Mercredi 14 mars 2018

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Audition de Mme Katia Julienne, candidate pressentie pour le poste de directrice de la Haute Autorité de santé, en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique

M. Alain Milon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir Madame Katia Julienne, que la présidente de la Haute Autorité de santé (HAS), le professeur Dominique Le Gudulec, propose de nommer à la direction de cette autorité publique indépendante.

En application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, cette nomination ne deviendra effective qu'après l'audition de Madame Julienne par notre commission.

Depuis le 1er septembre 2011, la direction de la HAS était assurée par M. Dominique Maigne, qui a fait valoir ses droits à la retraite. Je profite de cette occasion pour souligner l'excellent rapport que notre commission a toujours entretenu avec la HAS et la qualité constante des échanges que nous avons eus avec son président, son directeur et ses équipes.

La HAS joue un rôle central dans notre organisation sanitaire. Ses missions se sont élargies au fil du temps pour inclure tout à la fois l'évaluation du médicament, la définition des bonnes pratiques professionnelles et des recommandations de santé publique ainsi que la certification des établissements de santé et, désormais, des structures sociales et médico-sociales. Dans ces nombreux domaines, les attentes vis-à-vis de la HAS sont fortes.

Mme Julienne est ancienne élève de l'École nationale d'administration (ENA) et a passé l'essentiel de sa carrière au ministère des affaires sociales. Elle nous présentera sa vision des enjeux auxquels la HAS est confrontée. Pouvez-vous évoquer plus particulièrement l'accès à l'innovation et l'évaluation des produits de santé, qui intéressent beaucoup notre commission ?

Alors que la soutenabilité financière et la performance du système de santé sont des questions prégnantes, nous aimerions également vous entendre sur la pertinence des soins, sur laquelle nous avons mené des travaux approfondis.

Mme Katia Julienne, candidate au poste de directrice de la Haute Autorité de santé. - Je suis très honorée d'être proposée à ce poste et de me trouver devant votre commission. La HAS a de nombreuses missions qui sont principalement l'évaluation des produits de santé, la certification des établissements, l'élaboration de recommandations de bonnes pratiques et la garantie de la sécurité des soins. Elle est un organisme scientifique garant de la qualité de notre système de santé.

Je vous présenterai d'abord mon parcours et ce qui motive ma candidature. Depuis ma sortie de l'ENA en 2001, j'ai choisi de rejoindre le ministère des affaires sociales et de la santé. J'ai choisi d'exercer différentes fonctions pour bien connaître chaque segment de notre système de santé et, in fine, avoir une vision et une compréhension globales de l'ensemble de l'offre de soins.

Je suis passionnée par les questions sanitaires, médico-sociales et sociales et j'ai saisi chaque occasion d'exercer des fonctions me permettant de mieux les connaître, dans leur ensemble et dans chacun de ces secteurs. Pendant six ans à la direction de la sécurité sociale, notamment en qualité de sous-directrice en charge du financement du système de santé, j'ai beaucoup travaillé avec la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et avec les professionnels de santé libéraux. J'ai acquis ainsi une bonne connaissance de l'ambulatoire et des négociations conventionnelles.

J'ai assisté à la mise en place du dispositif de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), dans le cadre de la convention médicale de 2011, et j'ai participé aux travaux qui ont vu évoluer la rémunération des pharmaciens d'officine. À cette époque marquée par la crise du Médiator, puis les Assises du médicament et la loi de 2011, j'étais chargée des produits de santé, ce qui m'a permis de bien connaître l'ensemble du dispositif, de l'accès au marché jusqu'à la fixation des prix.

J'ai également une bonne maîtrise du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), puisque c'est à cette époque que le taux de croissance de l'Ondam a été fortement ralenti. J'ai pu mesurer l'importance et l'impact des mécanismes de régulation financière, mais aussi leurs limites.

J'ai ensuite rejoint la direction générale de la cohésion sociale au sein de laquelle j'avais déjà travaillé quelques années auparavant sur les questions de handicap, mais cette fois en qualité d'adjointe du directeur général. J'ai ainsi travaillé sur l'ensemble du secteur médico-social et social, y compris les personnes âgées ou les personnes en situation de handicap, au moment de l'élaboration et de l'examen de la loi d'adaptation de la société au vieillissement. Je me suis également penchée sur les questions sociales - la protection de l'enfance, notamment avec les départements, mais aussi l'hébergement d'urgence. J'ai collaboré avec les bailleurs sociaux, notamment dans le cadre du pilotage de la mise en place des diagnostics territoriaux dits à 360 degrés pour améliorer le parcours de prise en charge, depuis l'hébergement d'urgence à l'accès au logement.

