Jeudi 23 novembre 2017

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Finalisation du programme de travail de la délégation

M. Michel Magras, président. - Avant de recevoir la ministre des outre-mer, Annick Girardin, il nous faut choisir un second sujet d'étude.

Je rappelle que, lors de notre réunion du 9 novembre, nous avons déjà défini deux axes de travail :

- un cycle de conférences sur la biodiversité ultramarine, en partenariat avec l'Agence française pour la biodiversité qui nous a sollicités. Je vous rappelle que ce cycle débutera le 7 décembre puis se déclinera en trois colloques sur la période triennale, centrés sur chaque bassin océanique ;

- une étude de fond sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer, dont on sait qu'ils sont nombreux, de plus en plus virulents et leur survenance de plus en plus fréquente. Comme nous l'avions fait sur le foncier ou les normes, cette étude se composera de deux volets dont nous avons confié la coordination à Guillaume Arnell. Sur le premier volet qui traitera des questions de prévention et de gestion de l'urgence, nous avons désigné Mathieu Darnaud et Victorin Lurel comme binôme de rapporteurs.

Nous devons donc maintenant choisir un second sujet d'étude.

Avant d'évoquer les sujets que certains d'entre vous ont fait remonter à notre secrétariat et de vous céder la parole, je dois vous faire part de quelques informations et vous rappeler les critères qui guident habituellement nos choix.

En dehors des actions de suivi de nos travaux antérieurs sur les normes BTP que j'ai évoquées la dernière fois, en direction de la Nouvelle-Calédonie et de La Réunion, je suis saisi d'une sollicitation de la CPME de La Réunion pour organiser un événement au Sénat sur le Small business act (SBA), outil de pilotage de la commande publique dans nos territoires, ainsi que sur les questions d'économie circulaire et de relocalisation d'un certain nombre d'activités pour structurer des filières. Cet événement se situerait dans le prolongement des conférences économiques organisées au cours des trois dernières années. Il nous faudra déterminer le moment le plus favorable pour le programmer en associant les acteurs économiques des différents territoires.

Je viens par ailleurs de recevoir une demande d'audition de M. Jean-Marc Ayrault qui préside le GIP en charge de la création d'une fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions. Nous pourrions le recevoir au début de l'année 2018.

J'en viens maintenant aux propositions qui ont été faites pour le choix d'un second sujet d'étude et aux critères à prendre en compte pour l'optimisation de notre programme.

Les critères en question sont les suivants :

- le sujet doit être suffisamment transversal, à la fois dans son objet et dans son assise géographique. Je m'explique : concernant l'objet, il faut privilégier les sujets qui recoupent les domaines de compétences de plusieurs commissions car sinon, précisément, ils resteront en jachère ou auront tendance à être traités partiellement, sous un prisme réducteur car nécessairement spécifique au domaine de compétence de la commission concernée ; concernant l'assise géographique, il faut privilégier les sujets qui touchent le plus grand nombre de nos outre-mer, départements et collectivités ;

- il nous faut éviter les sujets qui ont déjà fait l'objet d'études récentes, il faut éviter la redondance. Les sujets appelant des travaux d'évaluation et de réflexion sont suffisamment nombreux pour que nous ne tombions pas dans ce travers de la répétition. Et dans cette optique, notre choix doit également être guidé par le souci de la valeur ajoutée : il faut miser sur le caractère inédit et éviter les télescopages avec des travaux qui seraient engagés par d'autres instances, internes au Sénat ou extérieures ;

- pour majorer l'impact de nos travaux et une meilleure visibilité, il nous faut enfin considérer le contexte et, si possible, nous inscrire en amont d'événements ou de réformes qui seront importants pour nos outre-mer.

Voilà, j'espère ne rien avoir oublié ; je crois qu'il faut avoir ces éléments présents à l'esprit pour effectuer notre choix.

J'en viens à vos propositions transmises à notre secrétariat ; dans l'ordre d'arrivée, elles sont les suivantes :

- Viviane Malet : les jeunes des outre-mer et le sport, le traitement des déchets, l'accession à la propriété ;

- Charles Revet : la pêche ;

- Esther Benbassa : le dérèglement climatique et ses conséquences pour les outre-mer ;

- Gisèle Jourda : le rôle des femmes dans les outre-mer et la situation de la jeunesse ;

- Victorin Lurel : la fiscalité.

À la lumière des critères précédemment rappelés, je vous livre quelques observations avant de céder la parole aux auteurs :

- je crois pouvoir dire que notre collègue Esther Benbassa a d'ores et déjà satisfaction puisque la question climatique sera traitée dans le cadre du premier sujet d'étude sur les risques naturels majeurs et également lors de nos conférences sur la biodiversité ;

- concernant la pêche, je sais qu'il s'agit d'un sujet cher à Charles Revet, et ô combien important pour nos territoires. Cependant, et je suis au regret de le décevoir, ce sujet ne me paraît pas devoir être retenu dans l'immédiat : en effet, nos collègues de l'Assemblée nationale se sont saisis du sujet de l'économie bleue et, par ailleurs, il y a eu un rapport récent du Parlement européen sur la situation des flottes de pêche dans les régions ultrapériphériques (mars 2017). Aussi, afin d'actualiser notre information, je proposerais volontiers à notre collègue député européen, Younous Omarjee, de venir nous parler de ce sujet ;

- sur le thème de la fiscalité proposé par Victorin Lurel, je considère qu'il s'agit en tant que tel du pré carré de la commission des finances, qui dispose d'ailleurs de moyens d'évaluation et d'investigation bien supérieurs aux nôtres. En revanche, les questions fiscales et financières constituent souvent un aspect important de nos thèmes transversaux : ce sera, je pense, le cas sur notre thème relatif aux risques majeurs ;

- sur le premier sujet proposé par Gisèle Jourda, la question du rôle et de la place des femmes dans les outre-mer, nous pourrions proposer à la Délégation aux droits des femmes d'organiser avec nous un événement au Sénat. Nous en avions déjà imaginé le principe l'an passé mais n'avions pas trouvé le moment opportun. Nous allons donc y revenir.

Sur le thème de la jeunesse, je fais le lien avec un sujet proposé par Viviane Malet : la jeunesse et le sport. Dans la perspective des Jeux Olympiques, cette thématique me paraît particulièrement judicieuse pour mettre en valeur nos territoires et également formuler des propositions qui pourront, avec l'anticipation suffisante, améliorer la formation des jeunes et faciliter leur parcours. La nécessaire antériorité par rapport à l'échéance pour formuler des recommandations susceptibles d'être reprises me fait dire que ce sujet est prioritaire. L'étude pourrait être d'ailleurs complétée par un événement qui nous permettrait de mettre en valeur les territoires, leurs cultures propres, et de souligner l'excellence ultramarine dans le domaine du sport.

Pour changer totalement de sujet, la question des déchets me paraît également particulièrement pertinente : c'est un thème qui répond au critère de transversalité - car c'est un énorme problème pour tous les outre-mer -, mais c'est aussi un sujet sur lequel nous pourrions avoir une réelle plus-value dans nos propositions tout en valorisant les initiatives locales relevant de l'économie circulaire.

Parmi les sujets que vous avez proposés, il me semble donc que deux se dégagent clairement :

- la jeunesse et le sport dans les outre-mer, à traiter en priorité. J'ai eu l'occasion lors du déplacement du Premier ministre aux Antilles de rencontrer la ministre des sports qui l'accompagnait, Laura Flessel, que certains d'entre vous ont pu également voir hier soir à la réception du Président du Sénat. Elle m'a alors fait part de son intérêt pour le travail de notre délégation et il paraît tout à fait envisageable de travailler avec elle pour valoriser nos territoires ;

- et, à sa suite, la question des déchets, très vaste, complexe et qui pourrait faire l'objet d'une étude en deux volets.

Je souhaite tout d'abord recueillir votre avis sur ces différentes observations.

Mme Viviane Malet. - Comme vous le signaliez, je souhaiterais en effet proposer un sujet relatif aux parcours des sportifs ultramarins. Je pense que le contexte national est porteur pour la thématique du sport avec la récente attribution des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 à Paris. Je tiens à souligner que ce sujet a un fort potentiel de valorisation pour nos territoires comme pour notre jeunesse : je rappelle que parmi les six derniers porte-drapeaux des délégations olympiques françaises, quatre étaient issus de nos outre-mer. Le sujet se démarque également, je pense, des sujets précédemment examinés par la délégation. Enfin, la question de la jeunesse et des sports est une problématique qui touche de près les élus locaux car, souvent, ils ont dans leurs compétences tant les équipements sportifs à mettre à disposition que le développement de politiques en faveur de la jeunesse et de la pratique sportive. Ces mêmes élus ont toujours à coeur d'assurer un bon accompagnement et des perspectives de carrière pour les jeunes de leurs territoires.

Mme Gisèle Jourda. - Pour ma part, j'avais en effet suggéré un sujet relatif à la place des femmes dans les territoires ultramarins afin d'avoir un reflet de la sociologie de ces territoires, et de la place des femmes et de la famille en outre-mer, questions sur lesquelles nous avons peu d'information. Comme vous l'indiquiez, une collaboration avec la Délégation aux droits des femmes paraît également envisageable sur ce sujet.

Concernant les sujets que nous retiendrons aujourd'hui, je souhaite que la délégation reste sur la trajectoire des années précédentes, à savoir des études de fond sur des sujets transversaux. Nous devons faire preuve de sagesse et de mesure dans nos travaux et éviter toute dispersion. Le sujet du sport et de la jeunesse me paraît à ce titre très pertinent et je souscris aux propos de notre collègue Viviane Malet. Je tiens à souligner que le sport peut en outre constituer un réel ascenseur social pour certains jeunes avec la professionnalisation des sportifs. Aussi, c'est un réel atout en termes de rayonnement culturel : les sportifs français de haut niveau sont bien souvent issus des territoires ultramarins.

Mme Esther Benbassa. - Je vous avais communiqué une proposition concernant les conséquences des changements climatiques. Je tiens à préciser que les dérèglements climatiques conduiront à une augmentation des réfugiés climatiques. En octobre dernier près de 7 000 habitants de Saint-Barthélemy et Saint-Martin se sont retrouvés réfugiés en Guadeloupe (3 500), en Martinique (800) et dans l'hexagone (2 500) après l'ouragan Irma : ce sont bel et bien des réfugiés climatiques. La fréquence des catastrophes comme cet ouragan se trouvera accrue avec le changement climatique. Les catastrophes naturelles se voient doublées du phénomène de montée des eaux et la question de l'habitabilité de nos territoires insulaires va se poser sur le long terme. Nous devons réfléchir à la prise en charge des potentiels réfugiés climatiques issus des territoires d'outre-mer qui pourraient devoir migrer vers des territoires français voisins ou l'hexagone.

M. Michel Magras, président. - Cette thématique importante s'inscrit pleinement dans le travail que nous débutons aujourd'hui sur les risques naturels majeurs.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je voudrais appuyer à mon tour les différents sujets présentés : il faut tout prendre, ne rien jeter, même les déchets. Il faut aujourd'hui donner la priorité à notre jeunesse et le sujet relatif au sport me semble un excellent choix.

