Mercredi 15 novembre 2017

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 09 h 30.

Hommage à Jack Ralite

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je souhaite ouvrir cette réunion de commission par un hommage à un de ses membres éminents que fut Jack Ralite, qui nous a quittés le 12 novembre dernier. Il fut longtemps maire d'Aubervilliers, député, plusieurs fois ministre et sénateur de 1995 à 2011. Un certain nombre d'entre nous l'ont d'ailleurs bien connu et ont eu l'occasion de travailler avec lui. Il était, sans contexte, un défenseur acharné de la culture et du théâtre. C'était une voix au Sénat, extrêmement engagé. Je pense tout particulièrement au premier débat du genre sur le spectacle vivant en 2004. Il était également très présent au sein du comité de suivi de l'intermittence que nous avons mis en place à partir de 2003.

Le Président du Sénat lui ayant rendu hommage en séance publique ce lundi 13 novembre, il me paraît important que notre commission salue sa mémoire en observant quelques minutes de silence.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Médias, Livre et industries culturelles » - Crédits « Audiovisuel » et compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public » - Crédits Livre et industries culturelles - Examen du rapport pour avis

Notre ordre du jour appelle maintenant l'examen des crédits de l'audiovisuel et du compte de concours financiers « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public », dans le projet de loi de finances pour 2018. Nous examinerons ensuite les crédits « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Compte tenu du débat en séance publique, que j'ai sollicité sur l'institut français, le 21 novembre prochain, j'ai jugé plus utile que nous ne procédions à l'examen des crédits de l'action extérieure de l'État qu'après ce débat qui va éclairer utilement à la fois le rapporteur et nous-mêmes.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Quelques données chiffrées tout d'abord afin de pouvoir mieux dessiner les enjeux stratégiques de ce budget.

Les crédits alloués à l'audiovisuel public en 2018 sont en baisse de 1 % - soit -36,7 millions d'euros - après une hausse de 100 millions d'euros sur la période 2016-2017. Ils sont ainsi ramenés à 3 816,5 millions d'euros HT contre 3 853,2 millions d'euros HT en LFI 2017. Par rapport à la trajectoire financière définie dans les COM des entreprises, l'écart est de 79,6 millions d'euros. Le montant de la CAP bénéficiera en 2018 de la seule indexation sur l'inflation, soit une hausse de 1euros qui portera son montant de 138 euros à 139 euros en métropole et de 88 euros à 89 euros dans les Outre-mers.

Le ministère de la culture estime que cet effort « est réparti en fonction des capacités contributives de chacune des entreprises et des priorités stratégiques que sont le soutien à la création, l'investissement dans le numérique, l'information et le rayonnement international de la France, notamment porté par le lancement le 26 septembre 2017 d'une version hispanophone de France 24 à destination de l'Amérique latine ».

Le PLF 2018 prévoit une baisse du concours financier de 1,2 % à France Télévisions soit 30,8 millions d'euros. La subvention d'investissement allouée à Radio France diminue de 24,6 millions d'euros par rapport à 2017 du fait du report de la fin du chantier de réhabilitation de la Maison de la Radio. Avec une dotation de fonctionnement en hausse de 1,5 %, soit 8,6 millions d'euros, conforme au COM, la dotation globale de Radio France diminue de 16 millions d'euros.

Le PLF prévoit enfin une hausse de 5,2 millions d'euros de la dotation d'Arte France et de 6,3 millions d'euros de moyens alloués à France Médias Monde, deux sociétés qui ont vu leurs COM faire l'objet d'un avis favorable de votre commission, tout comme l'INA dont la dotation diminue de 0,4 million d'euros. Enfin, la quote-part française au financement de TV5 Monde diminue de 1 million d'euros.

Voilà pour les grandes données quantitatives. Elles sont importantes, mais insuffisantes pour apprécier ce budget à sa juste valeur.

Je souhaiterais pour ce faire vous faire part de quatre éléments de réflexion :

Tout d'abord, ce budget est en baisse et pour votre rapporteur, une baisse n'est pas nécessairement une mauvaise chose si elle permet de faire mieux avec moins, j'y reviendrai.

Sur la méthode ensuite, c'est sans doute là que le bât blesse. Les entreprises ont été prévenues seulement fin août de ces coupes budgétaires. Ce n'est évidemment pas raisonnable compte tenu de leurs engagements contractuels et du manque de marges de manoeuvre à aussi court terme. Comme je l'ai dit, Bercy a sorti ses « grands ciseaux » et il manque à ce budget une vision. Les COM ne sont plus respectés et rien n'a été dit concernant leur avenir sinon que le Gouvernement entendait modifier celui de France Télévisions.

Ma troisième remarque concernera précisément la volonté de mettre à plat l'organisation de l'audiovisuel et son financement. Le Gouvernement entend mettre un terme au statu quo qui a caractérisé le précédent quinquennat, à l'exception de la modification peu satisfaisante décidée en 2013 des modalités de nomination des présidents de l'audiovisuel public... qui faisait suite à une première modification en 2009 qui n'avait pas, non plus, démontré sa pertinence... Le Gouvernement a défini un calendrier qui devrait nous amener à mars 2018 et une loi est attendue d'ici la fin de l'année prochaine. Le projet de loi de finances pour 2019 devrait également comporter une réforme de la redevance, j'y reviendrai également dans un instant.

Ma dernière remarque concernera donc mon état d'esprit face à cet ensemble d'évolutions. Autant il me semblerait légitime de porter un regard réservé sur les seuls éléments budgétaires, autant il m'apparaît nécessaire d'encourager une volonté, qui semble s'affirmer, d'engager une profonde réforme visant à renforcer la légitimité et l'efficacité de l'audiovisuel public. Le rejet de l'amendement déposé à l'Assemblée nationale visant à reporter d'un an l'entrée en vigueur de la loi d'origine sénatoriale supprimant la publicité dans les programmes jeunesse, comme le refus du Gouvernement de rétablir la publicité en soirée, me semblent à cet égard constituer des choix fondamentaux qui illustrent certaines convergences avec les propositions du Sénat.

Je vous proposerai donc de formuler un avis favorable mais vigilant sur ce budget et les intentions qui l'accompagnent, en ayant bien conscience que les arbitrages ne sont pas encore rendus sur la future réforme et qu'il nous revient de veiller à ce que les idées du Sénat inspirent le plus possible cette réforme que nous appelons de nos voeux depuis de nombreuses années.

Sur tous ces sujets, nous sommes en effet au milieu du gué. Le constat est établi - nous y avons participé avec André Gattolin il y a deux ans - mais le pire n'est jamais exclu.

Je prends pour exemple la réforme de la contribution audiovisuelle publique (CAP). Le rapport de la Cour des comptes de juillet dernier acte la nécessité d'une réforme mais il montre aussi que celle-ci n'est pas simple à construire. La réforme « à l'allemande » - c'est-à-dire le remplacement d'une redevance pour service rendu par une taxe universelle de tous les foyers, que nous avons été les premiers à promouvoir, a aujourd'hui de nombreux partisans. Mais la Cour des comptes souligne qu'il subsiste des incertitudes concernant par exemple le nombre de jeunes et de foyers modestes qui seraient concernés, même s'il est acquis que ce sont les CSP+ qui n'ont plus de télévision et les fraudeurs qui seraient les premiers impactés.

Un obstacle important sera levé en 2018 car - à la demande d'Eurostat - la CAP devrait intégrer les prélèvements obligatoires. Or une des réticences à l'idée de généraliser la CAP à tous les foyers tenait précisément au fait que cette nouvelle taxe entrerait dans le décompte des prélèvements obligatoires et donnerait ainsi l'impression d'une hausse des impôts.

Les conséquences de ce changement statistique ne sont pourtant pas que positives puisque, selon la Cour des comptes, le versement aux sociétés de l'audiovisuel public devrait également être qualifié de dépense des administrations publiques (APU) et que ces entreprises pourraient intégrer le secteur des organismes d'administration centrale (ODAC). Une telle évolution - si elle se confirmait - aurait pour effet de supprimer la possibilité pour ces entreprises de recourir à l'emprunt, ce qui n'est pas rien pour, par exemple, Radio France et son chantier.

Mais là n'est pas l'essentiel. On comprend bien que - vu de Bercy - cette intégration de la CAP aux PO change la donne. Alors que le ministère des finances n'a pas prêté une grande attention au secteur de l'audiovisuel ces dernières années, ce changement de périmètre pourrait ouvrir la voie d'un dialogue plus « coercitif » avec les sociétés de l'audiovisuel public dont on vient de voir un premier exemple dans le projet de loi de finances pour 2018. Cette tentation de reprise en main afin de mieux juguler la dépense publique pourrait ainsi se matérialiser dans une rebudgétisation à partir de 2019.

Vous aurez noté, comme moi, que la ministre de la culture a indiqué, lors de son audition, que d'autres voies de réforme existaient en dehors de la taxe au foyer « à l'allemande ». Eh bien ce n'est ni plus ni moins qu'une rebudgétisation qui agite, je crois, les esprits de nos grands argentiers.

Cette évolution ne constituerait pas, je crois, un bon signe pour l'avenir de notre audiovisuel public qui manque cruellement de stabilité et de cap stratégique. La seule gestion budgétaire ne peut constituer un horizon lorsqu'il s'agit de produire des oeuvres audiovisuelles qui mettent entre trois et cinq ans à devenir réalité ou lorsqu'il est question pour France Télévisions de développer une plateforme SVAD ou pour RFI de diffuser en de nouvelles langues africaines. Il faut du temps pour créer de la qualité, de l'audience, de l'influence mais il suffit d'un projet de loi de finances pour remettre tout ce travail en question.

Nous serons donc vigilants pour que le chantier de la réforme de la CAP ne soit pas conduit selon un seul mode comptable mais qu'il serve d'abord à boucler une réforme systémique que nous sommes nombreux ici à appeler de nos voeux. J'ai proposé à la ministre de commencer en 2020 par nommer un président commun à France Télévisions et à Radio France et je crois savoir que cette idée suscite de l'intérêt, y compris au sein des entreprises concernées. Un chemin existe donc pour engager un regroupement qui constitue la seule voie possible pour faire exister notre audiovisuel face aux nouveaux acteurs du privé et aux GAFANs.

Car - et j'en viens maintenant à l'analyse de la situation de chaque opérateur - il apparaît clairement qu'aucune des sociétés de l'audiovisuel public n'a la taille critique pour affronter les investissements nécessaires à leur avenir.

France Télévisions est aujourd'hui sur la sellette compte tenu des économies demandées. Si la baisse des crédits s'élève à 47,8 millions d'euros, l'entreprise chiffre l'effort à 75 millions d'euros compte tenu de l'évolution endogène de la masse salariale et de l'évolution des clauses des contrats. Ces économies devraient porter à 40 % sur les structures et à 60 % sur les programmes en privilégiant les flux et le sport. Concrètement il n'est pas sûr que le service public continue à retransmettre le tournoi des VI Nations.

Cette cure d'austérité a créé une vive réaction du côté des syndicats de l'entreprise qui estiment que le contrat moral avec l'État a été rompu. Des efforts ont été acceptés dans le passé, qui avaient pour contrepartie un effort de développement. C'est ce cap qui fait défaut aujourd'hui. Et l'on sent bien que, faute de feuille de route de la part de l'actionnaire, l'entreprise peine à conduire ses missions actuelles tout en développant de nouveaux services, le tout avec des moyens en baisse. France Télévisions a-t-elle les moyens de se lancer dans un nouveau feuilleton quotidien tout en lançant une plateforme SVAD sans avoir dégagé de véritables marges de manoeuvres financières autres qu'une hausse de la ressource publique aujourd'hui remise en cause ?

J'estime qu'il est temps de réaliser des choix car tout n'est pas possible pour le service public de l'audiovisuel. À cet égard, le rapprochement entre France 3 et France Bleu constitue une piste intéressante si elle permet de mutualiser les moyens. Une expérimentation en Bretagne serait précieuse pour en mesurer le potentiel.

Concernant la plateforme SVAD, on ne peut que se satisfaire du fait que le modèle économique ait été clarifié mais les doutes subsistent quant à l'intérêt même de l'offre, faute de véritables partenaires au-delà des producteurs associés. Pourquoi Arte et TV5 Monde ne sont-ils pas parties prenantes par exemple ? Ce projet ressemble encore trop à un « cavalier seul » dans un paysage où la concurrence est surabondante et très attractive.

Une question reste pendante sur la véritable mission du service public de télévision. Consiste t'elle d'abord à créer une offre payante pour concurrencer des acteurs privés surpuissants - sans avoir nécessairement une offre de programmes comparable - ou ne serait-il pas préférable de privilégier le renforcement de la spécificité de son offre ce qui passe par une plus grande indépendance vis-à-vis des exigences de l'audimat et de la publicité ? Plus la télévision publique s'inscrira dans une démarche commerciale, moins la légitimité de son statut et de son financement s'imposeront aux yeux de nos concitoyens. La question se posera concrètement début mars en Suisse où les citoyens sont appelés à se prononcer par référendum sur le maintien de la redevance et par voie de conséquence sur l'existence même du service public.

Arte France a répondu depuis plusieurs années à cette exigence de spécificité. La qualité de son offre ne cesse de s'affirmer et le nouveau COM, en mettant l'accent sur la production d'inédits, devrait encore accroître cette spécificité. À cet égard, on ne peut que regretter l'absence de coopération entre Arte et France Télévisions alors même que ces dernières sont au coeur du modèle de Arte Deutschland. Toutefois, Arte développe des captations des concerts de Radio France et continue son développement délinéarisé.

Sur le plan budgétaire, votre rapporteur se réjouit du fait que la chaîne ait pu préserver une hausse de ses moyens qui ne devrait pas être impactée par la légère baisse par rapport à l'objectif du COM compte tenu de la mobilisation du report à nouveau.

Le cas de Radio France est très différent et appelle de notre part une grande vigilance. Certes, le déficit de la société devrait se résorber en 2018 conformément au COM mais ce résultat ne s'explique que par une nouvelle hausse de la ressource publique. C'est la hausse de la dotation de fonctionnement à hauteur de 8,7 millions d'euros qui permet d'afficher un retour à l'équilibre des comptes preuve que les réformes sont encore largement insuffisantes pour assurer l'avenir de l'entreprise.

Plus grave encore, le retard du chantier est presque présenté comme une opportunité pour réduire le besoin d'investissement de la société. En réalité, la situation du chantier est alarmante, en raison de la multiplication des malfaçons et de l'insécurité juridique qui caractériserait la conduite du chantier. Pour les syndicats que j'ai interrogés, la situation serait devenue critique et la plus grande inquiétude serait de mise pour 2019 et 2020. Je crois, madame la présidente, qu'il faudra porter la plus grande attention au rapport demandé par le Gouvernement à M. Jean-Pierre Weiss dont la ministre nous a assuré qu'il nous serait transmis.

Un mot tout de même sur les excellentes audiences des antennes de Radio France et sur le succès de la fréquentation de la Maison de la Radio, qui prouvent qu'une offre avec une forte identité permet de fidéliser un public nombreux et exigeant.

Quelques informations sur l'INA pour dire que la baisse de 0,45 million d'euros est mal ressentie mais qu'elle ne remettra pas en cause les projets de l'établissement public. Il devra, en revanche, bien préparer l'après « Plan de sauvegarde numérique ». La mise en oeuvre de ce plan a nécessité pendant des années des recrutements, il est normal de s'interroger sur l'avenir de ces personnels une fois la mission accomplie.

