Mercredi 8 mars 2017

- Présidence de M. Henri Cabanel, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition conjointe de Mme Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD), M. Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au CGDD et M. Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer

M. Henri Cabanel, président. - Nous poursuivons les auditions de notre mission d'information en recevant ce matin deux entités du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer : Mme Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD), et M. Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM).

La mission d'information s'interroge sur l'efficacité et la légitimité des décisions publiques. Elle a choisi d'examiner des cas concrets, parmi lesquels figurent les conditions de conception et de réalisation des infrastructures. Pourquoi les procédures sont-elles si longues et, parfois, n'aboutissent-elles pas ? Comment les simplifier tout en incitant le public à donner son avis sur ces projets structurants pour l'aménagement de notre territoire et en évitant les situations de blocage ?

L'audition de ce matin nous permettra de poursuivre notre travail sur ces différents points : ancienne vice-présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), Mme Monnoyer-Smith a participé à la rédaction des deux ordonnances du 3 août 2016 sur la démocratie environnementale et les fonctions de M. Hersemul l'amènent, au quotidien, à participer à la création d'infrastructures routières.

Enfin, je vous informe que cette audition est ouverte au public et à la presse et fera l'objet d'un compte rendu écrit.

Madame la commissaire, monsieur le directeur, je vous propose d'intervenir à titre liminaire pour quelques minutes. Je donnerai ensuite la parole à M. le rapporteur, Philippe Bonnecarrère, puis à l'ensemble de nos collègues pour qu'ils puissent vous poser toutes leurs questions.

Mme Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD). - Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation.

Je m'exprimerai à titre liminaire en ma qualité de commissaire générale au développement durable, mais informée par mon expérience au sein de la Commission nationale du débat public (CNDP).

J'évoquerai tout d'abord l'impact sur les grandes infrastructures de transport de l'ordonnance du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement.

En l'espèce, cette ordonnance « participation » implique peu de changements pour les grandes infrastructures. Je rappelle qu'aujourd'hui, les enjeux concernent moins la réalisation de nouveaux équipements, qui était autrefois une priorité, que la modernisation de l'équipement existant.

S'agissant des infrastructures soumises à débat public, le décret prévu pour l'application de cette ordonnance - qui est actuellement en discussion devant le Conseil d'État - ne comporte que des modifications mineures. J'en citerai deux : entrent désormais dans le périmètre de saisine de la CNDP l'élargissement des autoroutes -et non plus seulement leur création - ainsi que des équipements se situant dans le périmètre de ces infrastructures.

Par ailleurs, l'ordonnance du 3 août 2016 introduit une procédure de conciliation entre les différentes parties prenantes à la création d'une infrastructure. Cette procédure sera menée par la CNDP, mais ne pourra être activée que si l'ensemble des parties prenantes le demandent conjointement.

L'ordonnance précitée comporte également quelques mesures de simplification. Par exemple, un projet prévu dans le cadre d'un plan ou d'un programme ayant déjà donné lieu à un débat public ne sera pas systématiquement soumis à cette dernière procédure : il pourra faire l'objet d'une simple concertation préalable, sous l'égide de la CNDP. Dans ce cas précis, en effet, l'opportunité du projet peut ne pas être débattue de la même façon, puisqu'elle aura déjà été discutée dans le cadre du plan ou du programme.

De plus, la CNDP pourra être saisie par 10 000 citoyens dans le cadre d'un droit d'initiative citoyen.

Enfin, après une procédure de débat public organisée par la CNDP, un garant sera désigné par cette dernière de manière encore plus systématique, afin de poursuivre la concertation tout au long de la procédure, et ce jusqu'à l'enquête publique.

Le dispositif de concertation préalable que nous avons mis en place n'ajoute pas d'exigence complémentaire pour les projets entrant déjà dans le champ de la CNDP. Les projets qui font l'objet d'une étude d'impact environnementale seront soumis à cette concertation préalable. Leur nombre a toutefois vocation à diminuer du fait de la récente modification du périmètre de l'évaluation environnementale. De surcroît, les projets concernés par cette obligation de concertation préalable devront être financés par des fonds publics, à hauteur de 10 millions d'euros, selon le projet de décret en cours d'examen devant le Conseil d'État.

En conclusion, concernant la phase de concertation préalable sur les grandes infrastructures, l'impact de l'ordonnance « participation » du 3 août 2016 est extrêmement limité, d'autant que la commande du Président de la République, exprimée lors de la conférence environnementale de novembre 2014, visait principalement les petits projets comme celui de Sivens qui, du fait des montants engagés, pouvaient échapper à toute procédure de concertation.

La deuxième partie de cette ordonnance vise, en aval de la concertation, la poursuite de la modernisation des enquêtes publiques. Elle s'inscrit dans le prolongement de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement qui avait déjà pour objet d'opérer un certain nombre de simplifications et de répondre à certaines critiques émises à l'encontre des enquêtes publiques. Je citerai notamment parmi les apports de cette loi la création de l'enquête publique unique, la possibilité de suspendre l'enquête ou d'effectuer une enquête complémentaire, sans nécessité de nommer un nouveau commissaire enquêteur. Je mentionnerai également la possibilité de dessaisir le commissaire enquêteur ou de réviser régulièrement les listes départementales des commissaires enquêteurs.

Il a ainsi été question, avec l'ordonnance « participation » du 3 août 2016, de parachever le processus de modernisation des enquêtes publiques, en se focalisant essentiellement sur la dématérialisation. Cette dernière est en effet propice à une plus large participation de nos concitoyens, dont certains peuvent éprouver des difficultés pour se déplacer, rencontrer les différents intervenants ou avoir accès aux dossiers des enquêtes publiques. À l'heure du numérique, ces mesures nous semblent donc indispensables.

En outre, l'enquête publique peut être réduite à quinze jours pour les projets qui ne sont pas soumis à une évaluation environnementale.

La possibilité d'organiser une enquête publique unique est renforcée et peut porter, dans un souci d'éviter une multiplication d'enquêtes pour un même projet.

De nombreux groupes de travail ont participé à la rédaction de cette ordonnance du 3 août 2016, en examinant notamment l'opportunité ou non de maintenir systématiquement les enquêtes publiques. Ils ont d'abord considéré que la durée de l'enquête publique avait une incidence relativement limitée sur la durée des procédures, qui peuvent être extrêmement longues. Ils ont ensuite estimé que la présence du commissaire enquêteur, jouant ce rôle de tiers garant extérieur au projet, était un gage de transparence et constituait un élément important pour la légitimité et la qualité du travail de concertation

La réflexion a été très nourrie à ce sujet. Votre mission d'information a entendu différents acteurs concernés, dont votre collègue sénateur Alain Richard. Pour notre part, nous avons produit plusieurs rapports successifs avant l'élaboration de cette ordonnance. Un travail de concertation extrêmement important a été mené, par l'intermédiaire du Conseil national de la transition écologique, auprès de l'ensemble des parties prenantes, promoteurs, associations, etc.

Nous en avons conclu qu'il était temps de stabiliser le droit applicable, après la réforme de l'évaluation environnementale et de la participation du public, ou encore la création de l'autorisation environnementale unique. Nous devons maintenant aider et accompagner les services déconcentrés de l'État pour appliquer ces ordonnances et mettre en place les outils nécessaires. À ce propos, nous avons beaucoup travaillé à la réalisation de formations spécifiques. Les services déconcentrés de l'État ont dû, quant à eux, se réorganiser de façon importante.

C'est pourquoi il nous paraît sage d'appliquer les textes existants, de favoriser les bonnes pratiques et de partager les expériences. Les maîtres d'ouvrage eux-mêmes réclament une certaine stabilité législative et réglementaire en vue d'une bonne assimilation de ces réformes, de gains de temps et d'une meilleure gestion des coûts induits. Il est important que les nouvelles mesures de simplification se traduisent dans les faits, avant toute nouvelle évaluation ou retour d'expérience. Il nous sera ensuite possible de modifier les textes.

Les groupes de travail que j'ai mentionné ont donné lieu à d'âpres discussions et ont permis d'aboutir à un certain nombre de compromis fondés sur des bases relativement solides. Nous ne souhaitons pas les modifier de manière substantielle ; nous préférons accompagner l'ensemble des services et collectivités territoriales en leur qualité de maîtres d'ouvrage, ainsi que les acteurs privés qui devront se soumettre aux nouvelles règles.

Comme cela a été souligné dans le rapport de la commission présidée par Alain Richard, il est important de développer une culture de la participation du public, un savoir-faire, qui ne figurent pas forcément dans les textes. Au demeurant, nous avons collectivement travaillé à l'établissement d'une charte de la participation publiée en octobre 2016. Celle-ci repose, certes, sur le volontariat, mais elle a vocation à accompagner les maîtres d'ouvrage, dont la majorité d'entre eux mettent en oeuvre de bonnes pratiques. Même si nous nous focalisons beaucoup sur les échecs, de nombreux projets d'infrastructure aboutissent et témoignent de la bonne volonté des acteurs concernés. Cette charte a vocation à constituer une communauté de bonnes pratiques, de comportements positifs, de favoriser l'écoute et les échanges en vue de trouver des solutions concrètes. J'ai mobilisé l'ensemble de mes services pour qu'ils s'inscrivent dans une démarche d'accompagnement, à mes yeux plus opportune qu'une évolution de la réglementation.

M. Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). - Mon point de vue sera celui de l'utilisateur des textes applicables. La DGITM ou ses opérateurs sous tutelle, Voies navigables de France et SNCF Réseau par exemple, ont une longue expérience de la concertation du public.

Après un bref rappel de l'historique de la concertation, j'évoquerai le déroulement habituel des études de conception et des procédures de participation de nos projets ainsi que les implications assez faibles de l'ordonnance « participation » du 3 août 2016 sur les démarches déjà mises en place. Je conclurai en faisant le point sur les calendriers et la durée moyenne d'avancement des opérations.

La première circulaire relative à la participation du public dans la conception des infrastructures de transport a été prise en 1992 par Jean-Louis Bianco, alors ministre de l'équipement. Ont ensuite été adoptées la loi du 28 février 2002 ratifiant la convention d'Aarhus et la loi « démocratie de proximité » du 27 février 2002 qui a créé de la Commission nationale du débat public (CNDP) telle que nous la connaissions jusqu'à aujourd'hui. Tous les porteurs de grands projets d'infrastructures ont vécu ces évolutions successives avec, je le crois, l'intime conviction que la concertation du public est un élément vital pour la réussite de la conduite du projet.

D'ailleurs, depuis fort longtemps, le code de l'urbanisme impose une concertation, dans la partie urbanisée des communes, pour les projets routiers d'un certain montant. Les directions départementales de l'équipement (DDE) avaient bien pris l'habitude d'utiliser cette concertation, y compris dans des zones où elle n'était pas réglementairement obligatoire, car cet outil paraissait important pour la connaissance des enjeux liés au territoire visé, la détection des blocages éventuels au projet et l'amélioration de celui-ci.

Comment sont conçus, aujourd'hui les projets d'infrastructures ? Quelles sont les procédures de participation du public ? J'évoquerai principalement les infrastructures routières, mais ces éléments peuvent aussi s'appliquer au ferroviaire, sous réserves de quelques différences juridiques.

En amont, c'est-à-dire avant l'enquête d'utilité publique, nous menons des études d'opportunité qui se déroulent en deux phases, conformément à une instruction technique et à une instruction gouvernementale d'avril 2014. Pour chaque projet, une commande est passée par l'administration centrale auprès du service déconcentré concerné.

La première phase des études d'opportunité a pour but de vérifier, très en amont, la pertinence du projet et de dégager ses modalités de réalisation.

Dès lors qu'il s'agit de projets importants - qui sont la plupart du temps référencés par le programme « Mobilité 21 » - la Commission nationale du débat public est saisie. Cette saisine est assortie de l'organisation, ou non, d'un débat, de la constitution d'un dossier par le maître d'ouvrage, de la désignation d'une commission particulière du débat public, chargée de l'animation du débat et de l'élaboration du compte rendu, le bilan étant dressé, quant à lui, par le président de la CNDP. Surtout, à l'issue de ce débat, la maîtrise d'ouvrage rend une décision sur les suites qu'elle envisage de donner à son projet.

Lorsque les projets sont moins importants et qu'ils ne sont donc pas soumis à la Commission nationale du débat public, il est néanmoins préconisé dans l'instruction technique d'engager une concertation préalable qui, dans cette phase très en amont, est à géométrie variable : a minima, il est demandé aux services de procéder à une concertation institutionnelle, sous la conduite du préfet, avec les élus, les collectivités territoriales et les associations représentatives locales ; mais la concertation peut également être plus ouverte au public et s'apparenter à l'étude de la seconde phase.

Cette seconde phase débute dès qu'est retenue l'opportunité d'avancer sur un projet. Il s'agit de préparer le choix du projet qui sera soumis à l'enquête publique ; il convient ainsi de préciser les enjeux de l'opération, de présenter plusieurs familles de solutions répondant aux enjeux, de définir les objectifs et les éléments de programmes permettant de choisir la solution privilégiée pour l'enquête publique. Bien évidemment, ce choix est proposé au public sous la forme d'une analyse « multicritères » des différentes solutions étudiées. Cette phase existe aussi pour les grands projets, en général dans le cadre d'une concertation avec garant que la Commission nationale du débat public recommande à l'issue du débat public initial.

La concertation mise en oeuvre par les services instructeurs a lieu pendant toute la durée des études. Elle est indispensable pour asseoir l'acceptabilité du projet, car elle permet d'informer régulièrement l'ensemble des acteurs. Elle constitue aussi une opportunité, pour le maître d'ouvrage, d'approfondir sa connaissance des enjeux et des contraintes liés au projet.

Cette concertation préalable s'inscrit clairement dans les obligations de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 et de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Elle présente donc, à nos yeux, un certain nombre de garanties, en répondant à une démarche d'information du public, mais aussi en assurant le recueil d'informations et de propositions. Elle s'appuie sur un dossier de concertation qui permet notamment de rappeler le cadre juridique du projet, ses objectifs, les modalités de la consultation, les enjeux du territoire, les objectifs du projet, les différentes solutions et l'analyse que nous avons conduite sur la solution préférentielle. Dans nos instructions, il est recommandé aux services de ne pas engager de concertation inférieure à un mois. Cette concertation fait l'objet d'un bilan, lui aussi formalisé, qui doit être joint à l'enquête d'utilité publique.

Dans la pratique, cette concertation peut s'inscrire dans trois cadres juridiques différents : la concertation avec garant recommandée par la Commission nationale du débat public sur les grands projets à l'issue d'un débat public, la concertation au titre de l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme ou, tout simplement, au titre de l'article L. 121-16 du code de l'environnement qui permet, de fait, de dupliquer la concertation relevant de l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme sur un territoire non urbanisé.

