Mercredi 8 février 2017

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Table ronde sur l'état des infrastructures routières et autoroutières, autour de Mme Christine Bouchet, MM. André Broto, Pierre Calvin, Pierre Chasseray et Jean-Claude Luche

M. Hervé Maurey, président. - Le sujet des infrastructures est au coeur des compétences de notre commission. Nous nous sommes rarement réunis pour parler des infrastructures routières et autoroutières, hormis pour les avis budgétaires autour de nos rapporteurs Jean-Yves Roux et Louis Nègre. Le réseau routier français est particulièrement développé, avec plus d'un million de kilomètres de voirie. Le réseau autoroutier, essentiellement concédé, s'étend sur 11 500 kilomètres, le réseau national sur près de 10 000 kilomètres, en raison du transfert de nombreuses voies aux collectivités locales, et le réseau départemental sur 379 000 kilomètres. Or nous observons une tendance inquiétante à la dégradation du réseau routier et autoroutier. Nous souhaitons par ailleurs assurer le suivi du plan autoroutier de 2015 et évoquer le nouveau plan de relance conclu à la fin du mois de janvier dernier.

Jean-Yves Roux nous a alertés, lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2017, sur la dégradation du patrimoine routier et autoroutier. Alors que plus de 85% des chaussées étaient dans un état correct entre 2010 et 2012, ce chiffre est tombé à 83% en 2015, s'infléchissant à partir de 2013. Cela entraîne des ralentissements, des restrictions de circulation et des problèmes de sécurité. La réduction des crédits d'entretien de l'État en est l'une des premières causes, de même que l'abandon de l'écotaxe : la recette prévue de 1,2 milliard d'euros qui aurait dû être affectée à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, l'Afitf, n'a été ni remplacée ni compensée. De plus, elle avait le mérite d'établir un lien entre l'utilisation de la voirie et la redevance, à l'instar du système autoroutier.

Les autoroutes se dégradent également. Si la proportion de celles en très bon état est stable autour de 65 %, la proportion de celles en bon état était de 31 % en 2011 avant de chuter à 18 % en 2013. Le réseau considéré comme plus ou moins dégradé est passé de 5 % à 16 %. Le concessionnaire est chargé de l'entretien et l'État de contrôler le concessionnaire. Selon la Cour des comptes en 2013, l'État doit renforcer ses contrôles.

Les départements, de leur côté, ont dû faire face à la réduction des dotations et aux contraintes budgétaires qui ont réduit leurs crédits.

Ces constats nous interrogent : même si la dégradation est encore faible, la tendance est là... Et quand la dégradation est avérée, entretenir le réseau est plus compliqué et plus coûteux ; l'exemple du ferroviaire doit nous inciter à être d'autant plus prudents et réactifs.

Les questions que nous souhaitons vous poser sont donc les suivantes. Comment expliquer cette dégradation ? Quelles actions pourraient y remédier rapidement ? L'Observatoire national de la route, créé en janvier 2016, a-t-il permis d'améliorer la situation ? Les recommandations de la Cour des comptes sur la qualité du patrimoine autoroutier sont-elles appliquées ? L'État prend-il davantage de mesures contraignantes envers les concessionnaires ? Comment a évolué le patrimoine routier géré par les départements ? Les travaux du plan de relance autoroutier, avec 3,3 milliards d'euros d'investissement en contrepartie de l'allongement de la durée des concessions, ont-ils démarré à temps ? Dans le cas contraire, les pénalités prévues ont-elles été appliquées ? L'engagement des sociétés d'autoroutes de réserver 55 % des travaux à des PME et ETI sera-t-il tenu ? L'État peut-il le vérifier ? L'objectif de créer 10 000 emplois est-il réaliste et mesurable ? Comment est mis en oeuvre le protocole conclu entre l'État et les sociétés autoroutières ? Le Sénat, malgré mes multiples demandes auprès du Premier ministre, n'a jamais pu en obtenir une copie. Le nouveau plan de 800 millions d'euros, essentiellement financé par les collectivités locales, est censé créer 5 000 nouveaux emplois. Avec quatre fois moins d'argent que pour le plan précédent, réussir à créer deux fois moins d'emplois seulement est un ratio qui nous interpelle.

Nous accueillons Mme Christine Bouchet, directrice des infrastructures de transport au ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer, M. Jean-Claude Luche, sénateur de l'Aveyron, représentant l'Assemblée des départements de France, l'ADF, M. André Broto, conseiller du président de Vinci Autoroutes, représentant l'Association des sociétés françaises d'autoroutes, l'Asfa, M. Pierre Calvin, directeur prospective, commercial et marketing de Colas, représentant l'Union des syndicats de l'industrie routière française, l'Usirf, et membre de son bureau, et M. Pierre Chasseray, délégué général de l'association 40 Millions d'automobilistes.

Mme Christine Bouchet, directrice des infrastructures de transport au ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer. - Sur le réseau routier national, le Gouvernement a fait siennes, en 2013, les recommandations de la commission « Mobilité 21 », en donnant la priorité à l'entretien et à la modernisation des réseaux existants, pour faire face au vieillissement qui touche tous les réseaux, qu'ils soient routiers ou ferroviaires. Tout retard pris dans la maintenance ou le renouvellement des infrastructures existantes pose des problèmes de qualité du service, voire de sécurité. Les plans de rattrapage sont très lourds pour les finances publiques, et doivent être engagés dans la durée.

Le réseau national vieillit. Lors de l'audition budgétaire, nous vous avons fait part que l'indice qualité du réseau - dans ses différentes facettes : chaussées et ouvrages d'art - se dégradait continuellement depuis plusieurs années. Même s'il n'y a pas de problème de sécurité majeur, le risque d'atteinte au patrimoine est réel, avec pour conséquence de l'inconfort, des obligations de limitation des vitesses, de restrictions de circulation, comme nous avons pu en connaître à la fin de l'hiver 2014-2015, notamment dans l'Est de la France. Les exemples allemand et italien nous incitent à une grande vigilance.