J'en viens maintenant à France Médias Monde dont les audiences sont toujours en hausse sur tous ses supports de diffusion. Là encore, les économies demandées suscitent une réaction d'incompréhension qui est logique puisque la société n'a pas le temps de se retourner sinon en envisageant des départs de cadres et une remise en cause de la diffusion du signal à New York et Los Angeles, deux villes où les contrats de diffusion arrivent à terme.

La soudaineté des ajustements budgétaires demandés crée beaucoup de rancoeur parmi les personnels qui ont déjà accepté de nombreuses réformes. Je rappelle que FMM a un budget très en-deçà de celui de ses concurrents (BBC, Deutsche Welle) et qu'on ne peut utiliser le rabot pour piloter une politique de l'audiovisuel extérieur. Des arbitrages sont là encore possibles mais ils doivent être structurels. Pourquoi, par exemple, le rapprochement des rédactions radio et télévision, interrompu en 2012, n'a-t'il pas été relancé ? L'entreprise a pris les devants en engageant une mutualisation de ses envoyés spéciaux permanents avec Radio France dans cinq capitales (Bruxelles, Beyrouth, Washington, Pékin, Moscou). Un tel regroupement ne pourrait-il pas être élargi à France Télévisions ?

J'évoquerai enfin TV5 Monde : l'attaque informatique de 2015 a failli littéralement « tuer » cette belle entreprise mais tout a été fait pour qu'une telle mésaventure ne se reproduise pas. TV5 Monde est le réseau francophone le plus largement diffusé dans le monde et il est essentiel de favoriser son essor notamment en Afrique et sur Internet.

Madame la présidente, mes chers collègues, me voici arrivé au terme de cette présentation. Vous aurez compris que pour moi ce budget n'a de sens que s'il doit constituer la première pierre d'une réforme à venir de l'audiovisuel dans laquelle le Sénat peut et doit jouer son rôle. C'est dans cet esprit qu'il me semble possible et souhaitable de donner un avis favorable à l'adoption des crédits nonobstant les faiblesses concernant la méthode suivie dans l'annonce du PLF et les points d'inquiétude - notamment à Radio France -. Loin d'être un chèque en blanc, c'est d'abord une mise « pour voir » que je vous propose de mettre sur la table du Gouvernement en espérant que notre démarche sera entendue.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je remercie notre collègue pour ce rapport dense qui nous offre une vision globale utile sur les entreprises de l'audiovisuel public. Je l'indique à nos nouveaux collègues, le sujet de l'audiovisuel fait l'objet de la part de notre commission d'un travail assidu depuis de nombreuses années. Le rapport de Jean-Pierre Leleux et André Gattolin, fruit d'un travail commun avec la commission des finances, en est un exemple récent et légitime le rôle que le Sénat peut jouer dans la réforme de l'audiovisuel, ainsi que l'a souligné notre rapporteur ce matin.

M. André Gattolin. - Je souligne à mon tour la qualité et la densité du rapport de Jean-Pierre Leleux, dont je partage un grand nombre des recommandations.

Il faut d'abord reconnaître que nous nous trouvons dans une période transitoire. Nous examinons un projet de budget qui a été élaboré en cours d'année et qui n'est donc pas en mesure de mettre en oeuvre la réforme structurelle dont l'audiovisuel français aurait besoin. Celui-ci fait en effet face à des défis considérables. Il existe un risque de disparition des chaînes de télévision traditionnelles, d'ici dix à quinze ans. Sur ce sujet, les acteurs du marché ne partagent pas les mêmes positions : les uns prônent le « laissez-faire » et entérinent d'une certaine façon la domination future des GAFANs, d'autres plaident pour le statu quo, certains enfin - j'en fais partie - appellent de leurs voeux la transformation profonde de nos modèles aussi bien public que privé pour faire face à la déterritorialisation et la délinéarisation en cours de l'offre audiovisuelle.

J'ai été choqué par la prise de position de la présidente de France Télévisions, Mme Ernotte, à l'encontre du projet de budget de l'État et la façon dont elle a incité les syndicats en interne ainsi que certaines organisations professionnelles extérieures à faire part de leur opposition au Gouvernement. C'est un manque de respect envers le fonctionnement démocratique de notre pays et l'expression électorale qui a eu lieu au printemps dernier, le programme du candidat vainqueur n'ayant rien caché en la matière. Il faut quand même rappeler que le service de l'audiovisuel public en France est le seul parmi ses homologues européens à avoir vu ses crédits augmenter constamment au cours des dernières années. Or qu'il s'agisse de l'audience ou de la qualité des programmes du service public qui se mesure notamment par l'exportation de ses programmes, on ne peut pas dire que la satisfaction soit au rendez-vous.

La question de la réforme de la redevance est posée. Certes, l'universalisation sur le modèle allemand a pour conséquence d'assimiler la contribution à l'audiovisuel public à une hausse de prélèvement, mais il s'agit d'un artefact comptable lié à un changement de périmètre qu'il faut assumer. La réduction de la capacité d'emprunt de ces organismes est en revanche un sujet bien réel. Je crois qu'une étude précise devrait être conduite sur les 4,3 millions de foyers français exonérés de la redevance pour évaluer la proportion de ceux qui achètent par ailleurs de la télévision privée. Je ne comprends pas que l'on puisse à la fois ne pas être redevable de la CAP et dépenser des sommes plus importantes dans des abonnements à des services de télévision privées.

Je rejoins Jean-Pierre Leleux sur sa critique relative au sort qui est fait à France Médias Monde. Un budget aussi malthusien n'est pas compatible avec les exigences de réorganisation interne et de développement qui ont été formulées par ailleurs à l'égard de l'entreprise.

Le groupe La République en Marche émettra un avis favorable aux crédits de l'audiovisuel.

M. David Assouline. - Je salue le rapport de notre collègue Jean-Pierre Leleux. Il permet d'engager le débat mais celui-ci doit refléter l'ensemble des nuances au sein de notre commission qui dispose d'une expertise plurielle sur le sujet de l'audiovisuel. J'ai moi-même proposé dès 2013, en tant que rapporteur budgétaire, une réforme de la CAP.

Le groupe Socialiste et républicain n'est pas favorable à l'adoption des crédits de l'audiovisuel pour 2018. La baisse de 79 millions d'euros proposée rompt les engagements pris par l'État à l'égard des entreprises dans le cadre des COM, particulièrement en ce qui concerne France Télévisions. Cette baisse de financement va remettre en cause certains acquis dans la programmation du service public : y aura-t-il encore à l'avenir sur ses antennes des retransmissions de manifestations sportives majeures ? La question est posée.

Derrière l'idée d'une « BBC à la française », il y a en réalité celle d'un démantèlement du service public de l'audiovisuel. Ce démantèlement a déjà été engagé par la suppression de la publicité après 20 heures qui avait pour but de servir les intérêts des groupes privés. Je suis pour les synergies mais, soyons honnêtes, le projet de fusion qui figure dans la note du ministère de la culture dont la presse s'est fait l'écho a pour but de réaliser des économies, pas de rendre le service public plus puissant pour résister à la domination des GAFANs.

Enfin, la fusion qui se dessine ne sera pas source d'économies budgétaires. Outre les dépenses importantes que l'on engagera auprès de divers cabinets d'experts et de conseil, il faudra rapprocher les conventions collectives des personnels de Radio France et de France Télévisions. Celle de Radio France est plus avantageuse. On le sait, dans notre pays, dans ce genre de situation, on s'aligne sur le mieux-disant. Les dépenses salariales de France Télévisions s'en trouveront donc augmentées.

Nous sommes contre ce budget, nous ne jouerons pas au casino comme M. Leleux en regardant la mise !

M. Bruno Retailleau. - Je voudrais préciser la position de mon groupe et compléter les propos du rapporteur. A quelques mois de l'élection présidentielle, le Sénat, à travers notre commission, a donné un avis défavorable au COM de France Télévisions. Nous estimions notamment qu'une majorité ne pouvait pas engager une autre majorité après l'élection. Nous considérions par ailleurs que l'augmentation des crédits prévue dans le COM n'était pas financée par le budget de l'État. Notre position d'aujourd'hui s'inscrit dans la droite ligne de notre jugement de l'époque.

En ce qui concerne la réforme de l'audiovisuel, une universalité du financement est souhaitable à condition que cela ne se traduise pas par une ponction fiscale supplémentaire pour les Français. On demande aux collectivités territoriales de faire des économies, je ne vois pas pourquoi l'audiovisuel public n'en serait pas capable !

Par ailleurs, j'estime qu'il faut en même temps réformer le paysage audiovisuel français (PAF), notamment en revenant sur les décrets Tasca. Une réforme ne peut pas aller sans l'autre. On ne peut pas se permettre de créer un déséquilibre. De même, la régulation du secteur audiovisuel doit être revue. Il faut par conséquent une réforme systémique, globale et je remercie le rapporteur.

M. Pierre Laurent. - Je remercie le rapporteur pour la précision de ce rapport, même si je n'en partage pas la conclusion. La rupture du COM annoncée fin août est la raison fondamentale pour laquelle nous ne voterons pas ce budget. D'ailleurs, la réaction de M. Gattolin sur le fait que la présidente de France Télévisions ne se plie pas à cette décision me paraît assez curieuse puisqu'il y a eu rupture de la parole publique. La trajectoire du COM, comprenant d'importantes réductions des effectifs chez France Télévisions de 10 % entre 2012 et 2020, a été portée avec l'accord des organisations syndicales représentant une vision et une certaine ambition. Cette rupture est très grave pour la confiance dans les entreprises et France Télévisions. Même si le ministère annonce que la création sera protégée, il paraît évident qu'elle sera mise en danger, les économies de structure restant désormais marginales. Le sport, puis progressivement la création et notamment l'engagement de France Télévisions dans le secteur du cinéma, seront sans aucun doute affectés. L'annonce, de la part du gouvernement, d'une économie de 50 millions d'euros, sans affecter le secteur création, paraît bien hypocrite. J'ajoute que les révélations parues dans la presse nous éclairent sur la trajectoire parce qu'il ne s'agit pas uniquement d'une ponction de 50 millions d'euros cette année, les travaux du Comité Action Publique 2022 (CAP 2022) nous démontrant clairement qu'il s'agit d'une politique de réduction drastique. La ministre nous informe que les conclusions ne sont pas arrêtées, mais restent à l'étude. Parmi ces conclusions, figure la fermeture de France Ô et France 4 et autres. Il n'est pas possible de faire mieux avec des moyens en baisse. Il ne nous paraît pas souhaitable, en conséquence, d'envoyer le signal d'un avis favorable à l'adoption de ces crédits. Nous donnerions, de ce fait, crédit à une trajectoire qui s'annonce extrêmement grave pour l'avenir du service public.

J'ajoute qu'il est indispensable de lancer une réforme ambitieuse avec une vraie vision. Mais il nous faut définir si, dans cette vision, nous avons une ambition pour le service public ou si nous considérons que l'avenir de celui-ci doit être un service public « de niche », dans un paysage audiovisuel où il ne jouera plus qu'un rôle marginal. Il nous faut repenser la question du PAF car nous ne pourrons pas faire face à Netflix ou GAFA sans repenser l'ensemble du système. La question que nous devons nous poser est de savoir si nous accordons une place importante à une ambition de protection de la création française. Le Sénat pourrait se saisir de la proposition rendue publique par la présidente de France Télévisions pour réfléchir au paysage audiovisuel et conduire un travail qui permettrait d'envisager ce que pourrait être une « équipe de France de l'audiovisuel ». Car si chacun continue de se protéger des autres, c'est l'audiovisuel dans son ensemble qui disparaîtra. Il m'apparaît donc que ce serait un très mauvais signal donné par le Sénat d'adopter ce budget dans ces conditions. Je donne un avis défavorable à ces crédits afin de permettre l'ouverture d'un débat sur l'avenir de l'audiovisuel public.

Mme Françoise Laborde. - Différents points contenus dans ce rapport pour avis sont soulignés : le grand coup de ciseaux de Bercy, le problème sur les COM, mais aussi un état d'esprit à l'encouragement. Une profonde réforme doit être engagée. Je souhaite revenir sur deux points importants qui sont la diffusion audiovisuelle dans le monde, dont le rapport direct à la démocratie doit être maintenu et soutenu, et les arguments de David Assouline sur l'avenir de France Ô.

Je crois qu'il faut accepter l'idée de réaliser des économies et de faire des choix. Au cours de l'année 2018, notre commission devrait pouvoir réaliser un travail de fond et émettre un avis plus clair. En effet, nous avons changé de gouvernement. Nous pensons, de ce fait, qu'il nous faut soutenir ce budget cette année, mais sans conviction, et approfondir nos travaux en 2018. En ce début de mandat, et comme nous y invite notre rapporteur, nous donnerons donc un « avis favorable vigilant », expression qui correspondrait chez nous, au RDSE, à l'abstention positive.

M. Michel Laugier. - Je souhaite revenir plus particulièrement au compte de concours financiers « avances à l'audiovisuel public » qui finance les cinq sociétés de l'audiovisuel public, à savoir France Télévisions, Radio France, Arte France, France Médias Monde, TV5 Monde ainsi que l'Institut national de l'Audiovisuel. L'avis porté par le groupe Union Centriste est pour le moins contrasté et correspond aux avis donnés à leurs COM successifs. La commission avait donné un avis défavorable aux COM de France Télévisions et de Radio France et un avis positif à ceux de France Médias Monde et d'Arte France. France Télévisions et Radio France, les paquebots amiraux de l'audiovisuel public français, peinent à se réformer. Le dossier de l'identité des chaînes que regroupe France Télévisions n'avance pas. Radio France butte sur le chantier de son bâtiment. Or, avec le présent budget, le contexte financier évolue enfin, dans la mesure où, pour la première fois, des efforts sont demandés à ces deux sociétés. De 2012 à 2017, le budget de France Télévisions a augmenté de 215 millions d'euros, ce qui n'a pas incité à la réforme. Pour le projet de loi de finances pour 2018, France Télévisions va devoir enfin réaliser des économies à hauteur de 47 millions d'euros. Pour Radio France, la baisse des crédits ne concerne que les investissements, ce qui nous paraît peu. Par mesure d'équité, des économies sont également demandées à France Médias Monde et Arte France. C'est un signal politique mais est-ce vraiment pertinent, ces établissements s'étant engagés dans une véritable modernisation. En ce qui les concerne, l'heure est plus à leur développement qu'à leur restriction.

Un budget en baisse n'est pas forcément un mauvais budget, s'il s'appuie sur des réformes structurelles. C'est ce que l'on attend de l'audiovisuel public. La méthode est plus discutable : annoncer de telles restrictions si tardivement ne permet pas à France Télévisions de s'y adapter dans de bonnes conditions. On peut espérer que ce budget préfigure une remise à plat de l'ensemble de l'organisation de l'audiovisuel et de son financement dès 2019. Sur ce dernier point, la réforme de la contribution à l'audiovisuel public ne semble pas aller de soi pour le Premier ministre. Il faut donc clarifier ce point ainsi que la méthode qui sera choisie. Deux voies s'offrent à nous : une taxe universelle à l'allemande, ou une rebudgétisation. Une tentative de rebudgétisation se comprend dans la mesure où une réforme rapide de la contribution à l'audiovisuel public génèrerait de fortes rentrées d'argent. Cet appel d'oxygène pour France Télévisions risquerait de reproduire la situation antérieure d'un établissement qui peine à se réformer sans contrainte budgétaire forte. Mais il ne faut pas perdre de vue que l'enjeu principal de réforme de la CAP est d'adapter le financement de l'audiovisuel public à l'évolution des habitudes de consommation. Pour résumer, nous soutiendrons bien sûr les solutions préconisées dans le rapport de notre collègue, avec un avis favorable, mais avec une clause de revoyure et de vigilance.