Enfin, j'ai rejoint la direction générale de l'offre de soins, qui a une compétence large sur l'offre de soins, mais qui m'a surtout permis de bien connaître le secteur hospitalier dans toute sa diversité - je pense à la mise en oeuvre des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et, plus récemment, au lancement du chantier de refonte du régime des autorisations sanitaires. J'ai ainsi piloté la mise en oeuvre de la réforme du financement des soins de suite et de réadaptation. En me déplaçant beaucoup sur le terrain, j'ai pu voir l'importance du lien entre les soins de suite et de réadaptation non seulement avec la MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) et donc l'hospitalier mais aussi avec les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou encore les maisons de santé. J'ai constaté l'importance d'avoir toujours à l'esprit le lien entre l'hospitalier, le médico-social et le social.

J'ai également travaillé à la direction de la recherche, des études et de l'évaluation et des statistiques (Drees), ce qui m'a permis, chose rare pour un administrateur civil, de bien connaître les outils des politiques publiques - bases de données et indicateurs. J'ai participé à un certain nombre de publications sur les indicateurs. Ce moment important m'a permis d'échanger avec des scientifiques, et j'y ai pris beaucoup de plaisir. Il me semble très important, pour une personne chargée de l'élaboration et du pilotage des politiques publiques, de bien connaître les outils lui permettant de dresser un état des lieux et de mesurer aussi l'avancée de travaux qu'il peut conduire. Cette expérience m'a procuré une bonne connaissance et surtout une bonne compréhension et une vision panoramique et détaillée de l'ensemble du système sanitaire et social, mais aussi de percevoir les besoins d'articulation et les points de rupture. Je comprends combien les outils de mesure de la qualité et de la pertinence sont diversement développés du fait des diversités d'organisation et de contraintes dans les centres universitaires hospitaliers (CHU), dans un Ehpad ou dans une maison de santé pluri-professionnelle. Il est indispensable de conserver ses réflexes pour faire le lien entre ces champs. Je retire aussi de mon expérience qu'il est extrêmement important de préserver un dialogue continu avec l'ensemble des professionnels, des usagers, de tous les acteurs à la fois au plan national mais aussi de conserver une forte proximité avec le terrain pour répondre à ses attentes et l'aider à régler les problèmes auxquels il est confronté. C'est cette expérience qui m'amène devant vous, et qui, je pense, me permet d'être en mesure d'apporter quelque chose à la HAS.

La HAS a une place singulière et importante dans notre système de santé. Elle est reconnue pour sa contribution à la régulation par la qualité et s'appuie sur ses valeurs : la transparence, l'indépendance et l'expertise scientifique. C'est un organisme extrêmement légitime auprès des professionnels, mais aussi auprès du grand public. Les fondements de la HAS et sa reconnaissance ont généré un fort accroissement de ses missions. La LFSS pour 2018 prévoit l'intégration de l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux (Anesm) à la HAS en avril prochain, évolution extrêmement importante, mais je pense aussi à la télémédecine ou à l'article 51 sur les innovations organisationnelles, auxquelles elle doit participer également. Les enjeux de ces transferts de missions sont pour la HAS d'accroître cette transversalité entre les champs sanitaire, médico-social et social tout en préservant les spécificités de chacun de ces secteurs pour éviter une dilution de l'Anesm au sein de la HAS. C'est la raison pour laquelle son intégration s'accompagne de la mise en place d'une commission spécialisée mais aussi d'une direction spécifique. L'intégration de l'Anesm s'inscrit en cohérence avec la promotion d'un parcours de vie et de soins des patients et des usagers. Cela favorisera des travaux interdisciplinaires et transversaux. L'intégration de la politique d'évaluation de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux au sein de la HAS garantira sa visibilité et sa stabilité sur le long terme, d'autant que les missions de la HAS s'inscrivent dans un contexte marqué par le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques, mais aussi une contrainte financière très forte avec une volonté politique affirmée de garantir un égal accès aux soins - y compris les soins innovants - tout en renforçant la qualité et la pertinence tout au long du parcours de soins.

