Jeudi 18 janvier 2018

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Politique commerciale - Mandats de négociation en vue d'un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie : proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Pascal Allizard et Didier Marie

M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle la communication de Pascal Allizard et Didier Marie sur les mandats de négociation en vue d'un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie.

Nous avons mis en place un groupe de suivi conjoint avec la commission des affaires économiques et la commission des affaires étrangères sur les négociations commerciales. Ce groupe est appelé à mener un travail de fond dans la durée. Il pourra ainsi nous tenir informés sur l'état des négociations concernant les principaux projets d'accords commerciaux négociés par l'Union. Il veillera aussi aux conditions de mise en oeuvre d'accords déjà conclus.

Parallèlement, il nous revient d'être très vigilants sur les mandats que le Conseil est appelé à donner à la Commission européenne pour la négociation de nouveaux accords, en l'espèce avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie.

C'est ainsi que nous pouvons répondre à la double exigence pour le Sénat de faire valoir son point de vue le plus en amont possible et d'exercer ensuite une vigilance constante tout au long des négociations commerciales. Lundi matin nous avons vu à Bruxelles la Commissaire Malmström, qui nous a indiqué que la Commission était déterminée, vu le recul actuel du multilatéralisme, à conclure des accords bilatéraux. Elle considère d'ailleurs que celle-ci n'a pas à fixer les termes de ces accords avant que les Parlements nationaux n'aient élaboré le cahier des charges de chaque négociation. Aussi nous revient-il d'en débattre en amont, à la fois sur le plan technique, parfois complexe, et en veillant à la bonne information de nos concitoyens, et notamment de nos agriculteurs, à qui nous devons bien faire comprendre que l'agriculture n'est en aucun cas une variable d'ajustement. Avec Sophie Primas et Christian Cambon, j'ai demandé à ce que le Sénat débatte de ce sujet en séance publique ; sous réserve de la confirmation en conférence des présidents, ce débat pourrait se tenir le 21 février prochain. Je propose que notre commission demande à exercer les compétences attribuées aux commissions saisies pour avis.

M. Pascal Allizard. - L'année 2017 a été dense en matière de politique commercial en raison du nombre d'accords de libre-échange finalisés, de l'amélioration des capacités de défense commerciale de l'Union comme de la nouvelle démarche de transparence engagée par la Commission.

Le 21 septembre, l'Accord Économique et Commercial Global (AECG/CETA) avec le Canada est entré en vigueur à titre provisoire. Fin 2017, les accords de libre-échange (ALE) avec le Japon et le Mercosur et la modernisation de l'accord avec le Mexique étaient en voie de conclusion rapide. Dans quelques semaines, sous réserve de l'adoption par le Conseil des deux recommandations de la Commission autorisant l'ouverture des négociations, un double exercice s'ouvrira avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce sont les mandats de négociation annexés à ces projets de décisions qui font l'objet de notre proposition de résolution européenne (PPRE). A contrario, il faut dresser l'acte de décès du Partenariat Transatlantique pour le Commerce et l'Investissement (PTCI/TTIP) ; celui-ci était déjà bien fragile, mais le retrait des États-Unis de l'accord de Paris sur le climat lui aura donné le coup de grâce.

En second lieu, la dernière présidence de l'Union européenne est parvenue à dégager un consensus sur la défense commerciale sous deux aspects. D'abord, une nouvelle méthode de calcul a été adoptée pour les cas de dumping de la part de certains pays où l'État joue un rôle massif dans l'économie - en clair, mais pas seulement, la Chine. Ensuite, L'Union a modernisé ses instruments de défense commerciale, ce qui était un exercice proche du précédent mais où la principale avancée a été un aménagement important de la règle du « droit moindre ».

Dans leur résolution européenne de janvier 2017, nos collègues Philippe Bonnecarrère et Daniel Raoul avaient attiré l'attention du Sénat sur ces deux sujets. Le premier était le fait que la Chine voulait se voir reconnaître le statut d'économie de marché - elle ne l'aura pas obtenu, puisque la distinction entre économie de marché et non-économie de marché disparaît pour la nouvelle méthode de calcul. Le second était la nécessité de remettre à plat la règle du droit moindre en cas de dumping, car cette règle était inéquitable et peu efficace.

Enfin, la Commission européenne s'est engagée à davantage de transparence dans sa politique commerciale. Dans son discours sur l'état de l'Union en septembre, M. Juncker a décidé que la Commission publierait systématiquement les projets de mandats de négociation, avant leur lancement, qui étaient jusqu'à présent confidentiels à ce stade du processus. A également été mis en place un groupe consultatif sur les accords commerciaux, destiné à établir un dialogue avec les représentants des secteurs économiques, les syndicats, les ONG et les organisations de consommateurs. Ce groupe, composé de 28 représentants, se réunira une première fois au mois de février 2018.

Il faut se féliciter de cette prise de conscience, par la Commission, du malaise engendré par le secret qui présidait jusqu'à présent aux négociations qu'elle conduit. Ce malaise a généré désinformation et suspicion qui, conjuguant leurs effets, ont fini par inquiéter légitimement l'opinion.

Deux documents ont aussi contribué à placer la politique commerciale de l'Union européenne en bonne place dans l'agenda de 2017.

D'abord, l'avis de la Cour de Justice rendu le 16 mai dernier, en réponse à une demande de la Commission, sur le caractère mixte ou non de l'ALE conclu avec Singapour en 2013. Cet avis était très attendu car il établit clairement la ligne de partage entre ce qui relève de la compétence exclusive de la Commission ou ce qui ressort des compétences partagées. En somme, l'enjeu n'est rien moins que la possibilité ou non pour les parlements nationaux de se prononcer sur les accords de libre-échange. Pour résumer, tout dans un ALE relève de la compétence exclusive de la Commission, sauf, pour l'essentiel, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États.

Le deuxième document fut le plan d'action sur le CETA publié par le Gouvernement à la suite du rapport de la commission indépendante, dite commission « Schubert » du nom de sa présidente. Ce rapport n'abordait qu'une thématique, mais importante : l'impact du CETA sur l'environnement, le climat et la santé. Prenant acte des faiblesses du CETA en la matière, identifiées par le rapport, le plan d'action préconise, pour les accords futurs, de donner force exécutoire aux dispositions concernant le développement durable. Cela consisterait à intégrer dans l'accord un système de règlement des différends interétatiques pour sécuriser juridiquement l'efficacité des dispositions concernées.

Tel est le contexte dans lequel s'annonce la négociation de ces deux accords de libre-échange avec l'Australie et avec la Nouvelle-Zélande. Didier Marie précisera les enjeux de ces projets, au stade de la proposition de mandat de négociation, proposition qui émane de la Commission mais qui doit être validée par le Conseil dans les prochaines semaines.

M. Didier Marie. - Le calendrier s'accélère, puisque le Conseil doit se prononcer le 26 février sur ces deux propositions. Pour la première fois en effet nous sommes, en tant que Parlement national, en situation de connaître et d'évaluer des mandats de négociations avant le début de celles-ci. Leurs contenus ne sont pas très différents de celui du CETA ou d'autres ALE de nouvelle génération conclus récemment. Pour autant, une innovation d'importance est à souligner. Si ces propositions de mandat sont adoptées en l'état par le Conseil, nous serons en présence de deux accords de compétence exclusive de la Commission. En conséquence, après conclusion de l'accord et l'aval du Conseil et du Parlement européen, les parlements nationaux ne seraient pas concernés par leur approbation. C'est également d'ailleurs le cas de l'ALE avec le Japon qui a été finalisé à la fin de l'année dernière. De même le Conseil ne devra plus se prononcer sur l'accord final à l'unanimité mais à la majorité qualifiée.

Comme le disait Pascal Allizard, c'est la conséquence de l'avis de la Cour de Justice, qui a clarifié les domaines de compétence exclusive et de compétence partagée. L'accord ne comportera donc pas de mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, ce mécanisme relevant des compétences partagées. Il est paradoxal qu'un accord traite des investissements directs étrangers sans qu'un mécanisme de règlement des différends l'accompagne. Dans l'attente, qui peut durer, de la mise en place d'un tribunal multilatéral chargé du règlement des différends en matière d'investissements, il est important de prévoir un tel système à titre bilatéral, à l'instar de ce qui figure dans l'accord économique et commercial global avec le Canada. Ce dispositif améliore déjà sensiblement le précédent Règlement des Différends Investisseur/Etat (RDIE/ISDS), notamment en renforçant le droit des États à réguler, en prévoyant un mécanisme d'appel et en définissant et publiant, au préalable, une liste de juges professionnels. C'est l'un des points abordés par notre proposition.

Outre ce point, essentiel, notre proposition aborde plusieurs sujets.

La question de la viande ovine et surtout bovine ainsi que, en l'espèce, celle des sucres spéciaux sont, de façon récurrente, un sujet de préoccupation pour les filières françaises concernées. Le résumé de l'étude d'impact est éloquent. L'étude elle-même - exclusivement en anglais, ce qui pose un problème de transparence - l'évoque plus en détail. Les secteurs de la viande bovine, ovine et des sucres spéciaux seront ceux où la hausse des importations australiennes sera la plus élevée : les exportations australiennes de viandes bovine et ovine seraient multipliées par cinq. Pour la Nouvelle-Zélande, outre les viandes, les produits laitiers, les fruits et légumes sont concernés, mais dans une moindre proportion. Notre proposition souligne cette préoccupation.

