Mercredi 25 janvier 2017

- Présidence de M. Jean-Claude Requier, président -

La réunion est ouverte à 15 heures

Audition de M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)

M. Jean-Claude Requier, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, plus connue sous le nom de Frontex. Son siège se trouve à Varsovie, mais M. Leggeri est actuellement dans les locaux bruxellois de l'agence, où nous discuterons avec lui par visioconférence.

Frontex, instituée par un règlement européen de 2004 et opérationnelle depuis 2005, a pour mission d'assister les États membres pour mettre en oeuvre les règles communautaires relatives aux frontières extérieures et de coordonner leurs opérations dans la gestion de ces frontières, chaque État membre restant toutefois responsable de la partie de la frontière qui se trouve sur son territoire.

Dans le contexte de la crise migratoire, elle a vu ses prérogatives étendues et ses moyens renforcés, en particulier avec la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes de 1 500 agents. La France y contribuera à hauteur de 170 personnes.

La nouvelle Frontex, dont la réforme est entrée en vigueur en octobre 2016, joue un rôle fondamental dans le renforcement des frontières extérieures de l'Union européenne, et donc dans le bon fonctionnement et la pérennité de l'espace Schengen. D'ailleurs, chacune de nos auditions a été l'occasion d'aborder son rôle. Lundi dernier encore, lors d'un déplacement d'une délégation de notre commission d'enquête à Bruxelles, un agent de Frontex nous a fait une présentation très impressionnante du dispositif Eurosur de surveillance des frontières.

Pouvez-vous nous exposer les nouvelles missions de Frontex ? Comment et avec quels moyens va-t-elle les mener à bien ? Selon quelles modalités collabore-t-elle avec les États membres et avec d'autres agences européennes ? Quelles sont ses prérogatives propres ? Joue-t-elle un rôle dans le dispositif d'évaluation Schengen, sujet qui nous intéresse particulièrement ?

Telles sont quelques-unes des questions qui intéressent notre commission d'enquête. Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions. Enfin, je vous indique que cette audition fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié.

M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex). - Depuis sa création, Frontex a connu plusieurs réformes, dont la dernière en date, celle de 2016, a permis, au-delà d'un changement de nom, d'approfondir ses compétences existantes et de lui confier de nouvelles missions, en particulier dans le domaine maritime.

Ce nouveau mandat permet à Frontex, en étroite collaboration avec les États membres et les autres institutions et agences de l'Union européenne, d'améliorer de manière qualitative sa contribution au contrôle des frontières extérieures. Dorénavant, la gestion de ces frontières est appréhendée comme un ensemble puisqu'elle inclut aussi, dans une démarche horizontale, des questions liées à la criminalité ou au risque terroriste.

Je souhaite, dans un premier temps, évoquer quelques missions nouvelles de l'Agence.

En ce qui concerne la gouvernance de l'espace Schengen, nous sommes chargés de procéder à des études de vulnérabilité. Pour cela, nous allons collecter des informations relatives aux moyens opérationnels et budgétaires des États membres, analyser le fonctionnement des services concernés et évaluer les risques. À terme, nous pourrons comparer, sur une base mensuelle, les moyens dont dispose un État et les menaces qui ont été identifiées. Si l'Agence constate des manques sur le plan opérationnel et estime que des actions correctrices sont nécessaires, son directeur exécutif pourra proposer des mesures et un calendrier de mise en place. L'Agence pourra apporter son aide à l'État membre de différentes manières : opérations conjointes, formations, déploiement de moyens...

Il est important de souligner que nous ne sommes pas là pour sanctionner un État membre, mais pour identifier les mesures opérationnelles nécessaires. Dans le cas où cet État ne peut pas - ou ne veut pas - les mettre en place, le directeur exécutif pourra élever la question à un niveau politique, ce qui pourra déboucher sur une recommandation du conseil d'administration, voire sur une décision du Conseil.

La mise au point d'une stratégie opérationnelle de gestion intégrée des frontières extérieures constitue une autre mission nouvelle de l'Agence. Préparée avec les États membres, elle sera approuvée par le conseil d'administration de Frontex. La gestion des frontières ne se déroule pas uniquement à leur démarcation : c'est un processus global qui demande la coopération de différents services des États membres (police, immigration, douanes, autorités consulaires...), mais aussi de pays tiers, et qui contient une forte dimension opérationnelle.

J'ajouterai que, depuis 2011, l'Agence était une sorte de conseiller technique pour la Commission européenne, en particulier lors des exercices d'évaluation de l'espace Schengen. Aujourd'hui, nous sommes en capacité, à ce titre, de déployer vingt-cinq experts, que ce soit pour des opérations programmées ou non. Nous fournissons aussi à la Commission européenne une analyse des risques qui permet de choisir les lieux de ces évaluations.

Troisième mission nouvelle que je souhaite évoquer : la sécurité et la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Dans ce cadre, nous allons renforcer les coopérations existantes avec Europol et avec les services de police et d'enquête des États membres. Notre nouveau mandat inclut les douanes, avec lesquelles nous pourrons donc dorénavant coopérer.

Nous pourrons procéder à des échanges et collectes d'informations, y compris personnelles, avec deux finalités : alimenter les enquêtes pénales et gérer les flux migratoires. Sur ces sujets, nous sommes en liaison avec le Contrôleur européen de la protection des données, qui est l'équivalent de la CNIL, et nous travaillons avec Europol et les autorités nationales et européennes compétentes, par exemple le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO).

En ce qui concerne le retour des étrangers en situation irrégulière, souvent appelé éloignement en France, notre mandat est également plus large, puisque nous pouvons prendre un certain nombre d'initiatives. Toutefois, l'Agence ne dispose pas d'une compétence exécutive en la matière, la décision de renvoi d'un étranger en situation irrégulière demeurant de la compétence nationale. Nous pouvons aider les États sur le plan logistique : par exemple, nous avons organisé 32 vols de retour en 2014, 66 en 2015 et 232 en 2016 et contribué à renvoyer 3 500 personnes en 2015 et 10 700 en 2016. Nous travaillons aussi avec les États membres, en particulier la Grèce, sur l'application de l'accord de réadmission conclu avec la Turquie ; Frontex a ainsi contribué au renvoi de 950 personnes depuis le 20 mars 2016.

Nous disposons donc de moyens nouveaux pour identifier les migrants en situation irrégulière et pouvons apporter notre appui aux États membres. Je prends un exemple : la Grèce rencontrait de grandes difficultés pour organiser des vols de retour vers le Pakistan, parce que ce pays ne lui délivrait pas de laissez-passer consulaires. L'intervention de Frontex a montré à ce pays que la Grèce n'était pas la seule concernée, ce qui a donné plus de poids dans les discussions et a finalement permis de faire appliquer l'accord de réadmission conclu entre le Pakistan et l'Union européenne.

Quels sont les moyens mis à la disposition de l'Agence pour remplir ce nouveau mandat ?

L'autorité budgétaire de l'Union européenne, à savoir le Conseil et le Parlement, sur proposition de la Commission européenne, a approuvé un plan d'augmentation des ressources, qui progressent très significativement depuis deux ans : notre budget s'élevait à 95 millions d'euros au début de l'année 2015 - 142 millions en fin d'année, à la suite de deux décisions prises en cours d'exercice - et à 250 millions en 2016 ; il atteint 310 millions en 2017. Le cadre financier pluriannuel fixe une cible de 330 millions d'euros pour 2020.

En termes de personnel, 76 postes ont été créés en 2015-2016 et les décisions prises en 2016 prévoient une augmentation de 50 % en 2017. Aujourd'hui, 380 agents travaillent à l'Agence et nous devrions être 1 000 d'ici à 2020. Ces créations concernent à la fois le siège de Frontex et les différentes activités opérationnelles aux frontières et dans des pays tiers (en Turquie, en Afrique ou dans les Balkans, voire en Asie). Il s'agit bien de personnels recrutés par l'Agence, pas d'agents mis temporairement à disposition par les États membres.

En ce qui concerne les déploiements opérationnels aux frontières, comme Triton en Italie ou Poséidon en Grèce, nous faisons appel aux garde-frontières et garde-côtes des États : environ 750 en Grèce, 500 en Italie, 100 en Bulgarie et 70 sur le pourtour des Balkans. Nous travaillons donc aussi sur les frontières terrestres, nous sommes par exemple en train de renforcer la frontière Nord de la Grèce pour nous assurer de la fermeture de la route des Balkans. Nous finançons les États membres pour ces opérations, sauf les salaires.

Le nouveau mandat entré en vigueur en octobre 2016 a permis une grande avancée : la création d'une réserve d'intervention rapide constituée de 1 500 officiers qui sont mobilisables en dix jours ouvrables. Il s'agit d'une obligation pour les États membres, elle est inscrite dans le règlement communautaire. Le fonctionnement normal de nos opérations est assuré par des mises à disposition temporaires, et pas par cette réserve.

Nous disposons, au total, d'un potentiel de 5 000 garde-frontières et garde-côtes répertoriés dans l'Union européenne, qui ne sont pas tous déployés en même temps. Aujourd'hui, l'agence déploie, à un moment donné, environ 1 500 personnes qui sont mises à disposition par les États membres. En cas de déclenchement d'une intervention rapide, il ne faudrait pas que nous soyons obligés de réduire la taille de nos opérations actuelles.

En ce qui concerne les équipements techniques (bateaux, avions, véhicules ou autres appareils), l'Agence a la possibilité juridique et budgétaire d'en acquérir un certain nombre. Nous disposons déjà d'un contrat-cadre de surveillance aérienne, qui nous permet de louer des avions lorsque les États membres ne sont pas capables d'en fournir suffisamment. Nous avons utilisé cette formule depuis un an dans différentes situations opérationnelles, par exemple en Italie, en Grèce, en Espagne ou en Bulgarie. Nous travaillons à des formules comparables dans le domaine maritime ; cela peut passer par des locations de longue durée ou par des accords avec certains États membres... Avec l'expérience, nous réussissons à évaluer ce qui nous manque et à quantifier les équipements dont l'Agence doit se doter pour être autonome et ne pas dépendre totalement des États.

En ce qui concerne la coopération avec d'autres agences de l'Union européenne, nous travaillons conjointement avec Europol et l'EASO, dans le cadre des hot spots, ainsi qu'avec l'Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM) et l'Agence européenne de contrôle des pêches (AECP) sur les fonctions de garde-côtes. Le mandat de ces deux dernières agences a été modifié en octobre 2016, afin de couvrir la totalité du spectre des fonctions de garde-côtes civils. Nous sommes dépourvus de toute compétence militaire, mais nous avons des projets communs.