Dans les prochaines années, la HAS sera confrontée à deux enjeux transversaux. Le premier concerne l'accélération de l'innovation, mouvement qui impacte les produits de santé, notamment le médicament mais aussi le numérique avec la télémédecine et l'intelligence artificielle, l'innovation organisationnelle ou encore l'exploitation des big data. Le développement et l'accès aux innovations doivent concilier l'équité et la soutenabilité de notre système, notamment pour les produits de santé.

Second enjeu transversal, le renforcement de l'implication des patients est indispensable, d'une part parce que le patient doit être davantage partenaire des décisions qui le concernent, d'autre part parce qu'un patient plus impliqué dans un choix thérapeutique prend mieux en charge son comportement. La HAS y travaille déjà. Outre la participation des représentants d'usagers à la commission de la transparence, les associations d'usagers peuvent transmettre des avis - systématiquement pris en compte - dans le cadre de l'évaluation de chaque médicament débattue dans les réunions de cette commission. Cette initiative particulièrement intéressante peut aller au-delà des seuls produits de santé.

Première mission de la HAS, l'élaboration et la diffusion des recommandations de bonnes pratiques sont un levier majeur pour améliorer la qualité de la prise en charge ; la ministre l'a rappelé vendredi dernier dans le cadre des cinq chantiers de transformation du système de santé. Elles sont aussi un enjeu de régulation, en plus de la régulation par l'Ondam.

Elles seront aussi un enjeu dans le cadre de l'article 51 de la LFSS, qui instaure un mécanisme d'innovations organisationnelles, doté d'un fonds financier ; des acteurs de terrain pourront demander un soutien financier pour la mise en oeuvre de nouvelles organisations, de nouveaux modes de prise en charge ou de coordination entre la ville, l'hôpital et le médico-social. Ces innovations doivent favoriser le décloisonnement pour remettre le patient au coeur de sa prise en charge, mais elles doivent aussi être évaluées. La HAS devra définir, selon ses méthodes et en concertation avec les professionnels, dans un calendrier resserré, une batterie d'indicateurs de résultats, y compris du point de vue du patient en matière de pertinence.

Plusieurs défis sont devant nous : il faut favoriser et améliorer leur appropriation par les patients et les professionnels, quel que soit leur mode d'exercice, mais aussi être capable d'en mesurer les évolutions. La HAS a déjà beaucoup oeuvré pour rendre ses recommandations plus lisibles, plus accessibles pour les professionnels, mais le mode de communication doit encore être modernisé. Si nous voulons que ces outils soient bien appropriés, il faut déterminer les outils dont ont besoin concrètement les professionnels pour les aider au quotidien dans leurs pratiques, afin que chacun ait connaissance des recommandations, les mette en oeuvre, et échange avec ses pairs. Je crois beaucoup aux échanges entre pairs, ainsi qu'au ratio des pratiques : au-delà de la diffusion d'outils de bonnes pratiques, nous devons être en capacité de mesurer concrètement si ces pratiques changent, grâce à une bonne exploitation des données.

La deuxième mission concerne l'évaluation des produits de santé. La HAS a déjà conduit des évolutions importantes, comme la mise en place des rendez-vous précoces avec les industriels, le forfait innovation - même si ces deux exemples sont assez récents.

Parmi les points extrêmement importants qui ne concernent pas uniquement la HAS, la mise en place de la valeur thérapeutique relative (VTR) en lieu et place du service médical rendu (SMR) et de l'amélioration du service médical rendu (ASMR), suggérée par le rapport de Dominique Polton de 2015, renvoie à l'évolution des taux de remboursement, puisque les deux sont corrélés. La médecine personnalisée nécessite une gestion plus fine par indication, voire au-delà de l'indication. L'impact financier des innovations et leur accès, notamment sur la « liste en sus », est crucial. La liste en sus ne concerne pas que la médecine chirurgie obstétrique : l'accès aux molécules onéreuses se pose aussi pour l'hospitalisation à domicile, pour les soins de suite et de réadaptation, mais aussi dans le secteur médico-social, notamment dans les Ehpad. Comment mieux exploiter les données en vie réelle dans le cadre de l'évaluation, voire au-delà ? D'autres États se sont beaucoup engagés sur cette voie.

Plus spécifique à la HAS, la conduite d'évaluations médico-économiques est en cours de développement dans certaines institutions et pourrait être davantage encouragée. Il nous faut avoir une approche globale et la HAS - sans être la seule - a un rôle majeur.