Comme l'a rappelé Pascal Allizard, les leçons tirées du CETA ont beaucoup porté sur les sujets environnementaux, insuffisamment traités dans les ALE précédents. Les deux mandats de négociation abordent le sujet, sans aller toutefois jusqu'à évoquer une procédure contraignante. Notre proposition propose d'avancer sur le sujet, en cohérence avec les conclusions de la Commission Schubert et du plan d'action CETA.

C'est aussi dans cette perspective que nous invitons l'Australie et la Nouvelle Zélande à ratifier des conventions majeures de l'OIT même si, dans les faits, les législations sociales de ces pays en assurent le respect.

Enfin, nous avons cru important d'aborder, dans cette proposition, trois sujets qui dépassent les deux mandats de négociation mais qui doivent guider, à notre avis, la politique commerciale de l'Union européenne et ses conséquences.

D'abord, la transparence à l'égard de tous les acteurs concernés, au premier rang desquels les parlements nationaux, a fortiori si la nouvelle architecture des accords de libre-échange ne prévoit plus nécessairement leur approbation finale. En second lieu, le suivi des accords passés. Négocier et conclure sont une chose. Superviser leur mise en oeuvre et en communiquer l'évaluation aux parlements en est une autre, qui a été jusqu'à présent trop négligée. Enfin la gestion des impacts négatifs de ces accords. Il y a certes de nombreux secteurs économiques français, européens, dont les intérêts offensifs sont valorisés. Il reste qu'il y a des perdants parmi des secteurs déjà fragilisés. À l'échelle européenne, le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation a pour vocation de réguler les effets négatifs de l'ouverture commerciale. Il doit être adapté aux nouveaux enjeux, dans ses ressources comme dans ses règles de fonctionnement.

M. Jean Bizet, président. - Merci. Ces sujets montrent bien l'importance de notre commission. Tous les élus ne se sont pas penchés dessus, mais dès que la presse s'en empare, tout s'enflamme ! D'où l'intérêt d'un travail sérieux en amont. Les ministres successifs du commerce extérieur ont toujours eu à coeur de nous tenir informés. Face à la vague protectionniste, au repli américain, à l'essoufflement du multilatéralisme, l'Europe a tout intérêt à prendre l'initiative. Si la filière laitière s'en sort plutôt bien, la filière viande rouge se trouve fragilisée - mais c'est surtout parce qu'elle ne se réforme pas.

M. Simon Sutour. - Il est important que le Parlement se saisisse de ces questions. Je me rappelle que nous avions commencé à le faire en débattant du mandat de négociation pour le TTIP. Nous avions demandé de la transparence, relayant en cela une exigence des associations. Cette proposition est excellente, mais je souhaiterais que nous manifestions davantage d'enthousiasme face à ces accords commerciaux, que nous avons trop tendance à aborder sur la défensive. Après tout, les chiffres de nos échanges économiques avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie ne sont pas si impressionnants. Et pour conclure un accord avec un autre pays, il faut bien accepter d'ouvrir notre marché ! En principe, cela bénéficie à tous.

Vous rappelez que l'Australie et la Nouvelle-Zélande partagent nos valeurs et promeuvent, comme nous, une approche multilatérale des relations internationales. Cet aspect géopolitique est fondamental. Notre monde compte désormais sept milliards d'habitants ! Et tout ne se décide pas à Paris. Nous ne devons pas nous isoler. J'ai appris hier que les sanctions personnelles décidées contre la Russie, dont certaines sont très excessives, n'ont guère d'impact, mais que les sanctions commerciales poussent les Russes à réformer leur agriculture et à mettre en place des circuits commerciaux dont nous serons exclus. Il y a dans le monde des pays dont nous sommes proches. C'est le cas de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, comme aussi des pays d'Amérique latine. Certes, notre filière viande rouge connaît des difficultés, mais elles ne sont pas dues au commerce international ! La filière viticole se porte à merveille, par exemple, parce qu'elle a su se réformer, ce qui lui a permis de profiter pleinement de la reprise économique. Souvent, les difficultés dues à l'absence de réforme structurelles sont imputées à Bruxelles, ou aux échanges commerciaux.

Bref, faisons preuve de courage politique et manifestons davantage d'enthousiasme pour ces négociations - car le repli à l'intérieur de nos frontières n'est certainement pas une option.

M. Benoît Huré. - Je salue cette initiative, tout en restant modeste - ce qui n'empêche pas notre assemblée d'étudier en amont les projets d'accords commerciaux. Nous avions évoqué récemment le risque du nationalisme et de la défiance des opinions publiques dans la perspective des élections européennes. Les parlements nationaux ont un rôle pour y faire face. Hier, le Président du Sénat annonçait des initiatives avec les parlements d'autres États-membres. Il faudra trouver la bonne articulation avec l'action du Parlement européen.

Certes, le monde est devenu un village. Pas question d'emboîter le pas aux États-Unis en se repliant sur nous-mêmes ! D'ailleurs, la plupart de nos filières économiques n'ont rien à craindre de l'ouverture internationale, pourvu que nous veillions à ce que nos normes environnementales et sociales soient respectées. Les préoccupations qu'elles expriment sont un enjeu de premier ordre à l'échelle mondiale. Et la COP 21 ne suffira pas.

Mme Gisèle Jourda. - C'est vrai qu'il ne faut pas être frileux ou craintif. Mais nous voyons bien que la question des produits agricoles sensibles sera le noeud gordien. Pour le sucre, je me rappelle que les sucriers-betteraviers de chez nous nous avaient longuement expliqué que certains accords étaient parfaits : ils l'étaient pour eux ! Mais ils ont beaucoup nui à la filière sucrière d'outre-mer, alors même que l'Union européenne y avait beaucoup investi. Comme notre collègue député européen Éric Andrieu, j'appelle à la plus grande vigilance. Nous pénétrons peu le marché australien. Soyons positifs, oui, mais en gardant les yeux ouverts.

M. Michel Raison. - En politique, il y a le temps des élections et le temps de l'action. De même, en économie, il y a le temps des négociations et celui de l'adaptation. Dès 2014, j'avais fait observer que les principaux facteurs expliquant le succès sont souvent à rechercher dans l'exploitation elle-même. La coopération a toujours fait défaut dans la filière viande, alors qu'elle fonctionne très bien dans le lait ou les céréales - sans doute parce que le stockage et la vente y sont plus faciles. De plus, la recherche sur les souhaits du client y est inexistante. Comment, dès lors, adapter la production ? Dans l'automobile, nous pouvons être fiers d'avoir deux constructeurs français. C'est qu'ils se sont adaptés. Or une race ne se sélectionne pas en deux ans... Ayons le courage de dire à ceux qui imputent leurs difficultés à la banque ou à l'ouverture internationale que cette logique les conduit à leur perte : les difficultés ne proviennent que d'un défaut d'adaptation !

M. Philippe Bonnecarrère. - L'aspect géostratégique est en effet fondamental. Il y a un quart de siècle, nos relations avec ces deux pays étaient catastrophiques. La France, avec la Nouvelle-Calédonie, y était vue comme un des derniers pays colonialistes et la question du nucléaire avait refroidi les ardeurs.

M. Simon Sutour. - Sans parler du Rainbow Warrior...

M. Philippe Bonnecarrère. - La situation a radicalement changé, grâce à notre gestion intelligente de la crise en Nouvelle-Calédonie, à l'arrêt des essais nucléaires physiques et à l'émergence de la menace chinoise, qui a conduit l'Australie à nous acheter des sous-marins. Il est donc logique d'aller plus loin sur le plan commercial.

Je m'interroge toutefois sur les compensations pour les filières en difficulté. Il est normal que tout accord fasse des gagnants et des perdants - même si ce ne sont pas toujours ceux qu'on pense. Clairement, la Nouvelle-Zélande et l'Australie représentent un risque pour notre filière viande. Le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation devrait être mobilisé, mais son montant ne dépasse pas les 150 millions d'euros et ses conditions d'accès sont centrées sur l'aide à l'emploi, avec un seuil de déclenchement à 500 licenciements. Bref, il sera inopérant dans le cas où des exploitations agricoles seraient conduites à la faillite. Aussi faut-il à la fois le doter plus largement et assouplir ses conditions d'emploi.

M. André Reichardt. - Merci pour ce rapport exhaustif, qui donne lieu à une proposition équilibrée. Que signifie votre point 38 ? Les flux commerciaux entre ces deux pays et la France sont assez faibles, sauf dans certains secteurs sensibles. Pour être président d'une agence régionale d'attractivité, je peux vous dire que l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont trop éloignées pour présenter de véritables opportunités économiques pour nos PME. En aval de l'accord, il faudra inciter davantage de secteurs économiques à s'intéresser à ces deux pays, afin que nous tirions tous les bénéfices de ses dispositions.

M. René Danesi. - Cette proposition est en effet très équilibrée, et très complète. Il serait utile de disposer d'une étude d'impact de ces accords, pour évaluer leur influence sur l'économie de notre pays. La filière viande était déjà opaque il y a cinquante ans, et les Gouvernements successifs n'ont jamais réussi à y mettre bon ordre. Certainement, le statu quo sert les intérêts de quelques-uns ! Même remarque sur la filière bois, où rien n'a changé depuis quarante ans : alors que nous avons les plus belles forêts d'Europe, nous nous contentons d'exporter la matière première, qui nous revient sous forme de produit fini. Là aussi, la France n'y trouve pas son compte, mais certains acteurs, oui. Du reste, voilà des années que la France se désindustrialise. Quant au climat, il a toujours changé, même avant que les hommes ne découvrent le CO2. Je ne nie pas le réchauffement, mais est-il complètement imputable à l'homme ? J'en doute. Développement durable ? Chacun n'a qu'à adapter ses usages alimentaires aux saisons : on ne m'a jamais vu acheter du raisin en février... Je trouve étrange que les écologistes poussent à la disparition des derniers bergers français pour faire place au loup, ce qui nous conduit à importer de la viande ovine de Nouvelle-Zélande.

