Mardi 10 janvier 2017

- Présidence de M. Alain Milon, puis de M. Henri Tandonnet, vice-président -

Audition de Mme Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes, et M. Jean-Louis Brison, inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional, auteurs du rapport « Plan d'action en faveur du bien-être et de la santé des jeunes » remis au Président de la République en novembre 2016

La réunion est ouverte à 17 heures 30.

M. Alain Milon, président. - Madame le professeur, monsieur l'inspecteur, je vous remercie d'avoir répondu favorablement et si promptement à notre invitation à être auditionnés au Sénat. Comme vous le savez, notre mission d'information en est encore au tout début de ses travaux puisqu'elle s'est constituée à la fin de l'année dernière.

Vous avez remis en novembre 2016 un rapport relatif à la santé et au bien-être des jeunes, pour l'élaboration duquel vous aviez été mandatés par le Gouvernement.

L'état des lieux que vous dressez et les préconisations que vous formulez s'articulent autour de quatre objectifs : repérer plus précocement les signes de grand mal-être, mieux orienter les jeunes vers les professionnels compétents, mieux accompagner les personnels et améliorer les prises en charge.

Le champ d'investigation de notre mission d'information est moins étendu : il s'agit plus spécifiquement de la prise en charge psychiatrique des mineurs.

Dans ce cadre, il nous a paru important de vous rencontrer afin que vous nous fassiez part de votre appréciation de l'état de cette prise en charge et des évolutions que vous jugez utile d'y apporter.

Je vous cède donc la parole pour un propos introductif après lequel notre rapporteur, Michel Amiel, puis les autres membres de la mission, vous poseront quelques questions.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle fait l'objet d'une captation vidéo qui sera diffusée sur le site du Sénat.

Madame, monsieur, vous avez la parole.

Mme Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes. - Merci pour votre aimable invitation.

La mission « Bien-être et santé des jeunes » a en effet remis son rapport au Président de la République le 29 novembre dernier, préconisant un plan actuellement en cours d'élaboration. Nous sommes missionnés pour mettre celui-ci en place.

Notre mission était centrée autour de l'école, de ses acteurs, de la famille et de tous ceux qui interviennent autour des adolescents.

Nous avons analysé, auditionné, réfléchi, comparé. Nous avons également étudié ce qui se fait au plan international du point de vue de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. C'est à ce titre qu'il existe des éléments communs avec vos propres préoccupations.

Je suis pédopsychiatre, professeur de pédopsychiatrie à Paris Descartes et je m'occupe de la Maison des adolescents de l'hôpital Cochin.

J'aimerais insister, en introduction, sur l'importance de l'enseignement, de la recherche et de la formation.

La psychiatrie des mineurs est actuellement en grand développement sur le plan international. À ce titre, la psychiatrie périnatale occupe un champ de plus en plus important. C'est une demande légitime de la société, par exemple en matière de dépression des bébés ou de dépression post-partum. Celle-ci touche en effet 10 % des femmes qui accouchent aujourd'hui sur notre territoire. Il faut donc savoir la déceler, la prendre en charge, reconnaître les effets de cette dépression sur le développement des enfants et, surtout, ne pas séparer les mères et les enfants, mais prévoir une prise en charge holiste globale de cette situation avec tous ceux qui s'occupent des bébés et de leurs parents. C'est une question très technique.

Ce champ extrêmement novateur de la psychiatrie des tout-petits s'est développé dans les années 1980.

Les enfants ne sont pas des adultes en miniature. Ils ont leur développement propre, des besoins, des particularités. On leur demande également d'être capables et heureux d'apprendre. La souffrance va donc s'exprimer dans tous ces champs.

Sur le plan international, la psychiatrie des adolescents est apparue à peu près en même temps que celle des bébés. Cette discipline est extrêmement poreuse par rapport à toutes les questions de société. Quand ils vont mal, les adolescents usent de comportements auxquels recourt la société dans laquelle ils évoluent : tentatives de suicide, troubles du comportement alimentaire, radicalisation.

Le concept de maison des adolescents a été novateur et on nous l'envie internationalement. Ceci a permis de vrais progrès mais ce qu'on est capable de faire aujourd'hui pour les adolescents n'est toujours pas suffisant.

Cette hétérogénéité suppose que l'on travaille sur toutes les phases de transition, que l'on développe la recherche et que l'on soit capable de traduire ce que l'on apprend dans des programmes de formation adéquats.

M. Jean-Louis Brison, inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional. - Cette aventure a été marquée dès le début, il y a un peu plus d'un an et demi, par l'originalité de la lettre de mission qui a été adressée par le Président de la République à une spécialiste éminente de la pédopsychiatrie et des adolescents comme Marie-Rose Moro et à l'administrateur généraliste que je suis, inspecteur d'académie lambda.

L'institution scolaire a été rétive durant des années - et elle l'est encore - à la psychologie générale des adolescents, les collégiens et les lycéens devant laisser de côté leurs états d'âme, leur singularité personnelle, individuelle et, le cas échéant, linguistique pour devenir en quelque sorte de purs esprits, acceptant la discipline scolaire dans le seul but d'apprendre et de travailler.

La souffrance intense de ces jeunes gens et leurs pathologies, ne figurent pas dans la culture de l'éducation nationale. Il était donc original de vouloir faire en sorte d'analyser ensemble la situation et de proposer des éléments de remédiation.

Le bien-être des jeunes, c'est aussi celui de tous. Le bien-être est un véritable objectif d'apprentissage, qui vaut pour tous les élèves, ceux qui réussissent comme ceux qui sont en échec scolaire, la réussite se payant parfois un prix très élevé.

La bienveillance et le bien-être apparaissent dans la loi d'orientation 2013 comme des points de repère importants. J'en veux pour seul exemple qu'en classe de cinquième, le bien-être et la santé sont devenus des objets d'enseignement.

Enfin, tous les jeunes, quels qu'ils soient, passent par l'école, qui constitue un lieu privilégié pour identifier, reconnaître et percevoir les souffrances que quelques-uns peuvent subir de manière extrêmement intense. Il arrive parfois que l'institution scolaire elle-même exacerbe certaines de ces souffrances.

En tout état de cause, dans l'esprit des parents - et parfois même des jeunes - l'institution scolaire est un recours pour résoudre une situation difficile.

C'est dans cet esprit que nous avons conduit nos travaux.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Pouvez-vous définir la frontière entre souffrance psychique et trouble psychiatrique ? Comment peut-on passer de l'un à l'autre ? S'agit-il de deux phénomènes distincts ?

Mme Marie-Rose Moro. - C'est une question fréquente, à la fois conceptuelle et pratique. Il faudrait ajouter à ces termes ceux de bien-être et de crise d'adolescence - même si, comme le disait Winnicott, celle-ci passe spontanément.

L'intensité compte également. Un enfant ou un adolescent peut avoir un soir le sentiment que personne ne l'aime, qu'il n'est pas beau, qu'il ne sait pas bien faire les choses. Ce sera passé le lendemain matin. Ce n'est ni intense ni durable. Il s'agit d'un vécu existentiel lié au développement et aux apprentissages de la vie. La question de l'intensité d'une part et le fait que ce soit variable ou que cela dure compte dans le fait de savoir à quel niveau mettre le curseur.

Il existe donc une continuité dans ces états et des catégories. À un certain moment, on bascule dans une catégorie. Celle qui relève du registre de la pédopsychiatrie est bien sûr la souffrance psychique qui se transforme en trouble psychiatrique.

Dans une situation de développement et de transformation, un certain nombre de cas peuvent passer par un mal-être, une souffrance, puis finir en une dépression constituée, alors que cela a débuté par une difficulté d'estime de soi, de l'ordre d'un petit mal-être. Cela devient ensuite une véritable souffrance qui se répète, avant de basculer dans un état qui tire vers le bas, qui empêche de prendre du plaisir et d'être heureux.

On tombe dans quelque chose de l'ordre de la dépression. Or, la dépression - c'est une découverte de ces dernières années - existe à tous les âges, même chez les petits. Il s'agit alors d'un trouble psychiatrique.

L'enfant est souvent très bon juge de ce qui lui arrive. Un petit garçon d'environ dix ans ayant fait une tentative de suicide - ce qui est heureusement assez rare - avait dit, plusieurs jours auparavant, qu'il n'était pas heureux, que les choses n'allaient vraiment pas bien, que cela ne « tournait pas rond dans sa tête » et qu'il était « aspiré par le vide ».

Il n'a pas été pris au sérieux car on a le sentiment que les enfants ne sont pas capables de faire la différence entre la vie et la mort. On se demande souvent à quel âge ils se représentent la mort. On peut se représenter la mort très tôt lorsqu'on est confronté à des situations difficiles.

Si l'enfant est assez bon juge encore faut-il le repérer. Dans le cas que j'évoque, il fallait se mettre à son niveau et lui demander ce qui n'allait pas.

Ce sont les adolescents en particulier qui nous permettent de déterminer si l'on en est à un simple niveau existentiel ou au stade d'une souffrance qui se répète et qui commence à peser, d'un état psychique, d'un trouble psychiatrique, d'une dépression constituée, ou celui d'un autre état encore plus grave.

