Jeudi 5 avril 2018

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Risques naturels majeurs dans les outre-mer - Visioconférence avec la Nouvelle-Calédonie

M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, nous reprenons aujourd'hui avec la Nouvelle-Calédonie notre cycle de visioconférences sur la thématique des risques naturels majeurs. Nous avions initialement prévu de réaliser cette rencontre le 8 mars mais en avons été précisément empêchés par une alerte cyclonique ; fort heureusement, Hola n'a en définitive pas été trop destructeur.

Je remercie nos amis calédoniens de s'être mobilisés en nombre pour répondre à notre sollicitation et au Congrès d'avoir accepté d'accueillir notre visioconférence.

Comme vous le savez, à la suite des ravages opérés par Irma, notre délégation a décidé de conduire une étude sur la situation des outre-mer face aux risques naturels majeurs. Du Pacifique à l'océan Indien en passant par la mer des Caraïbes, 2017 et le début de 2018 ont vu les éléments se déchaîner. Nos territoires, que l'on qualifie souvent de « sentinelles du changement climatique », sont particulièrement exposés et vulnérables du fait, notamment, de leur isolement et de leurs configurations géographiques.

Les épisodes dévastateurs se multiplient : comme Wallis-et-Futuna, vous avez vécu sous la menace de Gita puis de Hola il y a quelques semaines seulement, et la Polynésie française en début d'année ainsi que La Réunion à plusieurs reprises au cours des derniers mois ont subi de terribles inondations. Ainsi nous est-il apparu nécessaire de faire le point sur la situation de l'ensemble des territoires au regard des différents risques, afin de faire émerger des propositions d'amélioration. Nous menons à cet effet de multiples auditions et visioconférences et un déplacement aura lieu aux Antilles fin avril.

Notre étude, qui couvre l'ensemble des risques naturels majeurs - cyclones, inondations mais aussi submersion marine, glissement de terrain ou encore séismes - comprendra deux volets : le premier, que nous instruisons actuellement, est centré sur les questions de prévention, de déclenchement de l'alerte et de gestion de l'urgence lorsque survient une catastrophe ; le second, qui sera traité l'an prochain, portera sur la reconstruction et l'organisation de la résilience des territoires.

Sont en charge de ce dossier une équipe de trois rapporteurs : Guillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin, rapporteur coordonnateur sur les deux volets, ainsi que Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, et Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche, co-rapporteurs du premier volet sur lequel nous vous sollicitons aujourd'hui. M. Gérard Poadja, sénateur de la Nouvelle-Calédonie, est également parmi nous, ainsi que Mme Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne, M. Dominique Théophile, sénateur de la Guadeloupe et M. Henri Leroy, sénateur des Alpes-Maritimes.

Je n'en dirai pas davantage à ce stade car nous avons hâte d'entendre vos observations sur ces sujets éminemment importants pour nos outre-mer. Je vous demanderai, pour les besoins du compte rendu, de répéter vos nom et qualité à chaque prise de parole.

M. Pierre Gey, directeur de cabinet du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. - Je vous remercie d'avoir pris l'initiative d'organiser cette rencontre sur les risques naturels majeurs, sujet qui nous préoccupe au quotidien, en particulier pendant les périodes cycloniques. Toutes les institutions sont aujourd'hui présentes pour échanger avec vous, à l'exception de la Province des îles Loyauté dont les représentants n'ont pas pu se rendre à Nouméa.

Nous vous présenterons d'abord l'articulation entre les acteurs de la sécurité civile en Nouvelle-Calédonie avant d'aborder plus spécifiquement la question du déclenchement des alertes en cas de manifestation d'un risque naturel majeur.

M. Éric Backes, directeur de la sécurité civile et de la gestion des risques (DSCGR) de la Nouvelle-Calédonie. - Le mode d'organisation de la sécurité civile en Nouvelle-Calédonie est comparable à celui de l'hexagone, même si le transfert de compétence de 2014 a introduit quelques particularités dans ce système.

L'État reste le garant de la cohérence nationale en matière de sécurité civile. Cette prérogative, héritée du code de sécurité intérieure, a été inscrite à l'article LO.200-1 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Elle garantit notamment au haut-commissaire un pouvoir de substitution au président du gouvernement qui peut s'exercer dans le cadre d'une gestion de crise après une mise en demeure restée sans effet et, le cas échéant, en cas de manquement de la part du président du gouvernement.

Le citoyen reste par ailleurs le premier acteur de la sécurité civile, en hexagone comme en Nouvelle-Calédonie, puisque l'efficacité de l'action des pouvoirs publics dépend en grande partie des comportements individuels des citoyens en cas de crise.

Au niveau institutionnel, les pouvoirs de police du maire confèrent à ce dernier une place centrale dans l'organisation de la sécurité civile. L'article 131-2 du code des communes de Nouvelle-Calédonie, qui reprend une disposition du code général des collectivités territoriales, dispose que « la police municipale a pour objet de prévenir par des précautions convenables et de faire cesser par la distribution des secours, les accidents, les fléaux calamiteux, les pollutions ».

Pour autant, le transfert de cette compétence à la Nouvelle-Calédonie, le 1er janvier 2014, a introduit des spécificités telles que la reconnaissance du président du gouvernement comme l'un des acteurs principaux de la sécurité civile. Celui-ci dispose de nouvelles compétences normatives, mais aussi d'une responsabilité opérationnelle importante puisqu'il prend la direction des opérations de secours dans le cadre de la gestion de crise. Cette responsabilité dans l'organisation des opérations de secours a nécessité le transfert de pouvoirs spéciaux jusqu'alors réservés aux préfets tels que la réquisition de tous moyens privés et publics et la substitution aux autorités communales.

L'organisation des secours s'inscrit donc dans le cadre des pouvoirs de police du président du gouvernement, sous le vocable d'« organisation de la réponse de sécurité civile » (ORSEC), également utilisé dans l'hexagone.

En ce qui concerne la répartition des rôles pendant la crise, le maire est responsable en première intention de la gestion d'un événement circonscrit au périmètre communal. Il s'appuie pour cela sur son centre de secours, le chef de corps ou le premier officier sapeur-pompier sur les lieux, qui devient alors le commandant des opérations de secours, ainsi que sur le poste de commandement communal dont la mission est de coordonner la réponse à la crise.

Si l'événement dépasse ce périmètre, le président du gouvernement prend la direction des opérations de secours en s'appuyant sur ses moyens propres mais aussi sur les moyens privés et communaux par réquisition et sur les moyens de l'État présents en Nouvelle-Calédonie par une demande de concours.

Si l'événement intéresse l'ensemble de la zone de défense, le haut-commissaire peut faire valoir son droit de substitution après mise en demeure afin de prendre la direction des opérations de secours. Le haut-commissaire gère alors l'ensemble des moyens locaux et des renforts nationaux nécessaires à la résolution de la crise.