M. Pascal Allizard. - Ce qui est nouveau, c'est que cette proposition intervient en amont et s'adresse davantage à l'Union européenne qu'à l'Australie ou la Nouvelle-Zélande. Ses attendus ne témoignent, je crois, d'aucune frilosité, mais nous avons quelques messages forts à adresser à l'Union européenne.

M. Didier Marie. - Je retiens de toutes vos interventions la volonté de prendre les accords commerciaux avec optimisme, tout en étant vigilants. Chaque accord comporte des avantages et des inconvénients. En les multipliant, l'Union européenne tire parti du retrait américain et rééquilibre ses relations commerciales vers l'Orient en se montrant offensive dans les secteurs les plus porteurs. Ainsi, elle s'affirme comme la première puissance économique du monde. La libéralisation des échanges impose un encadrement, et la dénonciation du manque de transparence a fait évoluer les choses dans la bonne direction. Reste à assurer un suivi convenable des accords. Quant aux filières en difficulté, l'Union européenne doit les aider à se restructurer.

Notre point 18 insiste sur l'aspect positif des accords, monsieur Sutour. La remarque de Mme Jourda sur les sucres trouve un écho au point 29. Les points 33 et 34 insistent sur la nécessité de re-doter et de réformer le fonds européen évoqué par M. Bonnecarrère car son champ d'application n'autorise pas à l'utiliser pour aider à la restructuration d'une filière. Le point 38 demande la fixation d'un cadre clair et partagé sur le développement durable sur lequel le tribunal pour les différends Investisseur/État puisse s'appuyer. Enfin, le point 18 indique que la simplification des procédures commerciales ou réglementaires facilitera l'action des PME : la distance n'empêche pas qu'il existe des niches pouvant les intéresser. Enfin, les points 25 et 35 mentionnent la nécessité de suivre les négociations.

M. Jean Bizet, président. - Nous serons attentifs à la création du groupe consultatif sur les accords commerciaux.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.


Proposition de résolution européenne

(1) Le Sénat,

(2) Vu l'article 88 4 de la Constitution,

(3) Vu la recommandation de décision du Conseil (COM (2017) 472 final) du 13 septembre 2017, autorisant l'ouverture de négociations en vue d'un accord de libre-échange avec l'Australie et, en particulier, son annexe comportant les directives de négociations s'y rapportant,

(4) Vu la recommandation de décision du Conseil (COM (2017) 469 final) du 13 septembre 2017, autorisant l'ouverture de négociations en vue d'un accord de libre-échange avec la Nouvelle Zélande et, en particulier, son annexe comportant les directives de négociations s'y rapportant,

(5) Vu l'étude d'impact du 13 septembre 2017, effectuée par les services de la Commission, d'un futur accord de libre-échange avec l'Australie (SWD (2017) 293 final) et son résumé (SWD (2017) 292 final),

(6) Vu l'étude d'impact du 13 septembre 2017, effectuée par les services de la Commission, d'un futur accord de libre-échange avec la Nouvelle Zélande (SWD (2017) 289 final) et son résumé (SWD (2017) 290 final),

(7) Vu la recommandation de décision du Conseil (COM (2017) 493 final du 13 septembre 2017 autorisant l'ouverture de négociations relatives à une convention instituant un tribunal multilatéral chargé du règlement des différends en matière d'investissements,

(8) Vu la résolution européenne n° 61 adoptée par le Sénat le 21 janvier 2017, pour une politique commerciale assurant la défense des intérêts économiques de l'Union européenne,

(9) Vu le rapport d'information du 22 février 2017, Relancer l'Europe : Retrouver l'esprit de Rome, de MM. Jean-Pierre Raffarin et Jean Bizet, fait au nom du groupe de suivi retrait du Royaume Uni et refondation de l'UE,

(10) Vu la résolution du Parlement européen du 26 octobre 2017 contenant la recommandation du Parlement européen au Conseil sur la proposition de mandat de négociation relatif aux négociations commerciales de l'Union européenne avec l'Australie (2017/2192(INI)),

(11) Vu la résolution du Parlement européen du 26 octobre 2017 contenant la recommandation du Parlement européen au Conseil sur la proposition de mandat de négociation en matière commerciale avec la Nouvelle-Zélande (2017/2193 (INI)),

(12) Vu l'avis 2/15 de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 mai 2017 sur la compétence de l'Union européenne pour signer et conclure un accord de libre-échange avec Singapour,

(13) Vu le rapport au Premier ministre de la Commission indépendante sur l'impact de l'AECG/CETA entre l'Union européenne et le Canada sur l'environnement, le climat et la santé, en date du 7 septembre 2017,

(14) Vu le plan d'action du gouvernement français sur la mise en oeuvre du CETA du 27 octobre 2017,

(15) Considérant que tout nouvel accord de libre-échange doit s'appuyer sur une réciprocité effective pour ce qui concerne tant l'accès au marché, en particulier aux marchés publics, qu'un degré élevé d'exigence dans l'élaboration de normes communes sociales, environnementales ainsi que sanitaires et phytosanitaires en vue d'une protection toujours plus forte des consommateurs ;

(16) Considérant les relations économiques et commerciales déjà existantes entre l'Union européenne, d'une part, et, respectivement, l'Australie et la Nouvelle Zélande, d'autre part, l'Union européenne étant en 2015 troisième et deuxième partenaire, respectivement, de l'Australie et de la Nouvelle Zélande ;

(17) Considérant que l'Union européenne, l'Australie et la Nouvelle Zélande partagent des valeurs démocratiques communes et promeuvent une approche multilatérale des relations internationales ;

(18) Prenant en compte les opportunités économiques et commerciales, liées à la conclusion d'un accord de libre-échange avec chacun de ces deux pays, au profit des entreprises de l'Union européenne et de ses États membres, en particulier des PME ;

(19) Soulignant que le secteur agricole, singulièrement celui de l'élevage bovin en France, est confronté à des difficultés structurelles, qui justifient que ces productions soient classées comme sensibles et fassent l'objet d'une attention toute particulière des négociateurs européens, qu'il en est de même des sucres spéciaux produits dans les régions ultrapériphériques ;

(20) Considérant que l'Australie et la Nouvelle Zélande sont toutes deux fortement exportatrices de viandes bovines et ovines et de produits laitiers ;

(21) Considérant l'implication de l'Australie dans la définition et le respect d'exigences environnementales malgré une forte dépendance de ce pays au charbon pour la production d'électricité, ce qui le classe parmi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre par habitant ;

(22) Relevant que, à la suite de l'avis 2/15 de la Cour de justice de l'Union européenne, l'objet des deux directives de négociation ne porte que sur des domaines relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne, ce qui pourrait priver le parlement français de la possibilité d'autoriser ou de refuser la ratification de ces accords ;

(23) Se félicite des initiatives récentes de la Commission européenne vers une meilleure transparence en matière de politique commerciale, en particulier par la création d'un groupe consultatif sur les accords commerciaux de l'Union et la publication systématique des propositions de directives de négociation ; salue également la publication des études d'impact, notamment sectorielles, d'une libéralisation accrue des échanges commerciaux entre l'Union européenne, l'Australie et la Nouvelle Zélande ;

(24) Demande à la Commission européenne d'accentuer cette démarche de transparence, pendant la durée des négociations, en direction des parlements nationaux, à l'instar de ce que le groupe consultatif sur les accords commerciaux réalisera pour les représentants des acteurs économiques concernés ;

(25) Demande au Gouvernement de mettre en oeuvre ses engagements inscrits dans le plan d'action AECG/CETA visant l'association du Parlement en amont des négociations et au moment de la discussion des mandats ; l'information par le gouvernement des commissions parlementaires compétentes tout au long de la conduite des négociations commerciales ; le partage avec le Parlement du diagnostic du Gouvernement sur les études d'impact préalables ;

(26) Demande à la Commission européenne d'assurer que les documents qu'elle publie - études d'impacts notamment - ou pour lesquels elle accorde un accès réservé conditionnel - documents de négociations - soient consultables dès leur publication et en intégralité en langue française comme le prévoient les traités en la matière ;

(27) Appelle la Commission européenne, dans le cadre des négociations, à veiller à obtenir une véritable réciprocité dans l'ouverture des marchés publics de l'Australie et de la Nouvelle Zélande aux entreprises soumissionnaires de l'Union, au niveau national comme aux niveaux régionaux ou territoriaux ;

(28) Insiste pour que les Accords de libre-échange Union européenne-Australie et Union européenne-Nouvelle Zélande, de même que les accords futurs de même nature, intègrent des dispositions contraignantes dans leurs volets développement durable, environnemental et social, en prévoyant leur opposabilité dans le cadre des mécanismes interétatiques de règlement des différends prévus dans ce type d'accords ;

(29) Souligne que les produits sensibles, en particulier les produits de l'élevage ou les sucres spéciaux, ne doivent faire l'objet que de contingents limités ou d'un étalement des périodes de démantèlement tarifaire ;

(30) Demande aux négociateurs de prévoir des mesures de sauvegarde spécifiques susceptibles d'être mises en place rapidement pour ces produits, en cas de flux d'importations qui risqueraient de déstabiliser des filières déjà fragilisées ;