Mme Colette Mélot. - Les différents points soulevés par Jean-Pierre Leleux dans son rapport sont tout à fait raisonnables. Nous sommes dans une période de changement, pas seulement du point de vue politique, mais aussi au niveau numérique, en liaison avec la modification des méthodes de travail, aux attentes des téléspectateurs ou des différents usagers de l'audiovisuel. Beaucoup de questions se posent et les solutions sont difficiles à trouver. Je pense qu'il faut donner du temps à l'audiovisuel public et à ceux qui le gèrent pour trouver le bon chemin. L'avis de mon groupe sera plutôt favorable avec, bien sûr, une grande vigilance sur la suite à donner à tous ces sujets.

M. Jean-Pierre Leleux. - D'une manière générale, il nous faut être tous conscients que si rien n'est fait dans l'audiovisuel public ou dans l'audiovisuel privé, à court terme, tout le linéaire va s'effondrer. Le temps où chacun examinait le programme télé puis passant la soirée devant son poste de télévision est révolu. La prise de conscience n'est pas assez forte chez nos responsables. Les réformes sont trop difficiles à affronter. L'audiovisuel public n'échappe pas à ce phénomène et doit se remettre en cause. Des efforts ont été accomplis sous la présidence actuelle, des efforts d'économies très comptables, mais la mission de service public n'est pas reprise conceptuellement. Il n'est pas envisagé de réformes systémiques, pourtant nécessaires. Il en est de même pour l'audiovisuel privé qui doit être « décorsetté » la réglementation le contraignant beaucoup trop sévèrement, et ne lui permettant pas d'innover ni d'exporter.

Je propose de donner un avis favorable « avec vigilance » à l'adoption des crédits car, même si nous ne partageons pas tous ici, les orientations proposées, la ministre de la culture et le gouvernement nous envoient des signaux qui vont dans le sens de nos préconisations, tant au niveau de la réforme de la gouvernance qu'au niveau de la restructuration des opérateurs publics leur donnant plus de capacité de synergie. Il me paraîtrait malvenu d'être défavorable à ces crédits alors que les préconisations de la ministre reprennent très largement les conclusions de notre rapport de 2015. Cela affaiblirait notre capacité de participer à la réforme nécessaire et d'être considérés comme une partie prenante contributive. Je vous propose donc de donner un avis favorable pour voir si les intentions seront suivies de propositions concrètes, que nous pensons d'ailleurs pouvoir traiter dans le courant de l'année 2018, où une loi sur l'audiovisuel sera nécessaire, ne serait-ce que pour transposer dans le droit français, la directive des services médias audiovisuels.

Ensuite, je souhaite préciser que nous n'avons jamais proposé de fusion des grands opérateurs publics. Je conviens avec certains orateurs, dont David Assouline, que s'il était question de fusion, la mise en conformité de conventions collectives très différentes prendrait du temps et serait plus coûteuse. La proposition formulée aujourd'hui est de désigner un président identique chez les deux grands opérateurs, une même personnalité, qui aurait intérêt à trouver des synergies entre ces deux entités. C'est une idée qui est très loin de la fusion et loin de ce qui est préconisé dans notre rapport, à savoir une holding. La holding serait possible, avec une instance décisionnaire capable de jouer sur plusieurs opérateurs pour réaliser des optimisations, non pas uniquement pour le coût mais aussi sur la qualité de l'offre.

Pour répondre à Pierre Laurent sur le non-respect du COM, je ne peux que préciser qu'ils n'ont jamais été respectés sous aucune mandature. Au vu du temps que cela prend, de la multitude de critères qui sont évoqués, même si le dernier a été plus raisonnable en la matière, et que ces COM n'arrivent pas à franchir la moindre échéance politique quelles qu'elles soient, c'est là un vrai sujet. En effet, les patrons de chaîne ont besoin de clarté et de visibilité à long terme pour pouvoir agir et mettre en place une vraie stratégie de développement. S'ils n'ont pas de vision au-delà de l'année, ils sont « stérilisés ». La notion de pérennité d'un financement de l'audiovisuel est absolument à prendre en compte dans la réflexion législative. En Allemagne, la ressource qui bénéficie à l'audiovisuel public est constitutionnelle. Il y a quelques années, le gouvernement avait voulu réduire la contribution aux chaînes publiques. La cour constitutionnelle allemande a stoppé cette décision. Ce ne serait pas le cas en France. Des idées pourraient être développées pour permettre aux responsables de chaînes de suivre une stratégie qui soit inscrite dans le temps.

Enfin, nous souhaitons un service public de l'audiovisuel qui traverse les échéances électorales sans soubresaut. Ce qui nous permettrait d'obtenir une forme d'indépendance que nous appelons de nos voeux. Continuer à employer le mot « tutelle » apparaît très contradictoire. Il serait souhaitable que l'audiovisuel public ait ses ressources garanties en termes de structure, avec sa part de risque éventuelle, ce qui lui permettrait de ne pas toujours ouvrir le robinet des finances publiques, qui l'amène dans la situation actuelle.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le vote de l'avis sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » est réservé jusqu'après l'examen des crédits de la presse, le 29 novembre prochain.

M. Antoine Karam. - Je souhaite revenir sur la suppression envisagée de France Ô. Depuis des années, cette suppression est annoncée. Il est indispensable que la commission prenne une position. Pour nous, c'est un vrai sujet. Ce sont trois millions de personnes, au nom de la diversité, qui seront touchées personnellement. Tous les matins, de 6h00 à 8h30, ces millions de personnes qui sont de l'Outre-mer et qui vivent en France hexagonale regardent les journaux télévisés. La perte d'audience de France Ô est importante mais, aujourd'hui plus que jamais, il est souhaitable que les populations qui vivent sur l'hexagone se sentent concernées. La solution serait que les chaînes nationales prennent le relai et donnent plus d'audience à la diversité. Mais si France Ô n'est pas remplacée en ce sens, il ne faut pas accepter la suppression de cette chaîne qui existe depuis des décennies et qui fait partie du champ télévisuel de la France hexagonale.

M. Pierre Ouzoulias. - Je souhaite réagir sur le fond aux propos liminaires de M. Gattolin, qui m'ont heurté, en tant que fonctionnaire. Un fonctionnaire ne décide pas des politiques publiques. Il les applique, avec les moyens qui lui sont octroyés. Les fonctionnaires que nous avons entendus lors des différentes auditions sont des fonctionnaires totalement attachés au service public, au respect de notre vie démocratique. Toutes et tous nous certifient du décalage absolu entre les missions et les moyens, qu'ils vivent au quotidien comme une profonde souffrance. Il me paraît injuste de leur demander de faire des choix politiques que le politique n'a pas l'honnêteté de faire. Nous, sénateurs avons le devoir de protéger la parole de ces fonctionnaires. Si leur liberté de parole est remise en question, la mission exemplaire et constitutionnelle de contrôle des affaires de l'Etat par le Sénat sera également remise en cause. Je terminerai par une formule « Ce n'est pas en cassant le baromètre qu'on arrête la tempête ».

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente - D'importantes discussions se profilant devant nous, je vais demander l'organisation d'un débat en séance plénière sur ce sujet, lors de la semaine de contrôle début janvier 2018, afin que chacun participe à la réflexion sur la réforme qui s'annonce et d'en apprécier l'ampleur. Comme l'a précisé Bruno Retailleau, c'est tout un ensemble qu'il faut repenser. Je vous renvoie également aux propositions que j'ai faites au nom de notre commission sur la chronologie des médias, dont certaines concernent l'audiovisuel, aussi bien pour les chaînes en clair que pour les chaînes payantes. Tout est intrinsèquement lié. Il nous faut avoir cet effort ce vision panoramique. Nous aurons un important travail de fond à effectuer.

Pour conclure, je pense que cette réforme est indispensable. En tant que représentante de notre commission au conseil d'administration de France Télévisions, je ne cesse de le leur dire, avec bienveillance, car je crois profondément aux missions d'un service public singulier, différencié des chaines commerciales. Le statut quo n'est plus possible, ne serait-ce qu'au regard du mode de financement. Quant à la réforme du mode de financement de l'audiovisuel public, nous sommes tous en accord. Il est nécessaire de faire évoluer l'assiette de la CAP, compte tenu de la diversité des supports. Je note d'ailleurs que le Président Hollande avait annoncé une réforme de celle-ci en 2014 à l'issue d'un colloque au CSA mais aucune évolution n'a suivi. En outre, le gouvernement actuel est-il partie prenante de cette nécessaire réforme du mode de financement mais également de sa clarification, aussi bien sur la publicité que sur l'utilisation de la taxe sur les opérateurs de télécommunications (TOCE).

Mme Sylvie Robert. - L'ensemble des groupes ayant donné leur avis sur ces crédits, je souhaiterais que vous nous précisiez la raison pour laquelle nous aurons à émettre un avis global alors même que les rapporteurs présentent leur rapport.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il en a toujours été ainsi. Cette mission se décompose de plusieurs programmes concernant les Médias, le livre et les industries culturelles ainsi que le compte de concours financiers « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public ». Nous avons donc trois rapporteurs sur l'ensemble de cette mission, qui émettent chacun leur avis sur leur propre secteur. Il nous appartient de faire une synthèse pour n'émettre qu'un seul avis sur l'ensemble de la mission.

Mme Sylvie Robert. - Permettez-moi de comprendre : notre collège Françoise Laborde va présenter son rapport dans quelques minutes. Nous allons donc nous exprimer et donner notre avis, qui peut être tout aussi différent que celui que nous avons apporté sur celui de M. Leleux. Il m'apparaît difficile de faire une synthèse d'avis, qui peuvent être différents et contradictoires sur une même mission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous précise que, charge à chaque groupe, lorsqu'il s'exprimera le moment venu dans l'hémicycle, de nuancer ses positions et de les expliciter très clairement. Dans vos explications de vote, vous pourrez donner votre avis précisément. Ensuite, la commission de la culture émettra un avis sur l'ensemble des crédits de la mission.

M. David Assouline. - Sur la forme, je ne comprends pas cette façon de procéder. Cela n'a pas toujours été comme cela. Vous nous précisez que nous votons sur un avis du rapporteur et non pas sur la ligne de crédit. L'avis du rapporteur a été donné aujourd'hui et ne sera pas le même sur les autres lignes. En séance, nous voterons les crédits. Ici, en commission, vous nous demandez de voter sur l'avis. Je vous affirme que nous n'avons jamais procéder de la sorte. Je demande plus de clarté de la part de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - De tout temps, notre commission émet un avis sur une mission budgétaire dans son ensemble. Lors de la discussion des crédits de la recherche et de l'enseignement supérieur la semaine dernière, nous avons procédé de manière identique puisque nous avons donné un avis sur l'ensemble de la mission.

Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis des crédits du programme « Livre et industries culturelles ». - Le programme 334 « livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » rassemble les crédits destinés, pour l'essentiel, au soutien public au livre et à la lecture mais également, pour 5,6 % seulement des montants inscrits, aux secteurs de la musique enregistrée et du jeu vidéo, ainsi qu'au fonctionnement de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet, la Hadopi.

En 2018, ce sont 262 millions d'euros en autorisations d'engagement et 271 millions d'euros en crédits de paiement qui bénéficieront au livre et aux industries culturelles, soit, à périmètre constant, en considérant les dispositifs d'éducation artistique et culturelle désormais imputés sur le programme 224 « transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture », une augmentation de 2 % en crédits de paiement.

Vous l'aurez compris, c'est au livre et à la promotion de la lecture que profite la quasi-totalité des crédits du programme (94,4 % précisément, soit 255,4 millions d'euros), raison pour laquelle j'y consacrerai l'essentiel de mon intervention.

Dans ce cadre, 215 millions d'euros correspondent à la subvention pour charge de service public de la Bibliothèque nationale de France (BnF) et de la Bibliothèque publique d'information (Bpi) attachée au Centre Pompidou. Je ne m'appesantirai pas sur la description d'une charge budgétaire destinée à financer des dépenses contraintes de fonctionnement de ces opérateurs. En revanche, il me semble utile, compte tenu des récents déboires rencontrés par la BnF, de vous dresser un rapide bilan des travaux financés par ces établissements sous forme de crédits d'investissement.

Le site Richelieu constitue le berceau historique de la BnF. Depuis la fin des années 1990, avec l'ouverture du site François Mitterrand, le bâtiment accueille les collections spécialisées de la bibliothèque, ainsi que l'Institut national d'histoire de l'art et l'École nationale des chartes. L'état dégradé des lieux nécessitait de lourds travaux, qui furent lancés en 2010 pour la première zone le long de la rue Richelieu. Alors que la première convention de mandat en date du 13 novembre 2006 faisait état d'un coût prévisionnel des travaux de 149,1 millions d'euros, l'avenant n° 10 conclu en juin dernier annonçait finalement un coût de 233,2 millions d'euros, dont 189,7 millions d'euros à la charge du ministère de la culture.

Bon an mal an, les travaux se sont terminés il y a quelques mois, permettant l'inauguration de la première zone le 11 janvier dernier par le Président de la République. Ce fut aussi long que coûteux, mais il semblerait que l'ensemble soit une réussite, notamment la salle de lecture Labrouste. Je crois, madame la présidente, qu'un déplacement de la commission sur place est prévu prochainement ?

Désormais, la seconde phase de travaux, qui devrait se clore en 2020, a débuté le long de la rue Vivienne au début de l'année 2017. 18 millions d'euros de crédits de paiement lui sont destinés dans le présent projet de budget, complétés par le recours aux fonds propres de la BnF et au mécénat pour l'aménagement de la salle Ovale, de la galerie Mansart et du salon Louis XV. Souhaitons à l'opérateur un chantier moins perturbé que lors de la première phase de travaux. Souhaitons-le également à la Bpi, qui débutera en 2019 un grand projet de rénovation destiné à dynamiser sa fréquentation et à améliorer la qualité des services proposés.

Bien que les crédits qui y sont consacrés n'appartiennent pas au programme 334, permettez-moi, pour clore le sujet des bibliothèques, d'évoquer les suites de l'excellent rapport de notre collègue Sylvie Robert sur l'aménagement des horaires d'ouverture au public.

La France dispose d'un réseau de plus de 16 000 bibliothèques et points d'accès au livre, qui couvre 77 % des communes de plus de 2 000 habitants et près de 90 % des habitants, soit une couverture du territoire très satisfaisante à l'échelle européenne. Pourtant, et même si 91 % des Français déclarent avoir déjà fréquenté une bibliothèque, le taux d'usagers réguliers ne dépasse pas 25 % et il s'effondre si on exclut du panel les jeunes en âge scolaire et les seniors. La faute en incombe en grande partie aux horaires d'ouverture très contraignants de ces établissements, notamment le soir et en fin de semaine. C'est dire combien l'adaptation et l'extension des horaires d'ouverture, proposées par notre collègue Sylvie Robert dans son rapport remis en août 2015, sont essentielles au développement de la lecture chez nos concitoyens.

Plusieurs collectivités se sont déjà engagées en ce sens une vingtaine en 2016 dont Brest, Caen, Le Havre et Paris et ont d'ores et déjà observé une augmentation significative de la fréquentation de leur(s) établissement(s). En application d'une circulaire interministérielle en date du 15 juin 2016, elles bénéficient d'une aide temporaire au fonctionnement prise sur les crédits de la dotation générale de décentralisation, laquelle, pour l'ensemble des bibliothèques, s'élève à 80,4 millions d'euros pour 2018. Ce montant n'a pas été relevé depuis la mise en place du dispositif, alors que notre collègue en estimait le coût à 5 millions d'euros, ce qui laisse à craindre un moindre financement d'autres projets de rénovation ou de construction.

