Mercredi 27 septembre 2017

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Notre délégation est en place jusqu'au 30 septembre. Des communications sur des sujets relevant de sa mission m'apparaissent nécessaires et justifient cette dernière réunion.

Parmi les 8 sénateurs renouvelables appartenant à la délégation, Philippe Dominati, Frédérique Espagnac, Marie-Noëlle Lienemann, Sophie Primas et Dominique Watrin ont été élus. Je leur adresse toutes mes félicitations. MM. Serge Dassault et Francis Delattre ne se représentaient pas. Mme Hermeline Malherbe a été battue.

En introduction de cette réunion, je souhaite également que nous ayons une pensée pour Nicole Bricq, qui nous a brutalement quittés cet été. Cette sénatrice, qui s'était beaucoup impliquée dans la délégation et nous avait accueillis dans son département à l'occasion d'un de nos premiers déplacements, a véritablement marqué notre institution.

Communication de Mme Anne-Catherine Loisier relative au projet de loi n° 578 ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Mme Anne-Catherine Loisier. - Notre collègue Patricia Morhet-Richaud avait attiré l'an dernier l'attention de notre délégation sur l'inquiétude exprimée par certains chefs d'entreprise sur la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Dès le 15 septembre 2016, notre délégation a souhaité être associée aux travaux de la commission des lois relatifs à la ratification de l'ordonnance du 10 février 2016 qui porte cette réforme. Ayant été chargée par la délégation, le 3 novembre dernier, d'examiner l'impact de cette ordonnance sur les entreprises, j'ai assisté aux auditions organisées par François Pillet, le rapporteur de la commission des lois.

Dans ce cadre, nous avons rencontré des représentants du MEDEF et de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, des professionnels du droit, des juristes d'entreprise, des représentants du Barreau, des notaires, des huissiers, des experts-comptables, un représentant de la Cour de cassation, la conférence des présidents de cour d'appel, des juges consulaires et plusieurs professeurs de droit privé. Nous avons clos cette série d'auditions par une réunion, hier, avec des représentants du ministère de l'économie et des finances et de la Chancellerie.

La réforme, dont je souhaite rappeler le contexte, est d'abord la conséquence d'un événement « déclencheur ». Après des modernisations dans plusieurs pays européens, la Commission européenne s'empare du dossier en 2001, envisageant, non pas une harmonisation, mais un droit optionnel des contrats venant potentiellement concurrencer le droit français. En mars 2004, s'appuyant sur les travaux académiques de deux commissions - la première, universitaire, dirigée par Pierre Catala ; la seconde, pluridisciplinaire et associant la Chancellerie, coordonnée par François Terré -, le président Jacques Chirac annonce une réforme du droit des contrats.

Cette réforme était attendue depuis plusieurs années par le monde économique, notamment face aux jugements sévères de la Banque mondiale, qui avait mis en avant, dès 2004, les systèmes juridiques de common law.

En 2006, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris plaidait pour cette modernisation, nécessaire, selon elle, « à l'heure où le droit constitue non seulement un outil de régulation des échanges, mais aussi un facteur de compétitivité économique ». La notion d'efficacité économique et d'attractivité du droit français est d'ailleurs largement reprise dans le rapport accompagnant l'ordonnance.

En 2013, la Chancellerie rouvre le dossier. Elle décide de fusionner les travaux des deux commissions et de recourir à l'ordonnance. En janvier 2014, ce recours est rejeté, à l'unanimité moins une voix, par le Sénat, soulignant l'étroitesse de la marge de manoeuvre qui est laissée au Parlement lors de la ratification de l'ordonnance. En effet, la présente ordonnance est entrée en vigueur le 1er octobre 2016. Par conséquent, si nous remettions aujourd'hui en cause les grands arbitrages, nous pourrions être considérés comme responsables d'une nouvelle source d'insécurité juridique, alors que les entreprises françaises ne cessent de réclamer une plus grande stabilité du droit. D'ailleurs le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 12 février 2015 sur la loi d'habilitation, que, « si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; que, d'autre part, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ».

Nous évoquons donc ici une réforme attendue et nécessaire, que toutes les parties auditionnées ont saluée, mais perfectible. Selon le Medef, elle parvient à « renforcer la sécurité juridique et à un plus juste équilibre entre la modernisation du droit français et le maintien de ses principes fondamentaux que sont la liberté contractuelle, la force obligatoire du contrat et son effet relatif ». La Chambre de commerce et d'industrie de Paris partage cette appréciation positive et le Haut Comité juridique de la place financière de Paris a souligné, dans son rapport de mai dernier, la contribution de ces évolutions à l'attractivité du droit français.

J'en viens aux caractéristiques de la réforme.

L'ordonnance s'inscrit dans une démarche de modernisation : le droit des contrats n'a pas fondamentalement évolué depuis 1804, malgré une abondante jurisprudence. Tout en conservant la concision et la précision du code civil, l'ordonnance utilise un vocabulaire plus contemporain. Elle supprime par exemple certaines références aux « bonnes moeurs » ou substitue à la « cause » le « contenu du contrat ». De nouvelles réalités économiques sont inscrites dans le code civil, comme le contrat d'adhésion, le contrat cadre, le pacte de préférence ou la cession de dettes.

Au total, 350 articles du code civil ont été modifiés, soit près de 10 % de ce code.

La réforme comporte par ailleurs des malfaçons, notamment rédactionnelles, ou des contresens manifestes s'agissant de l'intention du législateur. Les propositions du rapporteur de la commission des lois, me semble-t-il, devraient largement porter sur ces points.

Je mentionnerai le cas de l'article 1343-3, qui limite le paiement en devises internationales aux seuls cas prévus par des contrats internationaux ou des jugements étrangers. Cette disposition soulève visiblement des interrogations chez les acteurs économiques, au motif qu'elle ignorerait de nombreuses opérations de droit français libellées dans des devises autres que l'euro. On pourrait pourtant la considérer comme protégeant les contrats français contre le phénomène grandissant d'extra-territorialité du droit américain. En effet, ce dernier s'applique dès lors que le paiement a eu lieu en dollars.