À cet égard, certains de nos projets-pilotes ont déjà été testés au cours des derniers mois, à l'instar du déploiement, au sud de l'Italie, d'inspecteurs des pêches opérant pour Frontex dans le cadre de Triton. Grâce à cette coopération, l'AECP a obtenu pour la première fois les preuves documentées de certaines pratiques de pêche illégales, ce qui lui permettra d'être plus efficace dans son coeur de métier.

Nous travaillons en étroite collaboration avec l'AESM pour l'échange de données satellitaires, que nous achetons au Centre satellitaire de l'Union européenne. Nous sommes également en pourparlers pour l'achat/ la location de drones civils.

L'ensemble de cette synergie opérationnelle peut réduire le coût de certains équipements et optimiser leur utilisation, tout en facilitant l'application de la loi. En effet, quand un bateau déployé par Frontex constate une infraction qui n'est pas visée par son mandat, il transmet l'information aux autorités nationales et européennes compétentes, telles que l'AESM ou l'AECP.

M. Jean-Claude Requier, président. - Merci de cet exposé détaillé, Monsieur le Directeur. Nous allons maintenant passer aux questions des membres de la commission d'enquête.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'interopérabilité de l'espace Schengen est un enjeu majeur. Comment voyez-vous son évolution en termes de performance, et dans quels délais ? Comment vos interventions, qui supposent dans certains cas une autorisation, sont-elles compatibles avec la souveraineté des États ? Des négociations bilatérales sont-elles en cours ou cela relève-t-il d'accords de courtoisie ? Enfin, Frontex a-t-elle vocation à devenir de façon pérenne le douanier de l'espace Schengen ?

M. Fabrice Leggeri. - Pour l'interopérabilité de l'espace Schengen, tous les acteurs doivent être pleinement conscients qu'un cadre juridique préexiste à nos travaux, notamment en matière de transmission des données personnelles et d'enquêtes. Le contrôle des frontières extérieures de l'espace Schengen a pour objet de réguler les flux migratoires, mais aussi de détecter toute forme de menace, y compris de nos propres ressortissants, criminels ou terroristes potentiels.

Il faut que, au sein de chaque État, tous les services concernés s'insèrent bien dans le réseau d'échange et d'exploitation de l'information en temps réel. L'enjeu se situe donc autour de la structuration de cette coopération opérationnelle. La gestion intégrée des frontières extérieures est l'outil grâce auquel nous pourrons aider, dans une proportion variable, les États membres à structurer la coopération nationale entre les services, et non seulement à travailler avec d'autres États de l'Union. L'objectif est d'éviter qu'une section de la frontière extérieure soit moins bien gérée que d'autres.

La responsabilité est partagée entre l'Union et les États membres souverains, au terme du règlement de 2016. Nous exerçons ensemble cette responsabilité, chacun dans son mandat, et devons organiser cette mission.

L'interopérabilité doit aussi porter sur la mutualisation des moyens de communication, en particulier pour la stratégie d'acquisition de certains équipements à long terme. Cela permettra la mise à disposition de moyens techniques pour des opérations de l'Union européenne ou entre deux États limitrophes, ainsi que des bases de données telles que le fichier Schengen, le système d'information sur les visas ou Eurodac. Il faut y ajouter de nouveaux dispositifs comme celui des entrées et sorties en cours de discussion à Bruxelles ou ETIAS, reprenant le modèle américain ESTA, qui est destiné à encadrer l'accès de l'espace Schengen aux ressortissants étrangers exemptés de visa. La Commission européenne a mis en place depuis un an un groupe de travail sur l'interopérabilité des systèmes d'information afin de faciliter la consultation des différents fichiers par les différents intervenants concernés.

J'en viens à la souveraineté des États.

Aucun changement n'affectera les plans opérationnels tels que Triton ou Poséidon, qui seront signés par le directeur exécutif de Frontex, chargé de recueillir au préalable l'accord des autorités nationales. Le commandement tactique reste national. Avec l'augmentation des moyens qui lui sont accordés, l'Agence peut déployer des officiers coordinateurs sur le terrain, repérer d'éventuelles déviations et asseoir son statut d'observateur au sein de l'Union.

Des officiers de liaison vont être déployés dans les États membres afin de contribuer à l'évaluation de la vulnérabilité et de s'assurer que ceux-ci sont en mesure de faire face aux menaces auxquelles ils sont confrontés. Ils pourront aussi mieux structurer l'interopérabilité. Soyons prudents : les États sont souverains, mais leurs intérêts au sein de l'espace Schengen sont identiques, avec une frontière extérieure commune.

Notre rôle à long terme est d'être le creuset d'un corps de garde-frontières et de garde-côtes au service de l'Union européenne. Le choix du législateur européen est pragmatique car il nous permet d'avancer dans la coopération. Néanmoins, Frontex n'a pas uniquement pour vocation d'organiser des opérations en urgence pour gérer les crises. Au quotidien, elle veille au fonctionnement homogène de la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne. Pour que l'espace Schengen renforcé puisse continuer à vivre, nous avons besoin d'une volonté politique.

M. Jean-Yves Leconte. - Quelles seraient les conséquences d'une adhésion à l'espace Schengen de la Roumanie et de la Bulgarie au regard de la surveillance des frontières entre la Grèce et la Bulgarie, d'une part, et entre la Grèce et la Turquie, d'autre part ? Dans ce cas, la Grèce ne serait plus une île. Disposez-vous d'une évaluation sur la façon dont sont contrôlées les frontières terrestres, aériennes et maritimes des États de l'Union européenne ? Quand pourrons-nous afficher un système aussi robuste que celui des États-Unis ? Qu'en est-il des visas émis ou refusés par les pays membres de l'espace Schengen ? Quelle est l'évolution des routes de migration vers l'Union européenne au cours des derniers mois ?

M. Fabrice Leggeri. - L'Agence Frontex a déployé une centaine d'agents en Bulgarie, à la frontière à la fois avec la Turquie et avec l'ancienne République yougoslave de Macédoine, de façon à bloquer la route d'immigration irrégulière des Balkans.

L'adhésion de la Roumanie ou de la Bulgarie à l'espace Schengen ne constituerait pas nécessairement un grand bouleversement du point de vue des flux de migrants provenant éventuellement de Turquie, puisqu'ils ont principalement afflué vers la Grèce. Si la Bulgarie adhérait à l'espace Schengen, la Grèce ne serait effectivement plus « une île ». Par conséquent, la pression migratoire en provenance de Turquie serait peut-être plus équitablement répartie entre la Grèce et la Bulgarie. La présence de migrants clandestins dans des trains de marchandises en provenance de Turquie vers la Bulgarie est un phénomène nouveau qui est lié à la mise en place de contrôles maritimes plus stricts qui ont suivi l'accord entre l'Union européenne et la Turquie.

Par ailleurs, la Roumanie et la Bulgarie n'ont pas accès au système d'information Schengen (SIS), ce qui peut représenter un handicap dans la lutte contre les « combattants étrangers » djihadistes. Si nous avions demain un hot spot en Bulgarie pour faire face à des flux migratoires, Frontex pourrait difficilement utiliser le SIS en Bulgarie, alors qu'elle peut le mettre à profit dans les hot spots grecs et italiens. Sans se focaliser sur les flux migratoires, il faudrait néanmoins renforcer les moyens à la frontière bulgaro-turque pour épauler la Bulgarie.

S'agissant des visas, je ne dispose pas de toutes les informations concernant le taux de refus par pays. Le travail des autorités consulaires est l'un des éléments de cette gestion intégrée des frontières extérieures, mais le législateur n'est pas allé jusqu'à les mentionner dans le règlement.

M. Jean-Yves Leconte. - Connaissez-vous les chiffres pays par pays ? Est-il impossible de les établir ?

M. Fabrice Leggeri. Je ne suis pas certain que l'Agence reçoive toutes les informations qui lui permettent d'évaluer l'efficacité des consulats Schengen. Néanmoins, les officiers de liaison qui seront déployés au sein des États membres et dans certains pays tiers pourront, je l'espère, par une interprétation dynamique de notre mandat, frapper à la porte des autorités consulaires.

S'agissant de la robustesse des contrôles à l'entrée de l'espace Schengen, ceux-ci devraient être aussi efficaces et systématiques qu'aux États-Unis. Le code frontières Schengen est un règlement européen qui est l'équivalent des lois fédérales américaines, au moins sur le papier. En pratique, des disparités existent concernant les moyens disponibles selon les États membres, mais la répartition de la ressource ne peut être réalisée à l'échelle de l'Union européenne, alors qu'elle est possible outre-Atlantique. Concrètement, les opérations de Frontex peuvent venir en soutien à un État membre qui reste souverain.

Pour ce qui est de l'évaluation des routes migratoires au cours des derniers mois, 500 000 entrées irrégulières ont été enregistrées en 2016, contre 1,8 million en 2015, soit une diminution drastique de 80 % sur la route de la Méditerranée orientale, entre la Grèce et la Turquie, depuis l'accord précité. Aujourd'hui, le sujet de préoccupation est la Méditerranée centrale, de la Libye à l'Italie, avec 180 000 entrées irrégulières en 2016 - chiffre jamais atteint auparavant -, soit une augmentation de 20 % en 2016 par rapport à l'année 2015. Nos efforts doivent être concentrés dans cette direction, sachant que la situation politique et sécuritaire en Libye en est la raison principale. Il faut donc agir en amont en Libye, mais aussi de façon plus globale sur le continent africain, dans la bande sahélienne.

M. Jean-Pierre Vial. - Je souhaiterais obtenir plus d'informations sur le rôle précis de Frontex qui est devenue l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Est-elle une mini-OTAN mobilisant les moyens des États, importants sur le plan maritime ? A-t-elle au contraire vocation à devenir une mini-armée de garde-frontières ?

La question de la gestion de l'information soulève deux aspects : un aspect technique, avec l'action des services entre les différents États ; un volet plus politique et juridique. Dans ce domaine régalien, nous connaissons des difficultés liées à la volonté de certains pays de contrôler l'information. Frontex a-t-elle la volonté de mettre en place une politique nouvelle dans la gestion et l'organisation de ces données ?

Quant au contrôle aux frontières extérieures, il faut, dites-vous, juguler les flux migratoires avant qu'ils n'atteignent la Libye, réservoir d'un million de personnes en attente. Pouvez-vous nous en dire plus, et au-delà de l'Afrique, sur les politiques qui pourraient être envisagées pour gagner en efficacité ?