Après cette phase préalable, un travail important est nécessaire, pour lequel les efforts de concertation restent souhaitables jusqu'à la constitution du dossier de l'enquête publique à partir du projet retenu.

Compte tenu des éléments que je viens de vous décrire, je vous confirme, comme madame la commissaire générale au développement durable, les effets assez limités de l'ordonnance « participation » sur les modalités de la conduite de la concertation des grands projets d'infrastructures. La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) a d'ailleurs été étroitement associée, aux différents travaux ayant permis l'aboutissement de cette ordonnance. Les évolutions ont déjà été évoquées par madame la commissaire générale au développement durable. S'agissant du débat public, figure désormais dans les dossiers soumis à la CNDP ou portés à sa connaissance, la notion d'élargissement des autoroutes et des voies express. De plus, cette commission peut être saisie par 10 000 citoyens.

Enfin, la concertation avec garant après le débat public est systématisée, ce qui ne changera pas fondamentalement les choses, puisque d'une manière générale, la CNDP recommandait la présence de ce garant.

Pour le reste, un dispositif de concertation sera obligatoire pour tous les projets soumis à étude d'impact environnementale. À la marge, cela signifie peut-être que des projets, qui ne semblaient pas nécessiter une concertation très poussée mais dont le coût ou l'impact environnemental n'est pas négligeable, pourraient être concernés par le dispositif. Au demeurant, avec la modification du périmètre des dossiers soumis à étude d'impact, cette mesure devrait être assez marginale.

La déclaration d'intention par les maîtres d'ouvrage et l'exercice du droit d'initiative par les citoyens méritent une attention particulière car ils pourraient encourager les maîtres d'ouvrage à choisir systématiquement une concertation avec garant, y compris pour les opérations non soumises à débat public. Concrètement, il s'agirait ainsi d'éviter de perdre du temps avec une première concertation sans garant et d'être contraint d'engager une nouvelle obligation de concertation sous l'effet de l'initiative citoyenne.

En revanche, l'allongement de cinq à huit ans du délai de validité du débat public, c'est-à-dire du délai qui peut séparer le débat du lancement de l'enquête publique, est positif eu égard au cycle de vie réel des projets.

Le dispositif de l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme nous semble à la fois souple et efficace. Les services le maîtrisent très bien. La question des redondances entre le code de l'environnement et le code de l'urbanisme est souvent posée : nous sommes persuadés qu'elles ne sont pas défavorables à la compréhension des textes.

J'évoquerai, enfin, la durée de conception et de réalisation des grands projets d'infrastructure soumis à débat public. J'ai examiné dix projets ferroviaires et sept projets routiers ; certains ont déjà été mis en service, d'autres le seront bientôt ou à une date encore indéterminée.

Pour les projets ferroviaires, le délai moyen entre la fin du débat public et la mise en service des équipements est de vingt ans ; en moyenne, onze ans séparent la fin du débat public de l'obtention de la déclaration d'utilité publique (DUP), après quoi il faut encore neuf ans jusqu'à la mise en service.

Les projets routiers sont réalisés de manière un peu plus rapide : il se passe en moyenne seize ans entre la fin du débat public et la mise en service, dont neuf ans entre le débat public et la DUP. Le projet dont l'accomplissement aura été le plus rapide est la mise au statut autoroutier de la route Centre-Europe Atlantique ; le débat public a eu lieu en 2011, la DUP est attendue cette année, et on espère l'achèvement du projet à la fin de 2021, ce qui représentera un délai de onze ans.

Au-delà de ces grands projets, la variété des situations est telle qu'il est délicat de dresser une statistique. L'élargissement de la rocade de Bordeaux a fait l'objet d'une concertation selon les modalités de l'article L. 103 -2 du code de l'urbanisme en 2014 ; les travaux doivent commencer ce mois-ci, soit trois ans seulement après la concertation publique. À l'inverse, certains projets dont la DUP a été obtenue au début des années 2000 ne sont toujours pas entrés dans la phase de construction.

Les procédures de concertation sont indispensables à l'avancement des projets, et ne les retardent pas significativement ; les difficultés politiques et financières, mais surtout le nombre considérable et croissant de règles auxquelles les projets sont soumis jouent un rôle bien plus important. Je fais notamment référence à la contre-expertise socio-économique des investissements de l'État par le Commissariat général à l'investissement - prévue depuis 2013 - et l'avis de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) sur les concessions d'autoroute.

Par ailleurs, le renforcement de l'attention portée à l'environnement et à la biodiversité - dont témoigne la démarche « éviter, réduire, compenser », à laquelle nous adhérons sans réserve - augmente les difficultés : il est parfois très difficile de trouver le moyen de compenser plusieurs centaines d'hectares de boisement affectés par un projet. Des projets anciens se trouvent plus difficiles à mener par l'apparition de ces nouvelles règles.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Les élus locaux sont persuadés qu'on les fait vivre dans un monde kafkaïen. Au fil des ans, des couches supplémentaires de procédure se sont empilées, compliquant les projets de création d'infrastructures ou de grands équipements publics. Partagez-vous ce constat ?

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Il est indéniable que l'attention portée aux impacts environnementaux, mais aussi les engagements internationaux et européens pris par la France ont conduit à considérablement augmenter, au cours de ces quinze dernières années, le nombre d'autorisations nécessaires à la réalisation d'un projet. Nous sommes amenés à développer des méthodologies pour comprendre les effets de seuil produits par les impacts cumulés des différentes normes applicables.

L'administration n'a pas tout à fait pris la mesure de la nécessité d'internaliser cette complexité. En effet, nous avons largement fait reposer ces demandes supplémentaires sur la maîtrise d'ouvrage. Une autorisation administrative dépend de différents services au sein de l'administration ; or chaque service définit le périmètre des documents qu'il demande à la maîtrise d'ouvrage. Nous devons rendre ce processus moins complexe et plus transparent pour faciliter les démarches du maître d'ouvrage. Un système d'information plus performant est nécessaire. En règle générale, on demande plusieurs fois les mêmes documents au maître d'ouvrage, ce qui est ressenti comme un « harcèlement administratif ». Nous nous sommes attelés à la tâche sur ce point. La France s'est engagée, dans le cadre du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO), pour la mise à disposition des études d'impact réalisées par les maîtres d'ouvrage, ce qui bénéficiera à tous. Notre démarche va plus loin encore : nous entendons mettre en relation de très nombreuses bases de données, pour que, lors de l'enquête publique, tous les documents pertinents soient disponibles sous format numérique, ce qui éviterait à l'administration de les demander à nouveau au maître d'ouvrage. Cela suppose de créer des liens entre de nombreux services au sein du ministère.

De la même manière, la séquence « éviter, réduire, compenser » représente une charge importante pour la maîtrise d'ouvrage, même s'il s'agit d'une nécessité environnementale. Nous mettons actuellement en place une grande plateforme qui cartographiera l'ensemble des lieux pour lesquels la compensation est mise en place ; elle doit ouvrir fin 2017.

On assigne trop souvent à la concertation une responsabilité qui n'est pas véritablement la sienne, que ce soit par facilité - parce que c'est la dernière obligation en date - ou encore parce qu'il s'agit d'un catalyseur de contestations. Néanmoins, il me semble que, si nous parvenions à soulager la maîtrise d'ouvrage sur le plan des procédures administratives, les crispations ressenties envers la concertation diminueraient.

L'ordonnance « participation » du 3 août 2016 permettra la mise en cohérence des processus de concertation. Un travail de simplification plus poussé n'en reste pas moins nécessaire. Cela nécessitera des moyens conséquents, car les infrastructures informationnelles sont onéreuses à mettre en place ; néanmoins, l'internalisation de cette complexité par l'administration peut aussi conduire à des gains substantiels pour la maîtrise d'ouvrage.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - A raison, vous avez mentionné, madame la commissaire générale, les responsabilités supplémentaires qui sont imposées au maître d'ouvrage. La maîtrise d'ouvrage est parfois faible ou déléguée, ce qui empêche de savoir clairement qui prend réellement les décisions. Cela est vrai pour des opérations menées tant par des collectivités territoriales que par l'État. En effet, il arrive que ce dernier ne soit en réalité qu'un « faux » maître d'ouvrage : il porte des opérations demandées par les élus locaux sans être pour autant en mesure de les financer par les voies classiques, ce qui donne lieu à des délégations ou à des concessions. A contrario, j'ai pu observer, dans le cas de la Société du Grand Paris, une maîtrise d'ouvrage très forte, bénéficiant d'un réel consensus politique et de procédures dérogatoires.

Comment mener des procédures de concertation exigeantes tout en renforçant le maître d'ouvrage? Au risque de caricaturer, je poserai aussi la question suivante : ne faudrait-il pas, pour débloquer la situation, systématiser, pour certains projets, les législations ad hoc comme celle applicable à la Société du Grand Paris? En somme, qu'est-ce qu'une bonne maîtrise d'ouvrage aujourd'hui ?

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Les maîtrises d'ouvrages sont extrêmement hétérogènes, et les maîtres d'ouvrage sont parfois désarçonnés face à la complexité des projets. Plusieurs cas peuvent se présenter. Certains maîtres d'ouvrage n'ont pas d'expérience, ou très peu ; la Commission nationale du débat public (CNDP) a mis en place un accompagnement pour les aider à constituer le dossier de maîtrise d'ouvrage. Si cela ne concerne que les projets qui entrent dans le champ de la CNDP, les résultats sont globalement positifs, hormis les cas d'insincérité flagrante des maîtres d'ouvrage qui ne souhaitent pas une concertation réelle avec la population.

Les projets plus modestes qui ne relèvent pas de la Commission nationale du débat public sont plus problématiques. Il faudrait que les maîtres d'ouvrage de ces projets bénéficient d'un meilleur conseil. Je rappelle d'ailleurs, qu'au cours des quinze dernières années, on a observé une professionnalisation croissante des cabinets de conseil spécialisés dans la concertation avec le public.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Vous voyez dans cette professionnalisation des prestations de conseil un point fort ; pour ma part, j'y vois un affaiblissement de la maîtrise d'ouvrage.

Qu'il s'agisse d'une délégation ou d'une convention d'assistance à maîtrise d'ouvrage, l'élu perd en capacité de pilotage, et il n'y a plus de portage politique. La complexité des procédures conduit donc à un affaiblissement du maître d'ouvrage. Tel n'était pas le cas quand l'État pilotait l'ensemble de ces procédures pour son compte ou celui des collectivités territoriales.

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Nous n'avons pas étudié les problèmes posés par l'évolution de la réglementation dans ce domaine. Je suis très sensible à la nécessité d'une vraie réflexion avec les maîtres d'ouvrage avant de faire évoluer encore les textes.

Le statut d'opération d'intérêt national (OIN) ne peut être appliqué qu'à de très gros projets. L'arsenal juridique nécessaire existe pour ceux-ci ; peut-être faudrait-il imaginer de nouveaux dispositifs d'appui aux petits maîtres d'ouvrage.

M. Michel Hersemul. - La maîtrise d'ouvrage est aujourd'hui un exercice compliqué qui nécessite des compétences et des moyens financiers spécifiques.

Sur le domaine routier national, nous ne constatons pas un retrait de l'État. Sa maîtrise d'ouvrage s'exerce jusqu'à la déclaration d'utilité publique, même en cas de future concession de l'ouvrage à une société privée. C'est l'État qui conduit les débats publics, les concertations préalables et les déclarations d'utilité publique des autoroutes concédées. Le concessionnaire n'intervient qu'après l'appel d'offres, pour la réalisation des travaux. Une stabilisation des textes favoriserait évidemment leur appropriation par des maîtrises d'ouvrage moins dotées financièrement ou moins organisées. L'ordonnancement des procédures est trop souvent négligé par des maîtrises d'ouvrage faibles. Un bureau de conseil capable d'expliquer les démarches nécessaires au directeur des services techniques d'une collectivité territoriale ne peut que faciliter l'aboutissement effectif du projet.

Quant aux opérations d'intérêt national (OIN), ce qui est exceptionnel doit le rester. Le modèle de la Société du Grand Paris ne peut être appliqué à chaque projet.

M. Philippe Rogier, sous-directeur de l'intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques au commissariat général au développement durable. - Il me semble intéressant d'aborder les expérimentations relatives aux autorisations environnementales uniques. L'importance d'un accompagnement adapté des maîtres d'ouvrage durant la phase « amont » en est ressortie, notamment pour les porteurs de projet sans expérience préalable. Il faut que les services de l'État s'organisent pour répondre aux demandes des maîtres d'ouvrage d'une manière adaptée à leurs besoins, que ce soit en leur expliquant le déroulement des procédures, en les aidant à monter leur dossier ou, pour des porteurs de projet beaucoup plus organisés, en convenant d'un calendrier de déroulement des opérations. Ainsi, l'État pourrait internaliser une partie de la complexité des différentes procédures administratives, de façon à ce que le porteur de projet appréhende au mieux les procédures auxquelles il est soumis.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Ne surestimons pas la capacité de l'État à accompagner ces porteurs de projet sur nos territoires ! L'ingénierie est devenue une denrée rare depuis que l'État l'a remontée à l'échelon régional, voire national.

Je souhaite revenir sur les différences, dans un projet, entre les procédures « amont » et « aval ». Le renforcement des procédures en amont, notamment des débats publics et des concertations préalables, est évident. En revanche, il n'y a pas eu, me semble-t-il, d'allégement des procédures en aval, et notamment des enquêtes publiques. Il devrait pourtant y avoir une logique d'équilibre des efforts. Quels seraient, selon vous, les moyens de simplifier les procédures en aval?

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Ce sujet a fait l'objet d'âpres discussions au sein de la commission présidée par votre collègue Alain Richard. Plusieurs facteurs expliquent pourquoi nous sommes aussi peu intervenus sur les procédures en aval.

Le premier facteur est le délai des procédures. Il se passe souvent plusieurs années entre l'élaboration d'un projet et l'enquête publique. On voit mal, dès lors, comment on pourrait se passer de cette dernière, qui constitue une procédure de concertation en aval. Second facteur, les enquêtes publiques ont été réformées en 2010 puis par l'ordonnance « participation » du 3 août 2016; il est donc un peu tôt pour faire encore évoluer la réglementation sur ce point.

En revanche, grâce à la dématérialisation des enquêtes publiques, des procédures plus courtes et plus légères peuvent être mises en place. L'ingénierie de la participation en ligne fonctionne aujourd'hui relativement bien. La Compagnie nationale des commissaires enquêteurs a conscience de la nécessité de s'équiper et de se former à ces évolutions technologiques.

Il faut reconnaître qu'il est possible, aujourd'hui, d'adapter les procédures de concertation et d'enquête publique de manière à ce qu'elles correspondent mieux aux enjeux réels. On a parfois besoin d'une procédure lourde, notamment quand il s'agit d'un projet contesté ; dans d'autres cas, les procédures peuvent être plus souples. D'un point de vue juridique, cette souplesse existe ; il faut simplement qu'elle soit activée.

