècle est tel qu'on a préféré le contourner... La proposition de loi relative aux fausses informations est un texte qui ne sert rien et qui peut même être dangereux. Je ne vois pas comment il va permettre de lutter contre les fausses informations. De plus, il ne permettra pas de lutter contre certains dysfonctionnements ou dérives du système médiatique. Que ferait-elle par exemple d'une information telle que celle relative à ce fait divers particulièrement affreux qui avait eu lieu la veille du premier tour de l'élection présidentielle de 2002 et qui avait fait l'objet d'un véritable matraquage médiatique au point, peut-être, de modifier le résultat du scrutin ? De même, du cas d'une information importante pour le grand public qui ne serait pas relayée par un organe de presse parce qu'elle met en cause un de ses actionnaires ?

Le texte, dans sa rédaction actuelle, prévoit que le juge disposera de 48 heures pour faire cesser la diffusion d'une fausse information. Cinq critères doivent être réunis pour cela, ce qui, à mon sens, va conduire le juge à se prononcer très rarement parce que celui-ci adoptera la prudence. J'y vois un danger : que toutes les informations qui passeront entre les mailles du filet du juge soient crédibilisées du fait qu'elles n'ont pas été attaquées !

J'identifie un autre danger. Nos démocraties sont fragiles : quelle utilisation un pouvoir autoritaire qui ne garantirait plus l'indépendance de la justice ferait-il de cette loi ?

Je suis d'accord avec les mesures concernant la régulation des contenus disponibles sur Internet par le CSA ou l'éducation aux médias mais celles-ci peuvent être intégrées à la future loi audiovisuelle. Au final, j'estime que cette proposition de loi n'est pas amendable et doit être rejetée.

M. Jean-Pierre Leleux. - Le mensonge fait partie de l'humanité et cela ne changera pas. Les réseaux sociaux offrent simplement aujourd'hui un nouveau périmètre aux fausses nouvelles, mais nous, élus, savons que cela existe depuis des siècles dans le cadre des campagnes électorales. Faut-il une nouvelle loi en la matière ou adapter la législation actuelle ? Doit-on confier au juge l'expression de la vérité ? L'éducation aux médias est-elle un moyen suffisant ? Au final, je voudrais savoir quelles sont les mesures de la proposition de loi qui, selon vous, mériteraient d'être adoptées ?

Mme Françoise Laborde. - Est-ce une bonne idée de confier le rôle de gardien de l'ordre public au CSA ? J'entrevois également des difficultés pratiques. Je pourrais vous parler d'expérience de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS) mise en place par le ministère de l'intérieur et qui permet de signaler en ligne les contenus et comportements illicites de l'Internet : il est très difficile de faire fermer certains sites qui incitent à la haine ou à la violence !

Je suis très perplexe sur ce texte. Le référé est-il utile compte tenu de l'arsenal juridique existant ? Comment déterminer l'intentionnalité dans ces affaires ?

Vous nous avez dit que vous étiez amenés régulièrement à jouer un rôle dans la détection de fausses nouvelles. Je dois vous avouer que votre travail manque de visibilité car, pour être une adepte des réseaux sociaux, je n'ai pas vu d'alertes sur ces sujets de votre part.

M. Antoine Karam. - Les réseaux sociaux et les citoyens équipés d'un téléphone portable ont pris le dessus sur les médias traditionnels et cela comporte des risques. Ainsi, dans mon territoire, la Guyane, un policier municipal a été froidement abattu ce week-end par deux jeunes. Très rapidement, la photo d'un jeune homme identifié comme « présumé coupable » a circulé sur les réseaux sociaux conduisant au harcèlement de sa famille. L'information a été relayée par Guyane 1ère. Mais 24 heures plus tard, le procureur de la République a remis en liberté ce jeune homme : il n'était pas impliqué !

Mme Laure Darcos. - Je doute de l'utilité de cette loi. Je considère qu'il y a en revanche une vraie problématique autour de la question des algorithmes de référencement : on constate que la toile est inondée de vidéos complotistes ou autres, très virales parmi les jeunes, et qui de ce fait bénéficient d'un meilleur référencement dans les moteurs de recherche que les informations en provenance des médias reconnus. Allez-vous renforcer votre présence sur les réseaux sociaux pour gagner la bataille du référencement ?