L'enfant est capable de dire ce qu'il ressent de son point de vue. Les adultes oublient le point de vue de l'enfant. C'est ainsi. C'est peut-être une nécessité pour devenir adulte. On oublie la force que peut avoir une vexation, la répétition de petites brimades ou de rivalités car on considère que ce n'était pas si grave.

Or, il n'en est rien car, quand on est enfant et en développement, on constitue ses valeurs de jugement et ses valeurs relationnelles.

Trois niveaux vont permettre d'évaluer où en est l'enfant. Le premier niveau est celui de son développement intrinsèque. Le deuxième niveau concerne le relationnel et consiste à savoir comment il se comporte avec les autres - frères, mère, père, grand-mère, amis, professeurs. Enfin, troisième niveau : dans quel environnement l'enfant évolue-t-il ? Y a-t-il des ruptures, des violences ou est-il content ? L'environnement est-il capable de consoler, de réparer ?

On évalue ces trois niveaux et on voit si l'on se situe au début ou à la fin d'un processus.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Comment mettre précocement en oeuvre des méthodes permettant de faire le distinguo entre la pathologie psychiatrique déjà constituée et la simple souffrance, qui peut devenir chronique ? Compte tenu de la faiblesse des moyens et des connaissances, on peut être tenté de prendre en charge les troubles les plus visibles et négliger ceux qui le sont moins, qui vont progressivement s'aggraver.

Mme Marie-Rose Moro. - Lorsqu'on travaille avec les enfants et les adolescents, on ne peut faire le tri entre les cas les plus graves et les moins graves car il existe une continuité. Lorsqu'on fait attendre trop longtemps un adolescent qui présente des idées noires ou une rupture, on aura un passage à l'acte car le temps, pour les enfants et les adolescents, s'accélère. Faire attendre un bébé, un enfant, un adolescent, n'a donc pas de sens.

Je comprends qu'il faille hiérarchiser mais il est préférable d'organiser un diagnostic et une prise en charge précoces. Par exemple, on a fait beaucoup de progrès en matière de détection de l'autisme mais pas en matière de prise en charge précoce de la maladie. Elle doit être très intensive, pluri-institutionnelle, et réclame des moyens souvent très pointus. On fait donc des diagnostics et on fait attendre les patients, ce qui est pire que tout.

C'est comme le fait de reconnaître qu'un adolescent est déprimé ou qu'une jeune fille est atteinte de troubles du comportement alimentaire et d'annoncer que l'on ne pourra commencer la thérapie que dans trois mois, les psychothérapeutes n'ayant plus de place.

C'est une question d'outils, d'adaptation de ceux-ci aux différents âges de la vie, de formation. Je plaide pour que ces outils puissent être utilisés par tout le monde. Il existe bien sûr des outils très spécialisés pour les pédopsychiatres mais, la plupart du temps, les outils doivent pouvoir être utilisés par une infirmière scolaire, une infirmière de la protection maternelle et infantile (PMI). On peut mettre la plupart des outils à la disposition de tous, à condition qu'en même temps qu'on organise le dépistage de la dépression post-partum, on organise la prise en charge de celle-ci. Dans le cas contraire, il vaut mieux ne rien faire.

Créer un centre de diagnostic de référence et ne pas réaliser de prise en change n'a pas de sens. Or, ces derniers temps, on a mis en place des centres de diagnostic sans programme de soins à la hauteur des programmes desdits centres.

Les programmes d'excellence sont des programmes qui articulent interventions et diagnostics. Si tel n'est pas le cas, il ne s'agit pas de programmes d'excellence. On est satisfait intellectuellement parce qu'on a réalisé un diagnostic mais on n'a pas rendu service aux enfants ni à leurs parents.

C'est à mon sens un enjeu important, qui constitue une sorte de paradigme de soins.

Mme Catherine Génisson. - Vous affirmez qu'en matière de diagnostic, on peut former des personnes qui ne soient pas spécialisées outre mesure.

Cela étant, il s'agit d'annoncer des diagnostics très lourds. Or, si le repérage est possible grâce à l'aide d'un grand nombre de personnes, le diagnostic précis doit être établi par des personnes spécialisées. Il est également nécessaire, comme vous l'avez souligné, de bénéficier de propositions de prise en charge immédiate.

Ce que vous dites est passionnant mais quel hiatus existe-t-il entre ce que vous décrivez - et qui devrait être mis en oeuvre - et la réalité ?

Je suis élue du Pas-de-Calais : la prise en charge d'un enfant diagnostiqué comme autiste nécessite deux à trois ans d'attente - et je ne pense pas que cette situation soit exceptionnelle.

Mme Marie-Rose Moro. - C'est ce que je dénonce et c'est ce qui s'est largement passé ces derniers temps.

Vous soulignez deux points à juste titre. En premier lieu, lorsque je dis qu'un certain nombre d'outils sont utilisables par tous, ce n'est pas pour établir des diagnostics et les annoncer aux parents mais pour repérer des situations où il faut établir un diagnostic et une prise en charge. Si on n'en est pas capable, il ne faut pas le faire. À ce moment-là, on ne conduit que des accompagnements généralistes et cela ne sert à rien.

Je vois à quoi vous faites allusion : faire des diagnostics sophistiqués d'autisme précoce - sur lesquels on peut en outre se tromper, car c'est compliqué - sans prendre immédiatement en charge les enfants est cruel : on sidère les parents et on les met même en difficulté.

C'est vrai pour la dépression et pour les prises en charge des troubles des grands apprentissages. On dépiste des tas de choses à l'école, et on conseille ensuite aux parents de s'adresser au généraliste ! Qu'est-ce que cela signifie ? Si l'on met en place un dépistage, c'est que l'on pense pouvoir agir et qu'on a un programme pour ce faire. Dans le cas contraire, qu'est-ce que cela peut produire ?

C'est pourquoi il est si important de réfléchir au parcours de soins et de savoir ce que l'on veut proposer à nos enfants.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - On voit bien que la pédopsychiatrie est une discipline au carrefour du médical, du médico-social, de l'éducatif - et votre binôme en est l'exemple. Ce n'est pas un hasard si votre mission a été configurée de cette façon.

Vous parlez des retards de diagnostics. Vous évoquez également la nécessité de disposer d'interfaces entre les différents services - PMI, travailleurs sociaux, etc.

L'une de vos questions est de savoir comment mieux articuler tout cela.

Pour autant, nous n'avons pas encore abordé le sujet du diagnostic et l'aspect stigmatisant des maladies psychiatriques. Certaines familles, dont les enfants ont fait l'objet d'un dépistage de différentes pathologies, l'autisme et bien d'autres, refusent de faire face à cette réalité et la nient, car elle est stigmatisante. Quelles sont vos préconisations pour dépasser ceci ?

Dans certains départements, quelques établissements hospitaliers spécialisés très avancés en la matière recourent à des pratiques de prévention et de suivi hors les murs concernant les soins avant la naissance, dès lors que les mamans ou la famille sont en difficulté.

Je pense en particulier au centre hospitalier Esquirol de Limoges mais il existe bien d'autres établissements hospitaliers dans ce cas. Beaucoup d'expérimentations ont lieu. C'était le sens du rapport de M. Laforcade : ne faudrait-il pas que celles-ci fassent sens et qu'il y ait, à travers votre mission également, une sorte de recueil des bonnes pratiques qui permettraient d'aller plus loin ?

M. Jean-Louis Brison. - Une partie de notre mission consiste à recueillir les bonnes pratiques sur l'ensemble du territoire. On a essayé de le faire durant la phase de réaction du rapport. On a conduit deux cents auditions. Nous nous sommes beaucoup déplacés pour rencontrer des équipes particulièrement innovantes.

Ce travail de recensement, qui est extrêmement riche mais qui est isolé, organisé en archipel, où les gens sont quelque peu prisonniers du lieu où ils travaillent, est un sujet dont il faut que la puissance publique se saisisse pour le rendre apparent.

Le pari que nous faisons, même si cela apparaît comme un voeu pieux, est de faire en sorte que la totalité des collèges et des lycées de France et de Navarre disposent d'un projet de santé afin que l'Éducation nationale, reprenne à son compte ce qui fut peut-être autrefois, dans d'autres temps et pour d'autres raisons, sa mission sociale par rapport à la santé. On sait que, tout au long du XXe siècle, et depuis ses fondations modernes par Jules Ferry, l'instruction publique et l'Éducation nationale ont assumé, pour le reste du pays et de la Nation, une politique sanitaire qui, sans cela, n'aurait pas été aussi efficace.

Autre temps, autres moeurs, autres organisations, mais le fait que la souffrance mentale et la souffrance intérieure des jeunes deviennent un véritable objet de descriptions, de discussions, d'appropriation par des équipes enseignantes, un conseil d'administration, un comité d'éducation à la santé et à la citoyenne au sein des établissements, dans lesquels les parents sont parties prenantes, peut permettre d'augmenter le niveau moyen de représentation sur ces questions. Ceci contribue à installer un sentiment de sécurité plus grand que si l'on reste isolé.