Par ailleurs, le droit communautaire nous oblige à mettre en place des procédures de concertation. Les procédures minimales comme la procédure supplétive, qui prévoit une consultation en ligne de quinze jours, ne sont pas très lourdes. Les supprimer aurait créé un problème au regard de la réglementation européenne, mais aurait aussi envoyé un signal extrêmement contestable sur le plan du droit de l'environnement, alors que le problème est plutôt dans la complexité interne de la procédure d'autorisation.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Les citoyens comprennent-ils les documents du dossier d'enquête publique ? Certes, la transparence doit être totale mais ces documents restent très complexes. La réalisation systématique d'un résumé pédagogique et non technique du projet en 10 ou 20 pages serait-elle possible ?

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - C'est non seulement possible, mais indispensable, à l'heure où, avec Internet, l'information circule aisément.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Ce résumé dans le dossier d'enquête publique doit-il être rédigé par le commissaire enquêteur ou par le maître d'ouvrage ?

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Le rôle du commissaire enquêteur est d'aider le maître d'ouvrage à fournir un tel résumé, comme lorsque la CNDP le fait pour élaborer le dossier, pour construire et rendre intelligibles les documents de communication. C'est le rôle que doit jouer le commissaire enquêteur et que, par le passé, il n'a pas suffisamment rempli. Il est à l'évidence nécessaire d'insister pour qu'un tel résumé soit disponible en ligne sur une plateforme dédiée !

M. Philippe Rogier. - L'autorité environnementale a aussi, en la matière, son rôle à jouer : elle doit veiller à ce que le résumé non technique de l'étude d'impact soit non seulement complet, mais aussi compréhensible par le grand public. Bien souvent, le grand public ne lit que ce document ! L'un des rôles de l'autorité environnementale est de veiller à la lisibilité de ce document au moment de l'enquête publique. Le maître d'ouvrage le rédige, mais en suivant les recommandations de l'autorité environnementale.

Par ailleurs, les textes en vigueur prévoient que, lors de l'enquête publique, les documents doivent être accessibles par Internet, mais aussi, en un lieu au moins, en version papier. Enfin, un poste informatique dédié doit être aménagé dans un lieu public.

Depuis la réforme d'août 2016, lorsque plusieurs communes sont concernées par une enquête publique, il est autorisé que l'une d'entre elles seulement conserve le dossier complet, le résumé non technique étant disponible en ligne. Cette souplesse évite d'avoir à rendre accessible dans chaque commune un dossier illisible.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Vous évoquez l'autorité environnementale. Commissariat général au développement durable, autorité environnementale : s'agit-il de deux instances distinctes ?

M. Philippe Rogier. - La fonction d'autorité environnementale, qui donne un avis sur les études d'impact, est exercée par le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), qui est un service d'inspection ministérielle.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - N'avez-vous pas le sentiment que, par l'avis de l'autorité environnementale et celui du commissariat général à l'investissement, l'État est parvenu à verrouiller de nouveau les dispositifs de réalisation d'infrastructures sur le territoire, revenant aux temps anciens ? Ces procédures sont, en outre, non contradictoires.

M. Michel Hersemul. - L'avis du commissariat général à l'investissement ne s'applique qu'aux investissements de l'État, et non aux opérations des collectivités territoriales. Seul l'avis de l'autorité environnementale est donc en question s'agissant de ces dernières.

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - La question de l'indépendance de l'autorité environnementale a fait l'objet d'âpres discussions ces deux dernières années. Notre exigence, en l'espèce, est extrêmement forte, conformément à l'avis motivé émanant de la Commission européenne.

Le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), autorité environnementale responsable des projets nationaux, travaille en toute indépendance, même si, depuis le point de vue de Sirius, on peut toujours dire qu'il se confond avec l'État. Certes, il ne s'agit pas d'une autorité administrative indépendante, mais d'un service d'inspection. Néanmoins, les personnalités qui le composent donnent un avis très technique et son fonctionnement est totalement découplé des strates administratives.

Concernant l'autorité environnementale dans les territoires, elle a été réformée, à la suite de la publication d'un avis motivé de la Commission européenne. Le dispositif devra être évalué prochainement.

En tout état de cause, l'autorité environnementale a gagné en indépendance ; l'enjeu était extrêmement fort dans le contexte du drame du barrage de Sivens. Le CGEDD est constitué de personnalités indépendantes sur lesquelles nous n'avons pas de prise. Son bon fonctionnement et sa légitimité ne seront assurés qu'à ce prix ; à défaut de telles garanties d'indépendance, il y a fort à parier que les contentieux ou manifestations plus ou moins violentes se multiplieront.

M. Philippe Rogier. - Ce qui est en jeu, c'est la transparence de la décision publique. La vocation de cet avis de l'autorité environnementale est d'éclairer le public et le maître d'ouvrage ; à l'issue de cette procédure, ce dernier peut revoir son projet ou compléter son étude d'impact pour tenir compte des observations formulées. En définitive, l'objectif est que la décision du maître d'ouvrage tienne compte de cet avis, ainsi que des autres enjeux liés au projet. Néanmoins, l'avis ne s'impose pas nécessairement et il n'a pas vocation à faire obstacle à la réalisation du projet même s'il est critique. Il doit permettre de l'améliorer.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Une des observations formulées par des porteurs de projet porte sur la difficile articulation des concertations relatives, respectivement, au code de l'environnement et au code de l'urbanisme. Sans imaginer la création d'une réglementation unique - dont certains rêvent -, où en est-on, concrètement, du travail de coordination entre les deux codes ? Peut-on imaginer oeuvrer en cette matière ou est-il hors de question, du point de vue des services de l'État, de mettre fin à cette « bipartition » normative ?

M. Philippe Rogier. - Le dispositif prévu dans l'ordonnance « participation » du 3 août 2016, qui découle du travail de la commission Richard, consiste à compléter les règles existantes.

Avant que l'ordonnance soit prise, pour les très grands projets, le code de l'environnement prévoyait déjà l'organisation par la CNDP d'un débat public ou d'une concertation préalable ; la concertation au titre du code de l'urbanisme, quant à elle, s'appliquait à un certain nombre de projets, essentiellement en milieu urbain. Certains projets faisaient donc déjà l'objet d'une concertation obligatoire prévue par le code de l'urbanisme et d'un débat public prévu par le code de l'environnement.

La commission Richard a identifié les autres projets qui pouvaient mériter de donner lieu à une concertation. L'ordonnance prise en août dernier traite de ces autres projets, qui entrent dans le champ de la concertation préalable introduite dans le code de l'environnement et qui ne relèvent ni de la CNDP ni de la concertation obligatoire au titre du code de l'urbanisme.

La concertation prévue par le code de l'urbanisme est appréciée par certains maîtres d'ouvrage, critiquée par d'autres ; quoi qu'il en soit, il est apparu pertinent de ne pas la modifier. En revanche, des « trous » existaient en matière de concertation du public sur certains projets. L'ordonnance d'août 2016 était précisément dédiée à les combler.

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Par ailleurs, l'habilitation de l'article 106 de la loi « Macron » du 6 août 2015, de laquelle est issue l'ordonnance « participation », ne nous permettait pas de modifier ces règles du droit de l'urbanisme.

Néanmoins, en tant qu'usager, il est parfois difficile de comprendre pourquoi des procédures différentes s'appliquent suivant qu'un bâtiment est construit en ville ou en pleine campagne. On peut donc bel et bien parler, en la matière, d'un tropisme administratif.

Les discussions que nous avons eues au sein de la commission Richard ont révélé de la part des maîtres d'ouvrage une certaine réticence à homogénéiser les codes de l'environnement et de l'urbanisme. Leur impression était qu'ils risquaient de perdre en souplesse, notamment en ce qui concerne le droit de l'urbanisme. Le conservatisme est partout, côté administration et côté maîtrise d'ouvrage !

Nous aurions pu imaginer l'élaboration d'un système simplifié ; du point de vue de l'usager, c'eût été légitime. Mais la familiarité des maîtres d'ouvrage avec la procédure actuelle de concertation issue du code de l'urbanisme, renforcée par l'habitude des services ministériels, nous a conduits à renoncer à cette logique.

Nous avons néanmoins tenté de répondre en partie à ce problème d'articulation en travaillant sur la charte de la participation, laquelle a vocation à embrasser les questions environnementales et urbanistiques dans leur ensemble. Notre raisonnement a été le suivant : si nous pouvons promouvoir par les usages ce que nous ne pouvons promouvoir par le droit, peut-être parviendrons-nous, un jour - qui sait ? - à un rapprochement des procédures.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Vous êtes une adepte de la « soft law » !

M. Michel Hersemul. - Mon éclairage sera un peu différent. Admettons que la concertation du public soit bien faite, que le dossier du projet soit fiable, que les enjeux soient posés, que le citoyen puisse donner son avis ; alors ce dernier se moquera de savoir si c'est l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme qui s'applique ou un autre texte ! En matière d'accompagnement juridique de la concertation, la souplesse dudit article nous paraissait vertueuse.

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Je suis tout à fait d'accord. Il existe quand même une certaine réticence, du côté des parties prenantes, et non de l'administration, à l'idée de modifier de manière substantielle la concertation du droit de l'urbanisme. La simplification ne passe pas nécessairement par le seul volet juridique ; elle est peut-être davantage à chercher dans les pratiques. Personne, si ce n'est les associations et certains usagers, ne voulait d'un rapprochement juridique, ni l'administration ni la maîtrise d'ouvrage.

M. Philippe Rogier. -Juridiquement, les plans et programmes qui ne faisaient pas l'objet d'une concertation préalable sont entrés dans le champ de l'ordonnance « participation » du 3 août 2016. Il s'agissait d'une demande forte émanant des porteurs de projets eux-mêmes et des associations. La planification est le bon moyen pour discuter des options, des orientations, de l'opportunité des projets.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Des inquiétudes croissantes s'expriment concernant les délais, en termes de procédures d'expropriation et de risques de demandes de rétrocession sur les biens expropriés. L'allongement des délais des opérations est certes nécessaire à la bonne tenue du débat public, mais quelles sont ses conséquences sur le délai s'appliquant aux demandes de rétrocession consécutives à une expropriation ?

Par ailleurs, s'agissant des autorisations environnementales uniques, ce dispositif fonctionne-t-il ? Le délai de 9 mois, fixé par l'ordonnance du 26 janvier 2017, est-il ou non réaliste ? D'autres autorisations, dites sectorielles, auraient-elles vocation à intégrer l'autorisation unique ?

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - L'entrée en vigueur de l'autorisation unique est très récente. Nous organiserons un retour d'expérience.

Nous avions essayé de tirer les conséquences d'une première expérimentation, qui a donné lieu à l'ordonnance à laquelle vous faites référence. S'agissant du délai de 9 mois, c'était vraiment le minimum pour les services de l'État.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Dont acte, ce délai me semble d'ailleurs très court !

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - L'expérimentation nous laisse penser qu'il est possible de le tenir.

Nous avons intégré les permis de construire dans l'autorisation environnementale unique pour les éoliennes mais nous n'avons pas pu aller au-delà.

M. Philippe Rogier. - Deux expérimentations ont été mises en oeuvre sur l'autorisation environnementale unique ; elles ont été évaluées après deux ans par un rapport administratif que je peux vous communiquer. Un rapport a également été remis par le préfet Jean-Pierre Duport, qui présidait un groupe de travail sur la question. L'ordonnance instaurant l'autorisation environnementale unique est fondée sur les recommandations de ces deux rapports.

M. Henri Cabanel, président. - Vous avez parlé d'étude d'impact environnemental. Quel est le contenu de ce document ?

Vu les délais de réalisation des projets, au cours desquels un changement de biotope, sur le territoire concerné, est toujours envisageable, est-il possible d'actualiser l'étude d'impact? Un exemple : dans mon département, un projet d'installation photovoltaïque est à l'étude depuis une dizaine d'années ...

M. Philippe Rogier. - Vous êtes dans la moyenne, monsieur le président !

M. Henri Cabanel, président. - ... entre-temps, une espèce protégée a été repérée dans la région, l'aigle de Bonelli. Par définition, l'étude d'impact n'en tient pas compte.

M. Michel Hersemul. - L'importance de l'enjeu de biodiversité rend nécessaire la réalisation d'enquêtes faune-flore sur des périodes couvrant une année. Il est clair que plus la réalisation de l'étude d'impact est proche de la réalisation effective des travaux, plus le risque que vous évoquez diminue.

Il arrive que les collectivités territoriales rencontrent ce genre de difficultés : modifier le tracé de leur projet d'infrastructure, c'est modifier le dispositif d'assainissement et de rejet des eaux dans les milieux, donc remettre en cause les dossiers « loi sur l'eau » et « espèces protégées ».

Par ailleurs, à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, nous sommes extrêmement attachés à l'idée suivante : lorsqu'une opération est déclarée d'utilité publique, c'est au regard d'un bilan global coûts-avantages réalisé sur une zone plus large que le tracé envisagé, ce qui ne préjuge pas d'un approfondissement ultérieur des détails du projet. Cela correspond à la technique des « fuseaux ». Je pense que cette latitude est tout à fait bénéfique en vue d'une optimisation de l'opération. Après tout, si l'on découvre un site archéologique sur la partie Ouest du fuseau, on se rabattra sur la partie Est, sans avoir à fournir une nouvelle étude d'impact ! Avant l'autorisation environnementale unique - nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec le commissariat général au développement durable sur ce sujet -, nous avions l'avantage de pouvoir présenter une succession d'autorisations, cohérentes entre elles et répondant aux problèmes au fur et à mesure de l'avancement du projet. Après discussions, nous avons obtenu plus de souplesse dans la mise en oeuvre de l'autorisation environnementale unique. En effet, il est inimaginable que, sur une infrastructure longue de plus de 50 kilomètres, on puisse d'un seul coup présenter un projet définitif qui soit irréprochable sur tous les points. Grâce à quelques mesures plus souples, par exemple, il est possible d'obtenir, pour le déroulement d'un chantier, une autorisation environnementale portant uniquement sur les espèces protégées. C'est le cas lorsque des fouilles archéologiques se révèlent incompatibles avec la préservation d'espèces éventuellement présentes, mais que les zones concernées par le projet n'ont pas encore été définies avec exactitude.

Si le projet est vraiment remis en cause par l'existence d'un enjeu environnemental qui n'avait pas été pris en compte, je ne dispose pas de solution. Pour ce qui est de l'autoroute Le Mans-Laval, à cause du scarabée pique-prune, le chantier a été arrêté un certain temps afin de trouver des solutions alternatives. Il a donc fallu progresser pour faire aboutir l'opération ; mais c'est le risque du maître d'ouvrage. Aujourd'hui, aucune procédure ne garantit contre ce genre de difficulté. Pour évoquer le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, une espèce protégée, le campagnol amphibie, s'est invitée très tardivement dans les discussions...

