Mardi 13 février 2018

- Présidence de M. Vincent Éblé, président, et de M. Gérard Dériot, vice-président de la commission des affaires sociales -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition de M. Éric Heyer, préalable à sa nomination au Haut Conseil des finances publiques par le Président de la commission des finances du Sénat

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. - Nous sommes réunis pour entendre M. Éric Heyer, que j'envisage de nommer au Haut Conseil des finances publiques. En effet, cette nomination ne peut avoir lieu qu'après une « audition publique conjointe » par la commission des affaires sociales et la commission des finances.

Comme vous le savez, le Haut Conseil des finances publiques est un organisme indépendant chargé d'apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques du Gouvernement et de se prononcer sur la cohérence de la trajectoire budgétaire gouvernementale avec les objectifs pluriannuels de finances publiques et les engagements européens de la France.

Composé de onze membres, dont deux sont nommés respectivement par le président du Sénat et le président de la commission des finances du Sénat, il est placé auprès de la Cour des comptes et présidé par le Premier président de cette dernière.

S'agissant des conditions à remplir pour être nommé au Haut Conseil des finances publiques, l'article 11 de la loi organique du 17 décembre 2012 fixe trois principales exigences : l'absence d'exercice de fonctions publiques électives ; la compétence « dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques » ; l'indépendance, puisqu'il est interdit aux membres du Haut Conseil des finances publiques de « solliciter ou recevoir aucune instruction du Gouvernement ou de toute autre personne publique ou privée ».

Je vous propose, monsieur Heyer, de nous indiquer, dans un exposé liminaire, dans quelle mesure votre candidature répond à ces trois exigences et de nous exposer votre conception du rôle du Haut Conseil des finances publiques.

M. Gérard Dériot, vice-président de la commission des affaires sociales. - Lors de l'examen du projet de loi organique relatif à la programmation des finances publiques, dont la commission des affaires sociales s'était saisie pour avis, sur le rapport de notre collègue Yves Daudigny, alors rapporteur général, nous avions insisté sur la bonne prise en considération des finances sociales dans les outils mis en place pour l'ensemble des finances publiques.

Nous persistons à penser que le mode de financement de la protection sociale, largement assis sur des cotisations, et ses problématiques de déficit, ont leur spécificité et nous souhaitons que le Haut Conseil des finances publiques reste attentif à l'évolution des comptes sociaux.

Le choix d'un économiste travaillant à la fois sur les questions de prévision et sur le marché du travail nous semble à cet égard tout à fait intéressant.

Vous avez travaillé sur les dispositifs d'allègements de cotisations et sur le crédit d'impôt compétitivité emploi, le CICE.

Pouvez-vous nous indiquer votre appréciation sur le retour d'un dispositif d'exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, tel qu'il semble s'annoncer ?

D'une manière plus générale, quel est l'état de vos réflexions sur le financement de la protection sociale, en particulier de la santé et des retraites, qui font notre particularité en termes de volume des dépenses publiques ?

M. Éric Heyer. - Permettez-moi tout d'abord de rappeler quelques points de mon parcours, qui apporteront déjà un élément de réponse. Je suis avant tout un universitaire. De mon expérience d'enseignant chercheur à l'Université d'Aix-Marseille, est née la conviction que la théorie économique, aussi intéressante qu'elle soit à manier dans l'examen des problématiques contemporaines, doit avant tout s'appuyer sur l'épreuve des faits. Ce souci rythme ma réflexion et ma méthodologie. Mon deuxième souci, qui me vient de mon expérience d'enseignant, est celui de la pédagogie, avec l'idée que l'expert a la mission d'éclairer tout l'éventail du débat, sans empiéter pour autant sur les prérogatives du législateur, auquel il revient de trancher.

À l'issue de mon parcours universitaire, mon souhait de participer au débat économique avec la plus grande rigueur scientifique m'a tout naturellement dirigé vers l'OFCE, l'observatoire français des conjonctures économiques, où je travaille depuis vingt-et-un ans, et dont j'ai adopté la philosophie. C'est une institution que l'on doit à Raymond Barre, parti de l'idée, dans les années 1980, que l'économie, bien qu'elle ait besoin de s'appuyer sur des outils aussi scientifiques que possible, n'est pas une science exacte mais reste une science sociale, et que les « esprits animaux » dont parlait Keynes n'autorisent aucune certitude sur le comportement des acteurs. C'est ainsi que sont nés trois centres de recherche, dont les analyses pouvaient différer de celles de Bercy : l'un, proche du patronat, l'institut de prévisions économiques et financières pour le développement des entreprises (Ipecode), devenu le centre d'observation économique et de recherche pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (Coe-Rexecode), l'autre proche des syndicats, l'institut de recherches économiques et sociales (Ires) et un troisième, totalement indépendant, inscrit dans le cadre universitaire de Sciences Po, avec pour mission de concurrencer les analyses de Bercy. Il s'agissait, tout en utilisant les mêmes outils économétriques, de montrer qu'en modifiant une ou deux hypothèses, les résultats pouvaient varier, que les politiques économiques et leur incidence dépendaient de la conjoncture, de l'attitude des acteurs, de la dynamique des politiques passées. L'idée étant que dans un monde non linéaire, il faut une multiplicité d'acteurs pour explorer l'étendue des possibles. Je suis donc entré à l'OFCE, en 1997, comme économiste à la prévision, avant de devenir, en 2002, directeur-adjoint, responsable de la prévision pour la France puis, à partir de 2015, directeur du département analyse et prévision. La discussion qui peut être menée avec Bercy m'intéresse tout particulièrement, pour montrer, en usant d'outils similaires, qu'au fondement de la prévision, on trouve des hypothèses, et que c'est d'elles qu'il faut discuter, armé d'une expertise. Réaliser une prévision suppose d'expertiser l'ensemble des mesures de politique publique qui sont prises : c'est ce que fait l'OFCE, dont l'indépendance est totale et l'expertise à la pointe. Dans ce cadre, j'ai procédé à l'évaluation de la politique de défiscalisation des heures supplémentaires, en 2007, réévaluée en 2017 avec la proposition du candidat Emmanuel Macron. Je pars de l'hypothèse qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaise politique économique en soi, mais qu'il s'agit de mesurer si une politique économique est adaptée au contexte conjoncturel.

En l'espèce, s'il est certain qu'il faut augmenter le temps de travail global, la défiscalisation n'a de sens que si l'on considère que le chômage observé est proche du chômage structurel, et que c'est principalement de capacités de production que l'on manque. Dans un tel cas, la défiscalisation peut être positive en termes de création d'emplois et d'activité. Reste la question de son mode de financement, comme je l'ai écrit dans la Oxford Economic Review, étant entendu qu'évaluer l'impact macroéconomique final d'une telle mesure suppose de connaître clairement les modalités de son financement. Si l'on pense, à l'inverse, qu'une partie du chômage observé reste encore conjoncturel, et lié au fait que l'on n'est pas totalement sortis de la crise économique, alors que le PIB par tête est tout juste revenu à son niveau de 2007, alors, on peut penser que la mesure sera beaucoup moins efficace, qu'elle ne créera pas d'emploi et peut même en détruire, avec le coût que cela induit pour les finances publiques. En 2007, le taux de chômage, en France, était de 6,8 % et se rapprochait donc du taux de chômage structurel. Réfléchir à une défiscalisation des heures supplémentaires pouvait par conséquent être intéressant. Malheureusement, la mesure a été mise en application au moment de la plus grande crise économique que l'on ait connue depuis celle des années 1930. Le chômage, qui diminuait, est reparti à la hausse, si bien que la mesure n'était plus appropriée au contexte économique. Les évaluations de l'OFCE en la matière sont très proches de celles de Pierre Cahuc, autre grand spécialiste du marché du travail, qui considère que la mesure a détruit de l'emploi.

Voilà qui illustre assez que l'économie n'est pas une science exacte, et que la validité d'une mesure dépend largement du contexte. Il s'agit donc de faire en sorte que les mesures que l'on décide de mettre en oeuvre soient adaptées au mieux à la conjoncture. Les avis du Haut Conseil sont, à mon sens, faits pour éclairer sur cette conjoncture : où en est-on du chômage structurel ? Quid de l'écart de production ? Face aux grandes décisions à prendre en matière de finances publiques, ces avis, collégiaux, doivent refléter toute l'étendue des courants de pensée.

Vous m'interrogez sur le CICE. Ma réponse sera analogue. On a trop tendance à rester la tête dans le guidon et à mesurer l'impact des mesures votées dans un budget donné, en oubliant que la conjoncture est infléchie non seulement par les décisions que l'on prend aujourd'hui mais aussi par la dynamique de celles qui ont été prises les années antérieures. Le CICE en est un bon exemple. C'est une décision qui, dans un premier temps, a pu avoir des effets récessifs - du fait de son mode de financement qui, comme je le rappelais, doit aussi être pris en compte dans l'analyse. Le problème ne réside pas dans le transfert que le CICE organise vers les entreprises, lequel peut être de nature à restaurer leurs marges, à améliorer leur compétitivité et à créer de l'emploi, mais dans le fait que l'on a demandé aux ménages de supporter ce transfert, les finances publiques n'étant pas à même de le faire. En dernière instance, les baisses des charges pour les entreprises ont été financées par de l'impôt sur les ménages. Or, l'incidence sur l'économie d'une augmentation de l'impôt sur les ménages est immédiate, tandis que celle d'une aide au profit des entreprises, qui met du temps à se diffuser, est différée. Si bien que dans un premier temps, le financement du CICE a pesé sur l'activité. Aujourd'hui, nous en sommes arrivés à ce moment où la conjoncture s'améliore en partie grâce aux effets différés du CICE, tandis que le retard qu'a connu auparavant la France dans ses performances économiques s'explique, en partie, par les effets immédiats issus de son mode de financement.

Pour récapituler, je dirai que le Haut Conseil doit, en restant indépendant, faire oeuvre de pédagogie au service du législateur et de l'opinion publique. L'économie n'étant pas une science exacte, l'intérêt de ses prévisions n'est pas tant de déterminer un taux de croissance prévisionnel que de tenter de comprendre les hypothèses du Gouvernement, pour mesurer leur cohérence macroéconomique et indiquer si elles entrent dans le domaine des possibles.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Le rattachement du Haut Conseil des finances publiques à la Cour des comptes vous paraît-il légitime, ou pensez-vous qu'une autre forme d'indépendance serait souhaitable ? Les magistrats de la Cour des comptes ont une vision par définition comptable des choses ; comment envisagez-vous l'articulation avec celle des économistes ?

Le Haut Conseil est gardien du respect d'un certain nombre de règles européennes. Or, vous vous êtes montré assez critique, dans certains de vos articles, sur les règles budgétaires et les plans de consolidation mis en place pour les respecter. Le Haut Conseil et son président nous rappellent régulièrement la nécessité de respecter les règles de réduction du déficit, alors que la France est à peu près le seul pays qui ne se désendette pas et dont les déficits restent à des niveaux élevés. N'y voyez-vous pas un risque, au-delà de l'exigence de respect des règles européennes, en cas de remontée des taux d'intérêt ?

Le Haut Conseil doit-il, pour vous, mener des analyses très ouvertes, ou lui appartient-il de rappeler des règles dont vous-même semblez parfois douter de la pertinence ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Nous connaissons vos avis, assez équilibrés, rendus au nom de l'OFCE. Mais vous allez vous trouver membre d'une autorité dont l'avis est essentiel pour aider l'exécutif et les parlementaires à décider et à porter un jugement, mesuré, sur les finances publiques. Vous avez dit, de ce point de vue, ce que nous souhaitions entendre. Je n'en ai pas moins trois questions.

La loi de programmation des finances publiques comprend des hypothèses de solde structurel par sous-secteurs qui, au fil des projets de loi de finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale annuels, ne sont pas suivies, ce qui réduit considérablement leur intérêt. Sachant combien est ténue, ainsi que vous l'avez rappelé, la frontière entre structurel et conjoncturel, pensez-vous que cette notion de solde structurel soit significative pour les comptes sociaux ?

Pour la loi de financement de la sécurité sociale, nous suivons particulièrement l'évolution de la masse salariale du secteur privé, dans ses deux composantes, emploi et salaire. Comment vous situez-vous dans le débat actuel sur l'évolution de la productivité ?

Nous avons constaté une évolution dans les avis du Haut Conseil, notamment le dernier, dont les termes nous semblent un peu plus tranchés. Comment concevez-vous la place du Haut Conseil et le rôle de ces avis ?

M. Éric Heyer. - Il est vrai que je me suis montré, à l'OFCE, assez critique sur les règles budgétaires. J'estime qu'il est important de respecter les règles, mais que cela n'interdit pas de s'interroger sur leur pertinence, et sur la meilleure façon de les respecter. S'il existe une vraie complémentarité entre comptabilité et économie, cela signifie aussi qu'il ne faut pas tout miser sur la première. Se lancer tous ensemble dans l'austérité, comme on l'a fait en Europe à partir de 2010, aurait dû nous permettre de réduire les déficits, qui devraient avoir disparu de la zone euro. Or, il reste encore des déficits partout, preuve que la seule approche comptable ne suffit pas, et qu'il faut prendre en compte l'impact des mesures d'austérité sur la croissance. Les recettes publiques sont assises sur la croissance économique : on a sous-estimé l'effet multiplicateur des mesures budgétaires et fiscales. On a cru que cet effet multiplicateur serait faible, et là a résidé l'erreur : ces multiplicateurs évoluent dans le temps en fonction de la conjoncture, des décisions des acteurs et des choix de politique macroéconomique. D'où l'intérêt du Haut Conseil, qui réunit à la fois des comptables de très haut niveau et des experts éonomiques. Car au-delà de l'input que l'on intègre dans un modèle, il est nécessaire de savoir sur quel type de dépense, sur quel type d'impôt on va jouer, sachant que les effets multiplicateurs varient du tout au tout selon l'instrument que l'on retient. Je pense même qu'associer cinq experts de haut niveau ne suffit pas, et qu'il serait bon d'entendre parfois des spécialistes dans le domaine de la santé, des retraites, etc.