Dans le domaine de la coordination des acteurs et des remontées d'informations, la Nouvelle-Calédonie s'est dotée, après le transfert de compétence, d'un organe opérationnel de coordination de crise sur le modèle du centre de veille, d'information et de gestion de crise (COGIC) du ministère de l'intérieur. Ce centre opérationnel de gestion de crise a pour vocation de rassembler l'ensemble des acteurs compétents issus des services de l'État et de la Nouvelle-Calédonie, civils et militaires. Le centre fait remonter les informations au président du gouvernement mais aussi au haut-commissariat par l'intermédiaire de l'état-major interministériel de zone de défense (EMIZ) et au ministère de l'intérieur via le COGIC. Dans cette perspective, nous avons obtenu la délégation pour pouvoir renseigner directement le portail ORSEC Synergie qui permet d'alimenter le COGIC. Lors du passage du cyclone Hola, par exemple, le COGIC nous a sollicités à plusieurs reprises afin d'obtenir des points de situation réguliers.

Je terminerai ma présentation en vous présentant le fonctionnement de notre schéma d'alerte. Lorsqu'un témoin signale un événement de sécurité civile, il compose les numéros des primo-intervenants que sont la police, les pompiers et le centre de communications maritimes (RMCC). Dans l'immense majorité des cas, ces acteurs résolvent la crise sans avoir besoin d'actionner le reste de la chaîne de secours. Dans l'hypothèse où l'événement nécessite des moyens supplémentaires, il existe un numéro unique de gestion des risques, le 119, qui permet de joindre la veille permanente du centre opérationnel de gestion de crise du gouvernement. Le dispositif de coordination interservices peut donc être activé à tout moment et monter en puissance en fonction de l'ampleur de la crise. Différents types d'organisation, détaillés dans le diaporama qui vous sera transmis, peuvent alors être déployés. L'objectif premier du centre opérationnel est de fiabiliser l'information qui remonte aux autorités. En fonction de l'évolution de la crise, des modules complémentaires peuvent être activés tels qu'une cellule d'information aux populations avec un numéro vert d'urgence, le 05 05 05, afin de désengorger les lignes des services de secours et de permettre aux acteurs de se focaliser sur la gestion de la crise. À titre d'exemple, nous pourrions mettre en place cette cellule en cas de crash aérien, hypothèse sur laquelle nous travaillons actuellement dans le cadre du plan ORSEC.

Il existe d'ailleurs de nombreux dispositifs ORSEC en Nouvelle-Calédonie puisque le corpus se décline à la fois en dispositions générales et en mesures spécifiques. La planification ORSEC permet ainsi d'anticiper sur les événements et d'adapter au mieux la gestion de crise à la situation sur le terrain. Le dispositif général ORSEC de 2012 est hérité des dispositions générales applicables avant le transfert de compétence. À ce schéma générique s'ajoutent des plans spécifiques tels que « centre d'accueil et de regroupement des victimes » (2012), « nombreuses victimes » (2012), « feux de forêt » (2012), « tsunami » (2012, en cours d'actualisation) ou « risques cycloniques » (actualisé en 2014 et en 2018). Le plan ORSEC « maritime » a également été actualisé en 2015 afin d'articuler les services de gestion de crise terrestres et maritimes. Enfin, le plan « événements météo dangereux » a été adopté en 2017 par le président du gouvernement et le plan « pollmar-terre » est en voie de finalisation. Enfin, des plans particuliers d'intervention (PPI) viennent compléter cette boîte à outils afin de répondre efficacement aux crises qui peuvent se produire sur des lieux stratégiques tels que les grands barrages et les sites industriels de Goro et de Doniambo. Le PPI « bassin industriel de Numbo » qui regroupe les dépôts de gaz, un dépôt pétrolier et une usine fournissant des gaz domestiques, vient également d'être adopté. Les PPI font l'objet d'actualisations régulières.

Même si certains événements ne sont toujours pas couverts par les dispositifs ORSEC, les risques de sécurité civile susceptibles d'affecter la Nouvelle-Calédonie sont bien appréhendés, d'autant que le plan ORSEC général est conçu pour pouvoir s'adapter à n'importe quelle crise.

Par ailleurs, il me paraît important de vous apporter des précisions supplémentaires sur le transfert de la compétence sécurité civile à la Nouvelle-Calédonie, événement inédit dans l'histoire de la VRépublique puisqu'il s'agit d'une prérogative régalienne.

Nous sommes un laboratoire de la décentralisation.

En 2012, le Congrès de Nouvelle-Calédonie a adopté la loi de pays fixant le cadre et l'échéancier du transfert de compétence, initialement prévu pour le 1er janvier 2014. En août 2013, une direction de préfiguration a été créée pour accueillir le service et les moyens transférés. Le décret du 27 décembre acte le transfert et l'arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, publié quatre jours plus tard seulement, agrège la direction de la sécurité civile et la direction de la gestion des crises au sein d'une même entité. Cette nouvelle direction sera mise à contribution quelques semaines plus tard seulement avec les événements cycloniques de la saison 2014. Elle compte aujourd'hui 43 agents, répartis en 4 services. Le service de planification est responsable des dispositifs ORSEC et de la prévention des risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, mission qui incombait déjà à la Nouvelle-Calédonie avant le transfert. Le service opérations et gestion de crise et le service d'assistance technique aux acteurs de la sécurité civile assurent le bon déroulement des opérations en gérant respectivement les moyens et la coopération entre les différents interlocuteurs concernés. La direction compte également un service dédié à la formation.

Compte tenu de la distance qui sépare la Nouvelle-Calédonie de l'hexagone et de ses voisins, il est rapidement apparu que le territoire devait se doter des moyens pour faire face seul à une crise majeure de sécurité civile. L'État est bien sûr présent à nos côtés, mais les renforts nationaux ne peuvent arriver en moins de 48 ou 72 heures sur place. Nous devons donc être en capacité d'assurer un service minimum aux populations durant ce laps de temps. Pour cela, une unité d'intervention de la sécurité civile (UISCNC) a été créée. Contrairement à ses homologues métropolitaines, cette unité ne fonctionne pas sous statut militaire puisqu'elle est composée d'une centaine de sapeurs-pompiers civils volontaires formés à la gestion des risques. Or, puisqu'il s'agit de sapeurs-pompiers volontaires, le taux de mobilisation effective lors d'une intervention est de 30 % environ. Ces moyens modestes ont suffi à gérer les crises auxquelles nous avons étés confrontés depuis 4 ans. Cette unité est même intervenue sur des théâtres d'opération extérieure sur demande de l'État. Le risque principal auquel ces sapeurs-pompiers sont confrontés est l'incendie puisque les feux de forêts ravagent régulièrement la brousse calédonienne. La cellule est donc bien équipée pour faire face à ce type de crise et assister les communes qui conservent la responsabilité en première intention. Les sapeurs-pompiers sont également formés à des situations spécifiques telles que le secours en milieu périlleux et les feux d'hydrocarbures. Nous travaillons par ailleurs à fournir à l'UISCNC les moyens de faire face aux risques technologiques et de réaliser des opérations de sauvetage de type déblaiement. Les communes ont la charge d'organiser les opérations de secours lorsqu'il s'agit de risques courants, mais la Nouvelle-Calédonie a l'obligation de déployer les moyens adéquats pour faire face aux risques particuliers tels que les cyclones et les séismes.