Autre sujet, certaines articulations qui devront être précisées. Je pense à celle entre l'article 1112-1 sur le devoir d'information précontractuelle, qui sanctionne la dissimulation d'une information non intentionnelle, par négligence ou inadvertance, et l'alinéa 2 de l'article 1137 relatif au dol par réticence, lequel suppose une intention manifeste de tromper.

Enfin, la réforme est perfectible. Mais, comme François Pillet, je considère qu'il sera difficile de modifier l'ordonnance en profondeur. Du fait de sa récente entrée en vigueur, nous manquons de recul sur ses effets et aucune jurisprudence ne vient, à ce jour, étayer les griefs que nous pourrions invoquer.

Tous nos interlocuteurs se sont montrés soucieux de ne pas créer un troisième niveau de droit transitoire entre le droit ancien et le droit nouveau.

Dans sa réponse au rapport Canivet du Haut Comité juridique de la place financière de Paris, la Chancellerie est demeurée assez arc-boutée sur le principe de l'application de l'ordonnance aux seuls nouveaux contrats, mais l'on peut se demander si le droit nouveau se saisira des effets légaux des situations juridiques nées avant le 1er octobre 2016, mais non entièrement réalisées.

De même, la réforme s'applique d'évidence aux contrats renouvelés par tacite reconduction ou aux contrats d'application des contrats cadres. En revanche, l'application aux contrats interdépendants soulèvera sans doute de nombreuses interrogations.

La transition est donc délicate et, une fois encore, toute intervention du législateur à ce stade risquerait de complexifier le paysage juridique. Faut-il aller au-delà des malfaçons lorsque l'on sait que « réformer la réforme » créerait une nouvelle source d'instabilité, préjudiciable au besoin de sécurité juridique des entreprises ? Cela étant, il nous semble possible d'apporter certaines précisions sur l'intention du législateur, afin de rassurer les acteurs économiques et de donner un cadre d'interprétation aux juges.

Je rappelle que la Commission des lois examinera le projet de loi de ratification de cette ordonnance le 11 octobre prochain. Or, plusieurs points méritent une vigilance de la part du Sénat.

Premièrement, le rôle du juge. L'ordonnance est parsemée de standards ou d'adverbes qui appelleront à une définition judiciaire de la règle en cas de litige, comme, par exemple, les notions d'« avantage manifestement excessif », aux articles 1141 et 1143, ou d'« attentes légitimes des parties », à l'article 1166. Le législateur pourra revenir sur ces définitions pour essayer d'en préciser l'esprit et faciliter ainsi le travail du juge. Les magistrats eux-mêmes ont exprimé cette préoccupation lors des auditions, justifiant leur demande par le fait qu'ils ne voulaient pas porter préjudice à la vie des entreprises.

Le rôle du juge est également accru, avec l'article 1195 mettant fin à la jurisprudence « Canal de Craponne » de 1876, en vertu de laquelle la Cour de cassation refusait d'admettre la révision d'un contrat pour imprévision. Désormais, le juge pourra, « à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ». Cette évolution rapproche le droit français du droit européen, mais inquiète les acteurs économiques. Le caractère expressément supplétif des nouvelles dispositions, rappelé dans le rapport au Président de la République, devrait néanmoins les rassurer. De plus, la Chancellerie a précisé que les contrats financiers sont par définition soumis à un aléa et donc par nature exclus des cas d'imprévision.

En outre, l'accès au juge dans le cadre de l'article 1165, qui permet au créancier de fixer le prix à défaut d'accord dans les contrats de prestations de service, relevant d'ailleurs plutôt du droit des sociétés, soulève des questions d'équité dans l'accès des parties au juge. Elle permettra effectivement au créancier d'aller devant le juge des référés pour réclamer une provision, alors que le débiteur-client devra entamer une autre procédure pour demander des dommages et intérêts en cas de prix abusif. Plusieurs acteurs auditionnés estiment, à défaut d'une abrogation pure et simple de cet article, qu'il serait préférable que le juge puisse fixer le prix. Cela montre que l'interventionnisme des juges, généralement craint, peut être perçu comme une sécurité. Ces derniers redoutent néanmoins de devoir s'immiscer dans des contrats d'une très grande complexité et opteront certainement pour la prudence.

Deuxièmement, l'articulation entre règles impératives et règles supplétives. Le caractère supplétif des dispositions de l'ordonnance est affirmé, le caractère impératif étant l'exception. Notons tout de même la demande exprimée par certains d'ajouter la notion « sauf clause contraire » dans les dispositions les plus emblématiques, afin de mettre fin aux débats de doctrine sur ce caractère supplétif.

Troisièmement, l'articulation entre droit général et droit spécial. Si le code civil ici réformé constitue le droit général pour des parties réputées égales, certaines règles spéciales demeurent, comme celles qui sont inscrites dans le code de la consommation ou le code de commerce. En vertu de l'article 1105 du code civil, les règles générales s'appliquent systématiquement, sous réserve des règles particulières.

Néanmoins, pour bien des dispositions issues de la réforme, cette articulation mérite d'être précisée.

L'article 1145 limite, à peine de nullité, la capacité des personnes morales aux actes « utiles » à la réalisation de l'objet. Cette notion, trop floue, est absolument inapplicable pour les sociétés par actions et les SARL, engagées à l'égard des tiers pour des actes allant au-delà de leur objet, en application de la directive 2009/101. Elle est également difficilement compatible avec le droit des sociétés et la notion d'intérêt social. De nombreux acteurs auditionnés nous demandent donc d'exclure les sociétés civiles et commerciales du champ de cet article.