Mme Sylvie Robert. - Nous avons tous de grandes réserves sur le bien-fondé et l'utilité de cette loi. Je suis en désaccord avec M. Malhuret quand il dit que ce n'est pas une question de sémantique. La définition qui sera retenue déterminera les finalités et la proportionnalité des dispositifs de régulation qui seront ensuite mis en place. Je suis convaincue qu'il va falloir travailler en amont et mettre le paquet sur l'éducation. Enfin, je ne vous ai pas entendu parler de l'Union européenne et de sa décision de ne pas légiférer en la matière. Il y a une dimension européenne et internationale dans le phénomène des fake news qui doit aussi nous interroger sur l'utilité d'une loi limitée au territoire français.

M. Laurent Lafon. - Cette loi peut-elle avoir des conséquences sur votre travail, notamment vous limiter dans des enquêtes d'investigation de peur d'être attaqués pour fausse nouvelle ? Quel serait le traitement donné à une affaire équivalente à l'affaire Cahuzac, partie d'un simple témoignage, dans le contexte d'une campagne électorale ?

Avez-vous par ailleurs une politique de vérification vis-à-vis des vidéos truquées appelées « Deep fake » qui commencent à apparaître et qui font tenir de façon vraisemblable des propos totalement faux à des personnes filmées ?

M. Vincent Giret. - Les progrès de l'intelligence artificielle et leur détournement aux fins de manipulation, notamment dans le domaine de l'image, représentent un défi colossal. Ils révèlent à la fois un besoin d'équipement des rédactions et de mise en place d'une régulation. Au sein de Franceinfo, il existe une agence de vérification des informations. Depuis la semaine dernière, une personne s'y occupe des images et repère celles qui sont utilisées à l'appui de fausses informations. Ces images tamponnées « Fake » sont désormais signalées sur une plateforme baptisée « Vrai ou fake » alimentée par les médias publics d'information.

La question du référencement est à la fois éditoriale et marketing. Nous devons effectivement être capables de trouver les bons formats pour acquérir le plus d'audience possible et contrer les fausses informations. Pour cela, il faut développer nos connaissances des logiques « web » et de la viralité.

Il a été question, un moment, de prévoir des sanctions financières à l'encontre des plateformes et des réseaux sociaux en cas de diffusion de fausses informations. On peut se dire qu'il s'agit de bon sens mais cela pourrait conduire à les instituer en censeur de l'information et des contenus présents sur leur réseau. Ce n'est pas souhaitable. Il convient davantage, sans passer par la loi, de miser sur la transparence et d'avoir un dialogue serré avec ces opérateurs sur le référencement. C'est un défi qui, à mon sens, doit être relevé à l'échelle européenne.

M. Pascal Doucet-Bon. - Il faut faire attention à la mission qui sera confiée au CSA concernant la lutte contre les fausses informations car la tâche est plus large. Reconnaître au CSA une responsabilité sur l'information mériterait un débat approfondi.

M. Thomas Bauder. - Il existe deux débats qui n'ont rien à voir : un premier sur la diffusion des fausses informations et un second sur le travail des journalistes. Ces derniers sont formés pour lutter contre la propagation des fausses informations. Le problème vient que l'information en tant qu'institution est aujourd'hui débordée par le numérique.

Le rôle du CSA mérite un débat car cette loi s'appliquera à nous alors que nous sommes les derniers à diffuser des fausses informations. Nous avons mis en place un processus de validation au sein de la rédaction en utilisant une messagerie instantanée qui permet une discussion permanente pour confronter les sources et valider les informations. Ce n'est pas parce que on ne met pas une information en Une qu'on n'en parle pas. Il y a des choix éditoriaux. Tous les journalistes traitent toutes les informations mêmes celles concernant leurs actionnaires. La loi ne doit pas pénaliser les bons professionnels.