Marie-Rose Moro disait que les jeunes sont parfois excellents juges de ce qu'ils vivent et ressentent. Ils doivent pouvoir trouver dans les établissements scolaires de la formation générale, de la formation statistique et de la formation clinique sur ce que sont ces moments et ces caractéristiques d'une difficulté qui n'est peut-être que passagère mais qui peut, si on n'y prend garde, s'installer définitivement.

Pour le dire d'un mot, la réforme en cours des missions dévolues aux psychologues de l'Éducation nationale va enfin dans ce sens. C'est une histoire qui vient de loin. Cela ne produira pas des effets immédiats mais tous les conseillers d'information et d'orientation au sein des établissements scolaires vont devenir des psychologues de l'Éducation nationale. Ils vont se voir décharger, dans les années qui viennent, de leurs fonctions de conseillers en orientation, mission qui peut être dévolue au professeur principal, au principal de collège ou à d'autres instances, pour devenir des psychologues au service des équipes éducatives du collègue et du lycée, et de mener ce travail d'animation et d'information au sein des établissements.

Mme Maryvonne Blondin. - Je suis très heureuse d'entendre vos propos, monsieur l'inspecteur.

Je défends depuis 2008 le bien-être à l'école au sens de l'OMS. Avec la commission de la culture, nous avons réussi à le faire inscrire dans la loi de refondation de l'école. C'est un premier pas.

Je réclame avec tous mes collègues la revalorisation de la médecine scolaire et des infirmiers scolaires. Notre médecine scolaire est en effet malade. Que peut-on faire pour ce premier lieu d'écoute ? L'infirmerie scolaire est l'endroit où les enfants vont pour se plaindre d'un mal de ventre. Ce n'est parfois pas un simple mal de ventre, il y a derrière cela tout un processus.

Ces professionnels ont été auditionnés mais on n'arrive pas véritablement à combler ce manque, alors qu'ils ont une année de formation spécifique.

Faire en sorte que les parents retrouvent leur place à l'école est aussi quelque chose que favorise la loi, en permettant aux établissements scolaires de devenir un lieu d'écoute.

Nous avons également travaillé sur les fiches métiers relatives à l'Éducation nationale, qui ont été revues.

Enfin, vous avez rappelé que les psychologues scolaires vont être désormais réunis dans une seule entité, sans distinction entre le premier et le second degré. Comment faire pour susciter la vocation des infirmiers et des médecins scolaires ?

Mme Marie-Rose Moro. - Nous avons bien sûr croisé ces questions mais un rapport a été précédemment rendu à propos de la médecine scolaire, vous le savez.

C'est une question qui n'est pas résolue et qui préoccupe tout le monde à juste titre. Il faut en outre associer à la médecine scolaire la médecine universitaire, qui est dans le même état. Il existe des dispositifs expérimentaux géniaux mais, la plupart du temps, il n'y a rien.

Cela fonctionne pourtant très bien dans certains endroits, comme le modèle canadien. On n'a même pas besoin de l'inventer : il est là !

S'agissant de la médecine scolaire, je ne reviendrai pas sur les psychologues de l'Éducation nationale. C'est une véritable révolution qui est en cours. J'espère qu'elle va aller jusqu'au bout. Il est inédit de penser que l'on va désormais s'occuper du bien-être et du mal-être à l'intérieur de l'école, en donnant entre autres cette possibilité aux psychologues scolaires, en lien avec des équipes médico-psycho-sociales.

Il est vrai que la médecine scolaire n'est guère attirante aujourd'hui. Les problèmes sont connus : il s'agit des rémunérations et de l'harmonisation entre médecins, infirmiers, assistantes sociales et autres personnels.

Le fait de créer des dispositifs d'alerte, qui fait partie de nos propositions, va permettre d'utiliser les ressources extérieures. On a l'impression que l'école est seule au monde et ne peut utiliser tout ce qui existe dans le dispositif de soins. Les médecins scolaires sont très isolés. Les infirmières scolaires se battent seules sur ce sujet. Elles savent que si elles ne sont pas en lien avec l'extérieur, elles ne pourront rien faire à l'intérieur de l'école.

Nous avons proposé de nouvelles organisations à l'école, en lien avec le système de santé, celui-ci pouvant également entrer à l'école quand c'est nécessaire, par l'intermédiaire des maisons des adolescents ou des possibilités d'interventions de médecins généralistes, comme le médecin scolaire par exemple.

Il en va de même pour la médecine universitaire, fondamentale entre dix-huit et vingt et un ans, moment de grande vulnérabilité. C'est le moment où l'on quitte parfois ses parents, où l'on se retrouve seul. Il faut être capable de se soigner, de reconnaître que l'on va mal - addictions, souffrance, éclosion des pathologies psychiatriques.

Plus de 50 % des pathologies psychiatriques de l'adulte apparaissent avant seize ans. Ces chiffres proviennent de l'OMS, qui les a récemment communiqués.

Enfin, énormément de bonnes choses sont réalisées. Jean-Louis Brison le disait : on en a répertorié un certain nombre dans les champs qui nous intéressaient. On s'est demandé quelles étaient les raisons pour lesquelles on n'était pas capable de les généraliser, alors qu'on les évalue, qu'on sait qu'elles sont bonnes et que cela fonctionne.

Par ailleurs, afin de permettre d'utiliser les compétences d'autres pays qui ont réussi à mettre des dispositifs en place, nous proposons la création d'un institut, l'Institut national de la santé des jeunes. Il repose sur le modèle australien et permettrait de constituer un lieu où toutes ces ressources pourraient être analysées, colligées, évaluées et transformées en modèles.

Ce lieu pourrait peser sur les politiques de recherche, d'enseignement, de formation, etc. et permettre d'agir sur la société pour faire en sorte que la santé des jeunes soit considérée comme un véritable objet.

Vous avez soulevé la question de la discrimination et de la stigmatisation. Peut-être pratique-t-on parfois la politique de l'autruche.

C'est de moins en moins vrai, les nouveaux dispositifs innovants ayant poussé les murs. Ainsi, mon service, la maison des adolescents de Cochin, ne ressemble pas à un hôpital - et il n'y a pas que le mien. Il existe des équipes de liaison et des dispositifs qui vont dans la cité ou qui viennent de la cité.

J'ai lu dans une étude récente - et je le constate au quotidien - que la stigmatisation est plus importante chez les parents que chez les enfants et les adolescents eux-mêmes. Nous disposons d'un système d'accueil sans rendez-vous, anonyme. On peut venir seul à la maison des adolescents de Cochin, la maison de Solenn, sans ses parents, et on peut même ne pas donner son nom, même s'il est assez rare que les adolescents gardent l'anonymat.

Toutefois, certaines ne veulent pas que leurs parents connaissent leur état, par crainte de les faire souffrir. C'est assez caricatural. Ils disent tous la même chose, quel que soit le niveau social. Une jeune fille en classe préparatoire, issue d'une famille très aisée, m'a ainsi confié qu'elle ne pouvait avouer à ses parents qu'elle se sentait déprimée et m'a demandé de ne surtout pas les prévenir. La stigmatisation vient de la société, des parents. Cela va bien sûr changer mais c'est à ce niveau qu'il faut agir.

Sauf pour les petits, ce n'est toutefois pas le problème majeur, qui demeure partout l'attente de soins.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Je reviens sur le sujet de la médecine scolaire, qui est sinistrée. Aujourd'hui, c'est un problème de démographie médicale en général. Or, vous avez évoqué le modèle canadien...

Mme Marie-Rose Moro. - Pour la médecine universitaire...

En revanche, le système est très bon jusqu'à 6 ans, grâce à la PMI. La question vient après. Il pourrait y avoir un cadre comprenant la PMI, la médecine scolaire et la médecine universitaire.

M. Michel Amiel, rapporteur. - J'ai eu la charge de cette délégation au conseil général des Bouches-du-Rhône durant de nombreuses années : c'est le même problème de démographie médicale que celui que rencontre la population de médecins de plus de cinquante-cinq ans. La relève est loin d'être assurée, pour des raisons d'attractivité diverses et variées.

Mme Marie-Rose Moro. - Pas partout !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Ceci est exacerbé par le cadre de la fonction publique territoriale, qui ne permet pas de rémunérer les médecins de PMI au niveau qu'ils souhaitent, du fait des études qu'ils ont suivies.

Mme Marie-Rose Moro. - C'est pareil pour la médecine scolaire. Ils ne sont pas du tout rémunérés comme à l'hôpital.

Mme Patricia Schillinger. - Je suis élue du Haut-Rhin, proche des frontières allemande et suisse. J'ai travaillé moi-même en Suisse : ces pays agissent différemment dans le domaine des soins, de l'encadrement et de l'orientation.

Le Sénat représente les collectivités territoriales. Vous avez évoqué les outils qui sont en place et leur diversité. Énormément de choses se font dans mon département. Il est vrai que mettre en relation les différentes structures et aider les parents et les enseignants est souvent très difficile. L'association des maires du Haut-Rhin a créé une commission sur la santé mentale. Les maires y ont des délégués et les réunions se tiennent régulièrement. Cela fonctionne depuis quelques années. On a ainsi fait progresser certaines informations. Quand les parents sont perdus, ils vont souvent voir le centre communal d'action sociale.