Les crédits consacrés à la maintenance sont issus de deux sources : la loi de finances alimente le programme « Infrastructures et services de transport », tandis que le budget de l'Afitf est consacré à l'investissement et non à l'entretien courant. L'Afitf finance des opérations de régénération de plusieurs lignes pour l'exploitation du réseau routier national comme la mise en sécurité des tunnels. Les crédits du budget de l'État connaissent l'érosion liée aux contraintes globales des finances publiques. En 2010, la baisse significative des crédits a été partiellement compensée les années suivantes. Les programmes de l'Afitf pour la mise en sécurité des tunnels ont mobilisé d'importants crédits en raison de leur caractère prioritaire ; cela représente autant en moins pour les chaussées ou les ouvrages d'art.

Le constat doit être nuancé : la maintenance des infrastructures est une priorité du Gouvernement. Un premier plan d'investissement sur le réseau routier national, mis en place par l'Afitf en 2015, a accordé 80 millions d'euros supplémentaires à de nouveaux chantiers. L'effort a été renouvelé en 2016, avec 120 millions d'euros pour la régénération du réseau national. Au total, 400 opérations de régénération ont été réalisées en 2015 et 2016. L'effort, triplé par rapport aux crédits de 2012, témoigne de la prise de conscience et de décisions concrètes pour l'amélioration du réseau. En 2017, le budget de l'Afitf prévoit de continuer les efforts pour la régénération du réseau. Il faudra les poursuivre, car deux années d'efforts ne suffiront pas à enrayer la dégradation du réseau et à lui faire retrouver le niveau souhaitable.

Outre ces efforts financiers, les services de l'État, au sein de la direction des infrastructures de transport, mais aussi des services opérationnels, ont réalisé des efforts d'optimisation des politiques, de productivité, d'optimisation des stratégies d'entretien, indispensables pour demander ensuite des financements. La création des directions interdépartementales des routes, les DIR, a été très porteuse. Nous avons développé des politiques et des analyses innovantes, notamment des approches par itinéraires pour avoir une vision précise et priorisée des besoins, et mieux anticiper et coordonner les travaux, ce qui nous permet de limiter au maximum la gêne pour les usagers.

Des marges de manoeuvre peuvent être dégagées sur les techniques routières. Nous avons des attentes envers les entreprises. Des solutions techniques doivent être valorisées et développées, comme les techniques minces à moindre coût pour optimiser les dépenses d'entretien, les enrobés coulés à froid ou les enrobés tièdes, développés avec les entreprises dans une démarche de transition écologique. La création de partenariats entre les maîtres d'ouvrage et les entreprises peut être un levier dans ce domaine.

L'Observatoire national de la route a été mis en place en début d'année grâce à l'Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité, ou l'IDRRIM, et au secrétariat d'État. Le réseau routier national a ouvert ses données, effectuant un important effort de transparence pour une connaissance précise de l'état du réseau, des dépenses section par section, utiles pour une meilleure gestion du patrimoine et la définition de politiques adaptées. Je reviendrai ultérieurement sur les enjeux de gestion du patrimoine autoroutier et des plans de relance.

M. Hervé Maurey, président. - En effet, si nous souhaitons des interventions liminaires brèves, nous voulons aussi recueillir des informations sur le contrôle par l'État des concessions, considéré comme défaillant par la Cour des comptes. Monsieur Luche, vous allez nous présenter le réseau départemental, réseau routier bien plus important que celui de l'État.

M. Jean-Claude Luche, sénateur de l'Aveyron, représentant l'Assemblée des départements de France, l'ADF. - Je suis très heureux d'intervenir devant vous au titre de l'ADF, même si j'ai démissionné de la présidence du conseil départemental de l'Aveyron depuis une semaine, pour éviter le cumul des mandats. Mais je connais très bien les routes de l'Aveyron, et le beau viaduc de Millau, construit par un concurrent de Vinci... Je parlerai donc surtout de ce territoire que je connais, même si les départements ont les mêmes préoccupations.

Les départements ont trois dilemmes : la réduction des dotations de l'État ; la nécessité de se substituer à l'État pour cofinancer des infrastructures routières appartenant à l'État ; la forte progression des dépenses de fonctionnement et notamment des dépenses sociales, limitant d'autant les marges de manoeuvre pour les routes.

L'Aveyron compte 6 200 kilomètres de routes, pour un budget de 365 millions d'euros et 280 000 habitants. J'ai choisi de maintenir un niveau élevé d'investissements pour permettre plus d'activité et donc d'emploi. Nous avons le taux de chômage - de 7,5 % - le plus bas d'Occitanie, après la Lozère. Nous investissons en moyenne 245 euros par habitant.

La route nationale RN 88 aurait besoin d'être transformée en autoroute. J'ai contractualisé avec l'État et la région pour la cofinancer. L'État n'a plus les moyens d'investir ni d'entretenir les routes nationales, en mauvais état. J'ai donc investi 50 millions d'euros sur ce tronçon, mais cela vient en déduction des investissements pour mon propre patrimoine. Le désenclavement autoroutier est structurant pour le développement d'un département comme le nôtre afin de maintenir les populations, l'activité et l'emploi. Mais je dois aussi investir dans le très haut débit, dans un aéroport - 3 millions d'euros par an - et dans les autoroutes à la place de l'État.