Je pense également qu'il faut mener une réflexion sur les règles, et que le Haut Conseil peut être ce lieu de réflexion où, sans trancher, on ouvre le débat public. Je sais que des experts franco-allemands réfléchissent à de nouvelles règles : il serait important que le Haut Conseil les entende, voire réalise un audit des règles envisagées, pour voir si elles auraient permis une consolidation budgétaire moins chahutée. Cela fait aussi partie, à mon sens, du rôle du Haut Conseil, étant entendu que tant que les règles ne sont pas modifiées, il faut s'employer à les respecter. Encore une fois, ma critique portait davantage sur la façon d'opérer, dont j'estime qu'elle ne permettait pas, précisément, de respecter les règles et, sans réduire le déficit public dans les proportions prévues, creusait un autre déficit, d'emploi. Si bien que la stratégie retenue n'a rien réglé.

Les règles européennes ne vont pas sans une certaine flexibilité, dans les moments exceptionnels, comme cela est le cas d'une crise conjoncturelle. On sépare le conjoncturel du structurel en essayant d'évaluer le solde structurel. L'économie n'est pas une science exacte, et il y aura autant d'évaluations que d'économistes, mais ce qui compte, c'est d'explorer le domaine des possibles et de se pencher sur la cohérence des hypothèses.

Faut-il vraiment aller vers le « zéro déficit » ? Un peu de déficit n'est-il pas souhaitable si celui-ci améliore la situation intergénérationnelle ? Autrement dit, si ce déficit permet de financer des investissements qui permettront aux générations futures de mieux vivre, il est normal que les générations futures participent au financement de ces investissements. Au-delà du débat entre structurel et conjoncturel, ne faut-il pas se poser la question : dès lors que le déficit sert à créer un patrimoine, n'est-il pas normal que les générations futures participent, via un transfert intergénérationnel de l'impôt ? Tout investissement étant financé par l'impôt, celui-ci doit-il tout entier reposer sur la génération présente ou peut-on faire participer les générations futures, qui bénéficieront de ces investissements ? Telle est la question. Cela suppose une autre approche, plus patrimoniale, de la comptabilité, alors que l'on raisonne aujourd'hui essentiellement en flux. Cette notion de patrimoine peut être très large, et c'est là la difficulté : on peut y mettre l'éducation, la santé, l'écologie. Il reste qu'il faut s'interroger sur la nature du déficit : s'il n'est pas seulement de fonctionnement, mais pour une part d'investissement, le « zéro déficit » n'a pas de sens, voire pourrait mettre en péril le bien-être des générations futures.

Vous m'interrogez sur la productivité. La question est trop complexe pour que l'on puisse s'y étendre dans le temps imparti, mais il est clair que la croissance potentielle dépend pour une grande part, au-delà de la démographie, de l'accroissement de la productivité. Quand on se demande si l'on a encore les moyens de financer notre modèle de protection sociale, la réponse dépend de la vision que l'on a de la croissance de demain. Si l'on pense que demain, on ne gagnera plus en productivité, donc en croissance économique, cela signifie que notre modèle social est en feu, à tous les étages - retraites, santé, chômage - et qu'il est essentiel de le réformer. Si l'on pense, en revanche, que l'on ne va pas vers la stagnation séculaire, et que des politiques économiques peuvent relancer une croissance écologiquement soutenable, la vision sera moins alarmiste. Je me situe plus du côté des techno-optimistes que des techno-pessimistes, pour dire les choses très vite. Mais je pense qu'il faut aussi écouter les techno-pessimistes et essayer de comprendre leurs arguments, en les confrontant, d'année en année, à l'épreuve des faits.

Pour moi, le Haut Conseil ne doit pas rendre des avis tranchés. L'économie n'est pas une science exacte, et la prévision est un art complexe. On nous demande aujourd'hui de faire des prévisions rapportées au PIB, mais il faut savoir que le PIB pour 2017, qui a été rendu public il y a un mois, n'est qu'une version provisoire, qui ne sera définitive que sous deux ans et demi, après affinage par l'Insee, dont les révisions peuvent aller jusqu'à un point de PIB. Cela appelle à une certaine prudence dans la prévision, et au premier chef sur les déficits publics, qui sont rapportés au PIB. La bonne méthode est donc, à mon sens, plutôt que de rendre des avis tranchés, de couvrir le domaine des possibles en allant vers une analyse probabiliste, tendant à exclure les scénarios qui paraissent le plus improbables, et présenter des fourchettes plutôt que des prévisions.

M. Éric Bocquet. - Votre discours d'humilité fait plaisir à entendre, et tranche avec celui de ceux qui affirment. Vous parlez de concurrencer les analyses de Bercy, d'un monde qui n'est pas linéaire, d'une économie qui n'est pas une science exacte : je souscris.

Quelle est votre vision du rôle de la dépense publique dans l'économie globale ? Faut-il réduire la dépense publique quel que soit le contexte économique ?

M. Jérôme Bascher. - Les finances sociales doivent-elles être à l'équilibre ? Telle est ma première question.

La seconde touche à l'une de vos spécialités, le marché du travail. Notre commission des finances a reçu, il y a quelques semaines, M. Villeroy de Galhau, qui nous disait que le chômage structurel était sans doute le frein majeur à notre croissance de demain. Comment estimez-vous que l'on puisse le réduire ? Est-ce par la formation, par la réduction du coût du travail, par une meilleure répartition géographique de l'emploi - sujet que l'on oublie trop souvent ?

M. Sébastien Meurant. - Peut-on parler, comme vous l'avez fait, d'austérité, quand depuis plus de onze ans la France ne respecte pas les règles européennes en matière de déficit et que l'on voit, année après année, se creuser une dette publique qu'il faudra bien rembourser un jour, sauf à aller vers une des trois voies de sortie que sont l'inflation, la guerre ou la faillite ? Il est certes difficile de prévoir l'avenir, mais on peut du moins s'interroger sur les politiques menées par le passé au sein de la zone euro. Or, tous les indicateurs, en France, se dégradent - dette, croissance, pouvoir d'achat - tandis que d'autres pays, qui ont mieux géré leurs finances, de manière peut-être plus austère, se portent mieux. Nous sommes dix-neuvième sur dix-neuf en matière de déficit public, nous battons des records en matière de dette et nous dégringolons dans tous les classements. Le passé récent ne pourrait-il pas nous inciter à prendre des mesures, nous donner un éclairage pour demain, et nous inviter à reprendre les recommandations de certains analystes financiers, puisque les économistes, ainsi que vous le rappelez avec raison, sont largement sujets à l'erreur et n'ont, de fait, cessé de se tromper, d'année en année ? Telle est ma question, animée par la préoccupation de voir la croissance flancher, la dette et le déficit exploser, et le pouvoir d'achat des Français se dégrader.

Mme Fabienne Keller. - Les règles européennes semblent avoir permis aux autres États membres de rentrer dans un cercle vertueux de sobriété budgétaire assortie d'un niveau d'emploi plus élevé. Comment sortir du cercle infernal où notre besoin de recettes alourdit une fiscalité qui devient paralysante ? Pouvez-vous, à cet égard, préciser encore votre opinion sur le CICE et sa transformation en baisses de charges programmée pour l'année prochaine ?

Le Haut Conseil a en charge le suivi des administrations publiques. Comment les collectivités locales, mises sous pression sur leurs frais de fonctionnement, vont-elles influer sur l'évolution de la dette ? Ne peut-on craindre que leur contribution à l'amélioration du solde budgétaire ne se traduise par un ralentissement de leurs investissements ?

Le rapport Spinetta sur la SNCF devrait être rendu en fin de semaine. Le Président a annoncé une reprise, totale ou partielle, de la dette de la SNCF, avec un effet significatif, tant son montant est élevé, sur le stock de la dette française. Le monde du ferroviaire se bat depuis vingt ans pour la faire passer pour une dette remboursable, alors que les prévisions à 10 ans s'élèvent à plus de 60 milliards d'euros. Quelle est votre analyse sur cet instant de vérité ?

M. Éric Heyer. - Plusieurs de vos questions ont porté sur l'austérité. Si elle a fonctionné dans d'autres pays, pourquoi ne pas faire de même en France ? Encore une fois, il faut considérer cette politique au sens large. Voter un budget d'austérité, c'est voter un budget qui ampute le pouvoir d'achat des citoyens, des entreprises. En France, on a fait le choix d'une austérité par l'impôt plutôt que par la réduction de la dépense publique, mais on a tout de même mené une politique d'austérité. Je ne crois pas que l'on puisse considérer la France comme le mauvais élève de l'Europe. Il faut rappeler que l'Europe est malade, qu'elle est la seule région du monde à avoir connu, après la récession de 2008, une deuxième récession, en 2011, qui n'a touché, dans le monde, que la zone euro. La France, cependant, a fait exception ; elle a certes connu une croissance molle, inférieure à sa croissance potentielle, et qui n'a donc pas réduit le chômage, mais une croissance économique tout de même. Les chiffres définitifs l'attestent : la croissance a été d'un peu plus d'un point au cours de cette période. Ceci pour dire que les concours de beauté sur clichés statiques n'ont pas de sens. Il est vrai qu'en 2015-2016, la performance économique de la France est inférieure à la moyenne de la zone euro, mais il faut regarder les choses sur le temps un peu plus long. Si l'on rapporte le niveau du PIB à son niveau d'avant crise, la France est trois points au-dessus de la moyenne de la zone euro. Se considérer comme le mauvais élève alors que nos performances, sur le cycle économique, sont meilleures, n'est pas adéquat.

Il n'en reste pas moins qu'en termes de dépenses publiques, nous sommes, sans conteste, un mauvais élève. Cela signifie-t-il qu'il faille aller plus loin dans l'austérité ? Si l'on regarde ce qu'ont fait les autres pays, que constate-t-on ? La croissance de l'Allemagne est venue d'une compétition à l'extérieur, dans les années 2000. Elle a été copiée par l'Espagne, et par le Portugal, au cours de la crise économique. Cela a amené des excédents de balance courante gigantesques au sein de la zone euro. Or, toutes les balances ne sauraient être excédentaires en même temps : s'il y a un excédent quelque part, c'est qu'il y a un déficit ailleurs. Ce déficit se trouve, pour l'instant, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ce qui a provoqué, d'une certaine façon, le Brexit et la montée du protectionnisme aux États-Unis. Peut-on se lancer tous en même temps dans cette stratégie ? Et une telle stratégie est-elle soutenable à terme ? Je ne le pense pas. Je pense qu'il nous faut aller vers une croissance économique plus équilibrée en zone euro, et que si la France doit sans doute faire un effort de maîtrise de ses finances publiques accru, cela suppose aussi un rééquilibrage entre les pays dont la balance courante est excédentaire et les autres.

Ceci m'amène à la question qui m'a été posée sur la dépense publique : faut-il aller plus loin dans sa réduction ? Il n'y a pas, à mon sens, de réponse univoque. Nos dépenses publiques dépassent celles de nos voisins européens d'environ 9 points de PIB, dont 5 points viennent du modèle social, essentiellement les retraites, le reste étant lié, pour un point, au logement, et pour un autre point aux dépenses militaires. Ce qui veut dire que si l'on veut revenir dans la moyenne - à supposer que cela se justifie - il va falloir réviser notre modèle social. Car pour ce qui concerne les dépenses de l'État, nous sommes dans la moyenne, et les dépenses, sur ce versant, tendent plutôt, depuis dix ans, à se réduire. En revanche, nos dépenses sociales sont plus hautes qu'ailleurs, si l'on met à part le modèle scandinave, et elles sont en progression.

Est-il souhaitable de revenir sur notre modèle social ? Il faut considérer les choses dans le temps long. C'est d'ailleurs ce que fait la Commission européenne dans son Annual Ageing Report, où elle considère les évolutions à soixante ans. Tout risqué que soit l'exercice, il reste que la Commission y indique que les réformes des retraites en France ont été menées mais mettent du temps à porter leurs fruits. Sa dernière projection indique ainsi qu'à l'horizon 2060, le poids des retraites passera en France de 15 points de PIB à 12 points, tandis que l'Allemagne passera, sur la même période, de 10 points de PIB à plus de 12 points.

Ceci pour dire qu'une réforme des retraites ne modifie pas la donne en un an ou deux, et que s'il faudra sans doute ajuster, en fonction de la conjoncture, on ne saurait considérer que rien n'a été fait.

J'en viens au chômage structurel, dont j'observe que les grandes organisations internationales, et la Banque de France, l'évaluent systématiquement au même niveau que le chômage observé. Comme si nous étions toujours en chômage structurel. C'est un problème, car un tel verdict emporte avec lui une préconisation toujours identique : pour lutter contre le chômage structurel, il faut mener des réformes structurelles, et rien d'autre. Le chômage structurel évalué par la Banque de France en 1998 se situait à 10,5 %. En 2003, il se situait à 8,5 %. Comment expliquer une révision de deux points, alors qu'il n'y a pas eu de réforme structurelle, hormis les 35 heures ? Sauf à penser que les 35 heures auraient réduit le chômage structurel de deux points ? Dans un article publié avec Xavier Timbeau, nous estimons qu'il y a là un biais, et qu'une évaluation du chômage structurel aux alentours de 7 % n'est pas farfelue. Nous étions d'ailleurs à 6,8 % avant la crise économique, sans tension inflationniste. Je crois donc que nous ne sommes pas, aujourd'hui, en chômage structurel, ce qui ne veut pas dire, pour autant, qu'il ne faille pas engager de réformes structurelles. Si l'on veut arriver un jour à 5 %, c'est à dire au plein emploi, cela suppose bel et bien une baisse de deux points.