M. Fabrice Leggeri. - Le modèle de Frontex est davantage un modèle intégré, presque fédéral pour certains. Le registre de l'Agence, entre le pôle intergouvernemental et le pôle fédéral, lui permet d'agir. Aucune délibération du Conseil de l'Union Européenne n'est obligatoire pour mettre en oeuvre le plan opérationnel, qui est signé par le directeur exécutif. Seulement, l'État membre hôte de l'opération doit l'accepter. Par ailleurs, l'Agence bénéficie de moyens opérationnels d'urgence autonomes - bateaux, avions - et peut désormais organiser un vol de retour de sa propre initiative.

Il existe des réticences à échanger des informations entre États membres - et parfois même entre services d'un État membre, avec des conséquences dramatiques. Frontex n'est pas une solution miracle, mais la stratégie opérationnelle de gestion intégrée des frontières remettra en cause certaines organisations, ce qui nous impose d'ailleurs d'avancer avec prudence. Par exemple, où installer, physiquement, nos officiers de liaison dans chaque État membre ? Au sein du ministère de l'intérieur ? Si oui, dans quelle direction ? La police aux frontières ? Et pourquoi pas auprès des douanes ou des garde-côtes ? Ces questions concrètes touchent des points sensibles. Nous espérons qu'elles seront prétextes à l'accroissement de la coopération. Ainsi, lors de ma première visite en Italie, il y a deux ans, j'avais demandé à ce qu'on organise une réunion plénière avec tous les acteurs qui, de près ou de loin, collaborent avec Frontex. Sept services étaient représentés : pour la première fois, ils étaient réunis selon un format dans l'esprit d'une gestion intégrée des frontières extérieures.

Y a-t-il un million de personnes en attente de départ pour l'Europe ? Parmi les migrants qui arrivent en ce moment, il n'y a pas de Libyens. Certes, les migrants qui sont actuellement en Libye doivent être dissuadés de venir. Un Conseil européen informel se tiendra la semaine prochaine à Malte sur ces questions.

Mme Gisèle Jourda. - En effet, le 3 février, à La Valette. L'accord de l'Union européenne avec la Turquie, controversé, a fait baisser le flux migratoire. Un tel accord serait-il possible avec la Libye ? Sinon, quelle issue positive imaginer ?

M. Fabrice Leggeri. - La Libye n'est pas comparable à la Turquie, où l'État fonctionne - parfois même un peu trop pour certains... En Libye, il n'y a pas d'État fonctionnel. Nous pouvons passer un accord avec les autorités, mais il importe surtout de s'accorder sur des modes de fonctionnement pratiques. Bref, il faut des approches multiples. En 2014 et en 2015, l'Union européenne a financé un accroissement du nombre de bateaux patrouillant en Méditerranée. Des ONG ont déployé aussi des bateaux. Résultat de ces efforts combinés : davantage de victimes. Nos navires attirent-ils plus de migrants qu'ils n'en sauvent ? J'espère que nous allons réfléchir à cette délicate question.

M. Pascal Allizard. - Vous avez indiqué que 66 vols avaient été affrétés en 2015 et 232 vols en 2016, pour reconduire à la frontière 3 500 personnes en 2015 et 10 700 personnes en 2016. Le directeur de L'OFPRA nous a indiqué il y a quelques jours que, sur ce total, le nombre de personnes reconduites depuis la France était très faible. Pouvez-vous nous le préciser ?

M. Fabrice Leggeri. - Sur les 16 vols déjà effectués en 2017, 2 comportaient des personnes éloignées du territoire français. Ils étaient à destination de l'Albanie, je crois. En 2016, 10 vols sur 232 ont concerné la France. De fait, depuis quatre ou cinq ans, la France a davantage recours aux vols affrétés par Frontex - indépendamment des éloignements directement organisés par ses autorités.

M. René Danesi. - L'une de vos missions est de collecter informations et données opérationnelles. L'exercez-vous aussi auprès des États tampons de l'espace Schengen que sont le Maroc, l'Égypte ou la Turquie ?

M. Fabrice Leggeri. - Notre coopération avec les pays extérieurs à l'Union européenne porte sur l'échange de renseignement agrégé : nous ne transmettons pas de données nominatives. Nous avons ainsi un réseau avec les pays baltes, des échanges avec la Turquie, auxquels participent aussi bien sa police que sa gendarmerie et ses garde-côtes, et ce qui porte le nom ambitieux d'Africa-Frontex Intelligence Community (AFIC), et constitue le cadre de réunions régulières avec 28 pays africains qui étaient d'abord surtout des États d'Afrique de l'Ouest, auxquels se sont plus récemment joints certains pays d'Afrique de l'Est.

M. Didier Marie. - Les personnels de la réserve de 1 500 hommes à déployer en cas d'afflux extrême de réfugiés n'ont pas les mêmes droits que les agents des pays dans lesquels ils auraient à intervenir, notamment en matière de port d'armes ou d'instruction des demandes d'asile. La dimension fédérale de Frontex se heurte à la souveraineté des États membres... Est-ce un frein ? Une évolution du statut de Frontex pourra-t-elle donner à ces personnels les mêmes droits et obligations que les agents des pays dans lesquels ils se déploient ?

M. Fabrice Leggeri. - En effet, ils n'ont pas les mêmes droits. Le commandement tactique est toujours exercé par les autorités locales et nos hommes sont donc encadrés par un chef d'équipe local. Tous leurs actes sont effectués sous sa supervision. En ce qui concerne le port d'arme, les législations nationales diffèrent, et il est parfois autorisé. Leur usage, en revanche, nous placerait dans des situations juridiques complexes. À traité inchangé, nous pourrions imaginer une expérimentation dans le cadre de laquelle certains États délégueraient à Frontex la capacité d'effectuer certains actes. Resterait à résoudre des questions de langue de procédure...

M. André Reichardt. - On entend peu parler des migrations en provenance d'Égypte, sur lesquelles un naufrage a appelé l'attention il y a quelques mois. Pouvez-vous nous en dire un mot ? Est-ce un phénomène nouveau ? Quelle est son ampleur ? Lors d'un déplacement dans ce pays, nous avions perçu une certaine inquiétude : on redoutait des départs massifs, pour des raisons économiques ou politiques, et notamment pour faits de guerre.

M. Fabrice Leggeri. - Au printemps et à l'été 2016, en effet, le flux migratoire en provenance d'Égypte, et en direction du sud de l'Italie, s'est accru, allant jusqu'à constituer 10 % du total - les 90 % restant provenant de Libye. L'Union européenne cherche à établir une coopération avec les autorités égyptiennes. Frontex a envoyé une mission en Égypte, dans le sillage de la visite du commissaire européen Dimítris Avramópoulos. L'objectif est de conclure une sorte d'arrangement administratif encadrant notre coopération.

M. Jean-Claude Requier. - Merci, Monsieur le Directeur.

La réunion est close à 16 heures 20.

Jeudi 26 janvier 2017

- Présidence de M. Jean-Claude Requier, président -

La réunion est ouverte à 11 h 05.

Audition de Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects, MM. Jean-Michel Thillier, chef de service, adjoint à la directrice générale, Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et de la lutte contre la fraude, et Jean-François Rubler, chef du bureau de l'organisation, du suivi de l'activité et de l'animation de services, au ministère de l'économie et des finances

M. Jean-Claude Requier, président. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects au ministère de l'économie et des finances. Mme Crocquevieille est accompagnée de MM. Jean-Michel Thillier, son adjoint, Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et de la lutte contre la fraude, et Jean-François Rubler, chef du bureau de l'organisation, du suivi de l'activité et de l'animation des services.

La direction générale des douanes et droits indirects est une administration fiscale qui dépend du ministère du Budget. Parmi ses nombreuses compétences figure la police des marchandises. C'est surtout cet aspect qui intéresse notre commission d'enquête dont les travaux portent aussi sur le contrôle des flux des marchandises en Europe.

Quelles sont les spécificités des contrôles effectués par les douanes ? Selon quelles modalités sont-ils réalisés ? Comment les douanes coopèrent-elles avec la police aux frontières ? Comment se sont-elles adaptées à la fin des contrôles aux frontières intérieures inhérente à l'espace Schengen ? Inversement, quelles ont été les conséquences du rétablissement de certains de ces contrôles en France à la suite des attaques terroristes dont notre pays a été victime ? Par ailleurs, la France a fait l'objet d'une récente évaluation Schengen : comment les douanes y ont-elles contribué ? Quelles sont ses conclusions ?

Voici quelques-unes des questions qui intéressent notre commission d'enquête.

Avec cette audition, nous poursuivons notre travail d'investigation sous un angle très opérationnel. C'est dans cet objectif que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.

Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Hélène Crocquevieille, MM. Jean-Michel Thillier, Jean-Paul Balzamo et Jean-François Rubler prêtent serment.

Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects. - Vous avez présenté la direction générale des douanes comme une administration fiscale, ce qui est tout à fait exact. La direction générale des douanes est rattachée au ministère de l'économie et des finances et compte environ 16 700 agents. Elle exerce trois missions complémentaires :

- une mission fiscale effectivement : environ 75 milliards d'euros en 2016, de contributions indirectes et TVA import notamment, affectées au budget de l'Etat, des collectivités locales et d'organismes sociaux;

- une mission économique : pour les échanges de marchandises, la douane est en charge de l'application du code des douanes de l'Union européenne ; dans ce cadre, elle développe depuis plusieurs années une mission d'appui à l'export, à la compétitivité à l'international de nos opérateurs économiques de façon à les faire pleinement bénéficier des différentes dispositions de ce code des douanes ;

- une mission de lutte contre les fraudes et les trafics, les agents des douanes étant investis des pouvoirs conférés par le code des douanes pour rechercher, constater et poursuivre les infractions à ce code.

Ses effectifs se répartissent en deux catégories d'agents :

- des agents de surveillance, les mieux identifiés par nos concitoyens puisqu'ils sont en uniforme. Ils représentent la moitié des effectifs environ aujourd'hui, après le renfort intervenu à la suite des attentats de 2015. Leur statut est lié à leurs obligations, de cotation de services H24, 7 jours sur 7, qui nécessitent des horaires de travail spécifique ;

- des agents travaillant pour les missions économiques et fiscales dans les bureaux de douanes, de contributions indirectes et au sein des différents services administratifs de la direction générale.

L'objet de cette audition est de vous permettre de mesurer de quelle manière la direction générale des douanes et droits indirects participe par ses missions à la sécurisation de l'espace Schengen. Elle y participe par ses deux volets : par ses missions douanières et ses pouvoirs de contrôles douaniers en tant que "police des marchandises", avec des modalités de contrôle et des pouvoirs conférés par le code des douanes, d'une part ; par sa mission de contrôle migratoire, dont elle est investie, à côté de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), administration de référence en la matière, d'autre part. À ce titre, elle est notamment investie de la gestion et de la surveillance de 72 des 118 points de passage frontières (PPF) aériens, terrestres et maritimes que compte notre territoire.