Pour retrouver des marges de manoeuvre financières, j'ai dû augmenter les impôts de 6,5 % l'année dernière. Ce n'est pas facile dans le contexte actuel, mais indispensable pour investir, créer des emplois et entretenir les routes départementales, qui sont en très bon état. Nous avons été contraints de rationaliser les coûts et de gérer différemment notre patrimoine. Désormais, un seul agent se déplace par véhicule, avec des outils informatiques adaptés. Nous n'avons pas renouvelé 60 agents des routes sur 300. Malgré notre capacité à investir, nous nous heurtons à la grosse machine de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, ou DREAL, qui est davantage un censeur qu'un partenaire, sans parler du Conseil national de protection de la nature, le CNPN, qui met au moins trois mois à rendre un avis. Pendant ce temps, les chantiers sont bloqués malgré le vote des crédits, même si nous avons contractualisé avec l'État et obtenu une maîtrise d'ouvrage déléguée. J'en ai parlé au directeur de cabinet de M. Vidalies : faute du déblocage des crédits de paiement, les entreprises ont arrêté le chantier.

Un million d'euros de travaux sur les routes aveyronnaises ne couvrent pas autant de voirie que la même somme en Picardie ou en Beauce : nous devons déneiger, établir des barrières de dégel... On ne peut pas avoir une règle unique s'appliquant partout - c'est une tentation française, et je pense à mes collègues travaillant sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement... Nous travaillons selon les conditions météorologiques, la pente et l'altitude, et non à partir de statistiques. Entretenir des routes n'est pas la même chose dans le Larzac, la vallée du Lot ou l'Aubrac... Les départements ont d'autant plus de difficultés à financer leur patrimoine qu'ils doivent financer également celui de l'État. Ils sont souvent plus vigilants sur l'état des routes, les affaissements, les ouvrages d'art... En Aveyron, nous avons 3 000 ponts, 1 000 kilomètres de murs de plus de trois mètres de haut. Lorsque le prix du fuel, donc du goudron, fluctue, la différence est incroyable sur les marchés. Récemment, nous avons pu lancer des appels d'offres à des prix normaux, mais si le prix du pétrole augmente de 20 %, cela aura des effets directs sur un chantier de 20 millions d'euros.

En moyenne à l'échelle nationale, 53 agents sont affectés par département à l'entretien de 1 000 kilomètres, contre 38 dans mon département. Nous avons du matériel adapté, et nous avons rationalisé notre organisation grâce aux outils informatiques, à la réduction du nombre de centres d'exploitation et de la masse salariale, pour pouvoir investir. Nous sommes le département qui investit le plus par habitant.

M. Hervé Maurey, président. - Vous étiez un président de département pour lequel la route était encore une priorité, mais certains départements ont réalisé des économies à son détriment, depuis plusieurs années. À un moment donné, ils sont rattrapés par les événements - en témoigne l'exemple ferroviaire - d'autant que les dotations ont été réduites depuis. La qualité des routes peut être très mauvaise.

M. Rémy Pointereau. - Monsieur Luche, pouvez-vous nous indiquer quel est le coût par habitant, en fonctionnement et en investissement, d'un département à un autre ?

M. Jean-Claude Luche. - Je n'ai pas de chiffre exact, car la sauvegarde, la réfection des chaussées, est une dépense d'entretien, mais que nous essayons de faire passer en investissement pour récupérer la TVA. Nous investissons 240 euros par an par habitant, mais je n'ai pas le chiffre des frais de fonctionnement.

M. Hervé Maurey, président. - Il serait utile que l'ADF nous communique ces chiffres pour saisir les variations d'un département à l'autre.

M. André Broto, conseiller du président de Vinci Autoroutes, représentant de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes, l'Asfa. - Le patrimoine autoroutier couvre 11 500 kilomètres, dont 9 000 sont gérés par une quinzaine de concessionnaires autoroutiers. Sur 100 kilomètres de routes, on compte 300 hectares de chaussée, 110 ouvrages d'art, 300 ouvrages hydrauliques, 9 échangeurs équipés de gares de péage, 3 aires de services, 6 aires de repos, un centre d'exploitation et 700 hectares de patrimoine naturel à entretenir, sans compter le passage d'animaux sauvages. Les équipements évoluent vite, notamment les tunnels. Et la densité d'équipement s'accroît : chacun veut des panneaux à messages variables, du Wi-Fi sur les aires de repos et de service... On veut de plus en plus être connecté. Ainsi le tunnel entre Rueil et Versailles sur 10 kilomètres compte autant d'appareils d'appui que sur 800 ponts, autant de parements que sur 1 000 kilomètres d'autoroutes, et autant d'informations qui remontent que sur 1 000 kilomètres d'autoroute. Ces équipements vieillissent vite et doivent être remplacés.

Pour les autoroutes concédées, les politiques d'entretien sont guidées par les contrats prévoyant des indicateurs Image qualité du réseau autoroutier, IQOA pour les ouvrages d'art et IQRA pour l'état des chaussées que nous transmettons depuis longtemps aux services de la direction des infrastructures de transport et depuis un an à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l'Arafer. Je ne sais pas d'où vient l'idée que l'état des chaussées se dégrade.

Nous avons des dizaines de millions de clients que nous interrogeons chaque année. Ainsi, 9 400 d'entre eux ont été interrogés l'année dernière sur 40 questions. Depuis 2006, ce baromètre de satisfaction est contractuel entre l'État et les sociétés autoroutières. Les 40 critères sont regroupés en 9 registres. La note d'état des autoroutes, de 8,3 en 2006, est passée à 8,5 en 2016. Le passage au péage, la sécurité sur les aires de repos, les infrastructures des aires, la sécurité routière, les conditions de circulation, la signalisation et l'information, ainsi que l'esthétique, s'améliorent. L'opinion de l'usager est fondamentale, car nous assurons ce service pour lui. Nous suivons également l'avis des automobilistes étrangers. Des inspecteurs de l'Union européenne - du European Road Assessment Programme (EuroRAP) - enquêtent aussi régulièrement. En 2010, ils ont vanté la qualité exceptionnelle du réseau concédé en France. Les notes sont bonnes et elles s'améliorent.