La question n'est pas seulement celle de l'étude d'impact environnementale. En effet, certains projets ne sont pas soumis à étude d'impact mais nécessite une dérogation sur les espèces protégées.

Le cas qu'a cité Michel Hersemul est celui d'un projet qui s'étale dans la durée parce que l'on ne peut pas faire autrement : après une première étape avec le débat public, intervient la déclaration d'utilité publique ; le projet et les études s'affinent au fur et à mesure. Par conséquent, la démarche d'actualisation de l'étude d'impact permet de traiter l'ensemble des conséquences lorsque cela est possible.

M. Philippe Rogier. - Sur un projet, il faut éviter de formuler à un moment donné une demande d'autorisation qui nécessiterait des autorisations ultérieures. Il vaut mieux les regrouper comme la dérogation sur les espèces protégées, qui fait partie de celles intégrées dans l'autorisation environnementale. Le traitement de ces problématiques dans une autorisation administrative unique n'exclut pas qu'un évènement ultérieur conduise à modifier l'autorisation initiale. Mais en principe, avec l'autorisation environnementale, la demande porte sur l'ensemble des aspects visés et permet à la fois de traiter tous les impacts et d'éviter des autorisations successives susceptibles de soulever des difficultés.

M. Henri Cabanel, président. - Est-il possible d'évaluer le coût des différents instruments de concertation et d'information pour le maître d'ouvrage?

M. Laurence Monnoyer-Smith. -Cette évaluation est assez aisée pour les débats publics. Elle est plus difficile pour le reste, car nous n'avons pas accès à toutes les données.

Le coût du débat public est relativement fixe par rapport au coût total du projet. Il s'élève à près de 500 000 euros pour les plus petits débats et peut atteindre 1 million d'euros pour les débats nationaux importants, y compris pour les débats ferroviaires concernant les longs tracés. Le débat public le plus cher portait sur les nanotechnologies en 2009, mais la comparaison est délicate, car il s'agissait en réalité d'un débat de société.

La CNDP réalise des efforts considérables pour diminuer ces coûts. En outre, le dispositif de financement du débat public a été modifié dans l'ordonnance, comme cela était réclamé par la maîtrise d'ouvrage depuis très longtemps. Jusqu'à présent, les commissions particulières du débat public étaient financées par la maîtrise d'ouvrage, ce qui semblait quelque peu hétérodoxe. Désormais, le financement sera prévu directement par la CNDP, ce qui favorisera des économies d'échelle et la signature de marchés publics.

500 000 euros n'est pas un coût anormalement élevé, puisque tout est compté dans ce prix, pour un processus qui s'étale durant près d'une année, dont quatre mois pour le débat public en tant que tel. En moyenne, il faut plutôt compter de 700 000 à 800 000 euros pour les débats publics, qui restent réservés aux très gros projets.

Concernant les concertations préalables que nous évoquions au début de l'audition, qui nécessitent un site internet, quelques salles de réunion et un peu d'ingénierie participative, les coûts sont beaucoup plus raisonnables, de l'ordre de 50 000 euros pour une concertation minimale que le maître d'ouvrage souhaite mettre en place dans une petite infrastructure. SNCF réseau met en place des concertations « post-débat public » pour un coût unitaire d'environ 150 000 euros.

M. Henri Cabanel, président. - Monsieur Hersemul, vous avez parlé des délais à partir de la fin des débats publics jusqu'à la réalisation du projet, à savoir vingt ans pour les infrastructures ferroviaires et seize ans pour les infrastructures routières. Vous avez cité le délai de onze ans, le plus court qui ait été enregistré. J'ai bien compris que vous ne vouliez plus user de la législation pour faire évoluer les procédures et les outils existants ; vous préférez veiller à ce que les acteurs s'approprient ces mécanismes. Toutefois, l'un de vos objectifs est-il de diminuer ces délais ?

M. Michel Hersemul. - Pour faire mien cet objectif, il faudrait que je sois en mesure de maîtriser un certain nombre de difficultés inhérentes à ces situations. Malheureusement, certaines d'entre elles sont d'ordre politique ou financier, ce qui limite parfois les leviers d'action de l'administration.

J'ai évoqué la route Centre-Europe Atlantique. Depuis de longues années, nous étudions le projet d'une route deux fois deux voies pour un itinéraire très accidentogène. En la matière, nous, administration, avons mis les moyens pour avancer mais nous dépendons de choix politiques et financiers. En l'espèce, nous sommes satisfaits de constater que ce projet pourrait être réalisé à court terme.

Je pourrais également citer le contournement Est de la ville de Rouen, dont le débat public date de 2005. L'enquête publique n'a été achevée que l'an dernier, après presque douze ans d'efforts constants de l'administration. La déclaration d'utilité publique devrait être bientôt publiée mais reconnaissons que nous ne disposons pas de tous les leviers pour agir.

M. Henri Cabanel, président. - Madame la commissaire générale au développement durable, vous avez écrit dans un article de doctrine que la participation en ligne était révélatrice d'une évolution des pratiques politiques. Qu'entendez-vous par là ?

Mme Laurence Monnoyer-Smith. Comme je l'ai expliqué dans cet article, nous accédons aujourd'hui à de nouveaux outils numériques. Nous assistons également à l'évolution de la capacité et des méthodes d'intervention dans l'espace public, avec de nouvelles formes de collectifs qui ne sont pas forcément des organisations classiques ou syndicales comme autrefois.

Ces nouvelles formes d'intervention sont symptomatiques d'un nouveau rapport au politique, qui s'inscrit dans la culture numérique. Cette participation des citoyens en ligne est en congruence avec l'évolution des pratiques et des appétences des politiques, qui répondent désormais par le réseau et par une forme d'immédiateté ou d'interpellation. Hormis les réseaux sociaux, qui méritent un traitement particulier, les formes d'interventions sur les questions politiques passent parfois par des forums, comme ces parents qui discutent de la santé de leurs enfants et s'interrogent sur la nécessité ou non de les faire vacciner. Est-ce de la participation politique ? C'est possible.

La réunion est close à 11 h 15.

- Présidence de M. Henri Cabanel, président -

La réunion est ouverte à 14 h 15.

Audition conjointe de Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente de la section du rapport et des études, et de M. Philippe Martin, président de la section des travaux publics, du Conseil d'État

M. Henri Cabanel, président. - Nous recevons deux présidents de section au Conseil d'État : Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente de la section du rapport et des études, qui prépare le rapport public et coordonne les différentes études du Conseil d'État ; M. Philippe Martin, président de la section des travaux publics, qui examine les projets de lois, d'ordonnances et de décrets relatifs à la protection de l'environnement, à l'urbanisme et aux transports.

Nous aborderons principalement au cours de l'audition, deux sujets examinés par notre mission d'information : la méthode d'élaboration de la norme, problématique notamment traitée par le rapport public du Conseil d'État de 2016 relatif à la simplification et à la qualité du droit ; les dispositions du code de l'environnement et du code de l'urbanisme applicables aux grands projets d'infrastructures et d'équipements.

Cette audition, ouverte au public et à la presse, fait l'objet d'une captation vidéo et d'un compte rendu écrit.

M. Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d'État. - La section des travaux publics a examiné l'ordonnance du 26 janvier 2017 sur l'autorisation environnementale unique, les deux ordonnances du 3 août 2016 sur la participation du public et l'évaluation environnementale, l'ordonnance du 21 avril 2016 sur la consultation locale des électeurs en matière d'environnement. Nous examinons également des projets et plans-programmes, selon la terminologie communautaire, comme les déclarations d'utilité publique des grandes infrastructures ou des schémas directeurs territoriaux, par exemple celui de la région Île-de-France.

J'aborderai tout d'abord la modernisation des outils de la participation du public. Le numérique ouvre un potentiel de modernisation considérable de ces mécanismes. Le succès de la consultation numérique n'est toutefois pas garanti d'avance : tout dépend de l'intérêt du public pour tel ou tel sujet. Ainsi, celle organisée sur certains textes réglementaires donne lieu à un nombre très faible de contributions, parfois deux ou trois, qui peuvent émaner de professionnels intéressés économiquement par les projets. Il ne faut pas croire que l'utilisation du numérique garantit une participation massive du public.

L'ordonnance « participation » du 3 août 2016 a renforcé le recours au numérique dans l'enquête publique et dans les procédures alternatives à cette dernière. Cette extension apparaît mesurée à ce stade. Pour l'avenir, on peut se demander quelle sera l'ampleur de l'extension du numérique, avec l'éventuel remplacement de réunions publiques par de tels dispositifs. Je m'interroge sur la faisabilité d'un tel remplacement, notamment dans les zones traversées par une infrastructure linéaire, comme la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse. Je vois mal comment l'on y parviendrait. Il me semble que la population de ces zones doit pouvoir échanger, par une rencontre physique, avec des personnes chargées de les écouter et de faire une synthèse.

Ce doute sur la possibilité d'un remplacement total des dispositifs présentiels par le numérique se double d'une interrogation sur le périmètre des enquêtes publiques, problématique très liée à l'impact physique de l'infrastructure. Pour les infrastructures linéaires, on retient les communes traversées. Pour un grand aéroport, ce périmètre est plus compliqué à définir.

Par analogie, la question s'est posée dans l'ordonnance du 21 avril 2016 sur la consultation des électeurs, texte mis en oeuvre dans le cas de Notre-Dame des Landes. Le périmètre de la consultation a été « calé » sur celui de l'enquête publique. Quel serait le périmètre d'une consultation entièrement numérique, à laquelle l'on pourrait contribuer depuis n'importe quelle région de France ou de n'importe quel pays européen ? La notion de périmètre a-t-elle encore un sens si l'on bascule vers le « tout-numérique » ?

J'en viens à l'arbitrage, en matière d'infrastructures, entre la simplification et la juxtaposition des outils. Les pouvoirs publics cherchent un équilibre adéquat entre la simplicité des procédures pour les porteurs de projets, d'une part, et l'effectivité de la participation du public, d'autre part. Cette réflexion, au coeur des rapports Duport et Richard ainsi que de l'élaboration de l'ordonnance « participation » du 3 août 2016, porte sur la « remontée » de la participation vers des phases plus en amont d'un projet ou d'un schéma. On constate également une tentation de multiplier les outils de participation à chaque étape du projet. L'ordonnance précitée comporte ainsi des outils optionnels, des outils optionnels avec validation publique et des outils obligatoires. Cette variété d'instruments peut inciter à les multiplier en pratique, ce qui peut poser question. Il n'est pas facile de concilier la simplification des procédures et l'effectivité de la participation du public. L'exercice récent, à la recherche d'un point d'équilibre, a laissé subsister une très grande juxtaposition des outils. Je ne dis pas que certains d'entre eux doivent disparaître, mais je constate que nous sommes en phase de diversification des dispositifs et que cette évolution n'a pas totalement abouti dans le sens de la simplification.

Faudrait-il fusionner des procédures qui ont été conçues comme distinctes ? Alléger les phases aval, notamment celles qui sont les plus proches de la définition finale du projet, comme l'enquête publique ? Je suis un peu perplexe sur la possibilité de se passer de certains instruments de la phase aval, qui conservent une utilité eu égard notamment à l'expropriation. Cette dernière entraîne, en effet, des contraintes très fortes sur les intéressés et nécessite de recueillir et d'analyser leur avis.

La problématique de la juxtaposition des actes d'autorisation et des procédures a été révélée par l'ordonnance du 21 avril 2016 sur la consultation des électeurs pour les projets susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement. À quel moment insérer une telle consultation dans le processus d'autorisation ? Il y avait un débat sur l'antériorité ou la postériorité de la consultation par rapport à la déclaration d'utilité publique (DUP), où l'on a pris conscience de la multiplicité et de l'éclatement des actes d'autorisation de grands projets en droit français : la DUP, acte obligatoire pour l'expropriation, ne rassemble pas pour autant toutes les problématiques d'autorisation ; la famille des autorisations environnementales, très variées, relatives à l'eau, au bruit, aux installations classées, aux espèces protégées, au défrichement, etc. que l'ordonnance du 26 janvier 2017 s'efforce de regrouper ou au moins de coordonner ; viennent aussi les autorisations d'urbanisme, relevant d'une branche du droit distincte, mais nécessaires pour les projets. Chaque procédure ainsi juxtaposée a été conçue en fonction de la préparation d'un acte administratif précis.

La question se pose aussi d'un éventuel regroupement des actes. L'ordonnance du 26 janvier 2017 y a pourvu, en matière d'environnement, avec l'autorisation environnementale unique. Elle a laissé de côté l'urbanisme, sauf pour les éoliennes terrestres. Cela peut s'expliquer par les différences entre droits de l'environnement et de l'urbanisme.

Une autre question appellerait une réflexion approfondie : quel degré de liens faut-il avoir entre les outils de participation et un acte administratif précis ? Pourrait-on regrouper ces actes ? Pourrait-on concevoir une phase de participation unifiée, qui pourrait être utile pour des actes administratifs ultérieurs ? On sortirait ainsi d'un système caractérisé historiquement par le lien entre des actes préparatoires et un acte administratif final. C'est un vaste chantier.

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État. - Le Conseil d'État avait consacré son étude de 2011, intitulée « Consulter autrement, participer effectivement », à la participation et à la consultation du public. À quoi sert cette participation ? J'y vois deux objectifs assez différents, même s'ils paraissent se conforter l'un l'autre. Le premier, abondamment évoqué lors de vos précédentes auditions, consiste à pallier les défauts de la démocratie représentative ou à la soutenir. Le deuxième est d'avoir recours à la participation du public pour garantir une meilleure qualité du droit. Ces deux objectifs complémentaires peuvent aboutir à des résultats différents. Je m'attacherai au deuxième, que nous avons traité dans notre étude de 2015 sur l'action économique des personnes publiques et dans notre étude de 2016 sur la simplification et la qualité du droit.

Le Conseil d'État s'est convaincu, au fil de ses travaux de conseil de l'auteur de la norme, que la participation du public, mais pas à n'importe quel moment ni avec n'importe quel moyen, pouvait concourir à la qualité de la norme et de la décision publique. Parmi les mesures que nous avons recommandées à cet égard, figure la consultation des destinataires de la norme, et non pas de l'ensemble du public.

Dans une précédente étude, nous avions recommandé de réaliser des études d'impact préalables, ce qui a conduit à la réforme constitutionnelle de 2008. Les résultats sont toutefois peu satisfaisants : ils ne correspondent pas, en tout état de cause, à ceux que nous attendions. La première difficulté tient au moment auquel on procède aux études d'impact : livrées très tardivement au Conseil d'État, elles ne servent la plupart du temps qu'à justifier la réforme déjà décidée. La deuxième difficulté vient de l'absence de contrôle externe sur la qualité de l'étude d'impact, faite par l'administration qui prépare la norme. Troisième motif d'inquiétude : l'absence de confrontation systématique aux destinataires de la norme, à l'exception notable des collectivités territoriales, grâce au conseil national d'évaluation des normes, organe issu d'une initiative parlementaire et non gouvernementale. Enfin, le champ de l'étude d'impact est insuffisant, puisque de nombreux textes y échappent.