Pour répondre à vos premières questions relatives à l'organisation de la douane pour sa mission de contrôle migratoire et à l'articulation avec la DCPAF, je souhaite vous indiquer que, depuis 1995, a été organisée une complémentarité avec la DCPAF, administration de référence.

La douane gère 49 points de passage frontières (PPF) aériens, 20 maritimes et 3 terrestres. Le principe qui prévalait pour la répartition de ces points de passage, à l'origine, confiait à la douane les passages secondaires, avec un trafic relativement faible. Depuis lors, les flux ont pu évoluer de manière significative en particulier sur les points de passage aériens. Certains aéroports alors secondaires connaissent désormais un trafic plus important : 6 des 49 PPF aériens ont aujourd'hui un trafic supérieur à 200 000 passagers. Cela résulte notamment du développement de lignes low cost ou de lignes d'aviation privée. Ces évolutions complexifient l'exercice par la douane des contrôles des passagers dans la mesure où il s'agit de contrôles obligatoires et systématiques.

Une des difficultés que connaît la douane depuis quelques années est que le réseau des brigades de surveillance terrestre est allé en se resserrant au fil des ans et n'est plus adapté au maillage des PPF qui lui sont confiés. À certains endroits, devoir gérer des PPF induit des déplacements longs qui occupent une part importante du temps des brigades. Aussi, nous travaillons avec la DCPAF à adapter le maillage des PPF afin qu'ils ne pèsent pas de manière trop contrainte sur nos missions.

Un deuxième point à noter consiste en la technicité croissante des contrôles et la professionnalisation de la mission immigration. Celle-ci exige une formation toujours plus poussée et des investissements en moyens significatifs, avec la perspective, demain, du développement de contrôles biométriques supplémentaires.

L'articulation des travaux entre la DCPAF et la douane est régie par un protocole signé en 2011 qui prévoit que la DCPAF, administration de référence, apporte l'expertise technique sur les équipements, la formation auprès de nos agents. Ce protocole prévoit également la transmission et la diffusion d'informations opérationnelles par les services spécialisés de la DCPAF, ainsi que la prise en charge par les officiers de la PAF des étrangers non admis sur le territoire à un PPF tenu par la douane. Lorsque les étrangers ne peuvent être reconduits immédiatement dans leur pays d'origine et se voient notifier une décision de maintien en zone d'attente, ils sont remis par la douane à la PAF, seule administration habilitée à gérer les zones d'attente.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Nous nous interrogeons sur l'interopérabilité des fichiers, des renseignements. Où en êtes-vous ? Comment cela fonctionne-t-il ?

Mme Hélène Crocquevieille. - Vous posez à la fois la question de la capacité des services douaniers, dans le cadre de leur mission migratoire, de se connecter aux fichiers SIS et VIS et celle du développement jugé par tous nécessaire d'une meilleure interopérabilité entre les différents systèmes d'information existants au niveau européen.

Sur le premier point, relatif à l'accès aux systèmes d'information SIS et VIS, les agents des douanes positionnés aux points de passage frontières ont cette capacité d'accès. Toutefois, aujourd'hui, leur possibilité de connexion n'est malheureusement pas suffisamment fluide car ils sont obligés de passer par la plateforme de la gendarmerie Judiweb pour pouvoir accéder au fichier des personnes recherchées (FPR). Cette situation les oblige à se connecter, se déconnecter et se reconnecter à deux plateformes d'accès différentes pour consulter, d'une part, le VIS et, d'autre part, le SIS via le FPR, ce qui fait perdre en fluidité le passage lorsque ce sont les douaniers qui opèrent les contrôles. Ces difficultés techniques devraient cependant être prochainement résolues. En mars ou avril 2017, nos agents devraient pouvoir accéder à l'interface du FPR directement.

Sur le second point, le constat est partagé, que ce soit pour le contrôle des personnes ou des marchandises : la sécurisation de l'espace européen, la préservation de la libre circulation ne peuvent prospérer qu'à la condition d'une protection suffisante des frontières extérieures, qu'à condition que les personnes et les marchandises qui passent ces frontières extérieures soient correctement identifiées, voire interceptées. Cela implique un niveau de confiance suffisant entre les administrations partenaires au niveau européen, la possibilité de transmission d'informations entre pays, la consultation de fichiers européens par les systèmes nationaux, voire leur interconnexion. Des travaux sont actuellement en cours au sein d'un groupe d'experts de haut niveau qui se penche sur l'ensemble des fichiers existants pour les personnes et les marchandises afin d'identifier comment mieux permettre des interconnexions, des consultations plus fluides de ces bases, aussi bien par les États membres qu'au niveau européen. Les systèmes d'information douaniers font partie de ces bases de données dont on sait qu'ils apportent de l'information pour la sécurisation de l'espace européen.

M. François-Noël Buffet. - Quel est l'état de votre collaboration avec Frontex, socle de la sécurisation de nos frontières communes ?

Mme Hélène Crocquevieille. - Sur la base du nouveau règlement entré en vigueur en octobre 2016, Frontex est de plus en plus appelé à devenir une agence qui concerne la douane, notamment la douane française dans son périmètre étendu de missions : jusqu'à présent, la douane française contribuait beaucoup aux opérations de Frontex, principalement par le biais de la garde-côtes de la douane qui participe régulièrement aux opérations de contrôle migratoire en mer Méditerranée. Dans le cadre d'accords bilatéraux annuels, la garde-côtes de la douane française met en effet à disposition de Frontex une partie de ses moyens. Dans le contexte de montée en puissance de Frontex et face à la hausse de la pression migratoire, le renforcement des moyens de la garde-côtes nous permet d'accentuer progressivement notre contribution aux opérations maritimes de Frontex. Ainsi, en 2017, le patrouilleur Jean-François Deniau, dont est équipée la douane depuis 2015, sera mis à disposition deux fois un mois, de même que l'un de nos nouveaux avions Beechcraft qui sera déployé au cours du second semestre sur la zone Poséidon. En 2018, nous mettrons potentiellement à disposition deux fois un mois le patrouilleur et l'avion.

Il faut toutefois bien avoir à l'esprit que lorsque la douane française met à disposition un patrouilleur pendant un mois, cela représente une indisponibilité de ce patrouilleur pour les missions douanières, durant un mois et demi, un mois trois quart, du fait de la nécessaire récupération horaire des agents. Il en va de même pour les avions.

M. Didier Marie. - De combien de patrouilleurs et d'avions disposez-vous ?

Mme Hélène Crocquevieille. - Nous disposons de trois patrouilleurs, un en Méditerranée, basé à Toulon, un en Manche-Mer du Nord et un à Brest. Nous avons également des vedettes garde-côtes. Il est donc possible que nous mettions à disposition un mois un patrouilleur et un mois une vedette garde-côtes. Nous avons à Nice une vedette garde-côtes d'une trentaine de mètres qui pourrait également être déployée dans le cadre de missions de cette nature.

Pour l'aérien, nous dispositions d'une nouvelle flotte de Beechcraft de 7 avions : 5 en métropole - ce qui représente, compte tenu de la fréquence des périodes de maintenance, 2 en Méditerranée et 2 en Manche-Mer du Nord-Atlantique - et 2 aux Antilles. Une mise à disposition pendant un mois représente donc une contribution tout à fait significative par rapport aux moyens dont nous disposons.

Pour en revenir à notre contribution à Frontex, il y a donc ce premier volet de mise à disposition d'équipements que nous connaissons bien.

Avec l'élargissement du champ des missions de Frontex à la lutte contre les trafics associés aux flux migratoires sur les frontières terrestres, la contribution de la douane est également appelée à se développer sur cet aspect-là : la douane participera à hauteur de 20 douaniers à la contribution de 170 agents que la France s'est engagée à mettre à disposition de Frontex pour constituer son effectif de 1 500 garde-frontières. Nous avons d'ores et déjà lancé l'appel à candidature auprès de nos agents. Là aussi, il faut avoir en tête que la mise à disposition d'agents en 5 jours pour un mois ou plus signifie qu'il faut avoir un volant disponible et rapidement mobilisable d'à peu près le triple car il faut pouvoir assurer le renouvellement des personnels. La projection doit être rapide. Nous sommes en train de constituer un vivier.

M. Didier Marie. - Doit-on en déduire que ce vivier n'est pas encore constitué ?

Mme Hélène Crocquevieille. - Nous sommes en train de le constituer. Dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, nous étions prêts, mais nous n'avons pas eu besoin d'être mobilisés puisque les flux ont très rapidement changé de nature sur les îles de Chios et Lesbos en Grèce. Nous avions toutefois été sollicités au printemps pour compléter les forces déployées sur les îles.

M. Jean-François Rubler, chef du bureau de l'organisation, du suivi de l'activité et de l'animation de services. - Une petite précision à propos de ces 170 agents mis à disposition par la France. À la suite d'un arbitrage, le ministère de l'intérieur prend à sa charge 125 de ces agents, la douane, 20, et le reste étant la contribution du ministère de la défense. La vingtaine d'agents mis à disposition par la douane a un profil bien particulier, établi par Frontex, puisqu'il s'agit de surveillance des frontières - Border surveillance officer, BSO selon le langage Frontex. Nous avons lancé un appel à candidature parmi les agents de la branche surveillance.

Quand on parle de réserve d'intervention rapide, cela signifie une mobilisation dans les cinq jours après l'appel de Frontex depuis Varsovie. La France peut ensuite choisir de n'envoyer aucun douanier mais 50 policiers, cela dépend de la contribution demandée. La douane ne se soustrait pas à ses obligations et se met en capacité de pouvoir déployer dans les cinq jours une vingtaine de douaniers.

M. André Reichardt. - Ma première question porte sur les modalités de fonctionnement des services de la douane. Je crois savoir qu'outre la surveillance des points de passage frontières, il existe ce qu'on appelle la « douane volante », en retrait des points de passage. Ces agents sont-ils habilités à intervenir en matière de contrôle migratoire, ont-ils la possibilité d'interpeler des personnes en situation irrégulière, par exemple à des péages d'autoroute.

Deuxièmement, s'agissant des contrôles au point de passage frontières, comment cela se passe-t-il concrètement ? Si j'ai bien compris ce que vous disiez à propos du protocole signé avec la PAF, vous indiquiez que vous remettez à la PAF les étrangers en situation irrégulière ? Pouvez-vous les renvoyer dans les pays d'origine ?