Les articles 1157 et 1161 précisent les conflits d'intérêts et les pouvoirs du représentant en prescrivant des autorisations préalables ou des ratifications expresses, alors que le code de commerce n'envisage aucune règle sur les conventions conclues entre le gérant et la société elle-même. Là aussi, une exclusion du droit des sociétés est préconisée.

L'article 1143 crée un nouveau vice de consentement en cas d'abus de dépendance, pas seulement économique, sanctionné par la nullité seulement lorsque le cocontractant a tiré un avantage excessif de la situation. Il soulève également des questions. Quelle en sera la portée exacte ? Comment définir la notion d'abus ?

L'article 1171 du code civil s'attaque aux clauses abusives, alors que les articles L.212-1 du code de la consommation et L.442-6 du code de commerce prévoient déjà des mécanismes de sanction. La définition du nouveau « contrat d'adhésion » qui y figure, notion ambigüe faisant référence aux « conditions générales » soustraites à la négociation et déterminées par avance par l'une des parties, soulève également des inquiétudes, notamment de la part des notaires.

Tous ces exemples d'incompatibilité illustrent l'importance d'une clarification du droit applicable.

En droit de la consommation, il existe une commission des clauses abusives, tout comme le droit de la concurrence peut s'appuyer sur une commission d'examen des pratiques commerciales. Mais en droit civil, le juge ne peut s'appuyer sur aucun organe consultatif sectoriel.

En outre, la procédure en droit spécial permet de garantir la cohérence de la jurisprudence applicable. Ainsi, une seule chambre de la Cour d'appel de Paris est compétente pour apprécier les contentieux de 8 tribunaux de commerce et 9 tribunaux de grande instance. Si le droit civil s'applique, on peut craindre une multiplication des représentations personnelles de ce qui est considéré comme abusif, en raison du nombre de juges intervenant sur la jurisprudence. En conséquence de cette incertitude, et si le pouvoir du juge n'est pas limité aux clauses non négociées, le risque est grand de voir le droit français écarté par sécurité.

En conclusion, l'objectif de sécurité juridique pour nos entreprises exige de trouver un équilibre subtil entre stabilité d'un texte déjà en vigueur et nécessaires clarifications à y apporter. En l'absence d'appréciations des juges sur lesquelles nous appuyer, notre délégation doit rester à l'écoute du monde économique. Nous pourrons commencer à avancer des propositions d'amélioration dans le cadre de l'examen du projet de loi de ratification, dont l'inscription à l'ordre du jour n'a, à ce jour, pas été confirmée. La réforme du droit de la responsabilité qui est attendue prochainement nous permettra peut-être également d'évoquer le sujet et d'apporter quelques perfectionnements.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous vous remercions du travail que vous avez réalisé et de votre investissement sur ce sujet de spécialiste. Pour ma part, j'ai retenu la nécessité de trouver un point d'équilibre entre stabilité juridique et besoin de réformer.

Mme Sophie Primas. - À mon tour, je remercie Anne-Catherine Loisier pour ce travail extrêmement technique, qui appelle l'admiration de chacun. Je partage avec certains acteurs auditionnés une forme d'inquiétude sur le nouveau pouvoir confié au juge sur les contrats. Quelle capacité aura le juge de se forger un avis sur les obligations des uns et des autres et sur la valeur de ces obligations dans le cadre de certains contrats très techniques ? Comment pouvons-nous, si nous le pouvons, bien cadrer son intervention ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - C'est effectivement ce qui est ressorti de nos auditions et les juges eux même craignent de se retrouver dans des situations très complexes. Toutefois, l'esprit de cette ordonnance est de faire du recours au juge l'ultime solution.

On voit bien, ici, que nous atteignons les limites de ce que le droit peut apporter. Il est extrêmement difficile de cadrer toutes les situations sans créer une usine à gaz. La simplification et l'accessibilité du droit impliquent d'accorder une certaine confiance au juge, cette liberté d'appréciation constituant d'ailleurs un point de rapprochement avec le droit anglo-saxon.

Sur cette question, également, la jurisprudence nous permettra d'apprécier la justesse de notre choix ou la nécessité d'un encadrement législatif plus strict.

M. Guy-Dominique Kennel. - Je tiens également à exprimer mon admiration : cette analyse est remarquable et, pour nous, c'est littéralement une découverte. Je partage le point de vue de notre collègue Anne-Catherine Loisier sur la nécessité de laisser vivre le dispositif et de repérer les points problématiques à l'aune de la jurisprudence. Je formulerai néanmoins une question supplémentaire : qu'en est-il d'une articulation avec le droit local alsacien-mosellan ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Les articulations avec les droits locaux ne sont jamais précisées, exception faite de l'outre-mer. Là aussi, il faudra tenir compte de la jurisprudence !

M. René Danesi. - Je me joins aux félicitations exprimées pour cet excellent travail portant sur un sujet extrêmement technique.

Pourquoi avoir recours à une ordonnance ? De toute évidence, il n'y avait pas urgence - l'ordonnance date de 2016, pour une démarche entamée en 2001 - et les risques de manifestations étaient nuls. En principe, on devrait me répondre que l'ordonnance permet de mieux cerner le problème, d'éviter toute démagogie, donc d'établir un texte de grande qualité. Or vous signalez des malfaçons ! Autant nous sommes bien placés pour accepter des malfaçons dans une loi que nous avons discutée, autant nous avons toutes les raisons de ne pas les accepter dans une ordonnance !

À quoi sont dues ces malfaçons ? Faut-il incriminer un manque de concertation ? Ou, plus subtilement, n'est-ce pas l'illustration d'un choc, de plus en plus fréquent, entre le droit latin et le droit anglo-saxon qui, via Bruxelles, nous envahit ? Ces deux droits ne répondent absolument pas aux mêmes logiques.