(31) Rappelle la nécessité de prévoir dans les accords la protection et la reconnaissance des indications géographiques ;

(32) Souhaite qu'en matière sanitaire et phytosanitaire, l'ouverture des marchés de l'Union européenne soit conditionnée à un assouplissement réciproque par le pays partenaire, de tous types de barrières à caractère discriminatoire aux importations de produits européens ;

(33) Préconise de façon générale de lier plus étroitement le fonctionnement du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEAM) à la politique commerciale, compte tenu de son impact sur certains secteurs identifiés, fragilisés par l'ouverture du marché européen aux produits d'États partenaires dans le cadre d'accords de libre-échange ;

(34) Invite le Gouvernement à proposer une augmentation des ressources du FEAM et un élargissement de son champ d'intervention aux types d'entreprises caractéristiques de ces secteurs ou filières ;

(35) Demande au Conseil et à la Commission européenne de veiller à ce que soient systématisés l'évaluation et le suivi réguliers des accords commerciaux en vigueur, déclinés par grands secteurs et par État membre ;

(36) Considère que parallèlement aux négociations et avant leur conclusion, l'Australie et la Nouvelle-Zélande pourraient utilement engager la ratification de la convention 138 de l'OIT sur l'âge minimum d'admission à l'emploi et au travail et la Nouvelle Zélande celle de la convention 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ;

(37) Souhaite que, dans l'attente de la mise en place d'un tribunal multilatéral chargé du règlement des différends en matière d'investissements, une négociation soit engagée en vue de conclure, respectivement avec l'Australie et la Nouvelle Zélande, des accords séparés mais concomitants instituant un système juridictionnel des investissements sur le modèle agréé dans l'Accord de libre-échange avec le Canada ;

(38) Préconise l'introduction, dans un tel accord, d'un mécanisme d'interprétation conjointe qui garantirait le droit des États à réguler dans le domaine du développement durable.

La réunion est close à 9 h 25.

- Présidence de MM. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, Jean-Pierre Sueur, vice-président de la commission des lois, Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Justice et affaires intérieures - Audition, en commun avec la commission des lois et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de M. Julian King, commissaire européen pour l'Union de la sécurité

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Cette audition est organisée conjointement par la commission des affaires européennes, la commission des lois et la commission des affaires étrangères.

Nous vous remercions, monsieur le commissaire pour l'Union de la sécurité, d'avoir répondu à notre invitation. Nous vous connaissons depuis quelques années, car vous avez été ambassadeur du Royaume-Uni à Paris.

L'Europe fait face à l'émergence d'États-continents qui n'hésitent pas à recourir aux armes de la puissance pour parvenir à leurs fins. Elle doit donc s'assumer elle-même comme une puissance. À cette fin, elle doit en particulier exploiter sa plus-value pour assurer la sécurité intérieure et consolider sa réponse à la crise migratoire. C'est une des premières attentes des peuples européens. Il faut y répondre.

À la suite des attentats commis en France et dans d'autres pays européens, le Sénat a demandé une action européenne beaucoup plus résolue dans la lutte contre le terrorisme. L'alimentation, l'utilisation et l'interopérabilité des bases de données européennes constituent en particulier un enjeu crucial. Si les récentes initiatives de la Commission vont dans le bon sens, elles devraient, à notre sens, être complétées par la création d'un cadre juridique sur le chiffrement permettant de lutter plus efficacement contre l'utilisation d'internet à des fins terroristes. Quelle est votre évaluation de la situation actuelle ? Quelles améliorations peut-on espérer ?

Nous avons par ailleurs plaidé avec insistance pour l'adoption du PNR européen, pour Passenger Name Record, qui a pris un temps excessif. Mais son efficacité ne pourra être assurée que si les États membres se dotent parallèlement d'un PNR national. Où en est-on dans ce domaine ? La lutte contre la radicalisation est un autre enjeu essentiel. Quels enseignements peut-on tirer des initiatives de l'Union ?

Nous voulons aussi une coopération policière efficace et un renforcement du rôle d'Europol. Quel bilan tirez-vous de l'activité de cette agence ? Que peut-on attendre de sa récente réforme ?

Nous avons bien noté que la Commission présentera au troisième trimestre 2018 une communication sur l'élargissement des compétences du nouveau parquet européen au terrorisme. Que pouvez-vous nous en dire ?

La sécurité intérieure dépend aussi de la sécurité des frontières extérieures de l'Union. Quelle est votre appréciation sur les évolutions dans ce domaine ?

Enfin, nous devons prendre en compte les effets du Brexit. Quelle est votre évaluation concernant la sécurité ? Il faudra nécessairement maintenir une coopération étroite qui réponde à un intérêt commun. Quelle forme prendra-t-elle selon vous après la période de transition ?

M. Jean-Pierre Sueur, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. - Je tiens tout d'abord à vous présenter les excuses de Philippe Bas, président de la commission des lois, qui est malheureusement retenu ailleurs.

La commission des lois est, elle aussi, honorée de vous accueillir aujourd'hui, monsieur le commissaire, eu égard à votre parcours et compte tenu des sujets cruciaux dont vous avez la charge.

La commission des lois a beaucoup oeuvré sur les questions de lutte contre le terrorisme. Huit lois ont été examinées par le Sénat depuis 2012 et étudiées par notre commission.

Le président Bas a par ailleurs présenté une proposition de loi en février 2016 qui a été largement reprise dans la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement.

Dans le prolongement de ce qu'a dit le président Bizet, je souhaite vous interroger sur trois points.

Ma première question porte sur la guerre du cryptage. Les membres de Daech ont eu une longueur d'avance dans ce domaine pour organiser les opérations terroristes qui nous ont durement frappés. À cet égard, tout ce qui permettra à l'Europe de travailler de manière cohérente pour gagner cette guerre sera très important. Quelles sont vos initiatives en la matière ?

Ma deuxième question porte sur le PNR. Comme vous, nous nous sommes beaucoup battus pour son adoption. Nous nous interrogeons sur la transposition de la directive européenne dans les différents États membres et sur son application effective, laquelle est cruciale et urgente.

Par ailleurs, nous nous sommes aperçus que le renforcement des contrôles dans le secteur aérien conduisait un certain nombre de personnes à utiliser les voies maritimes pour les contourner. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait étendre le PNR aux liaisons maritimes ?

Ma troisième question porte sur la directive NIS, pour Network and Information Security, laquelle vise à relever le niveau de cybersécurité pour certains opérateurs économiques considérés comme essentiels, ainsi que pour les fournisseurs de services numériques. Lors de ses travaux, la commission des lois s'est inquiétée du risque de fuite à l'étranger de certains fournisseurs désireux d'échapper à ces nouvelles obligations. Comment la Commission européenne envisage-t-elle de répondre à ce risque ?

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Monsieur le commissaire, au nom de la commission des affaires étrangères, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons plaisir à vous retrouver. J'ai souvenir des dialogues passionnants et chaleureux que nous avons eus lorsque vous étiez ambassadeur du Royaume-Uni en France.

Mes collègues ont évoqué l'essentiel de nos interrogations. Le président Bizet a rappelé combien les enjeux de l'Europe de la sécurité sont essentiels. Nos concitoyens comprennent mal que l'Europe ne soit pas toujours au rendez-vous dans ce domaine.

La situation internationale a bien évidemment des répercussions à l'intérieur des frontières de l'Union européenne. Les trois sujets de préoccupation de la commission des affaires étrangères recoupent très largement ceux qui viennent d'être évoqués. Ils correspondent à trois facteurs de porosité de nos frontières, en raison de situations instables.

Daech ayant progressivement perdu l'essentiel de son assise territoriale en Irak et en Syrie, notamment depuis les chutes de Mossoul et de Raqqa, le risque est grand d'assister à un redéploiement de ses combattants. Il est donc plus que jamais nécessaire de mobiliser tous les leviers de coopération entre les États membres et de mettre en oeuvre le fichier de données des passagers, le PNR. Nos trois commissions souhaitent que sa mise en place ne tarde plus.

Le risque est également grand d'une instabilité accrue dans l'ensemble de la Méditerranée. La fin des combats risque d'entraîner une grande instabilité dans l'ensemble de la Méditerranée. La commission examinera prochainement l'avenir de la Libye, qui nous inquiète tous.

En matière de migrations, l'accord entre l'Union européenne et la Turquie de 2016 semble avoir permis de stabiliser les flux, mais ne faudra-t-il pas, à l'avenir, coopérer plus activement avec l'ensemble des pays du bassin méditerranéen pour trouver des solutions plus efficaces ?

La cybersécurité est aussi un enjeu majeur de coopération pour lutter contre les cyberattaques internationales, la propagande violente et le risque d'embrigadement. Il s'agit aussi, comme l'a évoqué le Président de la République, de lutter contre la désinformation, les fake news, orchestrées par des groupes, voire des États, dans le but de manipuler l'opinion. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Quels moyens peut-on mettre en oeuvre à l'échelon européen ?

Enfin, l'ouverture, aujourd'hui même, du sommet franco-britannique est l'occasion de rappeler que la coopération avec le Royaume-Uni demeurera un des piliers de la sécurité de l'Europe. Nous espérons que cette coopération continuera et s'intensifiera après le Brexit.

M. Julian King, commissaire européen pour la sécurité de l'Union. - Messieurs les présidents, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette invitation. C'est pour moi toujours un plaisir de vous rendre visite.