M. Dominique Théophile. - Je souscris également à la démarche de notre collègue sur le sport qui est un réel enjeu pour nos territoires dans la perspective des JO de 2024. Une réflexion est menée avec le Centre national pour le développement du sport (CNDS) dans le cadre du plan Kanner sur le niveau d'équipement de nos territoires : il y a un décalage profond entre les résultats de nos sportifs et les équipements dont nous disposons, parfois de fortune. Par ailleurs, je pense que cette étude peut être l'occasion de s'intéresser également à la question du dopage et à la protection de nos jeunes sportifs à cet égard.

M. Michel Magras, président. - Je connais l'affinité de notre collègue Dominique Théophile pour le sujet du sport qu'il porte depuis longtemps en Guadeloupe au sein de l'assemblée départementale dans laquelle nous siégions tous les deux.

Mme Vivette Lopez. - Je partage ce qui a été dit ; ce sont en effet de beaux sujets. Je soutiens particulièrement le sujet relatif au sport. Notre collègue Antoine Karam évoquait hier à la commission de la culture la question de l'enseignement du sport dans les territoires outre-mer. Je pense qu'il est en effet très opportun d'associer la jeunesse à ce sujet, comme vous le proposez.

Mme Catherine Conconne. - Je souhaite à mon tour souscrire à cette proposition sur le sport. Il est important de soutenir notre jeunesse. Je tiens à rappeler une chose cependant : la proportion de jeunes va diminuer dans les années à venir. La Martinique et la Guadeloupe vivent un vrai drame, avec une démographie qui nous file entre les doigts. Nos pays perdent 3 000 à 4 000 habitants par an, j'insiste, avec un taux de fécondité inférieur à 2 : on ne fait pas assez d'enfants. Nous voyons ici les conséquences du départ de toute une génération à partir des années 1960 avec le plan Debré et le BumiDOM qui ont été une abomination pour nos pays et ont conduit à l'expatriation de dizaines de milliers de Martiniquais, Guyanais, Guadeloupéens et Réunionnais vers l'hexagone. Ces populations sont restées en France, leurs enfants et leurs petits-enfants aussi : cette population nous manque aujourd'hui et notre pyramide des âges est de plus en plus creusée. Il y a urgence à traiter ce problème démographique, mettre en place des plans de retour au pays et améliorer les conditions de mutation des fonctionnaires, alors que le taux de couverture des départs à la retraite est de 90 % dans les administrations en Martinique. Pour reprendre une expression appliquée à d'autres espèces que l'espèce humaine, nous sommes une « espèce en voie de disparition ». Nous déplorons ce problème à chaque fermeture de classe ou d'école dans nos communes.

Mme Viviane Artigalas. - Ce thème sur le sport me paraît tout à fait intéressant et je pense qu'il faudra insister sur le rôle des écoles et de la formation. En tant qu'ancienne professeure d'éducation physique et sportive, je tiens à souligner l'importance des équipements en milieu scolaire.

M. Michel Magras, président. - Je constate donc que ce sujet relatif au sport fait l'unanimité. Il nous faudrait dès maintenant désigner les rapporteurs afin d'amorcer rapidement le travail. Aussi, je vous propose un format original : un quatuor féminin avec une représentante de chaque bassin océanique et une représentante de l'hexagone.

La délégation désigne comme rapporteures Mmes Catherine Conconne, Gisèle Jourda, Viviane Malet et Lana Tetuanui.

Audition de Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer, dans le cadre de l'étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer

M. Michel Magras, président. - Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui ; nos agendas respectifs s'étaient jusqu'à présent croisés sans se rencontrer.

Comme vous le savez, notre délégation a décidé de mener une étude de fond sur la question des risques naturels majeurs dans les outre-mer et le Président du Sénat, Gérard Larcher, l'avait annoncé en Conférence des présidents.

Si les phénomènes météorologiques hors normes intervenus au mois de septembre aux Antilles sont à l'origine de cette décision, les risques naturels majeurs dans nos territoires ne se limitent pas aux seuls cyclones.

Aussi, nous le savons, les changements climatiques conduiront malheureusement à un renforcement de ces phénomènes, dans leur fréquence et sans doute dans leur ampleur. Selon une expression désormais usuelle, nos territoires sont de véritables « sentinelles des évolutions climatiques » car ils sont particulièrement exposés. Nombreux à être situés en zone tropicale, le risque cyclonique y est cependant particulièrement fort.

Leur caractère insulaire et l'importance des zones littorales, zones les plus peuplées, y compris en Guyane, les rendent très vulnérables au risque de submersion et à la montée des eaux. Sur les quelque 10 millions d'habitants des petits États insulaires du Pacifique, on estime à 1,7 million le nombre de ceux qui devraient être déplacés d'ici 2050.

Nos territoires sont également impactés par les autres risques naturels majeurs, à des degrés divers selon leur configuration géographique et géologique : glissements de terrains, inondations, risques sismiques ou éruptions volcaniques.

Cette vulnérabilité allant croissant, notre délégation a estimé nécessaire d'entreprendre une étude approfondie permettant d'appréhender la situation concrète de chaque territoire, de mesurer sa fragilité et d'évaluer les dispositifs de prévention et de sauvegarde en place.

Les questions à examiner sont multiples et les différences importantes d'un territoire à l'autre ont motivé de scinder en deux temps notre étude :

- un premier volet abordera les aspects relatifs à la prévention, à l'anticipation des phénomènes et à la gestion de l'urgence lorsque le risque est déclaré ;

- un second volet traitera de la question de la reconstruction après la survenue d'un événement et de l'organisation de la résilience des territoires.

À cet effet, la délégation a désigné notre collègue Guillaume Arnell comme rapporteur coordonnateur de l'ensemble de l'étude, et Mathieu Darnaud et Victorin Lurel comme binôme de rapporteurs sur le premier volet.

C'est donc les travaux sur le premier volet, centré sur la prévention et la gestion de l'urgence, que nous ouvrons avec votre audition aujourd'hui. Nous savons combien vous avez été présente après la dévastation de nos îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy et le prix que vous attachez au suivi des opérations de reconstruction.

Comme à l'accoutumée lors de nos auditions, nous disposons d'une trame qui servira de fil conducteur à nos débats ; elle vous a été communiquée, madame la ministre. Avant de vous céder la parole, nos collègues rapporteurs souhaitent-ils intervenir ?

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Merci pour votre invitation ce matin pour cette première audition organisée par votre délégation. Je salue votre choix d'entériner la proposition du président Michel Magras : engager une étude de fond sur les outre-mer face aux risques naturels majeurs, c'est primordial. C'est même vital. Cela engage la sécurité de 2,7 millions de nos concitoyens.

J'ai l'habitude de le dire - et malheureusement l'actualité de ces derniers mois en a été la triste illustration - les outre-mer sont en première ligne des risques naturels majeurs : séisme, tsunami, cyclone, volcan, inondation, glissement de terrain. S'ajoutent à cette forte exposition aux risques les contraintes liées à l'insularité (hormis la Guyane) et à l'isolement. Cette insularité, parfois « multiple », comme c'est le cas à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy, a un effet amplificateur lors d'une crise majeure avec l'effondrement de l'ensemble des réseaux et la difficulté pour acheminer rapidement des moyens d'urgence.

Par ailleurs, les zones littorales concentrent l'essentiel des populations et de l'activité économique et sont particulièrement exposées. Les effets du changement climatique, déjà perceptibles et appelés à s'accroître, vont renforcer dans l'avenir l'intensité et la fréquence de ces risques.

D'ailleurs, les risques naturels sont toujours présents. L'activité sismique intense ces derniers jours en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna - heureusement sans faire de victime - est encore venue nous le rappeler.

La transition écologique est le défi de nos sociétés pour le XXIe siècle. Alors que va bientôt s'ouvrir la conférence climat de Paris le 12 décembre prochain, voulue par le Président de la République, je souhaiterais rappeler mon ambition : si les outre-mer sont effectivement les plus exposés, ils peuvent aussi être aux avant-postes des solutions d'adaptation au changement climatique. J'insiste sur ce point. Les Assises des outre-mer seront d'ailleurs l'occasion de présenter des solutions novatrices en la matière, territoire par territoire, en incluant la dimension régionale. Cette dernière est indispensable pour répondre aux crises et la France conserve un rôle central en la matière par ses capacités de déploiement logistique, j'aurai l'occasion d'y revenir.

L'audition est aujourd'hui axée sur le premier volet de l'étude, à savoir les questions de prévention, d'anticipation et de gestion de l'urgence dans les outre-mer face aux risques naturels majeurs.

Je sais que vous aurez l'occasion de m'interroger sur le second volet de l'étude ultérieurement, à savoir les questions de reconstruction et de renforcement de la résilience des territoires, elles aussi extrêmement importantes. Mais je ne peux raisonnablement pas l'omettre tant les risques naturels appellent une réponse globale : l'aménagement du territoire, pensé et organisé pour la résilience face aux risques, est bien entendu un préalable indispensable pour prévoir, anticiper et gérer au mieux les urgences. Tout est lié, vous le savez et je ne cesserai jamais de le rappeler. C'est une partie du combat que je mène depuis plusieurs années et qu'il faut aujourd'hui accélérer.

Je vous remercie de nous avoir transmis le fil conducteur de cette audition. J'en salue la pertinence et j'aurai l'occasion de rentrer dans les détails - et les chiffres - lors de la phase de questions/réponses qui va suivre. Je souhaiterais simplement revenir avec vous sur les enjeux de prévention et de gestion des risques, en appuyant mon propos sur mon expérience de terrain. Ces questions ont fondé mon engagement politique.

J'ai activement participé à la COP21 en tant que secrétaire d'État au développement. J'étais en charge de la négociation avec les pays en développement et les États insulaires. Pendant deux ans, j'ai sillonné la planète à la rencontre de populations condamnées à déménager leur village en raison de la montée des eaux, d'agriculteurs frappés par des sécheresses inédites, mais aussi de citoyens porteurs de solutions nouvelles. J'ai porté le projet CREWS (Climate Risk and Early Warning Systems), un système international d'alerte, car certains pays accèdent tout juste aujourd'hui à des informations météorologiques.

Quelques mois après la COP21, on a tendance à l'oublier, la France a signé les dix-sept objectifs de développement durable (ODD) pour l'horizon 2030 avec les 192 autres États membres de l'ONU. Mon souhait, c'est de voir des territoires dans lesquels ces dix-sept ODD ne soient pas qu'un beau discours, pour se donner bonne conscience, mais bien une stratégie politique concrète, inscrite dans le quotidien des populations.

Ces dix-sept objectifs de développement durable s'appliquent dans tous les champs de la société et sont complémentaires et insuffisamment connus ; c'est ce que l'on appelle le développement durable : environnement mais aussi lutte contre la pauvreté, éradication de la faim, meilleure santé, éducation de qualité, égalité femme/homme, travail décent et croissance économique, réduction des inégalités, et bien sûr la paix. Le développement durable, c'est comprendre que tout est lié.