Quelle est la meilleure réforme structurelle ? Parmi les options, on trouve bien sûr la réduction du coût du travail, mais la meilleure réponse passe, à mon sens, par la formation. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les chefs d'entreprise. Interrogés par l'Insee sur ce que sont, pour eux, les freins à l'embauche, ils ne mentionnent ni le code du travail, ni le coût du travail, mais l'incertitude sur l'activité, au premier chef, et les compétences, au second. Des politiques mieux coordonnées en zone euro seraient de nature à lever une bonne part de l'incertitude. Quant à la question des compétences, même s'il ne faut pas confondre difficulté de recrutement et impossibilité de recrutement - la création d'emploi, comme l'attestent les chiffres qui viennent d'être publiés, est plus dynamique que jamais, et l'on sait que plus on crée d'emploi, plus il est difficile de trouver les compétences -, il n'en demeure pas moins vrai qu'elle reste un problème, qui tient à mon sens, pour bonne part, au fait que 150 000 jeunes sortent chaque année sans diplôme du système scolaire. Pour eux, quelle que soit la croissance, la probabilité d'être au chômage est extrêmement élevée. La meilleure politique, pour réduire le chômage structurel, est de prendre le mal à sa racine. Certaines études du Collège de France font froid dans le dos : on y lit que l'on sait déceler, à 80 %, à la fin du cours préparatoire, qui seront les futurs « décrocheurs ». Cela appelle une politique de la petite enfance beaucoup plus dynamique, qu'elle passe par un effort accru sur la dépense ou par une meilleure répartition. Il faudra du temps pour voir sortir les fruits d'une telle politique, mais elle est, à mon sens, indispensable.

Pour réduire le chômage structurel, il est une deuxième politique indispensable à mener, c'est celle du logement. Des études de l'OFCE ont mesuré l'impact du mal-logement sur la réussite scolaire, l'intégration sur le marché du travail, les maladies chroniques. Ne pas parvenir à éradiquer ce phénomène du mal-logement, dans un pays comme le nôtre, est un échec. Une politique du logement plus efficace aiderait à résoudre le problème d'appariement sur le marché du travail, qui tient au manque de mobilité de la main d'oeuvre, étroitement liée à la politique du logement.

Tels sont les éléments de réponse que je voulais vous apporter.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. - Merci de la précision de ces réponses et de la clarté de votre propos. Votre audition me conforte dans mon choix de vous nommer au Haut Conseil des finances publiques.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 30.

Mercredi 14 février 2018

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Nomination d'un rapporteur

M. Albéric de Montgolfier est nommé rapporteur sur le projet de loi n° 292 (2017-2018) ratifiant l'ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur.

Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive 2015-2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur - Audition

M. Vincent Éblé, président. - La commission des finances du Sénat est saisie du projet de loi de ratification de l'ordonnance du 9 août 2017 portant transposition de la directive du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (DSP 2). La première directive sur les services de paiement, adoptée en 2007, avait mis fin au monopole bancaire dans les services de paiement. L'essor des nouvelles technologies a depuis lors favorisé l'émergence de nouveaux acteurs, tant pour l'initiation de paiement que pour l'information sur les comptes, qui n'étaient pas couverts par le droit de l'Union européenne. La DSP 2 s'attache donc à actualiser le cadre applicable en la matière, en se limitant néanmoins aux seuls moyens et comptes de paiement. Les comptes d'épargne et de crédit ainsi que l'assurance n'entrent donc pas dans le champ du texte.

À la suite d'une habilitation votée par le Parlement dans la loi dite « Sapin 2 », le Gouvernement a procédé à la transposition de cette directive par ordonnance. La plupart des dispositions de la directive devraient entrer en vigueur le 13 janvier dernier. L'application de certains articles n'interviendra toutefois pas avant août 2019 car ils nécessitent la publication de normes techniques de réglementation par la Commission européenne.

Compte tenu de l'essor rapide de ces nouveaux services, des opportunités et questions qu'ils soulèvent, nous avons souhaité échanger avec les différents acteurs. Nous avons le plaisir de recevoir M. Jérôme Reboul, sous-directeur des banques et des financements d'intérêt général à la direction générale du Trésor ; M. Jean-Claude Huyssen, directeur des agréments, des autorisations et de la réglementation à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ; M. Joan Burkovic, fondateur de Bankin' et porte-parole du groupement des agrégateurs bancaires European AIS et Mme Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française.

Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat. Pour garder un caractère interactif à nos échanges, je vais donner la parole à nos intervenants pour de brèves interventions afin de laisser ensuite le débat s'installer.

Pour commencer, je donne la parole au représentant de la direction générale du Trésor, M. Jérôme Reboul, qui va revenir sur les principales évolutions prévues par la DSP 2 par rapport à la première directive de 2007 et préciser les options retenues dans l'ordonnance de transposition du 9 août 2017.

M. Jérôme Reboul. - Le Gouvernement a proposé à l'Assemblée nationale deux évolutions sur le texte de l'ordonnance. Il s'agit, d'une part, du cashback, et d'autre part, d'une entrée en vigueur anticipée de l'obligation de recourir aux interfaces dédiées, aussi appelées API (pour application programming interface) pour se connecter aux comptes de paiement.

La directive DSP 2 actualise la directive dite DSP, laquelle avait pour objectif de créer une nouvelle catégorie d'entités bénéficiant d'un régime de régulation allégé par rapport aux établissements de crédits. Ce texte actualise également la directive dite « monnaie électronique », négociée en 2009, qui répondait à la même logique : permettre l'entrée de nouveaux acteurs, bénéficiant d'une réglementation allégée par rapport au régime bancaire traditionnel, afin de stimuler la concurrence ; mieux servir les consommateurs et mieux les protéger.

La directive DSP2, en mettant à jour les problématiques de supervision de la régulation des prestataires de services de paiement, s'inscrit pleinement dans cette double logique de facilitation de la concurrence et de protection des consommateurs. À titre d'exemple, elle permet de mettre en place des mesures de proportionnalité pour les acteurs réalisant de petits volumes de transaction. Elle permet également de diminuer les seuils de franchise qui s'appliquent aux consommateurs subissant un préjudice.

Je souhaite insister sur trois aspects. Tout d'abord, cette directive traduit la reconnaissance par la réglementation européenne de nouveaux acteurs - les agrégateurs et les initiateurs de paiements. Ces acteurs se sont beaucoup développés ces dernières années, et la directive met en place un cadre de régulation complet, qui comprend un régime d'agrément.

Ensuite, elle instaure un régime de responsabilité. La directive reconnaît la légitimité du business model de ces nouveaux acteurs. La France souhaite transposer très rapidement ce texte, afin de pouvoir se positionner comme un des points d'entrée sur le territoire européen pour ces derniers. Nous souhaitons ainsi devenir un pôle de développement. D'ailleurs, nous sommes le premier pays d'Europe à avoir donné un agrément à un agrégateur. Enfin, elle vise à renforcer la protection des consommateurs et à lutter contre le risque d'asymétrie règlementaire : en effet, ces acteurs pourraient choisir d'être agréés dans un pays qui serait moins-disant en termes de sécurité. La directive DSP 2 offre à cet égard la possibilité de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures de sauvegarde. En particulier, elle permet à une autorité de supervision d'un pays, qui constaterait l'agissement d'un acteur en libre prestation de services dans des conditions non conformes aux dispositions de la directive, de se tourner vers l'autorité de supervision du pays où cet acteur a été agréé et lui demander de résoudre les difficultés qui résulteraient du comportement douteux de l'entité agréée. En outre, le superviseur peut prendre des mesures conservatoires temporaires, allant jusqu'à la suspension du service, si un acteur agréé dans un autre pays agissait dans des conditions qui ne seraient pas conformes à l'intérêt des consommateurs. On est donc bien en présence d'une logique de meilleure protection du consommateur européen contre un risque d'arbitrage réglementaire dont tireraient profit des acteurs ayant une reconnaissance européenne grâce au passeport européen.

Enfin, la directive DSP 2 élève les standards de sécurité pour les transactions. Est ainsi prévue une obligation d'une authentification forte pour les paiements en ligne. Vous avez sans doute déjà expérimenté cette technologie, utilisée par la plupart des banques et demandant d'indiquer un code reçu par SMS pour valider un paiement en ligne. Cela permet d'ajouter une sécurité supplémentaire, afin de se prémunir de la fraude. La directive DSP 2 va harmoniser ce niveau de protection et étendre le recours à cette technologie en définissant des standards techniques.

Cette directive apporte ainsi un équilibre entre une volonté de reconnaître de nouveaux acteurs, et en même temps un souhait de protéger les consommateurs contre les risques de fraudes ou de concurrence réglementaire. Aussi, les autorités françaises considèrent que cette directive constitue un pas dans la bonne direction. Nous avons d'ailleurs été le premier pays européen à avoir achevé sa transposition, illustrant le désir de la France d'être le pays d'accueil naturel de ces nouveaux acteurs.

Le Gouvernement a souhaité à l'occasion de l'examen de la loi de ratification présenter deux amendements. Le premier porte sur le cashback, soit la capacité pour un consommateur venant acheter un bien de pouvoir obtenir, au moment où il fait son achat, des espèces. C'est ainsi un nouveau mode de mise à disposition de l'argent liquide. Historiquement le cashback est interdit en France, par l'effet d'une disposition juridique assimilant ce procédé à un service de paiement, le réservant ainsi aux établissements de crédit. La directive prévoit expressément que le cashback n'est pas un service de paiement. On se retrouve dès lors dans une situation où les acteurs souhaitant développer ce type de service ont besoin d'un cadre réglementaire. Aussi, le Gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale un amendement permettant de reconnaître la possibilité aux commerçants de pratiquer le cashback, sous des réserves qui seront précisées par voie réglementaire. Il s'agit notamment de la mise en place d'un seuil, afin d'éviter qu'il puisse permettre des échanges d'espèces totalement disproportionnés par rapport aux transactions réelles intervenant en même temps que la mise à disposition de l'argent liquide. Dans la plupart de nos pays voisins, comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne, vous pouvez aller par exemple dans une station-service et obtenir un certain montant d'argent en liquide. Cela apporte un vrai service aux consommateurs, notamment dans un contexte d'évolution du réseau des établissements de crédits. Ainsi, à moyen terme, le nombre de distributeurs de billets, ou de points de contact avec une banque, va fortement diminuer. Nous souhaitons répondre à cette problématique dans des conditions sécurisées. La France prendra ainsi des mesures d'encadrement spécifiques.

La ratification du projet de directive est également l'occasion de proposer un amendement, visant à anticiper la mise en place de normes techniques réglementaires. La directive, en reconnaissant l'activité des agrégateurs et initiateurs de paiement, a prévu une obligation pour ces derniers d'utiliser des interfaces informatiques sécurisées. Aujourd'hui, ils fonctionnent essentiellement par le biais de la même interface que les consommateurs « classiques ». En réalité, ils doivent se faire passer pour vous vis-à-vis de votre banque, en utilisant vos identifiants et mots de passe bancaires. Afin de sécuriser la relation entre le consommateur, la banque et le tiers agrégateur, la directive prévoit une authentification obligatoire de l'agrégateur ou de l'initiateur de paiement. Elle prévoit également que l'accès au compte de paiement devra se faire à travers une interface plus sécurisée que l'interface client. Les agrégateurs et initiateurs de paiement devront ainsi avoir recours à la technologie dite de l'API. Il était initialement prévu que les dispositions de la directive relatives à l'accès au compte de paiement et celles sur la responsabilité des nouveaux acteurs entrent en vigueur en même temps que l'obligation d'accéder aux comptes dans des conditions informatiques sécurisées. Toutefois, la Commission européenne a pris beaucoup de retard dans l'élaboration de la norme technique réglementaire devant préciser le fonctionnement de ces API. Aussi, le texte de la directive prévoit une entrée en vigueur de ces dernières seulement à l'été 2019. C'est la raison pour laquelle la France a souhaité que les dispositifs relatifs à la sécurité entrent en vigueur le plus tôt possible. Il y a en effet un enjeu de sécurité majeur, rappelé par l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) en matière de sécurité des données. Aussi, le Gouvernement a souhaité anticiper la mise en oeuvre de ces normes réglementaires, dès lors que nous aurons la certitude que les interfaces dédiées seront opérationnelles. Cette disposition est parfaitement conforme au droit européen.

Enfin, il y a aujourd'hui des débats sur une extension possible du champ de la directive, pour permettre aux agrégateurs et initiateurs de paiement d'avoir accès à d'autres types de comptes. Le Gouvernement a choisi d'adopter une position prudente sur ce sujet. Nous pensons qu'une anticipation unilatérale par la France de telles dispositions poserait de vraies questions en termes de concurrence et de sécurité.

M. Vincent Éblé, président. - Je donne maintenant la parole à M. Jean-Claude Huyssen, représentant de l'ACPR, afin de présenter les nouvelles modalités d'agrément et d'enregistrement prévues par la directive, ainsi que les règles applicables aux services fournis hors des comptes de paiement, non couverts par la directive.

M. Jean-Claude Huyssen. - Pour l'ACPR, la directive DSP 2 complète la première directive dans trois domaines essentiels. Tout d'abord, elle renforce l'harmonisation de la réglementation. Ensuite, elle permet de définir de nouveaux services de paiement ainsi que de nouveaux types d'acteurs. Enfin, elle renforce la sécurité.

En ce qui concerne l'harmonisation, plusieurs mesures nous paraissent utiles et bienvenues. Ainsi, la nouvelle directive a une conception plus restrictive des règles d'exclusion et d'exemption. En effet, jusqu'à présent, grâce à ces exclusions, des acteurs pouvaient offrir des services de paiement tout en étant en dehors du champ de la directive. La directive DSP 2 apporte à cet égard des clarifications utiles de la notion d'agent commercial. En effet, les places de marché sont des acteurs très importants pour le commerce en ligne, par lesquelles transitent des sommes significatives. Désormais, ces places de marché seront intégrées dans le champ des dispositions de la directive.

Est également clarifiée la définition en matière d'exemption de la notion de réseaux limités, ce qui permettra de mettre fin à des interprétations divergentes entre pays. La directive permet ainsi de restreindre le champ de ces exceptions, en précisant par exemple, qu'il n'est plus possible d'obtenir plus d'une exemption par type de réseau limité. Au-delà, un agrément sera nécessaire. Il ne sera plus non plus possible d'acquérir un éventail illimité de biens et services au sein d'un réseau limité. Enfin, il y a eu une clarification des exemptions pour les opérateurs de télécommunication, mais cela a déjà été transposé par anticipation en France.

Un rôle important est confié à l'Autorité bancaire européenne (ABE), qui se voit confier de nouvelles responsabilités dans quatre domaines. Un registre européen va être mis en place : il permettra à tous les consommateurs européens de savoir quels prestataires ont obtenu une autorisation. Ce registre ne sera toutefois effectif qu'à la fin de l'année prochaine. D'ici là, l'ACPR publiera sur son site internet un registre regroupant non seulement les établissements et prestataires agréés en France, mais également tous ceux qui ont déclaré exercer en France par l'intermédiaire du passeport européen. Ainsi, le consommateur français sera informé des prestataires habilités à intervenir. Par ailleurs, l'Autorité bancaire européenne se voit confier une responsabilité nouvelle en matière de médiation, afin de régler les différends entre les autorités compétentes nationales, lors d'interprétations différentes.