D'où les remèdes que nous avons préconisés et, d'abord, éviter les contournements, c'est-à-dire élargir le champ des études d'impact au-delà de l'obligation prévue par la Constitution, qui ne concerne, aujourd'hui, que les projets de loi avant leur dépôt au Parlement. Nous considérons qu'il faudrait étendre les études d'impact aux amendements significatifs, notamment lorsqu'ils sont déposés par le gouvernement. Nous recommandons aussi au Parlement de se doter d'une instance d'évaluation de l'impact des amendements parlementaires. Au-delà, nous estimons nécessaire d'étendre les études d'impact aux ordonnances, en sachant que, sur recommandation du Conseil d'État, des évaluations préalables sont faites par le Gouvernement pour les mesures réglementaires, en vertu de circulaires. Nous n'avons pas préconisé de modification de la loi organique du 15 avril 2009 relative aux études d'impact ou de la Constitution, mais recommandé des bonnes pratiques, en comptant sur la bonne volonté de l'exécutif et du législatif.

Ensuite, en reprenant une mesure envisagée lors de la création de l'étude d'impact, nous recommandons de créer une étude d'option (« faut-il une norme nouvelle ? »), distincte de l'étude d'impact proprement dite. Nous préconisons qu'une décision politique soit prise par le Premier ministre, au moment de l'étude d'option, sur la nécessité de recourir à une nouvelle norme.

Nous préconisons également de faire certifier l'étude d'impact par une instance experte, indépendante du Gouvernement, et de publier cette certification. Nous nous sommes penchés en détail sur la composition d'une telle instance : il y a suffisamment d'expertise indépendante au sein des pouvoirs publics pour que ce comité puisse être réuni et statuer dans les meilleurs délais.

Il conviendrait de confronter l'étude d'impact à tous les destinataires de la norme et donc élargir le conseil national d'évaluation des normes aux autres destinataires que les collectivités territoriales. Nous préconisons trois collèges. Outre celui des collectivités territoriales, celui des entreprises, en reprenant le conseil de simplification des entreprises, créé par une décision gouvernementale et consulté de façon facultative, et celui des usagers, dont la composition est la question la plus difficile à régler.

Enfin, le Conseil d'État s'est engagé à tirer des conséquences beaucoup plus sévères d'une étude d'impact insuffisante : il va le faire, voire il l'a déjà fait. Nous avons aussi fait observer qu'une bonne évaluation préalable de la norme reposait sur l'évaluation de l'état du droit : l'évaluation ex ante de la nouvelle norme sera d'autant meilleure que l'évaluation ex post de celle en vigueur aura été faite, discutée, commentée et soumise, elle aussi, aux destinataires de la norme, afin de dresser un diagnostic de son efficacité et de ses résultats, préalablement à la décision de faire évoluer le droit ; et ce diagnostic lui-même doit être soumis à une participation des usagers. Cela permet de répondre à une observation du professeur Marcel Gauchet lors de son audition devant votre mission d'information, selon laquelle il convient de lancer un diagnostic partagé des problèmes avant l'élaboration d'une norme. Je suis tout à fait d'accord et c'est pourquoi nous avons beaucoup insisté sur cette recommandation : il ne faut identifier une solution qu'après avoir diagnostiqué le problème.

C'est aussi pourquoi il faut consulter les usagers, qui utilisent la norme et la subissent, et non pas le public, le citoyen ou l'électeur.

Faut-il généraliser la consultation numérique ouverte ? Je me réfère aux déclarations d'Axelle Lemaire à propos de celle qui a été faite sur la loi « République numérique » du 6 octobre 2016 : c'est un travail considérable, qui mobilise des énergies elles aussi considérables et dont l'efficacité n'a pas été mesurée...

M. Henri Cabanel, président. - Ni les coûts...

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent. - Concernant surtout l'efficacité, qu'en pensent ceux qui ont été consultés ? Le public, heureux de donner son avis, veut surtout savoir si celui-ci a été pris en compte, ce qui a été repris et ce qui ne l'a pas été, ainsi que les raisons de ce choix. La consultation numérique ouverte complique considérablement l'exercice de restitution au public des avis qu'il a donnés.

Marcel Gauchet a aussi justement souligné que la règle de la majorité est de moins en moins acceptée aujourd'hui. De plus en plus, nos concitoyens souhaitent que le décisionnaire puisse donner satisfaction à tous les avis exprimés. En pratique, c'est extrêmement difficile, car il y a des choix à faire et c'est pourquoi la consultation numérique, non seulement ne doit pas être généralisée, mais ne doit être utilisée, à mon sens, qu'avec précaution. À cette considération personnelle, j'ajoute que nous avons identifié un problème juridique lié à la consultation numérique ouverte, en ce qu'elle se substituerait à toutes les autres consultations pertinentes. Le Conseil d'État a ainsi estimé que, même lorsqu'une consultation ouverte est organisée, les consultations spécifiques prévues par la loi doivent être maintenues. Ce motif juridique est un frein supplémentaire à la généralisation de ce dispositif numérique.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - La complexité, réelle ou non, des procédures destinées à mettre en oeuvre de grandes infrastructures est ressentie par des maîtres d'ouvrage publics ou privés comme une accumulation de normes successives, où le jeu est déséquilibré à leur préjudice. Cette position vous paraît-elle justifiée ou souhaitez-vous la nuancer ?

M. Philippe Martin. - On n'échappe pas à une conciliation entre le souhait des maîtres d'ouvrage de ne pas voir leur projet indûment retardé et celui du public ou d'associations de défense de l'environnement de s'assurer que la création de l'infrastructure est précédée d'une réflexion approfondie et d'un débat. Les outils utilisés pour protéger les intérêts en jeu, et notamment les intérêts environnementaux, sont-ils proportionnés à cette nécessité ? La protection de l'environnement est un objectif d'intérêt public majeur et la charte de l'environnement a valeur constitutionnelle depuis 2005. Les directives européennes nous obligent également à mettre en oeuvre certains mécanismes de vérification, d'évaluation et de protection.

Quelle est l'évolution de notre droit à cet égard ? Je suis frappé par la sédimentation des régimes juridiques au fil des ans. Notre droit administratif est bâti par rapport à des actes précis, selon des législations indépendantes entre elles. De cette construction historique découlent des juxtapositions surprenantes.

Ainsi, pour l'examen du projet de consultation des électeurs concernant Notre-Dame-des-Landes, l'acte fondamental est la déclaration d'utilité publique requise pour exproprier. À l'occasion de cet acte, certes très en aval du projet, intervient un début d'examen de l'ensemble du problème, afin d'évaluer les avantages économiques de l'infrastructure et ses inconvénients financiers et environnementaux. Puis vient la protection des espèces sur le site en question, qui nécessite, le cas échant, une dérogation à la législation relative aux espèces protégées. L'utilité publique de l'ouvrage justifie-t-il que l'on porte atteinte aux espèces en cause, éventuellement avec telle ou telle mesure de compensation pour en réduire l'impact ?

Nous avons un acte, la déclaration d'utilité publique (DUP), théoriquement global, avec des pesées d'intérêts contradictoires devant être opérées à des stades de procédures ultérieurs. Notre droit n'est-il pas trop le fruit d'une succession d'actes accumulés ? Ne pourrait-on pas réfléchir à la simplification du nombre d'actes requis et à une mise en commun de la consultation sur la conciliation entre l'intérêt public lié à l'existence de l'ouvrage et les autres intérêts publics ? Il y a probablement matière à aller plus loin dans la réflexion sur les regroupements envisageables entre différents régimes d'autorisation, mais aussi entre les études d'impact et les mécanismes de participation.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Vous envisagez deux hypothèses : aller vers un acte juridique unique autorisant un projet ou un « tronc commun » durant lequel une consultation unique serait menée sur plusieurs actes administratifs...

M. Philippe Martin. - En effet, si l'on arrive à restreindre le nombre d'actes, les procédures préparatoires pourraient s'aligner d'elles-mêmes ; si l'on a de bonnes raisons de conserver des actes distincts, car les considérations relatives à l'environnement et à l'urbanisme ne répondent pas nécessairement à la même logique, on peut concevoir au minimum un « tronc commun », pour reprendre votre expression, voire des « pesées d'intérêts fusionnées ». Ce sont des pistes de réflexion...

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Les principes classiques du droit public sont-ils toujours adaptés ? Certains intervenants estiment que le bien commun va plus loin que l'intérêt général ; Mme de Saint-Pulgent rappelait que la règle majoritaire n'est plus unanimement reconnue. Ces notions sont-elles susceptibles évoluer ? Quel est votre sentiment sur l'adaptation de nos grilles de lecture traditionnelles à ces évolutions que nous percevons dans la société ?

M. Philippe Martin. - Praticien du droit tel qu'il existe aujourd'hui, je dois évidemment m'y tenir lorsque j'examine un texte soumis au Conseil d'État. La légitimité de la prise de décision publique est un problème d'institution politique. Un grand projet d'infrastructure nécessite une décision qui tranche entre des intérêts qui peuvent diverger sur plusieurs points. La décision de l'institution politique repose sur la légitimité issue de l'élection. Je vois mal comment la remplacer par d'autres légitimités. Des intérêts objectifs sont parfois divergents ; ainsi, pour une déclaration d'utilité publique, il y a des arguments « pour » et d'autres « contre », des intérêts seront lésés, des personnes ou des entreprises seront avantagés ; il y a donc, à l'évidence, un arbitrage à faire. Derrière ces intérêts contradictoires, il y a aussi des personnes qui veulent que leur point de vue soit reconnu. Il faut bien arbitrer entre ces intérêts et ces personnes.

Le critère de choix, sur le plan philosophique, correspond au bien commun. En droit de l'expropriation, on invoque l'utilité publique, en droit administratif, l'intérêt général : est-il raisonnable de s'engager dans le choix d'une infrastructure ? Ce choix résulte d'une évaluation des avantages et des inconvénients, certaines des considérations prises en compte n'étant pas réductibles à des notions juridiques. Dans l'exemple des infrastructures d'énergie nucléaire, le choix comporte des risques, palliés par des institutions créées à cette fin, mais ils ne sont pas nuls pour autant. Ce choix est éminemment politique. Les canaux du droit administratif n'offrent pas de réponse toute faite à ce type de débat. De même, l'avenir du transport ferroviaire à haute vitesse ou celui du transport aérien reposent sur des choix qui impliquent des réflexions prospectives. Sur le transport aérien, actuellement en croissance, on peut estimer qu'un pays ne saurait se développer sans suivre cette évolution. On peut aussi penser qu'il serait déraisonnable de l'anticiper. C'est un choix politique, sur le monde tel qu'il est ou tel que l'on souhaiterait qu'il soit, irréductible aux seuls critères du droit public.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Les porteurs de projets reprochent à notre droit positif un manque d'harmonisation entre le code de l'environnement et celui de l'urbanisme. Une telle harmonisation est-elle possible selon vous ?

M. Philippe Martin. - Il est vrai que le droit actuel hésite à procéder à des rapprochements massifs entre le droit de l'environnement et celui de l'urbanisme. L'exemple de l'autorisation environnementale unique, qui laisse de côté l'urbanisme, est emblématique sur ce point. N'oublions pas, toutefois, que l'objet des décisions et des contrôles diffère. Le droit de l'urbanisme réglemente l'usage du sol, avec des critères juridiques qui confrontent le droit de construire du propriétaire à des règles d'usage du sol. Le champ est relativement spécialisé par rapport à celui du droit de l'environnement.

En contentieux, l'urbanisme relève du recours pour excès de pouvoir et non pas du plein contentieux, car on contrôle la légalité d'une autorisation de construire de manière binaire : c'est « oui » ou « non ».

Pour l'environnement, l'approche est différente car il y a des intérêts collectifs majeurs à protéger, d'où un examen extrêmement fin de chaque projet au regard de ces intérêts : les impacts sur l'eau, sur l'air, sur les espèces animales, etc. Ces décisions du juge sont souvent prises en plein contentieux, classique pour les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). La récente autorisation environnementale unique généralise d'ailleurs le plein contentieux. L'application du principe de proportionnalité est presque mécanique, donc le juge est fondé à substituer sa décision, en fonction de son propre équilibre, à celle du décideur public, en cas de violation de la loi.

Le droit de l'environnement s'est bâti sur la protection d'intérêts environnementaux précis, en mesurant le degré d'atteinte acceptable. A l'inverse, le droit de l'urbanisme est fondé sur le droit de construire, limité par le droit d'usage des sols. Les philosophies qui les sous-tendent sont donc tout à fait différentes...

Mme Corinne Bouchoux. - Oui, en effet !

M. Philippe Martin. - Toutefois, l'urbanisme donne lieu à la consultation du public, pour mesurer l'impact des ouvrages sur la qualité de vie, ce qui le rapproche ainsi des méthodes de participation du public prévues en amont du projet, par le code de l'environnement...

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Avez-vous des suggestions d'accélérations de procédures contentieuses, afin d'éviter qu'elles bloquent des projets ? La jurisprudence est-elle satisfaisante sur ce point ? L'arrêt « Danthony » du Conseil d'État en date de 2011 a-t-il réglé les problèmes de vices de forme ? Que pensez-vous des ordonnances d'irrecevabilité prises par le juge lorsque la requête est manifestement infondée ? De l'hypothèse de « purger » des contentieux ne reposant que sur des griefs formels ? Le Conseil d'État pourrait-il traiter les recours en premier et dernier ressort pour des infrastructures de grande ampleur ? Le droit de l'environnement pourrait-il se prêter à la notion de recours abusif, comme le droit de l'urbanisme, afin de freiner l'inflation contentieuse ?

M. Philippe Martin. - La première famille de mesures, pour accélérer les procédures contentieuses, concerne les restrictions à l'entrée des recours, par le durcissement de l'intérêt pour agir ou la définition de formalités préalables. Il faut distinguer l'urbanisme et l'environnement. Il est vrai, qu'en matière d'urbanisme, des mesures ont été prises pour limiter les recours liés à des chantages de voisinage. Le contentieux de l'urbanisme est parfois très binaire : le requérant veut l'annulation totale de l'acte autorisant la construction de l'ouvrage et il n'y a guère de solution intermédiaire.

Il en va autrement en matière d'environnement, avec les associations agréées pour la protection de l'environnement, dont on peut difficilement contester la légitimité à engager des actions. Devant le juge, les affaires, principalement traitées en plein contentieux, concernent la proportionnalité de certaines mesures d'évitement ou de compensation. Le risque est peut-être moindre d'une contestation systématique du type « tout ou rien ». Je suis donc assez perplexe sur la possibilité de transférer certains mécanismes de resserrement de l'accès aux recours du droit de l'urbanisme vers le droit de l'environnement.