Je souhaite que les territoires d'outre-mer soient des territoires d'excellence. Je souhaite que les territoires d'outre-mer mettent en place ou se donnent comme objectifs ces dix-sept objectifs de développement durable pour l'horizon 2030. C'est sans doute à travers ces objectifs que nous pourrons montrer l'exemplarité mais aussi l'innovation dont sont capables nos territoires.

Mais je reviens aux enjeux de prévention des risques naturels majeurs. Il faut tout d'abord rappeler qu'à l'exception de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, largement compétentes sur ces questions, le droit commun national s'applique outre-mer.

Une fois les aléas naturels connus, mesurés, répertoriés, et ils le sont très largement, le premier défi est celui de la planification, avec l'élaboration des plans de prévention des risques (PPR) naturels (PPRN) et littoraux (PPRL) et des stratégies locales contre le risque inondation et submersion marine.

Les situations sont très contrastées : si cette planification, essentielle compte tenu de ses conséquences en termes d'aménagement de l'espace, a bien avancé en Guyane, dans les Antilles ou à La Réunion, il reste beaucoup de travail, en particulier à Mayotte ou même à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Nous sommes collectivement responsables de cette situation car ces plans sont nécessairement le fruit d'un travail conjoint entre l'État et les collectivités. Il est d'autant plus important de mener ce travail que les enjeux outre-mer sont spécifiques et accentuent souvent les risques, d'abord avec une forte urbanisation littorale, mais aussi compte tenu de la prégnance de l'habitat illégal dans certains territoires.

Ces retards sont d'autant plus préjudiciables et regrettables que les financements sont nombreux dans ce domaine, avec en premier lieu le fonds Barnier, mais aussi les fonds européens, particulièrement le fonds européen de développement régional (FEDER), qui peuvent être mobilisés pour mener à bien les politiques de prévention.

Nous disposons, en plus, du fonds exceptionnel d'investissement (FEI), qui relève du ministère des outre-mer. Le FEI est un levier indispensable pour rattraper les retards des outre-mer par rapport à l'hexagone en matière d'équipements structurants pour les populations.

6 % des investissements du fonds (soit plus de 3 millions d'euros par an) concernent spécifiquement des mesures de prévention des risques naturels majeurs.

Je rappelle à ce titre que, pour la période 2018-2022, j'ai obtenu le maintien du dispositif FEI, avec 40 millions d'autorisations d'engagement par an.

Par ailleurs, plusieurs risques naturels ont fait l'objet de plans spécifiques. Le plus important est le Plan séisme Antilles, mis en place depuis 2007. Les Antilles françaises sont les territoires les plus exposés aux aléas sismiques à l'échelle nationale. La réduction de la vulnérabilité du bâti est une priorité gouvernementale.

L'État a déjà contribué à ces projets à hauteur de 350 millions d'euros sur ses crédits budgétaires et sur le fonds Barnier.

Cela a permis de renforcer ou reconstruire deux États-majors et six centres de secours des pompiers, neuf centres hospitaliers, quarante-quatre établissements scolaires, 6 500 logements sociaux.

En effet, pour la 2e tranche du plan, qui couvre la période 2016-2020, l'État prévoit de mobiliser 450 millions d'euros, soit une augmentation de 30 % par rapport à la première phase.

Je me félicite également de l'adoption par l'Assemblée nationale de deux dispositifs fiscaux visant à répondre aux besoins spécifiques en outre-mer en matière de travaux de confortation contre le risque sismique et cyclonique au bénéfice des propriétaires occupants.

Par ailleurs, comme je l'ai annoncé à l'Assemblée nationale, je suis également favorable à ce qu'une partie des crédits du logement du ministère soit fléchée vers la rénovation des bâtiments et leur adaptation au changement climatique. Je m'y suis engagée, dans un premier temps, à hauteur de 5 millions d'euros.

Car je porte une ambition : je souhaite « verdir » l'ensemble des soutiens financiers du ministère des outre-mer, de manière progressive d'ici la fin du quinquennat.

Il faudrait aussi vous parler de tout ce qui est fait en matière d'information, de formation, de sensibilisation aux risques. Mais sans doute aurez-vous des questions sur le sujet.

Je suis certaine que l'action collective pour la sécurité de nos concitoyens est aujourd'hui mise au défi par le dérèglement climatique. Les collectivités sont-elles armées pour faire face à des risques de plus en plus violents et imprévisibles ? Faut-il des moyens de financement nouveaux ? Tels sont, je crois, les termes du débat. Nous n'avions jamais pensé que les collectivités aient, avec le soutien de l'État, à porter de tels défis.

Il faut le rappeler car on a tendance à l'oublier : jamais trois cyclones ne s'étaient succédé en dix jours dans les Antilles, encore moins des cyclones d'une telle intensité - 380 km/h de vents. Nous avons fait face à un événement inédit. Et malheureusement, le consensus scientifique ne nous laisse guère de doute sur la fréquence accrue de ces phénomènes pour l'avenir.

Il va falloir nous adapter. Et financer cette adaptation. C'est à ce titre que la question de « l'équivalent fonds vert », géré par l'Agence française de développement (AFD), mérite d'être évoquée. Tel qu'amendé à l'Assemblée nationale, il sera maintenu dans le budget 2018 de mon ministère.

Pour 2017, l'AFD nous a informé que 9,3 millions d'autorisation d'engagement ont été consommés dans l'enveloppe globale fournie par le ministère, laquelle s'élève à 13,5 millions d'euros.

J'aurai souhaité que cet équivalent fonds vert, qui bénéficie aujourd'hui aux collectivités du Pacifique, puisse être disponible pour tous les territoires d'outre-mer. Mais dans ce cas, le ministère des outre-mer ne peut pas être seul à relever le défi.

Je vous le disais : tout comme je crois à l'action collective, je milite pour que les outre-mer s'inscrivent dans leur bassin régional. L'adaptation au changement climatique des outre-mer sollicite bien sûr la solidarité nationale - la gestion de crise post Irma et Maria est d'ailleurs la preuve de l'efficience de la mobilisation interministérielle. J'irai même plus loin : l'adaptation au changement climatique des outre-mer mobilise une solidarité européenne et internationale, d'où la nécessité de raisonner par bassin géographique. Comme je le rappelais en introduction, les problématiques se recoupent : si l'aménagement du territoire est pensé en amont, si les infrastructures sont adaptées aux contraintes climatiques, alors la gestion de crise est grandement facilitée. Sur ce point, n'ayons pas peur pour une fois de l'assumer avec fierté, le système français de gestion de crise est parmi les plus efficaces au monde. Quels sont les pays qui peuvent aujourd'hui se targuer d'une capacité de mobilisation logistique et d'intervention en moyens civils et militaires à l'échelle de ce qui a été fait pour Irma et Maria ? Ils se comptent sur les doigts d'une main. Je ne peux pas laisser dire que l'État n'a pas répondu présent à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, en Guadeloupe ou en Martinique. En termes de moyens engagés, cela représente la plus grande opération logistique nationale depuis des décennies. Quelques chiffres rapides, toujours nécessaires pour comprendre cette opération et son importance : 8 284 personnes mobilisées, dont 3 000 sur place ; bâtiment de projection et de commandement - le BPC Tonnerre - sur zone du 22 septembre au 13 octobre, ainsi que, je le rappelle, deux frégates, six avions de surveillance et de transport - Falcon, CASA et A400M ; 7 hélicoptères ; 350 tonnes de nourriture ; 2 millions de bouteilles d'eau ; 35 000 rations militaires ; 50 000 m² de bâches et bien sûr l'ensemble des autres petits moyens que je pourrais ajouter si je dois fournir la liste exhaustive.

Oui, il y a des leçons à tirer de la gestion de cette crise. Le retour d'expérience organisé aujourd'hui par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) nous permettra d'en tirer les enseignements nécessaires.

Pour m'être rendue sur place, vous le savez, quelques heures seulement après le passage des ouragans, je peux témoigner des difficultés, de la détresse des populations et des paysages de guerre, ravagés, que j'ai pu découvrir.

Cette crise a mis en exergue un autre enjeu, celui de la gestion de la communication en temps de crise.

Communiquer, c'est aujourd'hui un besoin vital pour les populations. La communication n'a pas remplacé les besoins primaires d'eau et d'électricité, mais dans un monde « connecté », la déconnection devient rapidement un sujet de tension en soi. Je l'ai vu, je l'ai vécu. Et puis, humainement, le simple fait de pouvoir parler à quelqu'un de son entourage, de rassurer, participe à un effet cathartique.

Pouvoir communiquer, c'est aussi mettre à mal ce que l'on appelle les « fake news » et informer sur l'action réelle de nos services territoriaux et de l'État sur le terrain dans la gestion de crise. Cela a effectivement manqué.

Des vies ont été sauvées. Des femmes et des hommes se sont engagés corps et âme pour venir au secours des populations. Vous le savez, je viens d'Amérique du nord. Aux États-Unis, au Canada, on les aurait qualifiés de héros. En France, on les critique, ce n'est jamais suffisant. Je tiens ici à leur rendre hommage et féliciter ces « héros invisibles » qui se sont engagés dans la gestion de cette urgence, que ce soient des professionnels ou des bénévoles.

Et puis, la France, à travers ses outre-mer, joue souvent un rôle de pivot dans l'action internationale de la gestion des crises majeures.

L'Accord FRANZ dans l'océan Pacifique, qui réunit la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande au profit de tous les États de la zone est sans doute le plus bel exemple d'une coopération régionale aboutie. Il a vocation, je crois, à faire école dans les deux autres océans.

Dans l'océan Indien, la France est de fait l'unique puissance régionale réellement armée dans ce domaine. Le travail étroit engagé avec la Croix-Rouge, à travers la plate-forme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI), démontre que par des voies originales, des initiatives de solidarité de voisinage sont toujours possibles. C'est une belle façon de rayonner pour La Réunion.

Dans l'océan Atlantique, des dispositifs régionaux existent. Pourtant, alors que c'est la zone la plus sujette aux risques naturels, la structuration n'est pas complètement au rendez-vous. Plusieurs projets sont en cours, je pourrai y revenir. La France s'efforce d'être moteur et partie prenante de chacun de ces projets.

Voilà, en quelques mots, ce que je souhaitais porter à votre attention pour ouvrir cette discussion.

En matière de risque naturel, le risque zéro n'existe pas. Par une meilleure collaboration entre l'État et les acteurs locaux, par la mobilisation de tous les moyens à notre disposition, nous pourrons, ensemble, anticiper au mieux et surtout gérer plus efficacement les événements lorsqu'ils surviennent.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie, madame la ministre, pour votre intervention. Je souhaiterais rappeler l'esprit de notre travail. Nous avons fait face, avec l'ouragan Irma, à un phénomène inédit, irrationnel, vis-à-vis duquel nous n'avions pas les codes. L'idée ici n'est pas de mettre en cause la responsabilité de quiconque mais de travailler dans un esprit constructif. Nous souhaitons tirer les leçons de ce qui s'est passé et formuler des propositions pour répondre au mieux aux événements qui se produiront à l'avenir. Je tiens à souligner la solidarité qui s'est manifestée pour nos territoires. Je pense notamment aux îles voisines des Antilles mais surtout à la France au sens large, jusqu'au Pacifique et à l'océan Indien.