La Banque centrale européenne (BCE) doit également prendre onze textes d'application. Cinq ont déjà été adoptés.

En ce qui concerne la mise en place de ces nouveaux services, il est important de souligner, du point de vue de la délivrance de l'agrément, que ces services ne conduisent jamais les intermédiaires à entrer en possession des fonds. C'est la raison pour laquelle la directive DSP 2 prévoit un cadre d'autorisation et de supervision proportionné aux risques que font courir ces acteurs au système financier. Ainsi, les initiateurs, qui peuvent intervenir directement sur les comptes pour initier des paiements, sont soumis à un régime d'agrément, correspondant à celui des établissements de paiement. Au contraire, les prestataires qui ne font que de l'agrégation sont soumis à un simple régime d'enregistrement. De même, les initiateurs de paiement doivent disposer d'un capital minimal de 50 000 euros tandis que les prestataires d'agrégation ne sont pas soumis à cette contrainte. Dans tous les cas, un renforcement de la sécurité est prévu, puisque l'ensemble de ces prestataires devront désormais disposer d'une assurance civile professionnelle, apportant une garantie équivalente et couvrant l'ensemble des territoires sur lesquels ils exercent leurs services. Le montant minimum de cette dernière est fixé par une orientation de la BCE, et a été transposé en France par un arrêté. Ce dernier précise d'ailleurs que ces services et prestataires bénéficieront du passeport européen.

La directive est entrée en vigueur le 13 janvier 2018. A ce jour l'ACPR a reçu une quinzaine de dossiers, et a délivré deux agréments.

Enfin, en ce qui concerne le renforcement de la sécurité, trois points me paraissent essentiels. Tout d'abord, l'authentification forte va être généralisée. En outre, de nouvelles règles de communication entre les prestataires de services de paiement (PSP) vont être mises en place, avec l'introduction des API. Enfin, des règles de partage des responsabilités entre les différents prestataires de services de paiements vont être instaurées, en cas de mauvaise exécution des services de paiements. Il y a donc bien une volonté de renforcer la protection du consommateur. Le prestataire de services de paiements gestionnaire du compte aura obligation de rembourser, à charge pour lui ensuite de se retourner vers l'autre prestataire qui n'a pas correctement exécuté le service de paiement.

M. Vincent Éblé, président. - Je cède maintenant la parole à M. Joan Burkovic, fondateur de Bankin', premier prestataire agréé par l'ACPR et porte-parole du groupement des agrégateurs bancaires européens European AIS, pour nous exposer les principaux enjeux soulevés par la mise en oeuvre des règles de la directive et la finalisation des normes techniques réglementaires.

M. Joan Burkovic. - J'interviendrai également au nom de France Fintech, dont je suis l'un des représentants. Je souhaite revenir rapidement sur la genèse de cette directive. Elle est venue d'Allemagne. En effet, les Allemands utilisent très peu la carte bancaire, et beaucoup plus les espèces. Dès lors, l'achat sur internet est compliqué. Une start-up allemande a ainsi développé un outil pour payer sur internet avec un ordre de virement et une synchronisation utilisant les mêmes identifiants bancaires. Cette innovation a bousculé le secteur bancaire, puisque cette start-up faisait des virements bancaires depuis l'interface de la banque. Les banques ont entrepris des actions en justice, et ce sujet est remonté jusqu'à la Commission européenne. Cette dernière, au lieu de l'interdire, a voulu promouvoir cette innovation, tout en garantissant parallèlement la sécurité de ce nouveau service.

En 2011, en France, Bankin' était l'une des rares entreprises à proposer une consultation des comptes bancaires à partir d'un smartphone. Or, aujourd'hui, un peu plus de cinq millions de Français utilisent un service d'information sur leurs comptes. Pour les particuliers, il s'agit principalement d'une interface de gestion de leur argent. Toutefois, il y a beaucoup d'autres usages, notamment lorsque des entreprises ont besoin de récupérer les informations bancaires de leurs clients. C'est le cas notamment des comptables. Grâce à nos logiciels, la donnée arrive en temps réel dans un logiciel comptable, sans risque d'erreur et de fraude. De même, c'est une demande récurrente des acteurs du crédit. Grâce à ce système, on peut synchroniser les comptes, la donnée arrive instantanément dans le système bancaire et l'évaluation de la capacité d'endettement se fait immédiatement, sans risque d'erreur ou de fraude. Cela permet de répondre rapidement à la demande de crédit, et d'ouvrir l'accès au crédit à des personnes qui jusque-là en étaient privées. Enfin, notre technologie permet de faciliter la lutte contre le blanchiment, la fraude et le financement du terrorisme, en allant vérifier les informations directement sur les comptes.

Face à cette situation, la Commission européenne a profité des négociations autour de la directive DSP 2 sur les services de paiement pour y inclure les services d'information sur les comptes, même s'il ne s'agit pas tout à fait du même périmètre. C'est la raison pour laquelle nous nous retrouvons dans une situation où la directive ne concerne que les comptes de paiement, alors que 80 % des comptes connectés par les services d'information ne sont pas des comptes de paiement. Il s'agit de comptes d'épargne et de crédits. C'est logique, car lorsque l'on gère son argent, on gère l'ensemble de ses finances, et grâce à l'interface bancaire on souhaite consulter à la fois son compte courant, mais aussi son livret A, son assurance-vie et son crédit. D'ailleurs, lorsque les acteurs du crédit veulent évaluer la situation financière d'une personne demandant un crédit, ils ne regardent pas seulement les comptes de paiement, mais aussi le taux d'endettement et l'épargne.

On a en France la chance d'avoir des pépites françaises, des acteurs qui se font d'ailleurs racheter par le secteur bancaire, ou qui sont même créés directement par des banques en interne.

Les premiers utilisateurs de cette technologie sont les banques. Puis, viennent les comptables, les acteurs du crédit, les conseillers financiers, les banques privées, les acteurs du paiement et les consommateurs. Notre société propose d'ailleurs à nos clients de les mettre en relation avec un fournisseur de services financiers, par exemple pour renégocier leurs crédits. Si notre utilisateur réalise cette opération avec le courtier, nous sommes alors rémunérés en tant qu'apporteur d'affaires.

L'un des sujets clés est l'ouverture des donnés des comptes d'épargne et de crédit. Il s'agit d'une transformation mondiale et inévitable. Le monde est en train de se digitaliser. La directive DSP 2, en négociation depuis sept ans, pourrait être l'occasion de montrer l'exemple au monde ; sauf que le monde entier se rend compte que la directive a oublié 80 % des comptes. D'ailleurs, dans son esprit, la directive DSP 2 ne se limite pas uniquement au paiement. En effet, le considérant n° 28 précise que la directive doit permettre à l'utilisateur d'avoir une vue d'ensemble sur sa situation financière.

Je souhaite revenir rapidement sur la question des normes techniques. Pour les opérateurs de la fintech, la sécurité est un enjeu essentiel : sans sécurité, il n'y a pas de confiance, et sans confiance pas d'utilisateur. La directive DSP 2 indique que deux technologies peuvent être utilisées : l'accès direct ou les interfaces dédiées (API). Les deux technologies sont donc officialisées. D'ailleurs, aujourd'hui, seul l'accès direct est utilisé, puisque les API n'existent pas encore. Il n'y a aucune preuve - et les experts se sont penchés sur cette question - que l'accès direct soit moins sécurisé que les API. Nous sommes pour le développement des API, car il s'agit de la manière la plus stable de communiquer entre serveurs, à la condition que ces interfaces présentent les mêmes performances en termes d'accès aux données bancaires que l'accès direct. Je précise également que les différences de technologies entre accès direct et API n'ont rien à voir avec les questions de stockage d'identifiants bancaires. D'ailleurs, la directive encadre les acteurs manipulant les identifiants bancaires. C'est une obligation : on ne pourrait pas se connecter au compte du client si l'on n'avait pas accès à ces informations. Le texte est très clair, nous devons être agréés. Les acteurs, parce qu'ils manipulent des données sensibles, doivent être contrôlés. Et, en parallèle, la sécurité est renforcée, en généralisant l'authentification forte. Les acteurs de la fintech ont proposé d'amender l'ordonnance, afin d'y inclure l'ensemble des comptes connectés qui ne sont pas des comptes de paiement. Aujourd'hui, il est illogique de ne pas les inclure dans les chaînes de responsabilités. Des acteurs non agréés pourront avoir accès à ces informations, et en cas de problème sur les comptes de crédits et d'épargne, il n'y a aucune garantie réglementaire. Ce ne sont pas les assurances qui couvriront ce risque, mais directement le citoyen. En refusant d'inclure ces comptes, on nie aujourd'hui une réalité. Nous proposons ainsi une authentification systématique. Aujourd'hui, des acteurs peuvent se connecter de manière anonyme, sans que l'on sache s'ils sont agréés ou non.

Nous sommes également surpris par l'amendement visant à aller plus vite sur l'instauration de l'interface dédiée, alors qu'au niveau européen, tout un système se met en place afin de contrôler que les API répondront aux mêmes performances que l'accès direct. D'ailleurs, ces interfaces devront être testées par les acteurs du marché pendant une durée de six mois et validées par un comité, afin d'éviter d'imposer des API qui ne permettraient plus aux acteurs du marché d'avoir accès aux données dans les mêmes conditions. Nous avons proposé aux acteurs bancaires de participer à l'évaluation des API. On nous a fermé la porte. Si le protocole des API doit nous être imposé, nous souhaitons participer à son élaboration.

M. Vincent Éblé, président. - Je donne la parole à Mme Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), afin de présenter comment les établissements bancaires se préparent à l'application des règles issues de la directive.

Mme Anne-Marie Barbat-Layani. - La directive DSP 2 porte sur le marché intérieur des paiements. L'objectif de la Commission européenne est de développer le marché intérieur des paiements, pas celui de l'épargne. Nous ne sommes donc pas dans le même domaine. Les raisons qui ont poussé la Commission européenne à proposer ce texte sont doubles. Cette directive ouvre le marché des paiements à un certain nombre de nouveaux acteurs, ce à quoi la profession bancaire n'est pas opposée. En outre, et c'est la raison pour laquelle nous sommes favorables à ce texte, dans le domaine des paiements, elle permet de renforcer la sécurité. Des activités s'étaient en effet développées en marge de la réglementation et utilisaient les identifiants et codes d'accès des clients pour accéder à leurs comptes. Or, cela ne correspondait pas à nos obligations contractuelles. Et, jusqu'à présent, ce problème de sécurité n'avait pas été traité.

Toutefois, les dispositifs de sécurisation rencontrent une certaine limite, venant du fait que les considérations de sécurité ont été introduites de manière tardive dans une directive centrée au départ sur la concurrence. Pour nous, une malfaçon évidente est le fait que les considérations de sécurité n'entreront en vigueur qu'à l'été 2019, alors que les autres dispositions de la directive sont déjà en vigueur. Nous sommes ainsi dans une situation ou la directive ouvre, sans que la banque ne puisse s'y opposer, l'accès à des tiers aux comptes de paiement des clients que nous sommes censés protéger. Mais nous n'avons aucune possibilité de vérifier la qualité des opérateurs qui interviennent. Aussi, nous saluons l'initiative du Gouvernement, qui consiste à permettre l'entrée en vigueur des interfaces sécurisées au plus tôt, dès qu'elles auront été développées. D'ailleurs, le secteur bancaire est seul responsable du développement des interfaces de sécurité qui permettront à des tiers d'accéder aux comptes de nos clients. Nous sommes ainsi en charge de développer ces infrastructures. Nous le faisons bien volontiers compte tenu des risques majeurs en termes de cybersécurité.

Il y a, en outre, à nos yeux, un enjeu de responsabilité, puisque les tiers de paiement interviennent sur le compte de nos clients. S'il y a un problème - une fraude, ou un piratage de leur système, entraînant une fraude sur les comptes de nos clients -, c'est la banque qui doit rembourser le client. Il lui revient ensuite de se retourner vers les opérateurs et de demander des remboursements pour les opérations frauduleuses ou erronées. Le texte a prévu des obligations d'agrément et d'assurance. Je signale que ces obligations d'assurance, par nature, ne pourront être vérifiées par le régulateur que pour les activités réglementées, c'est-à-dire celles portant sur les comptes de paiement. Bien évidemment, si on devait envisager toute extension du régime en vigueur pour les paiements à l'épargne ou au crédit, la question des assurances devrait être reposée, et il reviendrait aux opérateurs d'être agréés à nouveau pour de nouveaux types d'opération. Nous avons critiqué ce régime de responsabilité, car il nous met en risque de devoir payer pour le compte d'autrui, puis de devoir se retourner vers les opérateurs fautifs. De ce point de vue, il est plutôt sécurisant d'avoir un régime d'agrément. Nous nous interrogeons toutefois sur la façon de procéder, le cas échéant, si les opérateurs fautifs n'étaient pas établis en France et agréés dans un autre pays. Le dispositif est alors très compliqué.

En ce qui concerne les API, le secteur bancaire a demandé à une société, qui est gestionnaire d'infrastructures de paiement, de développer des spécifications techniques, pour que les banques puissent, sur ces bases, développer les interfaces sécurisées. Cette entreprise s'est tournée vers l'ensemble des opérateurs. Personne n'a ainsi été exclu des réflexions. La concertation sur les spécifications à mettre en place avance. La France est aujourd'hui dans une situation pionnière, puisque nous sommes la seule communauté bancaire à être quasiment en situation de développer les API. Nous espérons que ces interfaces pourront être mises en place d'ici la fin 2018. On pourrait ainsi gagner quelques mois en termes de sécurité par rapport aux dispositions de la directive, grâce à l'amendement gouvernemental.