Il convient à présent de vous apporter quelques précisions sur la prévention des risques. Avec le transfert de compétence, nous avons pris conscience de l'inadéquation de certains documents de sécurité civile aux risques présents en Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, un dossier sur les risques majeurs (DRM), équivalent du dossier départemental sur les risques majeurs, a été réalisé avec le concours de toutes les directions de Nouvelle-Calédonie. Ce document, adopté en 2016 par le président du gouvernement et diffusé à tous les acteurs, vise à identifier les risques potentiels sur chaque commune et apparaît donc comme le premier échelon en matière de prévention. Il permet à la fois d'informer sur les risques mais aussi sur les conduites à tenir et l'organisation des secours. Le document d'information communale sur les risques majeurs (DICRIM), adopté dans le même temps, permet de décliner le DRM pour chaque commune. Celui-ci sera actualisé au moins tous les 5 ans.

En parallèle, la Nouvelle-Calédonie a mis en place plusieurs campagnes d'information à destination du grand public dans le but de sensibiliser la population à l'existence de ces risques majeurs et aux conduites à tenir en cas de crise. Des spots radiophoniques et télévisés ainsi que des plaquettes informatives ont ainsi été diffusés en ce qui concerne le risque cyclonique et les feux de brousse. En outre, en collaboration avec l'État, 70 jeunes de moins de 26 ans ont été recrutés en service civique en tant qu'auxiliaires de la sécurité. Mis à disposition des communes, ces jeunes sont formés et équipés pour se déplacer sur le terrain et sensibiliser la population à ces problématiques, en particulier durant la saison des feux.

En ce qui concerne le risque tsunami, l'État a transféré en 2007 une cinquantaine de sirènes d'alerte aux communes. En 2015, les conclusions de l'audit sur l'efficacité du dispositif ont incité les communes à transférer la propriété des sirènes à la Nouvelle-Calédonie afin de centraliser le système au sein de la direction de la sécurité civile. Le réseau d'alerte, qui compte 59 sirènes, peut donc être déclenché depuis Nouméa mais aussi depuis chaque commune, sur tout ou partie du territoire. La Nouvelle-Calédonie fait l'effort d'entretenir ce parc et de le compléter à raison de deux à trois sirènes par an en fonction des besoins du territoire. À l'heure actuelle, la moitié de la population concernée par le risque tsunami se situe dans une zone couverte par ce réseau d'alerte. Ce ratio devrait être amélioré progressivement. Nous organisons des exercices réguliers - le dernier datant d'hier - afin de vérifier la qualité du réseau, ce qui nous permet d'afficher un taux d'efficacité de l'ordre de 93%. Le Pacific Tsunami Warning Center (PTWC), centre régional situé à Hawaï, nous envoie les alertes sismiques et les prévisions de tsunamis. À partir de ces informations, la Nouvelle-Calédonie peut prendre la décision de déclencher l'évacuation préventive des populations.

Je conclurai mon intervention en vous donnant quelques informations sur le plan de prévention des risques naturels (PPRN). Cette démarche, initiée dans l'hexagone en 1995, reste au stade embryonnaire en Nouvelle-Calédonie en raison de la persistance d'une certaine ambiguïté sur la répartition des responsabilités entre les différents acteurs institutionnels. Le Conseil d'État, dans un avis du 31 octobre 2017, a rappelé la finalité de sécurité civile des PPRNP et précisé, en allant à l'encontre de ses avis précédents, qu'il revenait à la Nouvelle-Calédonie de définir le régime des PPRNP et les modalités de leur mise en oeuvre tout en respectant le partage des compétences spécifiques au territoire. En matière d'urbanisme, en effet, les provinces et les communes - lorsqu'elles disposent d'un plan d'urbanisme directeur (PUD) -, sont compétentes. Or, le document d'urbanisme est l'une des composantes principales du PPRNP. Différents groupes de travail ont donc été mis en place au niveau des services afin de définir une stratégie qui sera présentée aux autorités de la Nouvelle-Calédonie puis aux partenaires provinciaux et communaux.

M. Djamil Abdelaziz, chef de projet au gouvernement, en charge des normes et de l'assurance construction. - La Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de normes et d'assurance de la construction. Néanmoins, comme vous l'avez identifié dans vos précédents travaux, le territoire a adopté un système de normalisation issu des règles françaises et européennes qui n'est pas toujours adapté aux contraintes locales, notamment l'exposition aux vents cycloniques. Comme nous l'ont récemment rappelé les événements tragiques qui ont ravagé les Îles du Nord, les outre-mer sont soumis à des phénomènes de pression sur les constructions qui doivent être anticipés par des normes spécifiques. La règlementation en vigueur doit être actualisée, les valeurs de vent étant fixées par une délibération relative aux assurances de 1983. Nous avons donc chargé le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) d'estimer les hypothèses de vent les plus probables. Or, malgré la qualité du travail fourni, cette étude est marquée par un facteur d'incertitude très important qui ne permet pas d'exploiter les résultats. Nous travaillons donc aujourd'hui à la production d'études d'impact étayées sur le plan scientifique et financier afin de préciser ces hypothèses.

L'Eurocode, qui deviendra bientôt notre norme de référence, introduit un mode de pensée de la construction radicalement différent puisque nous raisonnerons à partir de la structure complète du bâtiment et non pas point par point. Dans cette perspective, cela vaudrait l'intérêt de mettre en commun le travail effectué à l'heure actuelle en Nouvelle-Calédonie à l'échelle des outre-mer. En effet, la majorité des territoires ultramarins étant concernée par le problème de la mise à niveau des normes d'exposition aux vents, cette démarche gagnerait à être relayée par le ministère des outre-mer et le ministère de la cohésion des territoires en charge des politiques du logement. Notre étude prend en compte deux paramètres : l'analyse statistique des aléas climatiques à partir d'une série de lois mathématiques qui nous permet de définir les événements probables, et une estimation du coût de la matérialisation de l'événement. La conjugaison de ces deux facteurs permet de déterminer les moyens à mettre en oeuvre en fonction des valeurs d'exposition au vent.