Je pense que nous devrons nous intéresser dans le cadre de cette étude à la place des réseaux sociaux, qui sont aujourd'hui incontournables. La question est de savoir si les utilisateurs sont capables, dans de telles situations, de prendre du recul sur les contenus diffusés.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - C'est un honneur pour moi de conduire les deux volets de cette étude sur les risques naturels majeurs. Je remercie le président et mes collègues de la délégation pour leur confiance. Nous conduirons ces travaux avec exigence, impartialité et sans concession aucune. Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir accepté cette audition, la première d'une longue série. Au sein de cette délégation, nous devons pouvoir tout nous dire, sans esprit polémique mais avec la volonté, le président l'a dit, d'être le plus constructif possible.

Je connais votre franc-parler, madame la ministre, et j'espère que vous accepterez de répondre à toutes les questions. Notre ambition est d'être en mesure, à la fin de nos travaux, de formuler des préconisations pour tenter de combler les lacunes constatées avec Irma. Il n'est pas ici question d'être accusateur, c'est pourquoi - le président de la délégation le souhaitait et le Président du Sénat soutenait cette idée - nous avons choisi de conduire dans le cadre de la délégation une étude plutôt que de demander la constitution d'une commission d'enquête. Mais, rassurez-vous chers collègues, notre rapport ne sera pas édulcoré.

Nous avons choisi de faire porter ce rapport sur les risques naturels majeurs. En période d'aléas climatiques, d'autres risques peuvent se manifester, sanitaires notamment, mais ils n'entrent pas dans notre champ d'étude. Notre étude porte sur les aléas cycloniques, sismiques, volcaniques, et également les phénomènes de submersion afin de couvrir l'ensemble des territoires ultramarins.

Je remercie une nouvelle fois le président de la délégation pour sa confiance et sais pouvoir compter sur les deux rapporteurs pour produire ensemble un document de référence et nourrir la réflexion du Gouvernement.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Je souscris aux propos du président et de notre rapporteur coordonnateur. L'idée est en effet pour nous, avant toute chose, d'être en capacité de comprendre ces phénomènes naturels et d'y faire face au mieux. Le président Magras a rappelé le caractère exceptionnel et singulier de ce douloureux épisode climatique hors normes. Il est important pour l'analyse préalable à la formulation de toute préconisation ou conclusion, même partielle, que nous disposions d'éclairages sur la situation.

Je souhaiterais vous interroger sur quatre points essentiels. Le premier concerne la prévention des risques naturels majeurs. On connaît sur le territoire métropolitain l'importance croissante des plans de prévention des risques. J'aurais aimé savoir où en était le déploiement et l'établissement outre-mer des plans de prévention des risques naturels prévisibles prévus par le code de l'environnement ? J'ai en mémoire un déplacement à Mayotte avec le président Thani Mohamed Soilihi où nous posions, alors que nous étudiions la question foncière, la problématique de ces plans de prévention des risques naturels prévisibles, voyant où étaient implantées certaines habitations ; il y avait conjugaison de ces deux problématiques.

Lorsque les PPR ne sont pas encore aboutis, comment peuvent s'expliquer les situations et blocages qui sont à l'origine de cette absence ?

Le deuxième sujet que je souhaite évoquer - et qui touche directement aux événements de Saint-Martin et Saint-Barthélemy et la gestion des crises - concerne la capacité à prévoir et à alerter d'un aléa imminent. J'ai en tête les témoignages de nos collègues Michel Magras et Guillaume Arnell, et il s'agit ici encore pour nous de comprendre et d'analyser d'un point de vue scientifique et météorologique ces phénomènes exceptionnels. La France dispose-t-elle d'outils adaptés et suffisants en termes de prévision des risques, notamment météorologiques, dans les territoires ultramarins ? Pour être clair, les services de Météo-France sont-ils à même de garantir la bonne information des autorités françaises, ou le National Hurricane Center (NHC) américain est-il notre référentiel aux Antilles par exemple ?

Un autre point important, et au coeur de l'actualité, concerne la gestion immédiate de la sortie de crise et les arrêtés interministériels de déclaration de catastrophe naturelle. J'aurais souhaité savoir comment sont élaborés ces arrêtés interministériels à la suite d'un événement majeur et si les collectivités locales sont suffisamment impliquées dans ce travail pour permettre de véritablement prendre en compte les différentes problématiques s'y rapportant ?

Il s'agit aussi d'examiner les aspects financiers et, dans le cadre de la prévention, on voit l'importance d'un fonds comme le fonds Barnier. Vous évoquiez plus tôt les collectivités d'outre-mer : existe-t-il un équivalent - compte tenu des différents statuts - du fonds Barnier ? Enfin, quelle part du fonds Barnier est aujourd'hui consacrée à la prévention des risques outre-mer ?

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie cher collègue. L'objectif est en effet de mieux comprendre, pour mieux anticiper, afin de mieux résister pendant les crises et de mieux maîtriser le jour d'après.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je voulais tout d'abord revenir sur le périmètre retenu dans le cadre de cette étude et de son premier volet. En effet, il a été choisi de ne pas inclure les questions de risques sanitaires ou d'épidémies en tant que tels. Je considérais que les épidémies liées par exemple aux moustiques, comme le chikungunya a pu le montrer à La Réunion, peuvent emboliser, voire paralyser les services publics - nous l'avons vu dans les hôpitaux. La dengue ou le zika sont d'autres exemples. L'étude se concentre ainsi selon le voeu du président et du rapporteur coordonnateur sur les risques naturels majeurs : risques sismiques, volcaniques, cycloniques, d'inondations et glissements de terrain, de submersion.

Sur ce sujet, il y a une vraie problématique de logistique qu'il faudra soulever le moment venu : il me semble que sur ces questions nous sommes dépendants de Hawaï et de Puerto Rico. Je crois que, dans certains territoires d'outre-mer, les sirènes d'alerte ne sont plus actives.

Nous aurons des questions sur l'évaluation des moyens et la logistique dans la prévention et le post-catastrophe, et j'intègre ici la problématique des documents d'urbanisme. Ceux-ci ne sont pas tous terminés, et il y a ici un réel problème de moyens à la disposition des collectivités et notamment des communes. Il n'est pas normal que les révisions de plans d'occupation des sols (POS) et l'établissement de plans locaux d'urbanisme (PLU) prennent parfois plus de dix ans, voire quinze ans. Je l'ai personnellement vécu : ces procédures sont lourdes, il y a une réelle difficulté à cet égard. Je pense d'ailleurs aux rapports de la délégation sur le foncier outre-mer : nous aurons peut-être tôt ou tard une levée de boucliers des populations puisqu'on ne maîtrise plus le foncier. On impose des contraintes de construction, avec la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), avec des commissions départementales de consommation des espaces agricoles et forestiers, sans pour autant pouvoir déclasser. Faute de pouvoir déclasser, faute de pouvoir construire en toute régularité, les gens occupent des espaces couverts par des PPRN et s'installent sans autorisation. Je constate ces contraintes en Guadeloupe, avec des communes où la révision du PLU n'est toujours pas intervenue après 13 ans et le cas d'une commune classée en PPRN, où la répartition du bâti devrait être entièrement reconsidérée. Il y a une réelle préoccupation en termes d'occupation de l'espace et d'appréhension de celui-ci.

Il me semble en outre incontournable d'aborder la question des moyens. Les gouvernements successifs ont mené la révision générale des politiques publiques (RGPP), la modernisation de l'action publique (MAP) : ces réformes ont redessiné les cartes et moyens des services et des opérateurs, au point que Météo-France aujourd'hui est largement démuni. La surveillance cyclonique assurée par Météo-France a été recentrée sur la Martinique. Avec Irma et Maria, nous avons vu une déclaration de l'état de catastrophe naturelle faite sur la base de simulations de Météo-France en Martinique. Je rappelle que la Guadeloupe est un archipel, et qu'il n'y a pas d'anémomètre à Terre-de-Bas et à Terre-de-Haut. De la Martinique, on a ainsi estimé, lors du passage de Maria et en se référant à des simulations, que le vent n'avait pas dépassé 145 km/h pendant dix minutes. Quand vous avez vécu ce phénomène, votre ressenti, même s'il n'est pas une mesure, est tout autre. Il y a un problème de déploiement des moyens pour vérifier l'effectivité et la représentativité de ce qui est ensuite assené aux opinions publiques. Le problème se pose encore par la suite face à des réseaux sociaux omniprésents et de prétendus spécialistes qui font circuler des informations en vue d'influencer l'opinion publique et de susciter des oppositions et contestations. Il faudrait une « certification » de ce qui est divulgué ; les moyens doivent être renforcés pour assurer la crédibilité des informations relayées.

Face à un ouragan de force 5, il me semble qu'il faut revoir l'ampleur de notre préparation, sur les territoires et à Paris ; à ce titre, j'aimerais avoir des éléments sur le déroulement des procédures et la coordination des forces. La question de l'unité de commandement se pose d'autant plus lorsque l'on n'a pas su anticiper suffisamment, qu'il s'agisse d'un cyclone ou d'une autre catastrophe naturelle. Dans le cadre d'un déploiement de forces, notamment militaires, qui reçoit et qui donne les ordres : le préfet, le ministre des outre-mer, le ministre de l'intérieur, le ministre de la défense ? Il faut, pour éviter tout souci sur le terrain, une unité de commandement, d'instruction et d'exécution. Nous avons manifestement senti un flou à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et en Guadeloupe.

Je me suis battu, lorsque j'étais ministre, pour que soient préservés les moyens militaires dans les océans Indien et Pacifique. On a, il me semble, désarmé les bâtiments de transport léger (BATRAL), quand les bâtiments multi-missions (B2M) devraient arriver l'an prochain ou d'ici 2019 - c'est en tout cas ce que Madame Florence Parly, ministre des armées, m'a répondu. Je vous rappelle que les BATRAL étaient des bateaux permettant le débarquement d'hommes et de matériels sur les plages : en cas de catastrophe comme à Saint-Martin, ils peuvent agir même si les quais sont détruits et peuvent ainsi débarquer des tracteurs et engins lourds ; le B2M n'a pas cette capacité de plageage et cela induit des délais supplémentaires de livraison. Il y a aujourd'hui une véritable béance, un véritable déficit dans l'océan Indien mais surtout dans l'océan Pacifique. Dans le cadre de l'examen de la loi de programmation militaire, les parlementaires sont parfois peu attentifs à ces questions, et les parlementaires ultramarins ne sont pas nécessairement nombreux à siéger au sein des commissions qui en sont saisies.

Il est nécessaire de faire un diagnostic et d'évaluer les moyens dont nous disposons. Le risque de submersion et la montée des eaux, notamment pour Wallis-et-Futuna, pour la Polynésie française, pour la Nouvelle-Calédonie ou les îles Fidji sont une réalité : de quels moyens disposons-nous pour y faire face ? Quels sont les accords militaires conclus avec les pays environnants - je pense notamment à la Nouvelle-Zélande et à l'Australie ? Il faut examiner les coopérations possibles à ce sujet.