M. Jean-François Rubler. - Avant que le douanier, dans son aubette, au point de passage frontières, autorise ou refuse l'admission sur le territoire de l'espace Schengen, il accomplit des actes et contrôles similaires à ceux accomplis par la PAF, en particulier la consultation des fichiers. Que ce soit à Roissy ou dans un petit PPF, l'organisation d'un poste frontière est toujours la même, avec un point de contrôle de premier niveau et un point de contrôle de deuxième niveau. Au premier niveau, lorsqu'un ressortissant de pays tiers se présente à l'aubette, on lui applique l'ensemble des contrôles prévus par le code frontières Schengen : on s'assure que son document de voyage et son visa, s'il est soumis à visa, sont bien réguliers en interrogeant les bases de données. Pour ce faire, on passe le passeport dans un lecteur de titre automatisé relié à la base VIS, qui recense tous les visas délivrés par l'ensemble des consulats des pays de l'espace Schengen. En cas de doute sur les documents, le douanier peut être amené à retenir le voyageur en le faisant passer dans une pièce à l'écart pour approfondir le contrôle. Le douanier dispose d'une formation particulière dispensée par les collègues de la PAF, mais également de loupes et de lampes UV qui permettent d'approfondir le contrôle du document de voyage.

En aubette, le douanier consulte également le fichier des personnes recherchées (FPR). Pour l'agent de la PAF, cette consultation est automatique lors de la lecture du document de voyage ; l'agent de la PAF consulte d'un seul coup l'ensemble des fichiers. Sur un plan technique, ce n'est pas vrai aujourd'hui pour le douanier, qui est obligé de passer par une passerelle particulière (« judiweb ») pour consulter ce fichier. Cela est cependant technique et provisoire puisque d'ici l'été 2017, nous devrions en principe disposer des mêmes accès que les collègues de la PAF.

Le FPR permet de consulter le fichier des personnes recherchées, mais également celui des objets et des véhicules signalés (FOVeS).

En cas de refus d'admission sur le territoire, l'agent des douanes est habilité par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à refuser l'admission, donc à maintenir en zone d'attente le ressortissant qui ne peut pénétrer sur le territoire.

La zone d'attente est très variable selon les points de passage frontières. Elle est définie par l'autorité préfectorale et peut, par exemple, être constituée par une partie de l'aéroport et inclure un hôtel.

Pour la douane, cette situation est marginale car, dans le cadre de la complémentarité avec la PAF, nous avons un protocole d'accord au niveau central avec la DCPAF et au niveau zonal avec les DZPAF, qui prévoit que nous appelons immédiatement la DDPAF pour qu'elle prenne en charge le ressortissant étranger. Nous effectuons un procès-verbal de remise et, selon les endroits, soit nous acheminons l'étranger auprès de la PAF, soit la PAF vient le chercher. Par exemple, à La Rochelle, où nous tenons le point de passage maritime, en cas de refus d'admission, nous prononçons le maintien en zone d'attente et acheminons la personne sur Bordeaux. C'est la DZPAF qui prend en charge les formalités en vue de son éloignement : placement en centre de rétention éventuellement et réacheminement vers le pays tiers.

M. Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et de la lutte contre la fraude. - Cette mission d'éloignement est essentiellement celle du ministère de l'intérieur. En 1995, l'administration des douanes s'est vue conférer, du fait de sa présence aux frontières pour le contrôle des marchandises, une mission en matière migratoire. C'est une forme de mutualisation des moyens de l'État. Mais nous n'avons pas les mêmes prérogatives que les officiers de police judiciaire (OPJ). Il a fallu modifier les dispositions afin de permettre aux agents des douanes de procéder aux contrôles d'identité et de placer en retenue administrative des personnes en situation irrégulière le temps de les remettre à l'officier de police judiciaire le plus proche, qui relève le plus souvent de la PAF.

M. Jean-François Rubler. - De même, s'il arrive qu'à un péage autoroutier, à l'occasion d'un contrôle sur le territoire, on se trouve en présence d'un étranger en situation irrégulière, on le remet à un OPJ, pas forcément la PAF, ce peut être la gendarmerie ou la police.

M. Yannick Vaugrenard. - Pour en revenir à la question de notre rapporteur sur le partage d'informations, pouvez-vous nous indiquer s'il existe des obstacles juridiques au niveau européen ou au niveau national aux contrôles les plus efficaces possibles ? Il faut certes prendre en compte le nécessaire équilibre entre sécurité et préservation des libertés individuelles, cependant êtes-vous suffisamment armés pour être efficaces en matière de sécurité ?

Vous indiquiez que l'interopérabilité n'était pas suffisamment fluide. Vos contacts habituels avec les services de renseignement au niveau du territoire national sont-ils suffisamment opérants, y compris pour ce qui est des renseignements que l'on est en droit d'attendre de nos partenaires européens ?

Enfin, considérez-vous que les moyens techniques dont vous disposez sont suffisamment poussés, efficaces, modernes ou qu'ils seraient trop archaïques ?

Mme Hélène Crocquevieille. - Avant d'aborder les manques, je vais vous indiquer ce qui existe en matière de coopération et de transmission d'informations.

Au niveau national, la douane dispose d'un service spécialisé, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), qui fait partie de la communauté nationale du renseignement (CNR). Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les passerelles et lieux d'échanges et d'enrichissement d'informations ont été renforcés, sous la coordination de la DGSI.

Aux niveaux européen et international, il existe plusieurs canaux de coopération pour échanger et demander des informations. La convention d'assistance administrative mutuelle internationale (AAMI) permet d'obtenir des informations de manière bilatérale. Europol est une agence de police à l'origine mais qui, depuis quelques temps, à la suite d'échanges fructueux notamment avec la douane française, s'intéresse à l'apport de la douane pour lutter contre les différents trafics. Cela permet de solliciter, au-delà des autres services douaniers, tous les services répressifs compétents à l'échelle européenne. Je souhaite que la douane continue de conforter sa présence au sein d'Europol, notamment dans les domaines de la lutte contre le trafic d'arme et les flux financiers illicites, sur lesquels nous avons beaucoup investi ces derniers temps.

Il existe également les centres de coopération policière et douanière (CCPD) positionnés sur le territoire et sur la frontière. Ce sont des structures de coopération bilatérale, voire quadrilatérale, à Luxembourg, entre l'Allemagne, la Belgique, la France et le Luxembourg, qui apportent une plus-value opérationnelle tout à fait satisfaisante lorsqu'il y a des signalements sur certains PPF ou certaines opérations.

D'autres canaux d'échanges peuvent être cités comme le Collège européen de Police (CEPOL) qui permet de créer des liens entre les services de police et de douane en termes de partage de pratiques et d'informations. En 2016, la douane a signé un accord de partenariat, devenant ainsi un partenaire à part entière de cet organisme de formation.

Quels sont les éventuels obstacles juridiques ? Je passe la parole à mon adjoint.

M. Jean-Michel Thillier, chef de service, adjoint à la directrice générale des douanes et droits indirects. - L'Europe des marchandises et l'Europe des personnes, des voyageurs ne se sont pas construites dans le même temps. On a commencé par l'Europe des marchandises, la coopération douanière est ancienne puisqu'elle remonte à 1967, peu avant le tarif extérieur commun, dans le cadre juridique communautaire. La libre circulation des personnes via la convention de Schengen n'est arrivée qu'en 1990. Les outils informatiques SIS, puis VIS sont venus ensuite.

Nous avons donc deux cadres juridiques différents qui poursuivent des objets différents et ne se recoupent que pour partie puisque la convention Schengen évoque également les marchandises en son ancien article 98. Aujourd'hui, ces cadres continuent de vivre l'un à côté de l'autre. Là-dessus est venue se greffer une préoccupation d'ordre policier en vue de lutter contre la criminalité organisée avec Europol. Europol n'est pas une banque de données, bien qu'en son sein il existe des bases de données, et n'a pas vocation à être réintégrée dans les échanges d'informations recueillies pour le contrôle des marchandises et des personnes.

Aujourd'hui, le constat est le suivant : toutes les informations utiles pour un contrôle à la frontière, qu'il soit effectué par un agent de la PAF, des douanes ou d'une quelconque autre force de sécurité, ne se retrouvent pas dans les outils consultés par les agents, ce qui les contraint soit à consulter plusieurs bases, soit à consulter une entité qui a, elle, accès à une information qui n'est pas largement diffusée pour de bonnes raisons. La réflexion engagée par la Commission européenne et les États membres vise à faire émerger des systèmes plus interopérables, mieux consolidés. Nous nous trouvons actuellement dans une situation transitoire. Les services qui opèrent sur le terrain, qui ne sont pas des services de renseignement, n'ont pas directement accès à toutes les informations, indépendamment de toute considération technique.

M. Philippe Kaltenbach. - Nos collègues du groupe Les républicains ont souhaité que cette commission d'enquête traite également des flux de marchandises. Quel pourcentage des marchandises est effectivement contrôlé à l'entrée dans l'espace Schengen ? Quelles conséquences le rétablissement des contrôles des personnes aux frontières intérieures a-t-il eu sur le contrôle des marchandises ? Quelles seraient les conséquences d'un rétablissement définitif de ces contrôles ? La concentration des moyens sur la lutte contre le terrorisme a-t-elle eu des conséquences sur le contrôle des marchandises ?

Mme Hélène Crocquevieille. - À la différence des contrôles des personnes, les contrôles opérés par les services douaniers, que ce soit par les bureaux de douanes ou par les brigades, sur les marchandises, ne sont pas systématiques ; ils procèdent de plus en plus systématiquement d'une analyse de risque et d'un ciblage. Les transformations de l'administration des douanes vont en ce sens avec la création d'un Service d'Analyse de Risque et de Ciblage (SARC) qui vise à coordonner la chaîne de contrôles de l'ensemble des services douaniers en matière économique - flux de marchandises - ou en matière fiscale.

Cette approche poursuit le double objectif d'intercepter dans les flux de marchandises tout ce qui porte atteinte au commerce licite et, parallèlement, de sécuriser les conditions d'échanges des marchandises vis-à-vis des opérateurs réguliers, dignes de confiance, donc de fluidifier le commerce pour ces opérateurs. Il convient donc de repérer les flux, les opérateurs porteurs de risque.

Ce travail d'analyse de risque puis de ciblage est différent selon la nature des flux.