M. Hervé Maurey, président. - Permettez-moi de vous interrompre : des données objectives soulignent que la proportion du réseau plus ou moins dégradé, selon l'État, a augmenté de 5 à 16 %. Ne soyons pas dans le déni de réalité, et tenons compte du constat et de l'avis de la Cour des comptes souhaitant plus de contrôle de l'État sur les concessionnaires d'autoroutes.

M. Charles Revet. - Cela, c'est autre chose...

M. Hervé Maurey, président. - Évitons tout déni de réalité ou toute autosatisfaction ; c'est plutôt une pratique de certains politiques. Or vous êtes un chef d'entreprise.

Mme Christine Bouchet. - Je reviendrai ensuite sur les modalités de contrôle.

M. Hervé Maurey, président. - Les chiffres que j'ai communiqués sont ceux de l'État.

M. André Broto. - Nous disposons de deux atouts par rapport aux gestionnaires d'autoroutes non concédées : une ressource affectée pérenne et la présence d'un seul acteur sur toute la chaîne, de l'investissement à la maintenance, en passant par la conception, ce qui permet d'optimiser les arbitrages entre l'entretien immédiat et les grosses réparations - de même qu'on le ferait pour une habitation. Depuis un an, nous transmettons à l'Arafer toutes les données sur les ouvrages d'art et les chaussées, en plus de les transmettre à la direction des infrastructures de transport.

M. Pierre Calvin, directeur prospective, commercial et marketing de Colas, représentant de l'Union des syndicats de l'industrie routière française, l'Usirf. - Je vous remercie d'être venus si nombreux, prouvant l'importance du sujet. L'évolution démographique nous montre que la nécessité d'entretenir le réseau est croissante, notamment dans les zones rurales ayant de plus en plus besoin de se raccrocher à d'autres territoires. Près de 87 % du transport de voyageurs et 86 % du transport de marchandises se font par la route. On associe souvent routes et véhicules individuels, mais la route est le support des mobilités comme les transports scolaires, les services, les bus en ville... La route est ouverte sept jours sur sept, 24 heures sur 24, grâce aux équipes d'entretien du secteur public et privé. Cela fonctionne en général très bien.

La durée de vie des infrastructures est longue, mais aujourd'hui nous devons, en plus de l'entretien, anticiper sur de futurs besoins pour une route connectée, en relation avec les véhicules, ou la surveillance des tunnels... De plus en plus d'informations transiteront par la route.

Le Consumer Electronic Show de Las Vegas sur les nouvelles technologies a présenté de nombreuses innovations sur les infrastructures routières ; je n'ai pas vu de tapis volants... La route reste un axe structurant. Les pays émergents dépensent des centaines de millions de dollars pour en construire, de même que d'autres pays pour rattraper leur retard d'entretien, comme nous le faisons sur le réseau ferré actuellement.

Si nous n'entretenons pas les réseaux, aurons-nous les moyens de le faire plus tard ? Quand on n'a pas les moyens d'investir un euro pour l'entretien, il faudra, pour atteindre le même résultat, en dépenser dix, dix ans plus tard. La dégradation évolue, et il y a un décalage dès qu'on dépasse un certain seuil.

Les crédits dévolus à l'entretien du réseau communal ont également baissé de plus de 20 % sur les trois dernières années. Réfléchissons aux moyens de le financer. Les chiffres d'affaires de nos entreprises varient de plus ou moins 20 % en période préélectorale et postélectorale, alors que le réseau s'use de la même manière. Il va falloir trouver un autre système pour financer cela. Cela a des conséquences locales, puisqu'environ 2 000 salariés par département travaillent dans ce secteur, avec beaucoup d'établissements maillant le territoire. Depuis 2010, l'activité s'est contractée de 30 %, et le nombre de salariés a diminué de 20 %. Les entreprises se sont adaptées, mais le réseau est totalement dégradé depuis.

Faut-il faire financer l'entretien par l'usager ou le contribuable ? Intéressons-nous à l'étranger : un prélèvement de 0,27 centime de dollar par gallon est prévu aux États-Unis et au Canada, soit 7 centimes par litre, et est directement affecté à la maintenance des réseaux. La France a les capacités techniques et intellectuelles et les moyens humains, le problème est financier. Si la modernisation du réseau n'est pas réalisée rapidement, on court à la catastrophe.

M. Hervé Maurey, président. - Le financement est essentiel. L'Afitf, en raison de l'abandon de l'écotaxe, est en déficit structurel de plusieurs centaines de millions d'euros.

M. Pierre Chasseray, délégué général de l'association 40 Millions d'automobilistes. - La route de demain dépend de nos actions passées. Nous avons un vaste réseau d'un million de kilomètres, avec un problème de riches : comment l'entretenir ? Ce réseau, auparavant irréprochable, faisait la fierté de notre pays ; nous l'avons constaté en allant voir les réseaux routiers au Royaume-Uni et au Danemark. La France a pu ainsi désenclaver ses territoires et faire une vraie décentralisation grâce aux routes. Mais il y a quelques années, le Grenelle de l'environnement a été un drame pour l'entretien des routes, même s'il a apporté aussi de bonnes choses. Il n'est plus politiquement correct d'entretenir des routes. Il y a un décalage monumental entre le langage pour les médias et celui des habitants qui souhaiteraient qu'on entretienne ses routes. Il va falloir agir, même si les collectivités veulent investir uniquement dans les transports en commun. Or un bus roule sur la route ! Un camion, c'est l'équivalent d'un million de voitures... Notre association a réalisé un audit du réseau et lancé le blog « jaimalamaroute.com », qui a fait deux fois la Une du Parisien. Et nous avons un indicateur d'opinion : le réseau routier s'est dégradé, plus personne n'en doute.