On a perdu un certain nombre d'aides depuis quelques années. Dans ma commune, trente enfants se faisaient aider lorsque les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) ont été supprimés. Aujourd'hui, il devrait y en avoir cinquante ou soixante, étant donné l'augmentation des élèves. Beaucoup d'enfants ne sont pas traités. Les psychologues se trouvent à Mulhouse, à trente ou quarante kilomètres, les trajets sont longs, sans parler des remboursements. C'est un véritable casse-tête pour les parents qui travaillent. Ils aimeraient bien aider leurs enfants, mais c'est très difficile.

Beaucoup viennent me rencontrer au sujet de l'autisme ou de l'hyperactivité. Ce qui me frappe, c'est qu'ils ne sont pas pris au sérieux. Ils font remarquer à leur généraliste que leur enfant ne va pas bien mais on ne les envoie pas pour autant chez le psychiatre. Un long moment se passe avant que les enfants ne soient pris en main.

Quand on découvre des troubles, l'organisation est tout aussi terrible, du fait de la sectorisation : on pourrait aller dans un autre secteur, mais il n'existe pas de dérogation.

Je ne sais comment faire, mais il y a trop de structures. On finit par en avoir le tournis ! Les assistantes sociales n'ont jamais assez de temps et les choses sont également difficiles.

J'aimerais avoir votre avis : les collectivités territoriales ont un certain poids et peuvent aider les structures à s'organiser à ce niveau.

Mme Marie-Rose Moro. - Vous évoquiez les comparaisons européennes. Les modèles sont très différents d'un pays à l'autre en matière de pédopsychiatrie. Nous faisons toutefois globalement partie du pays où l'offre de soins en pédopsychiatrie est la plus faible du point de vue des praticiens.

L'ordre national des médecins a publié une enquête en juin dernier sur l'évolution des spécialités en médecine. Entre 2007 et 2016, les pédopsychiatres ont dû diminuer de 49 % dans notre pays. Ils sont devenus une denrée rare ! Il existe des départements français où il ne reste qu'un pédopsychiatre, comme dans le centre de la France. Qu'est-ce que cela signifie dans un pays comme le nôtre ?

Les universitaires, qui sont très importants dans le domaine de la pédopsychiatrie, car ce sont eux qui vont mener la recherche, dispenser l'enseignement, et organiser la formation sur tout le territoire, n'existent même pas dans certaines régions.

Aujourd'hui, en France, les professeurs de pédopsychiatrie représentent 0,70 % des professeurs de médecine à l'université. Nous encadrons des promotions de cinquante-six internes lorsque les cardiologues en encadrent cinq ! Clermont-Ferrand, Dijon, Saint-Étienne, ne compte aucun professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent...

M. Michel Amiel, rapporteur. - Pourquoi, et que peut-on faire ?

Mme Marie-Rose Moro. - Il faut former plus de pédopsychiatres, avoir une option de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Pensez que nous n'en avions pas jusqu'à présent ! Peut-être allons-nous avoir une option dans la réforme qui va se mettre en place cette année, alors qu'il en existe dans la majorité des pays européens.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Comment rendre plus attractive cette spécialité, passionnante au demeurant ?

Mme Marie-Rose Moro. - Oui, c'est passionnant. C'est un luxe absolu d'être professeur ou pédopsychiatre !

Il faut qu'il y ait au moins trois professeurs par université, cinq ou six dans les grandes universités, et créer des postes.

En deuxième lieu, il faut que les pédopsychiatres, dans les institutions et en ville, soient formés et rémunérés correctement. En ville, les consultations sont très longues et payées comme des consultations médicales psychiatriques générales, alors que cela n'a rien à voir.

En Belgique, on les paie deux fois et demie plus. Cela dépend des taux, mais on reconnaît là-bas le temps passé et la compétence.

Nous avons demandé dans la réforme du diplôme d'études spécialisées (DES) qu'un minimum de pédopsychiatres soient formés chaque année. Entre 30 et 40 % des psychiatres devraient être spécialisés dans le domaine des enfants et des adolescents. On me dit que c'est difficile, mais il faut prévoir des incitations.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Sauf erreur de ma part, il n'existe pas de DES de pédopsychiatrie.

Mme Marie-Rose Moro. - Il n'y en aura toujours pas après la réforme. Il existera une option. On passera un DES général en quatre ans. On deviendra alors psychiatre pour adultes. Après un an, on sera psychiatre pour enfants et adolescents, soit au bout de cinq années.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Cela ne pourrait-il constituer une piste ?

Mme Marie-Rose Moro. - En effet, la reconnaissance de l'option en est une. Il faut reconnaître l'option et former suffisamment de praticiens. Selon moi, il faut exercer une contrainte en matière de nombre de nominations. C'est une petite discipline, en ce sens qu'il n'y a pas beaucoup de professionnels par rapport aux autres disciplines. Elle perd donc tous les arbitrages dans les conseils universitaires, et au lieu de nommer un psychiatre d'enfants et d'adolescents, on nomme quelqu'un d'autre, l'arbitrage se faisant en faveur des disciplines qui comptent le plus grand nombre de personnes.

C'est un problème politique. Il faut nommer des psychiatres universitaires, mieux rembourser les consultations et permettre aux praticiens de travailler collectivement, d'où la question des équipes avec des psychologues. Notre mission sur le bien-être et la santé des jeunes propose un « pass santé jeunes », avec un remboursement de dix consultations de psychologues. Cela se fait déjà dans certains endroits, et l'on voudrait que ce soit généralisé.

Les enfants ont parfois besoin de pédopsychiatres, de psychologues, de psychomotriciens, de pédagogues spécialisés, d'orthophonistes, etc. Ce sont de nouvelles organisations.

Il faut enfin un moratoire sur les postes en pédopsychiatrie. On a fermé des lits dans certains départements où l'on ne compte aucun lit en pédopsychiatrie.

Lorsqu'un adolescent fait une tentative de suicide, toute bonne pratique oblige à l'évaluer et à l'hospitaliser, comme un adulte. Aujourd'hui, en France, la plupart ne le sont pas parce qu'il n'existe pas de lieu pour cela. Heureusement, on compte encore quelques lits dans des services comme le mien, mais la plupart du temps, dans vos départements, on doit hospitaliser les enfants dans les services de psychiatrie pour adultes, avec des patients atteints de pathologies chroniques lourdes. Les médecins ne le font donc pas.

Affirmer qu'il faut former des pédopsychiatres et que chaque université doit en avoir est sûrement la meilleure façon d'y arriver. Même en Grande-Bretagne, où le système de soins n'est pas le même que le nôtre, on compte vingt fois plus de professeurs que chez nous, à nombre égal d'étudiants.

Mme Laurence Cohen. - On voit bien, dans la façon dont vous abordez les choses, qu'il existe des réponses spécifiques, une situation globale.

Vous avez indiqué que la psychiatrie fait face à une pénurie de moyens de manière globale, ainsi que la pédopsychiatrie, et vous soulignez le fait que le nombre de pédopsychiatres a diminué de 50 % en dix ans en le mettant en corrélation avec les déserts médicaux.

Quand parle de pédopsychiatrie - vous l'avez vous-même expliqué - on parle d'équipes pluridisciplinaires. Or, quand on se trouve dans des déserts médicaux, il y a pénurie de professionnels, dans un contexte de pénurie générale.

Je trouve important de le répéter, de même qu'il est important que les sénatrices et les sénateurs puissent réfléchir à la question d'un moratoire. Je pense à une proposition de loi de 2014 sur un moratoire contre les fermetures d'établissements et les regroupements : quand on produit des actes, il faut réfléchir aux conséquences.

Il me semble qu'en France, l'évaluation est assez peu répandue. J'aimerais recueillir votre appréciation dans ce domaine. On pratique des politiques de santé mais on n'évalue pas suffisamment souvent ou pas assez les conséquences des actes que l'on a produits. Quand on s'aperçoit des conséquences, il faut « ramer », si je puis dire de manière familière, mais surtout rattraper les choses.

Ma deuxième remarque concerne l'articulation entre les différentes structures et ce vous avez souligné au niveau de l'école. Il faut là aussi mener une réflexion car la suppression des RASED n'est pas arrivée seule, pas plus que le manque de professionnels, de psychologues scolaires, etc.

Il faut aussi tenir compte de l'articulation entre ces structures scolaires et les structures de santé, et de la façon dont les professionnels peuvent travailler ensemble et coopérer avec des passerelles. Encore faut-il que les structures le permettent, avec des plages horaires pour pouvoir formaliser ces rencontres et ces échanges.

Troisième remarque : peut-être n'a-t-on pas assez souligné le fait qu'il faut parler de reconnaissance des professionnels et des différentes professions. On trouve de moins en moins de professionnels dans certaines disciplines, et il faut aussi réfléchir à la façon dont ceux-ci sont reconnus. On peut parler des médecins, des pédopsychiatres, des psychiatres, mais il faut aussi se pencher sur la reconnaissance des psychologues. Il existe aujourd'hui une véritable difficulté dans ce secteur, et une vraie souffrance de ces professionnels.