Je souhaite, enfin, revenir sur l'extension du champ de la directive aux comptes d'épargne. Pour moi, il serait très étonnant que l'intégration des comptes d'épargne se fasse au stade de la transposition d'une directive portant clairement sur le marché intérieur des paiements. Si on souhaite intégrer ces comptes, le seul lieu de discussion possible pour le faire est le niveau européen. C'est d'ailleurs la position de la Commission européenne qui m'a confirmé récemment qu'effectivement le texte de la directive DSP2 portait sur les paiements et non sur les comptes d'épargne La situation de ces derniers est très complexe, puisque les activités dont il est question ne sont pas réglementées. En tant que représentants du secteur bancaire, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur des activités non réglementées. Enfin, je souhaite rapidement évoquer le risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Le dernier rapport de Tracfin est intéressant à cet égard car il rappelle que les nouveaux acteurs consacrés par la directive DSP 2 n'ont pas la même culture contre le risque de blanchiment que les établissements bancaires. Le rapport pose également un certain nombre de questions sur la supervision de ces nouveaux acteurs.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Sur le champ d'application de la directive, la proposition de la France est une transposition a minima, réservée aux seuls moyens de paiement. Il me semble que d'autres pays, comme le Royaume-Uni, sont allés plus loin et ont étendu en partie l'application de la directive aux comptes d'épargne. Aujourd'hui, la porosité entre l'épargne et le paiement est assez grande. Ce qui intéresse le consommateur, lorsqu'il consulte ses comptes sur son smartphone, c'est de pouvoir consulter ses comptes, effectuer des paiements, mais aussi recourir à son épargne, son assurance-vie.

Ma deuxième question porte sur la possibilité de retirer de l'argent liquide. Le seuil règlementaire retenu doit-il être celui du seuil applicable pour les paiements en espèces, à savoir 1 000 euros ? Est-ce plus élevé ? Moins élevé ? En France, cette possibilité a certes pour l'instant un intérêt limité en raison du réseau de distributeurs, mais dans l'avenir, elle pourrait être intéressante.

Enfin, en ce qui concerne l'agrément, nous avons vu dans d'autres secteurs, qu'un certain nombre de sociétés se sont installées dans d'autres pays européens, comme Chypre. Les critères d'agrément seront-ils les mêmes ? Vous nous avez indiqué que l'ACPR mettrait à disposition sur son site internet la liste des opérateurs agréés. Toutefois, je ne pense pas que tous les consommateurs aient le réflexe de vérifier sur le site de l'ACPR si le prestataire dispose d'un agrément. Nous avons la même problématique aujourd'hui avec certains investissements risqués : les fiches de synthèse sont disponibles sur le site de l'Autorité des marchés financiers (AMF), mais peu de personnes les consultent. Avez-vous prévu des moyens de lutte contre la propagation de sites non agréés ? Le Parlement avait été à l'origine d'une interdiction de publicité pour des produits de placements « exotiques » présentant un risque majeur. Avez-vous prévu des mesures de poursuite à l'égard de sites qui proposeraient demain des services de paiement sans agrément ?

Si demain un grand nombre de consommateurs ayant recours à un agrégateur de paiement et décidant de faire des transferts vers des comptes d'épargne, sont victimes d'une fraude massive, quelle est la responsabilité de chacun ? L'opérateur peut très rapidement se retrouver en difficulté, sa capitalisation ne lui permettant pas forcément de rembourser les consommateurs. On voit aujourd'hui des problèmes réguliers de fraude sur les GAFA.

En ce qui concerne l'épargne, j'ai compris que nous étions dans une zone grise, non prévue par la directive, mais qui n'est pas interdite. Que pensez-vous de la proposition de rendre obligatoire la souscription d'une assurance pour les services non régulés ?

Enfin, les banques se plaignent du coût des chèques. Elles ont tout intérêt à inciter le consommateur à utiliser les virements électroniques. Or, un frein aux virements lorsqu'ils sont initiés sur internet, est que l'on ne peut pas faire de paiement le samedi ou le dimanche. De même, pour que le virement arrive le lendemain sur le compte du créditeur, il faut que le débiteur fasse son virement avant midi. Si les banques n'évoluent pas, les consommateurs vont se tourner vers des modes alternatifs de paiement. Est-ce un problème de compensation ?

M. Jérôme Reboul. - Le seuil concernant le cashback n'a pas encore été fixé. Il ne sera en aucun cas analogue à celui du paiement maximal en espèce. La fixation du seuil doit permettre de réduire deux types de risque : le blanchiment et la fraude, parce que cela permet aux commerçants de manipuler des espèces qui n'ont pas de lien avec l'évolution de leurs stocks ; le risque lié à la qualité de la circulation fiduciaire. Concrètement, il faut éviter de mettre en circulation, par ce biais, des billets falsifiés. L'objectif est ainsi de fixer un seuil préservant un bon arbitrage entre l'intérêt de service pour le client et la prévention des risques. Le seuil doit être suffisamment bas pour écarter la remise de grosses coupures, qui sont les plus vulnérables au risque de fraude. Une concertation doit avoir lieu. A titre indicatif, le montant moyen de retrait dans les distributeurs automatiques est de 80 euros. Les Allemands autorisent le cashback jusqu'à 150 euros.

En ce qui concerne la sécurité, il y a deux questions distinctes. Y a-t-il une obligation de donner l'accès à des tiers pour les établissements teneurs de compte ? S'il y a une obligation d'accès, cela implique nécessairement de clarifier le régime de responsabilité et de prévoir une forme d'assurance. Les obligations d'assurance professionnelle vont en général avec l'existence d'un agrément. Or, actuellement, la France ne souhaite pas aller de manière trop rapide vers une extension de la procédure aux comptes d'épargne et de crédits, car les problèmes de sécurité se posent de manière assez différente. Les montants sont potentiellement beaucoup plus élevés. En outre, il s'agit d'un univers dans lequel les conséquences en termes concurrentiel sont beaucoup plus compliquées à appréhender. Pour les comptes de paiement, l'accès est une obligation imposée unilatéralement aux établissements de crédit. Étendre cette obligation à d'autres comptes ferait peser sur les banques une charge indue. On serait, en tous cas, manifestement dans une surtransposition de la directive. Le Gouvernement estime aujourd'hui ne pas disposer des éléments lui permettant de trancher. En outre, il est manifeste que ce sujet doit être traité au niveau européen.

Je n'ai pas l'impression que nos partenaires européens aient l'intention de se précipiter vers une ouverture plus large du champ de la directive. Ils ont la même réflexion que nous.

M. Jean-Claude Huyssen. - Nous nous assurons que les acteurs disposent d'une assurance telle que prévue par les textes. Ces derniers sont harmonisés au niveau européen, car il y a une orientation de la BCE. Nous vérifions que le montant de l'assurance contractée correspond bien au minimum prévu par les textes, qui doit permettre de couvrir à la fois le profil de risque de l'établissement, l'éventail de son activité et son type d'activité. Un certain nombre de critères sont ainsi pris en compte, en particulier le nombre d'incidents constatés par le passé ayant donné lieu à indemnisation, le nombre de comptes, ou encore si le prestataire a une activité hybride. Dans ce cas, le montant minimal de l'assurance est rehaussé de 50 000 euros. Cette assurance ne concerne que les comptes de paiement. Cela n'interdit pas les établissements de souscrire d'autres assurances.

Dans le cadre d'un marché unique, en cas de problème avec un acteur agréé, le principe de la responsabilité du pays d'origine s'applique. Dès lors que l'on est agréé, on peut exercer, dans n'importe quel autre pays de l'Union européenne. La directive DSP 2 intègre un dispositif de sécurité : si l'ACPR constate qu'il y a une grave atteinte aux intérêts des utilisateurs des services de paiement, elle pourra prendre des mesures conservatoires pour interrompre temporairement le service, sans préjudice des décisions prises dans le pays d'origine, par l'autorité compétente. Nous sommes confrontés dans de nombreux domaines à des fraudes ou à l'exercice illégal d'une activité. Nous en informons le procureur, après avoir écrit à l'acteur concerné en lui demandant, dans un délai très court, de s'expliquer sur cet exercice illégal. Nous publions sur notre site internet les arnaques les plus fréquentes. Ces dernières années, cela concernait notamment les options binaires et les services de change. Avec l'AMF, nous avons mis en place une liste noire qui est publiée. Elle s'est avérée être efficace. Voici les armes dont nous disposons.

Actuellement, nous sommes dans une période transitoire, car la directive vient d'entrer en vigueur le 13 janvier. Toutes les sociétés agrégatrices de paiement et de services qui font de la publicité sur internet ne sont donc pas encore agréées. Une quinzaine de dossiers a été déposée. Bankin' est la première société à avoir été agréée et à avoir levé toutes les conditions suspensives - par exemple la signature définitive du contrat d'assurance. Il y a aussi des acteurs qui existaient avant cette directive, et qui continuent de fonctionner alors qu'ils n'ont pas encore obtenu leur agrément.

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. - En ce qui concerne les freins au virement, il faut faire une distinction entre le virement instantané et le paiement instantané. Les virements instantanés vont être mis en place à partir de 2019, également dans le cadre du marché intérieur des paiements. Aujourd'hui, les virements se font à J+1, ils peuvent être initiés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Enfin, le paiement par carte bancaire permet déjà de faire des paiements instantanés.

M. Joan Burkovic. - Nous sommes favorables à généraliser l'assurance à tous les comptes, car comme je le disais, s'il n'y a pas de confiance, il n'y a pas d'utilisateur. Nous voulons éviter un scénario où un scandale financier aurait pour origine des acteurs qui se connectent aux comptes et se spécialisent sur l'épargne et le crédit sans agrément. Au final, ce serait tout le marché qui en pâtirait. Il faut obliger les acteurs, comme nous, à s'authentifier auprès de la banque. Il faut également obliger la banque à lire cette authentification afin que l'on puisse retracer la chaîne des responsabilités en cas de faille. Nous avons demandé à notre assurance de couvrir tous les comptes. Un des principaux enjeux en termes de sécurité et de traçabilité est de mettre en place une chaîne d'authentification.

Mme Nathalie Goulet. - Quelle garantie avons-nous sur la localisation de ces sociétés ? Nous sommes dans une dématérialisation complète. Ainsi, vont à nouveau apparaître des sociétés dans des lieux comme Jersey qui vont faire du profit sur des prestations en ligne. On risque de reconstituer ce que l'on cherche à démanteler par ailleurs.

En outre, la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a-t-elle été saisie ?

M. Claude Raynal. - Il me semble que la mise en place du cashback va à l'encontre de l'objectif général d'une diminution du recours aux espèces. Ne serait-il pas plus simple d'augmenter le plafond du paiement par carte sans contact ?

Pour ma part, je sortirai de cette réunion avec un certain nombre de craintes. Ma première interrogation porte sur la confidentialité. Je n'ai pas envie que tout le monde puisse aller voir mes comptes. Suis-je informé qu'une fintech a accès à mes comptes ? Est-ce que l'on me demande mon avis, ou bien est ce que le consommateur n'est pas au courant ?

Par ailleurs, les banques peuvent-elles limiter la transmission des informations aux seuls comptes courants ?

M. Éric Bocquet. - Le site de Bankin' indique que sa rémunération se fait par le partenaire suggéré au client. Pouvez-vous nous le confirmer ? En outre, votre site précise que vos serveurs sont implantés en Europe. Cela signifie en creux qu'ils pourraient ne pas l'être. Pouvez-vous nous indiquer dans quels pays ils se trouvent ?

M. Jérôme Bascher. - La mise en place du cashback pose une question de sécurité des personnes et des endroits où il pourra être recouru à ce système. En effet, aujourd'hui, on ne braque plus les banques, mais les bureaux de tabac, ou les stations-essence.

M. Bernard Lalande. - Je suis assez étonné par ce débat. On a l'impression que le secteur bancaire cherche à freiner les découvertes des fintechs en invoquant la sécurité. Or, en 2008, la sécurité n'a pas empêché une crise financière et la ruine d'un certain nombre de gens qui se sentaient pourtant en sécurité. Pourquoi le secteur bancaire ne développe-t-il pas de lui-même ces protocoles de sécurité ? La France est-elle en retard par rapport à l'Asie ou au continent américain ? Cette ouverture vers le monde est inéluctable, et on a l'impression que la direction générale du trésor est plus moderne que le secteur bancaire.

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. - Les banques sont modernes. Les applications bancaires sont troisièmes au classement des plus utilisées par les Français. Tous les services bancaires sont offerts sur internet. D'ailleurs, leur usage est souvent moins important que l'offre existante. Les utilisateurs ne recourent pas forcément au service internet, même si l'on constate une augmentation.

Historiquement, nous sommes en charge d'assurer la sécurité des données de nos clients. C'est le principe même du secret bancaire. On parlait moins de cybersécurité en 2008, car ce sujet ne faisait pas encore partie des principales priorités des banques et des régulateurs. Les cyberattaques se développent de plus en plus, et nos superviseurs en France, à Francfort ou au comité de Bâle, en sont conscients. Les banques réalisent des investissements très lourds à ce sujet. C'est la raison pour laquelle nous sommes précautionneux sur l'accès à nos infrastructures. La logique de la directive DSP 2 fait que l'on ne peut pas empêcher l'accès à nos infrastructures. Nous avons la charge de les développer et d'ajuster la sécurité.

Les banques ne peuvent pas fermer l'accès des tiers aux comptes pour deux raisons. D'une part, dans l'univers réglementé de la directive DSP 2, ce texte interdit de le faire. D'autre part, pour les comptes d'épargne et de crédit, cela relève de la responsabilité du client. Les tiers peuvent intervenir dans la partie non réglementée parce que le client leur a donné son identifiant et son code d'accès. Ces entités ne peuvent pas intervenir sur votre compte, si vous ne leur avez pas donné l'accès. Se pose en outre la question de la dissémination potentielle des données, notamment dans le secteur non régulé. Par exemple, où se situent les serveurs ?

Il y a une différence forte entre l'Europe, l'Asie et les États-Unis. Nous sommes dans des univers très différents en termes de fraude. Aux États-Unis, le taux de fraude est beaucoup plus élevé. La directive DSP 2 est unique en son genre. Elle n'existe pas aux États-Unis. Bien au contraire, nos homologues américains s'inquiètent de ce qui se passe en Europe. L'ancienne dirigeante de la Federal deposit insurance corporation a ainsi écrit un article dans le Financial times à ce sujet.