Il est donc temps que la mission confiée conjointement à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et à l'Inspection générale de l'administration (IGA) sur le chiffrage de la mesure rende ses conclusions et que les conséquences budgétaires en soient tirées, sans quoi le risque que le financement d'une partie du dispositif repose sur les collectivités territoriales est plus que probable. La réflexion confiée à Erik Orsenna sur l'accès aux services offerts par les bibliothèques devrait également apporter des précisions utiles sur l'adéquation des moyens aux besoins.

Le soutien au livre et à la lecture dépasse bien sûr le cadre des bibliothèques. Avec un chiffre d'affaires de 2,8 milliards d'euros en 2016, le marché du livre, protégé depuis 1981 par le prix unique et un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) réduit, demeure stable, malgré d'importants écarts selon les catégories d'ouvrages. À titre d'illustration, si la littérature génère encore plus de 20 % du chiffre d'affaires des éditeurs, son rendement continue à diminuer (- 3,9 % en 2016), tandis que l'édition scolaire, réforme du collège oblige, montre un fort dynamisme (+ 38,9 %). Le numérique, en augmentation constante mais raisonnée, représente désormais près de 9 % du marché. L'édition française est également foisonnante avec 390 nouveaux romans à l'automne 2017.

Nulle industrie ne peut se développer sans réseau de vente : c'est dire l'importance des 3 200 librairies indépendantes, qui réalisent 50 % des ventes d'ouvrages, tant pour les acteurs du livre que pour la vitalité des territoires. Il convient à cet égard de saluer la réussite du Plan Librairie, mis en oeuvre par le précédent gouvernement et doté de 8 millions d'euros destinés à soutenir le financement et la transmission de ces commerces, parmi les moins rentables des centres-villes. Pour autant, les chiffres médiocres du premier semestre 2017, qui affichent un recul de 9 % des achats en librairie, laissent encore craindre une détérioration de ce marché.

Plus que jamais, les dispositifs de soutien aux libraires, aux éditeurs et aux auteurs doivent donc être sanctuarisés. Gérés par le Centre national du livre (CNL), ils sont toutefois dépendants des recettes de l'opérateur. Or, depuis plusieurs années, le rendement décevant des taxes qui lui sont affectées, respectivement sur le chiffre d'affaires des éditeurs et sur les ventes de matériels d'impression et de reproduction, ne permet pas au CNL d'atteindre le plafond de recettes de 34,7 millions d'euros fixé en loi de finances et l'oblige à renforcer la sélectivité de ses interventions. Si l'IGAC et le Conseil d'État ont été chargés de définir un nouveau modèle de financement pour l'opérateur, il se fait toujours attendre, ce que je déplore.

Je ne développerai pas plus avant les dispositifs d'aide à la musique enregistrée et au jeu vidéo, qui bénéficient, crédits d'impôts mis à part, de 15,1 millions d'euros en 2018 sous forme de dispositifs de soutien de projets sur sélection. Grâce au digital et au développement des pratiques de streaming, l'industrie musicale semble enfin sortie du marasme, sans toutefois avoir réussi à vaincre le fléau du piratage. Je vous en reparlerai dans un instant. Quant au jeu vidéo, la qualité et la diversité de l'industrie française, aidée par un dispositif fiscal attractif, sont mondialement reconnues malgré une concurrence internationale féroce.

Un développement en revanche sur le cinéma, qui auparavant était traité par notre collègue David Assouline dans le cadre de son avis relatif à la création : le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) étant évoqué parmi les opérateurs du programme 334, il a finalement été décidé de rattacher le cinéma au présent avis, même si, vous le savez, cette industrie ne bénéficie d'aucun crédit en projet de loi de finances.

Les taxes affectées au CNC devraient, en 2018, se stabiliser à 673,5 millions d'euros auxquels s'ajouteront 42 millions d'euros mobilisés sur la réserve de solidarité pluriannuelle, soit 724 millions d'euros au bénéfice du cinéma. C'est 2,4 % de plus qu'en 2017.

Rien d'étonnant à ce que la production française, irriguée par différentes aides et de généreux crédits d'impôt, affiche une santé éclatante : en 2016, ce sont 221 films d'initiative française qui ont été aidés pour un devis médian de 2,8 millions d'euros, contribuant ainsi à une diversité artistique et culturelle remarquable.

La réforme du crédit d'impôt cinéma intervenue en loi de finances pour 2016 a d'ores et déjà produit sur l'emploi des résultats supérieurs aux prévisions les plus optimistes grâce à la relocalisation sur le territoire français de l'équivalent de 600 jours de tournage. Le CNC estime à 210 millions d'euros les dépenses ainsi relocalisées, correspondant à la création de 15 000 emplois intermittents.

La perfection serait de ce monde en matière de soutien public à une industrie culturelle si n'était intervenue, le 27 octobre dernier, une décision du Conseil constitutionnel remettant en cause les fondements juridiques de la taxe sur les éditeurs (298,5 millions d'euros de recettes en 2018 pour le CNC tout de même). Dans sa grande sagesse, le juge constitutionnel a donné jusqu'au 1er juillet 2018 au législateur pour sécuriser le dispositif et a exclu le remboursement aux éditeurs des sommes ainsi perçues. Un chantier urgent nous attend donc.

Par ailleurs, si les entrées en salles caracolent encore, en 2016, à 213 millions, plaçant la France au premier rang européen, ce résultat, manifestement excellent, ne doit pas faire oublier que la part des films français ne dépasse pas 36 % des entrées et, qu'aux côtés des grands succès populaires comme Les Tuche 2, près de la moitié des films français ne réunit pas plus de 20 000 spectateurs. Ce constat mitigé est transposable à l'exportation, dont les résultats, décevants en 2016 (- 9,6 % de chiffre d'affaires) malgré un renforcement de l'aide qui y est dédiée, dépendent grandement de la présence d'un film « locomotive ».

Ma présentation ne serait pas complète sans l'évocation des 9 millions d'euros de subvention à la Hadopi. Stable, cette enveloppe permettra à l'opérateur de poursuivre sa mission de lutte contre le piratage et de promotion de l'offre légale. Après les déboires budgétaires de l'institution, nous pouvons nous en réjouir. Il n'empêche : la lutte contre le piratage doit s'exercer au plus près des nouvelles pratiques. Que dire dès lors d'un opérateur dont la mission se limite au téléchargement « pair à pair », peu en vogue aujourd'hui, sans traiter les ravages du streaming ? La Hadopi elle-même, consciente de ce décalage, a commandé une étude sur les évolutions envisageables de la riposte graduée. Il serait à cet égard intéressant, pour prolonger notre réflexion à la suite des travaux de nos anciens collègues Corinne Bouchoux et Loïc Hervé en 2015, d'entendre son président quand les conclusions en seront connues.

Enfin, il conviendra de demeurer attentifs, dans les prochaines semaines, à l'aboutissement de l'examen, par le Parlement européen, de la réforme du droit d'auteur et notamment aux mesures qui seront proposées en terme de lutte contre le piratage et au profit du maintien du dispositif français d'exploitation des livres indisponibles ReLire, jugé aujourd'hui contraire au droit européen.

Pour conclure, je propose, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 334 « livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », tels que prévus par le présent projet de loi de finances pour 2018.

Mme Sylvie Robert. - Je vous remercie pour votre interprétation sur le périmètre des crédits et sur les éléments de réflexion prospectifs. Je partage votre avis sur les bibliothèques : aujourd'hui, la question des horaires d'ouverture revient pour une bonne part aux collectivités territoriales, puisque c'est essentiellement une question de masse salariale. J'ai remarqué que la DGD n'avait pas évolué. Pourtant, un signe du Gouvernement d'augmenter cette DGD pour aider les communes à élargir leurs horaires d'ouverture serait de bon augure. J'attends de la ministre un geste politique et symbolique en ce sens. Je partage aussi votre vigilance sur les librairies, qui ont une place particulière dans nos territoires. Le plan Librairie mis en place, a été efficace mais, là encore, l'équilibre est fragile et les premiers résultats pour 2017 sont préoccupants. Enfin, nous serons très attentifs sur l'avenir européen du dispositif « ReLIRE ». De la même façon, nous partageons votre constat et votre vigilance dans le domaine du cinéma. En conséquence, notre groupe émettra un avis favorable sur ces crédits.

Mme Colette Mélot. - Ce rapport nous apporte de nouvelles pistes de réflexion. La réalité de ce secteur est stable. Pour avoir travaillé dans ce domaine, j'y retrouve mes propres préoccupations. En ce qui concerne la BnF, nous attendons vivement la fin des travaux du Quadrilatère Richelieu que je souhaiterai prochainement visiter. Je rejoins l'observation de Sylvie Robert sur une ouverture plus large des bibliothèques. Mais j'ai conscience qu'une ouverture supplémentaire, le soir ou le dimanche, a un coût important qui nécessite une aide supplémentaire à la collectivité. Concernant le marché du livre, on ne peut que constater une croissance du numérique et, aujourd'hui, beaucoup d'usagers commandent leurs livres sur Internet. On ne peut pas aller contre ce phénomène. Pourtant les librairies situées en centre-ville sont déterminantes. Concernant la musique et les jeux vidéo, il y a là aussi une stabilité. Je pense également qu'il serait intéressant d'entendre le président de la Hadopi. Nous attendons de connaître la suite de la réforme européenne du droit d'auteur. Toutes ces observations m'amènent à vous dire que le groupe LIRT donnera un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

M. Michel Laugier. - J'ai bien compris que les crédits du programme 334 étaient principalement consacrés à la BnF et, s'agissant des investissements, du Quadrilatère Richelieu. La subvention de la BnF participe au redressement des comptes publics, sa dotation pour 2018 subissant une baisse de 2,5 % de même que ses emplois diminuent. Bien que l'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques soit une promesse du candidat Macron, elle ne relève pas de ce programme et n'est pas encore budgétée. En revanche, 2018 sera marquée par le grand débat national sur la lecture dans le cadre de la mission confiée à d'Erik Orsenna. Le budget de la Hadopi est stable par rapport aux années précédentes où son existence même était menacée. La question de l'adaptation de ses missions aux évolutions technologiques demeure cependant entière. Au vue de toutes ces remarques, l'avis du groupe centriste sera favorable.

Mme Mireille Jouve. - Nous partageons les propositions de Sylvie Robert sur les amplitudes horaires des bibliothèques même si cela pose des problèmes dans les petites communes qui doivent faire face à des difficultés de fonctionnement. Le groupe RDSE émettra un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

Mme Laure Darcos. - Nous sommes tous dans l'attente des conclusions de la mission confiée à Erik Orsenna. Je souhaiterai revenir sur la question des oeuvres indisponibles qui est un sujet que je suis depuis longtemps. En 2009, Google a proposé à la BnF, la numérisation de quelques 700 000 livres qui allaient devenir indisponibles. En 2012, les différents partenaires (CNL, éditeurs, auteurs et BnF) ont mis en place un système de numérisation avec l'autorisation des ayants droit désormais rejeté au niveau Europe. La BnF a tout de même fini la numérisation de ces livres et, aujourd'hui, il existe une plate-forme qui les vend. Y a-t-il encore aujourd'hui des crédits alloués à cette opération ? C'est important car il existe une réelle demande pour ces oeuvres et cela relève d'une véritable politique patrimoniale.

M. Pierre Laurent. - Le groupe CRC s'abstiendra sur ces crédits pour marquer à la fois la baisse du budget et le manque d'ambition pour ce secteur, qui reste très fragile qu'il s'agisse des bibliothèques, des librairies ou du CNL. Nous avons besoin d'un geste national en faveur de la lecture car nous nous trouvons face à un problème d'inégalité territoriale. La question de l'accès à la lecture est cruciale et il est nécessaire d'avoir sur le sujet un engagement national. Je regrette le manque d'ambition dans ce secteur. Enfin, la question de la sécurisation juridique de la taxe éditeurs du CNC constitue un enjeu majeur et nous serons très vigilent sur ce point.

Mme Françoise Laborde. - Je vous remercie de vos commentaires plutôt positifs même s'il n'y a pas une ambition phénoménale dans ce budget. Les crédits montrent une stabilité dans le secteur. La volonté d'ouvrir plus les bibliothèques risque de se confronter à des problèmes financiers, si on n'y apporte pas les crédits nécessaires. Nous reparlerons certainement de la mission Orsenna à ce sujet. Le Parlement européen doit se prononcer fin janvier sur le projet « ReLIRE » et nous attendons avec impatience sa décision.

En réponse à Colette Mélot, dont je salue l'implication comme rapporteur pour avis de ce secteur ces dernières années, la loi dite « Anti-Amazon » de 2014 a protégé les libraires et eux-mêmes se créant des plates-formes. Il reste cependant préférable d'aller chez son libraire !

En réponse à Michel Laugier sur le budget de la Hadopi, nous attendons là aussi les conclusions d'une mission confiée à deux conseillers d'État.

Concernant les oeuvres indisponibles évoquées par Laure Darcos, il n'y a pas aujourd'hui de budget pour de nouvelles numérisations, cette question étant également en attente devant le Parlement européen dans le paquet « droits d'auteur ». La vente de livres numérisés par une plate-forme est encore autorisée, mais en janvier prochain, nous saurons si nous avons le droit de continuer de diffuser et de vendre ces livres numérisés. L'année 2018 sera décisive !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Permettez-moi de vous rappeler mes chers collègues qu'à l'époque où Google avait fait des avances à la BnF pour la numérisation de son fonds, notre commission avait auditionné le président de la BnF et s'était prononcée clairement contre ce que j'appellerais la « Google-isation » de ses fonds.

Par ailleurs, sachez que j'ai récemment reçu Erik Orsenna dans le cadre de sa mission sur l'ouverture des bibliothèques. À cette occasion je lui ai rappelé notre attachement à l'ouverture le dimanche avec toutefois, en contrepartie, la nécessité de prévoir des crédits budgétaires dédiés pour les collectivités territoriales.

M. Jean-Pierre Leleux. - Trois points méritent toute notre vigilance.

Tout d'abord, je suis convaincu que si rien n'est acté rapidement sur la chronologie des médias, nous encourrons un réel risque d'explosion du secteur du cinéma.

S'agissant ensuite du marché du livre, la transition vers le numérique représente un enjeu capital. Je déplore que ce marché soit de la sorte dominé par des géants américains comme Amazon et Apple, et que nous ne disposions pas d'une plateforme de vente aussi performante.

Enfin, le piratage demeure, à mes yeux, « l'ennemi numéro un » de nombreux secteurs : comment les conclusions du très intéressant rapport Bouchoux-Hervé pourraient-elles être mises en oeuvre ?

- Présidence de M. Jean-Claude Carle, vice-président -

Mme Samia Ghali. - Je rejoins les propos de Pierre Laurent et de Sylvie Robert sur les bibliothèques et tiens à souligner notre pauvreté, dans certains quartiers, tant dans les plages horaires d'ouverture que dans le volume de l'offre proposée aux lecteurs.

Pas plus tard qu'hier, le Président de la République, a annoncé qu'il allait multiplier les médiathèques dans les quartiers difficiles : quels moyens seront-ils mis en oeuvre pour cette politique qui me semble capitale, notamment pour lutter contre le décrochage scolaire de certains enfants ?