M. Marc Saikali. - La définition de la diffamation ne constitue pas une bonne réponse, car une information peut être vraie alors même qu'un média peut faire l'objet d'un procès en diffamation.

Nous avons mis en oeuvre des partenariats et créé un guide de vérification des images.

M. Donat Vidal-Revel. - On est subjugué par les plateformes qui ne sont pas régulées. C'est un bouleversement énorme car les citoyens ont pris le dessus dans l'accès à l'information. Aujourd'hui tout le monde est initié, notamment lors des élections où les résultats deviennent accessibles avant la clôture des grands scrutins. Nous sommes questionnés sur notre place en tant que média car nous sommes contournés. Est-ce qu'il faut légiférer ? Je ne sais pas mais il faut qualifier les plateformes comme des éditeurs car elles sont les nouveaux intermédiaires. Les médias sont soumis à des lois, pas les plateformes qui constituent une sorte de far west.

M. Stéphane Gendarme. - Telle qu'elle est écrite, la loi manquera sa cible. Mais je ne suis pas inquiet car le travail des journalistes permet de produire l'information. Nous avons par ailleurs créé, le samedi, une rubrique de décryptage qui permet d'analyser les fausses informations.

M. Thomas Bauder. - On ne peut comparer les moyens des chaînes d'information à ceux de France Télévisions. Les chaînes d'information ont un modèle économique low cost qui ne leur permet pas de « survalider » les informations ni de créer des cellules anti fausses informations. Nous nous appuyons sur des tiers de confiance, comme l'Agence France-Presse (AFP) qui produit 5 000 dépêches par jour.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La question n'est effectivement pas celles des journalistes mais de savoir qui manipule qui et qui a intérêt à déstabiliser. Cette proposition de loi a de fortes chances de manquer sa cible.

Proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations - Table ronde avec les représentants du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) et de Reporters sans frontières (RSF)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Après avoir entendu les rédactions de l'audiovisuel, nous accueillons maintenant les représentants de trois grandes organisations de presse : MM. Francis Morel, président du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), accompagné de Denis Bouchez, directeur, et Samir Ouachtati, responsable des affaires juridiques et sociales, M. Jean-Michel Baylet, président de l'Union de la Presse en région (UPREG), Mmes Maud Grillard, directrice, et Haude d'Harcourt, responsable des relations institutionnelles, ainsi que M. Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF).

M. Francis Morel, président du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). - La lutte contre les fausses informations constitue incontestablement un sujet important, ce qu'ont bien montré certaines élections récentes à l'étranger. Le texte proposé n'est cependant pas pleinement abouti. Tout d'abord, on a bien du mal à définir ces fausses nouvelles. Il est en effet difficile de déterminer si une information est inexacte ou trompeuse et le juge, qui ne disposera que de 48 heures, ne sera pas en mesure de le faire. De plus, apprécier la mauvaise foi est un exercice complexe, voire impossible. Un seul critère me semble, à ce stade, pertinent, celui de la diffusion « artificielle ou automatisée et massive ». Pour autant, il me paraît important de souligner que les sites de presse, dont le fonctionnement est déjà très encadré, ne sauraient être concernés par cette mesure, ce qu'il conviendrait de préciser.

Initialement, la loi devait être intitulée « confiance dans l'information ». Il est en effet absolument nécessaire que l'origine d'une information puisse être retracée et précisément identifiée par les plateformes, d'où notre proposition de modification de l'article 9, qui vise à contraindre les plateformes à négocier avec les éditeurs pour labelliser leurs productions.

M. Jean-Michel Baylet, président de l'Union de la presse en région (UPREG). - J'exprime mon accord total et celui de l'Union de la presse en région avec les propos tenus par Francis Morel.

M. Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF). - Il me semble que cette loi traite de deux sujets distincts : le premier est celui des informations fallacieuses, malveillantes et déformées, qui visent à déstabiliser les processus électoraux ; le second est le bouleversement de l'espace public avec la mondialisation de l'information qui met en concurrence, sur un pied d'égalité, des contenus de natures très différentes. Sur le premier aspect, la loi de 1881 n'est peut-être pas totalement satisfaisante, et par conséquent le principe d'une nouvelle loi peut être légitime. Elle me paraît cependant largement inopérante, voire contre-productive. Je vais en donner quelques exemples. D'une part, les nouvelles capacités du CSA à sanctionner des chaînes étrangères pourraient entraîner une véritable « guerre de l'information » préjudiciable aux correspondants à l'étranger. Il serait plus efficace que le CSA s'assure du respect des obligations déontologiques et de l'indépendance des rédactions, quel que soit le propriétaire. D'autre part, le juge sera contraint de n'ordonner le déréférencement que pour les informations manifestement erronées, ce qui sera donc très peu fréquent et aura a contrario un caractère contre-productif en permettant à certains médias de se prévaloir d'une décision de justice pour accréditer leurs informations.

RSF a lancé la réflexion autour de la constitution d'un référentiel européen qui donnerait des avantages concrets aux sites ainsi reconnus en termes de référencement ou de ressources publicitaires. Je ne suis pas favorable à une labellisation par le CSA, par les plateformes ou même par les États : ce mouvement doit relever de l'autorégulation de la profession.

Mme Sonia de la Provôté. - Le texte pose un certain nombre de questions. Je citerai en particulier : quels sont les contenus qui peuvent être censurés, qui a le pouvoir de les censurer et quels sont les moyens mis à la disposition du contrôle, quand on les compare à ceux des grands acteurs d'Internet ? Je regrette que la dimension éducative soit encore trop ignorée. Ne pensez-vous pas que la seule loi pertinente traiterait plutôt de la question de la responsabilité des plateformes ?

Mme Françoise Laborde. - Nous voyons bien que la question posée est celle de la diffusion de l'information sur Internet. Le CSA ne me semble pas en mesure de traiter le sujet de manière efficace, vous seuls me paraissez en mesure de le faire.

Mme Laure Darcos. - Je note une évolution des pratiques de la presse sur Internet : pendant longtemps, les rédactions papier et numérique étaient séparées et les « vrais » journalistes ne rédigeaient que pour l'édition papier. Heureusement tel n'est plus le cas aujourd'hui. Ne faudrait-il pas continuer à travailler dans ce sens en renforçant la déontologie et en assurant la traçabilité de l'auteur ou de la publication ?

M. David Assouline. - Les médias audiovisuels et la presse écrite font déjà l'objet de régulation, à la différence de l'Internet. Aujourd'hui les médias étrangers peuvent influencer notre débat public, ce qui a suscité la réaction du président de la République. Cependant, ce phénomène de la désinformation pendant les campagnes électorales n'est pas nouveau même si sa forme a pu évoluer. À titre d'exemple, les images projetées à la veille du premier tour de l'élection présidentielle de 2002 ont fortement influencé le résultat. Je ne pense pas que ce sujet puisse être traité par une « petite loi » ; il doit faire l'objet d'une approche beaucoup plus globale. J'estime d'ailleurs que tout ne doit pas nécessairement emprunter la voie législative mais que la profession a une réelle responsabilité en la matière. Il faut donc trouver une autorégulation efficace dans le cadre législatif qui est le nôtre. J'approuve pleinement l'idée selon laquelle un juge qui n'aura que 48 heures pour trancher adoptera une attitude extrêmement prudente.

M. Claude Malhuret. - Ce débat tourne autour de la place et de la responsabilité des hébergeurs. Je suis sceptique sur ce sujet. En effet, il ne faut pas transformer les plateformes en censeurs de la liberté d'expression. Leur confier cette responsabilité revient à leur donner un trop grand pouvoir et je m'interroge sur les moyens d'éviter cette nouvelle forme de censure.