M. Michel Magras, président. - Comme vous l'avez signalé, la Délégation sénatoriale aux outre-mer s'est penchée sur la question des normes dans le domaine agricole et phytosanitaire et dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) où la transposition des normes européennes dans les territoires soumis à des climats tropicaux pose problème. À cette occasion, la délégation a salué la capacité de la Nouvelle-Calédonie à tenir compte, dans son corpus normatif, des relations économiques avec les puissances anglo-saxonnes de la zone sans s'éloigner des normes européennes. Compte tenu des phénomènes naturels exceptionnels auxquels nos territoires ont été récemment confrontés, la question de l'élaboration de nouvelles normes nous intéresse au premier chef, et je vous remercie donc pour la qualité de votre intervention.

M. Djamil Abdelaziz. - Je sais par ailleurs que la Délégation sénatoriale aux outre-mer est en contact avec l'Association française de normalisation (AFNOR) qui cherche imaginer une plate-forme de la normalisation ultramarine. Je ne peux que saluer cette initiative qui vise à simplifier le processus de transcription de la réglementation nationale pour l'adapter au contexte particulier des territoires ultramarins.

M. Michel Magras, président. - L'AFNOR a d'ailleurs récemment réaffirmé sa volonté de poursuivre ce projet avec le soutien de la délégation.

M. Pierre Gey. - À bien des égards, la Nouvelle-Calédonie apparaît donc comme un laboratoire d'expérimentation pour les outre-mer.

Mme Marie-Louise Frigère, chef du service aménagement et urbanisme de la province Nord. - L'aménagement du territoire, qui constitue le coeur de métier de notre service, s'inscrit dans le cadre de la prévention des risques naturels majeurs. Je commencerai par vous dresser un état des lieux des différents phénomènes qui touchent le territoire. Depuis plusieurs années, ces risques naturels ont tendance à gagner en intensité et à se manifester de plus en plus fréquemment, comme l'a montré le volume important des précipitations lors du passage du dernier cyclone Hola. Les vents et les pluies qui l'ont accompagné ont causé des dégâts agricoles significatifs en province Nord.

Le risque d'inondations est très important en Nouvelle-Calédonie. Sur le territoire provincial, la commune de Pouembout est particulièrement soumise à ce risque alors qu'elle fait partie de l'axe stratégique formé par l'agglomération Voh-Koné-Pouembout. En 2016, à Houaïlou, des inondations ont provoqué des glissements de terrain qui ont fait plusieurs victimes dans les tribus d'Oukaya et de Gouareu. Ce drame a suscité une prise de conscience auprès des autorités. Ainsi, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a publié une carte d'aléas l'année dernière afin d'identifier l'intensité du phénomène et sa répartition sur le territoire.

Par ailleurs, les côtes de la province Nord sont exposées au risque de submersion ainsi qu'à l'érosion marine. Le littoral, long de 934 kilomètres, est habité par l'homme sur 532 kilomètres. Cette occupation ne relève pas toujours du domaine public maritime puisque le phénomène de déclassement du domaine public de l'État, particulièrement important en province Nord, s'est traduit par une multiplication des terres coutumières sur lesquelles les autorités provinciales n'ont aucune maîtrise. Une partie de la population résidant sur le littoral provincial se trouve donc exposée à ces risques naturels majeurs. La province Nord a structuré des équipes en charge de la gestion du trait de côte et de l'aménagement du littoral qui ont pu produire un diagnostic précis de la situation.

Au regard de ces premiers éléments, nous sommes en mesure de dresser plusieurs constats. En premier lieu, la règlementation n'est pas la seule réponse à mettre en oeuvre en matière de prévention car les règles d'urbanisme ne s'appliquent pas sur les terres coutumières en vertu de l'article 18 de la loi organique de 1999. Nous procédons donc également à des actions curatives le long des rivages, la province Nord ayant engagé près de 136 millions de francs Pacifique pour financer des ouvrages sur une période de cinq ans. Ces aménagements, très bien accueillis par la population, se sont avérés particulièrement efficaces pour lutter contre l'érosion du trait de côte. Pour autant, nous constatons que la stratégie provinciale est sans doute trop centrée sur le curatif alors que de nouvelles actions de prévention pourraient être envisagées en matière de planification et d'aménagement du territoire. Or, une politique de prévention efficace s'appuie sur une connaissance suffisante des aléas. À l'heure actuelle, les inondations et les glissements de terrain sont des phénomènes encore relativement méconnus en Nouvelle-Calédonie, a fortiori en province Nord. Si l'avis du Conseil d'État du 31 octobre 2017 a permis de clarifier la répartition des compétences entre les autorités publiques, nous devons dès à présent développer des partenariats entre collectivités afin de se donner les moyens d'améliorer la prévision des risques naturels majeurs. Le recoupement des différentes cartes d'aléas que nous serons ainsi en mesure de produire nous permettra d'appréhender la crise à une échelle cohérente. Pour reprendre l'exemple de la commune de Houaïlou, le fond de vallée est totalement inondable. Les populations se réfugient donc sur les hauteurs, en montagne, où elles sont soumises à un autre risque, celui des éboulements. Il convient donc de croiser les aléas pour gérer la crise de manière satisfaisante. Les prévisions d'aménagement des documents d'urbanisme intègrent d'ores et déjà les risques et valorisent autant que possible les zones sensibles comme les cours d'eau. Mais nous devons également associer les populations, et notamment les tribus, au processus d'élaboration des cartes de risques.

J'aimerais enfin évoquer la problématique de la résilience. Les aléas définissent les constructions autorisées sur un territoire donné, mais nous nous attachons à montrer que des aménagements sont toujours envisageables en adaptant les modèles constructifs. Cela est d'autant plus important que le lien à la terre est l'un des piliers de la culture kanak, et les déplacements de population sont donc extrêmement difficiles à mettre en oeuvre. Nous devrons innover dans ce domaine. Je vous laisserai sur une note positive en vous rappelant qu'à Houaïlou le premier chantier de reconstruction sur les zones identifiées hors risque est déjà lancé.

M. Michel Magras, président. - Le sujet du foncier dans le Pacifique et dans les outre-mer plus généralement nous est familier puisque la Délégation sénatoriale aux outre-mer a publié un rapport sur cette question. Nous sommes donc particulièrement sensibles à la manière dont vous associez les terres coutumières à votre démarche.

Je me permets de vous signaler l'arrivée de M. Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche et co-rapporteur du premier volet de l'étude sur les risques naturels majeurs. Le sénateur était déjà rapporteur de l'étude sur le foncier et s'est donc rendu en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et en Polynésie française à cette occasion.