J'ai cru comprendre que l'une de mes collègues estime que les structures sont trop nombreuses. Je ne le crois pas ! On a fermé énormément d'établissements qui n'ont pas été obligatoirement remplacés, et on a aujourd'hui des pathologies très diverses dans ces mêmes établissements, ce qui ne devrait pas être le cas, me semble-t-il.

À tout le moins, il faudrait que les établissements soient plus diversifiés et dirigés différemment pour pouvoir accueillir toutes ces pathologies. Il faut que ces structures s'adaptent aux différentes pathologies et recourent des équipes pluridisciplinaires extrêmement pointues.

M. Michel Amiel, rapporteur. - On retrouve souvent dans les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) de jeunes gens qui n'y ont pas forcément leur place. Faute de mieux, le juge, en utilisant je ne sais quel article du code, les y place directement.

Comment mieux articuler l'action des différents intervenants s'agissant de ce problème de souffrance de l'adolescent ou de l'enfant ?

M. Daniel Chasseing. - On ne trouve pas de lits de pédopsychiatrie en Corrèze ou dans la Creuse. On en compte seulement huit à Limoges pour toute la région. Ceci pose beaucoup de problèmes en matière de prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) des enfants qui sont placés dans des structures qui ne sont pas adaptées, alors qu'ils devraient se trouver dans des services de pédopsychiatrie.

C'est un problème qu'il faudra essayer de résoudre rapidement.

Pour ce qui est de l'autisme, on a accompli des progrès en matière de diagnostic mais les parents sont ensuite obligés de se rendre en Belgique ou ailleurs pour faire prendre leur enfant en charge individuellement.

Les maisons d'accueil spécialisées comptent souvent des autistes adultes qui n'ont pas été diagnostiqués et qui sont pris en charge de façon non adéquate.

Mme Catherine Génisson. - Je vais être provocatrice mais je voudrais intervenir sur le sujet de la démographie médicale, qui connaît aujourd'hui des problèmes du fait de l'inégalité d'installation des médecins et du mode d'exercice de la médecine, qui a beaucoup changé. On sait qu'il faut former plus de médecins.

Or - et cela remet peut-être en cause le principe de l'autonomie des universités : les doyens font ce qu'ils veulent ! Il existe des spécialités pauvres. On parle beaucoup de la médecine scolaire, des pédopsychiatres, mais pas des psychiatres qui s'installent massivement en ville, où ils trouvent une reconnaissance ad hoc de leur profession. Ce sont les psychiatres hospitaliers qui manquent.

Il faut surtout insister sur le fait que les doyens font ce qu'ils veulent : la médecine du travail et la médecine scolaire sont les parents pauvres de notre système de santé. Lorsque je parle de la médecine, il ne s'agit pas seulement de la formation des médecins mais de tout ce qui concerne ces spécialités.

C'est une question de volonté, non de moyens. Je pense qu'il faudrait être plus coercitif par rapport aux doyens des facultés de médecine, qui font ce qu'ils veulent.

Par ailleurs, concernant la médecine scolaire, certaines décisions politiques ont été selon moi assez catastrophiques - RASED, psychologues scolaires. Même lorsque le budget de l'Éducation nationale était prospère, la médecine scolaire était le parent pauvre de l'Éducation nationale. De ce fait, le ministre de la santé et la faculté de médecine ont laissé pour compte la médecine scolaire.

Que pensez-vous de l'idée que la médecine scolaire ressortisse à nouveau de la compétence de la santé et non de celle de l'éducation nationale ? C'est une question provocatrice mais que je souhaitais vous poser.

M. Henri Tandonnet, président. - Devant cette pénurie, ne peut-on travailler avec ceux qui se trouvent sur le terrain ? Il existe pas mal de structures, même si l'harmonisation entre elles manque parfois...

Par ailleurs, comment organiser l'Éducation nationale afin qu'elle se charge de l'accompagnement nécessaire aux soins ? Une fois l'adolescent soigné, il faut le réintroduire dans un milieu normal, celui de l'éducation, au milieu d'adolescents correspondants à son âge. J'ai compris qu'on avait souvent des difficultés à trouver le bon interlocuteur ou les assouplissements nécessaires pour cet accompagnement...

M. Jean-Louis Brison. - Dans notre rapport, nous avons estimé que les maisons des adolescents sont des institutions avec lesquelles des regroupements d'établissements scolaires peuvent passer convention afin d'avoir des accès privilégiés à des professionnels qui accepteraient de conventionner une partie de leur travail avec les plates-formes que constituent les maisons des adolescents. On n'y trouve pas que des thérapeutes mais aussi des éducateurs ou des gens capables de conseiller et d'accompagner les adolescents.

Placer le monde de l'Éducation nationale, avec ses contraintes et sa culture, face au monde des soins ne permet pas d'aller assez loin. C'est pourquoi on développe à nouveau des institutions qui ont fait leurs preuves.

Vous posiez la question de savoir si le fait de confier la gestion des médecins de santé scolaire à la santé et non plus à l'Éducation nationale pourrait résoudre le problème : je ne le crois pas.

Le dernier élément qui nous tient à coeur concerne le retour à la scolarité des élèves qui doivent bénéficier de manière prioritaire d'une prise en charge thérapeutique lourde.

Ces retours sont si compliqués que les thérapeutes eux-mêmes en font un motif de soins. Une scolarité avec laquelle on se réconcilie et qui redémarre constitue un facteur de retour vers des normes de vie plus classiques pour les adolescents et leurs parents.

Nous pensons aussi que l'on peut favoriser ces retours, à condition qu'une commission ad hoc accompagne l'élève, autour du médecin scolaire, du psychologue de l'éducation nationale et de l'infirmière, sollicités par le professeur principal ou le professeur d'EPS - qui portent parfois un regard plus acéré que d'autres sur les élèves - voire par les agents de service, souvent témoins d'un certain nombre de signes.

M. Henri Tandonnet, président. - Vous préconisez donc la nomination d'un médiateur par établissement afin de suivre les signalements et de veiller au bon déroulement de l'accompagnement au retour...

M. Jean-Louis Brison. - Oui, c'est une formule.

Mme Marie-Rose Moro. - Nous avons appelé cela un « dispositif d'alerte », en l'envisageant plus en termes de fonctions que de personnes.

M. Henri Tandonnet, président. - Le dispositif doit être assez simple. On est souvent dans l'urgence. Il faut quelqu'un de responsable et que cette cellule ne soit pas compliquée.

Mme Marie-Rose Moro. - Ce n'est pas compliqué mais ce n'est jamais individualisé. Ce système ne peut reposer sur une seule personne. Les différents métiers doivent se réunir à l'intérieur de l'école.

M. Henri Tandonnet, président. - Je pense cependant qu'un responsable identifié est nécessaire. Dans le cas contraire, je crains que cela ne fonctionne pas très bien.

Mme Marie-Rose Moro. - Cela existe déjà.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Des expériences très intéressantes ont été tentées avec les services d'assistance pédagogique à domicile (SAPAD), l'académie et les centres hospitaliers spécialisés. Il faut absolument une banque de données.

Mme Marie-Rose Moro. - On a déjà un institut et une application avec l'ensemble des ressources. C'est ce qu'on a proposé avec le « pass santé jeunes ».

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Votre proposition est intéressante.

Nous n'avons pas parlé des groupements hospitaliers de territoire (GHT). J'ai plaidé, dans ma région, pour un GHT intégrant la médecine psychiatrique. Je ne suis pas une professionnelle mais j'ai pensé que la prise en charge psychiatrique s'inscrit dans un parcours de soins général. C'est ce qui s'est fait.

J'y vois une amorce de solution temporaire pour pallier cette pénurie via la télé-médecine, grâce à un établissement référent et à des équipes mobiles. Cela existe déjà. Dans le milieu rural profond, où l'on ne peut avoir de pédopsychiatre, il est impératif que la prise en charge se déroule hors les murs, comme pour les adultes.

Qu'en pensez-vous ? Croyez-vous qu'il faille que la médecine psychiatrique et, singulièrement, la pédopsychiatrie soient parties prenantes ? Estimez-vous qu'il aurait mieux valu continuer à séparer la médecine psychiatrique de la médecine générale ?

Mme Catherine Génisson. - Les psychiatres s'y sont opposés !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Il a fallu les convaincre mais cela existe chez nous.

Mme Catherine Génisson. - Pas partout !

Mme Marie-Rose Moro. - La psychiatrie est maintenant une spécialité médicale. C'est plutôt une bonne chose.

Un certain nombre d'organisations s'y sont toutefois opposées pour des raisons très pragmatiques. Malheureusement, il existe des hiérarchies entre médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), psychiatrie, et pédopsychiatrie.

Ce n'est pas ma position mais la crainte était de perdre certains budgets. Il faut donc améliorer l'organisation et rendre l'offre de soins lisible, ce qui n'est pas toujours le cas, ainsi que vous le disiez.

Certes, des dispensaires et des équipes entières ont disparu, et les professionnels se sont sentis considérés comme quantités négligeables.

En outre, les patients en psychiatrie atteints de pathologies structurées sont mal soignés sur le plan somatique.