Sur les flux déclaratifs, on procède à un recoupement d'informations. Tout d'abord, pour les marchandises provenant de pays tiers à l'espace européen, il y a obligation pour les importateurs d'adresser des déclarations sommaires d'entrées (ENS) qui sont analysées dans un objectif de sûreté et de sécurité. Ce dispositif ICS, pour Import Control System, a été mis en place à la suite des attentats aux États-Unis en 2001 dans un objectif non de dédouanement mais de sûreté et de sécurité. Nous disposons d'un point d'analyse ICS à Roissy qui opère le premier niveau de contrôle pour l'ensemble des points aériens et deux points d'analyse au Havre et à Marseille pour les entrées maritimes. Le deuxième niveau d'analyse est effectué à partir des données déclaratives de dédouanement. Le moteur de ciblage identifie les profils à risque pour orienter le contrôle de nos services aux différents points d'entrée des marchandises.

Il est important de garder à l'esprit que nous accroissons systématiquement l'efficacité de nos contrôles, notamment par l'allègement des contrôles réglementaires formels des documents administratifs d'accompagnement de marchandises, par exemple en matière alimentaire. Ces formalités conduisaient les services à accomplir de très nombreux contrôles systématiques et purement formels, en général négatifs puisque touchant à 99 % des opérateurs économiques réguliers. La douane a été chargée de mettre en place un guichet unique national dématérialisé (GUN) qui met en interconnexion l'ensemble des administrations françaises chargées d'émettre ces documents d'accompagnement des marchandises. Cette fenêtre unique permet aux opérateurs de solliciter les documents auprès des différentes administrations (agriculture, écologie, défense, etc.) et de les adjoindre automatiquement à leur déclaration. L'efficacité de nos contrôles est devenue beaucoup plus importante puisque nous pouvons identifier rapidement les documents qui manquent sans avoir à opérer de contrôle documentaire physique et inversement, cibler les contrôles physiques sur des flux identifiés comme étant à risque.

D'autres flux ne sont pas accompagnés de déclaration (fret postal, circulation routière) et gagnent en importance avec notamment le développement exponentiel du e-commerce. Ce dernier représente un enjeu d'abord fiscal, lorsqu'il s'agit de recouvrer les droits et taxes qui y sont associés, mais également de lutte contre la fraude puisque, dans les paquets, arrivent beaucoup de choses : contrefaçons, armes en pièces détachées, produits stupéfiants, argent liquide, faux-papiers, etc. Beaucoup de produits illicites.

Le travail d'analyse de risque et de ciblage est possible sur une partie de ces flux, sur le fret express traditionnel car les envois au-dessus d'un certain seuil de valeur sont accompagnés de documents de déclaration. Mais il est plus difficile, voire impossible sur le fret postal qui ne fait pas l'objet de déclaration préalable. Celui-ci représente pourtant environ 60 millions d'envois et de réceptions par an. Nous avons des brigades dans les hubs, comme à Roissy où est positionné le hub de La Poste pour les envois de moins de 2 kg. Les agents des douanes sélectionnent des paquets à partir d'observations et d'échanges avec La Poste et les expressistes une fois que nous avons identifié certaines origines, certaines entreprises, certains destinataires. Plus de 300 000 contrôles par an sont opérés sur ces paquets.

M. Jean-Michel Thillier. - Nous avons renforcé les effectifs qui contrôlent les envois postaux et le fret express grâce aux emplois supplémentaires créés dans cadre de la lutte contre le terrorisme. Si ce fret n'est pas important en volume, il l'est en nombre et nous avons considéré qu'il avait un caractère critique. Aujourd'hui, les flux internationaux sont à 90 % du fret maritime.

Mme Hélène Crocquevieille. - S'agissant de l'impact du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sur nos missions traditionnelles, nous vous avons communiqué les estimations en termes de volume horaire et d'équivalent agents consacrés par les douanes depuis novembre 2015 à cette mission, ce qui correspond au nombre de vacations effectuées aux points de passage autorisés définis conjointement avec la PAF et la gendarmerie, sous le contrôle du ministère de l'intérieur. Au début, en contrecoup des événements dramatiques du 13 novembre, on nous a demandé d'opérer les contrôles douaniers autant que possible en points fixes sur des vacations complètes - H24, 7 jours sur 7. Les préfets responsables ont progressivement mesuré qu'il était plus efficace de laisser les douaniers faire des contrôles comme ils savent faire, en « douane volante » avec ciblage grâce à la connaissance des flux transfrontaliers plutôt qu'en points fixes et de manière systématique mais plus formelle. Le nombre de contrôles opérés et surtout d'identifications d'individus signalés ont montré la complémentarité bénéfique des contrôles en points fixes opérés par la PAF et la gendarmerie et ceux des brigades des douanes sur le territoire.

Les résultats de la douane en matière d'interception n'ont pas pâti du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Pendant les premières semaines, il y a eu incontestablement une mobilisation plus forte des agents et un renfort en effectifs est intervenu sur les exercices 2016 et 2017, pour lequel nous sommes encore en cours de recrutement. Conformément au souhait du législateur, ces renforts sont principalement positionnés dans les zones frontalières. On ne constate pas de décrue des résultats car les contrôles sont opérés, certes de manière renforcée aux frontières, mais selon les méthodes douanières, ils permettent aussi bien le contrôle des personnes que l'interception de produits illicites ou le constat de manquements aux obligations déclaratives.

M. Didier Marie. - L'essentiel des points d'attention ont fait l'objet de réponse. J'aurais souhaité quelques éléments statistiques sur les personnes identifiées en situation irrégulière aux points de passage autorisés et déférées à la PAF. Considérant que la plupart des personnes ne passent pas par ces points, vos services mobiles appréhendent-ils beaucoup de ces personnes ?

En tant qu'élu d'un département maritime, on sait que, parfois, trafic de marchandises et trafic d'êtres humains se mêlent. Exercez-vous des contrôles particuliers sur ce plan ? Disposez-vous de statistiques de personnes appréhendées dans les ports et de démantèlement de trafic ? Quelle est l'ampleur de ce phénomène aujourd'hui dans notre pays ?

Mme Hélène Crocquevieille. - Je ne dispose pas ici de telles statistiques, nous vous les communiquerons ultérieurement. De manière qualitative, il est certain que, dans des zones comme Calais ou en Normandie, très fréquemment dans le cadre de contrôles terrestres, nos brigades interceptent des véhicules acheminant des migrants, parfois dans des conditions dangereuses : les personnes sont prêtes à tout pour passer le contrôle douanier, elles refusent d'obtempérer, prennent les autoroutes à contresens...

Nous avons également des brigades spécialisées sur le ferroviaire, au nombre de six, qui interviennent dans des conditions très spécifiques (lieux confinés) pour la sécurité des passagers et des agents, dans le cadre d'une coopération très fructueuse avec la SNCF. Elles interceptent régulièrement des personnes en situation irrégulière. Dans certaines gares routières également, à bord d'autocars, des contrôles sont conduits qui permettent d'interpeler des personnages peu recommandables. J'ai, en tête, le cas de Mehdi Nemmouche interpelé lors d'un tel contrôle en gare routière de Marseille en 2014, ou encore un certain nombre de véhicules contrôlés par les douaniers en 2015 à proximité de la frontière suisse, transportant des personnages en lien avec des attentats.

Mme Gisèle Jourda. - Dans une interview donnée au Nouvel économiste, vous évoquez l'interdépendance avec les autres services douaniers européens. Vous laissez deviner des difficultés dans l'application du droit communautaire douanier par certains États. Dans certains dossiers, on se rend bien compte que tout le monde ne va pas à la même vitesse, on constate des dysharmonies. Pouvez-vous préciser votre pensée sur ce point ?

Mme Hélène Crocquevieille. - Il en va pour les marchandises comme pour les personnes, nous sommes tous interdépendants dès lors que la sécurité de l'espace Schengen dépend du contrôle de la frontière extérieure. Pourtant, il n'existe pas en matière douanière les mêmes facultés d'intervention rapide que celles dont dispose le contrôle des personnes via Frontex, alors même que pour assurer la liberté de circulation des marchandises, nous disposons d'un seul et même code douanier.

La capacité, parfois peut-être même la volonté, d'appliquer le code douanier peut varier d'un pays à l'autre. Pour la capacité, on peut citer l'exemple de la Grèce, les mêmes problèmes sont rencontrés pour les marchandises que pour les personnes.

Nous constatons en matière douanière la même problématique de co-responsabilité de l'ensemble des États membres pour la sécurisation de la frontière extérieure puisqu'un seul point d'entrée permet ensuite la libre circulation sur l'ensemble du territoire de l'espace européen.

M. François-Noël Buffet. - Qu'en sera-t-il lorsque la Bulgarie et la Roumanie rejoindront l'espace Schengen ?

Mme Hélène Crocquevieille. - Ces pays sont déjà dans l'union douanière.

M. Jean-Claude Requier, président. - Notre commission d'enquête va effectuer des déplacements sur le terrain. Nous y rencontrerons aussi des services des douanes. Un déplacement est déjà prévu à Strasbourg le 6 février. Je vous remercie par avance pour la collaboration de vos services.

Mme Hélène Crocquevieille. - Nous en avons déjà pris bonne note.

La réunion est close à 12 h 20.

- Présidence de M. Jean-Claude Requier, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Audition de M. Patrick Augier, contre-amiral, secrétaire général adjoint de la mer

M. Jean-Claude Requier, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition du contre-amiral Patrick Augier, secrétaire général adjoint de la mer.

Le secrétariat général de la mer, institué par un décret de 1995 et placé sous l'autorité du Premier ministre, assure la coordination de la politique maritime de la France. Le secrétariat général de la mer assure la direction du centre opérationnel et interministériel de la fonction garde-côtes. Opérationnel depuis septembre 2010, ce centre est chargé d'informer le Gouvernement, d'observer et d'analyser les flux maritimes pour permettre aux autorités nationales d'adopter des priorités d'action tout en étant le point d'entrée des coopérations européennes et internationales en matière de situation maritime.

La lutte contre l'immigration illégale par voie maritime est devenue l'une des priorités de l'action de l'État en mer. Cette activité, conduite sous l'égide de Frontex, est assurée par le secrétariat général de la mer.

Quelles sont les spécificités des contrôles effectués en mer ? Selon quelles modalités sont-ils réalisés ? Comment est organisée la coopération avec la police aux frontières ? Quelles ont été les conséquences du rétablissement de certains de ces contrôles en France ? Comment se passe la coopération avec Frontex et les autres agences européennes ? La France a fait l'objet d'une récente évaluation Schengen : comment le secrétariat général de la mer y a-t-il contribué ? Quelles sont ses conclusions ?

Avec cette audition, nous poursuivons notre travail d'investigation sous un angle très opérationnel, en abordant plus spécifiquement les frontières maritimes et leur contrôle. C'est dans cet objectif que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions. Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Augier prête serment.