Troisième mission, la certification des établissements de santé vise trois objectifs : la médicalisation, la simplification et l'évaluation par les résultats. Jusqu'à présent, l'accréditation a été très centrée sur les structures et les processus mais peu sur la pertinence médicale et sur les résultats de prise en charge. Cette première étape, indispensable, a fait progresser notre offre de soins. Nous devons maintenant la faire évoluer, notamment en termes de médicaments. Depuis la publication d'une ordonnance en début d'année, les agences régionales de santé (ARS) peuvent suspendre ou mettre fin à une autorisation en s'appuyant sur la certification de la HAS. Cette évolution extrêmement importante engage aussi l'évolution de la certification. Les indicateurs doivent être compréhensibles, proches des pratiques, lisibles par les acteurs de terrain qui doivent se les approprier. Portons l'évaluation sur des fondamentaux indiscutables. La capacité des équipes a progressé. Cette évolution a déjà commencé, doit concerner l'ensemble du parcours du patient, tout en sachant que l'hôpital ne représente qu'une partie. La construction d'un référentiel des parcours devient alors une mission essentielle, d'autant plus avec le lancement des expérimentations dans le cadre de l'article 51 qui proposeront de nouveaux modes de financement et dont il nous faudra mesurer la pertinence et les résultats. L'évaluation des GHT renforcera aussi la transversalité et nous devrons maintenir l'évaluation de chaque site et des parcours en lien avec les autorisations délivrées par les ARS.

Nous devrons revisiter certains chantiers en raison du contexte de forte évolution, comme les éléments du socle de qualité et de sécurité des activités autorisées. Ce travail a été engagé en décembre dernier. L'ensemble des autorisations - sanitaires - vont être revues au cours des prochaines années. La HAS doit aider les tutelles à revoir ce socle de qualité, qui doit être le fondement des autorisations qui seront délivrées. La Haute Autorité étudiera les modalités de mise en oeuvre de l'élaboration d'un cadre minimum commun de référence pour l'évaluation interne à chaque catégorie d'établissement social et médico-social mais dans une logique de convergence avec le dispositif de certification des établissements de santé. La HAS pourra instaurer une procédure pour s'assurer de la validité des rapports d'évaluation externe des établissements sociaux et médico-sociaux par des organismes habilités, par exemple par le biais de sondages ou en étudiant la qualité des rapports. La HAS construira ainsi des indicateurs de résultats sur chaque segment de l'offre mais aussi sur les parcours globaux des patients, en transversalité avec chacun de ces segments.

Pour répondre à ces défis, j'ai la faiblesse de penser que mon expérience peut être intéressante et vous assure de mon engagement, de mon énergie et de mon enthousiasme au service de la HAS et des pouvoirs publics.

M. Alain Milon, président. - Je vous remercie.

Mme Catherine Deroche. - Comment améliorer le service médical rendu ? Avec Véronique Guillotin et Yves Daudigny, nous avons engagé depuis quelques semaines une mission sur l'accès précoce à l'innovation. Nous cheminons au fil des auditions pour lever les blocages qui se traduisent par un inégal accès aux traitements, notamment innovants.

L'amélioration du service médical rendu est conçu par la loi pour aider à la fixation du prix par le comité économique des produits de santé (CEPS) avec les laboratoires, mais c'est aussi sur l'amélioration du service médical rendu - que délivre la commission de la transparence de la HAS - que des médicaments innovants entrent ou non dans la liste en sus. Cela crée une inégalité de traitement puisque des médicaments en ville sont remboursés s'ils ont un service médical rendu correct, mais ne figurant pas sur la liste en sus à l'hôpital, alors que ce dernier utilise beaucoup de traitements innovants - sous forme intraveineuse ou d'injection. De nombreux articles de presse récents ont fait état du retrait de la liste en sus de médicaments sur le mélanome métastatique, ce qui est préjudiciable au patient. Comment la Commission de la transparence pourrait évoluer pour pallier cette forme de détournement du critère ?

Mme Nadine Grelet-Certenais. - Vous avez fait état d'un lien important que vous souhaitez développer entre le médical, le médico-social et le social. Dans les établissements médico-sociaux et dans ces études de parcours de vie, cela suppose un temps de suivi, d'accompagnement et de partenariat très important pour véritablement accompagner et arrêter le parcours de vie de chacun. Or ces établissements sont très inquiets de la prise en compte de ces données de temps de travail, en interne au niveau des institutions mais aussi en externe sur une potentielle tarification forfaitaire plus ou moins à l'acte comme cela s'est fait pour la tarification à l'activité (T2A).