Économiquement, des taxes carbone à gogo sur le carburant ont permis d'engranger des sommes importantes, tout en mêlant une part de réalité et de mensonge sur le diesel. Le financement doit s'appuyer aussi sur la réalité pragmatique de l'entretien des routes, plutôt que de financer certains projets contestables, mais écologiquement ou politiquement plus parlants... Répondons à l'avis des 60 millions de Français prenant leur voiture chaque jour.

Je me bats au quotidien contre certaines mesures étranges, en faisant de l'écologie au quotidien, et pour la sécurité routière. La sécurité routière, malheureusement impopulaire, est comme un tabouret à trois pieds, reposant sur un automobiliste raisonnable - personne ne veut mourir sur la route - dans une automobile entretenue et sur une route entretenue. Si un pied manque, ne nous étonnons pas de la reprise des accidents. Lorsque le nombre d'accidents diminue, c'est grâce aux mesures gouvernementales, mais lorsqu'il augmente, c'est en raison du relâchement du comportement des automobilistes, par exemple entre le 31 janvier et le 1er février ? Établir des indicateurs mensuels n'a aucun sens, alors qu'il y a des tendances lourdes sur un an. Nous avons sans cesse plus de radars, de répression, de mesures contraignantes. Mais le seul indicateur qui n'est pas bon, c'est celui de l'état du réseau routier !

Nous rassemblons deux millions de personnes qui se plaignent de cette dégradation du réseau routier. Or, lorsqu'un marquage au sol rétroréfléchissant est apposé, il y a moins d'accidents. Certaines mesures marchent.

À la suite de la publication de nos résultats sur les routes les plus dégradées de France, avec les deux pieds dans des nids-de-poule, je me suis déplacé sur le terrain. En Alsace, certains responsables d'entreprises de travaux publics m'ont expliqué qu'ils n'avaient plus ou peu de contrats. Comme ils ont des employés en CDI, ils les mettent en chômage technique, et pendant ce temps, l'État prend en charge 50 % des salaires. Lorsqu'on n'entretient pas le réseau pour faire une économie, on transfère les charges à l'État via les indemnités chômage... Cette situation ubuesque me choque. Les automobilistes sont conscients du manque d'entretien. Si on ne veut pas fermer de routes, interrogeons-nous sur la possibilité de financer leur entretien par la hausse du prix des carburants...

M. Hervé Maurey, président. - Il nous faudrait aussi parler des deux plans de relance autoroutiers : ont-ils été mis en oeuvre ? Les petites entreprises ont-elles été privilégiées ?

M. Jean-Yves Roux. - Le Gouvernement a annoncé un plan de relance le 26 janvier dernier, pour un montant d'environ 800 millions d'euros. Il prévoit 32 échangeurs, 25 aires de covoiturage et des aménagements. J'en salue la rapidité, puisque la négociation a commencé en juillet 2016. Son financement doit être réparti entre les collectivités territoriales et les concessionnaires. Comment envisagez-vous le partenariat entre collectivités territoriales ? Le ministère des transports indique que ce plan créera 5 000 emplois. Pouvez-vous détailler vos intentions en la matière ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Comme les départements ont moins de moyens, ils font moins de travaux, et la qualité baisse. Le coût de l'entretien des routes départementales augmente, car l'enrobé n'est plus de même nature, ce qui rend aussi les routes plus bruyantes. À combien évaluez-vous le coût total de l'entretien annuel du réseau ? Où en est le plan de relance engagé en 2013-2014 ? Il s'élevait au total à 3,5 milliards d'euros, et le seuil d'appel d'offre était fixé à 500 000 euros, pour que les petites entreprises puissent y participer. Est-il entièrement mis en oeuvre ? Les concessionnaires autoroutiers seraient-ils prêts à travailler sur d'autres parties du réseau, moyennant un plan de relance complémentaire ?

M. Hervé Maurey, président. - Mme Didier va sans doute poser une question sur les ouvrages d'art...

Mme Évelyne Didier. - Sur ce point, j'attends le rapport du Conseil d'État. Les concessionnaires participeront-ils à l'effort de transparence dont l'Observatoire est la manifestation ? Dans la dernière concession dont j'ai entendu parler, l'État a apporté 4 milliards d'euros sur les 7 milliards d'euros nécessaires. Il s'agissait sans doute d'un projet de ligne de TGV. Mais pourquoi l'État ne cherche-t-il pas un retour sur investissement, qui pourrait par exemple abonder le budget de l'Afitf ? Pourquoi son apport prend-il la forme d'une subvention, et non d'une participation ?

Sans les poids lourds, nos infrastructures seraient quasiment éternelles. L'accroissement continu du poids des essieux et des camions m'inquiète. Déjà, sous la pression du secteur agroalimentaire, nous sommes passés aux quarante tonnes, et, en catimini, aux soixante tonnes. Quand évaluerons-nous le coût de ce laisser-faire en termes d'entretien supplémentaire ?

Certes, le réseau routier porte 80 % du trafic en France. Pour autant, les autres réseaux appartiennent aussi à notre patrimoine et le ferroviaire, en particulier, ne doit pas être oublié. Je me rappelle que, lorsque j'étais conseillère générale, on considérait que le temps de renouvellement du revêtement était de six ou sept ans. Est-il toujours de cet ordre ?

Je connais le combat de M. Chasseray pour défendre les utilisateurs des routes, mais il me semble dangereux de faire remonter les difficultés au Grenelle de l'environnement. La réalité est que les investissements sont insuffisants. Cela renvoie à la question plus vaste du partage des richesses créées dans ce pays, notamment entre les différents niveaux de collectivités territoriales, dont les compétences respectives ont évolué.