Par ailleurs, certaines pathologies doivent être traitées par les deux systèmes. Par exemple, certaines maisons des adolescents, comme la mienne, sont pluridisciplinaires. On y trouve à la fois des pédiatres et des psychiatres - mais c'est extrêmement rare.

On a dit qu'on avait du mal à adapter les trajectoires scolaires des enfants ayant connu des moments de fragilité. Or, il existe en France un système génial, le système soins-études, issu de la Seconde Guerre mondiale. Certains départements, plus chanceux que d'autres, en disposent, d'autres non.

Ce sont des endroits qui sont situés à Paris, mais aussi parfois à la campagne, où l'on se soigne et où l'on poursuit à la fois ses études. Cela fonctionne extraordinairement bien et c'est totalement déstigmatisé : on va à l'école, au collègue, au lycée, dans un centre de formation, mais on se soigne avant, pendant et après, et l'on s'occupe des parents.

Ces endroits ne sont toutefois pas suffisamment nombreux. La Fondation de santé des étudiants de France a été pionnière en ce domaine. Ceci a été évalué très positivement. Croyez-vous que cela soit en voie de généralisation ? Pas du tout ! Pourtant, cela ne coûte pas spécialement cher et remet des collégiens, des lycéens, des étudiants sur la bonne voie, ce qui n'a pas de prix. Tous les pays européens nous envient cette organisation. Certains l'ont même mise en place.

Un institut ou une fondation permettrait de capitaliser ces solutions.

La reconnaissance des professionnels est une vraie question. La formation des psychologues est souvent très exigeante ; or, ils ne trouvent pas toujours beaucoup de travail par la suite et sont peu payés.

Dans certains pays, les psychologues qui ont une fonction de soins suivent un internat comme les médecins. Ils ont des responsabilités à l'intérieur de l'hôpital afin d'être bien formés. C'est le cas en Espagne et dans d'autres pays européens mais pas en France. Cela limite parfois leurs responsabilités et surtout leur reconnaissance.

Quant aux pédopsychiatres, quelques-uns peuvent se sentir peu reconnus. Les débats idéologiques autour de l'autisme ont ainsi été très difficiles pour la communauté des pédopsychiatres. On a même retiré l'autisme du champ de la pédopsychiatrique ou de la formation continue.

C'est là un vrai problème, quasiment spécifique à la France. On est parfois incapable de travailler ensemble sur des objets complexes.

Vous proposez que la faculté de médecine reconnaisse la médecine universitaire, la médecine scolaire, la médecine du travail et la pédopsychiatrie. Connaissant mes collègues, je ne sais si une politique coercitive pourrait être efficace. On pourrait toutefois la rendre incitative et fixer un cadre minimum aux universités.

Je crois plus à la nécessité de définir un cadre minimum si l'on veut que cela fonctionne et que l'on puisse former toutes les spécialités nécessaires à une prise en charge globale des problèmes de santé.

Mme Catherine Génisson. - C'est le problème de l'autonomie des universités, qui font ce qu'elles veulent. Je connais l'exemple d'un doyen de faculté de la région Nord-Pas-de-Calais qui ne s'intéresse pas à la médecine générale et n'organise pas de stage dans ce domaine. C'est pourtant un devoir, en particulier en matière de pédopsychiatrie.

Vous dites que les consultations privées de ce secteur sont sous-payées, alors que les psychiatres du privé gagnent bien leur vie. Pourquoi les pédopsychiatres privés n'ont-ils pas droit à une reconnaissance spécifique ? C'est une spécialité supérieure à la psychiatrie !

Mme Marie-Rose Moro. - Il n'y a pas de reconnaissance de la compétence pédopsychiatrique dans le privé. Or, un acte pédopsychiatrique nécessite bien plus de temps qu'un acte dans le domaine de la psychiatrie des adultes.

Mme Catherine Génisson. - C'est peut-être une piste.

Mme Marie-Rose Moro. - En effet.

Les psychiatres du privé font toutefois partie des spécialistes les moins payés. Les pédopsychiatres qui s'installent en ville intègrent des réseaux afin de pouvoir travailler avec l'hôpital. Mon propre réseau compte mille professionnels, ce qui n'existe pas dans le Nord-Pas-de-Calais.

Mme Maryvonne Blondin. - Dans certaines régions, des conventions entre l'ARS et le rectorat comportent des référents afin de faire vivre tout cela, avec des conseillers techniques en médecine, dans le domaine infirmier, au rectorat, mais cette architecture n'existe pas encore chez les psychologues.

On manque de conseillers techniques pour coordonner les échanges entre l'ARS, le dispositif santé et soins, et l'Éducation nationale. Il faudrait le mettre en place dans le cadre de la création de l'institut que vous évoquiez.

Mme Marie-Rose Moro. - En effet !

M. Jean-Louis Brison. - Nous avons rendu notre rapport au Président de la République, le 29 novembre dernier, en présence de quatre ministres. Les ministres de la santé et de l'éducation nationale et de la recherche ont signé ce jour-là une convention-cadre qui vaut pour les trente académies de France et de Navarre. Vous l'avez dit vous-même, cela n'existe pas partout. On demande maintenant à chacune des académies de construire une convention obligatoire avec l'ARS adaptée à leur territoire.

Je suis par ailleurs totalement convaincu qu'il faut auprès des recteurs un correspondant de la corporation des psychologues de l'éducation nationale.

Mme Catherine Génisson. - Il faut faire la même chose avec les doyens de médecine !

Mme Marie-Rose Moro. - Il faut un cadre pour les doyens de médecine !

M. Daniel Chasseing. - Les addictions, notamment au cannabis, entraînent-elles des troubles psychiatriques ?

Mme Marie-Rose Moro. - C'est une question importante et d'actualité, à propos de laquelle les associations de parents d'élèves me demandent toujours des conférences. J'ai dû en faire une centaine dans ma vie, tant la question se pose au quotidien.

Les addictions sont à coup sûr un problème de santé publique chez les jeunes et ce de plus en plus tôt. Le phénomène est assez diversifié et touche toutes les classes sociales. Les plus défavorisées et les minorités culturelles constituent des milieux qui vulnérabilisent les enfants et leur développement. Il faut donc également s'occuper de l'environnement.

Un certain nombre de jeunes utilisent le cannabis à titre d'expérimentation. D'autres vont s'y accrocher et être pris au jeu. On entre alors dans les addictions au sens psychiatrique du terme.

A priori, les addictions ne créent pas de pathologie psychiatrique structurée - schizophrénie, dépression au sens psychiatrique du terme, comme les maladies bipolaires. C'est toutefois un facteur de vulnérabilité.

Dans un certain nombre de cas, elles déclenchent des pathologies dont on n'est pas sûr qu'elles ne seraient pas arrivées sans cela, les aggravent et rendent le diagnostic beaucoup plus tardif. Il s'agit donc de quelque chose de grave. L'unité de l'INSERM de Bruno Falissard mène un certain nombre d'études sur ces questions.

Cela crée également des tas d'autres pathologies - symptômes dépressifs, troubles de la mémoire, de l'attention, retrait du monde, etc. - mais il faut être nuancé.

Deuxièmement, ceux qui ont une vulnérabilité psychologique ou psychiatrique vont parfois considérer les addictions comme une sorte de médicament pour se soulager, s'endormir, diminuer la souffrance, et avoir une raison objective de ne pas comprendre ce qui se passe.

Il faut donc vraiment s'occuper des addictions à l'adolescence, non seulement pour éviter les pathologies psychiatriques structurées, mais surtout pour éviter à ces adolescents de souffrir et de développer une sorte de rapport difficile au monde.

Lors de nos auditions, nous avons été frappés par l'intérêt des associations de pairs, dont les membres sont capables de repérer l'alcool, l'héroïne et les amphétamines en allant au plus près de leurs camarades en danger.

L'engagement et l'intérêt de ces jeunes sont impressionnants. Cela leur fait également du bien de mener ce travail en rapport avec le lien social.

Il s'agit de quelque chose à encourager. C'est le cas dans les textes sur les lycées et les collèges. Cela devrait être organisé et soutenu. Il s'agit d'une véritable action en lien avec le système scolaire et le système de santé.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire deux mots sur l'épidémiologie de la pédopsychiatrie ? De nouveaux troubles qui n'existaient pas il y a trente ans sont-ils apparus ? Comment voyez-vous les choses en fonction des catégories sociales et des territoires ?

Mme Marie-Rose Moro. - C'est tout l'objet de notre unité INSERM. Très peu d'unités de l'INSERM traitent de l'épidémiologie des troubles des enfants et des adolescents. Cela devrait pourtant être encouragé.

Ces trente dernières années ont en effet connu une évolution des pathologies du développement, qui sont très influencées par les organisations familiales, l'école et la société.

Par ailleurs, la société tolère beaucoup moins de souffrances et de dysfonctionnements chez les enfants - et c'est tant mieux. Elle demande donc qu'on les reconnaisse, qu'on les diagnostique et qu'on les soigne.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Ne trouvez-vous pas que le seuil de frustration individuelle a beaucoup baissé ?

Mme Marie-Rose Moro. - Vous voulez parler de la tolérance individuelle... En effet, mais j'ai l'impression que c'est la tolérance des parents et de la société qui a reculé, plus que celle des enfants.