M. Pierre Gey. - Avant de répondre à vos questions, je me permettrai de souligner, comme vous avez pu le constater, que la Nouvelle-Calédonie occupe une place singulière dans la République. Malgré le transfert de compétence, les collectivités et l'État continuent à collaborer en matière de sécurité civile, sans quoi la Nouvelle-Calédonie ne pourrait pas garantir une protection optimale de ses citoyens. Pour faire face au risque cyclonique, par exemple, le territoire est souvent contraint de faire appel aux forces armées pour secourir la population. J'aimerais profiter de l'espace de dialogue que vous nous offrez aujourd'hui pour adresser un message aux sénateurs, en particulier ceux qui sont membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Il vous faut veiller à ce que les moyens alloués au renouvellement du matériel militaire, et notamment des navires, ne diminuent pas afin de nous permettre de faire face au vieillissement de ces infrastructures.

J'ajouterai que le transfert de la sécurité civile, qui s'est fait dans la précipitation, a été mal préparé. La Nouvelle-Calédonie consacre ainsi chaque année près d'un milliard de francs Pacifique à la direction de la sécurité civile, alors que la compensation de l'État ne s'élève qu'à 90 millions de francs Pacifique. Ces chiffres mettent en lumière l'effort consenti par la Nouvelle-Calédonie dans ce domaine puisque, compte tenu de son éloignement géographique, comme l'a rappelé M. Éric Backes, le territoire doit pouvoir apporter une réponse de sécurité civile satisfaisante à sa population.

M. Thierry Lataste, haut-commissaire de la République, responsable de la zone de défense. - Les moyens militaires, qui n'ont pas été transférés, constituent l'essentiel des moyens mobilisés par l'État en matière de sécurité civile, ce qui explique que la Nouvelle-Calédonie ait conservé sa capacité à faire appel aux moyens nationaux si nécessaire. L'engagement avait été pris d'attribuer une subvention de 5 millions d'euros, soit 600 millions de francs Pacifique, à la Nouvelle-Calédonie pour l'établissement d'un centre d'incendie et de secours. Or, cet établissement public n'a jamais vu le jour et la réponse à ces risques repose donc encore sur un dispositif largement communal. La somme correspondante a été à nouveau dégagée pour pouvoir accompagner la Nouvelle-Calédonie et les communes dans leurs plans d'investissement.

Je confirme par ailleurs que l'État est très présent aux côtés de la Nouvelle-Calédonie et que la coopération entre les autorités se fait en bonne intelligence. L'État conserve une compétence résiduelle dans certains domaines tels que le plan ORSEC maritime dans les eaux internationales et les plans de sauvetage aéroterrestre (SATER). En tant que haut-commissaire, j'occupe par ailleurs les fonctions de délégué du Gouvernement pour l'action de l'État en mer et de préfet de zone. Cette dernière qualité me confère une responsabilité sur Wallis-et-Futuna où les moyens pré-positionnés sont extrêmement limités. Malgré les 2 000 kilomètres qui séparent les deux archipels, la Nouvelle-Calédonie apparaît comme le territoire le plus qualifié pour porter secours à Wallis-et-Futuna en cas d'incident majeur de sécurité civile. Nous travaillons ainsi à l'élaboration d'un plan ORSEC de zone qui devrait être approuvé dans les prochaines semaines.

Le pouvoir de substitution du haut-commissaire en cas de carence du gouvernement, évoqué plus tôt, reste théorique et rien ne me permet d'affirmer que nous puissions le mettre en oeuvre.

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et l'État sont également en responsabilité liée en ce qui concerne la coopération internationale. Le territoire étant mieux doté matériellement que les États insulaires du Pacifique, l'accord FRANZ passé entre la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande prévoit la coordination des interventions au bénéfice de ces petits États. Cette coopération a déjà été mise en oeuvre a de nombreuses reprises, au Vanuatu en octobre dernier, par exemple, ou encore en février 2018 à Tonga après le passage du cyclone Gita et en Papouasie-Nouvelle-Guinée à la suite d'un séisme.

Les forces de gendarmerie et de police sont un élément important du dispositif de secours dirigé par le président du gouvernement puisqu'elles forment un réseau dense, présent dans chaque commune et disposant de moyens de communication solides. Les forces de l'ordre sont donc en capacité de faire rapidement remonter des informations fiables.

Enfin, au-delà des moyens situés sur zone, nous pouvons être amenés à solliciter des renforts nationaux comme ce fut le cas l'année dernière pendant la période des feux de forêt. Nous traitons actuellement un sinistre maritime majeur provoqué par l'échouage d'un cargo sur un récif corallien situé à environ 60 milles de l'île de Maré. Le président du gouvernement étant responsable lorsque les effluences du navire arrivent à terre, la Nouvelle-Calédonie et l'État doivent se coordonner dans la conduite des opérations. Cette coopération se fait dans de bonnes conditions, compte tenu de l'isolement géographique de la Nouvelle-Calédonie qui pousse les acteurs de la sécurité civile à être toujours plus performants. Il apparaît donc nécessaire que la Nouvelle-Calédonie puisse disposer de moyens de secours efficaces. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est le premier territoire d'outre-mer à avoir été doté d'un bâtiment multi-missions en 2016. La loi de programmation militaire en cours d'examen devant le Parlement devrait prévoir le remplacement très attendu des patrouilleurs en extrême fin de vie. Ces moyens militaires sont essentiels pour garantir la défense de ce vaste territoire.

M. Michel Magras, président. - Dans les collectivités d'outre-mer, le pouvoir de substitution des autorités de l'État est perçu comme un garde-fou, bien que les autorités locales espèrent ne jamais le voir actionné.

J'ai pris note de l'état des lieux des moyens des forces armées que vous avez bien voulu nous dresser.

M. Eddy Lecourieux, premier adjoint au maire du Mont-Dore, membre de l'association française des maires de Nouvelle-Calédonie. - Je souhaite apporter quelques précisions sur les pouvoirs du maire en matière de sécurité civile. La Nouvelle-Calédonie est composée de 33 communes soumises à des risques naturels différents selon leur topographie et leur localisation géographique (province Nord, Sud ou des Îles Loyauté). De plus, les sols calédoniens, riches en latérite, sont très instables et fragilisés par l'exploitation minière et les feux de forêt. En 2017, près de 17 000 hectares sont partis en fumée sur tout le territoire.

Les communes se dotent chacune progressivement d'un plan communal de secours (PCS). Au Mont-Dore, ce document a permis d'identifier les différents risques sur le territoire communal. Les cyclones et les inondations sont les premiers aléas auxquels la population est exposée, ainsi que les feux de forêt et les glissements de terrain. J'ai en effet signé la semaine dernière 17 arrêtés d'évacuation d'habitations touchées par des affaissements de terrain. Le recensement effectué à la suite des fortes pluies du mois dernier fait état d'une centaine de risques d'éboulements. L'alternance de plus en plus marquée entre fortes pluies et périodes de sécheresse fragilise nos sols et accentue ce phénomène.

Nous recensons également les incidents qui conduisent à couper les axes routiers, qu'il s'agisse de mouvements de foule ou de risques naturels majeurs. De plus en plus de substances dangereuses sont transportées sur ces routes, ce qui nous incite à être particulièrement vigilants sur ce sujet.