En 2008 et 2009, lors de nos débats autour de la « loi Hadopi », j'avais eu l'occasion de rappeler que l'accès à la culture demeure onéreux et que le piratage constitue, soyons réalistes, un accès à la culture pour nos concitoyens les plus défavorisés. Le secteur de la musique est le seul à s'être correctement adapté à cette nouvelle donne en permettant des achats ciblés de morceaux, sans obliger à acquérir l'ensemble de l'album.

Enfin, permettez-moi de rappeler que l'ouverture d'esprit et la culture sont des armes pour combattre l'intégrisme.

M. Pierre Ouzoulias. - La BnF ne devrait-elle pas s'aligner en termes d'horaires sur ses homologues dans le monde ? Il me semble en effet que ses horaires d'ouverture sont particulièrement restreints.

M. David Assouline. - Je demande à la commission de diffuser un vade mecum à l'ensemble de ses membres afin de clarifier l'objet de nos votes en commission sur les différentes missions et programmes du projet de loi de finances. Il règne encore trop de confusion.

M. Jean-Claude Carle, président. - En réponse à David Assouline, il me semble que la convocation que vous avez reçue était suffisamment claire.

Mme Françoise Laborde, rapporteure. - En réponse à Jean-Pierre Leleux au sujet de la chronologie des médias, la ministre a rappelé récemment devant notre commission que les acteurs du secteur avaient six mois pour se mettre d'accord, faute de quoi une solution législative serait proposée. S'agissant des géants de la vente du livre, je reconnais que la résistance n'est pas aisée dans un monde de l'immédiateté. Enfin, au sujet du piratage, je crois savoir que le rapport Bouchoux-Hervé est actuellement étudié avec beaucoup d'attention par les deux conseillers d'État en mission sur la réponse graduée.

En réponse à Samia Ghali, les annonces du Président de la République s'agissant des médiathèques dans les quartiers difficiles devraient être financées par des crédits de la politique de la ville et par la dotation générale de décentralisation. Apprenez à cet égard que depuis 1986, cette dotation a permis de créer plus de 2,8 millions de m2 de bibliothèque. L'accès à la culture est un enjeu majeur mais les communes trouvent des moyens innovants de mettre la culture à disposition de leurs concitoyens comme par exemple dans ma commune de Blagnac, où des livres sont mis à disposition des habitants dans les anciennes cabines téléphoniques. Ce dispositif est utilisé et, je tiens à le souligner, n'a fait l'objet d'aucun vandalisme. Je suis, bien sûr, favorable, comme Pierre Ouzoulias, à une ouverture plus large de la BnF.

Enfin, pour répondre à David Assouline, je reconnais que trois rapports pour une même mission c'est un peu compliqué à suivre ... Je rappelle aussi que chaque rapporteur opère une sélection dans les sujets à traiter, c'est d'ailleurs ce qui fait l'intérêt de nos travaux.

M. Jean-Claude Carle, président. - Je vous rappelle que le vote de notre avis sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » aura lieu le 29 novembre prochain.

La réunion est close à 11 h 45.

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Projet de loi de finances pour 2018 - Audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous accueillons Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2018. Nos rapporteurs seront particulièrement attentifs à vos propos : Jean-Claude Carle, pour l'enseignement scolaire, Antoine Karam, pour l'enseignement agricole et Jacques-Bernard Magner, pour la jeunesse et la vie associative, tous trois membres de notre commission, ainsi que Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission Enseignement scolaire pour la commission des finances.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale. - Je suis très heureux de ce moment d'échange sur des questions budgétaires qui articulent les moyens aux finalités de l'école. Ce budget traduit la priorité accordée à l'éducation par le Président de la République et le Gouvernement, et soutient le projet d'école de la confiance, où l'on se fait confiance et qui inspire confiance à la société, grâce à sa stratégie de transmission des savoirs et des valeurs à tous les élèves de France. Elle doit lutter contre les inégalités, en tirant tout le monde vers le haut par l'excellence et la personnalisation des parcours.

Pour la première fois, le budget de l'éducation nationale dépasse le seuil des 50 milliards d'euros, pour s'établir à 50,1 milliards d'euros - hors cotisations aux pensions de l'État, qui feraient dépasser le seuil des 70 milliards d'euros -, soit une augmentation d'1,3 milliard d'euros par rapport à 2017. C'est une augmentation raisonnée et raisonnable qui permet la transformation profonde du système éducatif demandée par les Français.

Notre priorité est d'abord l'école primaire et elle se traduit dans les évolutions budgétaires. L'objectif « lire, écrire, compter, respecter autrui » est essentiel. Rien de solide ni de durable ne pourra se faire sans maîtriser ces savoirs fondamentaux ; nous y serons très vigilants. Nous attaquerons les difficultés scolaires à la racine pour lutter contre le poids des déterminismes. C'est le sens de notre mesure phare, pointe avancée de notre lutte contre les inégalités par la qualité pédagogique, le dédoublement des classes de cours préparatoire (CP) et de cours élémentaire (CE1) : les 2 500 classes de CP ont été dédoublées cette année dans les réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP +). Hier encore, on me confirmait dans l'académie de Reims toute la satisfaction qui ressortait de cette mesure. À la rentrée 2018, 6 000 classes seront concernées avec le dédoublement des CP en REP en sus des REP + et des CE1 en REP +. En 2019, les classes de CE1 de REP seront dédoublées. Nous nous donnons les moyens de cette ambition en programmant 3 900 postes supplémentaires dans le premier degré à la rentrée 2017. Nous prônons plus de volontarisme pour l'éducation prioritaire et donnons plus à ceux qui ont besoin de plus : nous préparons une prime pour les enseignants des réseaux d'éducation prioritaire renforcés, pour plus d'attractivité, une plus grande stabilisation et mixité des équipes, et une plus grande efficacité de l'éducation prioritaire. La première des fragilités sociales est la fragilité devant la langue : c'est un impératif pédagogique et éducatif.

Nous accompagnons les élèves dans leur réussite au collège, grâce à la mesure des « devoirs faits », déployée progressivement dans les 7 100 collèges de France. N'hésitez pas à nous faire remonter les manques - le dispositif vient d'être mis en place. En 2018, il sera doté d'une enveloppe globale de 220 millions d'euros, pour un soutien scolaire gratuit pour tous les élèves qui le désirent. Il compensera les fragilités sociales et scolaires dans toutes les familles, toutes catégories sociales confondues. Cette mesure très importante aura des conséquences directes et indirectes dans notre manière de concevoir le temps scolaire.

Autre dimension, les stages de réussite pendant les vacances scolaires, gratuits, verront leurs moyens passer de 15 à 35 millions d'euros l'année prochaine.

La fragilité sociale est également traitée, avec la revalorisation de 25 % des bourses de collège, soit 43 millions d'euros supplémentaires en 2018. Ces bourses valorisent le mérite tout en luttant contre les inégalités.

La fragilité peut aussi être liée au handicap. Nous avons maintenu le nombre de contrats aidés pour l'accueil des élèves en situation de handicap. Nous avons créé 8 000 postes pour la rentrée 2017. À la rentrée 2018, 11 200 contrats aidés seront transformés en accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). Nous sommes cohérents avec notre politique sur les contrats aidés : nous substituons à ces contrats aidés des emplois plus pérennes. Au-delà de ces transformations, 4 500 AESH supplémentaires seront directement recrutés. En outre, 100 postes supplémentaires de professeurs des écoles seront mis à disposition des 100 nouvelles unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS). Ces efforts budgétaires importants permettent de lutter contre les inégalités et compenser les fragilités, tout en recherchant partout l'efficacité.

Le budget de l'enseignement scolaire s'accompagne aussi du programme « Jeunesse et vie associative », qui revêt une importance toute particulière actuellement. Il articule les priorités de l'école, de l'éducation populaire et du service civique. Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous avons souhaité la plus grande synergie entre ces dimensions. C'est le sens de toute éducation : accompagner vers plus d'autonomie, vers plus de mobilité, aider à faire des choix dans sa vie, et que les jeunes aient les moyens de faire ces choix. Le présent budget consacre 25 millions d'euros à cet accompagnement vers l'autonomie, par l'information, la mobilité internationale et l'accès de tous à des loisirs de qualité.

Dans ce tissu associatif, facteur clé de réussite de cette politique, les associations du secteur « jeunesse et éducation populaire » seront financées à hauteur de 52 millions d'euros dont 31 millions d'euros via le Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (Fonjep) qui soutient plus de 5 000 emplois et 21 millions d'euros destinés aux associations agréées aux échelons national et local.

Nous souhaitons développer l'engagement dans la vie collective, au coeur de la société de confiance à laquelle l'école doit contribuer. L'appui transversal au développement de la vie associative connaîtra une hausse de 60 % en 2018, passant de 10 à 16 millions d'euros. Le soutien au bénévolat, pilier du monde associatif, sera renforcé par la mise en oeuvre du nouveau compte d'engagement citoyen (CEC) qui valorise l'engagement au service de l'intérêt général de chacun de nos concitoyens.

Nous répondrons de façon spécifique aux besoins de toutes les associations, quelle que soit leur taille. Les dispositions de l'article 43 de ce PLF prévoient la suppression du crédit d'impôt sur les taxes sur les salaires (CITS) et du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) à partir de 2019, au bénéfice d'une réduction des cotisations patronales, ce qui engendrera pour les associations qui emploient du personnel une économie de 1,4 milliard d'euros chaque année à partir de 2019. Ce soutien considérable profitera aux grandes comme aux moyennes associations. Pour les petites associations, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité mon amendement relevant de 25 millions d'euros les crédits du programme 163 « Jeunesse et vie associative » afin de compenser la diminution de crédits ouverts au bénéfice du tissu associatif après la suppression de la réserve parlementaire. Ces 25 millions d'euros de crédits supplémentaires abonderont le Fonds de développement de la vie associative (FDVA), et un groupe de travail - rassemblant entre autres des parlementaires - définira leurs modalités d'attribution.

Nous voulons accroître l'engagement de la jeunesse, dans la lignée de l'engagement du Président de la République de créer un service national. Ce dernier n'est pas prévu pour l'année prochaine et donc non inclus dans ce budget, mais fait l'objet d'un travail important entre le ministère de l'éducation nationale et celui de la défense. Le service civique est un dispositif plébiscité par les jeunes. Neuf anciens volontaires sur dix se déclarent satisfaits de leur expérience. En 2017, environ 130 000 volontaires en ont bénéficié. Notre objectif en 2018 est de parvenir à 150 000 volontaires. C'est pourquoi les crédits augmentent de 63 millions d'euros pour atteindre 448 millions d'euros. Par ailleurs, 10 000 volontaires viendront en appui des professeurs, des assistants d'éducation et des associations dans le dispositif « devoirs faits ».

Ce budget de l'enseignement scolaire, de la jeunesse et de la vie associative est élaboré pour construire l'avenir. C'est un enjeu aussi d'unité nationale, pour transmettre les connaissances et les valeurs à nos enfants. Dans un monde en mutation qui a besoin de repères, il donne à nos jeunes des racines et des ailes.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La semaine dernière, notre commission a largement débattu des emplois aidés et de la réserve parlementaire que vous avez cités. De nombreuses associations et écoles bénéficiaient souvent des deux dispositifs en même temps.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis les crédits « Enseignement scolaire ». - Je vous remercie de cette présentation. Ce budget de plus de 70 milliards d'euros place l'éducation nationale au premier rang du budget de la nation. C'est le meilleur investissement que la nation puisse consentir, pour peu que le retour sur investissement soit à la hauteur des efforts consentis. Même si le budget de l'éducation nationale a doublé dans les 30 dernières années, 30 % des jeunes entrant au collège ne maitrisent pas les fondamentaux, 140 000 sortent sans diplôme ni qualification. Sur ces 140 000, la moitié avait connu des difficultés dans le premier cycle d'apprentissage, en particulier en CP. Tout se joue durant le primaire, et surtout durant ce premier cycle défini par la « loi Jospin ».

Votre budget rompt avec un passé récent ou même un peu plus ancien : vous faites un effort important sur l'école primaire, avec la création de 2 800 postes. Vous vous attaquez à la racine du mal, aux vraies raisons de l'échec : le déterminisme social. Un fils d'ouvrier a dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu'un fils d'enseignant ou de cadre supérieur et quatre fois plus de risque d'échec... Donnons plus à ceux qui en ont le plus besoin. Je souhaite que le dédoublement des classes en REP s'applique le plus vite possible au CE1 et que les enseignants puissent être formés à des pédagogies différenciées. De même, souhaitons que le dispositif « devoirs faits » s'applique le plus rapidement possible en primaire.

Il nous manque cependant un élément : quelles sont vos orientations pluriannuelles, tant budgétaires que de recrutement, pour les deux à trois prochaines années ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Merci pour vos remarques positives. Nous avons besoin d'une vision pluriannuelle. À l'échelle du quinquennat, nous vous présenterons les grandes lignes tant qualitatives que quantitatives. Avec le ministre de l'économie, nous avons travaillé à une augmentation raisonnée du budget pour les prochaines années. La croissance de notre budget n'est pas une fin en soi, ni même sa réduction, car il existe encore des besoins, et nous devons prendre en compte des aspects tendanciels comme le glissement vieillesse-technicité (GVT). Des besoins sont déjà identifiés pour l'école primaire afin de réussir vite et bien les dédoublements et d'autres opérations.

Les augmentations d'effectifs correspondront au dédoublement des classes, soit 779 millions d'euros d'augmentation budgétaire en 2019 et environ 573 millions d'euros en 2020. Cette augmentation continue et raisonnable correspond à une programmation globale.

L'important, c'est que cette croissance budgétaire rassure sur les aspects quantitatifs, afin que le débat se focalise sur le qualitatif. Nous voulons rattraper le retard français sur les moyens attribués au premier degré pour rejoindre, à la fin du quinquennat, la moyenne des pays de l'OCDE. Cela suppose des choix politiques et éducatifs pour lutter pour l'égalité et assurer l'excellence pour tous.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Vous avez permis aux collectivités locales de décider quels rythmes scolaires elles souhaitaient. Les aides de l'État seront pérennisées pour l'année à venir, mais qu'en sera-t-il pour les deux à trois prochaines années ?

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre plan du mercredi ? Vous avez touché à la semaine, à la journée mais pas au calendrier global de l'année scolaire, le plus difficile à établir, en raison des lobbies. Une expérimentation en la matière est-elle envisageable, par exemple dans une académie ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Nous appliquons ce que nous avons dit : le fonds de soutien accompagne les communes ayant choisi de rester à la semaine de quatre jours et demi. Nous le maintenons, avec un forfait de 90 euros par élève, sur une base pluriannuelle. Je l'ai affirmé dès la fin du mois de juin. Le Gouvernement n'incite pas à revenir à la semaine de quatre jours. Notre objectif est d'aider toutes les communes afin qu'elles puissent mettre en oeuvre un accompagnement périscolaire de qualité. Dépassons ce vain débat entre semaine de quatre jours ou semaine de quatre jours et demi. Plus de 40 % des communes sont revenues à la semaine de quatre jours et elles n'ignorent ni leur intérêt, ni celui des enfants. Nous devons aussi respecter la décision de celles ayant maintenu une semaine de quatre jours et demi. Gardons les principes de liberté et de responsabilité : chaque communauté éducative doit librement disposer du temps scolaire.

Nous voulons que les activités du mercredi, actuellement très hétérogènes, puissent être de qualité, afin de réduire les inégalités. Certains font des activités inutiles, d'autres des activités valables ; 100 % des élèves doivent bénéficier d'activités intéressantes. Tel est l'objet du « plan du mercredi », auquel nous travaillons avec le ministre des sports et celui de la culture pour mettre en synergie des propositions d'activités culturelles, sportives et naturelles pour le mercredi mais également pour d'autres moments. Nous serons prêts dans quelques semaines.