Je souhaite que ce rapport nous permette de produire un véritable recensement des moyens, pas seulement militaires mais aussi civils, je pense aux pompiers notamment. La carte militaire a été redessinée pour la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane : la Guadeloupe a été totalement dépouillée. On compte aujourd'hui 51 militaires en Guadeloupe, du RSMA, il y a eu une concentration en Guyane et une légère diminution des forces stationnées en Martinique. Irma a révélé une insuffisance de réflexion sur le pré-positionnement des forces. S'il y avait un doute sur la trajectoire du phénomène, on pouvait pré-positionner sur la Martinique. L'A400M est ainsi arrivé avec quatre jours de retard, aucun hôpital de campagne n'a également été déployé, ni de bateau hôpital. Dans l'urgence, nous avons vu arriver à Saint-Kitts des bateaux vénézuéliens qui ont apparemment proposé de venir à Saint-Martin. Pour l'image internationale de la République française, une telle proposition aurait été difficile à accepter, mais on voit ici la rapidité qui a été la leur pour se rendre dans les îles. Que faisons-nous en termes de coopération ? Que faisons-nous par exemple avec Cuba ? Les relations diplomatiques sont sensibles, je le sais, mais en tant qu'élu du conseil général de la Guadeloupe, j'avais pu voir qu'ils disposaient d'une commission post-catastrophe, cellule semble-t-il assez efficace et qui permet la diffusion de documents.

Concernant l'information disponible, je le disais, nous sommes dépendants des États-Unis, mais cela se fait efficacement. Le NHC n'est par ailleurs pas le seul centre américain à intervenir. Les services météorologiques français sont assez efficaces mais me semblent manquer de moyens. Je sais cependant les réticences de certaines collectivités à l'égard de l'installation de balises au large des côtes. La Martinique et la Guadeloupe en ont installé plusieurs dont le financement a été intégralement porté par les régions. Le cône Météo-France empêche des installations éparses. Il faut là aussi recenser l'existant et voir s'il y a des disparités territoriales à combler.

Sur le post-catastrophe, beaucoup reste à faire. Il nous faut adopter une culture de la prévention. Les Néerlandais ont cette culture, savent anticiper, pré-positionner s'il le faut et agir après un événement.

Je tiens enfin à ce que nous nous intéressions aux images blessantes qui ont été véhiculées, notamment de pillages sur Saint-Martin, mais Guillaume Arnell en parlera mieux que moi. Il faut réfléchir aux méthodes de communication de crise.

M. Thani Mohamed Soilihi. - En matière de prévention des risques et notamment des risques cycloniques, je souhaite dès à présent soumettre à la sagacité de nos rapporteurs et à la ministre la situation des bangas, des bidonvilles à Mayotte, habitations implantées à flanc de collines. Cela fait une trentaine d'années que Mayotte n'a pas subi d'épisode cyclonique majeur, mais nous avons connu dans l'histoire des cyclones parfois très dévastateurs. Dans le cas de la survenue d'un cyclone dans cette collectivité, les morts pourraient se compter par milliers. Derrière la question migratoire se cachent aussi ces questions ; ces constructions sommaires subissent de nombreux dégâts même à petit vent. Que pouvons-nous faire dans l'urgence pour ne pas déplorer demain autant de morts ? J'espère que nous n'aurons pas à connaître de telle situation, mais le risque est avéré. D'autres questions se posent également concernant les conséquences sur les nappes phréatiques.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Plusieurs sujets ont été abordés par les rapporteurs. Je souhaiterais commencer par le retour d'expérience : un retour d'expérience interministériel est conduit actuellement par le secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN) pour tirer les leçons de l'événement de septembre. Loin de moi l'idée qu'il ne faut pas se remettre en question : tous les sujets seront abordés avec une transparence totale, vous connaissez ma manière de travailler. Le ministère de l'intérieur mène l'ensemble de ce travail.

Vous l'avez dit, nous avons connu ici une crise exceptionnelle, avec des contingences extérieures importantes. Je rappelle la particularité que je signalais dans mon propos liminaire concernant la double insularité de Saint-Martin et la triple insularité de Saint-Barthélemy, en lien avec les activités aéroportuaires. Nous étions face à une succession de trois cyclones. L'annonce de l'arrivée de l'ouragan José et la préparation nécessaire expliquent la stratégie retenue et l'interruption de l'organisation de ponts avec la Guadeloupe et la métropole. Il faut redire ici que la trajectoire et la force de l'épisode n'ont été connues avec précision que vingt-quatre heures avant sa survenance, et qu'il y a eu trois phénomènes successifs en l'espace de dix jours.

Le renouvellement des navires de secours sur la zone crée un point de faiblesse, identifié d'ailleurs depuis plusieurs années. Pour y remédier, un patrouilleur léger sera livré en 2019 ainsi qu'un bâtiment multi-missions B2M. La ministre des armées me l'a confirmé hier. Je veux bien comprendre que les anciens navires avaient des systèmes de débarquement très adaptés, mais ils n'existent plus et l'on n'en construira plus : il va falloir s'habituer aux nouveaux outils prévus.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Depuis trois mois ! Ils étaient encore en service deux mois avant Irma.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Vous avez tous évoqué les problématiques de communication. Cela a été démontré dans la gestion de la crise, il faut que nous passions à un monde connecté et que nous puissions rétablir rapidement les réseaux mobile et internet : c'est devenu quasi vital ! Il y a de réelles difficultés à faire circuler l'information localement, et cela laisse trop de place à la rumeur. Nous l'avons constaté à Saint-Martin, et la rumeur a pu parfois faire douter nos propres troupes. Je pense notamment aux rumeurs relatives à des évasions de la prison de Sint-Maarten et au passage de prisonniers du côté français de l'île. Cela a déclenché une crise importante et de fortes inquiétudes amplifiées par les médias autorisés à accompagner les forces de l'ordre sur le terrain : la question se pose ainsi de savoir comment nous devons gérer la présence des médias lors de tels événements. Il a été demandé à nos gendarmes d'aller vérifier l'information alors que la rumeur prenait une importance considérable, répercutée jusqu'à Paris. La présence des médias est une question difficile : ne pas les autoriser, c'est laisser place à la rumeur ; les autoriser, pour qu'il y ait de la transparence, complique le travail de chacun. Je tiens à le rappeler, les rumeurs que j'évoquais étaient fausses, mais il a fallu vérifier et cela a pris du temps ; je rappelle que les communications étaient coupées et qu'il a fallu se déplacer sur site. En outre, une fois la rumeur identifiée comme fausse, il n'est pas évident de rétablir et relayer la bonne information.

Garantir une information fiable, c'est bien tout l'enjeu et cela incombe en premier lieu à l'État : la communication de crise, c'est le rôle de l'État. Je souligne également le rôle de Radio France avec qui l'État a des conventions. Mais je tiens aussi à rappeler le réseau très utile des radios amateurs. Il y a la fédération nationale des radios amateurs au service de la sécurité civile qui agit bénévolement en cas de crise ou de déclenchement de plans ORSEC : il faut que nous parvenions à l'organiser dans les territoires d'outre-mer. Un travail est également mené sur des conventions avec l'association VISOV (Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel) qui est la première communauté virtuelle francophone de volontaires numériques en gestion d'urgence. Travailler avec eux nous aidera à la délivrance d'informations pertinentes.

Au titre des renforts nationaux, le Service d'information du Gouvernement (SIG) et la Délégation à l'information et à la communication (DICOM) peuvent être mobilisés dans un second temps.

Nous devons réfléchir aux matériels nécessaires au rétablissement rapide des communications locales, dans le cadre d'envoi de moyens de la sécurité civile. Au XXIe siècle, ce n'est plus une option mais une nécessité. Enfin, si cette responsabilité est celle de l'État, il faut la partager davantage avec les élus des collectivités qui ont aussi dans ce domaine un rôle à jouer.

Les plans de prévention des risques naturels (PPRN) sont une priorité pour l'État. Ils sont obligatoires dans les communes soumises à des risques naturels ; ils sont cependant mis en place à des rythmes très variables selon les territoires d'outre-mer. Les instructions ont été la priorité de l'État, aidées par les financements du plan Barnier : 18 PPR restent aujourd'hui à réaliser à Mayotte ; 17 PPR littoraux sont à finaliser à La Réunion ; il n'y en a pas en revanche à ce jour à Saint-Pierre-et-Miquelon ; 33 communes ont un PPRN approuvé en Martinique et c'est également le cas de 32 communes en Guadeloupe, tandis que 10 PPRN ont été approuvés en Guyane - soit 90 % de l'objectif ; 24 communes sont enfin couvertes à La Réunion. Il y a donc encore du travail et nous devons accélérer. Cela prend du temps car il est normal qu'il y ait une concertation à la fois avec les élus et les populations. Les différentes étapes, notamment d'enquête publique, peuvent paraître longues mais sont nécessaires pour éviter des réclamations et contestations ultérieures. Nous l'avions constaté avec la tempête Xynthia, les dérives d'urbanisation non maîtrisée existent en métropole mais sont majorées en outre-mer. Le déploiement des PPR chemine parallèlement au travail engagé dans la zone des 50 pas géométriques en matière de prévention des risques naturels par les agences locales ; les agences de Martinique et de Guadeloupe ont été créées en 1996. L'État ne peut céder de terrains à des personnes privées quand la construction est située dans une zone exposée à un risque naturel grave et prévisible menaçant des vies humaines. Il faut savoir que ces agences ont une existence limitée dans le temps et que nous avons une réflexion à mener pour la suite.

Concernant les outils de prévention et de surveillance des cyclones, c'est le National Hurricane Center (NHC) qui est le centre météorologique spécialisé compétent sur la zone des Antilles. Pour l'océan Indien, c'est Météo-France qui assure cette fonction. Le préfet est le seul habilité à procéder au déclenchement de l'alerte cyclonique. Il met en oeuvre les mesures de précaution contraignantes associées à chaque niveau d'alerte.

Pour ce qui est des tsunamis, la Polynésie française est le seul territoire ultramarin à disposer d'un centre de prévention et d'alerte autonome qui est d'ailleurs d'un excellent niveau, reconnu dans la région et en lien permanent avec le centre de Hawaï. Il détecte les secousses, établit les cartographies et l'impact, et alerte le haut-commissaire qui met ensuite en place les stratégies de communication. Il s'appuie en partie sur le réseau de quatre houlographes qui a été financé par la direction générale des outre-mer (DGOM) à raison de 16 000 euros par an. Les territoires les plus exposés au risque de submersion rapide, que sont les Antilles, la Guyane et La Réunion, ne disposent pas de centre de traitement et d'alerte. Plusieurs pistes sont à l'étude : un partenariat avec le NHC pour les Antilles, ou une extension du centre d'alerte aux tsunamis métropolitain ; nous avons des choix à faire rapidement.