Par ailleurs, quand et comment allons-nous exprimer notre vigilance ? Le seul moyen de le faire est de procéder à un suivi assidu de la jurisprudence, que, soit dit en passant, le Parlement serait bien avisé d'assurer. En effet, on est parfois surpris lorsque l'on compare les textes voulus par le législateur et l'application qui en est faite, ensuite, par les juges.

Mme Anne-Catherine Loisier. - S'agissant du recours à l'ordonnance, le gouvernement de l'époque avait visiblement souhaité réagir rapidement. Le recours a été octroyé par le Parlement malgré l'opposition du Sénat. Par ailleurs, le Sénat ne s'est pas dessaisi du sujet, vous le voyez. En tout état de cause, la Chancellerie n'a pas pu s'empêcher de nous dire, hier, que l'adoption de la loi de ratification n'était pas une obligation, ce qui rend incertaine son inscription à l'ordre du jour.

Les consultations ayant précédé la rédaction de l'ordonnance ont été très larges. Il est possible que la recherche d'un compromis se soit traduite par des formulations un peu complexes. Pour autant, tous les acteurs auditionnés ont salué la qualité de cette ordonnance qui, globalement, prend acte de pratiques ayant cours actuellement et convenant aux entreprises. La réforme est donc, globalement, positive.

Il vous sera certainement proposé de revenir sur des notions qu'il nous semble nécessaire de préciser, justement pour la raison invoquée d'une harmonisation entre droit latin et droit anglo-saxon, l'idée étant que celle-ci puisse se faire dans de bonnes conditions.

Nous allons nous engager dans un travail parlementaire qui donnera lieu à des débats sur lesquels, comme toujours, les juges s'appuieront. Il ne faudra donc pas hésiter à s'exprimer dans le cadre de ces débats.

Nous pourrons aussi revenir sur certains points lors de l'examen annoncé de la réforme du droit de la responsabilité et, enfin, nous avons effectivement un travail de suivi de l'application de la loi à réaliser.

M. Michel Forissier. - Je salue également l'excellence de ce travail et le bien-fondé de l'ordonnance. Pour moi, la question de la coexistence des différents droits en vigueur dans l'Union européenne doit se régler à l'échelle européenne, et non au détour d'une ordonnance. L'Europe bien faite devrait travailler à ce rapprochement - « harmonisation » n'est pas le bon terme, puisque, comme cela a été mentionné, les différents droits ne reposent pas sur les mêmes bases.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Comme je l'indiquais dans mon introduction, la Commission européenne a plaidé pour un droit optionnel du contrat, et non pour une harmonisation. La volonté de la France est d'adapter son droit au contexte concurrentiel dans le domaine législatif, avec un droit anglo-saxon de plus en plus omniprésent, tout en conservant ses principes généraux, notamment le principe de défense des intérêts de la partie la plus faible.

Cette réforme est aussi pensée pour avoir une portée en termes d'attractivité et de compétitivité, afin que le droit français ne soit plus marginal dans les échanges ou contrats commerciaux et qu'il reconquiert des territoires. Cela peut avoir des conséquences économiques lourdes.

M. Michel Vaspart. - Si, comme vous semblez le dire, le droit anglo-saxon pourrait primer en l'absence d'application de cette ordonnance, cela pose un réel problème. Mais si la jurisprudence s'applique de manière quasi-définitive, en quoi cette ordonnance qui semble la valider est-elle nécessaire ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - L'ordonnance consiste bien, aux trois quarts, à entériner une jurisprudence pratiquée. Mais il y a aussi une démarche de simplification du code civil, afin de le rendre plus accessible aux PME.

Compte rendu par M. Antoine Karam du déplacement en Guyane du 18 au 21 septembre

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Initialement programmé au mois de mars, notre déplacement en Guyane a dû être reporté du fait des événements survenus à cette période. Ce report nous a permis de mieux percevoir les problématiques du territoire qui ont engendré cette crise. La délégation était composée d'Anne-Catherine Loisier, Jérôme Durain et moi-même. Antoine Karam avait élaboré, à notre attention, un programme très dense, varié et de qualité. Georges Patient, l'autre sénateur de la Guyane, nous a également fort bien accompagnés durant ces trois jours. Nous les en remercions vivement.

M. Antoine Karam. - Merci, madame la présidente, d'avoir accepté de vous rendre en Guyane à la tête d'une délégation. Je suis convaincu que l'outre-mer et ce territoire, en particulier, sont insuffisamment connus, y compris au niveau parlementaire.

Vos trois jours sur place ont effectivement été bien remplis, étant rappelé que ce département est aussi vaste que l'Autriche. Il était important pour moi de vous faire prendre conscience des réalités guyanaises.

Vous avez d'abord séjourné à Cayenne, dont j'ai été conseiller municipal pendant 21 ans avant de devenir conseiller général, puis président du conseil régional pendant 18 ans. Ensuite, accompagné par notre collègue, le sénateur-maire de Mana, nous nous sommes rendus dans l'Ouest guyanais, à Saint-Laurent du Maroni, puis à Mana, avant de revenir vers l'Est en passant par Kourou. Nous avons rencontré des élus, dont le président de la collectivité territoriale de Guyane, M. Rodolphe Alexandre, et l'ancien ministre du tourisme et maire de Saint-Laurent du Maroni, M. Léon Bertrand.

Nous nous sommes intéressés en priorité à la vie économique de la Guyane, avec la visite du grand port maritime de Cayenne et la rencontre de plusieurs grandes figures entrepreneuriales locales : Mme Carol Ostorero, présidente de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane, M. Bernard Boullanger, président de la SOLAM, société laitière de Macouria, M. Jocelyn Médaille, directeur de la Cogumer qui transforme les produits de la pêche au port du Larivot. Nous avons également visité la dernière distillerie de Rhum de Guyane, implantée à Saint-Laurent du Maroni.