Quant aux vices de procédure, la jurisprudence « Danthony » de 2011 a effectivement changé le sort de certains contentieux. Il y a un avant et un après : les cas d'annulation sont plus rares. Les réformes du code de l'urbanisme afin de « purger » certaines illégalités sont très créatives et permettent de « gommer » un peu les inconvénients du recours pour excès de pouvoir.

En matière d'environnement, en plein contentieux, le débat se nouera devant le juge, qui aura le pouvoir de déterminer l'équilibre entre les intérêts divergents de l'exploitant et la protection de l'environnement. Ce droit se prête plus à un examen « pesé » des avantages et des inconvénients du projet. Il me paraît moins envahi par les contentieux abusifs que celui de l'urbanisme. Les délais fixés en matière de recours pour illégalité ou vice de forme y ont une logique. L'équilibre atteint après l'arrêt « Danthony » me semble digne d'être observé sans rajouter des mesures tout de suite.

Peut-on accélérer le contentieux par des décisions de justice en forme simplifiée pour les recours manifestement infondés ou généraliser les systèmes de saisine du Conseil d'État en premier et dernier ressorts ? L'évolution des juridictions va plutôt dans le sens d'une différenciation des niveaux de jugement. Sous réserve de règles de procédure appropriées, il n'est pas exclu de réfléchir à des formules de jugement rapide par un nombre de juges relativement restreint. Distinguons les formations restreintes de jugement des ordonnances. Ces dernières recourent à une procédure contradictoire allégée alors que les formations restreintes de jugement supposent une procédure contradictoire complète, alliée à la rapidité. J'ai toujours été intéressé par les formations de jugement restreintes, sans forcément passer par le stade de l'ordonnance, qui peut poser un problème d'acceptabilité aux yeux du requérant.

Quant aux saisines du Conseil d'État en premier et dernier ressorts, l'organisation de cette juridiction allant plutôt dans le sens de son désencombrement, je suis enclin à la modération...

Mme Corinne Bouchoux. - Merci pour votre pédagogie, votre clarté, notamment sur la différentiation entre le droit de l'environnement et le droit de l'urbanisme. Élue des Pays-de-la Loire, je suis sensible aux exemples que vous avez cités. L'élévation générale du niveau de compétences de nos concitoyens, quelle que soit leur formation d'origine, constitue une évolution notable. En trois clics sur Internet, ils sont capables d'accéder à une lecture juridique assez lucide du projet, en quatre clics à la jurisprudence administrative, en deux clics supplémentaires à la doctrine ; ils font partie d'associations où le partage d'expériences et les compétences collectives sont très développés. De jeunes avocats cherchent, par ailleurs, à se spécialiser sur le droit de l'environnement. La rencontre dynamique de l'ensemble de ces acteurs transforme des luttes politiques en combats juridiques, d'où une opposition entre ce qui aura été acté politiquement et la décision juridique a posteriori qui peut déboucher sur des situations inextricables. Des usages qui avaient cours il y a dix ou vingt ans sans poser aucun problème sont à présent décryptés par nos concitoyens. Suffira-t-il réellement de simplifier et de clarifier un peu les procédures de création des infrastructures pour endiguer ce phénomène que vous avez minutieusement décrit ?

M. Philippe Martin. - Il y a des limites naturelles à l'imagination en la matière. La capacité de compréhension et de contestation des citoyens, notamment à travers les associations, est sans doute en voie d'extension, bien que des contentieux datant d'il y a vingt ou trente ans montraient déjà une capacité non négligeable des milieux associatifs à manier les droits de l'urbanisme et de l'environnement. Les recours sont traditionnellement nourris, avec une certaine dextérité dans le maniement du droit et de procédures juridiques complexes. Des « maquettes » de recours en ces matières existent depuis longtemps, d'où des recours comportant parfois vingt ou trente griefs.

On peut envisager des mesures pour freiner des phénomènes de contestation ne portant pas véritablement sur des intérêts majeurs. Au-delà, on « bute » sur le droit au recours de nos concitoyens. Le resserrement de l'intérêt pour agir en droit de l'urbanisme est intéressant, puisque l'on constatait un écart entre les règles de droit invoquées, souvent formelles, et les motifs réels des requérants. Ainsi, l'on vérifie que le requérant est réellement lésé, afin d'éviter des recours dont le véritable objet n'est pas la préservation d'un intérêt affecté par l'acte administratif.

En matière d'environnement, c'est plus compliqué...

Mme Corinne Bouchoux. - En effet.

M. Philippe Martin. - Il y a des intérêts environnementaux protégés et je ne vois guère comment l'on pourrait empêcher des citoyens ou des associations agréées de contester l'équilibre entre l'intérêt d'un ouvrage et la nécessaire protection de l'environnement.

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent. - On voit apparaître, ce qui est nouveau, avant le recours au juge, la contestation de la décision prise mais pas encore mise en oeuvre. La décision est alors bloquée : c'est une sorte de recours au politique. Aujourd'hui, les outils numériques tendent à regrouper ces opinions hostiles et à remettre en cause le résultat des consultations prévues par le droit. D'où le risque que soient contestées, par exemple par des associations...

Mme Corinne Bouchoux. - Que je soutiens !

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent. - ... mais aussi avec le recours notamment à des sites de pétitions, les conclusions des enquêtes publiques, y compris celles qui sont menées par des voies numériques, et les dispositifs de participation organisés par le gouvernement ou la société civile.

Une consultation du public lancée par les pouvoirs publics comporte une phase de certification des résultats, qui n'existe pas pour les consultations issues de la société civile, faute d'autorité pour les certifier. Comment résoudre ce conflit qui s'installe entre les légitimités concurrentes des différentes consultations, séparées par des asymétries évidentes et des décalages temporels ? Dès lors, les résultats de la consultation des électeurs sur Notre-Dame-des-Landes ont été contestés par une partie de la société civile. C'est un phénomène nouveau et assez chaotique par rapport à la séquence traditionnelle « déclaration d'utilité publique-décision-contestation devant le juge ». L'allongement des procédures est aussi dû à cela. Je me souviens de cas, dans mes précédentes fonctions de directeur du patrimoine au ministère de la culture, où l'enquête publique ayant été réalisée, avec un résultat positif, la déclaration d'utilité publique (DUP) n'était pas prononcée, parce qu'entretemps avaient surgi des oppositions. Les processus actuels de décision sont ainsi interrompus, en dépit de la mise en oeuvre des consultations prévues par le droit.

M. Henri Cabanel, président. - Le rapport public du Conseil d'État en date de 2016 préconise d'expérimenter « plus souvent et plus sérieusement » et de justifier du non-recours à une expérimentation avant un projet de loi ou de règlement. Comment installer, sur le terrain, cette culture de l'expérimentation alors que, souvent, les administrations comme les élus craignent que celles-ci se transforment en « nids à contentieux » ? Comment évaluer ces expérimentations ?

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent. - L'expérimentation est tout de même reconnue à un niveau normatif très élevé, puisqu'elle est inscrite dans la Constitution. Manque, en effet, la culture de l'expérimentation. Lorsqu'elle est décidée, l'expérimentation peut être interrompue et elle s'accompagne rarement d'un retour d'expérience. Il faut prendre au sérieux les expérimentations et ne pas tomber dans les travers observés lorsqu'elles sont tronquées, avec des résultats ni publiés ni certifiés. Faute de garanties, l'expérimentation peut être instrumentalisée au profit d'une décision à laquelle elle ne devrait pas normalement conduire. On ne peut dissocier les études d'impact ex ante de l'évaluation des expérimentations ex post. C'est pourquoi ces dernières doivent être menées à leur terme. Les dispositifs juridiques doivent prévoir des délais, pour les dispositifs expérimentaux, des comptes rendus et des échéances respectées. Il faut y consacrer du temps, si l'on veut des décisions efficaces, d'autant plus acceptées par les citoyens qu'elles auront été évaluées au regard des objectifs attendus.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. -Dans la démocratie participative ou dans la démocratie sociale, il y a un accord sur la nécessité d'obtenir un diagnostic partagé. Qu'est-ce que recoupe cette notion ? Comment ce diagnostic partagé est-il élaboré ? Est-il lié à la certification que vous avez évoquée à plusieurs reprises ?

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent. - C'est précisément ce que nous avons appelé « l'étude d'option ». C'est à ce stade qu'il faut faire le diagnostic de la situation (« y a-t-il un problème et quelle est la réponse ? ») avant d'élaborer la réponse. Ce n'est qu'une fois que ce diagnostic du problème a été soumis à une évaluation experte que l'on pourra aboutir à une décision sur la suite à donner à l'étude d'option, y compris sur ce que nous avons appelé « l'option zéro » qui consiste à renoncer à instaurer une nouvelle norme.

Dès notre première étude sur le sujet, en 2006, nous avions insisté sur cette première étape : il n'est pas nécessaire de se précipiter sur l'élaboration de la norme, mais il faut s'arrêter pour en évaluer précisément la nécessité. Cela n'est pas très respecté dans la pratique... On est contraint de se précipiter chaque fois que la norme est considérée comme une solution en elle-même. Le partage du diagnostic doit passer par une consultation des intéressés sur un diagnostic initial, laquelle s'accompagne d'une certification qui, distincte de la consultation, doit être rendue publique et être faite par des experts indépendants, en portant sur des dispositifs techniques et insusceptibles d'être soumis à référendum. J'insiste sur la publication de l'étude : si elle n'a pas lieu, cela peut aboutir à d'énormes frustrations.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - La Commission européenne a une pratique ancienne des consultations en ligne, qui doivent être distinguées de ce que l'on appelle souvent la « co-construction » des textes juridiques. Vous avez évoqué la loi « République numérique » du 7 octobre 2016. Nous avons également écouté les usagers du numérique. Les internautes et les civic techs ont pu être nuancés sur la réalité de la « co-construction » des textes, sans nécessairement un retour à l'issue de la concertation et en ayant pu avoir le sentiment que le poids des lobbies a pu être plus important que leur avis.

En résumé, les consultations numériques peuvent être souhaitables, mais sans leur donner un rôle trop important, c'est-à-dire sans aller jusqu'à une « co-construction » qui pourrait présenter plus d'inconvénients que d'avantages. Quel est votre avis sur ce point ?

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent. - Le thème de la « co-construction » de la norme me paraît très politique. Il n'est pas facile à traduire techniquement. Le Conseil d'État, dans son rôle consultatif, participe à l'élaboration pratique de la norme, par l'expertise des propositions, la réécriture, etc. à tel point que l'on a souvent dit qu'il la « co-construisait », même s'il s'abstient d'entrer dans des considérations d'opportunité. Il est assez peu vraisemblable qu'un travail d'une nature aussi technique puisse être réalisé par la voie d'une consultation numérique ouverte...

Il faut en revenir à la notion plus répandue mais peut-être plus acceptable de consultation : on vous fait une proposition, on vous demande votre avis, vous le donnez ou pas, ce n'est qu'un avis mais en aucun cas une participation à l'élaboration de la norme elle-même, car cela supposerait des allers-retours, précisant leur nature (questions, propositions de nouvelles rédactions de la norme, etc.), ce qui paraît peu réalisable.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition conjointe de M. Max Roche, directeur général adjoint en charge des concessions d'Eiffage, Mme Estelle Salou, directrice adjointe au sein de la direction juridique de Réseau de transport d'électricité (RTE), M. François Tainturier, directeur du design du réseau, et Mme Julie Taldir, chef du pôle « concertation et relations extérieures », de SNCF Réseau, Mme Nathalie Boivin, directeur juridique de Vinci Autoroutes, et M. Christophe Boutin, adjoint au délégué général de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA)

M. Henri Cabanel, président. - Nous poursuivons les auditions de la mission d'information en recevant les représentants d'entreprises concevant et réalisant des grands projets d'infrastructures ou d'équipements. Nous accueillons ainsi Mme Estelle Salou, représentante de Réseau de transport d'électricité (RTE), M. François Tainturier et Mme Julie Taldir, représentants de SNCF Réseau, M. Max Roche, représentant d'Eiffage, Mme Nathalie Boivin, directeur juridique de Vinci autoroutes et M. Christophe Boutin, représentant de l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA).

L'objectif de cette audition est de mieux appréhender les dispositifs mis en oeuvre par les porteurs de projets pour consulter les citoyens et les difficultés qu'ils rencontrent, sur le terrain, pour concevoir et créer des infrastructures ou des équipements.

Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo et d'un compte rendu écrit.

Mme Estelle Salou, directrice adjointe au sein de la direction juridique de Réseau de transport d'électricité (RTE). - Le rôle de Réseau de transport d'électricité (RTE) connaît de profondes mutations. Hier, il consistait principalement à équilibrer les flux d'électricité entre les centrales de production et le consommateur final ; aujourd'hui, avec la transition énergétique, le réseau est le siège de flux plus amples et volatiles sur l'ensemble du territoire national. Il connecte des énergies renouvelables diffuses, des consommateurs sobres, des territoires actifs en matière de politique énergétique. Le réseau français est également relié à celui de nos voisins européens afin de bénéficier des complémentarités des « mix de production » à l'échelle du continent. Grâce aux avancées technologiques et à des mécanismes contractuels ou de marché, on évolue d'un réseau de puissance à un réseau hybride « puissance et digital ».

Pour accroître les capacités du réseau, RTE a pour priorité d'optimiser les ouvrages existants, en y consacrant 70 % de ses investissements pour la période 2017-2020. Les projets d'infrastructures nouvelles restent néanmoins nécessaires, en particulier pour accompagner le développement économique et démographique des territoires. Notre schéma décennal prévoit 4 gigawatts de capacité d'accueil de production éolienne offshore, 10 gigawatts de capacité d'interconnexion, soit une augmentation des deux tiers par rapport à aujourd'hui. 25 % des opérations concernées sont des liaisons aériennes, 29 % sont des créations de liaisons souterraines et 46 % des aménagements de postes électriques de 63 000 à 400 000 volts. Au total, près de 80 % des liaisons électriques créées le seront en souterrain ou en sous-marin.

La mise en oeuvre de ces projets sera naturellement concertée avec les parties prenantes des territoires.

La concertation préalable aux projets de transport d'électricité est effective depuis 1992 : RTE fait de la bonne intégration des projets dans les territoires une condition de leur réussite. C'est dans ce cadre que nous avons récemment adhéré à la charte de participation du public publiée par le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer en octobre 2016.