Le président Juncker considère que le développement de relations plus étroites avec les parlements nationaux est une priorité, et je soutiens totalement cet engagement. La Commission européenne doit davantage rendre compte aux Parlements nationaux et notre processus politique doit être plus efficace et plus transparent. C'est lors d'échanges tels que celui que nous avons aujourd'hui que ces relations peuvent se développer.

Je vous remercie également pour vos excellents rapports sur les sujets relatifs à la sécurité, notamment sur l'espace Schengen et sur la lutte contre la radicalisation en France. La Commission apprécie vivement ces contributions et en tient compte au cours du processus législatif.

Ces dernières années, la France a été durement touchée à plusieurs reprises par des attaques terroristes, ainsi que de nombreux autres pays européens. Mes pensées vont ici tout d'abord aux victimes de ces attaques et à leurs proches.

L'Union européenne a adopté des mesures de soutien aux victimes dans le cadre de la directive relative à la lutte contre le terrorisme, en se fondant notamment sur des mesures prises par la France.

Beaucoup a été fait en France pour renforcer la sécurité intérieure. La France a pris des initiatives à l'échelle européenne sur ce sujet. En effet, si les États membres restent en première ligne pour assurer la sécurité de leurs citoyens, l'Union européenne peut leur apporter un soutien et des outils afin de renforcer la protection. Les citoyens européens, à plus de 80 %, demandent d'ailleurs à l'Europe d'en faire plus dans ce domaine.

C'est dans ce cadre que le président Juncker a décidé de créer le poste de commissaire pour l'Union de la sécurité. C'est aussi pour cette raison que, l'an dernier, les présidents du Parlement, du Conseil et de la Commission ont fait de la sécurité l'une des priorités législatives à l'échelon européen pour les deux années à venir. En septembre, un sommet informel des chefs d'États européens consacré à la sécurité se tiendra à Vienne.

Je pense que nous pouvons dire aujourd'hui que des progrès concrets ont été faits depuis dix-huit mois pour renforcer la sécurité de nos citoyens et faire en sorte qu'il devienne plus difficile pour les terroristes de nous attaquer. Beaucoup reste à faire cependant.

J'évoquerai maintenant les principales avancées visant à instaurer une réelle Union de la sécurité.

Premièrement, nous avons renforcé les contrôles aux frontières extérieures de l'espace Schengen. L'espace Schengen constitue une des réalisations majeures de l'intégration européenne. Cela étant dit, les défis migratoires et sécuritaires que nous connaissons ont révélé des failles dans le fonctionnement de cet espace, qui ont exigé des adaptations et la mise en place de nouveaux instruments visant à renforcer la coopération au sein de l'espace Schengen et la sécurisation de ses frontières. Ainsi, le PNR, que la France a mis en oeuvre dans sa récente loi antiterroriste, permet de contrôler les mouvements des personnes voyageant par avion depuis et vers l'Union européenne. La Commission apporte un soutien, y compris financier, aux États membres afin de les aider à mettre en place leur PNR avant mai prochain.

Aujourd'hui, plus de 1 700 officiers du nouveau corps de gardes-frontières et de garde-côtes soutiennent les 100 000 gardes-frontières nationaux des États membres à nos frontières extérieures, en Grèce, en Italie, en Espagne ou en Bulgarie.

Depuis le mois d'avril dernier, des contrôles systématiques ont été mis en place à nos frontières extérieures afin que chaque personne entrant et sortant de l'espace Schengen soit contrôlée dans les bases de données sécuritaires européennes. La France été pionnière dans ce domaine et a mis en place de tels contrôles dès novembre 2015.

La Commission européenne a proposé, et les États membres ont récemment accepté, la mise en place d'un système d'enregistrement à l'entrée et à la sortie du territoire européen des ressortissants d'États tiers. Nous avons également proposé la mise en place d'un ESTA européen, à l'image du système électronique d'autorisation de voyage des États-Unis, qui permettra d'effectuer des vérifications concernant les ressortissants des États tiers dispensés de visas afin de pouvoir détecter en amont ceux d'entre eux qui pourraient poser un risque migratoire ou sécuritaire.

Deuxièmement, nous avons renforcé l'échange d'informations entre les États membres, ainsi que la coopération entre nos services de sécurité et de renseignement. L'utilisation par les forces de sécurité européennes des données du système d'information Schengen, qui comprend les informations sur les personnes et les objets recherchés, a augmenté de plus de 40 %. En 2016, 4 milliards de requêtes ont été effectuées par les États membres dans le Système d'information Schengen (SIS) qui contient actuellement 75 millions d'alertes. La France est l'un des premiers contributeurs au SIS, avec plus de 11 millions d'alertes au 1er janvier 2018.

Nous avons proposé une réforme du SIS, laquelle est en cours de négociation, afin de le renforcer. Il s'agirait par exemple de rendre obligatoire la notification par les États membres d'alertes relatives au terrorisme dans le SIS, ou encore de renforcer l'utilisation de la biométrie.

En décembre dernier, nous avons adopté de nouvelles mesures visant à renforcer l'interopérabilité de nos systèmes de gestion des frontières et des migrations afin qu'ils fonctionnent ensemble de manière plus efficace. Ces mesures devraient permettre de mieux détecter les personnes suspectes et de mettre un frein à l'utilisation d'identités multiples, pratique à laquelle ont eu recours par exemple les auteurs des attaques de Marseille et de Berlin.

La coopération entre les services de police des États membres est plus intense aujourd'hui. Nous avons mis en place au sein d'Europol un centre dédié à la lutte contre le terrorisme. Ce centre a apporté un soutien opérationnel à la France et à la Belgique à la suite des attaques terroristes, ainsi qu'à d'autres États membres attaqués depuis. Au total, ce centre a soutenu environ 175 opérations dans les États membres l'année dernière.

Bien que cela ne relève pas de la responsabilité de l'Union européenne, j'aimerais ici évoquer brièvement le renforcement de la coopération entre les services de renseignement, à travers le groupe antiterroriste (GAT), qui réunit régulièrement les services de renseignement des vingt-huit États membres, et auquel j'ai l'honneur de pouvoir participer. Le GAT s'est même doté d'une plate-forme physique d'échange d'informations, située aux Pays-Bas. Il est important de le souligner, car nombreux sont encore ceux qui estiment qu'il n'existe aucune coopération européenne en matière de renseignement. C'est tout simplement faux ! À l'échelon européen, nous travaillons désormais à renforcer la coopération entre le GAT et Europol.

Troisièmement, nous avons restreint le périmètre d'action des terroristes en limitant leurs moyens d'action et en renforçant notre résilience.

La nouvelle directive sur les armes à feu, qui a été proposée par la Commission européenne immédiatement après les attentats de Paris en novembre 2015 et qui a été adoptée l'année dernière, prévoit des contrôles plus stricts de l'acquisition et de la détention d'armes à feu, en particulier pour éviter une utilisation détournée par des organisations criminelles ou des terroristes. Nous avons notamment renforcé les critères de désactivation des armes à feu, car les terroristes ayant commis l'attentat contre Charlie hebdo avaient utilisé des armes à feu mal désactivées.

La lutte contre les trafics illégaux d'armes à feu a été intensifiée, notamment dans les Balkans. Europol joue un rôle important dans ce cadre.

Nous avons également adressé des recommandations aux États membres en octobre dernier afin que la vente de substances dont l'utilisation peut être détournée pour fabriquer des explosifs artisanaux, comme le TATP, soit mieux contrôlée. En avril prochain, la Commission proposera une révision du règlement de l'Union européenne sur les précurseurs d'explosifs afin de durcir les restrictions et les contrôles sur ces substances.

Dans la directive relative à la lutte contre le terrorisme, nous avons érigé en infractions pénales des actes tels que le financement du terrorisme, le fait de dispenser ou de recevoir un entraînement au terrorisme ou de voyager à des fins de terrorisme.

En outre, pour lutter contre le financement du terrorisme, la Commission a présenté trois propositions, actuellement en cours de négociation, visant à compléter le cadre juridique concernant le blanchiment de capitaux, les mouvements illicites d'argent liquide ainsi que le gel et la confiscation d'avoirs. L'accord politique récemment trouvé sur la cinquième directive anti-blanchiment rendra obligatoire dans tous les États membres la mise en place de registres bancaires centralisés.

La Commission européenne fera de nouvelles propositions en avril prochain afin de faciliter l'accès des forces de l'ordre à ces registres. Nous voulons aussi renforcer la coopération entre les unités de renseignements financiers de chaque État membre.

Les espaces publics ont été le théâtre des récentes attaques terroristes, que ce soit à Berlin, Nice, Barcelone, Manchester, Stockholm ou Londres. Il nous faut renforcer notre résilience face à ce type d'attaque. C'est dans ce cadre que la Commission a proposé un plan d'action comprenant un volet d'appui financier à hauteur de 120 millions d'euros afin de soutenir les villes et les territoires désireux de mettre en place des éléments de protection des espaces publics, tout en conservant leur nature ouverte. Un appel à projets a déjà été lancé et j'encourage les villes et les territoires à y participer.

Afin de renforcer l'échange de bonnes pratiques dans ce domaine, nous avons également mis en place un Forum des exploitants d'espaces publics visant à encourager les partenariats public-privé dans le domaine de la sécurité et à favoriser les échanges avec les exploitants privés, tels que les gestionnaires de centres commerciaux, les organisateurs de concerts, les gestionnaires d'installations sportives et les sociétés de location de voitures.

La Commission européenne organisera le 8 mars prochain à Bruxelles, en lien avec le Comité des régions, une conférence des maires des villes européennes sur la protection des espaces publics. Cette conférence fait suite à la conférence de Nice de septembre dernier et à la déclaration qui y a été adoptée.