Nous avons approché d'autres secteurs que l'agroalimentaire à l'occasion du repas organisé par la toute nouvelle présidente de la Chambre de commerce et d'industrie, Mme Carine Sinaï-Bossou. Celle-ci a réuni autour de nous une vingtaine de dirigeants de secteurs variés.

En outre, nous avons visité un complexe touristique en chantier à Mana, la centrale biomasse de Kourou, qui transforme en électricité les déchets connexes de l'exploitation du bois, et, bien sûr, le centre spatial guyanais.

Pour éclairer ces rencontres avec les acteurs économiques du territoire, nous avons été sensibilisés à leur environnement. La biodiversité de la Guyane a été évoquée à l'occasion d'une rencontre avec l'institut Pasteur, son histoire à l'occasion d'une visite du bagne de Saint-Laurent du Maroni et son avenir, surtout, notamment à l'occasion d'un échange avec le collectif ayant signé, le 21 avril dernier, l'accord de Guyane.

Plusieurs éléments structurels me semblent devoir être soulignés pour comprendre la réalité guyanaise :

- l'enclavement de la Guyane et l'insuffisance de ses infrastructures : la Guyane n'est desservie que par deux compagnies aériennes, avec des billets pour Paris très chers et peu de vols vers d'autres destinations ; la desserte maritime est monopolisée par CMA-CGM et Marfret, qui pratiquent également des coûts élevés ; la Guyane ne dispose d'aucun chemin de fer ; il n'existe qu'une seule route principale, qui longe le littoral et présente des risques d'engorgement ; de nombreuses zones blanches en téléphonie mobile persistent le long même de cette route ;

- la mitoyenneté avec des pays émergents ou en développement : si le PIB par habitant est deux fois moins élevé en Guyane que dans la France entière, il reste plus élevé que celui des pays encadrant ce territoire, Suriname à l'Ouest et Brésil à l'Est ;

- une évolution démographique explosive : même si la croissance économique guyanaise (1,9 % en 2016), est supérieure à celle de l'hexagone (1,3 %), elle ne suffit pas au regard de la croissance démographique : la population guyanaise, 260 000 personnes, a doublé en vingt ans et devrait encore doubler d'ici 2040. Ceci tient à la fois au solde migratoire - guerre civile au Suriname, instabilité politique à Haïti,... - et à un indice conjoncturel de fécondité dépassant 3,5 enfants par femme. L'Insee, selon certains de nos interlocuteurs, sous-estimerait l'immigration illicite. En effet, 1 000 pirogues traversent le Maroni chaque jour, mais 5 % seulement sont contrôlées. Saint-Laurent du Maroni devrait bientôt devenir la capitale démographique de la Guyane et pourrait compter 120 000 habitants en 2030...

Cette tendance non maîtrisée engendre un chômage qui touche 23 % des actifs - sans compter ceux qui, découragés, ne recherchent plus d'emploi - et qui affecte même 44 % des 15-24 ans. Elle nourrit l'économie parallèle et crée des besoins en logements, en soins (l'hôpital, largement déficitaire, soigne des malades du Suriname ou du Brésil, parfois en situation illégale, ce qui entretient un sentiment d'injustice chez les Guyanais) et en énergie, mettant à mal un appareil productif vétuste et sous-dimensionné. Elle implique aussi des difficultés de formation et de scolarisation : 10 000 enfants restent non scolarisés.

La société guyanaise est également exposée à d'importants problèmes d'insécurité, de violence, de délinquance, de criminalité et de trafics illicites. Avec 42 homicides en 2016, la Guyane est le territoire français le plus meurtrier, avec des chiffres comparables à ceux de Marseille ;

- le coût de la vie est élevé : en raison de l'éloignement géographique et de l'étroitesse du marché, les prix sont, comme partout outre-mer, plus élevés en Guyane que dans l'hexagone. La prime de 40 % versée aux fonctionnaires et la taxe d'octroi de mer sur les importations contribuent aussi à ce phénomène ;

- le secteur public fait vivre le territoire : de nombreux Guyanais vivent des aides sociales, un quart des actifs sont au RSA, la commande publique tire le secteur du BTP, le Cnes est le premier employeur de Guyane. Paradoxalement, alors qu'elle est omniprésente, la sphère publique ne parvient pas à assurer la sécurité et le respect du droit ; elle semble même parfois entraver le développement. Ainsi, 95 % du territoire guyanais appartient à l'État, ce qui empêche l'accès au foncier et renchérit fortement le peu de foncier viabilisé disponible pour les activités économiques. Les jeunes agriculteurs attendent ainsi des années avant d'obtenir des terres. La délégation outre-mer a d'ailleurs formulé trente propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile des domaines public et privé de l'État outre-mer.

Dans ce cadre très contraint, la Guyane ne manque pourtant pas d'atouts :

- sa géographie, d'abord : les ressources naturelles sont exceptionnelles (or et autres minerais, pétrole, forêt, biodiversité) ; l'électricité renouvelable représente les deux-tiers de la production électrique ; la Guyane est un point d'entrée précieux pour la France en Amérique du Sud, avec un port stratégiquement placé et un territoire épargné par les cyclones et les violents séismes. Le site est parfait pour le lancement des fusées, du moins tant qu'elles partent vers l'Est puisque des sites concurrents émergent effectivement en Europe pour les tirs vers le Nord pour les satellites non géostationnaires ;

- son peuple, ensuite : cette population multiculturelle, dont les moins de vingt ans représentent 42 %, a un potentiel exceptionnel - à condition d'être formée... Nous avons ressenti un vrai dynamisme entrepreneurial : en 2015, le nombre de créations d'entreprises en Guyane a augmenté, en dépit d'un mouvement contraire dans la France entière. Mais cet élan est fragile, dans un climat social très tendu : le blocage de l'économie durant plusieurs semaines lors des mouvements sociaux du printemps dernier aura eu des conséquences sur l'activité en 2017. Le grand port maritime de Cayenne en a été le témoin privilégié. De nombreuses entreprises ont subi de fortes tensions de trésorerie, parfois fatales.