Mme Céline Brulin. - Christophe Deloire a utilisé les termes « inopérant» voire « contre-productif » pour ce projet de loi. Cet avis est très largement partagé. Il y a un vrai sujet autour des plateformes numériques et de la régulation des contenus qu'elles diffusent. Un chantier est à engager sur le développement de l'esprit critique et de l'éducation ; les médias y ont un rôle à jouer. Vous, la presse écrite, représentez un modèle particulier qui assume et protège une forme de pluralisme extrêmement avancé. Ce modèle n'est pas reproductible à l'identique, mais en quoi celui-ci peut-il être transposé dans d'autres médias pour développer un débat d'idées de qualité qui nous prémunirait des fake news ?

M. Jean-Michel Baylet. - Ce texte n'est pas parfait, mais il ouvre un débat et anticipe un cadre dans un secteur d'informations où il n'y en a pas. La presse écrite, de par son sérieux, sa diversité et son indépendance, donne un bel exemple de qualité d'information, déjà labellisée par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), et encadrée par des lois très strictes. Il ne faudrait pas qu'on complexifie le fonctionnement de l'information de la presse écrite qui, depuis 1881, a une organisation qui fonctionne. Ce qui pose problème, c'est l'apparition sur les réseaux sociaux, hors de tout cadre législatif, de fausses informations fournies par des sites, dont certains sont spécialisés en la matière, financés parfois par des États. Je vous rappelle que depuis la loi « Bloche », nous avons des chartes rédactionnelles qui sont parfaitement respectées. Par ailleurs, il nous faut organiser une coopération réelle entre les plateformes et les médias professionnels sur la valorisation des contenus et l'éducation aux médias. Il est aussi nécessaire de consacrer, hors CSA, une obligation légale qui impose aux opérateurs de plateformes de lutter contre les fausses informations et de contribuer à la lisibilité et à la compréhension pour les internautes, quant à l'information de métier.

Enfin, si une proposition de loi doit être examinée, elle ne doit pas porter uniquement sur les périodes électorales. Les fausses nouvelles peuvent influer fortement sur une élection présidentielle - nous l'avons vu aux États-Unis, mais aussi en 2002 en France avec des images qui ont tourné en boucle puis ont ensuite été démenties. Mais les fausses nouvelles concernent également l'ensemble des citoyens dans leur vie privée, l'ensemble des entreprises dans leur vie professionnelle - nous le voyons lorsque de fausses informations ont des conséquences directes sur les opérations en bourse. Il ne peut donc être question d'une loi ne se rapportant qu'au politique.

M. François Morel. - Pour répondre à Laure Darcos, nous avons la même responsabilité sur les titres de la presse écrite et sur la presse Internet : ce sont les mêmes journalistes qui écrivent dans l'une et l'autre. Auparavant, les journalistes eux-mêmes ne le souhaitaient pas. Je vous précise que 90 % des articles publiés sur les sites sont rédigés par nos journalistes. Néanmoins, je retiens l'idée de signature, pour une meilleure identification. Étant directeur de publication, je suis responsable aussi bien pour le site que pour les titres de presse, de la qualité de l'information. Par contre, je suis réservé sur l'autorégulation. Elle existe au travers de chartes éditoriales, de sociétés de journalistes, et vis-à-vis de nos lecteurs. Je suis également réservé quant à une association qui contrôlerait la régulation de l'ensemble de la déontologie professionnelle. Nous l'appliquons tous en permanence. Enfin, si les plateformes doivent labelliser, pourront-elles censurer ? Pour ma part, je pense qu'elles doivent uniquement présenter le nom de l'auteur. Elles ne doivent pas décider du contenu mais informer que le contenu provient de tel ou tel journal. Je suis également très sceptique sur les initiatives de mise au point d'un système qui serait créé sur les plateformes pour juger de la qualité.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il est vrai que sur la question de la labellisation de l'information, les participants de la table ronde précédente étaient unanimement d'accord, précisant que ce pourrait être contre-productif, dans une atmosphère de défiance généralisée.