Notre défi est aujourd'hui d'être au rendez-vous de la transition énergétique. Or, les procédures applicables se sont empilées et complexifiées, allongeant les délais pour les créations de liaisons de transport d'électricité qui sont actuellement de cinq à dix ans. L'essentiel de ces délais est consacré aux processus participatifs et aux autorisations administratives, les travaux eux-mêmes ne durant que 10 à 12 mois. Nous voulons arriver, comme le préconise le Clean Energy Package de la Commission européenne, à un délai moyen de trois ans, proche de celui constaté au Danemark. Nous rationalisons les procédures, avec le soutien de l'État, en luttant contre la « surprotection » du droit français qui va souvent au-delà du droit communautaire - au reste, même les autorités européennes le déplorent, car cette « surprotection » nuit à l'image de l'Union européenne auprès de la population.

C'est pourquoi nous proposons des améliorations qui ne remettraient pas en cause les exigences de la concertation du public. Un exemple illustrera la complexité de la procédure. Le raccordement au réseau d'une source d'énergie renouvelable répond à des objectifs fixés au niveau national par la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), au niveau régional par le Schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE) ou le Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Le SRCAE est précédé, conformément à l'ordonnance « participation » du 3 août 2016, de concertations « amont » et « aval », c'est-à-dire d'une information et d'une participation du public sur les grandes orientations retenues puis sur le projet d'approbation. Dans les six mois suivant la révision ou l'adoption du SRCAE, est adopté un Schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), qui détermine les ouvrages à créer ou à renforcer pour atteindre les objectifs du SRCAE ; là aussi, des concertations « amont » et « aval » sont prévues. Une fois lancé, le projet de raccordement lui-même nécessite différentes concertations : d'abord, sous l'égide d'un garant, une concertation visant à informer et à faire participer le public sur l'opportunité et les caractéristiques essentielles du projet, conformément à l'ordonnance précitée du 3 août 2016 ; ensuite, une concertation des élus, services et associations locales en application d'une circulaire sectorielle dite « Fontaine » du 9 septembre 2002. Des solutions alternatives sont notamment étudiées. Enfin, la demande d'approbation du projet donne lieu à une enquête publique par voie dématérialisée et sur support papier.

On voit clairement « l'effet millefeuille » de ces processus, qui ne diminuent pas pour autant les recours contentieux. Leur bien-fondé n'est pas en cause : il convient d'associer et d'éclairer le public ainsi que les autorités compétentes. En revanche, les modalités de ces processus doivent être optimisées. Nous faisons quatre séries de propositions en ce sens.

D'abord, maintenons, en amont, la concertation sous l'égide d'un garant pour les grands projets : l'expérience montre que les populations se considèrent aussi bien informées ainsi que par un débat public. Articulons aussi les concertations prévues par l'ordonnance du 3 août 2016 et les concertations sectorielles de la « circulaire Fontaine », en encadrant ces dernières dans le temps. L'organisation d'une démarche participative compte davantage que sa durée : un délai trop long nuit au projet sans garantir une meilleure acceptabilité.

Nous proposons aussi que les concertations « aval » du projet, et en particulier l'enquête publique, ne portent plus sur l'opportunité du projet et ses caractéristiques, déjà débattues en amont, pour se concentrer sur la localisation, le tracé et les impacts concrets. Il convient aussi, compte tenu de la dématérialisation des procédures, d'alléger l'enquête publique sur support papier, et de rétablir la durée maximale supprimée par l'ordonnance « participation » du 3 août 2016. Enfin, si une expertise complémentaire ou une contre-expertise a déjà été conduite en amont, dans le cadre d'une concertation, il est inutile d'y soumettre à nouveau le maître d'ouvrage en aval, sauf cas prévus par les textes, notamment en matière de dérogation à la législation relative aux espèces protégées.

Troisième point, nous suggérons des évolutions aux ordonnances du 3 août 2016 relatives à participation du public et aux études d'impact environnementales. Il convient d'abord d'encadrer la notion de projet d'ensemble, composé de sous-projets, par des critères de temps ou d'espace. L'ordonnance « participation » du 3 août 2016 donne une interprétation très extensive de la notion de projet, ce qui ne va pas sans difficultés. Autre proposition : dès lors qu'un projet d'ensemble comporte certains sous-projets appelant une évaluation environnementale et d'autres n'en relevant pas, il convient de ne pas attraire le tout à une procédure d'évaluation environnementale et à une concertation préalable, sauf si l'ensemble doit avoir des influences négatives notables sur l'environnement. Nous redoutons que les textes de l'été dernier ne soient, sur ce point, une régression pour les porteurs de projets.

Enfin, dans le cadre de l'autorisation environnementale unique, nous proposons la possibilité d'une régularisation administrative lorsqu'apparaît, au cours du projet, un élément qui n'a pas été identifié lors du dépôt du dossier et qui nécessite l'obtention d'une autorisation administrative. Au stade de l'autorisation environnementale unique, le tracé envisagé est générique ; il arrive qu'une espèce protégée soit identifiée sur le trajet détaillé par la suite, ce qui nécessiterait alors une régularisation de l'autorisation non prévue par les textes.

M. François Tainturier, directeur du design du réseau, SNCF Réseau. - SNCF Réseau a une expérience de plus quinze ans en matière de participation du public : notre entreprise a mené quinze débats publics à l'occasion de la construction de nouvelles lignes depuis le début des années 2000. Ces débats ont fait évoluer la conduite de nos projets. Nous sommes passés d'un processus séquentiel où se succédaient la commande ministérielle, les études, la consultation et la transmission des résultats aux autorités de tutelle, à un processus de concertation continu - ce qui n'a pas été sans poser des problèmes avec nos prestataires. Plusieurs dispositifs ont été expérimentés, avec un recours de plus en plus fréquent au garant et la mise en place systématique de chartes précisant les modalités de la concertation. Les dispositifs testés combinent actions en présentiel et outils digitaux : ainsi, sur la ligne nouvelle Paris-Normandie, le citoyen avait accès à des cartes interactives et à des simulateurs de scénarios.

La politique ferroviaire est aujourd'hui concentrée sur la modernisation de l'existant et le maintien de la performance. Aucune nouvelle ligne n'est prévue avant un certain temps, mais les concertations se poursuivent : 35 en 2016, dont 18 organisées par SNCF Réseau sur la base du volontariat, notamment sur des passages à niveau ou l'intégration d'écrans acoustiques. Nous adaptons la concertation à la nature des projets. En parallèle, des démarches partenariales générales sont conduites pour capitaliser les bonnes pratiques et partager les enjeux avec les différentes parties prenantes. Nous avons ainsi noué des partenariats avec France Nature Environnement et le monde agricole, par l'intermédiaire de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) notamment. Les enjeux agricoles prennent une importance croissante dans nos projets. Le dialogue est renforcé par la mise en place, dans notre groupe, de « concertants » et de chargés des relations extérieures dans les régions.

SNCF Réseau rencontre néanmoins des difficultés croissantes dans la réalisation de ses projets, à la fois pour des raisons contextuelles - la raréfaction des ressources financières - et du fait de l'évolution des modèles de société qui pèse sur l'appréciation de l'opportunité des projets : ce qui paraît légitime lors du débat public ne l'est plus forcément dix ans plus tard. La multiplication des procédures et des avis à recueillir ainsi que l'augmentation des exigences quant au contenu de chacune des études ne facilitent pas l'information et la participation du public, en dépit de l'arrivée des outils digitaux.

Enfin, nous avons des interrogations particulières sur l'autorisation environnementale unique, qui soulève d'importantes difficultés pour les grands projets de lignes nouvelles.

M. Max Roche, directeur général adjoint d'Eiffage en charge des concessions. - En tant que concepteur, constructeur, concessionnaire et exploitant, Eiffage intervient à toutes les étapes des projets d'infrastructures. La participation du public n'est pas un nouvel enjeu pour nous : dès 1976, avec la mise en place de la démarche « éviter-réduire-compenser », nous avons travaillé avec les populations, nouant des contacts étroits avec les acteurs locaux et les riverains. Exemples d'une concertation réussie, l'autoroute A39 dite autoroute verte, entre Dijon et Bourg-en-Bresse, ou encore l'A77, toutes deux mises en service à la fin des années 90.

En revanche, les projets d'aménagement plus récents ou à l'étude, autour de Lyon, Clermont-Ferrand ou Grenoble, s'inscrivent dans des territoires plus urbanisés, ce qui suscite des attentes différentes : demande de mobilité, participation à la « co-construction » de l'ouvrage notamment. Ces projets, qui touchent des populations nombreuses, nécessitent des concertations à la fois larges et profondes, pour arbitrer de manière adéquate entre l'intérêt général et la légitime protection de certains intérêts particuliers.

Nous avons imaginé des dispositifs de concertation capitalisant sur notre expérience et notre ancrage local. Aujourd'hui, les procédures se sont étoffées, alourdissant les conditions de réalisation, allongeant les délais de mise en service avec des dossiers toujours plus complexes et un formalisme souvent mal adapté aux particularités de chaque projet. Paradoxalement, les dossiers sont moins accessibles au grand public et suscitent davantage de critiques. En pratique, les travaux sont trop souvent différés, ce qui n'est pas sans conséquence pour les utilisateurs et l'emploi.

Les textes publiés à l'été 2016 et au début 2017 laissent entrevoir un allègement des procédures, mais les premiers retours ne sont pas tous positifs. Le dispositif mérite une clarification, pour que les bonnes intentions deviennent de bonnes pratiques. À cette fin, nous avançons trois suggestions : mieux différencier les procédures de concertation en fonction de la taille et de la nature du projet ; mieux valoriser les efforts de réduction d'impact réalisés en amont par les acteurs économiques ; et enfin, au stade de la définition du projet, associer l'opérateur final aux phases de conception amont.

Mme Nathalie Boivin, directeur juridique, Vinci Autoroutes. - Rappelons qu'un autoroutier ne porte un projet qu'après l'inscription de celui-ci dans le contrat de concession. Alors que la réglementation française en matière de démocratisation du dialogue environnemental était restée assez timide, malgré les signaux envoyés au niveau européen, le principe général de participation du public, aussi en amont que possible, a été progressivement consolidé ; on évolue de la simple application des obligations réglementaires à la prise en compte de l'intérêt de ces procédures pour la bonne marche du projet.

La participation du public recouvre trois modalités : un débat public en amont sur l'opportunité du projet, ses objectifs et ses caractéristiques principales, mais aussi sur les solutions alternatives. Ce débat public, conduit sur 15 à 19 mois, est porté par l'État et non par le constructeur ou le concessionnaire d'autoroutes.

La deuxième phase est la concertation préalable, obligatoire ou facultative, pour définir le programme de l'aménagement et recueillir les avis des parties prenantes. Le projet d'élargissement de l'autoroute A10 entre Tours et Poitiers fait ainsi l'objet d'une véritable « co-construction » : le public peut choisir les éléments qui vont composer ce programme d'élargissement. D'une durée prévue de 8 à 12 mois, la concertation devrait coûter deux millions d'euros, pour un segment autoroutier de 93 kilomètres.

Enfin, la phase d'enquête publique s'inscrit dans la continuité de vie du projet en définissant précisément les ouvrages qui le composent. Le dossier indique l'ensemble des procédures ayant abouti à ce choix, dont le bilan coût-avantage de l'ouvrage, conformément à la jurisprudence « Ville nouvelle Est » du Conseil d'État de 1971. Il est désormais possible de suspendre l'enquête publique pour apporter des modifications substantielles au projet. Celui-ci, désormais très détaillé, fait l'objet d'un avis du commissaire enquêteur s'appuyant sur celui du public. Cela peut conduire à des ajustements dans la déclaration d'utilité publique. L'enquête publique dure 10 à 18 mois selon les projets, pour un coût de 100 000 à 200 000 euros.

L'élargissement de l'autoroute entre Tours et Poitiers traversant à la fois des zones urbaines et des terrains agricoles, nous avons imaginé une division en « îlots de concertation » traités par des groupes de travail réunissant élus et acteurs locaux, pour une première phase d'études de contexte, et une seconde phase d'ateliers thématiques. 5 000 personnes ont participé à l'espace interactif ouvert sur Internet pour le projet, qui a recueilli 670 contributions écrites.

Les derniers textes réglementaires marquent une nette accélération de la prise en compte de l'avis du public dans la définition et l'exécution des projets. Vinci Autoroutes partage les objectifs de ces obligations, mais ne considère pas le débat public comme un « gage de tranquillité » ; à ce stade, le projet n'est pas assez avancé dans la détermination des impacts environnementaux et des blocages humains. Au-delà des textes, il est opportun de rechercher l'adhésion du public en se montrant volontaire et innovant. La concertation doit en premier lieu être sincère. La nouvelle réglementation facilite l'intervention de la Commission nationale du débat public (CNDP) ; le recours au garant est également une avancée.

En revanche, quelques écueils importants persistent : le développement de la concertation ne peut pas être accompagné d'une réduction des délais. Aujourd'hui, les études d'impact comportent des éléments absents en 1976 : la contre-expertise de l'évaluation socio-économique, introduite en 2013, les mesures compensatoires à localiser, ou encore la doctrine de l'autorité environnementale. L'État, en tant qu'il édicte des normes, doit se mettre en cohérence avec le calendrier des projets et ces nouvelles obligations.

Le niveau d'études très poussé demandé pour le dossier de déclaration d'utilité publique impose de lourdes exigences aux services instructeurs, avec pour conséquence des délais de traitement plus longs. Le temps trop important qui sépare les procédures de démocratie participative de la mise en oeuvre du projet remet en cause la légitimité de ce dernier : le public, dans la phase d'enquête, peut être tenté de rouvrir le débat sur son opportunité. Les projets sont également vulnérables aux changements de réglementation.

Enfin, assimiler les concessionnaires autoroutiers à des entités adjudicatrices, soumises aux règles de la commande publique, ajoute six à sept mois au processus pour le choix des prestataires et l'attribution des contrats.

Autre écueil, la tentation de systématiser le débat public pour les projets de moindre importance, ce qui complexifie les démarches. Il faut faire confiance au volontariat et à la capacité d'adaptation des aménageurs, qui ont intérêt à obtenir l'adhésion du public.

Enfin, nous constatons l'accumulation d'une myriade de textes que les services instructeurs ne savent plus comment appliquer. Ainsi, des concepts très généraux comme la notion « d'impact » font parfois l'objet d'interprétations divergentes.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Soyez rassurés, nous ne prévoyons pas de proposer de nouveaux textes, nous raisonnons principalement à droit constant.

Au-delà du problème de la sédimentation de la règlementation, quelles difficultés concrètes rencontrez-vous dans vos projets de conception et de réalisation de grandes infrastructures ? Où sont les points de blocage ? Quels sont les délais moyens de réalisation ?

M. Christophe Boutin, adjoint au délégué général de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA). - La France possède un réseau autoroutier de 9 900 kilomètres couvrant l'ensemble du territoire. La phase de construction est par conséquent largement derrière nous.

Néanmoins, des concertations doivent encore être organisées. Sur les sections non encore concédées, elles sont menées par l'État ; les autres sont conduites par les concessionnaires, pour les projets de développement et de modernisation du réseau. Elles concernent notamment l'élargissement des voies ou la construction d'échangeurs.