Concrètement, de quoi souffrent les 20 000 entreprises guyanaises ? Comme dans l'hexagone, elles subissent le poids des charges et la complexité administrative. Mais elles se plaignent d'abord de l'insécurité et du manque d'infrastructures (instabilité de l'approvisionnement électrique, faible débit des réseaux télécom...), qui entraînent des surcoûts. Elles déplorent la faible intégration régionale (les exportations de la Guyane restent très marginales, le respect des normes européennes étant très coûteux, alors que les produits importés ne supportent pas de normes comparables) et elles souffrent de l'étroitesse du marché guyanais, qui renchérit leurs coûts de production. Quand une usine Yoplait dans l'hexagone produit 1 million de bouteilles Yop par jour, celle de la Solam en produit 1 million... par an !

Les entreprises peinent à s'installer et à s'étendre, en raison de la concurrence aiguë sur le foncier viabilisé. Du reste, les services représentent 78 % de la valeur ajoutée en Guyane.

Les industries de transformation pâtissent aussi des prix élevés des approvisionnements (renchéris par l'octroi de mer) et des difficultés à trouver de la main d'oeuvre adaptée, notamment des techniciens industriels.

Les entreprises subissent enfin des délais de paiement très longs : la Solam nous a parlé de 6 à 8 mois de la part des cantines scolaires et de 2 ans pour l'hôpital ; le représentant de la filière BTP a évoqué une moyenne de 100 jours de délais de paiement, la collectivité territoriale de Guyane ayant même parfois attendu deux ans et demi pour honorer ses factures.

Malgré tous ces obstacles, les entreprises guyanaises ne manquent pas d'idées. Mobapi connecte des données pour en tirer des solutions intelligentes et vient d'être sélectionnée par Business France et BPIfrance pour faire partie de la French tech qui ira se vendre aux États-Unis le mois prochain. Plusieurs autres débordent de projets : filière de traitement des déchets automobiles, innovation en cosmétique à partir de la biodiversité guyanaise, data centers adossés à l'énergie photovoltaïque, tourisme vert, fluvial ou balnéaire... Pourquoi ne pas miser sur la thalassothérapie avec des bains de boue, la mer étant brunie sur le littoral par les alluvions des fleuves ?

Hélas, il manque une vision de moyen terme partagée en Guyane. Le développement de l'exploitation aurifère fait lui-même débat : Mme Ostorero nous a présenté plusieurs projets, dont « Montagne d'or », qui, sous réserve d'obtenir toutes les autorisations, notamment environnementales, présente un potentiel d'exploitation de 115 tonnes d'or pouvant engendrer 800 emplois directs et 2 500 indirects ; il en est de même des explorations offshore d'hydrocarbures...

Il est capital d'accompagner le développement des entreprises guyanaises par l'investissement. Notre délégation à l'outre-mer a organisé le 19 mai 2016 au Sénat une conférence sur la situation des entreprises et sur les dynamiques sectorielles des six collectivités françaises des Amériques : à cette occasion M. Stéphane Lambert, alors président du Medef Guyane, indiquait qu'à défaut d'investir dans les entreprises et l'économie, la France serait conduite, du fait de la croissance démographique, à financer toujours plus de subsides sociaux (CAF, RSA, chômage, etc.). Il plaidait en faveur d'une « posture d'investissement pour exploiter les potentiels de ce territoire, à même de faire la fierté de la République ». Cela me paraît essentiel : accompagner la croissance de la Guyane au lieu de se satisfaire de sa dépendance à l'égard de l'hexagone. C'est la demande expresse du collectif Pou Lagwiyann dékolé, qui a manifesté une grande maturité dans nos échanges. En réponse aux défis structurels, sécuritaires, économiques et sociaux auxquels la Guyane est confrontée, on ne peut pas se contenter d'acheter la paix sociale, de plus en plus coûteuse et de plus en plus fragile, on l'a vu en mars dernier ; il faut répondre à la très forte attente des Guyanais, à la fois à très court terme et à moyen terme.

Ce n'est pas ici le lieu pour ouvrir la réflexion sur le statut institutionnel de la Guyane. Mais notre délégation doit plaider pour que l'État, par l'investissement, accompagne la Guyane dans ses choix d'avenir, afin de donner des perspectives à ses jeunes. Il est insupportable que certains d'entre eux en soient réduits à devenir des « mules », risquant leur vie pour 5 000 euros en ingérant des boulettes de cocaïne, pour la faire transiter par avion...

L'accord de Guyane, signé le 21 avril 2017, avec un plan d'urgence, des accords par filière et un plan de convergence à moyen terme, doit accélérer les investissements nécessaires et améliorer les perspectives de croissance. Si la priorité est aujourd'hui de construire les infrastructures scolaires, sanitaires, routières et judiciaires, nous devons également libérer nos énergies, lever les freins qui empêchent la Guyane de valoriser ses ressources naturelles et développer une activité économique alternative au spatial.