Ce référentiel des parcours tiendra-t-il compte de tous ces éléments ? Quelle sera la place donnée à l'expérimentation ? Dans une vision actuelle très inclusive du monde de la personne handicapée, l'institution tire le signal d'alarme ; elle demeure un cadre de structuration et de sécurité primordial pour les populations fragilisées, quelles qu'elles soient.

M. Daniel Chasseing. - Le budget soins pour les personnes âgées dépendantes, mis actuellement en place avec le référentiel Pathos et une équation qui n'apporte pas satisfaction, doit évoluer. Le groupe iso-ressources moyen pondéré (GMP), qui évalue complètement la dépendance, devrait compter davantage dans le budget soins. Dans un GMP, en cas de dépendance importante, il faut intégrer la prévention des soins. Un GMP à 700 devrait avoir au minimum un encadrement à 0,7, ce qui n'est pas du tout le cas actuellement.

Mme Élisabeth Doineau. - J'ai été très attentive à vos propos sur votre parcours. Nous nous étions rencontrées à Laval lors de la mise en place de Palex (plateforme d'appui libérale à l'exercice coordonné), une plateforme d'appui pour les sorties d'hôpital complexes. Il existe un intérêt à faire connaître les bonnes pratiques locales à l'échelon national. Notre organisation a besoin d'être totalement rénovée, en dépit des résistances aux nouvelles pratiques. Au sein de la HAS, vous souhaitez rendre les différentes initiatives plus accessibles. Comment mieux faire connaître le rôle majeur de la HAS en la matière ?

Dans la réflexion sur les GHT, on cherche désespérément les représentants de certaines professions, psychiatriques notamment. Comment faire en sorte que les médecins s'organisent dans ces professions qui ne sont plus attractives ? Les difficultés du système d'information sont quant à elle plutôt liées à un manque de moyens financiers. Avez-vous eu le temps de voir comment les GHT s'organisent et quelles sont leurs difficultés ? À quoi bon les avoir créés s'ils n'ont pas les moyens d'exister...

Mme Florence Lassarade. - Merci de votre exposé très dense. Je comprends bien que vous soyez favorable à la culture de l'évaluation, plus anglo-saxonne, de même que la prévention, mais sur qui vous allez-vous vous appuyez ? Le secteur libéral est laissé à l'abandon ; la nomenclature est de plus en plus complexe ; les dix prochaines années s'annoncent difficiles en raison de la démographie médicale. Le secteur libéral va-t-il être sacrifié ?

Si la télémédecine peut être un outil pour la médecine libérale, ne laisse-t-on pas de façon perverse la main aux mutuelles ? Je pense au service « MédecinDirect », qui répond 24 heures sur 24 aux questions des patients par téléphone. Moi qui suis pédiatre, je me demande comment on peut répondre sans palper l'enfant. On annonce un chatbot, un robot intelligent qui va pouvoir lui-même analyser les questions, fournir des réponses et aller pratiquement jusqu'à fournir l'ordonnance. Va-t-on déconnecter les médecins traitants et les spécialistes libéraux de la télémédecine ?

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Je souhaite évoquer l'autisme. La HAS a présenté de nouvelles recommandations établies avec l'Anesm pour favoriser un diagnostic plus précoce. Leur mise en oeuvre n'est possible que si l'on implique les familles et si celles-ci ont accès à la médecine. Que préconisez-vous pour les territoires ruraux ?

Vous avez parlé de contraintes financières très fortes. Dans son rapport du 12 février dernier, la Cour des comptes souligne les conditions très avantageuses dont certaines autorités indépendantes bénéficient. La HAS arrive devant la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ainsi que l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), l'Autorité de la concurrence et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). J'espère que vous ne jugerez pas ma question trop hardie : pensez-vous baisser votre salaire ?

M. Alain Milon, président. - J'observe de très près le projet de réforme de la SNCF. Pour la soulager de dettes considérables, l'État prendrait en charge l'ensemble des investissements de réseaux ferrés de France (RFF). Je souhaite que le Gouvernement aille au bout de ses préconisations pour que nous puissions lui demander ensuite de prendre en charge les investissements immobiliers des hôpitaux afin que la santé se consacre entièrement à la santé.