M. Patrick Augier, secrétaire général adjoint de la mer. - Merci de me recevoir.

Une précision liminaire : nous parlons de limites maritimes, non de frontières maritimes. En effet, dans chacun de nos espaces maritimes - mer territoriale, zone économique exclusive, zone définie dans le cadre d'une opération Frontex -, nous concédons toujours une part de notre souveraineté, en permettant un passage inoffensif non déclaré, par exemple. La notion de frontière n'a de sens qu'à terre. Cette distinction montre l'importance et la difficulté de la mutation de Frontex d'une agence de garde-frontières vers une agence de garde-côtes. Contrôler un espace maritime affecté de degrés de souveraineté variables invite de plus à travailler plus en amont sur l'origine des flux de migrants.

Les contrôles en mer prennent en premier lieu la forme d'une surveillance permanente, et d'une identification par le renseignement de tout navire suspect pouvant transporter des migrants - souvenez-vous des centaines de migrants kurdes qui ont débarqué près de Saint-Raphaël à la fin des années 1990 sur le navire « East Sea ». Notre stratégie de défense consiste à alimenter par tous types de renseignements des listes de navires suspects- souvent de vieux cargos - circulant en Méditerranée orientale susceptibles d'approcher les côtes européennes et à les suivre afin, le cas échéant, de les intercepter sur le fondement du protocole de Palerme.

Nous coopérons en second lieu avec Frontex, que nous accompagnons en tant qu'agence de garde-côtes. Le modèle français repose non sur un organe dédié, une agence, mais sur une fonction « garde-côtes », assurée par l'action conjointe de plusieurs administrations : la marine nationale, les douanes, la gendarmerie maritime, la gendarmerie nationale, la police des frontières, les affaires maritimes. Ces administrations sont coordonnées par le préfet maritime sur la façade maritime ou, dans les outre-mer, par le délégué du Gouvernement pour l'action de l'État en mer - le préfet - et, au niveau central, par le secrétariat général de la mer. Là, nous accompagnons la mutation de Frontex vers une fonction « garde-côtes » afin de juguler les flux de migrants, mais aussi de pouvoir réaliser d'autres missions en mer. Nous travaillons en outre avec les fonctions « garde-côtes » des pays du sud de la Méditerranée, afin de les aider à maîtriser les départs.

Nous aidons par exemple Frontex à se doter d'un système d'information unique qui pourrait être muni d'une intelligence artificielle permettant de détecter tout de suite les anomalies ou les comportements suspects. Les agences européennes se sont en effet dotées chacune de moyens propres et il est bien difficile de maîtriser l'information maritime sur la multitude de réseaux... Le projet européen Eucise 2020 (Common information sharing environment for maritime surveillance in Europe), adopté par la direction générale des affaires maritimes et de la pêche de la Commission européenne, vise à doter les quelque trois cents administrations européennes qui interviennent en mer d'un système commun. L'Italie préside le programme, la France en assure la vice-présidence et ce système pourrait permettre à tous de communiquer sur un même réseau.

Nous nous sommes en effet beaucoup impliqués dans l'audit Schengen, réalisé ces dernières semaines. Beaucoup de choses avaient été faites depuis le dernier audit, en 2009 : la création du centre opérationnel de la fonction de garde-côtes, le rapprochement des administrations... L'audit a donné lieu cette année à trois observations. D'abord, l'insuffisance des moyens du centre opérationnel, fondée sur le constat que les permanences ne sont assurées que par un représentant de chaque administration. Or, les effectifs du secrétariat général de la mer sont aussi composés en permanence d'un représentant de chaque administration, ce qui ne nuit pas à la continuité de nos activités, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept.

La deuxième critique porte sur notre application du principe de subsidiarité. Il nous est en réalité imposé par la géographie : la diversité de nos façades maritimes explique l'autonomie donnée à chaque préfet maritime. Le centre opérationnel de la fonction de garde-côtes centralise les informations des trois préfectures maritimes hexagonales et des cinq zones maritimes outre-mer. Le cas de Mayotte, certes hors espace Schengen, nous préoccupe d'ailleurs aussi beaucoup : une intervention a lieu chaque jour dans le plus grand silence médiatique pour récupérer des migrants en difficulté...

Enfin, la question de la surveillance des navires de plaisance a de nouveau été soulevée. Les côtes françaises sont reliées par des sémaphores, et des brigades de gendarmerie littorale surveillent les navires de plaisance. Tous ne sont certes pas contrôlés - c'est matériellement impossible - mais ils sont suivis de près. De plus, tous les sémaphores sont reliés au centre opérationnel par le système « Spationav V2 », qui concentre toute l'information en matière maritime - en provenance également de la marine nationale ou des douanes - dont des extractions sont envoyées aux autorités européennes.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Comment voyez-vous l'évolution des migrations en Méditerranée, surtout au large de la Libye ? Le secrétariat général de la mer produit des informations qui sont exploitées ailleurs. L'interopérabilité de différents systèmes d'information est-elle suffisante ? Pour quels résultats ? Comment voyez-vous son évolution ?

M. Patrick Augier. - L'effondrement de la Libye a entraîné la concentration des flux de migrants sur son territoire, où ils sont désormais exploités par les milices locales. Les flux s'adaptent en permanence : nous avions analysé ce risque dès 2014. Nous estimons à 800 000 à 1 million le réservoir de personnes prêtes à traverser la Méditerranée, plus ou moins déjà en transit depuis, essentiellement, l'Afrique de l'Ouest - Tamanrasset en Algérie, Agadez au Niger qui sont des points de passages. En 2010-2012, les migrants passaient beaucoup par les Canaries, mais l'Espagne a réussi à canaliser ce flux. Ils traversent désormais la Libye, car c'est facile et rapide : 90 % à 95 % des tentatives sont d'ailleurs couronnées de succès, quoi que nous laissent penser les terribles naufrages dont l'actualité est pleine.

Nous avons besoin d'un plan de défense et de gestion des flux. Le problème ne doit pas être appréhendé comme une frontière à franchir, mais comme un flux de personnes qui adaptent rapidement leur comportement. Il faut donc agir très en amont. Frontex l'a compris, qui envoie du personnel directement à Agadez. Nous devons limiter les flux au plus tôt sur les points de passage car, une fois sur la place libyenne, notre intervention n'est plus de l'ordre du contrôle aux frontières, mais du sauvetage de vies humaines. Lorsqu'un canot de 400 personnes s'approche de nos côtes, la première chose à faire est d'ailleurs de ne pas s'approcher, pour éviter que la panique ne précipite des migrants à l'eau, mais d'envoyer des embarcations légères pour le sécuriser et commencer à leur porter secours. La semaine dernière encore, deux cents migrants sont morts ainsi, car on ne survit guère plus d'une heure dans une eau à dix degrés. Les milices le savent, qui font appareiller de gros zodiacs chargés de migrants avant d'appeler le Maritime rescue coordination centre (MRCC) de Rome pour dépêcher les secours...

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Juridiquement, c'est alors une mission de sauvetage ?

M. Patrick Augier. - Oui, car les règles relatives aux migrants ne s'appliquent qu'à terre.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Et à bord, comment les choses se passent-elles ?

M. Patrick Augier. - Les premiers contrôles sont sanitaires : il s'agit de détecter les personnes malades ou les femmes enceintes - il y a quelques semaines encore, une femme a accouché à bord du navire qui l'emmenait en Europe. On ne peut dans ces circonstances commencer par leur demander leurs papiers - il est d'ailleurs rare qu'ils les possèdent. À l'exclusion de l'hypothèse dans laquelle un cargo soupçonné de transporter des migrants est interpellé sur le fondement du protocole de Palerme, nos missions sont de sauvetage.

M. Yannick Vaugrenard. - Peut-on identifier les organisations qui font embarquer ces malheureux vers l'Europe ?

M. Patrick Augier. - Les organisations qui vivent du trafic sont connues : ce sont des milices. L'aide au passage d'un migrant leur rapporte de l'ordre de 5 000 dollars ou euros. Les passeurs ne sont désormais plus à bord des embarcations, et ce sont de toute façon des lampistes. Tant qu'il n'existera pas de garde-côtes libyens, nous n'arriverons à rien. Nous essayons bien de contribuer à leur formation, mais nous ne savons toujours pas lequel des deux pouvoirs rivaux finira par s'imposer.

Une autre solution consisterait à déplacer le hot spot italien en Libye ou en Tunisie, afin que les migrants y soient directement pris en charge. Avant l'effondrement de la Libye, les migrants partaient du Sénégal ou de Mauritanie pour gagner les Canaries. Les Espagnols ont beaucoup aidé le Sénégal, financièrement et matériellement, ont patrouillé avec leurs garde-côtes, car ils ont compris ce qu'ils pouvaient retirer d'une coopération en amont. Il y aurait donc un travail de négociation à mener avec la Libye pour que le pays comprenne l'intérêt qu'il a à maîtriser les flux de départs.

M. Yannick Vaugrenard. - La communauté internationale reconnaît pourtant un gouvernement légitime en Libye.

M. Patrick Augier. - Certes, mais il ne parvient pas à s'imposer et il n'est pas dit que son rival ne finira pas par l''emporter.

M. Yannick Vaugrenard. - Qu'est-ce qui nous empêche de négocier avec les deux ?

M. Patrick Augier. - C'est ce que nous essayons de faire, mais la situation sur place est très confuse. La semaine prochaine, j'interviendrai à Barcelone dans le cadre de l'Union européenne, aux côtés du chef des garde-côtes libyens, dont j'ignore quel pouvoir il représente... Et les milices sont à proximité de Tripoli...

Mme Gisèle Jourda. - Des associations et organisations non gouvernementales ont été créées pour venir en aide aux migrants, comme SOS Méditerranée en 2015. Comment votre activité s'articule-t-elle avec la leur ?

M. Patrick Augier. - À l'occasion du dernier comité interministériel de la mer, qui s'est tenu le 4 novembre dernier à Marseille, le Premier ministre a décidé que le sauvetage en mer serait une grande cause nationale en 2017. Il visait la société nationale de sauvetage en mer, mais aussi des organisations comme SOS Méditerranée qui bénéficiera sans doute d'une aide d'État. Cette ONG sauve en effet des milliers de personnes par an.

Le préfet maritime donne à ces organisations toutes les informations utiles et elles sont reliées au centre de sauvetage de Rome. Nous essayons également d'organiser le plus efficacement possible le positionnement de leurs bateaux et des nôtres. Mais, à nouveau, se concentrer sur le sauvetage empêche de voir la racine du problème...

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur la collaboration avec les autres pays européens qui participent aux opérations ?