Les risques sanitaires sont également à prendre en compte puisque la commune a déjà fait face à des épidémies de dengue - c'est le cas encore actuellement - et de chikungunya, ainsi que les risques industriels puisque la Nouvelle-Calédonie abrite trois usines métallurgiques. L'usine située au sud du territoire traite de l'acide sulfurique, ce qui pose de nombreux problèmes pour la population.

Je ne reviendrai pas sur le risque de pollution marine déjà évoqué par le haut-commissaire, mais j'attire votre attention sur le fait que les Îles Loyauté sont particulièrement soumises aux risques de tsunami et de submersion marine.

Depuis quelques années, l'État et la Nouvelle-Calédonie ont redoublé d'efforts pour permettre au territoire de rattraper son retard en matière de prévention et de gestion des risques naturels majeurs. Les acteurs concernés parviennent à travailler de concert dans un contexte institutionnel complexe.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Bonjour à tous. N'ayant étudié la Nouvelle-Calédonie que de loin, j'espère avoir un jour l'opportunité de fouler votre sol. Nous vous auditionnons aujourd'hui, ainsi que les acteurs de la sécurité civile des autres territoires ultramarins, afin de récolter les informations qui nous permettrons de formuler des préconisations dans le cadre de notre rapport sur les risques naturels majeurs. Ces recommandations prendront en compte les spécificités de chaque territoire.

En auditionnant les représentants des forces armées, un tour d'horizon des moyens militaires déployés en outre-mer nous a été dressé. Le constat de l'obsolescence des équipements et la nécessité de leur remplacement font consensus parmi les officiers. Le groupe politique auquel j'appartiens, le Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), a également organisé une rencontre avec la ministre des armées dans le cadre de l'examen de la loi de programmation militaire. J'avais à cette occasion pu à nouveau constater à quel point la question du renouvellement des équipements était importante, y compris pour le Président de la République, pour permettre à la France de conserver sa capacité opérationnelle. Les sénateurs sauront donc relayer votre inquiétude puisque le problème se pose sur l'ensemble du territoire national, avec une prégnance particulière en outre-mer.

Dans vos différents exposés, vous avez fait état de l'organisation administrative et des moyens humains mobilisés dans le cadre de la prévention et de la gestion des risques naturels majeurs. Pour autant, la question des moyens matériels a été peu abordée. Disposez-vous de suffisamment de ressources pour faire face à ces risques ? Le cas échéant, quelles préconisations souhaitez-vous faire pour compléter votre arsenal logistique ?

Par ailleurs, dans quelle mesure la configuration archipélagique du territoire affecte-t-elle l'organisation des secours ? Jugez-vous cette organisation, qui repose d'abord sur les communes, satisfaisante ? L'éclatement du territoire constitue-t-il un frein à la diffusion rapide de l'information ?

Enfin, compte tenu de votre éloignement par rapport à l'hexagone, quelles dispositions avez-vous prises pour développer la coopération internationale et régionale avec les pays exposés aux mêmes risques ?

Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - J'ai noté le rôle important des maires en matière de sécurité civile. Pour mener à bien leur mission, vous avez indiqué que ces élus pouvaient bénéficier de moyens privés. En quoi cela consiste-t-il exactement ?

Concernant la vérification des systèmes d'alerte aux tsunamis, quelles sont les difficultés qui expliquent que le taux d'efficacité de ce dispositif ne soit pas de 100 % ?

Par ailleurs, un plan particulier de mise en sûreté a-t-il été élaboré pour garantir la protection des écoliers, en particulier au regard des risques liés à l'instabilité des sols ? Des simulations et des exercices de proximité sont-ils régulièrement organisés afin de sensibiliser la population au risque d'éboulements ?

Enfin, le président de l'association des maires a rappelé que la Nouvelle-Calédonie était régulièrement soumise à des épidémies de chikungunya. Quelle stratégie de prévention de ces crises est-elle mise en oeuvre ?

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Je souhaite d'abord excuser mon retard, indépendant de ma volonté. J'ai également noté le rôle majeur des communes. Bien que la compétence en matière d'urbanisme soit en partie dévolue aux provinces, pouvez-vous m'indiquer si les plans d'urbanisme directeurs auront vocation, à terme, à intégrer des dispositions en matière de prévention et de normes à l'instar des plans locaux d'urbanisme dans l'hexagone ?

De même, disposez-vous en Nouvelle-Calédonie de plans communaux de sauvegarde ou de documents similaires qui permettent d'anticiper la gestion de ces phénomènes ?

M. Michel Magras, président. - Le président du gouvernement est-il en charge du pilotage du système d'alerte cyclonique depuis le transfert de compétence ?

Au-delà des sirènes, de quels moyens disposez-vous pour informer directement les populations ?

M. Éric Backes. - Dans un monde où les ressources sont limitées, la question de la suffisance des moyens matériels doit être mise en regard de la probabilité de matérialisation des risques. Il a donc était décidé que la Nouvelle-Calédonie se doterait de moyens opérationnels sur des risques particuliers afin d'éviter aux communes d'investir massivement pour répondre à des phénomènes dont l'occurrence demeure faible. Le diaporama qui vous sera adressé à l'issue de cette visioconférence dresse un panorama exhaustif des moyens à la disposition de la Nouvelle-Calédonie. Il ne fait toutefois pas état des ressources matérielles des communes. Le cas échéant, nous pourrons vous apporter ultérieurement des informations complémentaires sur cette question.

L'éclatement géographique constitue effectivement un frein à notre capacité à projeter ces moyens sur tout le territoire, en particulier au nord compte tenu des délais de route et dans les Îles Loyauté puisque des bras de mer isolent Maré, Lifou et Ouvéa. Les moyens des forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC), en particulier aéroportés, jouent un rôle déterminant dans ce contexte. Si le renouvellement des patrouilleurs est un point important que nous avons déjà abordé, je me permets d'attirer votre attention sur la nécessité de maintenir les capacités de projection aérienne essentielles pour la sécurité civile sur tout le territoire.

M. Gérard Poadja. - Je vous remercie pour la clarté et la précision de vos interventions. Je salue également la présence du haut-commissaire et profite de cette occasion pour rappeler que nous faisons le nécessaire auprès de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées afin que les outre-mer, et en particulier la Nouvelle-Calédonie, bénéficient en priorité du renouvellement du matériel militaire. Nous avons ainsi obtenu une réponse favorable concernant le remplacement des patrouilleurs, mais je considère que cela n'est pas suffisant puisque l'ensemble du matériel militaire devrait être révisé. Il y a quelques jours encore, la participation de la gendarmerie à l'évacuation des habitants de la commune de Poya à l'occasion des dernières inondations qui ont frappé le territoire a rappelé l'importance du concours de l'État en matière de sécurité civile. J'entends défendre la nécessité du renouvellement du matériel militaire devant la représentation nationale avec l'aide de mes collègues sénateurs ultramarins qui partagent mes combats puisque ces territoires sont frappés par les mêmes catastrophes.