M. Yves Daudigny. - Ma question porte sur le délai qui s'écoule entre l'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un médicament et sa mise à la disposition des patients. Des informations mettent en avant un allongement de ce délai, plaçant la France derrière l'Allemagne ou le Royaume-Uni, or cela peut entraîner des pertes de chances pour certains patients. C'est la HAS qui serait à l'origine de ce délai, bien plus long que ce que les directives européennes recommandent.

Mme Laurence Cohen. - Merci, madame, pour la présentation très détaillée de votre parcours et des missions que vous voulez honorer.

D'après vos propos, conformes à ceux de la ministre de la santé, vous souhaitez renforcer les contrôles des bonnes pratiques médicales. Je suis soucieuse que chaque professionnel de santé exerce selon de bonnes pratiques - mais s'il n'en avait pas la volonté, pourquoi s'engager dans cette carrière ? Quels moyens consacrerez-vous à ces contrôles pour qu'ils soient exercés du mieux possible ? On demande toujours plus et mieux tout en retirant des moyens.

Actuellement, avec Dominique Watrin et nos collègues députés de notre sensibilité politique, nous effectuons un tour de France des hôpitaux car nous pensons que la situation y est critique, notamment pour des raisons financières. Tous les professionnels, quels qu'ils soient, se plaignent d'une protocolisation excessive qui leur donne l'impression de perdre le sens de leur métier ; ils sont happés par les tâches administratives. Comment comptez-vous surmonter la contradiction entre l'exigence de protocoles et l'exigence de bonnes pratiques ?

La question du président sur les investissements est très pertinente. Elle est récurrente, sur tout le territoire. L'inquiétude est très forte. Nous entendons des appels au secours.

Mme Katia Julienne. - Les délais d'évaluation des médicaments et des dispositifs médicaux sont, il est vrai, assez importants. La HAS s'attache depuis plusieurs années à les réduire - c'est le sens des rendez-vous précoces avec les industriels mis en place récemment. Elle est favorable à l'évaluation plus rapide des médicaments à des phases plus précoces, quitte à les réévaluer avant l'échéance de cinq ans. C'est d'autant plus important qu'il ne faudrait pas que les délais d'examen gomment l'accélération des innovations que l'on constate. Nous devons poursuivre le travail de réduction des délais.

La liste en sus est un sujet compliqué. Les textes, qui ne relèvent pas de la HAS, induisent le mécanisme que vous avez décrit - je pense aux ASMR 4 (améliorations du service médical rendu de niveau 4). Un travail doit être conduit à plusieurs, me semble-t-il, car cette difficulté est rencontrée régulièrement dans les stratégies thérapeutiques. L'automatisme des décrets mène à des problèmes pour certains médicaments. Je l'ai clairement à l'esprit.

M. Alain Milon, président. - Pour quelques centaines de patients en danger de mort, il y a urgence.

Mme Katia Julienne. - La tarification du secteur médico-social ne relève pas de la HAS. J'entends les inquiétudes sur les parcours. La ministre demande d'ailleurs plus d'indicateurs sur ces derniers afin de mieux les évaluer. La HAS doit y travailler davantage. Le fait qu'elle intègre l'Anesm offrira une vision vraiment globale avec des compétences complètes sur les parcours de vie et de prise en charge. Nous devons avoir vos préoccupations à l'esprit dans l'évaluation des établissements.

Le budget relève plutôt du ministère, je n'en dirai pas plus.

Vous avez évoqué la prévention. Nous n'avons pas assez de leviers. Cela fera partie des sujets à traiter dans le programme de travail du projet stratégique 2019-2024 de la Haute Autorité.

En évoquant les bonnes pratiques, je pensais surtout à la connaissance de la mise en oeuvre, ce qui est différent du contrôle. Les praticiens font du travail de qualité. Les recommandations, qui sont l'état de l'art, produisent des évolutions intéressantes. Comment mieux communiquer auprès des praticiens pour s'assurer qu'ils aient connaissance des recommandations ? Nous pouvons notamment émettre des messages plus courts et plus lisibles, qu'ils aient le temps de lire. La HAS y a travaillé avec les sociétés savantes. Il nous faut aussi mieux exploiter les bases de données pour étudier l'efficacité des recommandations. Il ne me semble pas possible d'émettre des recommandations sans s'assurer de leur mise en oeuvre, ne serait-ce que pour renforcer les échanges avec les praticiens et non dans un objectif de contrôle stricto sensu.