M. Patrick Augier. - Plusieurs opérations ont lieu simultanément dans la même zone maritime.

Tout d'abord, l'opération Sophia est une opération militaire entre les marines européennes qui a pour but de lutter contre les passeurs et contre l'effet migration en essayant d'aller au plus proche de la côte libyenne. Il y a en permanence deux ou trois bateaux, dont un français. L'Espagne et l'Allemagne participent également.

Dans la même zone, l'opération Triton de Frontex est davantage tournée vers le sauvetage des migrants. L'Italie et Malte sont les premiers contributeurs ; la France est le troisième. Des bateaux, plus « neutres », qui ne sont pas forcément des bateaux militaires sont affrétés, par exemple, par la Norvège ou le Royaume-Uni. Ils reçoivent leurs informations du centre de sauvetage, le MRCC à Rome.

Par ailleurs, le secrétariat général de la mer suit la situation maritime de tous les bateaux depuis notre centre opérationnel grâce aux images satellites et aux informations que les bateaux français sur zone échangent en continu.

L'on y pense moins, mais les bateaux de commerce français jouent également un rôle. De nombreux bateaux, notamment de la CMA CGM, sont déroutés pour porter secours à des migrants. Ces opérations sont souvent très périlleuses car les bateaux sont imposants et les équipages restreints et non formés au sauvetage. Par ailleurs, ces bateaux ne disposent ni de médecins ni d'infirmiers à bord. Enfin, se dérouter ainsi leur fait perdre du temps sur leur route et leur programme. Bien qu'ils contribuent ainsi à sauver des vies, cela ne manque pas de créer des contraintes logistiques.

M. Jean-Pierre Vial. - Vous indiquez clairement que la réponse est à trouver sur les côtes.

Vous venez de préciser que l'action de Frontex s'inscrit dans une démarche de sauvetage, et que les marines qui interviennent au bord du littoral, notamment libyen, s'inscrivent plutôt dans une démarche de conservation du littoral afin d'éviter que les gens ne prennent la mer.

Si cette situation se conçoit bien sur le terrain, cela est moins évident sur le plan politique et juridique. Vous avez évoqué tout à l'heure l'éventualité de mettre des hot spots dans ces pays-là. Est-ce possible sur le plan technique et politique ? Si les marines ne font pas de sauvetage et qu'elles ne peuvent pas accéder aux côtes, quelle est leur mission ? Est-ce qu'elles ne sont pas au début d'une mission dont elles attendent la poursuite ? Il semble qu'une interrogation demeure sur ce point, alors qu'une solution n'a jamais été aussi urgente.

M. Patrick Augier. - Vous avez parfaitement raison, la solution de ce problème se trouve à terre. Nous avons jugulé la piraterie dans la corne de l'Afrique quand nous avons commencé à agir contre les Somaliens à terre, directement contre les camps et les chefs. La piraterie persiste au Nigeria parce que nous n'agissons pas encore contre les bases et ceux qui en profitent à terre.

Les marines occidentales sont engagées dans l'opération européenne Sophia. Nous essayons actuellement d'intercepter les passeurs à bord des bateaux de migrants, mais nous n'avons pas encore le droit d'agir à terre. Nous en sommes à la phase dite « 2.1 » de l'opération, il y aura une phase « 2.2 » d'action dans les eaux territoriales, et la phase 3 consistera à agir à terre, mais cela dépendra alors du pouvoir qui va s'imposer en Libye.

Pour le moment, l'impunité règne. Les images satellites, qui nous montrent les camps installés sur les plages, nous servent à prévoir les opérations de sauvetage. Lorsqu'un bateau de guerre se trouve devant un canot prêt à chavirer avec 300 personnes à bord, il sauve les migrants avant de pouvoir traiter l'interception du passeur s'il est présent. L'urgence médicale prime. Il ne faut pas oublier que les migrants sont des victimes qui payent 5 000 dollars ou 5 000 euros pour une traversée sur un canot de fortune.

Ma position personnelle est que nous devrions pouvoir mettre en place un hotspot à Tripoli. Les migrants économiques et les réfugiés politiques s'y rendront directement plutôt que de se faire parquer par des milices dans des camps, parfois sans nourriture.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Avez-vous recours au système de surveillance Eurosur ? Est-il redondant avec les informations que vous collectez grâce à nos services nationaux ?

M. Patrick Augier. - Dans le monde d'aujourd'hui qui est complètement ouvert et doté de réseaux d'information de plus en plus connectés, l'enjeu n'est pas tant de détenir l'information que d'être capable de la traiter. Quand je transmets une information à partir d'un sémaphore français à Spationav V2, Spationav V2 la transmet à son tour à l'Agence de sécurité maritime européenne pour des raisons de sécurité de la navigation ; cette dernière transmet l'information à Frontex, et je la retrouve ainsi dans Eurosur.

Le problème n'est donc pas tant d'avoir des réseaux interconnectés que de déceler de l'information pertinente et d'en faire un traitement intelligent. Certains parlent de mettre en place un nouveau système d'information, mais je ne crois pas que ce soit la priorité.

Frontex dispose aussi des images des satellites du réseau européen Copernicus, mais il faut ensuite que l'information soit directement transmise aux États membres, aux marines, aux ONG pour intervenir tout de suite sur un départ de migrants.

Nous ne cherchons pas à multiplier les réseaux, mais à faire de l'intelligence.

M. Didier Marie. - Je vous remercie de vos précisions concises et utiles.

On assiste depuis quelques semaines à une reprise des flux en Méditerranée centrale. Quelle est l'origine des migrants ? J'ai le sentiment qu'il y a une évolution quant aux pays d'origine.

L'Espagne a mis en place un dispositif efficace à la fois dans la relation avec les pays d'origine et sur sa politique de retour et d'asile. Ce que l'Union européenne a mis en place avec les cinq pays bénéficiant d'un pacte - dont le Sénégal, le Niger, le Nigeria et l'Éthiopie -, vous semble-t-il comparable ? En mesurez-vous déjà les effets ?

On constate un léger frémissement des flux en Méditerranée orientale, avec une moyenne qui est actuellement de 80 passages par jour. Est-ce selon vous lié aux purges qui ont été menées dans les services de sécurité turcs, qui seraient moins opérants qu'ils ne l'ont été, ou à une reprise réelle des trafics ?

M. Patrick Augier. - Vous avez raison, la méthode espagnole est la bonne. Les accords que nous avons passés avec les cinq pays pour le retour sont en train de se mettre en place. C'est un début, et c'est sans doute moins facile que ça ne l'a été pour l'Espagne qui avait pu proposer un contrat gagnant-gagnant au Sénégal. Cela étant, comme ils ont déclenché des flux qui partaient dans l'autre sens, je ne sais pas si c'était vraiment gagnant-gagnant !

Il est difficile de déterminer l'origine des migrants car ils peuvent changer d'identité et qu'on n'est pas certains de tous les intercepter. Une fois qu'ils sont passés par le hot spot, ils sont remis en liberté avec pour consigne de rester dans les environs, mais ils partent presque tous vers le Nord. Ceux qui viennent d'Afrique de l'Ouest s'arrêtent avant Calais, chez de la famille ou des amis, à Marseille ou ailleurs. Si nous avons l'impression que les migrants sont essentiellement anglophones à Calais, c'est parce que les francophones se sont arrêtés avant d'arriver dans le Nord de la France.

M. Didier Marie. - On me dit qu'il y a beaucoup de Soudanais.

M. Patrick Augier. - Effectivement, il y a beaucoup de Soudanais. Cette filière d'Afrique de l'Est finira par se tarir quand toute la population d'Érythrée aura émigré, mais les Soudanais sont effectivement en difficulté en ce moment.

Il est toutefois très difficile de déterminer l'origine des migrants car ils changent souvent d'identité en traversant l'Algérie où il y a quantité de trafics de papiers. Certains prennent alors des identités maliennes par exemple.

M. Didier Marie. - Et sur la Méditerranée orientale ?

M. Parick Augier. - Ce n'est pas encore significatif. Il a eu de forts flux de migrants syriens qui partaient parce que la situation devenait intenable pour eux. Les autres préfèrent passer par la Libye que dans une zone de guerre.

Permettez-moi, en guise de conclusion, d'attirer votre attention sur deux points.

Le premier est la sûreté maritime et dans les transports maritimes. Nous avons mis en place quantité de mesures visant à éviter un « Bataclan maritime » et à nous prémunir contre le risque terroriste à bord des transports de passagers. La commission interministérielle de sûreté maritime et portuaire, présidée par le cabinet du Premier ministre, se réunit tous les deux mois pour renforcer les mesures de sûreté maritime dans les transports de passagers.

Comme vous le savez, de nombreuses mesures ont été prises dans la loi pour une économie bleue et dans d'autres textes, notamment pour mettre en place un PNR maritime. Le SGMER est chargé de ces travaux. Ce point est très important, car si les flux aériens et maritimes sont contrôlés et que les systèmes sont interconnectés, nos capacités de surveillance seront nettement renforcées. C'est là ma conception du nouveau Schengen : des systèmes qui contrôlent les passages pour agir sur les flux plutôt qu'un drapeau indiquant qu'il ne faut pas dépasser la ligne.

Le deuxième point est la nécessité pour la police et les administrations de la mer de travailler ensemble malgré leurs cultures très différentes. Le fait que la PAF ait commencé à travailler avec nous en 2010 a déjà constitué une évolution majeure. Il faut continuer à encourager la mutation de l'agence Frontex. Un règlement européen établit désormais qu'elle est une agence à la fois de garde-frontières et de garde-côtes. Elle doit se comporter comme les administrations de la mer françaises se comportent entre elles.

Par ailleurs, je pense que le domaine maritime devrait être plus représenté au sein de Frontex. Comme vous le savez, le ministère de l'intérieur et la PAF sont dans son conseil d'administration. Le SGMer pourrait y représenter les administrations qui agissent en mer.

Frontex n'a pas de culture maritime naturelle. Ils ont des moyens pour acheter des bateaux et exploiter des systèmes satellite, mais ils ne savent pas encore comment les utiliser. Il faut les aider à entrer dans la logique d'un nouveau Schengen : les systèmes d'information, le croisement entre le maritime et le terrestre... Il faut apprendre à travailler différemment.

M. Jean-Claude Requier, président. - Je voudrais dire à mes collègues que vous avez travaillé à l'élaboration de la loi pour l'« économie bleue » et à ses décrets d'application, et que vous avez commandé le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc, qui était le bateau-école de marine pour la formation des officiers. Je vous remercie de votre intervention.

La réunion est close à 14 h 50.