M. Alain Fouché. - L'État s'est totalement désengagé des routes nationales depuis quelques années. Il a transféré les routes aux départements, et le personnel qui les entretient, s'il a d'abord souhaité rester au sein des directions départementales de l'équipement (DDE), a fini par comprendre qu'il trouverait de meilleures conditions de travail au sein des départements. On dit que nos routes sont les plus chères d'Europe, et M. Attali parle de la France des ronds-points. N'y aurait-il pas des économies à faire ? Le gaspillage semble avéré. En particulier, la politique d'intéressement aux travaux des ingénieurs des DDE est-elle toujours d'actualité ?

M. Broto nous dit que les clients sont satisfaits : heureusement ! Vu les tarifs, et les sommes fabuleuses que vous recevez de l'État, le contraire serait affligeant...

Je partage le combat de M. Chasseray, notamment contre les radars ou les amendes déclenchées à 32 kilomètres-heure quand la limite est à 30. Les accidents sont dus essentiellement à la drogue, à l'alcool et à la vitesse. Combien sont imputables à l'état des routes ? Si le pourcentage est élevé, la responsabilité de l'État serait écrasante.

M. Charles Revet. - L'état des autoroutes ne me paraît pas si dégradé, à en juger d'après les quatre - A15, A28, A29 et A13 - que j'emprunte régulièrement. Ce sont plutôt les réseaux départementaux et nationaux qui inquiètent. L'enrobé que nous y connaissions cède parfois la place à des gravillons. Lorsque l'A28 a été réalisée, il a suffi d'un scarabée dans un arbre mort pour générer un surcoût de 20 millions d'euros et un retard de deux ans.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Sept ans !

M. Charles Revet. - Il y a une quinzaine de sociétés d'autoroutes en France. Comment sont-elles structurées ? Qui détient leur capital ? Comment leurs dirigeants sont-ils choisis ?

Mme Annick Billon. - Les techniques nouvelles d'entretien peuvent aussi accroître la sécurité. Quelle proportion des budgets de maintenance est consacrée à la sécurité ? Certains tracés doivent être adaptés à l'évolution de la circulation. M. Chasserey va trop loin en dénonçant le Grenelle, mais il est vrai que les abattages de platanes déclenchent de grands mouvements de protestation.

M. Rémy Pointereau. - Je me réjouis que la loi NOTRe ait préservé la compétence des départements sur la voirie, car la proximité simplifie la gestion. Je ne partage pas l'avis de notre président sur l'état des autoroutes, qui me paraissent au contraire bien entretenues. À mon sens, le principal problème est l'engorgement aux gares de péages, par exemple entre Bourges et Vierzon. L'accidentologie y est-elle la même que sur le reste du réseau ? Bien sûr, la baisse des dotations des collectivités territoriales diminue les investissements et affecte l'entretien des routes. Nous avons un réseau considérable de routes communales.

M. Pierre Calvin. - 600 000 kilomètres !

M. Rémy Pointereau. - Leur entretien fléchit. Or nous savons bien que les accidents se produisent, pour la plupart, près du domicile et non pendant les longs parcours. Vous avez évoqué le Grenelle, mais rappelons le travail de sape de Mme Voynet sur les investissements en matière d'autoroute. Certains techniciens expliquent que l'amélioration de l'état d'une route augmente le nombre d'accidents. Est-ce à dire qu'on limiterait leur nombre en gardant les routes dans un état médiocre ?

M. Hervé Maurey, président. - Sur l'état du réseau autoroutier, je n'ai pas donné mon avis, mais mentionné les chiffres des services de l'État. Je voudrais aussi rappeler que certaines routes départementales ont été transférées aux EPCI.

M. Michel Raison. - Attention à la démagogie en matière de sécurité routière. La principale cause d'accident reste les erreurs des conducteurs, pas l'état de la chaussée. Et chaque fois que nous relâchons les efforts, le nombre de tués augmente. Comme tout le monde, j'ai eu des amendes pour avoir roulé à 51 ou à 91 kilomètres-heure. C'est désagréable, bien sûr, mais enfin il faut bien fixer une limite ! Nous avons encore plus de 3 000 morts chaque année, sans compter les paralysés, les familles affectées... C'est un sujet grave. Quant au Grenelle, il n'a pas semé le désordre qu'en matière de voirie ! Dans nos villes, on hésite à refaire certaines routes, de crainte que les conducteurs n'accélèrent. L'absence d'entretien améliore parfois la sécurité routière !

M. Jean-François Longeot. - Comme dans le ferroviaire, il y a un vrai problème de financement. Les départements ont des difficultés. Et, en l'absence d'entretien, le coût sera décuplé. La suppression de l'écotaxe a été une grosse erreur ! Les accidents viennent peut-être des erreurs des conducteurs, mais le mauvais état des routes n'arrange rien.

M. Pierre Médevielle. - L'état prévisible des finances des collectivités territoriales est inquiétant. Comment l'entretien sera-t-il assuré ? Il faudra sans doute cibler les investissements. Or, chicanes et ronds-points se multiplient, sur des routes qui voient passer trois ou quatre voitures par jour. C'est dangereux pour les deux-roues, et les poids lourds les détruisent souvent. Mieux vaudrait concentrer les moyens là où ils sont le plus nécessaires. De gros progrès ont été faits dans la capacité des véhicules à absorber les chocs. Beaucoup de neurologues indiquent que le port d'un casque adapté réduirait considérablement les conséquences de nombre d'accidents.

M. Jean-Claude Leroy. - Les routes départementales qui coûtent le plus cher sont celles qui ont été transférées par l'État. L'article 19 de la loi NOTRe leur conférant un intérêt régional, on peut espérer une participation des régions. Mais l'État pourrait être remis dans le jeu grâce aux CPER. La charge des départements s'en trouverait allégée.