J'attire également votre attention sur le fait que la politique de prévention et de gestion des risques naturels majeurs se heurte à la difficulté due à la coexistence de deux statuts fonciers en Nouvelle-Calédonie, comme la délégation a pu le constater lors de son déplacement sur place dans le cadre du rapport sur le foncier. Le vice-président de la commission de l'aménagement et du foncier de l'assemblée de la province Nord, M. Yannick Slamet, est aujourd'hui présent parmi nous. En tant que président et vice-président de cette commission, nous sommes particulièrement sensibles à cette problématique et travaillons au quotidien à trouver des outils adaptables à la situation particulière de la province Nord. Nous subissons tous les jours les effets de la montée des eaux. Il est d'autant plus urgent d'agir que sur la côte Est la quasi-totalité des habitations est située en zone à risque, de même que les routes qui longent le littoral. Au regard du coût de ces opérations, nous sollicitons la mobilisation de l'ensemble des collectivités mais aussi de l'État.

M. Éric Backes. - Pour répondre à la question de MM. les sénateurs Guillaume Arnell et Michel Magras, la transmission des informations est effectivement essentielle pour la gestion des opérations de secours. Il n'existe pas, comme dans l'hexagone, de centre de traitement de l'alerte capable de coordonner l'ensemble des appels en direction des services de secours. En Nouvelle-Calédonie, les communes sont en première ligne de ce dispositif, ce qui signifie que chaque chef de corps communal est responsable de faire remonter les informations sur son périmètre. L'organisation de ce système est perfectible, mais nous pourrions également imaginer la création d'une infrastructure dédiée.

Comme le rappelait Mme la sénatrice Victoire Jasmin, le taux d'efficacité du réseau des sirènes pour l'alerte tsunami peut être amélioré puisque 7 sirènes connaissent encore des défauts d'alimentation électrique. La Nouvelle-Calédonie consacre chaque année 10 millions de francs Pacifique à la maintenance de ce dispositif pour s'assurer de sa fiabilité globale. Il s'agit d'un travail continu puisque des exercices mensuels nous permettent d'identifier les problèmes techniques et d'y remédier dans les jours qui suivent.

Par ailleurs, le vice-rectorat impose dans les établissements scolaires du second degré les dispositions des plans particuliers de mise en sûreté (PPMS). Ces plans ont vocation à organiser, dans le milieu scolaire, la mise en sécurité du personnel et des enfants. Je ne peux toutefois pas garantir que des dispositifs équivalents soient prévus dans les écoles primaires puisque les provinces et la Nouvelle-Calédonie, à travers la direction de l'enseignement, sont compétentes sur cette question.

En ce qui concerne l'intégration des risques dans les documents d'urbanisme, la Nouvelle-Calédonie s'est dotée de son propre code de l'urbanisme. L'article Lp. 111-2 de ce code dispose que les documents locaux d'urbanisme déterminent les conditions devant assurer la prévention des risques naturels prévisibles, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature. Cet article prévoit également d'annexer au plan d'urbanisme directeur (PUD) tout document visant à évaluer la prévalence de ces risques.

Les plans communaux de sauvegarde (PCS) ont été rendus obligatoires à partir du 31 décembre 2011 par un arrêté du haut-commissaire du 20 décembre 2010. Le premier acte adopté par le Congrès après le transfert de la compétence a réaffirmé cette obligation et décalé la date d'effet de cette décision pour permettre à toutes les collectivités de s'y conformer. La Nouvelle-Calédonie a par ailleurs adossé cette obligation à un système d'aide financière pour permettre aux communes manquant de moyens et d'expertise de recruter un bureau d'études pour élaborer leur PCS. À l'heure actuelle, le bilan de cette opération est contrasté puisque sur les 33 communes que compte le territoire, seules les 4 communes du grand Nouméa et la commune de La Foa disposent d'un PCS. 9 autres communes ont déjà effectué les démarches pour bénéficier de cette aide financière et devraient donc être en mesure d'adopter leur PCS dans les prochains mois. Ces documents deviendront obligatoires en août 2018. Le taux de réalisation devrait alors avoisiner les 50 %.

Je vous confirme également que le président du gouvernement pilote depuis le 1er janvier 2014 le dispositif ORSEC pour le risque cyclonique, qui comprend à la fois l'alerte et la réponse opérationnelle. Il réunit pour se faire le haut-commissaire, les maires de l'agglomération, les deux associations des maires et les présidents de province pour que la décision de passage dans les différents niveaux d'alerte fasse consensus auprès des autorités. Le déclenchement d'une alerte peut en effet être contraignant pour la population puisque la liberté de circulation des administrés est restreinte à partir du niveau 2.

Enfin, la question de la communication directe avec la population a été mise à l'étude, ce qui a permis d'identifier plusieurs difficultés techniques. L'établissement public en charge des télécommunications, qui est en situation de monopole, n'est pas en capacité d'absorber un envoi massif de SMS. Au-delà de quelques milliers de messages, la transmission est retardée de plusieurs heures, voire plusieurs jours, ce qui rend ce système inutile du point de vue de l'alerte aux populations. Nous travaillons actuellement à l'optimisation de cette solution et limitons donc, pour l'instant, l'envoi des messages d'alerte aux personnes figurant sur la liste ORSEC qui ont la charge de relayer l'information. Le système d'alerte de la sécurité civile est donc un système mixte, basé à la fois sur l'information directe des populations par les sirènes en cas de tsunami mais aussi sur les médias et les communes qui ont l'obligation de relayer l'alerte dans leur périmètre.

M. Michel Magras, président. - Sur les petites îles comme Saint-Barthélemy, les habitants reçoivent un message audio sur leur téléphone fixe. Le téléphone sonne à intervalles réguliers jusqu'à ce que la personne ait écouté le message en entier, ce qui permet de s'assurer que la population soit bien informée. Ce système fonctionne à condition que les habitants soient chez eux au moment de l'alerte.

M. Vincent Mardhel, directeur de l'antenne du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de Nouvelle-Calédonie. - La Nouvelle-Calédonie est une terre relativement jeune, avec de nombreux reliefs, et dont le contexte géologique s'altère rapidement, ce qui explique la forte hétérogénéité des terrains ainsi que la fréquence élevée des glissements de terrain. Ainsi, la catastrophe de Houaïlou a été causée par un phénomène de laves torrentielles qui correspond à l'emballement d'un glissement de terrain dans une lame d'eau importante. La capacité de destruction des laves torrentielles est significativement plus élevée que celle d'un glissement de terrain classique. Ces phénomènes s'expliquent par l'existence de sols instables sous un climat tropical où les précipitations sont importantes.