S'il est essentiel de restreindre les moyens d'action des terroristes, il nous faut aussi travailler en amont afin de prévenir et de combattre les phénomènes de radicalisation. Nous pouvons nous féliciter des défaites de Daech sur le terrain en Syrie et en Irak, mais force est de constater que son idéologie continue malheureusement de se propager, notamment en ligne.

C'est pourquoi, et ce sera mon quatrième point, nous agissons davantage en amont afin de lutter contre la radicalisation en ligne et dans nos communautés. Depuis 2015, nous avons mis en place un Forum européen de l'internet, rassemblant les États membres et les opérateurs internet, afin de travailler ensemble sur le retrait des contenus en ligne. Des progrès ont été faits dans ce domaine, grâce notamment à l'utilisation d'outils de détection automatique par les entreprises de l'internet.

Nous devons cependant aller plus loin : il faut que les contenus terroristes soient retirés dans des délais plus rapides, voire qu'ils ne soient plus mis en ligne du tout. La Commission européenne analysera dans les mois à venir les progrès. Nous sommes prêts, si cela est nécessaire, à légiférer sur ce sujet.

Il est également important de promouvoir des contre-discours en ligne. Dans ce cadre, nous avons mis en place un programme européen afin d'aider nos partenaires de la société civile à élaborer des récits alternatifs positifs.

Il nous faut également apporter un soutien à la lutte contre la radicalisation dans nos communautés. Ainsi, la Commission européenne a mis en place depuis quelques années un réseau européen de sensibilisation à la radicalisation, le RAN, pour Radicalisation Awareness Network. Ce réseau a pour mission d'apporter un soutien aux acteurs locaux en les aidant à développer des stratégies et des mécanismes adaptés. Il a ainsi produit un manuel sur les retours et la prise en charge des combattants terroristes étrangers et de leurs familles, en particulier de leurs enfants. Il s'agit d'un sujet sensible, sur lequel une coopération européenne est nécessaire.

Nous voulons aller plus loin. C'est pourquoi nous avons mis en place un groupe d'experts de haut niveau sur la radicalisation, afin de renforcer les liens entre les praticiens de terrain et les politiques. Ce groupe a récemment proposé une série de recommandations à la Commission européenne sur la lutte contre la radicalisation, notamment en prison.

L'actualité récente en France dans ce domaine nous démontre encore une fois la sensibilité et la complexité de cette question. Il est essentiel de partager les expériences à l'échelon européen. La Commission européenne organisera donc le 27 février prochain, en lien avec la présidence bulgare, une conférence sur l'échange de bonnes pratiques entre les juges, les procureurs, et le personnel des prisons sur la question de la radicalisation en prison. La Commission fournira également un appui financier afin de renforcer les formations dans ce domaine. Enfin, le RAN prépare une version révisée de son manuel sur la lutte contre la radicalisation en prison.

Cinquièmement, nous travaillons étroitement avec nos partenaires dans les pays tiers. Les déstabilisations à l'extérieur de nos frontières ont nécessairement des effets internes. C'est pourquoi il est aussi dans notre intérêt d'aider nos partenaires dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation chez eux. L'Union européenne a renforcé sa coopération avec le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, les Balkans occidentaux, la Turquie, le Sahel et la Corne de l'Afrique, grâce a un dialogue politique renforcé, à un plus grand nombre de projets et à un soutien financier accru aux mesures prises pour lutter contre le terrorisme, combattre et prévenir l'extrémisme violent.

Ainsi, au 1er janvier 2017, l'Union européenne avait engagé plus de 2 milliards d'euros dans environ 600 projets ayant trait à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Nous avons également déployé depuis deux ans des experts en sécurité dans nos délégations de l'Union européenne dans treize pays tiers. Les agences de l'Union européenne, comme Europol, Frontex, Eurojust ou CEPOL, l'agence de formation des polices, ou encore le RAN, apportent également un soutien aux pays tiers prioritaires.

Bien entendu, nous travaillons également étroitement avec les États-Unis et le Canada, ainsi qu'avec les organisations internationales comme l'ONU et l'OTAN sur ces questions. Nous avons ainsi adopté l'année dernière une série de 24 propositions visant à renforcer notre coopération avec l'OTAN, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et les menaces hybrides et cyber.

Sixièmement, je souhaite vous dire quelques mots de l'action de l'Union en matière de cybersécurité.

En 2017, on a dénombré plus de 4 000 attaques chaque jour à l'échelon européen, y compris pendant la campagne du président Macron. Elles ont souvent un coût élevé pour nos économies. Elles pèsent même parfois sur nos institutions démocratiques. Elles portent aussi gravement atteinte à la confiance de nos citoyens et de nos entreprises en notre capacité à assurer leur protection.

Pour doter l'Europe des outils adéquats pour faire face aux cyberattaques, nous avons proposé en septembre dernier une large panoplie de mesures destinées à renforcer la cybersécurité dans l'Union européenne, dont la création d'une nouvelle Agence de cybersécurité, sur le modèle de l'actuelle Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'information, l'ENISA. Elle assistera les États membres dans la gestion des cyberattaques. Nous avons également proposé un nouveau système européen de certification, qui permettra de garantir la sécurité d'utilisation des produits et des services dans l'environnement numérique.

Nous souhaitons aussi améliorer la coopération, notamment en matière d'identification et de poursuite des coupables. Nous présenterons ainsi prochainement une proposition sur la preuve électronique en ligne. Il s'agit de faciliter l'accès aux preuves situées hors du territoire d'un État membre.

Pour conclure, je souligne qu'aucun État membre ne peut vraiment lutter seul contre le terrorisme. L'Union européenne est là pour soutenir, aider, apporter des outils communs. C'est là une des priorités de la Commission pour les deux années à venir.

Je compte sur vous également pour travailler à la mise en oeuvre des politiques et des décisions européennes à l'échelon national. En effet, elles ne serviront à rien si elles ne sont pas effectivement mises en oeuvre sur le terrain.

Je souhaite être en contact régulier avec les parlements nationaux. J'espère que nous pourrons renouveler ce type de rencontre afin de poursuivre notre dialogue sur ces sujets.

Si vous me le permettez, je dirai maintenant quelques mots sur le Brexit et les questions liées à la sécurité. Il est très difficile d'échapper à ce sujet !

Les terroristes de Daech ne reconnaissent pas les frontières entre les États membres. Ils visent non pas un État ou un autre, mais nos communautés, nos valeurs, notre façon de vivre ensemble. Les menaces terroristes sont globales et transfrontalières, comme du reste les cyberattaques. L'Union européenne et le Royaume-Uni ont beaucoup à gagner à travailler ensemble sur les questions de sécurité, que ce soit dans le cadre actuel ou après le Brexit.

Après son départ, le Royaume-Uni aura encore la possibilité de décider de manière souveraine, s'il le souhaite, de coopérer avec l'Union européenne. Je pense qu'il sera dans l'intérêt du Royaume-Uni et de l'Union européenne de poursuivre cette coopération, dans un monde où les menaces resteront importantes et en constante évolution.

Bien entendu, nous devrons résoudre des questions politiques et juridiques complexes, concernant par exemple la participation du Royaume-Uni à Europol ou à d'autres agences. Il existe en effet des accords avec des pays tiers, mais aucun ne permettrait aujourd'hui une coopération continue et systématique du Royaume-Uni avec les agences. Je pense aussi à l'utilisation et à l'alimentation des bases de données européennes comme le SIS.

Tous ces sujets devront être abordés au cours des négociations à venir. Il est en tout cas certain que nous avons intérêt, des deux côtés, à faire face ensemble à une menace commune, aujourd'hui comme après le Brexit. J'espère que nous trouverons un moyen de gérer ces questions ensemble.

M. Ladislas Poniatowski. - Il est très surprenant qu'un Anglais vienne nous parler au nom de l'Europe. N'y voyez pas une critique, je pense au contraire que c'est une bonne chose : malgré le Brexit, nous continuerons à être des partenaires sur ces sujets très difficiles.

Symboliquement, vous venez nous voir au moment où Theresa May accueille à l'école militaire de Sandhurst notre président de la République. Deux grands sujets sont à l'ordre du jour : premièrement, la signature d'un traité sur la frontière transmanche et Calais ; deuxièmement, les problèmes de sécurité et l'association en matière de défense. C'est sur ce dernier point que je souhaite vous interroger.

Theresa May va annoncer la présence d'hélicoptères britanniques au Sahel, aux côtés des troupes françaises et des troupes des pays du G5. Elle va également annoncer un partenariat en matière de renseignement et confirmer que l'Angleterre, à titre individuel, va aussi apporter des financements.

Ma question porte sur les financements de l'Union européenne. Nous allons former et armer 5 000 soldats de ces cinq États africains, mais il n'y a pas de financement. L'ONU participe un peu, de même que certains autres pays, à titre individuel, comme le Danemark, le Royaume-Uni désormais, ou encore l'Arabie saoudite. L'Europe a été très frileuse, affirmant qu'elle participerait, mais sans annoncer de chiffre. Or cette force de 5 000 hommes au départ, qui doit atteindre un effectif de 9 000, doit être financée sur la longue durée, parce que les États qui fournissent ces troupes n'en ont pas les moyens.

Où en est-on ? Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le soutien européen ? La réponse est forcément complexe, car tous les pays n'ont pas envie de s'engager de la même manière dans le Sahel pour aider les pays de cette zone difficile, où se réfugient tous les terroristes - ceux qui ont été chassés d'Irak et de Syrie se retrouvent au Mali, au Niger et au Burkina Faso.