La dépression des enfants n'existait pas auparavant. Elle existe à présent. Il en va de même chez le bébé. Il est vrai qu'on était moins capable de la diagnostiquer mais cela devient un objet de la pédopsychiatrie.

La dépression, chez l'adolescent, reste très importante. Elle touche entre 8 % à 10 % d'une classe d'âge, ce qui est beaucoup, et prend des formes en rapport avec la société, comme les troubles du comportement alimentaire qui, il y a trente ans, n'existaient que dans certaines classes sociales, surtout les plus favorisées.

Aujourd'hui, les troubles du comportement alimentaire se sont démocratisés. Ils appartiennent non seulement à toutes les classes sociales, mais également à toutes les cultures de notre pays. Auparavant, les enfants de migrants n'avaient aucun trouble du comportement alimentaire, contrairement à ce qui se passe à présent.

Cela signifie que la souffrance, qui est parfois diffuse, prend une forme qui attire l'attention de l'adulte.

Les troubles de l'attention ont augmenté de façon très importante ces dix dernières années. Ceci est peut-être lié à la nécessité de se concentrer à l'école et d'être bon élève. Peut-être acceptait-on auparavant que les enfants ne se concentrent pas tous, ne soient pas tous parmi les meilleurs et n'apprennent pas tous ce qu'ils devaient apprendre. Les pathologies sont également liées aux attentes et aux projections.

Des pathologies comme les phobies scolaires apparaissent. Elle n'existe pas sur tous les territoires. On les trouve surtout dans les grandes villes. On parle même d'épidémies à Paris, Lyon, etc. La phobie scolaire touche les élèves qui n'arrivent pas à aller à l'école et qui sont pris d'une angoisse sur le chemin de celle-ci, ou lorsqu'ils y arrivent. Ils sont angoissés par le rapport aux autres, mais aussi par le rapport au savoir et aux adultes.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Est-ce que la violence a véritablement augmenté, en particulier en milieu scolaire ?

Mme Marie-Rose Moro. - Pour en finir avec l'épidémiologie, les troubles psychotiques ne se sont pas modifiés. Il y a des discussions autour de l'autisme, mais ce sont à peu près les mêmes prévalences.

Pour ce qui concerne la violence à l'école, je dois dire que ni les études ni mon expérience clinique ne me permettent vraiment de dire si les choses sont objectives ou ressenties.

Toujours est-il qu'il existe une violence ressentie importante, qui se modifie avec les réseaux sociaux, et qui fait que les enfants ne sont pas toujours armés pour y répondre. Ils ont beau connaître les réseaux sociaux, ils doivent se protéger seuls, les parents ne connaissant pas trop le sujet, qui est nouveau pour eux. C'est peut-être là la nouveauté. Les formes changent et les enfants y sont exposés seuls, comme si les adultes ne pouvaient pas correctement les protéger. On doit donc faire en sorte de protéger ces enfants. La notion de protection et le fait que l'école soit un havre de paix sont importants.

Mme Catherine Génisson. - Qu'en est-il des jeux de rôle et du jeu du foulard ?

Mme Marie-Rose Moro. - Le jeu du foulard est un jeu dangereux, mais ce n'est pas un jeu de rôle. Il se répand un peu comme une épidémie : il arrive à un endroit, s'étend, puis on n'en parle plus. Il continue à exister, mais il a diminué.

Vous n'avez pas évoqué la radicalisation : voilà un processus qui peut fasciner les personnes fragiles ou qui n'ont plus d'idéaux, et que la guerre excite. Ce sont des pathologies de la fragilité et de la désespérance.

M. Jean-Louis Brison. - Je pense qu'on a encore énormément de progrès à faire pour faire en sorte que les élèves aient le sentiment d'avoir des moyens de recours et puissent parler de ces choses au sein de l'établissement scolaire.

Je l'ai dit en introduction, notre institution solaire n'a pas l'habitude de ces prises de parole et de ces recours. Il n'en demeure pas moins qu'il faut faire savoir que le cabinet de l'infirmière constitue un espace de protection où déverser sa souffrance ou ses difficultés, dont on peut se débarrasser. Toutes ces choses méritent d'être mises en place.

J'en veux pour dernier exemple les conditions de travail du lycéen, qui ne font pas l'objet de discussions réelles ni objectives. Lorsqu'on est apprenti, on est protégé par le droit du travail. Il existe une réglementation qui s'impose à l'employeur, et la santé et les conditions de travail doivent répondre à un certain nombre d'exigences.

Combien de temps un lycéen de terminale travaille-t-il ? À quel rythme ? Quelle est l'ergonomie du lycéen par rapport au travail ? Où en parle-t-on ? Le statut du lycéen de terminale, qui a souvent dix-huit ans et est donc majeur, est le même que celui d'un élève de sixième !

Interrogeons-nous sur les formes de scolarité. Le recueil de la parole de l'élève doit sans doute être adapté à son âge, afin de faire en sorte qu'il existe une écoute particulière.

Je ne me situe pas sur le même plan que Marie-Rose Moro qui, par son métier, ses compétences et son expérience, traite des cas les plus lourds, mais les souffrances passagères, les difficultés, les incompréhensions, le sentiment de la dignité des élèves en échec scolaire peuvent sans doute être entendus et traités de manière plus fine et plus efficace.

Mme Marie-Rose Moro. - Il s'agit au fond de démocratie scolaire !

Mme Catherine Génisson. - Des budgets participatifs à l'initiative de la région existent...

M. Henri Tandonnet, président. - Merci. On a bien vu que les besoins étaient immenses.

Mme Marie-Rose Moro. - Sauvez la pédopsychiatrie !

M. Henri Tandonnet, président. - Grâce à votre investissement, on voit qu'il existe des pistes et des solutions, comme le projet de santé, la formation, la recherche...

M. Jean-Louis Brison. - Marie-Rose Moro vient de demander avec humour que l'on sauve la pédopsychiatrie. Je vous recommande également, si vous me le permettez, d'être attentif à l'évolution du statut des psychologues de l'Éducation nationale. Nous sommes actuellement sur une ligne de crête. Les arbitrages sont en train d'être rendus. Des choses importantes vont se jouer dans les semaines qui viennent.

Mme Maryvonne Blondin. - Cela aurait dû sortir en fin d'année dernière. Ce n'est pas encore le cas et l'inquiétude est vive, car le concours arrive.

Mme Marie-Rose Moro. - Surveillez bien les choses !

M. Henri Tandonnet, président. - Merci.

La réunion est close à 19 heures 20.

Mercredi 11 janvier 2017

- Présidence de M. Alain Milon, président -

Audition de M. Dominique Maigne, directeur de la Haute Autorité de santé, de Mme Marie-Hélène Rodde-Dunet, chef du service Évaluation de la pertinence des soins et amélioration des pratiques et des parcours, et de M. Michel Laurence, chef du service Bonnes pratiques professionnelles, représentant la Haute Autorité de santé

La réunion est ouverte à 18 heures 30.

M. Alain Milon, président. - Madame, messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

La Haute Autorité de santé (HAS), dont la commission des affaires sociales a entendu ce matin la présidente, a des missions très nombreuses, qui ne cessent d'ailleurs d'augmenter. Parmi celles-ci figurent en premier lieu les recommandations de bonnes pratiques destinées à permettre la meilleure prise en charge possible des patients partout sur le territoire national.

Notre mission d'information sur la prise en charge psychiatrique des mineurs se devait donc de vous entendre pour connaître vos travaux en la matière. C'est aussi pour nous l'occasion de recueillir votre appréciation sur la qualité de cette prise en charge aujourd'hui en France et sur les moyens de l'améliorer.

Cela nous paraît d'autant plus utile que la question même des bonnes pratiques en matière de psychiatrie, des mineurs en particulier, a fait l'objet d'importantes polémiques auxquelles la HAS s'est trouvée partie.

Je vais donc vous laisser la parole pour un bref propos introductif à la suite duquel le rapporteur, Michel Amiel, et les membres de cette mission d'information vous poseront quelques questions. Je rappelle que cette audition est ouverte au public et à la presse.

M. Dominique Maigne, directeur de la Haute Autorité de santé. - Le programme de travail de la Haute Autorité de santé dans le champ de la santé mentale est assez fourni. Nous avons même, d'une certaine façon, contractualisé ce que nous pouvons faire sur l'ensemble de ces thématiques, avec nos donneurs d'ordre, essentiellement le ministère de la santé, et en son sein la direction générale de l'offre de soins, dans un programme pluriannuel qui embrasse tout le champ de la santé mentale en établissements, mais aussi par le biais de la pathologie.

S'agissant des recommandations concernant les pathologies de santé mentale, plusieurs de nos travaux concernent, de façon incidente ou centrale, la problématique de la prise en charge des enfants et adolescents. Nombre sont en cours d'élaboration. Ce sont des travaux lourds. Un comité de pilotage a été institué avec l'ensemble des acteurs - institutionnels, professionnels, associations - : il s'agit d'une instance de concertation et d'écho de l'ensemble des travaux que nous menons en santé mentale.