Ces projets impliquent une concertation de nature différente de celle qui est menée pour la création d'infrastructures. Les enjeux sont plus locaux, notamment pour identifier le meilleur niveau d'association du public. Un projet de décret porté par le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer prévoit la saisine de la Commission nationale du débat public (CNDP) pour les projets d'élargissement des autoroutes, avec le précédent du projet envisagé Vallée du Rhône-Arc Languedocien (Vral) consistant à élargir à la fois les autoroutes A7 et A9, et dont le débat public a été organisé en 2006. Il s'agissait d'un projet de très grande ampleur. Or, il ne convient pas de procéder ainsi pour un tronçon de 40 kilomètres par exemple, au risque de complexifier les procédures. Les nouveaux projets sur nos réseaux sont principalement conduits dans les zones périurbaines et ne portent plus sur la création d'infrastructures nouvelles.

Le délai moyen est de quinze ans entre la décision de construire une autoroute et sa mise en service.

Mme Julie Taldir, chef du pôle « concertation et relations extérieures », de SNCF Réseau. - Pour la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays-de-la-Loire, le débat préalable a été organisé en 1994 pour une mise en service prévue cette année, soit 23 ans après. De tels délais entraînent un risque de remise en question de l'opportunité du projet.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Avez-vous une idée des délais moyens chez nos voisins ?

Mme Julie Taldir. - La durée de réalisation des infrastructures entraîne des questionnements récurrents sur l'opportunité du projet, ce qui interroge notamment sur la responsabilité des autres parties prenantes que le maître d'ouvrage. C'est parfois la nature même du projet qui est remise en cause. Il faut tenir compte du mode d'élaboration des projets ferroviaires, dont la plupart sont cofinancés, avec des compétences partagées. Cela implique de débattre avec toutes les personnes concernées, au-delà du seul maître d'ouvrage.

Enfin, il est difficile d'articuler les différents types de procédure de concertation dont certaines se rattachent au code de l'environnement, d'autres aux codes de l'urbanisme, avec des seuils différents. Ainsi, sur une ligne ferroviaire nouvelle, les projets de gare peuvent faire l'objet d'une nouvelle concertation au titre du code de l'urbanisme.

M. François Tainturier. - En Suisse, la démarche PRODES (programme de développement stratégique de l'infrastructure ferroviaire) part d'une définition de l'état souhaité du transport ferroviaire à l'horizon 2030, dont sont déduits les besoins d'aménagement et de financement. La concertation est menée à l'échelle de quatre grandes zones correspondant à des regroupements de cantons. Les votations seront organisées en 2018 et 2019. Cette méthode induit la réalisation de projets dont le financement est assuré et la conception comprise par la population. En France, il est prévu un investissement de 80 milliards d'euros dans les projets ferroviaires, mais son financement pose problème. Nous ne sommes pas en mesure d'assurer au public que certains projets à plusieurs milliards seront réalisés. Une décision d'annulation de la déclaration d'utilité publique de la ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges, rendue le 15 avril 2016, a ainsi conduit à une remise à plat du financement de ce projet.

La ligne à grande vitesse Bretagne-Pays-de-la-Loire a été réalisée en 23 ans, comme nous l'avons évoqué précédemment, alors que le projet a été mené de façon relativement « ramassée » : d'autres prennent dix, vingt, voire trente années de plus. La liaison ferroviaire Lyon-Turin a connu plusieurs modifications successives. Il conviendrait par conséquent de mieux maîtriser les procédures afin que les travaux puissent être lancés rapidement lorsque la décision finale est prise et le financement bouclé. À ce titre, la concertation du public en amont est structurante ; elle doit être suspendue en l'absence de financement.

De manière générale, plus l'on va vers le Sud, plus l'on peut procéder rapidement ; mais en cas de blocage, il n'y a pas de solution... En témoignent les vicissitudes de la ligne Lyon-Turin. L'Italie est en train de mettre en place l'équivalent de notre Commission nationale du débat public (CNDP).

Mme Estelle Salou. - En France, la réalisation d'un ouvrage de transport d'électricité prend huit à dix ans, en fonction de la nature de l'ouvrage, de la sensibilité environnementale et socio-économique de la zone. Les délais sont analogues en Allemagne mais beaucoup plus courts au Danemark, où ils ne dépassent pas quatre ans. Pourtant, ce sont les mêmes textes qui s'appliquent dans les trois pays : la convention d'Aarhus de 1998 et les directives communautaires en matière d'évaluation environnementale, d'outils de planification et de projets d'ouvrages.

Nous avons identifié trois points de blocage. Le premier est la durée et l'échelonnement des projets, qui pénalise au premier chef les gros consommateurs d'électricité, c'est-à-dire les clients industriels. Récemment, nous n'avons pas été en mesure d'assurer à l'un d'entre eux un délai de raccordement inférieur à deux ans, compte tenu des procédures à mettre en oeuvre. De même, nos clients producteurs d'énergies renouvelables ont beaucoup de projets à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs ambitieux fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Deuxième difficulté, la confusion entre les différents stades de la concertation. En amont, la concertation sous l'égide d'un garant devrait normalement être consacrée à la discussion autour de l'opportunité du projet, ses caractéristiques essentielles et les solutions alternatives ; en aval, c'est l'emplacement des ouvrages et l'impact concret du projet qui doivent être en jeu. Or, aujourd'hui, on parle de tout à tous les stades.

Enfin, très concrètement, le raccordement d'unités de production d'énergies renouvelables relevant auparavant du débat public est, depuis la loi de transition énergétique du 17 août 2015, soumis à une concertation sous l'égide d'un garant. Le but était d'en accélérer la réalisation. Néanmoins, l'ordonnance « participation » du 3 août 2016 a ensuite consacré une interprétation extensive de la notion de projet, entendu comme composé de sous-projets. En conséquence, un projet d'énergie renouvelable relevant du débat public est désormais susceptible d'attraire dans son champ d'application des raccordements au réseau, qui devaient en principe être soumis à une concertation sous l'égide d'un garant.

M. François Tainturier. - L'autorisation environnementale unique est un progrès pour la plupart de nos projets. Mais, pour les plus importants, comme le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO), dont le dossier d'enquête compte 10 000 pages, il est impossible de déterminer d'emblée un tracé précis. Les études d'avant-projet détaillé représentent à elles seules un coût d'environ 300 millions d'euros. Tandis que le projet de liaison Roissy-Picardie - six kilomètres de long - n'offre aucune marge de manoeuvre quant au tracé, lequel est donc connu dès l'enquête publique, un très grand projet linéaire nécessite des études très longues sur le foncier, en intégrant la problématique de l'archéologie préventive. Il conviendrait de maintenir, pour ce type de projet - ainsi des lignes nouvelles Marseille-Nice ou Paris-Normandie identifiées comme des priorités par la commission « Mobilité 21 » présidée par Philippe Duron en 2013 -, un processus séquentiel pour éviter la multiplication des enquêtes publiques.

M. Max Roche. - La concertation prévue par les textes est en effet inapplicable pour le linéaire d'importance : les évolutions inévitables du projet dans la durée obligent à reprendre la démarche à plusieurs reprises.

Mme Estelle Salou. - Pour les ouvrages linéaires, l'enquête publique porte sur la demande de déclaration d'utilité publique et sur l'autorisation environnementale. Nous souscrivons pleinement au principe de l'autorisation environnementale unique, qui s'inscrit dans une logique de rationalisation des procédures ; mais une plus grande souplesse dans sa mise en oeuvre serait souhaitable. À ce stade, le tracé envisagé pour le projet est générique ; il est par conséquent impossible de détecter la nécessité d'une éventuelle dérogation à la législation relative aux espèces protégées. Si celle-ci apparaît alors que l'autorisation environnementale unique a déjà été délivrée, nous serons contraints de réitérer la demande d'autorisation et, du même coup, l'enquête publique. Voilà un exemple d'alourdissement de la procédure auquel pourraient être substituées des modalités plus facilitatrices.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Avez-vous des méthodes concrètes pour aboutir au diagnostic partagé, par exemple des expertises indépendantes ?

Mme Nathalie Boivin. - Dans le cadre de l'élargissement de l'autoroute entre Tours et Poitiers, nous avons offert la possibilité aux riverains, qui contestaient les conditions de réalisation des études acoustiques, de les conduire eux-mêmes, en rédigeant le cahier des charges et en choisissant le prestataire. Un budget leur était alloué pour ces études. Une démarche analogue avait été conduite pour la ligne Lyon-Turin. Les résultats ont été très positifs, d'autant que le bruit est un sujet sensible.

Mme Julie Taldir. - Nous avons développé, dans une récente concertation, un outil digital de simulation de scénarios ; associé à des rencontres avec le public et des ateliers citoyens, permettant aux participants de comprendre les enjeux et les contraintes liés à la réalisation de l'infrastructure, il offrait la possibilité d'évaluer l'impact du projet sur les temps de parcours, le coût et l'environnement.

Dans les projets de moindre ampleur, il est possible de mettre en place les diagnostics grâce à des visites de terrain commentées et à un recueil de l'expertise d'usage des riverains. Nous avons procédé ainsi pour la suppression d'un passage à niveau très accidentogène.

M. François Tainturier. - Un enjeu essentiel est le partage des bonnes pratiques reconnues comme telles par les parties prenantes. Les trophées de la participation et de la concertation valorisent ainsi les efforts consentis sur des projets parfois très modestes, pour créer une culture commune et associer obligation de résultat et liberté de moyens.

Mme Estelle Salou. - La reconstruction du tronçon Lonny-Seuil-Vesle à proximité de Charleville-Mézières - 80 kilomètres de ligne à 100 000 volts - a été menée à bien dans un délai de six ans et demi. Grâce à une étroite coopération en amont avec les acteurs locaux - associations environnementales, instances représentant les intérêts socio-économiques du territoire -, sous l'égide d'un garant, ce projet a été un succès. L'enquête publique dématérialisée a ouvert la concertation à un public plus large, sans remettre en cause les opérations de proximité comme le « porte-à-porte » ou les bus itinérants. L'ensemble de ces outils apparaît complémentaire.

M. Christophe Boutin. - La mobilisation du public et le partage du diagnostic reposent en grande partie sur le relais assuré par les élus.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. -Pouvez-vous nous donner quelques exemples concernant le coût des procédures de concertation ?

Mme Nathalie Boivin. - La concertation dans le projet d'élargissement de l'autoroute Tours-Poitiers a coûté deux millions d'euros. Pour le tronçon de 6 kilomètres de Chambray, dont la consultation a été menée en 2012, nous étions à 650 000 euros. Nous avons proposé des modélisations pour montrer aux riverains l'inscription du projet dans l'environnement. À l'époque, le coût était plus élevé, la maquette numérique ne s'étant pas encore démocratisée. Nous sommes dans une logique d'amélioration de l'adhésion du public.

M. Henri Cabanel, président. - Avez-vous une idée du coût des démarches participatives par rapport au coût total du projet ?

M. Max Roche. - Pour l'autoroute A65 entre Pau et Langon, nous avons dû mettre en place une compensation environnementale sur 1 372 hectares représentant 25 millions d'euros. Comparé à de telles sommes, le coût de la concertation du public n'est pas un sujet.

Mme Estelle Salou. - Le surcoût a été chiffré, dans les projets de RTE, à 5 à 10 % ; il résulte des demandes du public pour modifier ou allonger le tracé des réseaux, prévoir l'implantation de nouveaux pylônes plus esthétiques. Plus la concertation dure, plus les demandes sont nombreuses.

Mme Julie Taldir. - Dans les grands projets, la phase de débat public est suivie d'une concertation « post-débat public ». La durée totale de conception de l'ouvrage peut atteindre une dizaine d'années, avec des coûts supplémentaires liés aux avenants qu'il est nécessaire de conclure. Pour les projets plus modestes, les chiffres sont proportionnels aux enjeux et aux impacts.

M. François Tainturier. - SNCF Réseau a mis en place des observatoires dans le cadre de projets concédés, sur les lignes Le Mans-Rennes et Tours-Bordeaux, afin de nourrir des bilans ex post de la concertation du public. Les effets ont été très positifs. Nous prenons ainsi connaissance des impacts bien avant la mise en service. Il est important de faire le lien entre ce que l'on constate en amont et le suivi des effets. C'est le rôle de ces observatoires.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Le risque contentieux est-il un élément que vous avez appris à banaliser ? Ou, au contraire, vous gêne-t-il dans la mesure où les autorisations n'étant pas purgées du recours des tiers, cela pourrait dissuader le financeur ?

Mme Nathalie Boivin. - Le risque varie beaucoup en fonction de la nature du projet et du contexte local. De manière générale, les recours se multiplient. Dans le cadre de l'élargissement de l'A85 entre Tours et Vierzon, un maire a attaqué les 17 actes faisant grief...

Nous manquons de recul sur les nouveaux textes ; les anciennes règles ne suscitaient pas de recours exponentiels. Nous craignons, bien sûr, le référé suspensif, qui nous oblige à attendre le recours au fond pour reprendre les travaux ; mais c'est aussi un élément important de la démocratie. De plus, pour les plus grands projets, ils doivent être purgés de tout recours pour être financés.

Mme Estelle Salou. - Les grands projets sur les ouvrages de transport d'électricité suscitent systématiquement des recours, même si le dispositif de concertation est mis en oeuvre. Mais ceux-ci ne sont pas toujours représentatifs de l'acceptabilité globale des projets. Ainsi, la ligne aérienne Cotentin-Maine de 163 kilomètres à 300 000 volts, destinée à renforcer le réseau en amont pour permettre au réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville de l'alimenter, a été contestée localement par des minorités. Plus d'une centaine de contentieux ont été menés, dont certains perdurent alors que la ligne est en service depuis trois ans ; mais l'ouvrage a, dans le même temps, donné lieu à 90 % d'accords amiables au cours des procédures d'expropriation.

M. François Tainturier. - La déclaration d'utilité publique de l'un de nos grands projets - la ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges - a été annulée l'an dernier. Nous avons dû retarder le projet et relancer une mission de financement, en modifiant le périmètre. Nous avons procédé à des modifications similaires pour le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO), dans le cadre de la commission « Mobilité 21 », avec les risques afférents.

Les recours se sont multipliés, mais une grande partie d'entre eux sont d'ordre générique. Nous adaptons notre démarche en fonction des collectivités territoriales concernées. Les études sont approfondies pour limiter les risques, avec cette conséquence que les dossiers ne cessent de gonfler, au détriment des objectifs de lisibilité et de simplification de l'information donnée au public.

Enfin, comme par exemple pour le projet précité du GPSO, il existe un long moment à l'issue de la concertation et de l'enquête publique, durant lequel nous n'occupons pas le terrain. L'enjeu consiste aussi à gérer ces temps faibles.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 heures.