M. Jean-Yves Leconte. - Tout d'abord, concernant la reconnaissance des passeports européens, vous avez évoqué les évolutions des dernières années en termes de contrôle aux frontières, mais je suis très étonné de constater que les passeports européens sont équipés d'une puce qui n'est pas lisible d'un pays à l'autre. En tout cas, la police aux frontières française nous dit qu'elle n'est pas capable de lire une puce allemande et réciproquement, au moins pour ce qui concerne les données biométriques. La situation va-t-elle évoluer ?

Dans certains pays, les données des passeports sont intégrées dans des bases de données qui existent - la base TES pour la France. On peut vérifier ainsi si un passeport existe effectivement. Mais l'Allemagne n'a pas de base de ce type. La Commission envisage-t-elle de faire évoluer les choses de manière à permettre un meilleur suivi et une meilleure capacité de lecture des passeports ?

Ensuite, dans la continuité de ce que vous avez dit sur le Brexit, il est vrai que, dans un espace euclidien, il n'y a pas de solution à un certain nombre de problèmes qui se posent. En particulier sur ce que vous avez évoqué en termes d'alimentation des bases de données, de participation aux agences, etc. Que va-t-il se passer à partir de mars 2019 ? Une continuité est-elle prévue pendant la période de transition avant de passer à autre chose ? Comment les choses vont-elles se passer sur le plan pratique ? L'échéance est fixée à mars 2019, mais la période de transition maintiendra-t-elle les possibilités dont dispose aujourd'hui le Royaume-Uni en tant que membre de l'Union européenne ?

Enfin, pour rejoindre un peu la question précédente, depuis quasiment cinq ans, jour pour jour, la France est engagée au Mali. À part le coup d'arrêt donné à l'offensive sur Bamako, tous les autres problèmes subsistent et on n'imaginait pas que ce serait aussi compliqué. Comment voyez-vous la situation, à la fois en tant qu'Européen et que Britannique ? Votre pays a une politique de défense bien établie et une habitude de l'Afrique : comment, selon vous, mieux assurer la sécurité dans cette zone ? Est-ce que nous nous y sommes bien pris ? Faut-il surveiller d'autres choses - je pense en particulier au contrôle des trafics de stupéfiants provenant d'Amérique du Sud, qui n'est pas considéré aujourd'hui comme prioritaire, alors que ces trafics alimentent les capacités terroristes sur cette zone ?

M. Jean-Pierre Vial. - L'immigration alimente le sentiment d'insécurité et pose de vraies difficultés de mise en oeuvre de nos procédures européennes. Un rapport sur ce sujet vient d'être déposé par notre collègue François-Noël Buffet. Il montre l'étendue des préoccupations concernant des milliers de personnes en situation irrégulière qui refusent, de surcroît, de se plier à l'enregistrement de leurs empreintes digitales alors que cet enregistrement constitue, si j'ose dire, le début du processus de Dublin. En outre, la mise en oeuvre des dispositions du règlement de Dublin fait l'objet de pratiques très différentes d'un pays à l'autre.

Un de nos collègues se trouvait à Bratislava, ce week-end, où un haut fonctionnaire de Bruxelles exprimait les mêmes préoccupations et interrogations sur la sécurité des frontières et sur la difficulté de mettre en oeuvre le règlement de Dublin en raison d'un déficit d'harmonisation entre les pays. Ces différences de traitement provoquent bien évidemment un phénomène d'appel d'air, faisant passer d'un pays à l'autre des populations qui ne se soumettent pas à une procédure qui n'est pas suffisamment contrôlée. Comment l'Europe envisage-t-elle de remédier aux difficultés concrètes, pratiques, rencontrées par les pays pour mettre en place des règles de Dublin ?

M. Philippe Bonnecarrère. - Merci, monsieur le commissaire, de votre courtoisie et de votre attention à l'égard de notre assemblée.

Vous avez fait référence à la lutte contre le trafic criminel d'armes. Je vous donne volontiers acte, monsieur le commissaire, de mesures plutôt pertinentes pour ce que l'on appelle les précurseurs d'explosifs, notamment pour éviter que l'on puisse fabriquer trop facilement du TATP.

En revanche, sur la directive relative aux armes, notre déception est totale. Cette directive nous apparaît complètement vide. Nous l'avons examinée au mois de décembre, dans le cadre de l'adoption des mesures dites de transposition et nous avons constaté qu'elle ne concerne que les bons et honnêtes citoyens qui souhaitent déclarer leur arme. Elle comporte donc des dispositions techniques sur les modes de classement des armes. Rien dans la directive ne permet en revanche de renforcer la lutte contre le trafic illégal d'armes.

Nous souhaitons donc savoir si la Commission reviendra rapidement avec des dispositions plus fortes et, à notre sens, plus susceptibles d'améliorer la sécurité de nos concitoyens dans le domaine de la circulation des armes qui constitue effectivement une zone très grise en Europe.

Mme Gisèle Jourda. - Le Sénat vient de créer une commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure dont je suis membre. Le but de cette commission est de connaître l'état matériel, psychologique et logistique de la police et de la gendarmerie. Nous nous pencherons notamment sur les moyens de la police aux frontières dans la lutte contre l'immigration illégale et le terrorisme.

À ce titre, l'Union européenne, vous l'avez dit de manière fort éloquente, souhaite renforcer la sécurité aux frontières extérieures. Que pensez-vous des moyens alloués par l'Europe ? Comme l'a dit Ladislas Poniatowski, on en revient toujours à la question des moyens financiers. Je souhaiterais donc savoir si l'Union européenne prévoit de continuer d'augmenter les crédits. Si oui, quels crédits va-t-elle consacrer à cette politique ? Pouvez-vous nous indiquer des chiffres concrets ?

Mme Laurence Harribey. - Merci pour la clarté de votre exposé, monsieur le commissaire. Nous avons examiné récemment une proposition de règlement sur la cybersécurité. Il semble que la Commission souhaite à la fois renforcer l'agence européenne, l'ENISA, avec le risque de diminuer l'impact et le rôle des agences nationales. Or celles-ci disposent à la fois de plus de moyens et d'expertise que l'agence européenne. Ne faudrait-il pas plutôt réfléchir à un système de coopération entre les agences nationales, de renforcement de ces agences ou de soutien à la création d'agences nationales, là où il n'en existe pas, plutôt que de tenter de supplanter les agences nationales par une agence européenne qui n'aura jamais les mêmes moyens?? Vous l'avez très bien démontré avec le réseau des alertes en matière de terrorisme qui marche sur une base de coopération.

Par ailleurs, le règlement tend à répondre aussi à la question d'un système européen de certification. Or ce système est abordé sous l'angle économique, au nom du marché unique, alors que le système de certification touche aussi le service public. Bien sûr, la menace informatique a un impact économique, mais il ne faut pas oublier les enjeux de sécurité pour tous les États : quand on attaque des hôpitaux, des systèmes de délivrance de cartes d'identité, comme récemment en Estonie, les intérêts en cause vont bien au-delà du seul aspect économique. Il faudrait envisager le système de certification sous l'angle de la sécurité des États plutôt que de celle des seuls agents économiques. Peut-être faut-il réfléchir à un double système de cybersécurité : un premier système un peu basique et un deuxième, fruit d'une réflexion beaucoup plus approfondie pour tout ce qui concerne le service public et la sécurité des États.

M. Julian King. - Comme je l'ai dit au début de mon intervention, c'est toujours un plaisir pour moi de vous rencontrer, mais c'est aussi en partie une épreuve, parce que je suis très conscient de parler devant des experts. Si j'ai dit que nous suivons avec beaucoup d'attention vos rapports, ce n'est pas simplement pour vous flatter, mais parce que vous êtes vraiment des experts et vos rapports nous sont très utiles.

Si je ne réponds pas de manière approfondie à toutes vos questions, mes collaborateurs et moi-même sommes à votre disposition pour vous répondre par écrit.

Je n'ai pas vraiment répondu à la question sur le chiffrement. Nous sommes tout à fait conscients qu'il s'agit d'un enjeu essentiel, pour la lutte contre le terrorisme, mais pas uniquement : les organisations criminelles y recourent de plus en plus. Au niveau européen, il y a un débat sur les limites de ce que nous pouvons faire. En effet, le chiffrement est tout aussi essentiel pour notre vie quotidienne de citoyens, par exemple pour nos données bancaires et autres. Il faut donc trouver un moyen de combattre le chiffrement utilisé par les criminels ou les terroristes, tout en préservant la sécurité des données chiffrées de tous les jours.

C'est pourquoi nous avons pris des initiatives bien ciblées : par exemple, un soutien aux forces de l'ordre dans le développement de leurs capacités de déchiffrement. Certains pays sont très forts dans ce domaine, il faut qu'ils aident ceux qui le sont moins. Nous sommes en train de constituer un réseau avec EUROPOL pour que des experts bien formés en la matière puissent aider les États membres moins avancés.

Le mois prochain, nous allons présenter une initiative sur la preuve électronique. Actuellement, les preuves se trouvent souvent en dehors du territoire européen : il faut donc avoir la possibilité de les récupérer. Je ne prétends pas pour autant que nous ayons tout résolu dans ce domaine.

Une question portait sur l'extension des compétences du parquet européen à la lutte contre le terrorisme. Le traité prévoit que le Conseil européen peut décider, à l'unanimité, d'étendre les compétences du parquet européen aux crimes graves à dimension transfrontalière, y compris les actes de terrorisme. La Commission européenne va présenter cet été des propositions tendant à un élargissement des missions du nouveau parquet. Je souhaite que ces propositions comportent un volet concernant la lutte contre le terrorisme.