Concernant le recueil de données, des houlographes ont été financés par les collectivités : 3 en Martinique, 2 en Guadeloupe ; la Guyane dispose quant à elle de deux houlographes d'État. Le développement d'un réseau dans l'océan Indien devient une nécessité, nous devons là aussi y répondre rapidement.

Pour le risque sismique, aux Antilles essentiellement, et le risque volcanique, aux Antilles et à La Réunion, les centres locaux de veille et d'alerte assurent cette mission, gérés directement ou indirectement par l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP). Ce réseau est parfaitement opérant, nous avons largement progressé.

Enfin, en ce qui concerne les radars pluviométriques, la situation est également difficile du fait d'un maillage très irrégulier. Il est satisfaisant mais vieillissant dans les départements français d'Amérique et à La Réunion, performant en Nouvelle-Calédonie, mais inexistant à Mayotte et en Polynésie française, territoires soumis à des précipitations abondantes et soudaines. Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, nous avons des partenariats et accords avec le Canada ; pour Wallis-et-Futuna, certains aspects sont gérés à partir de la Nouvelle-Calédonie mais le dispositif est imparfait. Je rappelle enfin qu'il est prévu qu'à compter de 2020 nous puissions travailler sous l'égide de Météo-France, notamment sur Mayotte. Le sénateur Thani Mohamed Soilihi a raison : les conditions d'urbanisation à Mayotte, les conditions de bâti, avec la question de l'immigration, sont cruciales. Nous rentrons malheureusement dans la période cyclonique dans l'océan Indien et nous espérons comme lui, car nous ne sommes pas prêts, qu'il n'arrivera rien.

Vous évoquiez les arrêtés de constatation de catastrophe naturelle après les événements cycloniques de septembre dans les Antilles : deux arrêtés interministériels ont été pris. Le premier l'a été immédiatement après le passage d'Irma, couvrant les territoires de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Le deuxième, après l'ouragan Maria, pour la Guadeloupe et la Martinique, a été publié sur le fondement des données de Météo-France qui formule des avis. Au-delà de cet avis, un second arrêté, qui complète le premier, a été signé hier par le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb et moi-même, et devrait être cosigné aujourd'hui ou demain par le ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot ; il sera publié le plus vite possible, d'ici lundi. Il concerne plusieurs communes du sud de la Guadeloupe et vient répondre aux demandes complémentaires.

M. Patrick Chaize. - J'ai bien entendu votre expérience sur le traumatisme de la déconnexion en période de crise. Je voudrais savoir si, au niveau de votre ministère, des décisions ont été prises pour que, dans le cadre de la reconstruction, on aille plus vite et plus loin ; je sais que votre gouvernement est attaché au déploiement du haut-débit au niveau national. À l'occasion de la reconstruction il peut être intéressant, plutôt que d'investir dans des réseaux obsolètes, d'envisager l'enfouissement des réseaux et de les faire évoluer vers de nouvelles technologies, notamment la fibre optique. Cet outil de communication est primordial en termes de sécurité mais constitue aussi un vecteur de continuité territoriale : je voulais savoir si ce sujet était pris en compte dans les crédits et orientations de votre ministère.

M. Michel Magras, président. - Je partage cette préoccupation. Je peux moi-même témoigner de mon expérience personnelle lors de l'ouragan Irma et cette sensation d'être réellement coupé du monde. Cette question renvoie a priori davantage au volet relatif à la reconstruction ; cependant, il faut que la question du rétablissement du service par les opérateurs dans l'immédiat après-crise soit posée.

Mme Victoire Jasmin. - J'aurais pour ma part plusieurs suggestions sur les sujets que nous évoquons. J'ai constaté, en tant qu'adjointe au maire déléguée à la sécurité dans ma commune, qu'il y a eu des manquements : pratiquement toute l'équipe de la préfecture a été renouvelée en même temps. Alors même qu'avait été organisé, quelques mois plus tôt, l'exercice européen Richter - dont j'ai constaté l'importance en tant que cadre de santé au sein du centre hospitalier universitaire et avec l'agence régionale de santé sur les questions notamment d'évacuation sanitaire -, les personnes de la préfecture en charge de la coordination n'étaient plus là. Il est dommage que la population n'ait pas pu bénéficier pleinement durant ces événements de l'expérience des simulations passées. Le préfet, nouvellement arrivé, ne connaissait pas les élus, les référents du territoire. Il est primordial d'assurer une continuité et il faut également activer les conseils locaux de santé. Ces dispositifs existent mais sont peu ou mal utilisés ; cependant, sur certains territoires cela fonctionne. Ces instances sont le lieu d'une véritable coordination entre les conseils d'agglomération, les élus et les acteurs de santé, et permettent la conduite d'une véritable politique de prévention de santé publique - Victorin Lurel évoquait il y a quelques instants ces enjeux sanitaires.

Je souhaite également que nous nous intéressions à la sensibilisation et à la formation des populations. Je pense notamment à ce titre au rôle des voisins évoqué dans la loi sur la modernisation de la sécurité civile. On peut envisager, à des occasions comme la « fête des voisins » des intervenants sur ce sujet : la loi donne des éléments pour impliquer chaque citoyen dans sa propre sécurité. Le rôle des voisins et des liens associatifs doit être revalorisé dans cette perspective : j'ai constaté le potentiel de cet espace festif pour faire passer des messages, quand les discussions autour du PLU ou de l'Agenda21 ne mobilisent pas nécessairement.

Concernant les plans de mise en sûreté, il faut intensifier le travail mené avec l'éducation nationale. Les événements de septembre ne sont pas intervenus de manière soudaine et dans le temps scolaire. Il faut cependant être prêt à une telle éventualité.

Je pense enfin qu'à l'aune de la transition écologique, nous devons impliquer toujours davantage la population sur ces enjeux ; la prévention est primordiale.

M. Maurice Antiste. - Concernant la prévention, il ne faut pas oublier que le premier intervenant est souvent le voisin et je souhaite insister sur le rôle de la formation. Nous avions mené au François, en Martinique, un programme pour qu'il y ait au moins un secouriste par famille : ça marche, nous avons près de 600 formés dans la ville ! Il s'agissait ici du PSC 1, dont la formation est mise à disposition gratuitement. Cette préconisation ne pourrait-elle pas être celle de l'État, afin d'inciter d'autres maires à mener cette politique qui ne requiert que des moyens légers ?

Je souhaiterais également signaler que dans les Antilles, et particulièrement en Martinique, les sargasses constituent un risque naturel permanent, important, surtout pour les populations de la côte. Ce sujet peut-il intégrer notre étude ? J'ai eu l'occasion de proposer au gouvernement précédent une conférence des pays concernés, à l'initiative de la France. Ségolène Royal avait accueilli favorablement cette proposition : la ministre pourrait-elle la reprendre ?

M. Michel Magras, président. - Nous entendons cet appel fait au Gouvernement concernant les sargasses.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - En matière de financements, j'ai cru comprendre que le fonds Barnier n'était pas doté comme nous l'attendions et que les crédits du plan séisme Antilles avaient beaucoup diminué. J'ai une question simple, madame la ministre : quels sont les missions, programmes et actions dans le budget général qui financent l'avant, le pendant et l'après en matière de catastrophes ? On nous répète « ce sera abondé par d'autres programmes » mais on ne nous indique jamais lesquels : quels sont les numéros de ces programmes, de ces actions ?

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Je réponds à monsieur Lurel concernant le plan Barnier. Concernant la période 2007-2015, ce sont 350 millions d'euros qui ont été dépensés, dont 30 millions d'euros portés par le ministère des outre-mer. Pour la deuxième phrase, sur la période 2016-2020, les investissements programmés s'élèveront à 450 millions d'euros, soit + 30 % ; le ministère des outre-mer doublera pendant cette période sa contribution qui s'élèvera donc à 60 millions d'euros. Je ne vois donc pas pourquoi on parle de baisse. J'ai en revanche constaté la faiblesse du fonds Barnier en matière d'adaptation de l'habitat privé soumis à des PPRN : il est important que nous ayons une réflexion sur ce point, dans le même cadre que la réflexion que nous avons sur le logement avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

Au-delà du fonds Barnier, le fonds de secours intervient également, géré directement par le ministère des outre-mer. Au titre de ce fonds, 1,3 million d'euros ont été rapidement délégués au préfet de Guadeloupe. En 2017, les paiements liés à l'ouragan Matthew - nous avons un ouragan de retard... - se sont élevés à 11 millions d'euros. Pour 2018, entre 60 et 80 millions d'euros seront probablement nécessaires : ce fonds sera alimenté. L'urgence est également prise en charge par d'autres ministères : le ministère de l'intérieur a engagé 53 millions pour la crise de Saint-Martin et Saint-Barthélemy ; je vous rappelle que le Fonds européen de développement économique régional (FEDER) peut porter de l'aide aux agriculteurs et que le fonds de secours de l'Union européenne peut également intervenir. La France fera vendredi une demande auprès de ce fonds de secours, pour Saint-Martin mais aussi pour la Guadeloupe - Irma et Maria donc.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - En additionalité ?

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Oui, nous ne pourrions pas faire une demande pour la Guadeloupe seule.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - L'État va avancer des sommes sur le fonds Barnier et surtout sur le fonds de secours ; la demande auprès de l'Union européenne a bien pour but d'augmenter, d'additionner ces sommes à celles débloquées par l'État et les collectivités, et non celui de se faire rembourser ?

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - L'État fait une demande globale. La totalité des coûts est aujourd'hui comptabilisée, c'est pour cela que nous atteignons des montants importants. L'État doit ensuite attribuer les fonds mis à disposition par l'Union européenne en fonction des projets et demandes de remboursements des différents territoires concernés.

En ce qui concerne le FEDER, l'enveloppe totale est de 54 millions d'euros pour des programmes opérationnels dans les régions ultrapériphériques (RUP) françaises pour 2014-2020. Il y a eu jusqu'ici peu de projets financés dans ce cadre.

Concernant le fonds vert, un débat s'est amorcé ces derniers jours concernant l'« équivalent fonds vert ». Un fonds vert a été créé après la COP21 pour l'ensemble des pays en développement et les États insulaires ; la France ne peut bénéficier de ce fonds international. Nous avons mis en place pour les îles du Pacifique - qui avaient été frappées au moment des négociations de la COP21 par un cyclone - un fonds vert dans le cadre de notre partenariat avec l'Agence française de développement : il consiste, pour le ministère des outre-mer, à bonifier des prêts à taux zéro. Je souhaite, je le redis ici, que tous les territoires d'outre-mer puissent bénéficier de cet « équivalent fonds vert ». Le ministère des outre-mer ne peut être le seul contributeur. Je travaille actuellement avec Nicolas Hulot pour qu'une réponse soit apportée sur ce sujet avec la Caisse des dépôts et consignations et l'Agence française de développement.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - J'insiste sur le plan séisme Antilles et sur les crédits qui lui sont affectés. Ceux-ci sont annoncés à la baisse alors même que nous attendons dans les années à venir le big one. Je me rappelle que Nicolas Sarkozy avait déclaré à Fort-de-France, en revenant d'Haïti, ne pas vouloir porter une telle responsabilité, mais il n'avait pas alimenté ce que Dominique de Villepin avait mis en place, le plan séisme Antilles. Il y a ici une vraie appréhension.