Vous avez raison, nous avons besoin d'une approche systémique sur les rythmes scolaires. Ce sont des sujets profonds, structurants et structurels pour la société française. Je ne dois pas décider d'en haut de sujets aussi importants. Nous entamons un travail avec la représentation nationale, en lien avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE), pour que dans quelques mois « le temps et l'espace de l'enfant et de l'adolescent au XXIe siècle » soit l'expression cohérente de toutes ces dimensions - journée, semaine, année - mais aussi des contenus, du rapport aux écrans, du sommeil, du bâti scolaire... Ces sujets relèvent tantôt de l'État, tantôt des collectivités locales. Nous inscrirons ce travail dans la logique de la Conférence nationale des territoires pour une vision partagée entre les collectivités territoriales et l'État. Les vacances ne seront pas un objet de discussion avec les collectivités locales, mais nous aurons une vision plus claire en 2020-2021. Quelle que soit la décision, nous n'obtiendrons jamais l'unanimité, mais un consensus raisonnable.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - La formation initiale et continue des enseignants est essentielle. Vous proposez de leur garantir trois jours de formation continue. Comment cela se traduira-t-il sur le plan budgétaire ?

Le problème des remplacements, récurrent, n'est pas d'ordre financier puisque les moyens affectés ne sont pas totalement épuisés. Comme le décrivait un recteur, le système est « corseté » ; comment améliorer la situation ? On fait actuellement appel à des contractuels, car les enseignants stagiaires sont affectés à des postes sur lesquels il n'y a pas de titulaires. C'est un sujet d'inquiétude pour les parents d'élèves. La solution, proposée par la Cour des comptes, ne serait-elle pas l'annualisation de l'obligation de service des enseignants, voire la bivalence dans le second degré ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - La formation des professeurs est un sujet clef dans tout système scolaire. Dans ce domaine, des progrès peuvent être accomplis au cours des prochaines années. Avec Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation, nous souhaitons faire évoluer le système de formation initiale, qui doit reposer sur deux piliers : une articulation plus forte avec la meilleure recherche internationale en matière pédagogique ; une plus grande intervention des praticiens de terrain. Aussi faut-il que les intervenants en ESPE continuent à faire classe devant des élèves, de façon à pouvoir transmettre leur pratique concrète.

L'augmentation de 20 millions d'euros des crédits consacrés à la formation nous permettra d'améliorer la situation.

Nous avons lancé, au titre des investissements d'avenir, un appel à projet pour les ESPE du futur. Les établissements retenus bénéficieront d'une dotation pour accompagner leurs projets de modernisation et d'évolution. Notre ambition est de bâtir une formation initiale exemplaire à l'échelle internationale. Nous avons besoin de cette « locomotive » d'amélioration permanente, car la qualité de la formation initiale des enseignants est aujourd'hui très hétérogène.

Nous développerons le pré-recrutement. Les 50 000 assistants d'éducation doivent contribuer à la réalisation de cet objectif, qui peut faire consensus. Nous susciterons ainsi davantage de vocations en amont, en les diversifiant. C'est aussi une réponse aux problèmes de remplacement.

Nous agirons avec volontarisme en matière de formation continue, à laquelle sont consacrés 95 millions d'euros de crédits en 2018. Priorité est donnée au premier degré et à la pédagogie permettant l'acquisition des savoirs fondamentaux, en particulier dans les classes dédoublées, à l'enseignement des valeurs de la République, à la formation en mathématiques, à la lutte contre le décrochage, aux usages du numérique.

J'en viens aux remplacements. Ceux de courte durée, surtout, posent problème. Leur gestion sera réformée dès la rentrée prochaine. J'ai commencé à alerter les recteurs sur la nécessité d'une plus grande réactivité. En milieu rural, il est encore plus difficile de trouver des remplaçants. L'enjeu est autant qualitatif que quantitatif. En 2017, 1 300 emplois supplémentaires ont été créés pour assurer les remplacements dans le premier degré. Le pré-recrutement est également une solution. Il ne faut pas, en revanche, abaisser le niveau des concours, car les logiques de court terme sont contreproductives.

Attentifs au bien-être au travail des professeurs, nous orienterons la politique de gestion des ressources humaines de façon à lutter contre l'absentéisme.

M. Antoine Karam, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole. - Le projet de loi de finances prévoit une augmentation des crédits de l'enseignement agricole de près de 35 millions d'euros. Cette hausse de 2,5 % témoigne de l'ambition du Gouvernement pour ce secteur clef et pour ces 165 000 élèves et étudiants.

On observe en 2017 une baisse des effectifs de l'enseignement agricole, à rebours de l'évolution démographique dans le second degré. Certains acteurs du secteur l'expliquent par la réticence de l'éducation nationale à orienter les élèves vers ces formations qui constituent pourtant une alternative intéressante : c'est le deuxième réseau éducatif du pays, et ses résultats sont très bons en termes d'insertion professionnelle. Comment valoriser et faire connaître ces formations ?

Les représentants de l'enseignement agricole nous ont confié ne pas être associés aux concertations sur la formation professionnelle et sur l'évolution du baccalauréat. Comptez-vous y remédier ?

La subvention aux établissements privés est strictement encadrée par une série d'accords. Nombre d'établissements y voient une forme de contingentement de l'offre de formation et des effectifs, qui entraverait leur développement jusque dans les outre-mer. Or, dans ces territoires, l'agriculture est un enjeu prépondérant pour développer les exportations et tendre vers l'autosuffisance. Quelle est votre opinion sur ces doléances ?

La suppression des contrats aidés affecte l'organisation des établissements scolaires, et notamment la fonction de surveillance, fondamentale en REP et REP + - je pense au cas de la Guyane. Quelles sont les solutions ? Faut-il des contrats plus adaptés, voire même de véritables contrats d'assistants d'éducation ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Je suis admiratif de l'enseignement agricole : il est inspirant et fonctionne bien. Il faut dépasser les fausses oppositions ! Ces établissements ne relèvent pas de mes compétences. Il est toutefois normal qu'existent des passerelles et des convergences entre mon ministère et celui de l'agriculture en ce domaine.

Vous avez évoqué la réticence, observée notamment à la fin de la troisième, à orienter vers ces établissements. Celle-ci ne s'inscrit certainement pas dans une politique officielle et je ferai en sorte d'y mettre fin. Comme l'apprentissage, l'enseignement agricole doit être en bonne place dans le choix des élèves. Je suis prêt à m'engager en ce sens et à soutenir les passerelles entre toutes les formations, toutes ces voies ayant une égale dignité.

Les responsables de l'enseignement agricole ont bien été associés aux premières concertations sur la réforme du baccalauréat, qui viennent de débuter.

Le développement de cet enseignement, qu'il soit privé ou public, n'est nullement entravé. Les augmentations budgétaires dont il bénéficie sont comparables à celles prévues pour l'éducation nationale.

La diminution du nombre de contrats aidés correspond à un choix politique assumé, qui se base sur des données connues. Ainsi, dans le secteur public, seuls 20 % de ces contrats débouchaient sur une insertion professionnelle. Ils ne disparaissent pas pour autant puisque des priorités ont été affichées, notamment pour l'outre-mer ; les dotations spécifiques de la Guyane ont ainsi été augmentées.

Nous allons aussi lancer une véritable politique du travail dont bénéficieront les outre-mer, comme l'a annoncé le Président de la République lors de son récent déplacement dans votre territoire.

L'éducation nationale prendra sa part dans cette évolution générale puisque les emplois d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) remplaceront progressivement les contrats aidés existants.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis des crédits du programme jeunesse et vie associative. - Le secteur associatif est gravement touché par la suppression des contrats aidés, dont le nombre est passé de 487 000 en 2012 à 461 000 en 2016. Comment comptez-vous compenser cette perte de moyens, au moment où le Président de la République appelle de ses voeux une implication plus forte du monde associatif dans les politiques publiques ?

Par ailleurs, 40 % du montant de la réserve parlementaire, soit 60 millions d'euros, étaient consacrés aux associations. Celle-ci ayant été supprimée, l'Assemblée nationale a obtenu que 25 millions d'euros soient réservés à ce secteur. Quels seront les critères retenus pour distribuer ces crédits, et par quel intermédiaire ?

Vous avez réaffirmé votre intérêt pour le service civique. L'objectif de 350 000 missions, défendu sous la précédente législature, sera-t-il repris par le Gouvernement ? À cet égard, je ne crois pas que le service civique soit le meilleur moyen de mettre en oeuvre le dispositif « Devoirs faits ».

Devrons-nous débattre à nouveau de cette fausse bonne idée qu'est le service national universel, lequel coûterait entre 2 et 15 milliards d'euros ? Peut-on se permettre cette dépense ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - C'est un fait, le secteur associatif est affecté par la fin des contrats aidés. Nous sommes dans une période de transition « courageuse » qui suscite, certes, des inquiétudes, mais un système plus efficace va succéder à ce dispositif qui, selon la Cour des comptes, ne fonctionnait pas.

Dans un an et demi, 1,4 milliard d'euros sera réinjecté dans le secteur associatif, ce qui créera une plus forte capacité d'embauche. C'est un nouveau palier pour la vie associative. Certains grands acteurs de l'éducation populaire bénéficieront aussi de sommes conséquentes au titre de l'éducation nationale et du plan « mercredi ». Lorsque nous mettrons à plat dans quelques mois les pertes et les gains, il apparaîtra que la situation du monde associatif est plus saine et plus claire. Il pourra ainsi renouer des liens avec les pouvoirs publics, notamment les collectivités locales, autour d'objectifs partagés d'intérêt général.

Vous l'avez dit, la réserve parlementaire a été remplacée par une dotation de 25 millions d'euros, sur mon initiative et celle de parlementaires. La représentation nationale sera associée à la distribution de ces crédits et à la définition de son périmètre. Les petites associations seront soutenues en premier lieu. Les préfets seront chargés de cette distribution à une échelle que nous voulons départementale, afin d'être au plus près du terrain et des demandes des associations, en concertation avec les élus. Il est possible que le rôle de l'État évolue pour ce qui concerne la jeunesse et la vie associative : moins d'énergie sera consacrée aux aspects bureaucratiques et davantage à l'aide concrète. C'est un tout cohérent, qui répond à une attente profonde des personnels.

Pour ce qui concerne le service civique, notre objectif n'est pas aussi ambitieux que celui que vous avez cité : nous préférons une croissance raisonnable, qualitative et pilotée.

Nous rencontrons des difficultés pour recruter des volontaires du service civique dans le cadre de l'opération « Devoirs faits ». Ils sont aujourd'hui 7 000 ; nous en voulons 10 000. L'esprit de ce dispositif est tout à fait conforme à celui du service civique. En l'occurrence, ces volontaires ne se substituent à personne, ils s'ajoutent. Ils ne sont pas non plus en situation de responsabilité puisque la supervision est assurée par des professeurs. Nous souhaitons aussi que les associations continuent à jouer leur rôle de soutien scolaire, à condition qu'elles soient de qualité.

L'opération « Devoirs faits » est l'occasion d'une clarification et d'une mise en cohérence. Par ailleurs, nous mettons le pied à l'étrier à des jeunes dont certains deviendront peut-être professeurs : ils testent ainsi leur vocation.

Je ne souhaite pas que nous ayons aujourd'hui un débat sur le service national universel, car la question n'est pas à l'ordre du jour. Cet engagement présidentiel, qui a vocation à être mis en oeuvre, favorisera l'engagement de la jeunesse dans la vie civique.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». - Vous avez cité, monsieur le ministre, le chiffre de 3 900 emplois supplémentaires pour l'école primaire ; nous en étions restés, pour notre part, à celui de 2 800.

Par ailleurs, l'augmentation des crédits de paiement et des autorisations d'engagement s'élève à 1,5 milliard d'euros. Quel pourcentage de ce montant relève des décisions antérieures et quel autre de vos propres initiatives ? Je pense, en particulier, à l'aboutissement du programme de création de 55 000 emplois et au protocole de modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations (PPCR).

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Je salue votre sagacité : le chiffre de 2 800 emplois correspond aux équivalents temps plein (ETP) et celui de 3 900 englobe les stagiaires des ÉSPÉ.

La question de la distinction entre l'énergie cinétique des précédents budgets et l'énergie nouvelle du présent projet de loi de finances est très technique. Je vous répondrai par écrit. Certaines mesures sont maintenues, d'autres arrêtées. Il y a aussi des « coups partis » correspondant à des engagements que le Gouvernement souhaite tenir.

Mme Colette Mélot. - Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre présentation. J'apprécie votre volonté de lutter contre les inégalités et de favoriser l'excellence. Vous avez annoncé dès votre prise de fonctions un projet clair pour une école primaire efficace. Les résultats sont déjà au rendez-vous et j'ai pu constater que les communautés éducatives de mon département, la Seine-et-Marne, étaient très satisfaites.

Ma première question porte sur le dédoublement des classes en REP et REP+ en 2018 et 2019. Comment les collectivités locales, qui préparent actuellement leur budget, sont-elles associées à ce projet ? S'il a été possible dans de nombreux cas de trouver le double de locaux, prévoir le budget de fonctionnement y afférent n'est pas simple. Je suppose que le message passera par l'intermédiaire des inspecteurs de l'éducation nationale, mais il doit être émis rapidement. Par ailleurs, la mise en oeuvre du dédoublement pourra poser des difficultés financières à certaines communes.

Deuxième point : les remplacements. La population de la Seine-et-Marne augmente de 13 000 habitants par an. Or nous n'avons plus de remplaçants dans les établissements, la situation devient inquiétante, le métier d'enseignant subit une vraie désaffection.

Troisième sujet, l'orientation. Des mesures ont-elles été prises ? Vos déclarations sur l'apprentissage vont dans le bon sens. Il serait bon que l'orientation intervienne le plus tôt possible et ne se décide plus par défaut en fin de collège.

Mme Mireille Jouve. - Vous voulez interdire l'usage du téléphone portable dans les écoles et les collèges, car son omniprésence a des conséquences néfastes sur le comportement, la concentration. Mais pratiquement, comment faire ?

Vous envisagez de créer une cellule laïcité au sein du ministère, pour aider les enseignants confrontés à des dérives religieuses. Il existe déjà des référents au sein des académies : quels seront les apports du nouveau dispositif ?

Mme Annick Billon. - Votre budget et les moyens humains progressent, c'est une bonne nouvelle. Des mesures rapides ont déjà été prises, dédoublement des classes, aide aux devoirs, primes aux enseignants qui s'engagent en REP. Mais, dans ces zones, on a besoin de professeurs animés par une forte vocation et doués de qualités particulières pour faire face aux difficultés scolaires et sociales des élèves, bref des professeurs qui ne recherchent pas seulement une prime. Envisagez-vous autre chose que cet élément quantitatif et non qualitatif ?

Les mesures relatives à l'aide aux devoirs sont satisfaisantes mais les compétences seront-elles là ? Qui, parmi ceux qui effectuent un service civique, entrera dans ces programmes ? Il n'est pas donné à tout le monde d'être pédagogue... Comment cette intervention sera-t-elle perçue par les enseignants, qui ont habituellement leur secteur réservé ? Dans le passé, leur métier était valorisé, il l'a peu été ces dernières décennies, comment le revaloriser pour susciter des vocations ? Enseigner ne fait plus rêver la jeunesse. Pour que la jeunesse s'envole, il faut savoir la faire rêver !