Nos relations avec la Turquie sont très complexes, mais essentielles, et pas uniquement pour les questions liées aux flux migratoires. Nous devons faire face ensemble au retour des combattants terroristes étrangers qui passent par la Turquie. Même si beaucoup de progrès ont été faits en Irak et en Syrie, nous savons que les combattants de Daech essaient en ce moment de traverser la Turquie pour se rendre ailleurs ; quelques-uns vont essayer de revenir en Europe. Comme je viens de l'expliquer, je crois que nous sommes maintenant mieux préparés - il ne s'agit pas de dire qu'il n'y a aucun risque. Nous avons renforcé les contrôles à nos frontières extérieures, ainsi que la coopération et l'échange d'informations entre services à l'intérieur de l'Union.

Certains de ces combattants terroristes vont essayer de rentrer chez eux ou d'aller dans d'autres pays et nous avons intérêt à tisser des coopérations très étroites, non seulement avec la Turquie, mais avec tous les pays du Moyen-Orient et avec les pays du Maghreb pour essayer de les aider à lutter contre ces terroristes chez eux.

Avec la Turquie, il faut aussi développer la lutte contre le trafic d'armes à feu qui est essentielle. Nous travaillons également avec les autorités de ce pays pour intensifier nos actions préventives en nous attaquant aux causes profondes de la radicalisation susceptible de conduire à l'extrémisme violent. Nous avons maintenant établi une liaison directe entre la Turquie et EUROPOL. Ce sujet reste donc très important pour nous.

En ce qui concerne la coopération dans le domaine de la défense, et surtout ce que nous pouvons faire en Afrique avec le G5, nous avons proposé le renforcement d'une coopération européenne en matière de défense, nommée PESCO. La Commission se réjouit de la décision des États membres d'établir une coopération structurée permanente qui est maintenant soutenue par 25 États membres afin de travailler de concert sur une première série de 17 projets collaboratifs dans le domaine de la défense : la mise en place d'un commandement médical, la mobilité militaire, la surveillance maritime et la cybersécurité.

Il faut aussi assurer le déploiement des forces et développer des coopérations pratiques sur le terrain comme, par exemple, pour le soutien au G5. La Commission est prête à aider et soutenir les États membres, mais ce sont eux qui sont responsables, en première ligne, de ce genre de déploiement. La Commission a mobilisé un soutien financier de 50 millions d'euros pour appuyer le déploiement et l'action du G5 dans le Sahel. C'est important, même si ce n'est pas assez.

La lutte contre les trafics illégaux d'armes à feu constitue également un sujet essentiel. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'appréciation portée sur le dispositif que nous avons proposé pour limiter l'accès aux armes sur notre territoire. En revanche, il faut aussi renforcer la lutte contre les trafics illégaux, notamment dans les Balkans. Là encore, EUROPOL joue un rôle important en organisant des opérations conjointes avec les pays des Balkans occidentaux. Ainsi, l'opération Calibre, organisée en novembre 2017, a permis la saisie de centaines d'armes à feu et de 7 000 munitions, ainsi que l'arrestation de trafiquants. Cela dit, je conviens qu'il faut agir dans les deux domaines : le contrôle des armes présentes sur nos territoires et la lutte contre les trafics illégaux.

C'est mon collègue Dimitris Avramopoulos qui est responsable des questions relatives à l'immigration. Je ne cherche pas à éluder les questions, mais je dois rappeler que nous essayons d'éviter l'amalgame entre celles qui sont liées à l'immigration et les questions de sécurité. En effet, opérer un tel amalgame risque de servir la propagande de Daech, qui veut faire croire que tous les migrants sont des terroristes. C'est pourquoi la Commission a retenu une organisation où ces questions sont confiées à deux commissaires distincts.

Quant à la cybersécurité, les États membres resteront responsables de la réponse opérationnelle aux cyberattaques. Nous avons proposé que l'ENISA soit une agence européenne chargée d'aider les États membres en cas de besoin, rien de plus. Évidemment, certains États membres, comme la France, ont des agences très développées et continueront d'assurer leur propre sécurité. Mais d'autres États membres sont moins avancés et, dans ces cas-là, cette agence européenne pourrait les aider. Le projet de règlement prévoit la possibilité, pour les États membres, de faire appel au soutien de l'agence en cas d'incident majeur, mais c'est aux États membres d'en prendre l'initiative.

Le système de certification que nous avons proposé répond à la volonté de la Commission de faire évoluer le niveau de sécurité tous les États membres. Là encore, certains sont plus avancés que d'autres, mais le cadre de certification restera flexible et adapté aux différents niveaux de sécurité requis. Il va permettre d'intégrer les systèmes existants et non de les remplacer. Nous avons pris bonne note des points soulevés par la France, en particulier dans le cadre de ces négociations. J'espère que nous trouverons rapidement un accord dans les discussions au Conseil, parce qu'il faut renforcer notre cybersécurité et notre capacité de dissuasion dans ce domaine. Là encore, les criminels, les terroristes et, parfois, des États tiers ne vont pas nous attendre. Il faut donc impérativement que nous renforcions nos capacités de défense.

M. Jean Bizet, président. - Si certains de nos collègues ont encore quelques interrogations, qu'ils n'hésitent pas à saisir, directement ou par l'intermédiaire de leur commission, les services de M. le commissaire.

Permettez-moi, au nom de Jean-Pierre Sueur et Christian Cambon ainsi que de l'ensemble de nos collègues, de vous remercier pour le temps que vous nous avez consacré, monsieur le commissaire. La sécurité intérieure est une mission régalienne de chaque État membre, mais il est bien évident que la valeur ajoutée de l'Europe est considérable en la matière pour assurer une certaine coordination, développer l'échange d'informations et la complémentarité des actions. Nos concitoyens l'ont bien compris.

Comme l'a dit tout à l'heure Jean-Pierre Sueur, l'un de nos grands soucis concerne la réactivité. Les terroristes ont toujours une longueur d'avance. Dans ce domaine de la sécurité, comme dans beaucoup d'autres domaines, nous savons bien que l'Union européenne qui n'est pas une structure fédérale, tant s'en faut, a ce souci de réactivité.

Par ailleurs, la nécessaire projection sur des théâtres extérieurs constitue le coeur de la mission de la commission présidée par notre collègue Christian Cambon. Si on ne va pas éradiquer un certain nombre de foyers extrêmement délicats, nous avons obligation de nous projeter sur ces théâtres extérieurs. D'où l'importance du débat qui aura lieu dans quelques semaines au Parlement sur la définition d'une projection à hauteur de 2 % du PIB de l'implication des États en matière de défense.

Enfin, à partir du 31 décembre 2020, la période de transition sur le Brexit prendra fin et le Royaume-Uni sera un pays tiers. J'espère que l'accord de libre-échange qui restera à inventer - si j'en crois les informations venant de Londres que nous devons décrypter -, ne sera pas tout à fait celui passé avec la Corée, pas tout à fait celui avec le Japon et pas tout à fait non plus celui avec le Canada. Nous essaierons donc de décrypter les volontés de Mme May - peut-être aurez-vous des conseils à nous donner -, mais certains partenariats seront nécessaires en matière de défense ou de sécurité avec ce grand voisin qui a une très belle expertise dans ces domaines.

M. Julian King. - Encore merci pour cette invitation. Même si ce n'est pas absolument sûr, il est fort probable que je serai licencié le 29 mars 2019. Il me reste quand même une année pour essayer de faire avancer ces sujets. Je vais donc essayer de travailler jusqu'au dernier jour, parce que c'est essentiel. J'espère que vous avez constaté que l'Union européenne n'est pas restée inactive ces derniers mois. Nous avons proposé des actions et des mesures qui ont permis d'apporter un soutien aux États membres dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et d'autres domaines que nous venons d'évoquer.

Plusieurs de ces mesures avaient d'ailleurs été suggérées dans le cadre de vos rapports et de vos résolutions. Je pense, par exemple, à la mise en place d'un corps de garde-frontières et de garde-côtes, à l'interopérabilité renforcée de nos bases de données ou encore à la mise en place de contrôles systématiques aux frontières extérieures de l'espace Schengen. Si nous voulons conserver l'acquis exceptionnel de la construction européenne qu'est l'espace Schengen, nous devons mettre tout en oeuvre pour renforcer la sécurité en interne et aux frontières. Le niveau de menace terroriste reste très élevé, comme vous venez de le dire, et sa nature est en constante évolution.

Nous devons nous aussi nous adapter à ces changements. Il est à craindre que la menace terroriste persiste au-delà du mandat de cette Commission, mais je peux vous assurer que mes collègues et moi-même, dans l'intervalle, allons tout mettre en oeuvre pour renforcer encore le soutien que l'Union peut apporter aux États membres dans ce cadre. Le risque zéro n'existe pas, mais nous pouvons limiter les moyens d'action des terroristes et renforcer notre résilience pour y faire face, aujourd'hui à 28, et demain à 27, en étroite coopération avec le Royaume-Uni.

M. Christian Cambon. - Merci, monsieur le commissaire. Vous savez que la France est prête à accueillir les grandes entreprises qui souhaitent éviter le Brexit. Elle peut aussi accueillir les grands diplomates francophiles et francophones, si jamais vous vous trouvez sans emploi le 29 ou le 30 mars 2019 !

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Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est levée à 10 h 45.