M. Joan Burkovic. - En ce qui concerne la protection des données, je tiens à indiquer qu'une démarche active de l'utilisateur est nécessaire. A un moment donné, ce dernier doit donner l'accès à ces comptes. Par ailleurs, nous sommes soumis à la loi sur la protection des données. La nouvelle réglementation européenne est particulièrement vigilante à notre égard.

À mon avis, c'est une erreur de vouloir fermer le marché. Je comprends que certains ne souhaitent pas ouvrir l'accès à leurs données. Mais à un moment donné, vous devez le faire, par exemple pour prendre un crédit. Aujourd'hui, c'est fait manuellement. La question qui se pose est de savoir si l'on souhaite créer un cadre et favoriser des acteurs européens pour devenir des champions du secteur, ou si l'on attend quelques années et on se rendra alors compte de notre erreur.

Nos serveurs sont en France, en Allemagne et en Irlande. Nous sommes rémunérés en tant qu'apporteur d'affaires. Nos utilisateurs en sont informés. En outre, nous proposons également d'acheter d'autres fonctionnalités, par exemple pour la gestion des comptes professionnels.

M. Jérôme Reboul. - Le besoin d'espèces dans l'économie ne diminue pas. On le constate dans les commandes de pièces. Les moyens de paiement mobiles se substituent aux chèques et il faut encourager ce mouvement. Mais, le besoin en espèces ne diminue pas pour les petits montants.

Nous n'imposons à aucun commerçant de devoir assurer une prestation de cashback. Mais cette mesure est intéressante pour les commerçants qui ont un fond de caisse important. Cela leur permettra de gérer de manière plus optimale celui-ci, souvent à la baisse.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires relatif aux prélèvements obligatoires sur le capital des ménages - Audition de M. Didier Migaud, président du Conseil des prélèvements obligatoires

M. Vincent Éblé, président. - Le Conseil des prélèvements obligatoires a rendu public à la fin du mois de janvier son rapport intitulé Les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages. Notre commission a travaillé sur le sujet à l'automne dernier, dans le cadre de l'examen de la loi de finances pour 2018, qui met en place un prélèvement forfaitaire unique (PFU) et supprime l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au profit d'un impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Ce rapport évalue la cohérence de notre système de prélèvements obligatoires sur le capital des ménages et formule des préconisations visant notamment à mieux prendre en compte l'accroissement des inégalités de patrimoine, l'allongement de la durée de vie et la nécessité d'orienter l'épargne des ménages vers les entreprises.

Je précise que notre réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.

M. Didier Migaud, président du Conseil des prélèvements obligatoires. - C'est avec grand plaisir que je me trouve à nouveau devant votre commission, cette fois-ci en ma qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), pour vous présenter nos travaux sur les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages, champ d'étude que nous avions déjà exploré en 2009. Il y a un an, je vous présentais les travaux du CPO sur l'impôt sur les sociétés. Nos propositions ont été pour partie entendues.

Je suis accompagné de M. Patrick Lefas, président de chambre maintenu à la Cour des comptes, de Mme Catherine Périn, conseiller maître à la Cour des comptes, secrétaire générale du CPO et de Mme Camille Herody, inspectrice des finances, rapporteure générale, responsables, avec M. Bastien Lignereux, maître des requêtes au Conseil d'État, de ce rapport. Les travaux sur lesquels il s'appuie ont été réalisés par une équipe de rapporteurs dont les contributions, sous la forme de cinq rapports particuliers, n'engagent pas le CPO, mais ont été mises en ligne sur son site internet.

Pourquoi revenir, huit ans après, sur les prélèvements sur le capital des ménages ? Avec un rendement de 80 milliards d'euros en 2016, les prélèvements - fiscaux et sociaux - sur le capital des ménages représentent 3,6 points de PIB, en hausse de 0,6 point en dix ans. De plus, le système d'imposition du capital des ménages a toujours manqué de cohérence au regard des objectifs qu'il poursuit. Même si le contexte de la loi de finances pour 2018 n'avait pas été anticipé lorsque le CPO s'était saisi de ce sujet il y a un an, les deux réformes d'ampleur sur la fiscalité du capital des ménages n'épuisent pas la réflexion : la suppression de l'ISF et la création de l'IFI, de même que l'instauration d'un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus mobiliers laissent place à d'autres évolutions possibles. Le CPO ne s'est pas senti autorisé à s'exprimer sur ce point, car le Parlement avait été saisi de ces réformes et les a votées.

Jusqu'à fin 2017, le système français d'imposition du capital des ménages était constitué de six prélèvements principaux, qui portaient tant sur la détention du patrimoine - taxe foncière et ISF -, sur la perception des revenus qu'il génère - impôt sur le revenu et prélèvements sociaux - ainsi que sur sa transmission - à titre gratuit avec les droits de successions et les donations ou à titre onéreux sur les cessions. Le produit des prélèvements sur le capital des ménages est passé entre 2006 et 2016 de 3 % à 3,6 % du PIB, soit de 55,7 milliards d'euros à 80 milliards d'euros, augmentant plus rapidement que le reste des prélèvements obligatoires. Leur part dans l'ensemble des prélèvements obligatoires est ainsi passée de 7 % à 8,1 % en dix ans.

Toutefois, la part des prélèvements sur le capital dans le PIB est restée relativement stable sur cette période, passant de 10,6 % à 10,8 % après une hausse marquée sur la décennie 1995-2006. Les hausses de la taxe foncière, des prélèvements sociaux et des droits de succession expliquent les quatre cinquièmes de cet accroissement. Désormais, près d'un quart des prélèvements sur le capital des ménages finance la Sécurité sociale, les trois quarts restants financent les dépenses de l'État à hauteur de 39 % et celles des collectivités territoriales à hauteur de 37 %. La part affectée aux collectivités territoriales a augmenté depuis dix ans, principalement sous l'effet de la hausse de la taxe foncière qui représente près d'un point de PIB à elle seule, et même 1,5 point avec la taxe foncière acquittée par les entreprises.

Les prélèvements sur les revenus du capital représentent 40 % du total - soit 32 milliards d'euros - contre 31 % pour la détention - soit 25 milliards d'euros et 29 % pour la transmission - soit 23 milliards d'euros. Entre 2006 et 2016, la part relative des prélèvements sur les revenus du capital a diminué de 43 % à 40 %, de même que celle portant sur la transmission de 32 % à 30 %, au profit de la part des prélèvements sur la détention qui a augmenté de 24 % à 30 %.

Environ 50 milliards d'euros portent sur l'assiette immobilière et les 30 milliards d'euros restants sont prélevés sur les actifs financiers. Les prélèvements immobiliers portent essentiellement sur le stock de patrimoine - taxe foncière et ISF. Le constat est inverse pour les prélèvements sur le capital mobilier des ménages, assis pour les deux tiers sur les revenus. La comparaison de l'imposition du capital des ménages en France et à l'étranger fait apparaître quelques singularités de notre système fiscal. Avec 10,8 % de PIB de prélèvements sur le capital des ménages et des entreprises, la France est l'un des États de l'Union européenne dans lesquels ces prélèvements sont les plus élevés. La moyenne européenne est de 8,4 % du PIB, et le niveau en Allemagne de 6,3 % du PIB. Pour les seuls ménages, la France reste dans le peloton de tête, tant pour les prélèvements sur le stock de capital que sur les revenus du patrimoine - comme les droits de succession et les donations ou la taxation des transactions immobilières.

La comparaison des dispositifs fiscaux fait apparaître des points communs et des spécificités. La France partage avec ses voisins certaines modalités de taxation du patrimoine comme des difficultés d'actualisation des bases foncières - c'est le cas en Allemagne - l'application de taux différents pour les transmissions en ligne directe et aux tiers, ainsi que des dispositifs favorables pour les transmissions d'entreprises.

Jusqu'à la fin de l'année 2017, la France se singularisait par l'imposition du patrimoine net global, qui n'est plus pratiquée que par un petit nombre de pays, et par la coexistence sur l'assiette de revenus mobiliers d'une imposition proportionnelle - les prélèvements sociaux - et d'une imposition progressive - avec l'impôt sur le revenu. L'imposition proportionnelle est généralement privilégiée dans les autres pays. La fiscalité française est également conçue pour orienter l'épargne des ménages plutôt que pour rechercher la neutralité fiscale, ce qui explique le caractère fragmenté du paysage fiscal, le nombre élevé des dispositifs dérogatoires et la place centrale conférée à l'assurance-vie et à l'épargne réglementée.

Vous aviez manifesté un intérêt particulier pour l'examen de la taxation des plus-values immobilières ; vous trouverez des développements plus approfondis dans le rapport particulier n° 4. Les recettes fiscales, bien qu'erratiques et sensibles aux évolutions normatives, se sont élevées à 993 millions d'euros en 2016, les prélèvements sociaux à 1,557 milliard d'euros. La plus-value immobilière est imposable, sauf s'il s'agit de la résidence principale d'un contribuable, après application d'un abattement par année de détention. L'exonération totale des plus-values immobilières de l'impôt sur le revenu est acquise à l'issue d'un délai de détention de 22 ans, contre 30 ans précédemment, et 15 ans sous le régime précédent. Une fois la plus-value imposable déterminée s'applique une taxation de 19 % au titre de l'impôt sur le revenu et de 15,5 % au titre des prélèvements sociaux. Une surtaxe était également appliquée aux plus-values supérieures à 50 000 euros pour la vente de logements. En 2015, le montant de la dépense fiscale liée à l'abattement pour durée de détention se serait élevé à 1,74 milliard d'euros, et celui de la dépense sociale à 1,85 milliard d'euros. Mais le coût de ces exonérations est peu documenté. L'application d'abattements pour durée de détention sur les plus-values immobilières est destinée à prendre en compte l'érosion monétaire, mais si la valeur du logement augmente moins vite que l'inflation, avec un appauvrissement relatif du propriétaire, la plus-value sera néanmoins taxée après abattement, sauf si la revente intervient après 30 ans. Si la valeur du logement augmente plus vite que l'inflation, mais que la revente intervient rapidement, l'application d'abattements à la plus-value ne suffit pas nécessairement à compenser l'érosion monétaire. Par ailleurs, l'application d'abattements pour durée de détention peut inciter les propriétaires à retarder la revente : le taux d'imposition de la plus-value diminue de 1,4 % par an entre la cinquième et la trentième année ; en fonction de la plus-value latente, le report d'une année de la vente peut entraîner une diminution significative de la fiscalité.

Si les prélèvements significatifs par leur rendement - taxe foncière, prélèvements sociaux - sont proportionnels, alors que le système de prélèvements sur le capital est globalement progressif, grâce à une imposition des revenus du capital au barème de l'impôt sur le revenu et jusqu'à la fin de l'année dernière à l'ISF, le diagnostic posé par le CPO met en lumière la prise en compte insuffisante des enjeux économiques et sociaux.

Le système de prélèvements sur le capital est complexe et sans logique explicite, car les objectifs qui lui sont assignés sont nombreux et parfois contradictoires. Ainsi, les mêmes éléments de patrimoine immobilier peuvent être valorisés différemment selon les impôts : la détention immobilière est imposée sur la base de deux assiettes différentes - valeur vénale des biens ou valeur locative, ce qui correspond au loyer théorique du logement - alors qu'elles n'ont pas été actualisées depuis 1970 pour les immeubles bâtis et 1960 pour le non bâti. Par ailleurs, la différence de traitement fiscal entre la location nue et la location meublée non professionnelle crée une distorsion : la possibilité d'amortir fiscalement le bien augmente la rentabilité d'un investissement locatif meublé, qui est en moyenne de 4 % contre 2 % pour la location nue.

Les objectifs assignés aux prélèvements sur le capital peuvent être regroupés en trois catégories : impact économique ; équité sociale, intergénérationnelle et géographique ; et rendement budgétaire. Ces objectifs varient selon le type de prélèvement - sur la détention, les revenus ou la transmission du patrimoine. De surcroît, la fiscalité française confère une place centrale à l'assurance-vie - qui atteint 1 600 milliards d'euros - et à l'épargne réglementée - 420 milliards d'euros -, et multiplie les dispositifs dérogatoires. Les multiples dépenses fiscales et sociales, qui vont à l'encontre d'un modèle d'imposition à assiette large et à taux bas, n'ont pas toutes démontré leur efficacité économique. Pourtant, leur coût est de plus de 21 milliards d'euros par an, soit le quart de leur rendement. Force est de constater que les avantages fiscaux en faveur des placements financiers peinent à orienter l'épargne des ménages vers le financement de l'économie. Ainsi, les encours des plans d'épargne en actions (PEA) ont diminué d'un tiers entre 2007 et 2016. Les flux d'investissements annuels dans les PME et entreprises innovantes sont de 1,9 milliard d'euros en 2017, pour un coût d'avantages fiscaux de 750 millions d'euros. Les dispositifs incitant à la détention longue - assurance-vie, PEA - sont conçus en fonction de l'âge des contrats et non de la durée de détention des actifs.

La fiscalité est plus favorable pour l'épargne non risquée que pour l'épargne risquée : les prélèvements sont nuls ou très faibles sur l'épargne réglementée, les prélèvements sont identiques en assurance-vie, que les supports soit en unité de compte ou en euros, alors que le risque pour l'assuré n'est pas du tout le même. L'investissement intermédié est favorisé au détriment de la détention directe des mêmes actifs : ainsi, la détention d'obligations sur une assurance-vie a un rendement après impôt trois fois supérieure à leur détention directe.

Les dispositifs fiscaux n'ont pas tous démontré leur efficacité économique. La fiscalité encourage les propriétaires occupants : les plus-values sur la résidence principale sont exonérées et celle-ci bénéficie d'un abattement de 30 % pour l'assiette de l'ISF. La part croissante des ménages propriétaires favorise la constitution d'une épargne forcée pour la préparation de la retraite et d'une rente immobilière, ce qui engendre une moindre mobilité résidentielle et expose les ménages aux risques du marché immobilier.

Des régimes dérogatoires d'investissement locatif créent des effets d'aubaine. Ces niches fiscales ont un coût de 1,84 milliard d'euros en 2016 et ont un effet inflationniste sur le marché immobilier. Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et autres frais, y compris à la charge du vendeur, étant de 14 % en France, ils renchérissent le coût des transactions de près de 5,8 % du prix de vente d'un bien et peuvent générer des phénomènes de rétention.