M. Pierre Ouzoulias. - Monsieur le ministre, vous rejoignez notre sensibilité politique, vous venez sur nos bases idéologiques, je m'en réjouis... Moins il y a d'élèves par classe, plus ils réussissent. Vous corrigez les inégalités d'accès à l'éduction, c'est bien. Vous encouragez les enseignants, les « hussards noirs de la République », qui s'investissent dans les quartiers défavorisés. Sur ces trois points, vous faites ce que nous réclamons depuis vingt ans. Mais le diable est dans les détails : sur le terrain, le dédoublement des classes - votre mesure emblématique - se fait par redéploiement, aux dépens du dispositif « plus de maîtres que de classes » et des moyens du remplacement. Déshabiller Pierre pour habiller Paul ne fait pas une politique. Néanmoins, nous partageons, monsieur le ministre, les mêmes « attendus ».

Un mot de la crise des vocations : en France, le nombre de docteurs stagne, voire recule. La désaffection à l'égard des métiers de la connaissance, de la recherche, de l'enseignement est patente. Pour compenser le retard accusé par rapport à la moyenne des pays de l'OCDE, nous avons besoin d'un plan très ambitieux, bien au-delà des moyens que vous avez évoqués. Attention, nous sommes en train de perdre une génération ! Il faut réorganiser la transmission des savoirs.

M. André Gattolin. - Entendez-vous rétablir les prix d'excellence ? Pour notre part, si nous devions attribuer un prix d'excellence à un ministre, quelles que soient les grandes qualités de vos collègues du Gouvernement, c'est à vous que nous le décernerions. Vous revenez à un bon sens qui paraissait perdu. Je suis enseignant à l'université, j'ai constaté avec regret que des principes de base ne s'imposaient plus...

La réforme du baccalauréat conduira à plus de cohérence avec la réalité de l'évaluation des élèves aujourd'hui. Nous y réaliserons également des économies budgétaires - c'est une aberration qu'un élève de terminale coûte plus cher qu'un étudiant de première, deuxième voire troisième année d'université.

Les associations de parents demandent la suppression du livret d'observation des élèves de terminale, qui ne sont jamais transmis aux familles pour éviter de compliquer les relations entre elles et les enseignants. Les professeurs y consignent des appréciations qui parfois contredisent les notes elles-mêmes, or celles-ci sont prises en compte pour l'admission dans le supérieur. Enfin, il y a là un problème de transparence vis-à-vis des parents, mais aussi des jeunes qui sont presque majeurs. Qu'envisagez-vous ?

M. Jacques Grosperrin. - Je salue, monsieur le ministre, votre clairvoyance et votre ambition pour l'école.

Les chefs d'établissement se posent néanmoins des questions, ils ont des choix à faire entre dédoublement des classes, enseignement des langues vivantes, cogestion des enseignants, mobilisation des enseignants sur le programme « Devoirs faits », etc. Les collectivités ne seront-elles pas obligées de mettre la main à la poche ? On parle de 16 millions d'euros pour financer les manuels scolaires...

Les contractuels du public sont moins bien traités que ceux du privé, la différence de traitement atteint 100 euros. La loi Debré établit un principe de parité : un alignement est-il prévu ?

Enfin, je veux dénoncer l'archaïsme de la gestion - il faudrait plutôt parler, du reste, de cogestion avec les syndicats - des affectations et des mutations. Pourrait-on réfléchir à une meilleure façon de les organiser ?

M. Jacques-Bernard Magner. - Je ne pourrai quant à moi vous délivrer un tel satisfecit. Depuis la refondation de l'école en 2013, beaucoup a été fait, avec un état d'esprit qui, maintenant, a changé. Les recrutements se tassent, le nombre de postes ouverts aux concours diminue. Pendant trois ou quatre années, grâce aux ESPE, l'attractivité du métier d'enseignant avait été restaurée. À présent, votre réforme de l'entrée à l'université exige un gros travail supplémentaire pour les professeurs des lycées, ils auront un rôle important dans l'orientation. Le tirage au sort pour l'entrée dans le supérieur disparaît, tant mieux, mais est-ce le moment de réduire la voilure ?

Le dispositif « plus de maîtres que de classes » donnait satisfaction : vous avez affirmé en audition que vous n'aviez pas l'intention de le vider au profit des classes de douze en CP, voire ensuite en CE1, dans les REP, mais la réalité est différente...

Une question enfin : la remise en cause de la réforme du collège dès la rentrée 2017 vous donne-t-elle satisfaction ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Pouvez-vous nous dire quelques mots, monsieur le ministre, du plan d'urgence outre-mer, à Saint-Barthélemy et Saint-Martin ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Dans 85 % des cas, les communes ont su dès la rentrée 2017 organiser le dédoublement des classes en CP et CE1, et je salue la bonne volonté des maires, ils ont incarné la France et servi l'intérêt général. Quant aux 15 % restants, s'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'ils n'ont pas pu. La rentrée 2018 se prépare dans le même climat excellent. Parfois des difficultés apparaissent, qui peuvent paraître indépassables. En ville, les problèmes sont différents et se posent surtout en euros, en mètres carrés... Mais le dialogue est fructueux avec les communes, les inspecteurs d'académie sont mobilisés et je parle aussi avec les préfets, je leur demande d'aider les collectivités, car celles-ci font des efforts. On peut critiquer les classes modulaires, le préfabriqué a mauvaise presse, pourtant il peut être de bien meilleure qualité qu'un bâtiment ancien. Ce peut donc être une occasion d'amélioration. Les collectivités sont mobilisées, elles seront aidées, notamment par des moyens de l'ANRU, comme l'a indiqué le Président de la République. Le ministre de la cohésion des territoires est lui aussi attentif à la question, quant à moi je suis attentif et optimiste !

Le remplacement est un sujet structurel. Oui, on constate une crise des vocations, et, dans certains territoires qui présentent des difficultés spécifiques, qui entraîne l'absentéisme. En Seine-Saint-Denis, on m'a rapporté un cas où s'étaient succédé dix-sept professeurs dans une année : preuve qu'il y a un problème non pas de remplacement - aligner seize remplaçants est à l'honneur de la République - mais d'absentéisme. Pourquoi seize enseignants ont-ils jeté l'éponge durant l'année ? Il faut étudier cette question avec lucidité. Nos premières réponses sont modestes, car de court terme. D'autres, plus efficaces, se déploieront sur le moyen terme. À court terme, nous demandons aux recteurs une attention très soutenue pour porter remède à chaque situation qui l'exige. Et nous définissons une stratégie d'ensemble des ressources humaines du ministère afin de créer de bonnes conditions d'exercice de la profession.

L'orientation est un vaste sujet. Les réformes en cours sont cohérentes entre elles. Réforme de l'accès à l'enseignement supérieur, d'APB, de l'orientation au lycée : les premières mesures entrent en application, désignation d'un second professeur principal dans les classes de terminale, implication du conseil de classe dans le conseil aux élèves - c'est une évolution importante, qui en entraînera d'autres, sur la présence de professionnels autour des élèves pour leur orientation... Réforme du baccalauréat, celui-ci devant se concevoir comme un levier de réussite vers le supérieur - la concertation vient de commencer. Réforme de la voie professionnelle : la concertation a été lancée la semaine dernière, pour améliorer l'enseignement professionnel, le rendre plus fort, plus moderne, adapté aux enjeux de la révolution numérique, de la transition écologique, de l'entrepreneuriat, du savoir-faire français. Si nous avons en outre une logique de passerelles, l'ensemble sera cohérent. Enfin, le ministère du travail et le mien travaillent ensemble pour valoriser l'apprentissage, dépasser l'ancienne querelle entre l'apprentissage et l'enseignement professionnel. Nous voulons revitaliser les deux ! Ces quatre anneaux de réformes seront indissociables de la politique d'orientation, avec un impact sur le lycée et le collège.

L'interdiction du téléphone portable est déjà en vigueur dans certains collèges : ce n'est donc pas un voeu pieux. C'est faisable, si l'on est pragmatique. Un groupe de travail associe des chefs d'établissement pour recenser et diffuser les bonnes pratiques afin que l'interdiction soit réellement applicable. On peut presque parler de transformation anthropologique des élèves : la concentration s'affaiblit, les cours de récréation ont perdu leur joyeuse animation parce que chacun est rivé à son téléphone, le manque d'exercice physique et l'obésité se généralisent ; il faut maintenant lutter contre les addictions et contre la pornographie. Depuis que j'ai annoncé le projet d'interdiction, je constate une appétence toute nouvelle pour l'usage pédagogique des portables... Nous mènerons cela en finesse.

Quand je mentionne la cellule laïcité, on m'oppose les référents laïcité et on se demande si je ne fais pas une fausse annonce. Mais je suis parfaitement capable de reconnaître la qualité de ce qui a été fait auparavant ! Je veux prolonger cette action. Au-delà de l'observation et du conseil, l'unité interviendra en appui aux équipes pédagogiques confrontées à des atteintes à la laïcité. À l'échelle nationale sera élaborée une doctrine nationale, puisqu'il faut bien prendre en compte la casuistique juridique... Il y aura une déclinaison dans chaque rectorat, pour que des équipes interviennent dans les établissements. Je veux instaurer une sorte de subsidiarité. Il faut une cohésion d'équipe lorsqu'un enseignant fait appel au chef d'établissement, par exemple lorsque les cours de science sont perturbés par des affirmations farfelues. L'institution de l'éducation nationale incarne la République, la science, le savoir. On a besoin d'équipes soudées, qui dialoguent avec les familles. Ensuite, si l'établissement se sent seul, c'est l'académie qui vient en soutien. Et si l'académie se sent seule, c'est le ministre qui viendra en soutien. Sur ce sujet, on ne doit pas du tout sentir la République reculer ; on doit, au contraire, sentir qu'elle est une, indivisible, laïque. C'est absolument fondamental ! Je veux cibler ici le sentiment de solitude de certains professeurs face à certains types de phénomènes. Rien ne peut être relativisé en la matière. Nous travaillons à la mise en place de mesures concrètes, le tout dans un état d'esprit que j'ai d'ores et déjà demandé aux recteurs de diffuser largement.

Madame Billon, je suis d'accord avec vous sur les primes : ce n'est certainement pas l'alpha et l'oméga d'une politique. Elles n'existent pas encore, mais il existe une marge de discussion autour des conditions de leur mise en oeuvre, puisque, comme sur l'ensemble des sujets budgétaires, les moyens doivent être articulés à des objectifs.

Quelles en sont les finalités en éducation prioritaire ? La qualité de la vie professionnelle de ceux qui y travaillent, la stabilité et la mixité des équipes, qui passent par notre capacité à attirer toutes les compétences et toutes les générations. Tous les moyens supplémentaires que nous déploierons seront au service de ce triple objectif, avec des modulations possibles en fonction de nos priorités. Je suis totalement d'accord avec vous, l'argent n'est pas le plus important, même s'il fait évidemment partie des moyens d'incitation.

Ce nouvel état d'esprit de l'éducation prioritaire sera l'élément le plus attractif. Nous avons aujourd'hui de jeunes professeurs qui sont très heureux d'aller enseigner en éducation prioritaire et qui sont très bons dans ce rôle. Il ne faut pas avoir une vision simpliste de ce sujet, mais il est essentiel que les professeurs travaillent avec plaisir. Tant mieux si, par ailleurs, ils sont récompensés pour cela. On sait que certaines idées sont bonnes, comme l'affectation d'un groupe de professeurs à un projet éducatif commun.

Les professeurs sont en première ligne du dispositif « devoirs faits ». Ils sont en quelque sorte chefs d'équipe. En aucun cas les autres intervenants ne doivent être considérés comme des concurrents, mais plutôt comme des coopérants à la mission exercée d'abord par le professeur. Vous avez dit que le métier n'était plus valorisé aujourd'hui et m'avez demandé de faire rêver la jeunesse.

Ce point fondamental rejoint la question de M. Ouzoulias sur la crise de la vocation enseignante. Je répondrai en commençant pas une remarque pessimiste : le phénomène est mondial, ce qui doit nous faire relativiser les débats sur l'efficacité de la politique qui a été menée sous tel ou tel quinquennat. Il se décline partout selon les mêmes caractéristiques, avec une diminution des vocations par exemple dans les matières scientifiques, en particulier les mathématiques. Nous devons mettre en oeuvre une stratégie extrêmement volontariste pour compenser ce phénomène assez structurel.

Je poursuivrai par les remarques optimistes, qui sont heureusement plus nombreuses. Au moment où l'on évoque la transformation profonde, voire la disparition d'un certain nombre de métiers du fait des révolutions technologiques, je suis profondément convaincu que le métier de professeur va se développer, se transformer en raison de ces bouleversements, mais qu'il restera fondamentalement le même dans ses grands principes et qu'il sera encore plus utile au sein de la société de demain.

Ce rôle de professeur dans la société de demain, nous devons tous le valoriser dans nos discours publics. Il est évidemment de mon devoir de m'exprimer très positivement sur la fonction professorale. En plusieurs occasions, lorsque des éléments négatifs ont été prononcés contre les professeurs, je me considère comme le défenseur de principe de cette fonction essentielle. Nos discours et nos attitudes sont extrêmement importants pour cette valorisation. D'où mon appel à l'ensemble de la société française de toujours respecter les professeurs.

À l'avenir, cette vocation professorale pourra être stimulée. Elle le sera en diversifiant les sources de recrutement. De plus en plus de jeunes étudiants brillants cherchent un sens à leur futur métier. Le métier de professeur peut répondre à ce besoin, grâce à la diversification des parcours, des perspectives de carrière au sein de l'éducation nationale. Cela contribuera à la lutte contre la crise des vocations.

Le dialogue et l'information entre parents et professeurs vont continuer à évoluer, après la progression enregistrée ces dernières années grâce aux environnements numériques de travail. Pour la classe de terminale, les « Fiches avenir » permettront aux élèves d'émettre des voeux.

Monsieur Grosperrin, il est effectivement difficile dans certains collèges de mobiliser les enseignants pour l'opération « devoirs faits ». Il faut au moins réussir à mobiliser un petit groupe de professeurs. Nous oeuvrons en ce sens.

La question très importante des manuels scolaires a suscité de très nombreux commentaires. Je n'ai jamais évoqué la suppression de la subvention de l'État. Je me suis juste permis de m'interroger sur la rationalité du financement des manuels des collèges par l'État, quand on sait que ce n'est pas le cas pour l'école primaire et le lycée. On peut vivre avec des anomalies, mais la question mérite d'être posée. L'an prochain, le budget sera de 16 millions d'euros, supérieur à ce qu'il était voilà trois ans. Durant les deux dernières années, les nouveaux programmes justifiaient une subvention exceptionnelle. On revient donc à la normale. J'ai commencé à avoir des discussions avec les éditeurs, qui doivent se poursuivre entre ceux-ci, l'éducation nationale et l'ensemble de la société française. L'objectif est que chaque élève dispose d'un manuel dans le premier degré et qu'il puisse aussi bénéficier du numérique, absolument indispensable. Les moyens sont peut-être insuffisants, mais ils ont le mérite d'exister.

Il existe effectivement un différentiel entre la situation des contractuels de l'enseignement privé et ceux de l'enseignement public. Ce phénomène s'est d'ailleurs accentué ces derniers temps et nous devons le regarder en face. Comme je l'ai indiqué récemment à un député, nous examinons les solutions envisageables à long terme.

La gestion des ressources humaines a vocation à évoluer comme vous le souhaitez, monsieur Ouzoulias. Réjouissons-nous de pouvoir manifester une unité nationale sur ces sujets. Sur les taux d'encadrement, notre approche doit être fine, à la mesure des moyens dont nous disposons et des études réalisées en la matière. Ce travail peut être très efficace dans les petites classes. Il devrait donc avoir une incidence sur les réflexions futures.