Des architectes et ingénieurs ont mis au point en Guadeloupe un parpaing parasismique, il serait bon d'en faire la promotion.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Concernant le plan séisme, je le répète, la précédente période a donné lieu à 350 millions d'euros de dépenses portées par le fonds Barnier. Je l'ai dit, c'était la reconstruction de 2 états-majors, de 6 centres de secours de pompiers, de 9 centres hospitaliers, de 44 établissements scolaires et 6 500 logements sociaux. D'ici 2020, l'effort financier de l'État dépassera le milliard d'euros. L'État prévoit ainsi de mobiliser sur la période 2016-2020 450 millions d'euros, soit une augmentation, monsieur Lurel, de 30 % par rapport à la première phase du plan. Cela concerne le plan séisme Antilles seul, à travers 290 millions d'euros venant du fonds de prévention des risques naturels majeurs, 110 millions d'euros de lignes de crédits budgétaires et 50 millions d'euros d'aides fiscales. La baisse que vous évoquez n'existe pas.

Mme Jocelyne Guidez. - Nous savons que le climat change, que les mers sont de plus en plus chaudes, et que le grignotage des côtes progresse. Que faisons-nous face à tout cela ? Je souhaite également déplorer la baisse des moyens militaires sur place. Leur pré-positionnement serait un atout dans ce genre de situation.

Mme Catherine Conconne. - Jocelyne Guidez a anticipé ma question : on constate que bon nombre de communes littorales souffrent du grignotage de nos côtes. J'ai particulièrement en tête l'exemple de la célèbre plage de Sainte-Anne au sud de la Martinique : les cocotiers s'en vont dans l'eau et c'est déjà un recul de plus de 7 mètres qui est constaté par rapport à la plage originelle. Le professeur en géographie Paul Saffache, au sein de l'Université des Antilles, a construit des modèles de prévention à base d'infrastructures, parfois avec des enrochements. Les projections sont très alarmistes : près de 30 % du territoire de la Martinique pourrait avoir disparu, parti sous les eaux, d'ici 40 ans. Mais les protections sont onéreuses : j'ai travaillé à la pose d'enrochements pour une partie de Fort-de-France, cela a coûté 10 millions d'euros pour un petit segment de littoral. La réalisation du Malecon de Fort-de-France, véritable digue de protection, a coûté également très cher. Les collectivités locales ne pourront supporter ce genre de dépenses. Va-t-on les intégrer au fonds vert ? Y a-t-il moyen de contraindre les collectivités, dans le respect de la libre administration ? Il en va de la survie de nos territoires.

M. Dominique Théophile. - Ces phénomènes vont s'aggraver à l'avenir tant dans leur intensité que par leur récurrence.

Il faut à ce titre nous poser la question du pré-positionnement des outils de secours au niveau national et des territoires limitrophes. Il y a un problème en effet de « délai psychologique ». En septembre, il a fallu plus de deux jours pour intervenir : la population s'est sentie délaissée. Exprimer une insatisfaction pourrait être malvenue compte tenu du caractère hors norme du phénomène, mais nous aurions, semble-t-il, pu gagner près de douze heures dans l'acheminement du matériel. Nous connaissons le calendrier de ces événements climatiques : la période cyclonique s'étend de juin à novembre dans ces territoires. Il conviendrait d'assurer le pré-positionnement de stocks de sécurité sur les plateformes à la veille de cette saison cyclonique, en Martinique et Guadeloupe. Il faut même étendre cette coopération et renforcer les liens avec la Guyane, plus proche que l'hexagone et non exposée aux cyclones.

Il faut enfin s'interroger sur les perspectives de coopération internationale, je pense notamment à Puerto Rico.

M. Guillaume Arnell, rapporter coordonnateur. - Madame la ministre, sans complaisance aucune, je voudrais vous poser une dernière question. Je suis convaincu de la nécessité d'un ministère dédié aux outre-mer. La nomination d'un préfet, délégué interministériel chargé de la reconstruction à Saint-Martin et Saint-Barthélemy ne contredit-t-elle pas l'ambition du ministère des outre-mer à s'affirmer comme ministère transversal de coordination ainsi que le discours de « réflexe outre-mer » interministériel que vous portez ?

N'est-ce pas le rôle légitime du ministère des outre-mer et de la direction générale des outre-mer de coordonner avec les territoires l'action interministérielle de crise en outre-mer ? Dès lors qu'un délégué interministériel est nommé, quel est concrètement la portée et le rôle du ministère des outre-mer ?

Enfin, cette organisation autour d'un délégué interministériel dédié a-t-elle vocation à se répéter à chaque événement majeur, à se pérenniser, et dans ce cas, sous quelle tutelle ?

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Concernant Mayotte, je souhaiterais apporter un complément sur cette situation difficile. La prolongation du fonds Barnier pourra répondre à la problématique spécifique de Mayotte : 5 millions d'euros par an pourront être affectés à des opérations de démolition et de relogement. Un travail est en cours concernant les normes de construction ; le plan logement outre-mer permettra également d'accroître le nombre de logements. Le préfet de Mayotte a été saisi pour mener une réflexion de fond sur ces questions de prévention des risques.

Concernant le traumatisme de la déconnexion numérique, la question de la durabilité des aménagements que nous allons faire est une évidence. Nous allons travailler avec la collectivité de Saint-Martin, qui a la compétence, sur la sécurisation des réseaux en souterrain, mais aussi sur la fibre optique. Le sens du comité interministériel mis en place est justement d'impliquer l'ensemble des ministères.

Madame Jasmin évoquait le renouvellement des équipes de la préfecture de la Guadeloupe à la veille de l'ouragan Irma. Il est vrai que la rotation des personnels a provoqué un changement brutal, qui a eu un impact pour la gestion à Saint-Martin et Saint-Barthélemy puisque la préfecture de la Guadeloupe assure cette « tutelle ». C'est d'ailleurs un souhait du président de la collectivité de Saint-Martin que nous puissions travailler autrement à l'avenir. Quand est survenu Irma, la nouvelle équipe - préfet et secrétaire général - était arrivée depuis trois jours seulement. De plus, la préfecture de Saint-Martin a immédiatement été réduite à néant par le cyclone, provoquant là aussi une difficulté importante : il a fallu délocaliser l'équipe de la préfecture et se réorganiser. Oui, il faut veiller à étaler dans le temps les rotations de personnels. J'y veillerai tant que je serai là, cela n'arrivera plus. Il faut aussi préparer les services et fonctionnaires de l'État à ce type de situation. Vous évoquiez l'exercice Richter.

Mme Victoire Jasmin. - Un exercice concluant !

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Quatre exercices de ce type doivent être effectués au minimum chaque année dans l'ensemble de ces territoires. Ces exercices sont obligatoires. Il est important de former : il faut que les fonctionnaires soient fortement sensibilisés à ces questions.

Je souhaite également rappeler le rôle des réserves communales de sécurité civile. Il faut aller plus loin avec des réserves bénévoles. Les plans communaux de sauvegarde ont peut-être vocation à mettre en place la formation des voisins, que vous identifiiez à juste titre comme les premiers intervenants. L'État sera aux côtés des communes qui souhaitent porter ce type de projets ; La Réunion a déjà essayé de travailler sur ce sujet.

Concernant les plans santé, madame Jasmin est plus qualifiée que moi pour en parler. Dans le cas de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, je souhaite rappeler qu'il n'y a pas eu de nécessité de monter un hôpital de campagne. L'hôpital a mieux résisté que prévu. La première question qui s'est posée était celle des dialysés - 50 patients qui ont dû être ramenés sur la Guadeloupe - et l'évacuation sanitaire a été très vite traitée. Pour le reste, nous avons pu faire face, et tant mieux, à la prise en charge des malades sur place et nous avons pu évacuer assez vite l'ensemble des blessés. Quand je suis arrivée, nous débutions les évacuations : elles se sont passées à un rythme satisfaisant. Très rapidement, l'ensemble des personnes à risque - y compris les femmes enceintes - a pu être mis en sécurité, rapatrié sur la Guadeloupe ou en métropole pour certains.

Sur le pilotage des opérations, je rappelle que nous avons une structuration classique dans les départements et régions d'outre-mer : les moyens de sécurité civile de l'État sont mobilisés au niveau des zones de défense ; ce sont ainsi les préfets de Guyane, de la Martinique pour les Antilles et de La Réunion pour l'océan Indien. Les services interministériels départementaux de protection civile coordonnent les moyens de secours dans les préfectures. L'organisation est éprouvée depuis des décennies et est largement satisfaisante. Ce système est adapté dans le Pacifique autour des hauts-commissaires. En Polynésie, en l'absence de départementalisation du SDIS, il n'y a pas de centre opérationnel ni de chaîne de commandement. La prochaine mise en service d'un centre de traitement des appels 18/112, lié au SAMU, est en place. En Nouvelle-Calédonie, la sécurité civile est une compétence qui a été transférée en 2014. Une direction locale a été créée et l'État concourt à renforcer ces moyens par une subvention de 5 millions d'euros. À Wallis-et-Futuna, le pilotage est assisté par le haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie ; localement la gestion de crise relève de l'administrateur supérieur avec les pompiers locaux.

Vous avez insisté sur le rôle spécifique des forces armées. L'isolement, l'insularité, les moyens de secours limités sur les territoires imposent une présence permanente et forte des ressources militaires. Saint-Martin et Saint-Barthélemy l'ont confirmé.

Concernant la participation à la sécurité civile, ce sont près 2 000 personnes qui ont été mobilisées pour Irma. C'est une première et il faut s'en féliciter, nous avons été en mesure de le faire rapidement.

Il y a toujours la difficulté, vous le disiez, du pré-positionnement. Je pense que les forces qui ont été mises en place rapidement et pré-positionnées à Saint-Martin répondaient au degré d'information et de connaissance dont nous disposions. Pré-positionner davantage de forces en Guadeloupe que ce qui a été fait était compliqué dans la mesure où les informations que nous avions nous indiquaient que la Guadeloupe allait également être frappée. La ressource allait venir de la Martinique et de la Guyane. Dès l'arrivée des informations sur la trajectoire du cyclone qui allait préserver la Guadeloupe, nous avons envoyé les forces supplémentaires.

Les forces pré-positionnées étaient à la hauteur des informations et des besoins évalués. Une donnée avait peut-être été insuffisamment prise en compte : celle de l'insécurité à Saint-Martin. Il eut fallu se poser la question de la réalité de Saint-Martin avant le cyclone ; l'effet de levier du cyclone sur cette violence et cette insécurité n'a peut-être pas été suffisamment perçu. Cependant, en quarante-huit heures, les forces supplémentaires demandées - on est monté très vite à 3 000 personnes supplémentaires - sont arrivées sur place et la sécurité a été rétablie sur Saint-Martin. On peut s'en féliciter et le choix du Premier ministre est bien de maintenir à Saint-Martin des effectifs supérieurs à ce qu'ils étaient avant Irma.