La taxation de la transmission du capital n'a pas suivi les évolutions sociales et démographiques. Les recettes des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) sont passées de 8,2 milliards d'euros en 2006 à 12,8 milliards d'euros en 2016, sous le double effet d'un plus grand nombre de décès et d'une hausse des montants transmis. Les DMTG sont concentrés sur une assiette réduite, à laquelle sont appliqués des taux élevés, tandis que la majorité de l'assiette taxable est exonérée. Le barème est en effet favorable aux transmissions en ligne directe : près de 90 % des transmissions entre parents et enfants sont totalement exonérées, tandis que les successions indirectes sont lourdement taxées. Le barème est peu progressif, d'autant que les dispositifs d'exonération fiscale tels que celui de l'assurance-vie profitent d'abord aux transmissions importantes. En 2009, le CPO concluait en faveur d'un système d'imposition du capital reposant sur des assiettes larges et des taux modérés et neutres entre actifs, tout en maintenant la progressivité d'ensemble. Ces orientations conservent toute leur pertinence.

Le rapport formule dix orientations, autour de quatre axes, pour adapter les prélèvements sur le capital. Ces orientations peuvent être mises en oeuvre à l'intérieur d'un cadre juridique constitutionnel, conventionnel et européen très contraint. Elles s'inscrivent dans le nouveau système d'imposition du capital fixé par la loi de finances pour 2018, marquée notamment par l'introduction du PFU à la place de l'imposition au barème des revenus du capital, et par la substitution de l'IFI à l'ISF.

Premier axe, il faut veiller à la prévisibilité des règles fiscales pour garantir l'efficacité et l'acceptabilité de l'imposition du patrimoine. La décennie écoulée a montré combien les prélèvements sur le capital étaient l'objet de fréquentes réformes. Certes, la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel encadre les modifications des règles fiscales non seulement à titre rétroactif, mais aussi pour l'avenir. Le CPO propose le recours aux clauses dites « de grand-père », soit l'application limitée des modifications tangibles aux opérations effectivement nouvelles, et leur mise en oeuvre avec une période de transition suffisante, ce qui permettra aux ménages de s'adapter.

Le deuxième axe serait d'améliorer la cohérence économique des prélèvements obligatoires sur le capital immobilier. Le CPO propose d'imposer les plus-values immobilières après prise en compte de l'érosion monétaire, au lieu de l'abattement pour durée de détention. Il propose d'unifier le régime fiscal des revenus immobiliers, que le logement soit loué meublé ou non : les charges exposées pourraient être déduites des loyers imposables et les déficits constatés pourraient être imputés sur l'ensemble des revenus du contribuable. On pourrait réviser l'assiette de la taxe foncière, soit en finalisant la révision des valeurs locatives cadastrales des locaux d'habitation comme prévu en 2013, soit en recourant à la valeur vénale. Cela suppose d'importantes mesures d'accompagnement. On pourrait également alléger les DMTO pour fluidifier le marché immobilier et favoriser la mobilité géographique, soit en différenciant les droits exigibles pour l'achat de la résidence principale, soit en introduisant une progressivité en fonction de la valeur du logement. Comme cela peut avoir des conséquences sur les recettes des collectivités territoriales, ces modifications devront prendre en compte l'exigence du maintien des ressources des collectivités territoriales, par une adaptation de la fiscalité locale.

Troisième axe de réforme possible, il faudrait favoriser une plus grande neutralité fiscale en supprimant le régime dérogatoire dont l'impact économique est contestable. Il s'agirait d'abaisser le plafond de l'épargne réglementée en la soumettant au prélèvement de droit commun. Il faudrait rapprocher le traitement fiscal des revenus de l'assurance-vie du droit commun, au-delà de ce que prévoit la loi de finances pour 2018 avec le PFU. Des mesures supplémentaires pourraient favoriser une plus grande neutralité fiscale, soit en appliquant pour l'avenir le PFU à l'ensemble des revenus perçus sur les nouveaux versements d'assurance-vie, soit en imposant les revenus de l'assurance-vie en fonction de l'ancienneté réelle des versements et non de la date d'ouverture du contrat.

Quatrième et dernier axe de réforme, le régime des transmissions pourrait être adapté aux évolutions de la société et aux enjeux d'équité, avec une large palette de modalités de mise en oeuvre. Il est proposé de renforcer l'attractivité des donations aux jeunes générations, soit en rehaussant l'imposition des successions, soit en allégeant l'imposition des donations par rapport aux successions. Afin d'atténuer la dynamique de concentration du capital, plusieurs pistes sont envisageables, telles que la réduction de l'avantage successoral de l'assurance-vie ou le relèvement des droits de succession en ligne directe. On pourrait aussi engager une réflexion sur le traitement fiscal des transmissions à l'enfant du conjoint, à droit civil constant, par voie de donation ou de testament, à des conditions fiscales plus favorables que les conditions actuelles.

Dans le prolongement des dispositions de la loi de finances pour 2018, il serait intéressant de poursuivre la réflexion sur les objectifs assignés à la fiscalité du patrimoine. La plupart des orientations proposées ne peuvent être bien sûr envisagées que sur le moyen et le long terme.

M. Vincent Éblé, président. - La concentration du patrimoine s'opère depuis longtemps. Vous soulignez que le système de prélèvements, bien que globalement progressif, doit être adapté pour « mieux contribuer à atténuer la concentration des patrimoines ». Or, la mise en place du PFU et le mitage de l'assiette de l'ISF, remplacé par l'IFI, vont encore diminuer la progressivité des prélèvements sur le capital -les chiffres que j'ai obtenus du Gouvernement sont explicites. Les bénéficiaires sont les très grandes fortunes ayant une part immobilière raisonnable, et non les « petits riches », qualifiés comme tels par la presse, dont l'essentiel du patrimoine est immobilier. Ne craignez-vous pas que ces réformes renforcent la dynamique de concentration des richesses ?

Vous proposez d'abaisser les plafonds de versement des livrets d'épargne réglementée. La suppression du régime fiscal dérogatoire de l'épargne logement par la loi de finances pour 2018 ne constitue-t-elle pas déjà une forme de réduction de l'ampleur de l'épargne réglementée ? Pensez-vous réellement qu'il soit nécessaire d'aller encore plus loin en ce domaine ?

Malgré sa fiscalité très favorable - zéro impôt sur les plus-values après cinq ans de détention du PEA -, le PEA ne jouit pas du même succès que l'assurance-vie en unités de compte : il n'a que 90 milliards d'euros d'encours, contre 300 milliards pour l'assurance-vie en unités de compte, alors que les deux produits présentent pourtant un risque similaire. Comment expliquer cette relative désaffection du PEA ? Votre piste sur l'assurance-vie serait-elle de nature à rééquilibrer les choses ? Certains veulent réorienter l'épargne vers l'économie réelle, mais peu de mesures ont été prises.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La fiscalité est-elle le meilleur moyen de réorienter l'épargne vers l'économie réelle ? N'est-ce pas plutôt la prise en compte du risque ? C'est paradoxal : l'épargne la moins taxée en France est la moins risquée. Ne faut-il pas encourager la prise de risque ? Vous proposez de réduire les plafonds de l'épargne réglementée en ce sens. De nombreuses analyses du CPO rejoignent celles de notre commission. Nous avions déposé des amendements au projet de loi de finances.

Vous rappelez le niveau de 50 milliards d'euros des prélèvements portant sur l'assiette immobilière, avant la réforme de la loi de finances pour 2018, qui rend l'analyse du CPO encore plus pertinente : le patrimoine immobilier ne sera pas soumis au PFU mais à l'IFI. Le Conseil propose d'unifier les régimes - location nue ou meublée - mais il faut aller plus loin : instaurons un PFU sur l'ensemble des revenus locatifs. En Île-de-France, il est difficile de trouver un logement malgré la présence de logements vacants : les propriétaires, lourdement imposés, se détournent de l'immobilier. Pourquoi ne pas simplifier les nombreux régimes - qui portent le nom de tel parlementaire ou ministre - pour instaurer un PFU ?

Vous avez souligné la forte croissance de la taxe foncière, qui risque d'être une solution de remplacement à la taxe d'habitation. Le CPO veut aller plus loin et supprimer les DMTO, en les fusionnant avec la taxe foncière. N'est-ce pas risqué de faire de la taxe foncière le seul impôt du bloc communal ? Les communes risquent d'augmenter encore plus les taux. Il y a d'autres substituts possibles à la taxe d'habitation.

Notre groupe de travail appelle également de ses voeux une révision des valeurs locatives. Soyons courageux.

M. Didier Migaud. - Le rapport constate effectivement, dans les dernières décennies, un double phénomène d'augmentation du patrimoine net des ménages et de concentration accrue : la part du dernier centile est passée de 16 % au milieu des années 1980 à 24 % au début des années 2010. Cette dynamique devrait se poursuivre.

Nous n'avons pas voulu traiter de l'ISF, du PFU et de l'IFI, à partir du moment où ils étaient en débat au Parlement. Dans quelques années, le CPO appréciera les conséquences de ces réformes.

Il est important de poursuivre la réflexion sur les quelques leviers qui pourraient atténuer la dynamique de concentration des patrimoines : on pourrait relever les DMTG en ligne directe, engager un réexamen systématique des différents régimes particuliers applicables en matière de droits de succession, notamment l'avantage successoral sur l'assurance-vie.

L'augmentation du plafond de l'épargne réglementée n'a pas répondu aux objectifs qui lui étaient assignés. De nombreux comptes atteignaient déjà les anciens plafonds. Nous invitons les pouvoirs publics à réfléchir à nouveau sur le bon niveau du plafond. Il nous apparaît utile qu'il puisse être abaissé, afin que ce qui serait supérieur au plafond puisse être imposé. Effectivement, la fiscalité apparaît beaucoup plus favorable sur l'épargne non risquée que sur l'épargne risquée, que ce soit pour l'épargne réglementée ou pour l'assurance-vie. Un certain nombre de nos propositions vont dans le sens d'une diminution des plafonds, sans que cela ne puisse avoir des conséquences sur la possibilité de construire des logements sociaux dans notre pays.

Comme cette épargne est insuffisamment orientée vers le financement de l'économie et des investissements plus risqués, nous proposons une fiscalité un peu moins favorable pour l'épargne réglementée et pour l'assurance-vie, afin de prendre davantage en considération le risque pour justifier d'un avantage fiscal plus important. Cela implique de faire des propositions, notamment sur l'assurance-vie, dans le prolongement de ce que vous avez déjà décidé lors de la dernière loi de finances initiale.

Nous n'avons pas travaillé sur l'IFI ni sur l'extension du PFU aux revenus de l'immobilier. Nous pourrons y revenir. Le prochain sujet de rapport du CPO, les taxes affectées, a été proposé par votre commission. Nous vous remettrons ce rapport en juillet, afin que vous puissiez en bénéficier avant l'examen du prochain projet de loi de finances.

La réforme de la taxe foncière et ses conséquences sur les collectivités territoriales font l'objet de débats au sein du CPO, dont certains membres ont des responsabilités locales. Les propositions que nous formulerons doivent être replacées dans le contexte de l'évolution des dotations en direction des collectivités territoriales. Nos propositions n'ont pas pour objectif de diminuer les ressources des collectivités territoriales, le montant de leurs ressources est un sujet qui doit être traité de manière distincte.

M. Patrick Lefas, président de chambre maintenu à la Cour des comptes. - Le transfert des DMTO sur la taxe foncière est l'une des trois options présentées par le CPO. On pourrait aussi différencier le niveau des droits exigibles pour l'achat de la résidence principale, ou bien introduire une progressivité des droits en fonction de la valeur du logement. On atteint les limites de la capacité du CPO, s'agissant d'options de politique fiscale. Les DMTO posent problème au regard de la mobilité et de la fluidité du marché du marché immobilier. Au regard des comparaisons avec nos voisins européens, il faudrait les alléger davantage. La contrepartie sera peut-être plus de mutations, et il faudra compenser en partie le manque à gagner par des prélèvements supplémentaires.

M. Didier Migaud. - La fiscalité est actuellement un frein à la mobilité géographique.

M. Patrick Lefas. - Nous n'avons pas étudié l'application d'un PFU aux revenus immobiliers et fonciers, car le CPO est un organe consultatif. Il examine, sur la base d'une situation, les effets économiques. Les choix faits en loi de finances auront un effet d'entraînement sur l'investissement.

Comme indiqué dans le rapport, la fiscalité applicable aux revenus d'assurance-vie pourrait être déterminée en fonction de l'ancienneté réelle des versements et non de la date d'ouverture du contrat. Cette mesure pourrait être étendue aux PEA, qui sont peu utilisés alors qu'ils financent l'économie.

Ayons en tête les chiffres relatifs à l'épargne logement par rapport au plafond d'épargne réglementée. Le patrimoine financier moyen des ménages s'élève à 55 300 euros, celui des 10 % les plus modestes à 400 euros. Le cumul des plafonds pour chacun des livrets d'épargne réglementée est largement supérieur à l'épargne de précaution. On pourrait alors réduire le plafond, ou appliquer le droit commun des prélèvements sociaux et fiscaux en cas de dépassement du plafond. Au-delà d'un certain montant, ce n'est plus de l'épargne de précaution !

M. Vincent Éblé, président. - Merci de cet éclairage.

M. Vincent Delahaye. - Dès 2014, j'ai travaillé sur le sujet des plus-values immobilières. Nous avions déposé en 2015 un amendement sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2016, mais il y a eu une question préalable pour le PLF 2017. Un amendement a de nouveau été adopté à mon initiative dans la loi de finances pour 2018, qui allait dans le sens de votre deuxième orientation. Je me félicite de cette convergence de vues.