M. Gérard Miquel. - La notion d'itinéraire doit être clarifiée. Certains itinéraires à caractéristique autoroutière sont gratuits, alors qu'ils sont financés par l'État - mais celui-ci n'en a plus les moyens. D'autres ne sont payants qu'en partie, car telle personnalité politique a obtenu la gratuité d'un tronçon. Cela n'est plus supportable. Il faut de la lisibilité. Je ne me plains pas de la décentralisation, à condition qu'elle s'accompagne d'un transfert de moyens. Dans mon département, chaque citoyen a la charge de l'entretien de 45 mètres de route ! Les routes communales sont souvent prises en charge par des communautés de communes ou d'agglomération. Celles-ci ne développent pas suffisamment de synergies avec les équipes des départements. Il faut unifier l'outil d'entretien des routes dans chaque département - qui est le bon échelon pour exercer cette compétence.

Mme Christine Bouchet. - L'état des chaussées du réseau concédé est qualifié par les statistiques de « moyen » pour 15 % de sa surface, et de « mauvais » pour 0,5 %. Globalement, la situation est donc satisfaisante. Sur les 12 000 ouvrages d'art qu'il compte, seuls 3 % ont la structure « altérée » ou « gravement altérée ». Les contrats de concession énumèrent des indicateurs qui font l'objet d'un suivi annuel par les services de l'État et, depuis peu, par l'Arafer. De plus, l'État diligente des contrôles et des audits à son initiative. Nous renforçons depuis des années les exigences en matière de patrimoine dans les contrats de concession. Le non-respect des indicateurs sur ce point déclenche des pénalités. Les concessions historiques prendront fin dans une quinzaine d'années. Un rendez-vous est prévu sept ans avant leur terme pour dresser un bilan complet et établir un programme de travaux et de remise en état. Aussi devrons-nous collecter un maximum de données en amont.

L'observatoire de l'état des routes concerne tous les maîtres d'ouvrage. C'est pour cela qu'il sera porté par l'IDRRIM, qui est leur lieu de rencontre et de dialogue avec la profession routière. Les collectivités territoriales, les concessionnaires et l'État devront mettre leurs données à disposition. Nous l'avons fait en septembre dernier. Nous comptons sur les concessionnaires et l'ADF pour faire de même.

Pouvons-nous faire participer des concessionnaires à des travaux hors domaine concédé ? En principe, non. Les débats sur l'adossement avaient été vifs lors de la préparation du dernier plan de relance. Pour autant, le secteur concédé verse chaque année près d'un milliard d'euros à l'Afitf. Les subventions de l'État s'expliquent par le fait que les concessions nouvelles concernent des secteurs ou des axes moins rentables. Comme l'Europe interdit l'adossement, une concession doit être autoporteuse, et le niveau des péages ne peut être indéfiniment relevé.

Mme Évelyne Didier. - Mais pourquoi l'État ne prend-il pas une participation, au lieu de verser une subvention ? Dans l'exemple que j'ai cité, la subvention représente la moitié du coût. Monstrueux ! En principe, une subvention n'est qu'un coup de pouce.

Mme Christine Bouchet. - Il faut bien prendre en compte l'ensemble des coûts. Et votre exemple concernait une concession ferroviaire, je crois.

Le plan de relance autoroutier a été approuvé en 2015. Il est en cours de mise en oeuvre. Certains travaux s'étaleront jusqu'en 2024. Les conditions d'accès pour les PME sont contrôlées par l'Arafer. Le schéma de financement par un allongement des concessions n'a pas été retenu pour le nouveau plan, en cours de finalisation, et dans lequel les collectivités territoriales concernées devront contribuer aux travaux les concernant, tout comme les usagers, puisque les péages augmenteront.

M. Hervé Maurey, président. - Où en est-on dans les créations d'emplois auxquelles le premier plan devait donner lieu ? Les petites entreprises y ont-elles participé ?

Mme Christine Bouchet. - L'Arafer examine tous les marchés passés par les concessionnaires.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Nous avions demandé un contrôle ex ante !

M. Hervé Maurey, président. - Les engagements pris seront-ils tenus ? Nous souhaiterions en avoir la certitude. Les annonces ne sont pas toujours suivies d'effets.

Mme Christine Bouchet. - Le contrôle effectif par l'Arafer est une garantie.

M. André Broto. - Les dossiers lui sont transmis avant le début des travaux. Et la DGCCRF participe à chaque commission des marchés. Le plan de relance a été signé en septembre 2015. Il fallait ensuite consulter les maîtres d'oeuvre. Puis, les maîtres d'oeuvre ont réalisé les dossiers de consultation des entreprises, avant qu'un appel d'offres ne soit passé. Chez Autoroutes du Sud de la France (ASF), deux marchés ont été attribués, pour un montant total de 200 millions d'euros, à Valerian et Guintoli.

On estime en général qu'un million d'euros dépensés en travaux publics donnent directement du travail à quatre hommes par an, ou encore deux hommes pendant deux ans, et génère environ trois emplois indirects. Avec 800 millions d'euros, ce sont donc 3 000 emplois directs et 2 000 emplois indirects qui seront générés. Le financement partenarial entre collectivités territoriales et sociétés d'autoroutes est courant : beaucoup d'échangeurs ont été financés ainsi depuis vingt ans. L'État contrôle alors la contribution de la société d'autoroute.