Pour cela, l'État doit assumer sa part :

- renforcer son autorité, d'abord : aux frontières, en améliorant la coopération avec les pays voisins pour réduire l'immigration clandestine, mieux contrôler les flux et faciliter les échanges commerciaux (les camions guyanais sont aujourd'hui arrêtés à la frontière pour cause d'incompatibilité du carburant, alors que les camions du Suriname et du Brésil entrent en Guyane !) ; à l'intérieur, en assurant la sécurité par un renfort des forces de police et de gendarmerie ;

- désenclaver la Guyane, ensuite, y compris au plan numérique, et moderniser ses infrastructures, notamment faire aboutir la création d'un poste d'inspection frontalier (PIF) au port de Cayenne, pour éviter que les marchandises et matières premières importées des pays voisins continuent à passer à Bilbao ou au Havre pour être contrôlées, ainsi que Cogumer nous l'a rappelé ;

- libérer et mobiliser son foncier au service du développement économique et social du territoire, avec une vision stratégique pour valoriser la Guyane ;

- adapter les principes environnementaux au cas spécifique guyanais - la forêt occupe 96 % du territoire - en prenant en compte l'urgence à créer de l'emploi pour les jeunes ;

- éviter que la majeure partie des allocations sociales versées en Guyane soient dépensées ailleurs - car 70 millions d'euros quittent la Guyane chaque année. Une proposition intéressante est de verser ces allocations sous forme de chèques ou de cartes de paiement admis par les seuls commerçants guyanais, ce qui soutiendrait la consommation locale ;

- simplifier la vie des entreprises guyanaises : assurer le respect des délais légaux de paiement, raccourcir les délais d'autorisation, faciliter le déblocage des fonds européens, adapter les normes à la situation locale, ne pas imposer aux entreprises guyanaises des obligations matériellement impossibles à respecter - la présidente de la CCI, dans son entreprise de transport, se doit d'installer des éthylotests dans les camions sous peine de sanctions, mais aucun modèle n'est encore agréé en Guyane ! - ;

- reconduire les régimes de défiscalisation ou de zones franches qui soutiennent l'investissement et engager une réflexion de fond pour faire évoluer le système fiscal actuel dans un sens favorable aux productions locales. Les recettes fiscales en Guyane proviennent essentiellement de l'octroi de mer qui frappe les importations depuis le XVIIème siècle, la TVA étant inexistante en Guyane. L'octroi de mer constitue une part importante des ressources fiscales des communes, jusqu'à 90 % pour certaines d'entre elles, et, dans une moindre mesure, de la collectivité territoriale de Guyane. Si bien que les collectivités n'ont pas nécessairement intérêt au développement économique local : moins la Guyane produit d'électricité au barrage, plus les collectivités locales sont rémunérées grâce à l'octroi de mer qu'elles perçoivent sur les importations de gaz... Il y a là matière à réflexion.

Mais l'avenir de l'économie guyanaise repose aussi sur sa capacité à se réformer en profondeur pour se structurer en filières (bois, biodiversité, ressources halieutiques et minières...) et renforcer le dynamisme des entreprises sur de nouveaux marchés, à l'intérieur comme à l'exportation.

Je suis certain que mes collègues venus en Guyane deviendront nos ambassadeurs, pour que nous soyons demain mieux reconnus. Nous espérons convaincre le président de la République et le président de la Commission européenne, qui viendront fin octobre sur place dans le cadre de la 22ème conférence des régions ultrapériphériques, que la France et l'Europe ont intérêt à une Guyane plus prospère. L'outre-mer fait partie intégrante de la République et donne à la France sa dimension internationale.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci de cette photographie fidèle à ce que nous avons vu sur place pendant trois jours. Le déplacement a été instructif car à distance, quels que soient les documents dont on dispose, on ne se rend pas compte des réalités. Comme dans une campagne électorale, il faut être sur le terrain ! Les témoignages que nous avons recueillis en direct nous ont placés au coeur du sujet. Notre mission, de nature économique, a logiquement débordé sur les questions d'immigration, de sécurité, qui sont aussi à l'origine de la crise de mars dernier. Nous avons échangé avec les représentants du collectif Pou Lagwiyann dékolé. Le médecin membre de ce collectif nous a dit, pour résumer la situation : « Ne tombez pas malade ici ! ». De même pour l'éducation : M. Karam, président de région pendant dix-huit ans, a fait construire treize lycées, mais il en manque encore.

M. Antoine Karam. - Il en manque au moins six pour les prochaines années.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Certaines situations sont ahurissantes, je songe aux recettes des collectivités locales qui dépendent de l'octroi de mer. On retrouve cette absurdité, cela dit, dans nos communes forestières : plus elles exploitent la forêt, moins elles perçoivent de dotation globale de fonctionnement (DGF), ce qui dissuade tout effort de développement.

Ce qui m'est apparu surtout, c'est que l'hexagone ne peut se permettre de passer à côté de la Guyane qui a un formidable potentiel, et il est utile de zoomer sur ce territoire, de mettre en lumière ces réalités. Une jeunesse entreprenante et volontaire, des richesses, des projets : c'est une chance pour la France. Un port en eau profonde, par exemple, est un enjeu majeur pour faire de la Guyane un point de passage obligé sur les grandes routes maritimes.

M. Gilbert Bouchet. - L'actuel préfet de la Drôme, Eric Spitz, avec lequel j'échange beaucoup, a été longtemps en poste en Guyane...

Une question : comment les entreprises locales ont-elles fait face à la crise ? Ont-elles pu rebondir ensuite ?

M. Antoine Karam. - Nombre de TPE ont déposé le bilan. Des mesures dérogatoires ont été prévues dans l'accord du 21 avril, qui devraient sauver certaines entreprises. En Guadeloupe en 2009, la crise avait duré trois mois, et avait été fatale à beaucoup d'entreprises.

M. Olivier Cadic. - Que des matières premières importées du Brésil par la Guyane doivent transiter par Le Havre laisse pantois. Oui, mieux vaut investir pour développer la croissance plutôt que maintenir le territoire dans la dépendance à l'égard de l'hexagone. Cela vaut pour tous les outre-mer. Aujourd'hui, notre pays n'a plus la taille critique pour aborder tous les problèmes, dans le monde entier. L'expérience menée en Nouvelle-Calédonie est très intéressante : Nouméa est doté d'une délégation aux relations internationales. La Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Zélande travaillent ensemble de façon constructive. Une telle proposition pourrait faire partie de vos préconisations.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Cela soulève la question du statut de la Guyane.