Comment avez-vous calculé les dépenses fiscales liées aux abattements actuels, qui diffèrent entre l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux ? J'avais eu d'énormes difficultés à obtenir ces chiffres de la part de Bercy, et ils m'ont apparu totalement erronés : ce sont les notaires qui transmettaient, sur papier, les déclarations de plus-values, qui n'étaient pas ressaisies. Nous avons donc réalisé, avec les services de la commission, des estimations, sur la base d'un échantillon assez limité. Sur ce fondement, j'avais proposé un taux d'imposition de 15 %, autour de la moyenne européenne. Quel taux proposez-vous ? Il faudrait ne plus avoir ce système d'abattement qui provoque des comportements attentistes et plutôt anti-économiques. Un PFU à 30 % est très élevé. Un taux relativement bas favorise la mutation des biens : on aurait donc un produit identique voire supérieur. Quels chiffrage et taux proposez-vous ?

Repousser l'exonération des donations de dix à quinze ans est une erreur, qui défavorise les jeunes générations. Ne faudrait-il pas revenir à dix ans, voire à huit ans ?

M. Marc Laménie. - Le CPO nous éclaire sur un problème essentiel. Les dépenses fiscales atteignaient 21,5 milliards d'euros en 2016, pour plus de 226 dispositifs. Comment réduire leur nombre ?

L'épargne des ménages est très importante, avec des avantages fiscaux significatifs pour l'épargne réglementée. Elle constitue de l'argent qui dort, qui pourrait être investie dans l'activité économique et abonder les recettes fiscales pour l'État.

M. Thierry Carcenac. - Ce rapport très intéressant est à rapprocher de celui de 2010 sur la fiscalité locale. Vous relevez notamment que les prélèvements sur le capital des ménages sont affectés à hauteur de 37 % aux collectivités territoriales, au moyen des DMTO et de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Sur ce constat, vous étudiez l'orientation de l'épargne des ménages vers les entreprises, l'investissement en fonds propres et la réduction des inégalités patrimoniales, ainsi que les enjeux économiques et sociaux. Il faudrait aussi souligner que ces ressources financent les missions des collectivités territoriales ! Or vous suggérez de réviser l'assiette de la taxe foncière et d'alléger les DMTO. Compte tenu de la réforme à venir de la fiscalité locale, le transfert des DMTO vers la taxe foncière n'est-il pas contradictoire ?

L'orientation n° 9, qui évoque le relèvement des DMTG en ligne directe, va à l'encontre des mécanismes facilitant la transmission du patrimoine en ligne directe...

M. Pascal Savoldelli. - « Des enjeux économiques et sociaux insuffisamment pris en compte par le système de prélèvement », lit-on dans le rapport. Les inégalités sociales s'expliquent notamment par la croissance beaucoup plus rapide de la valeur du patrimoine des ménages que celle de leurs revenus : 71 % en quinze ans, contre 17 %. De 2000 à 2007, la valeur du patrimoine immobilier a doublé, grâce à un taux de croissance de 13 % par an. C'est un vrai sujet pour la fiscalité.

Vous préconisez de remplacer l'abattement forfaitaire pour durée de détention par la prise en compte de l'érosion monétaire : cela encouragerait la détention de biens à court terme, donc stimulerait la croissance de la valeur immobilière !

Nous avons tous ici le souci de l'entreprise. Or un grand nombre de nos entreprises ont un souci de fonds propres, de capacité d'investissement et de développement. Comment corriger cela ? Ne peut-on regarder de plus près le processus de redistribution de dividendes aux actionnaires ? L'actualité nous y invite : Carrefour envisage de supprimer 2 400 emplois à court et moyen termes, alors que le montant des dividendes distribués est supérieur au résultat net fiscal et comptable de l'entreprise...

Mme Sylvie Vermeillet. - Je rejoins Pascal Savoldelli : les bases et les taux n'ont pas évolué de la même façon, de sorte que, comme le rapport l'indique, le patrimoine non financier été multiplié par 2,3 entre 2000 et 2007 alors que le patrimoine financier a stagné sur cette même période. Vous nous avez présenté en introduction un graphique sur l'évolution des taux ; que donnerait-il une fois complété par l'évolution des bases ? Dans quelle mesure l'État et les collectivités territoriales, respectivement, en ont-ils bénéficié ?

M. Didier Migaud. - C'est volontairement que nous n'avons pas abordé les conséquences de nos orientations sur le financement des collectivités territoriales, non plus que l'impôt sur les sociétés ou la distribution des dividendes, car cela nous aurait emmenés trop loin. Ce sera au Parlement de relier les différents sujets entre eux.

Monsieur Delahaye, nos sources sont essentiellement les annexes « Évaluation des voies et moyens », dans lesquelles presque toutes les dépenses fiscales sont chiffrées. Nous n'avons pas approfondi la question de savoir quel était le taux le plus pertinent d'imposition des plus-values immobilières.

Monsieur Laménie, vous avez raison, l'évaluation des dépenses fiscales reste insuffisante, en sorte que l'efficacité et l'efficience de nombreux régimes dérogatoires n'apparaissent pas avec évidence. Nous proposons de les évaluer systématiquement. Nous essayons de le faire dans le cadre du rapport que nous vous remettons sur l'exécution du budget de l'État, et dans les notes d'exécution budgétaire qui lui sont jointes. Sur certains dispositifs, dont l'intérêt économique est douteux, le Parlement a des marges de manoeuvre.

Monsieur Carcenac, si certaines de nos orientations conduisent à modifier les produits affectés aux collectivités territoriales, il faudra en effet réfléchir à des mesures de compensation, mais à nouveau, il n'entrait pas dans le champ de ce rapport de préciser lesquelles.

M. Patrick Lefas. - Sur les inégalités sociales, le constat est très bien dressé, me semble-t-il, pages 55 et suivantes du rapport : la concentration du patrimoine a effectivement augmenté et le capital net des ménages est passé de 5,6 années de revenu disponible net en 2000 à 8,3 années. L'orientation n° 9 a pour objet de freiner cette dynamique. Différentes options sont possibles, parmi lesquelles une remise en cause de l'avantage successoral attaché à l'assurance-vie. Le problème de l'érosion monétaire est abordé page 98, où nous évoquons l'idée de remplacer, dans le calcul de l'abattement, la durée de détention par une logique économique. Cela harmoniserait le traitement fiscal des plus-values immobilières et des plus-values mobilières.

La redistribution des dividendes est un autre sujet, que nous avions abordé il y a un an lors de la discussion du rapport relatif à l'impôt sur les sociétés.

Mme Camille Hérody, inspectrice des finances. - L'orientation proposée sur l'imposition des plus-values immobilières se fonde sur la manière dont l'assiette est calculée. La jurisprudence du Conseil constitutionnel autorise à revenir sur le régime actuel d'abattement, dès lors que l'imposition reste proportionnelle plutôt qu'au barème.

S'agissant des DMTG et du délai de rappel des donations, nous nous sommes concentrés sur le niveau d'abattement et le barème applicable en ligne directe par cohérence avec l'objectif de faciliter les donations aux plus jeunes.

M. Julien Bargeton. - La délégation sénatoriale à la prospective travaille actuellement sur les rapports entre les générations. Il faut en effet réfléchir à adapter la fiscalité des donations à l'allongement de la durée de la vie. Nous héritons désormais à 50 ans en moyenne, soit huit ans plus tard qu'en 1980 : c'est un changement majeur. Vos orientations visent à encourager davantage les transferts intergénérationnels, mais prennent-elles en compte le coût de la dépendance - qui peut dissuader certaines familles de renoncer à leur patrimoine ?

M. Jean-Marc Gabouty. - L'épargne réglementée, dont vous préconisez d'abaisser le plafond, est aussi investie dans l'économie, notamment dans le logement social. Chef d'entreprise moi-même, je suis d'accord pour l'orienter davantage vers le risque, mais évitons d'encourager la spéculation.

Avez-vous évalué les répercussions des accords fiscaux bilatéraux - dont certains dispositifs dérogatoires sont très larges, voire excessifs - sur les prélèvements obligatoires pesant sur les ménages et, dans l'affirmative, sont-ils significatifs ?

Voyez-vous dans l'encouragement de l'actionnariat salarié un moyen d'encourager l'orientation de l'épargne vers les entreprises ?

M. Arnaud Bazin. - Les DMTO suivent un cycle assez distinct des autres cycles économiques. Ces dernières années, ces recettes des collectivités territoriales ont varié dans des proportions très importantes. Dans la perspective d'un transfert vers la taxe foncière, quelle serait la valeur de référence ?

Avez-vous estimé le pourcentage d'augmentation de taxe foncière que cela pourrait représenter pour le contribuable ? Il se dit que la taxe foncière pourrait être entièrement dirigée vers les communes, peut-être les intercommunalités ; en faire l'impôt d'équilibre des budgets municipaux aurait des effets inflationnistes évidents. Sans parler du fait que l'équilibre du budget communal serait assuré uniquement par les propriétaires fonciers, qui acquittent la taxe foncière annuellement, alors que les droits de mutation à titre onéreux sont payés par l'acheteur une seule fois au moment de l'achat.

L'efficacité même de cette mesure sur la mobilité des biens est douteuse. Je comprends l'intérêt de baisser les coûts d'acquisition pour les acquéreurs, mais la disparition des DMTO ne risque-t-elle pas d'être répercutée dans les prix de vente, comme c'est actuellement le cas pour des taux d'intérêt particulièrement faibles ?

M. Claude Raynal. - La lecture de ce rapport me donne un sentiment de déjà-vu. Ces questions sont en effet sur la table depuis un certain temps. Mais sait-on quel serait l'impact de ces propositions ? En l'absence de chiffrage, je reste un peu sur ma faim. Intellectuellement, je comprends le raisonnement, mais il manque une estimation des résultats concrets que produirait la réalisation de ces pistes d'amélioration.

M. Didier Migaud. - Ce rapport contient des orientations, pas des propositions, car celles-ci nécessiteraient des études d'impact et des évaluations. Les études d'impact elles-mêmes ne suffisent pas, car les comportements ne sont pas tous modélisables. D'où notre insistance sur les clauses de grand-père, sans impact sur les situations en cours. Il y va aussi du respect de nos principes constitutionnels, précisés par la jurisprudence - qui limite certes la capacité d'initiative du Gouvernement et du Parlement. Reste que vous pouvez toujours nous demander un chiffrage plus précis de telle orientation que vous auriez retenue. L'objectif de nos orientations et de parvenir aux objectifs que vous auriez fixés ! C'est alors aux travaux d'évaluation de le déterminer.

M. Vincent Éblé, président. - Des effets indirects apparaissent parfois, qui n'avaient pas été anticipés.

M. Didier Migaud. - Monsieur Bargeton, le coût de la dépendance n'a pas été analysé car ce n'était pas l'objet du rapport. C'est un sujet en soi, sur lequel travaillent d'autres chambres de la Cour des comptes. L'allongement de la durée de la vie retarde en effet l'âge moyen auquel on hérite, et pose le problème de la dépendance. Nous y reviendrons sans doute.

Monsieur Gabouty, il faut en effet trouver un équilibre sur l'épargne réglementée. Le niveau de collecte du livret A suffit à répondre aux besoins de financement du logement social. La part des montants collectés et centralisé par la Caisse des dépôts et consignations a tendance à diminuer. La Caisse elle-même estime d'ailleurs qu'elle n'a pas besoin de la totalité de ces sommes. Une part pourrait financer autre chose que le logement social.

La France est liée par environ 120 conventions fiscales. Le but est généralement d'éviter la double imposition ou l'évasion fiscale. Certains de ces dispositifs ont été renforcés ces dernières années. Nous n'avons pas d'évaluation chiffrée de leur impact.

M. Patrick Lefas. - À la différence du rapport sur l'impôt sur les sociétés, six impôts principaux sont abordés dans le présent rapport. Certains affichent des mouvements de balancier très forts, et la modélisation des comportements auxquels leur modification donnerait lieu n'est pas toujours possible. Pour cette raison, et parce que nous ne proposons que des orientations, le chiffrage n'est pas possible. Mais la récapitulation figurant aux pages 137 et suivantes donne un éclairage utile. Tout ce qui était chiffrable a été chiffré.

S'agissant du délai d'héritage, nous regardons les différentes hypothèses : une hausse de l'imposition des successions, ou une diminution de l'imposition des donations. Les enjeux de société sont importants. Nous soulignons simplement la nécessité de renforcer l'attractivité des donations aux jeunes générations par rapport aux successions.

Sur la dépendance et l'épargne retraite, je me permets de vous renvoyer au rapport particulier n° 4. L'encours d'épargne retraite est très faible, près de 200 milliards d'euros - abondé par 13 milliards d'euros de cotisations en 2015 -, contre 1 600 milliards environ pour l'assurance-vie, qui fonctionne comme le livret A et dont l'avantage successoral est très important. Les assureurs ont pris conscience de la nécessité d'évoluer, et réfléchissent au financement de l'épargne retraite, à la place restant pour un troisième pilier, aux comparaisons internationales. C'est un vrai sujet pour la sécurité sociale et pour l'épargne des Français. Mais il était hors de notre perspective, nous ne l'avons donc pas traité.

Mme Camille Hérody. - Les pages 77 et suivantes du rapport rappellent les modalités d'imposition des résidents français à l'étranger et des résidents étrangers détenant des biens en France. Le rendement de ces différentes catégories est précisé dans le rapport particulier n° 1.

M. Patrick Lefas. - Monsieur Bazin, nous insistons en effet sur la révision des bases cadastrales. Notre orientation s'appuie sur le cadre de l'expérimentation instaurée par la loi de finances rectificative de 2013. C'est un long cheminement. Le problème, c'est que les DMTO ne facilitent pas la gestion pluriannuelle des finances locales et ont des effets nocifs sur les transactions en poussant les prix de l'immobilier à la hausse. Il faudrait étudier plus précisément les conséquences des différentes options. Je me permets de vous renvoyer sur ce point au rapport d'il y a une petite dizaine d'années, mais nous sommes preneurs de toute commande plus précise sur ces aspects.

M. Didier Migaud. - Nous n'excluons pas de travailler à nouveau sur la fiscalité locale, car le sujet sera de plus en plus d'actualité. Nous nous rapprocherons alors de vous.

M. Vincent Éblé, président. - Nous avons nous-mêmes créé un groupe de travail sur ces questions. La réforme de la taxe d'habitation est au milieu du gué, mais devrait être prolongée. Les travaux du CPO sont essentiels pour éclairer la décision politique - à condition sans doute de respecter une certaine distance à l'égard des réformes en cours. Rendus suffisamment en amont, vos travaux nous seront toujours très précieux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 45.