M. Christophe Deloire. - Sur la question de la labellisation, Reporters sans frontières n'est pas du même avis. Notre idée est de créer un référentiel, qui travaillerait avec le comité européen de normalisation, l'ISO européen, sur les critères de l'indépendance éditoriale, la transparence des médias, le respect des méthodes journalistiques en matière de vérification et de correction et des règles déontologiques. Un secteur économique de la certification existant déjà, celui-ci pourrait établir une « liste blanche », ainsi utilisée par tous ceux qui ont une influence, même extérieure, sur les médias, non pas pour faire peser un poids supplémentaire sur des médias - qui en ont déjà assez -, mais pour distinguer précisément entre ceux relevant du journalisme, ou de la publicité, du journalisme dévoyé ou de la propagande politique. Il faudrait ensuite apporter à ceux qui présentent ces garanties, des avantages concrets, qui ne seraient pas un label public, mais qui amèneraient les plateformes et les moteurs de recherche à mieux les référencer. Nous avons réussi, dans cette logique, à inclure Google, Facebook ainsi que la fédération mondiale des annonceurs.

Par ailleurs, il nous faudrait éviter de faire l'erreur qui consiste à nous enfermer dans la même bulle, puisque nous lisons et écoutons à peu près tous les mêmes médias. Pourtant le champ d'information n'est pas le champ des médias. Il est incomparablement plus large. Le grand sujet, ce sont les plateformes. Celles qui existaient auparavant avaient un cadre juridique cohérent qui permettait de distinguer la publicité des contenus journalistiques. Aujourd'hui, il n'existe plus. Que faut-il donc demander aux plateformes ? À notre sens, l'idée d'un troisième statut est largement préférable, à savoir ni hébergeur, ni éditeur. Elles ne doivent pas devenir des rédacteurs en chef. En revanche des garanties méritent d'être appliquées aux plateformes, en matière de neutralité politique ou de transparence. Il y a également un travail à faire sur ce qui relève de l'exception à la liberté de l'expression, par exemple la pédopornographie ou le djihadisme, à savoir comment les plateformes peuvent effacer les données sans qu'elles ne prennent la place du juge.

Le sujet principal de la présente loi est la désinformation et l'atteinte aux processus électoraux. Il est différent du sujet général des conditions du débat dans l'espace public aujourd'hui et de l'équilibre juridique. Il faut veiller impérativement, dans le cadre de la procédure de référé, à ce que la charge de la preuve revienne bien au juge.

Enfin, si l'éducation aux médias peut être utile, elle ne résoudra pas les problèmes de l'espace public.

M. François Morel. - Je souhaite juste préciser que je m'oppose au projet présenté par Christophe Deloire, qui propose de contrôler la déontologie de l'ensemble des professionnels. Beaucoup d'informations ne proviennent pas des journaux. Mais les seules qui pourraient être vérifiées seraient celles provenant des journaux déjà contrôlés. L'ensemble des informations venant d'autres sources, pourtant les plus nuisibles, ne pourraient l'être. En outre, il me paraît extrêmement important qu'il y ait obligation pour les plateformes de négocier avec la presse écrite le contenu diffusé. Il faut l'inscrire dans la loi, afin que le rapport de force soit établi.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je crains que la problématique des plateformes soit beaucoup plus large que cela.

Mme Maryvonne Blondin. - Je suis très heureuse de ces débats. Ils démontrent que nous sommes dans un pays démocratique. Étant membre du Conseil de l'Europe, je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec les missions d'observation d'élections auxquelles je participe. Nombre d'entre elles démontrent une concentration des médias tenus par les oligarques sous tutelle de candidats qui centralisent l'ensemble de l'information. Dans ce cadre, nous sommes dans l'obligation d'auditionner les médias et avons souvent la chance d'être accompagné de représentants de RSF. Leur présence est exceptionnelle quand on sait que les journalistes sont parfois emprisonnés, voire assassinés. Il nous faut saluer la difficulté avec laquelle ils interviennent dans ces États et il est heureux que dans notre pays nous puissions débatte de cela.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le Conseil de l'Europe joue un rôle important en la matière et nous en saluons le travail. Je remercie les intervenants d'avoir accepté notre invitation. Ce sujet nous passionne et je précise que la loi qui nous est présentée en tant que telle nous pose un certain nombre de questions. Nous continuerons nos travaux pour légiférer utilement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 25.