Le dispositif « plus de maîtres que de classes » ne va pas disparaître : je ne renie donc nullement mes propos. Il atteint environ 70 % cette année et n'avons pas vocation à le faire baisser à la rentrée prochaine. En l'espèce, c'est le pragmatisme qui nous inspire. J'attends les évaluations du dispositif pour envisager de nouvelles actions. Sachez que je n'ai cherché en aucun cas à opposer deux dispositifs ; j'encourage le dédoublement, car des études ont démontré son efficacité.

Concernant Saint-Martin et Saint-Barthélemy, où je me suis rendu à deux reprises, notre plan de court terme a fonctionné : tous les élèves de Saint-Martin sont aujourd'hui scolarisés. Notre plan d'urgence de reconstruction est lui aussi pragmatique et vise certaines recompositions.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci de cet exposé, monsieur le ministre. Ceux de nos collègues qui le souhaitent vont vous interroger, mais compte tenu du temps imparti, peut-être pourriez-vous approfondir certains sujets par écrit.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Merci de ces informations, monsieur le ministre. Je souhaite vous interroger sur un serpent de mer, souvent évoqué en commission et aujourd'hui d'actualité dans le cadre du présent PLF et à l'orée de la future loi sur la formation : en septembre, le Gouvernement a annoncé qu'une loi serait présentée au Parlement, en 2018, pour réformer l'apprentissage, la formation et l'assurance-chômage. Ces trois sujets pourtant très différents se rejoignent sur la cohérence et la complémentarité.

Aujourd'hui, en France, deux contrats d'apprentissage ont le même objet mais ne présentent pas les mêmes avantages. D'un côté, le contrat d'apprentissage permet de former les jeunes de 16 à 26 ans et fonctionne très bien. De l'autre, le contrat de professionnalisation est rejeté par les employeurs, car le temps qu'ils consacrent à la formation est une perte de productivité et les oblige à payer des charges ; ce contrat est inefficace et pénalise les entreprises et les actifs de plus de 26 ans, qui ne peuvent accéder à une formation de qualité. Il faut garantir un apprentissage multi-générationnel accessible à tous.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Tout cela concerne des réformes à venir. Merci de vous en tenir aux questions budgétaires, chère collègue.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - La semaine dernière, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, vous avez annoncé une baisse substantielle de l'aide de l'État aux départements pour l'acquisition de manuels scolaires.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La question a déjà été posée et la réponse développée.

M. Olivier Paccaud. - Un budget, ce sont des chiffres, mais c'est aussi une philosophie. De nombreuses mesures sont très positives et pleines de bon sens. Je souhaiterais plus particulièrement vous interroger sur la problématique de la prime. Certes, comme l'a dit Mme Billon, une prime n'est peut-être pas le meilleur moyen d'évaluer une vocation. Mais vous allez accorder des primes pour fidéliser des enseignants dans des secteurs où ils bénéficient déjà de meilleures conditions de travail qu'ailleurs. Il y a trois jours, j'étais dans une école à Morangles, dans le sud de l'Oise, qui compte 450 habitants et deux classes à quadruples niveaux. Les niveaux multiples sont d'ailleurs très fréquents en zones rurales. Or ces enseignants n'ont pas de prime, alors que la charge de travail est plus importante. Cela ne mériterait-il pas une réflexion en vue d'une redistribution de cette nouvelle prime ?

Mme Maryvonne Blondin. - Monsieur le ministre, c'est vous qui gérez le plus d'employés en France et en Europe. Vous évoquez le bien-être à l'école et la bienveillance, des notions auxquelles nous adhérons pleinement. Néanmoins la manière d'y parvenir est un peu difficile, notamment pour la médecine scolaire de prévention, aussi bien pour les enseignants que pour les enfants. Depuis 2013 et l'intégration du parcours continu de santé dans la refondation de l'école, la situation n'a pas beaucoup évolué. Les enseignants ne bénéficient pas d'un suivi de santé. Quelles actions comptez-vous mettre en place ? Comment développer l'attractivité de ces médecins, en lien avec les autres collectivités ?

Mme Sonia de la Provôté. - Merci de tous vos éclaircissements, monsieur le ministre. Je souhaiterais vous interroger sur la scolarisation des enfants de moins de trois ans et l'accompagnement à la parentalité. Ces dernières années, plusieurs études ont montré que la scolarisation précoce était importante pour beaucoup enfants en termes de socialisation et de qualité d'apprentissage linguistique. En outre, un accompagnement particulier est parfois nécessaire pour des parents qui ont parfois un vécu douloureux de l'école - c'est un euphémisme.

Avez-vous prévu des actions particulières en faveur du renforcement de l'accompagnement à la parentalité et de la sécurisation des enfants de moins de trois ans ? Je pense à des classes passerelles, à des réseaux école-parents ou des réseaux parentalité, tous ces sujets controversés qui méritent notre attention.

Mme Laure Darcos. - Je souhaite évoquer la question des enfants atteints de handicap. Monsieur le ministre, vous avez parlé de la transformation massive des personnels embauchés sous contrats aidés en accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et des recrutements à venir. Or il existe une différence entre les deux statuts, puisqu'un diplôme dans le domaine de l'aide à la personne est demandé aux AESH. Cela ne va-t-il pas accentuer les problèmes de recrutement comme cela s'est produit encore cette année, notamment dans le département de l'Essonne ? Cela est également dû au traitement tardif des dossiers en maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).

Enfin, si la règle commune devait s'appliquer, ce qui conduirait à ne pas attribuer de postes d'enseignant en unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) pour compter les 12 élèves dans l'effectif global de l'école, le seuil de création d'une classe supplémentaire ne serait peut-être pas atteint partout. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point, monsieur le ministre, dans la mesure où certaines écoles pourraient subir une dégradation de l'encadrement des élèves ?

Mme Nicole Duranton. - Monsieur le ministre, concernant le plan « mercredi », vous avez annoncé la mise en place, en lien avec les ministères des sports et de la culture, d'activités culturelles et sportives de qualité pour nos enfants. Vous avez notamment déclaré que l'État souhaitait venir « en appui » des collectivités locales, ce qui veut souvent dire « à la charge » de celles-ci. Pouvez-vous nous garantir que ce nouveau plan n'alourdira pas la charge financière de nos collectivités territoriales ? Avez-vous l'intention d'engager une véritable réflexion nationale sur l'amélioration de la rémunération des enseignants ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - « Lire, écrire, compter, respecter autrui, » voilà une feuille de route très rassurante, monsieur le Ministre. Vous auriez pu ajouter « chanter », conformément à l'excellente initiative que vous avez prise à la rentrée, voire « jouer de la musique » comme Calogero. Néanmoins, pour que cela soit possible, il faut des intervenants musiciens dans les communes, qui devront être payés par les collectivités. Les professeurs ne sont pas formés à cela. Que prévoyez-vous en la matière dans le PLF pour 2018 ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Monsieur le ministre, quels moyens humains et financiers pouvez-vous mettre en place pour augmenter les moyens de lutte contre les différentes formes de harcèlement en milieu scolaire et notamment son corollaire tragique et grandissant, le cyber-harcèlement. Les équipes mobiles de sécurité (les EMS) présentes sur l'ensemble du territoire, les équipes mobiles académiques (EMAS) pour Paris se composent d'équipes réduites de 10 à 15 personnes : leur mission va de la sécurisation aux abords des établissements scolaires et la lutte contre le harcèlement, mais tous n'ont pas les moyens de mettre en place un programme sur la prévention. Certaines écoles, notamment à Paris, se partagent parfois un psychologue scolaire pour plusieurs milliers d'élèves. Comment, dans ces conditions, pouvons-nous espérer une lutte efficace contre le harcèlement ?

Si des associations spécialisées et de grande qualité interviennent dans les établissements scolaires, et si vous avez vous-même souligné l'importance du partenariat constant entre les associations et l'État, celles-ci ne peuvent se substituer à la responsabilité de l'État dans ce domaine. Il faudrait prévoir une ligne budgétaire précise pour la lutte contre le harcèlement, notamment la formation des enseignants.

M. Guy-Dominique Kennel. - La dernière fois, j'ai posé ma question sur l'apprentissage en dernier et M. le ministre n'a pas eu le temps d'y répondre. J'attends toujours la réponse écrite que l'on m'avait promise. Aujourd'hui, j'ai bien compris que l'anneau « apprentissage » n'était pas encore exploré et que vous ne pouviez pas me donner de réponse. Sur l'orientation, les quatre anneaux ne sont pas non plus encore explorés. Ma question n'est plus qu'une coquille vide...

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous aurons des séances de travail sur ces sujets auxquelles sera convié le ministre. Vous serez le premier orateur à intervenir, monsieur Kennel.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Lors des mois à venir, une forte concertation aura lieu sur des sujets qui peuvent s'articuler entre eux. Nos échanges serviront de préalable à cette démarche.

Sur les primes, prenons garde à ne pas opposer la ville et la campagne. Nous allons mener une politique très volontariste pour lutter contre les difficultés urbaines, mais aussi pour avancer sur les problématiques rurales qui appellent des réponses différentes. Je suis très motivé sur ce dernier point. Notre système de primes devrait-il concerner aussi les professeurs en milieu rural ?

M. Olivier Paccaud. - Les doubles, triples et quadruples niveaux sont fréquents en milieu rural.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Cela nécessite beaucoup de professionnalisme et peut se révéler très enthousiasmant pour le professeur et les élèves. Les écoles rurales ne sont pas vouées à disparaître, car ce qui est parfois perçu comme un problème est en réalité une opportunité, pour peu que l'on donne aux professeurs les outils pédagogiques dont ils ont besoin.

J'en viens au bien- être à l'école et au suivi de la santé. Madame Blondin, je vous remercie d'avoir évoqué autant la santé des enseignants que celle des élèves, car nous devons inclure les professeurs dans la stratégie nationale de la santé portée par la ministre de la santé en faveur de l'ensemble des personnels de la fonction publique. Nous ferons converger les stratégies de la santé, de l'éducation nationale et des collectivités locales. La ministre et moi-même nous sommes fixés un premier objectif : l'effectivité de la visite médicale à six ans, notamment pour dépister d'éventuels troubles auditifs et oculaires.

Je profite de cette occasion pour répondre à un petit malentendu médiatique. J'ai répondu au Parisien qu'il y avait une inflation des demandes d'orthophonistes. Je n'ai pas dit qu'il fallait moins d'orthophonistes en classe. Mais ils doivent y être pour de bonnes raisons. Or on constate parfois une inflation des demandes d'orthophonistes, alors que le sujet doit être traité pédagogiquement. C'est tout ce que j'ai voulu dire, mais mes propos ont été transformés. Vive les orthophonistes et les psychologues ! On a besoin d'eux, mais pour des cas bien particuliers. Je dresse un simple constat, étayé par la littérature très fournie sur ces points. Oui, nous devons largement améliorer la situation et nous le ferons en lien avec les collectivités.

Madame de la Provôté, je suis également préoccupé par la scolarisation des enfants de moins de trois ans, qui doit être abordée de façon pragmatique, car elle est bénéfique pour certains et pas pour d'autres. Malheureusement, parfois, les élèves qui en auraient le plus besoin n'en bénéficient pas, de même que certains élèves de plus de trois ans ne sont pas scolarisés aujourd'hui. Budgétairement, nous avons toujours soutenu la scolarisation des enfants de moins de trois ans, mais l'enjeu est de cibler les besoins.

Vous avez évoqué l'accompagnement à la parentalité, qui fait également partie de cette politique globale familiale à mener avec la ministre de la santé, avec une attention à porter à la politique du langage dans les premiers âges.

Madame Darcos, la question des difficultés de recrutement liées à l'évolution des contrats aidés vers les AESH est très pertinente, mais il suffira de justifier d'une expérience comme auxiliaire de vie scolaire (AVS) pour postuler. De façon générale, nous devons viser la professionnalisation des intervenants et leur formation, la plus large possible, au même titre que celle des professeurs.

S'agissant des ULIS, nous sommes tout à fait capables de maintenir de telles unités avec moins de 12 élèves. Nous en compterons 100 de plus l'an prochain et n'en supprimerons aucune, sauf cas très particuliers.

Madame Duranton, le futur plan « mercredi » étant en préparation, nous tiendrons compte de votre préoccupation concernant le risque d'une charge financière plus importante pour les collectivités locales. Le but est plutôt de les soulager. Toute notre action jusqu'à présent a été en ce sens.

Nous travaillons en collaboration avec l'Association des maires de France (AMF) pour assurer le lien avec la Caisse nationale d'allocations familiales de façon à ce que les démarches soient simplifiées pour les activités périscolaires. Nous souhaitons que les moyens de l'État affectés au plan « mercredi », en plus du soutien des communes, ne se traduisent par le désengagement de quiconque. J'ai bien conscience que les collectivités ne souhaitent pas assumer de charges supplémentaires en la matière. Nous visons une synergie.

La rémunération des enseignants est un sujet totalement légitime, surtout si l'on établit une comparaison avec l'étranger. Les enseignants de l'école primaire sont les plus concernés par le rattrapage qui devra avoir lieu quand nous en aurons les moyens budgétaires. Honnêtement, la situation actuelle empêche certaines actions : les augmentations de salaire dans l'éducation nationale sont difficiles à assumer avec un million de personnels ! Nous devons travailler à une vision pluriannuelle du sujet, mais aussi à ouvrir des perspectives de carrière et mieux gérer nos ressources humaines.

Monsieur Hugonet, avec la ministre de la culture, j'ai voulu que la musique soit l'une de nos grandes priorités. De multiples témoignages ont prouvé l'effet important de ce dispositif pour la place de la culture à l'école. C'était l'amorce d'un plan de déploiement de la musique, mais aussi d'autres pratiques culturelles telles que le théâtre et la lecture. Cela suppose l'intervention de musiciens et l'augmentation du nombre de professeurs d'éducation musicale.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - De belles expérimentations ont cours en France, monsieur le ministre. L'objectif visé par le ministère de la culture de créer une chorale par école, en lien avec les conservatoires dont les budgets seront de nouveau augmentés, implique une vraie réflexion avec les collectivités territoriales. En effet, il ne s'agit pas de décréter une chorale pour qu'elle prenne forme ; cela suppose du professionnalisme et une connexion à des pôles-ressources, conservatoires ou écoles de musique.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Encore un sujet sur lequel nous travaillons de concert.

Enfin, madame Boulay-Espéronnier, le harcèlement est un sujet à prendre très au sérieux, je l'ai dit lors de la Journée de lutte contre le harcèlement. Nous allons vraiment travailler toute l'année sur cette question. L'épouse du Président de la République va d'ailleurs s'impliquer personnellement pour marquer les esprits. Je souscris à l'intérêt de s'inspirer des bonnes pratiques à Paris pour aller de l'avant.

Ce sujet implique la sensibilisation et la formation des acteurs adultes de tous les établissements pour qu'ils aient le réflexe de combattre à la racine le phénomène chaque fois qu'il est visible. Nous avons des objectifs qualitatifs pour inverser la tendance, afin que le droit soit du côté du plus faible, la force du côté du droit, et que les principes de la République s'appliquent en l'espèce. Chaque classe est une petite république ; si l'on n'est pas combatif sur ces phénomènes à l'école, il ne faut pas s'étonner de les voir perdurer au sein de la société. Je me fixe à moi-même des objectifs de réussite en la matière.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci de ces éclaircissements, monsieur le ministre. Nous avons encore de longs échanges en perspective.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 45.