Venons-en à la question du pré-positionnement des matériaux et des hommes dans les régions lors des périodes cycloniques. Il faut que nous regardions ce qui peut être fait. Nous avons positionné des forces aériennes en Guyane, car elle est épargnée. Les forces navales et maritimes sont localisées en Guadeloupe et Martinique. Il faut que nous précisions les forces exactes en présence de manière à savoir quelle serait la réponse de pré-positionnement selon les périodes et les bassins maritimes. Faisons attention cependant : les moyens qui sont arrivés sur Saint-Martin via la Guadeloupe sont arrivés de métropole et sont des moyens aussi nécessaires sur l'ensemble de notre pays. Il faut mesurer les périodes d'incendies sur la métropole, d'inondations : c'est un vrai travail à l'échelle nationale.

Je tiens aussi à rappeler que nous disposons d'une armature préfectorale solide, qui a démontré sa capacité à gérer des crises, avec notamment la planification ORSEC (Organisation de la réponse de sécurité civile), l'exercice Richter 2017 aux Antilles que nous évoquions plus tôt.

Concernant l'information et la sensibilisation des populations, il nous faut progresser sur l'information en milieu scolaire - qui permet, par les enfants, d'atteindre les familles. À La Réunion, avec la plateforme d'intervention régionale océan Indien (PIROI), c'est plus de 10 000 élèves du primaire qui en bénéficient chaque année : c'est un modèle que l'on peut sans doute répliquer dans les autres territoires outre-mer. Aux Antilles, je rappelle qu'il y a un exercice annuel de préparation aux séismes.

L'information met également en jeu la capacité des préfectures à diffuser sur les réseaux et sites internet des préfectures : il faut que nous allions plus loin avec les pages Facebook et les médias locaux. Sous la coordination du préfet, il faut que l'on puisse relayer l'information suffisamment rapidement aux collectivités qui ont ensuite également leurs réseaux. Il faut aussi pouvoir toucher davantage de volontaires et peut-être organiser un véritable réseau de volontaires.

Au sujet des mécanismes d'alerte, le système d'alerte et d'information des populations (SAIP), je voudrais évoquer l'installation des sirènes de nouvelle génération et leur développement dans les territoires d'outre-mer. Ces territoires ne bénéficient pas pour le moment du déploiement des sirènes comme en métropole. Le retard est dû à des difficultés techniques du développeur et, d'autre part, à des contraintes budgétaires du programme 161 relatif à la sécurité civile qui finance ce système. L'enjeu est pour moi les Antilles où un déploiement devrait être possible en 2019. Il faut rappeler que le calendrier de mise en place de ces sirènes est une priorité. Il n'est pas prévu de déploiement à La Réunion : on limite les sirènes à la commune touristique de Saint-Paul ; il faudra nous dire si cela est suffisant. Dans le Pacifique, les territoires ont développé leur propre réseau d'alerte, il faudra peut-être l'évaluer avec les élus et les hauts-commissaires des territoires.

Au sujet toujours de l'information des populations, je rappelle que le ministère de l'intérieur a une convention avec Radio France et France Télévisions pour la diffusion d'informations en cas de crise. Il faut que nous puissions davantage travailler avec les réseaux sociaux et les communications par SMS envoyés directement aux populations : c'est quelque chose qui n'est pas encore au point aujourd'hui et qu'il faut améliorer.

Concernant les services de secours, l'autre enjeu opérationnel est bien sûr le déploiement de l'Infrastructure nationale partageable des transmissions (INPT), pour que l'on ait de meilleures communications. Aux Antilles, ce réseau numérique est opérationnel depuis le premier semestre 2016. Pour mémoire, le ministère a financé 27 % du projet, soit 2,2 millions d'euros. À Mayotte, la livraison du matériel et les opérations de génie civil sont en cours : le réseau sera totalement déployé au premier semestre 2018 pour un coût de 2,6 millions d'euros. En Guyane, une étude de faisabilité est actuellement conduite à la demande de la DGOM. En Polynésie, le déploiement n'est pas envisagé. À La Réunion, un réseau numérique de la gendarmerie, Quartz, est déjà en place. Nous avons peut-être une question sur Wallis-et-Futuna, et notamment Futuna, davantage isolée. À Saint-Pierre-et-Miquelon, nous avons un réseau qui nous permet de travailler avec le Canada.

Concernant les arrêtés relatifs aux catastrophes naturelles, je tiens à préciser que cette constatation de catastrophe naturelle n'a d'intérêt que pour l'ensemble des personnes assurées. Pour les personnes non assurées, c'est le fonds de secours qui est chargé d'intervenir. Je rappelle également que tous les assurés disposent d'une garantie tempête obligatoire et que c'est la mention des précipitations et inondations qui importe pour permettre l'indemnisation des dégâts des eaux pour les assurés. Cette crise a montré que nous devions diffuser une meilleure information, aux personnes assurées comme à celles qui ne le sont pas, sur les différents mécanismes.

Vous m'interrogez enfin sur l'implication et le rôle du ministère des outre-mer. Celui-ci a un rôle d'aiguillon en cas de catastrophe naturelle dans les territoires d'outre-mer. J'insiste, depuis que je suis à la tête de ce ministère, sur la notion de « réflexe outre-mer » dans les autres ministères : les outre-mer doivent être davantage pris en compte dans les politiques de prévention et les fonds mis en place concernant l'adaptation. Mon ministère a une fonction de coordination, d'expertise, mais aussi de rappel que les outre-mer doivent bénéficier du droit commun. Le ministère des outre-mer participe à de nombreuses instances nationales qui touchent ces sujets de prévention : le conseil de prévention des risques naturels majeurs - dont la dernière réunion s'est tenue en novembre 2017 -, le plan climat - nous sommes associés à la préparation de celui-ci et notamment au nouveau plan national d'adaptation au changement climatique et nous veillons à ce que l'outre-mer soit au coeur de ces réflexions - et le comité de suivi sur la stratégie de gestion du trait de côte. Concernant la problématique du littoral et du grignotage des côtes françaises, il y a des plans de lutte contre la submersion marine, des stratégies nationales de gestion du trait de côte et un réseau national d'observation a été mis en place. Il y a eu des expériences d'enrochements, mais il y a également un besoin de délocalisation de certains villages, parce qu'il est impossible dans certains cas de ralentir le grignotage des côtes et la montée des eaux. La protection du littoral est importante et les innovations mises en place outre-mer et en métropole doivent davantage être mises en lumière dans le cadre des Assises.

Je rappelle également qu'une proposition de loi avait été déposée sur ce thème par la députée Chantal Berthelot. Je suis très sensible à cette question et resterai bien entendu vigilante sur les propositions que vous ferez. Je sais que les compétences de certaines collectivités dans ce domaine vont poser problème face à l'ampleur des défis à relever et à leurs implications financières. L'État doit être aux côtés des collectivités ; j'ai rappelé les différents fonds et aides au-delà de la seule contribution du ministère des outre-mer qui est bien sûr insuffisante. Il faut que nous nous battions pour une reconnaissance nationale et je suis certaine que vos recommandations militeront en ce sens.

Concernant les sargasses que monsieur Antiste évoquait, mélange d'algues et de particules, je veille à la continuité des engagements pris par le gouvernement précédent, Ségolène Royal s'était investie sur le sujet. Une mission scientifique a été menée cet été : aujourd'hui un certain nombre d'analyses sont encore en cours. Originaire d'Amérique du Nord, je sais que le Canada travaille à la demande d'autres États des Caraïbes sur cette question et j'ai demandé à ce qu'il y ait des travaux franco-canadiens.

La dernière question, posée par Guillaume Arnell, était plus politique. Il fallait que la réponse à la crise soit interministérielle. L'ampleur des dégâts à Saint-Martin et Saint-Barthélemy nécessitait qu'il y ait un délégué interministériel. Ce n'est pas avec un cabinet de seulement dix conseillers, ni avec la direction générale des outre-mer - qui a les compétences mais est une petite direction - que nous aurions été en mesure à la fois d'être sur place, de dialoguer avec les collectivités, d'évaluer les dégâts, et d'animer les réunions interministérielles. Je vous rappelle que le délégué interministériel est sous ma tutelle, et que le comité interministériel est soit présidé par le Premier ministre lui-même soit par la ministre des outre-mer. Monsieur Gustin et son équipe sont donc une ressource supplémentaire bienvenue pour répondre à l'urgence.

Le délégué interministériel à la reconstruction de Saint-Martin et Saint-Barthélemy a vocation à être maintenu pour un certain temps. C'est lui qui a permis que deux accords soient rapidement signés : l'un, sur place à Saint-Martin par le Premier ministre, apportant des soutiens financiers à la collectivité ; le deuxième sur les ressources humaines qu'il faut apporter à Saint-Martin et Saint-Barthélemy - pour la reconstruction mais aussi dans la durée -, sur la question de l'urbanisme et enfin sur la coopération régionale. Non, cette structure ne fragilise pas le ministère des outre-mer : cela le renforce, à partir du moment où la ministre des outre-mer reste le pilote, et je reste le pilote.

Le « réflexe outre-mer » ne peut pas affaiblir les territoires d'outre-mer ou la position du ministère des outre-mer : c'est faire que, dans chaque politique pensée, dans chaque outil pensé en amont, on intègre les spécificités des territoires d'outre-mer. Nous ne serons jamais assez pour porter ce « réflexe outre-mer ». Je tiens à souligner les déplacements nombreux de mes collègues ministres en outre-mer : c'est la première fois qu'en six mois un Président de la République, un Premier ministre, une dizaine de ministres et secrétaires d'État s'y sont déplacés. Cela montre la volonté que nous avons de répondre à cette notion de « réflexe outre-mer ». J'en parle depuis de nombreuses années et cela a été repris dans les discours du Président de la République et du Premier ministre. Le « réflexe outre-mer » ne doit pas être porté seulement au sein du Gouvernement mais aussi dans toutes les instances nationales.

Le ministère des outre-mer a vocation à coordonner et à traiter les spécificités, c'est ma vision. Le droit commun doit s'appliquer dans tous les territoires d'outre-mer et les spécificités doivent être coordonnées et prises en compte dans le cadre du budget du ministère des outre-mer. Les Assises des outre-mer que je mène ont vocation à répondre aux besoins des territoires.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie, madame la ministre, pour votre disponibilité et les réponses que vous avez su apporter aux rapporteurs comme à nos autres collègues.

Je tiens à rappeler l'importance de la solidarité nationale que nous avons constatée lors de cette crise. Si nous en bénéficions, c'est aussi parce que nous y contribuons. La question a été posée dernièrement de la nomination d'un préfet de plein exercice sur les deux îles du Nord. Le rôle d'un tel préfet est naturellement de représenter le Gouvernement sur nos territoires ; j'insiste cependant sur les compétences qui ont été transférées à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin : elles ont été réfléchies par les collectivités et ne doivent pas être remises en cause par une nouvelle tutelle. Je suis un militant, vous le savez, de la différenciation territoriale. Le préfet est chargé d'assurer le contrôle de légalité des actes pris par les collectivités, il n'a pas vocation, ni aujourd'hui, ni demain, à définir les politiques menées sur nos territoires.