Comment donner de la visibilité aux actions sur le terrain ? L'article 51 a pour objectif d'utiliser les expérimentations remontées du terrain pour construire la boîte à outil de l'avenir et introduire de nouveaux modes d'organisation à l'échelon national. Elles doivent être évaluées par la HAS et diffusées. La HAS a un rôle majeur à jouer dans le passage à la phase d'industrialisation.

Je ne crois pas que l'on fera de télémédecine sans médecin. En revanche, la médecine numérique peut renforcer les liens entre les professionnels et améliorer la coordination, notamment dans des zones sous-denses comme dans les Landes et en Bourgogne-Franche-Comté ; elle peut éviter le déplacement des patients dans les établissements. C'est un levier pour améliorer la qualité de la prise en charge et faciliter l'activité des équipes.

Mme Florence Lassarade. - Le terme de télémédecine n'est pas toujours pertinent.

Mme Katia Julienne. - La HAS a un rôle à jouer pour étudier les apports de cette médecine numérique.

Mme Florence Lassarade. - Des mutuelles ont été autorisées à agir dans ce domaine.

Mme Katia Julienne. - L'enjeu du dépistage et de la prise en charge précoce est majeur pour le développement de l'enfant. La mise en oeuvre des recommandations présuppose une organisation adéquate sur le territoire. La HAS n'est pas la seule concernée. La question est : comment, sur le terrain, articuler les nombreux acteurs pour favoriser un dépistage rapide et une prise en charge précoce ? Tout cela doit être intégré aux travaux en cours sur le quatrième plan sur l'autisme.

J'en viens à la protocolisation excessive. J'ai beaucoup parlé de médicalisation à propos de l'évolution de la certification, mais la simplification est l'un des trois objectifs qui y ont été assignés. Les outils de certification sont très axés sur les process. Nous devons les simplifier et nous focaliser davantage sur les indicateurs de résultats.

Je mesure le difficile équilibre entre une protocolisation qui garantit la qualité et le risque que les professionnels se sentent pris dans un carcan. Les travaux sont engagés. Le basculement vers des indicateurs de résultats devrait répondre à l'inquiétude dont vous vous faites l'écho.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Nous avons traité de la pertinence des soins au sein de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss). Madame Julienne, vous qui avez passé quelques années à la direction de la sécurité sociale, connaissez bien le sujet. J'ai auditionné celle qui a précédé le professeur Le Guludec à la présidence de la HAS, aujourd'hui ministre. Elle avait tenu des propos qu'elle semble vouloir mettre en pratique dans le PLFSS. Je m'en réjouis. Il y a tout de même une innovation importante : le dossier médical partagé (DMP). Comment la HAS va-t-elle se saisir de cette opportunité pour éviter les soins inutiles ?

Mme Katia Julienne. - L'enjeu est d'autant plus grand que le DMP doit être déployé rapidement - il est piloté par la Cnam. La HAS doit jouer un rôle important d'analyse des outils. C'est l'ensemble de l'architecture numérique que nous devons aborder. Au-delà du dossier du patient, qui est important, nous devons faire le lien avec les outils des professionnels, or il y en a plusieurs : les systèmes d'information hospitaliers, dont les contenus sont extrêmement variables, les logiciels d'aide à la prescription, pour le secteur libéral, et d'autres systèmes dans le secteur médico-social et social. Notre enjeu est de savoir comment analyser, développer et évaluer chacun des outils et les coordonner entre eux, du point de vue du patient comme du professionnel. Ces outils majeurs nécessitent encore des développements et des articulations à construire ensemble, en ayant bien à l'esprit leurs capacités et leurs limites.

Mme Victoire Jasmin. - Il faut probablement des personnes dédiées aux protocoles. On en demande beaucoup, mais ils sont nécessaires : on a de plus en plus besoin de traces pour les vigilances et, le cas échéant, retrouver les causes de dysfonctionnements. En revanche, la multiplicité des tâches demandées aux professionnels pose problème. Il faut trouver des personnes disponibles pour les accomplir, qui ne soient pas forcément les professionnels du soin. Trop simplifier aurait d'autres conséquences sur la qualité.

Mme Katia Julienne. - Je partage vos propos. La simplification n'est pas un objectif en soi. Toute la difficulté est de simplifier sans sacrifier la qualité. On doit développer plus d'indicateurs de résultats et peut-être réduire les process. Il y a un équilibre à trouver.

On n'exploite peut-être pas assez les possibilités des systèmes d'information.

La réunion est close à 11 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.