S'il est difficile, pour une société d'autoroute, d'intervenir hors réseau concédé, il est arrivé, entre l'A406 et la N79, qu'une société investisse 9 millions d'euros pour améliorer une connexion - ou encore 90 millions d'euros un peu plus loin sur la N79. À Toulon, il fallait élargir un tunnel géré directement par l'État. Il a été intégré à la concession d'Escota, par adossement. La trousse à outils de la puissance publique est bien remplie : actionnariat, régie directe, concession, adossement...

Il faut distinguer actionnaires et contrats de concession. L'actionnaire d'ASF était autrefois l'État. C'est à présent Vinci. Pour autant, le contrat continue à produire ses effets. L'actionnaire intervient dans la communication et le financement. Mais l'actif unique, c'est le contrat, puisque nous ne sommes pas propriétaires des autoroutes. Aussi celui-ci est-il très présent dans nos relations avec l'État.

L'indicateur de satisfaction des clients est désormais un indicateur contractuel. En moyenne, il y a cinq fois moins d'accidents sur le réseau autoroutier qu'ailleurs. Pour autant, nous devons poursuivre les efforts. En 2002, nous avons eu 328 tués ; en 2005, 224 ; en 2015, 174 ; entretemps, ce chiffre était descendu à 151. La première cause d'accident sur autoroute est la somnolence, qui intervient dans 26 % des cas.

Il arrive en effet que les péages soient engorgés, même si nous avons fait un gros effort pour développer les moyens de paiement de type Liber-T.

Mme Christine Bouchet. - L'attente aux péages fait partie des indicateurs de performance.

M. Pierre Calvin. - Le plan de relance doit favoriser les entreprises non liées aux concessionnaires, quelle que soit leur taille. Les premiers appels d'offres sont publiés. Nous comptons environ 160 000 euros par emploi, ce qui aboutit au même chiffre total de 5 000 emplois par an.

Nous réduisons la capacité, actuellement, d'un pont par jour. Combien de temps pourrons-nous continuer ? La complémentarité, oui, mais il y a trente fois plus de route que de ferroviaire. Et lorsque le ferroviaire ne fonctionne pas, on peut prendre la route, alors que l'inverse n'est pas toujours vrai.

Avec cinq fois moins d'accidents, l'autoroute montre bien le rôle de l'infrastructure dans la sécurité. Entre un revêtement usé et un tapis neuf, la distance de freinage varie de 50 %. C'est-à-dire qu'on s'arrête avant le passage piéton, et non après...

Deux aspects déterminent l'usure d'une chaussée : sa structure, mise à mal par le passage des poids lourds, et son revêtement, qui souffre du passage de tout type de véhicule. La durée de vie moyenne d'un revêtement a nettement augmenté, pour atteindre 17 ans.

Notre patrimoine routier vaut 2 000 milliards d'euros. Et l'on ne consacre que 15 milliards d'euros par an pour l'entretenir, soit 0,75 % de sa valeur. À ce rythme, il faudra 130 ans pour le renouveler !

La majorité des revêtements installés aujourd'hui font l'épaisseur d'un caillou. Les économies ne peuvent plus se faire à ce niveau, car les enrobés sont déjà très minces. Les taux de marge des entreprises routières sont de 2 % ou 3 %. Et nos deux plus grosses sont les premières au monde.

M. Alain Fouché. - J'avais déposé un amendement, contre l'avis obstiné de M. Hortefeux, pour qu'on puisse récupérer un point en six mois. Comment sont affectées les recettes des amendes de police ?

M. Pierre Chasseray. - Écotaxe : avec un tel nom, cela ne pouvait pas marcher ! Le revêtement call-grip réduit les distances de freinage et évite bien des accidents. Savez-vous de quand date le dernier rapport faisant le lien entre sécurité routière et entretien des routes ? De 1995 ! Depuis, silence radio. Pourtant, ce rapport indiquait que 47 % des accidents étaient imputables au mauvais entretien de la route. Bien sûr, c'est une erreur de l'automobiliste qui déclenche l'accident. Mais la route, comme une glissière de sécurité, peut faire qu'il ne soit pas mortel. Il faut donc étudier ce lien entre état du réseau et accidents. J'ai entendu dire qu'une route entretenue serait accidentogène. Ce discours vient d'une femme, que vous connaissez tous, et qui déclare par ailleurs que la consommation de stupéfiants n'est pas dangereuse au volant, car elle fait ralentir... Rappelons que les stupéfiants sont impliqués dans 25 % des accidents survenus en 2016, proportion qui a décuplé en dix ans. Non, une route entretenue n'est pas plus accidentogène : sinon, les autoroutes seraient des cimetières ! Pour autant, il arrive qu'une route refaite incite à accélérer. L'astuce est alors de réduire le champ visuel des conducteurs, par des dispositifs floraux par exemple. C'est le phénomène des French Avenues, qui réduit la vitesse moyenne de 6 %.

Les automobilistes ne relâchent pas leur vigilance, au contraire. Les générations nouvelles ont toujours entendu parler de sécurité routière. Le seul indicateur objectif est le manque d'entretien routier. Quant à l'argent de la répression, seuls 30 % des 1,6 milliard d'euros récupérés sont affectés à des projets d'entretien des routes. C'est peu. Accroître cette proportion légitimerait les amendes. Cela dit, la France n'a jamais été bonne en la matière. Nous sommes le quatorzième pays européen. En Angleterre, 60 % des radars ont été désactivés depuis 2009, car M. Cameron a mis un terme à la guerre contre les automobilistes. Ce pays obtient à présent les meilleurs résultats d'Europe. À trop vouloir sauver le soldat radar, on oublie les autres causes d'accidents.

Mme Christine Bouchet. - Une partie importante du réseau national a été transférée aux départements, avec les moyens humains et financiers nécessaires. L'intéressement des ingénieurs aux travaux a disparu depuis les années 1970.

M. Hervé Maurey, président. - Merci à tous pour ces précisions.

La réunion est close à 11 h 10.