En outre, le processus d'élaboration de la carte d'aléas sur la commune de Houaïlou nous a permis de mieux cerner les enjeux de l'appropriation du risque par la population. La compréhension du risque par les administrés repose sur trois piliers : la connaissance du risque, la reconnaissance des territoires à risque et la possibilité d'une remédiation. Or, en Nouvelle-Calédonie, la barrière de la langue peut être un frein à la transmission de ces informations. À cet égard, les efforts déployés pour communiquer en langues kanak à Houaïlou ont été remarquables. La cartographie de l'aléa a été portée à la connaissance de tous grâce à la tenue systématique de réunions et de conférences sur le territoire de la commune. L'aléa ne correspondant qu'à la probabilité de survenance d'un événement naturel, il conviendra de croiser ces travaux avec la carte des risques, en concertation avec les responsables de l'aménagement du territoire, pour une parfaite connaissance des phénomènes.

M. Michel Magras, président. - Des accords existent-ils avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie pour permettre de mobiliser des moyens de secours en cas de catastrophe naturelle majeure sur le territoire ?

Par ailleurs, je profite de cette occasion pour remercier nos amis ultramarins - et hexagonaux - pour le formidable élan de solidarité nationale qui a suivi le passage de l'ouragan Irma sur les Îles du Nord. Les vents qui ont ravagé nos territoires étaient d'une vitesse supérieure à 300 kilomètres par heure, ce qui témoigne de la violence inouïe des phénomènes naturels auxquels nous aurons de plus en plus à nous confronter. Au regard de la multiplication de ces risques et de leur ampleur, réfléchissez-vous à la manière de répondre au mieux à ces nouveaux phénomènes ? Un processus de révision des normes de construction, à l'instar de ce qui se fait aux Antilles actuellement, pourrait sans doute être envisagé.

M. Pierre Gey. - Le tableau que vous nous dressez, M. le sénateur, est particulièrement alarmant.

M. Michel Magras, président. - Les outre-mer ne sont pas les plus gros contributeurs en termes d'émissions de gaz à effet de serre mais figurent pourtant parmi les territoires les plus vulnérables face au changement climatique.

M. Pierre Gey. - Effectivement, nous menons une réflexion en interne sur ces sujets.

M. Thierry Lataste, haut-commissaire de la Nouvelle-Calédonie. - Comme je l'indiquais tout à l'heure, l'accord FRANZ a été signé par la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande en 1992 et permet, depuis 25 ans, de définir le cadre de la coopération régionale dans ce domaine par la mise à disposition de moyens au bénéfice des petits États insulaires. La mise en oeuvre de cet accord a permis de parfaire la connaissance des acteurs de la sécurité civile dans chacun des pays par des réunions annuelles interministérielles et interservices. Le ministère de l'intérieur et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères y sont notamment associés. À titre d'exemple, il a été envisagé de s'approvisionner en barrages avec des moyens étatiques australiens pour faire face au sinistre maritime qui touche actuellement l'île de Maré.

M. Hugues Ravenel, directeur Météo France Nouvelle-Calédonie. - Pour en revenir à la question du président Magras, l'évolution des phénomènes météorologiques est très difficile à appréhender d'un point de vue statistique puisqu'il s'agit, par définition, d'événements rares et donc difficilement modélisables. L'élévation du niveau de la température, a contrario, est un phénomène parfaitement appréhendé par les scientifiques. Pour autant, Météo France Nouvelle-Calédonie, en collaboration avec l'Institut de recherche et de développement (IRD), effectue des descentes d'échelle qui consistent à traduire localement des projections climatiques. Nous échangeons également avec les acteurs de l'aménagement du territoire afin de définir les implications de ces phénomènes en termes de politiques publiques. Pour autant, cette démarche se heurte aux incertitudes scientifiques de la prédiction à long terme et à la différence de langage entre les modélisateurs climatiques et les concepteurs des politiques publiques.

M. Djamil Abdelaziz. - Dans la continuité du propos de M. le haut-commissaire, je signale que nous travaillons sur les normes de construction en étroite collaboration avec des experts australiens très en avance sur ces questions depuis que la ville de Darwin a été rasée par un événement naturel majeur dans les années 1970.

Par ailleurs, deux cyclones d'une ampleur inouïe, Suzanne et Pam, ont déjà ravagé le Pacifique. Nous avons fait le choix d'intégrer ces deux phénomènes à nos hypothèses de travail alors même que les événements les plus violents sont les plus rares. L'intégration de ces valeurs aberrantes a impacté notre modèle à hauteur d'un mètre par seconde. Ces résultats nous permettront dans un second temps de définir la valeur du risque acceptable.

M. Maurice Antiste. - Les sargasses sont l'un des risques naturels majeurs auxquels la Caraïbe est aujourd'hui confrontée. Ce phénomène est susceptible d'impacter la santé des populations. Ce problème se pose-t-il également en Nouvelle-Calédonie ? En avez-vous déjà entendu parler ?

M. Michel Magras, président. - Les sargasses sont des algues qui envahissent toutes les îles de l'arc antillais de manière incontrôlable, sans que l'on sache d'où vient ce phénomène.

M. Pierre Gey. - La Nouvelle-Calédonie est épargnée par ce fléau.

M. Maurice Antiste. - Je souhaite que vous le restiez.

M. Eddy Lecourieux. - Pour répondre à la question de Mme la sénatrice Victoire Jasmin concernant le chikungunya, ce risque a été identifié dans la cartographie des risques établie par le gouvernement à la suite de l'épidémie qui avait frappé La Réunion. Même si les cas importés sur le territoire n'ont pas donné lieu à une diffusion généralisée de la maladie, ce risque est désormais intégré dans la nomenclature des risques à considérer. En revanche, la dengue fait de nombreux ravages en Nouvelle-Calédonie.

M. Michel Magras, président. - Il me reste à vous remercier d'avoir bien voulu nous dresser un état des lieux exhaustif de la situation de la Nouvelle-Calédonie au regard des risques naturels majeurs.

Je retiens ce principe clef, exposé par le directeur de cabinet du président du gouvernement : les outre-mer doivent d'abord compter sur eux-mêmes avant d'espérer de l'aide extérieure.

Je conclurai en rappelant qu'aux termes des visioconférences que nous avons menées dans le cadre de cette étude, il apparaît que l'implication de l'État dans la gestion de la crise naturelle majeure aux Antilles est unanimement saluée. Notre démarche ne vise pas à incriminer mais au contraire à tirer les leçons du passé pour améliorer l'anticipation des phénomènes naturels futurs.

M. Pierre Gey. - Je me fais l'écho de la salle pour me féliciter de la qualité de ces échanges et vous remercier pour votre écoute.