M. Olivier Cadic. - Il y a là un enjeu important. Cessons de remonter toujours à Louis XIV, à Versailles. Un réseau ne fonctionne pas forcément avec un pilote unique : c'est le modèle de la toile qu'il faut retenir, mais ce n'est pas facile à faire entendre dans un Etat jacobin.

M. Antoine Karam. - C'est triste à dire mais, chaque fois que quelque chose a été obtenu, c'est la rue qui l'a arraché à l'État. Cela décrédibilise les élus. Le colbertisme demeure si fort que seules des pressions intenses peuvent en avoir raison. Je suis élu depuis quarante ans, j'en ai appelé au bon sens de tous les gouvernements de la République ! C'est par les larmes et le sang que la Nouvelle-Calédonie a fini par progresser : malgré la poignée de mains entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, ce dernier a été finalement assassiné...

En général, ce sont des technocrates qui prennent les décisions dans des bureaux parisiens. Pourtant, vous avez vu nos concitoyens sur place, ce ne sont pas des fous furieux, des égorgeurs !

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous avons eu des interlocuteurs parfaitement responsables.

M. Antoine Karam. - Je suis un modéré, je n'ai jamais déclenché de révolution. Mais on ne comprend pas cela à Paris. L'actuel président est venu deux fois en Guyane, j'espère qu'il arrivera à des résultats... mais son ministre de l'écologie veut mettre fin à tout permis de prospection offshore. La réponse est politique et statutaire, il faut nous donner les moyens de respirer, d'échanger et de signer des accords avec nos voisins, en particulier avec le Brésil, qui considère la Guyane presque comme son vingt-huitième Etat. Il est dommage que les fruits et légumes que nous faisons venir transitent par Rungis...

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - La France s'inscrit dans l'espace européen ; la Guyane, dans l'espace sud-américain. Ce sont deux mondes différents, il faut mettre en place des dérogations, sinon la compétitivité des entreprises guyanaises est compromise d'emblée.

Mme Sophie Primas. - Je m'étais rendue en Guyane pour deux jours, pour le lancement d'Ariane, et ce qui a été décrit aujourd'hui, je l'ai ressenti : deux mondes, des disparités, un bouillonnement de la jeunesse, une terre riche de potentiel... Nous serons à vos côtés pour le faire advenir.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci encore à M. Karam.

Un mot des immersions en entreprises effectuées par certains de nos collègues : Mme Vivette Lopez s'est rendue chez Vacances Léo Lagrange, entreprise de tourisme social et familial, du 4 au 6 septembre à Marseille ; Mme Patricia Schillinger les 11 et 12 septembre chez le groupe Colin, PME agroalimentaire dans le Bas-Rhin ; Mme Annick Billon, chez Armor à Nantes, les 6 et 7 septembre.

Concernant le sujet de la simplification pour les entreprises sur lequel nous travaillons au long cours, vous avez reçu plusieurs textes que nous nous apprêtons à déposer et qui traduisent les préconisations qu'Olivier Cadic et moi-même vous avions faites dans notre rapport Simplifier efficacement pour libérer les entreprises, adopté par la délégation en février dernier. Il s'agit d'abord d'une proposition de loi constitutionnelle qui obligerait à compenser toute aggravation par la loi des charges pesant sur les entreprises. Nous vous soumettons aussi une proposition de loi organique modifiant la loi organique de 2009 relative aux études d'impact accompagnant les projets de loi, afin de recentrer les études d'impact sur l'essentiel : l'évaluation des coûts induits pour les entreprises et les collectivités territoriales, et l'apport en termes de simplification. Ainsi recentrée, l'étude d'impact pourrait faire l'objet d'un meilleur contrôle par le Conseil constitutionnel. Une proposition de loi simple vise ensuite à reconduire le Conseil de la simplification pour les entreprises, qui a été institué par décret en 2014 et qui a pris fin en juin 2017. Nous renouvelons ses missions et sa composition, afin qu'il assure une contre-expertise par rapport aux études d'impact produites par l'administration. Ce Conseil de la simplification pour les entreprises, transformé, ferait l'objet d'un bilan après trois années d'activité pour, le cas échéant, être rapproché du Conseil national d'évaluation des normes, compétent sur les normes applicables aux collectivités territoriales. La proposition de loi introduit aussi le principe selon lequel toute disposition de nature règlementaire ne peut être modifiée à plus d'une reprise au cours d'une législature, sauf cas spécifique. Elle sécurise enfin le contrôle fiscal.

Enfin, une proposition de résolution relative à la simplification des normes entravant la vie économique appelle à de profonds changements dans la production de la norme réglementaire, afin de favoriser réellement la simplification normative et d'encourager pleinement la vie économique du pays.

Je remercie déjà ceux d'entre vous qui ont fait part de leur souhait de les cosigner. Vous pouvez encore le faire jusqu'à demain 18 heures.

Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé lancer une large concertation en octobre sur le projet de loi relatif aux entreprises, que le ministre de l'Économie et des finances, M. Bruno Le Maire, annonce pour 2018. Le texte devrait comprendre six volets : création, croissance et transmission ; financement des entreprises ; simplification et sécurisation des relations entre les entreprises et l'administration ; conquête de l'international ; numérisation et innovation ; formation initiale et continue. Il est prévu que chacune de ces thématiques fasse l'objet d'un groupe de travail, copiloté par un chef d'entreprise et un parlementaire.

Tous ces sujets étant au coeur de la mission de notre délégation, il serait naturel qu'elle s'investisse en amont sur ce texte. J'ai adressé il y a quinze jours un courrier au président Larcher en ce sens, faisant valoir les travaux que nous avons déjà menés, notamment en matière de simplification, de transmission et d'apprentissage, et proposant d'organiser des réunions de terrain avec des entreprises, autour des grands thèmes du projet de loi.

Toutes ces annonces faites, je clos la dernière réunion de notre délégation pour cette mandature...

La réunion est close à 16 h 10.