Le champ des recommandations porte sur deux axes : la pathologie - il s'agit alors essentiellement de recommandations de pratique clinique -, le parcours - c'est le champ des nombreux guides que nous élaborons. Ce sont essentiellement les recommandations de pratique clinique qui rejoignent les problématiques de cette mission d'information.

M. Michel Laurence, chef du service Bonne pratiques professionnelles, représentant la Haute Autorité de santé. - En termes de recommandations de bonnes pratiques, vous connaissez les travaux sur les interventions et la prise en charge des enfants autistes. Nous avons développé ce champ et allons actualiser la recommandation sur le diagnostic et l'évaluation de ces enfants.

Dans le domaine de la pédopsychiatrie ou de l'enfant en psychiatrie, l'année dernière, nous avons formulé une recommandation sur le trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Nous avons mené un travail sur les troubles bipolaires chez les adolescents, qui demandent une prise en charge importante car le risque de suicide est très élevé. Ce travail était plutôt destiné aux médecins généralistes afin qu'ils puissent dépister les adolescents présentant ce trouble bipolaire car c'est un diagnostic difficile à poser. Il s'agit de favoriser la coordination entre le généraliste et le psychiatre.

Nous avons également mené un travail sur la dépression chez l'adolescent destiné plus spécifiquement aux généralistes, en veillant à créer du lien et à favoriser la coordination entre eux et les psychiatres.

Enfin, en 2010, nous avons aussi mené un travail sur l'anorexie mentale, que nous complétons actuellement avec une réflexion sur la boulimie et l'hyperphagie boulimique.

Tel est le champ que nous couvrons en matière de recommandations pour la pédopsychiatrie.

Mme Marie-Hélène Rodde-Dunet, chef du service Évaluation de la pertinence des soins et amélioration des pratiques et des parcours. - Vous vous interrogez sur les dispositifs de coordination qui existent entre professionnels de santé. Cette question touche assez vite la notion de parcours de soins. Nous n'avons pas travaillé de façon spécifique sur les parcours de soins chez les enfants atteints de troubles psychiatriques. Cependant, aujourd'hui, nous avons engagé cette démarche en entreprenant un travail sous l'égide du comité de suivi en psychiatrie, pour promouvoir la coordination entre les médecins généralistes et les psychiatres.

Nous abordons le parcours de santé du point de vue du professionnel, quel que soit le type de population. Par conséquent, nos travaux incluent les enfants.

Ce n'est sans doute pas l'idéal aujourd'hui car l'enfant en difficulté psychiatrique se rend souvent directement chez le psychiatre sans passer par le médecin généraliste. Reste qu'il est important d'associer la médecine générale dans cette démarche. Ce travail devrait aboutir d'ici à la fin de l'année.

Parallèlement, nous travaillons sur tous les troubles « dys » chez l'enfant, grâce à la mise en place d'un groupe de travail.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Vous avez parlé de champ de la santé mentale et défini un certain nombre de pathologies structurées, qui sont de véritables pathologies psychiatriques demandant des réponses d'ordre strictement médical. Toutefois, le champ de la santé mentale n'est pas seulement celui de la maladie mentale.

Quelle est l'articulation entre maladies mentales, santé mentale, maladies psychiatriques, troubles relevant de la neurologie ? L'autisme occupe une place tout à fait particulière : il s'agit d'un sujet délicat sur lequel nous éviterons toute polémique et qui a déjà été abordé par une commission sénatoriale.

M. Dominique Maigne. - Il n'y a pas de réflexion propre sur les classifications en santé mentale, ce n'est pas notre sujet. Nous travaillons à partir des demandes des professionnels ou de la commande publique, laquelle véhicule également la perception et les demandes des professionnels et des associations.

De façon pragmatique, nous essayons de ne pas nous arrêter aux classifications et aux concepts. Nous partons plutôt des situations cliniques. C'est un peu notre marque de fabrique.

M. Michel Laurence. - Sur la santé mentale, il y a la définition de l'OMS. En psychiatrie et en santé mentale, nous nous appuyons également sur les travaux et les définitions du ministère. Nous n'avons pas mené de travail pour proposer de nouvelles définitions. Nous travaillons en fonction des saisines ou des sujets.

Tout le monde adhère à la définition de la santé mentale fixée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou aux éléments qui sont définis dans le plan Psychiatrie et santé mentale 2011-2015. La santé mentale est une notion très large, qui va au-delà de la pathologie même. Cependant, la pathologie reste notre porte d'entrée. Les « dys » concernent la santé mentale, bien plus que la pathologie.

M. Alain Milon, président. - J'ai bien entendu vos remarques sur les travaux du comité de pilotage en direction des généralistes et, sans doute aussi, des pédiatres.

Vous parlez de la reconnaissance possible des maladies bipolaires ou de la dépression. Est-ce le rôle d'un généraliste ou d'un pédiatre de faire le diagnostic d'une maladie bipolaire ? Son rôle n'est-il pas plutôt de dépister un trouble du comportement et d'orienter le patient vers un psychiatre ?

M. Michel Laurence. - Effectivement, le médecin généraliste ou le pédiatre a pour rôle de repérer pour adresser l'enfant au psychiatre. Sur la dépression de l'adolescent, certains médecins généralistes ont des formations et parviennent à l'identifier. Dès qu'il y a doute, c'est prévu dans les recommandations, le généraliste doit adresser le passant au psychiatre.

L'une des recommandations - elle est d'ailleurs labellisée - portait sur la coordination entre le généraliste et le psychiatre. La communication entre eux se développe : psychiatres et médecins généralistes s'y emploient. La situation s'améliore.

M. Michel Amiel, rapporteur. - La HAS est bien connue pour ses préconisations et ses fiches de préconisations dans divers domaines. Pour l'ensemble des pathologies que vous avez évoquées, une fois le diagnostic établi, on peut formuler des préconisations, sachant que certains diagnostics ne sont pas évidents à établir immédiatement.

Attardons-nous sur la notion de parcours. Vous avez rappelé que le parcours de soins commençait chez le généraliste, dont le rôle consiste à dépister, repérer et orienter. Tout cela semble aller de soi, mais, dans la pratique, les difficultés sont nombreuses. Pour qu'il y ait diagnostic, encore faut-il avoir accès à celui qui peut l'établir. Les délais sont souvent très longs pour obtenir des consultations spécialisées en pédopsychiatrie. Quelle est la part de décisions de la HAS pour améliorer ce parcours ?

Mme Marie-Hélène Rodde-Dunet. - La HAS a son mot à dire mais nous n'avons pas tous les leviers entre les mains pour améliorer le parcours. Nous formulons des préconisations et réalisons un énorme travail de synthèse à partir d'un socle de connaissances de tout ce qui se passe à l'étranger. Le document sur la coordination entre médecine générale et psychiatrie sera bientôt publié. Nous souhaitons que nos productions deviennent des leviers.

M. Michel Laurence. - La HAS a un rôle d'acculturation envers les professionnels. C'est pour cela que le comité de pilotage a toute sa pertinence. Il favorise le lien entre les professionnels et différentes disciplines. Mais il reste certains leviers, par exemple ceux qui sont propres à la région ou à la direction générale de l'organisation des soins.

M. Dominique Maigne. - Ce sont des régulateurs de l'offre. Dans ce domaine, nous n'avons ni levier ni compétence. Nous pouvons porter un regard en termes d'évaluation, notamment proposer des changements. Quelle que soit la pathologie, notre ligne, c'est la coopération entre les professionnels. Il s'agit de rétablir la place du généraliste dans le parcours.

M. Michel Laurence. - La santé mentale chez l'enfant ne concerne pas seulement le domaine sanitaire ou médico-social. Elle suppose une prise en charge globale et couvre un champ très large, jusqu'à l'éducation nationale. Les leviers sont donc multiples et ne relèvent pas seulement des instances ou des régulateurs qui s'occupent du médical ou du médico-social. C'est nettement plus complexe.

Les travaux de la HAS présentent l'intérêt de mettre en exergue la coordination qui doit avoir lieu, dans un champ assez large.

Les recommandations de bonnes pratiques impliquent les professionnels de différents horizons, afin qu'ils participent et puissent prendre conscience de cette situation et la répercuter auprès des différents décideurs.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Monsieur le directeur, vous dites qu'il faut mettre le médecin généraliste au coeur du dispositif, mais cela fait quarante ans que l'on entend cela ! Le généraliste est au coeur de tout et se retrouve finalement en dehors de tout, tellement il est accaparé par différentes tâches.

En matière de repérage et de dépistage, il faut de la précocité : celle-ci doit concerner à la fois le diagnostic et la prise en charge. À quoi sert un diagnostic précoce si le patient n'est pas pris en charge ?

Avez-vous une approche évaluative du parcours de soins ou est-ce en dehors du champ de vos compétences ?

M. Dominique Maigne. - Ce n'est évidemment pas hors cadre. Les professionnels que nous réunissons font bien évidemment part de leur expérience - laquelle est capitalisée dans les recommandations - et rapportent très souvent les propos que vous venez de tenir, monsieur le rapporteur.

L'évaluation des situations et des dysfonctionnements constatés dans l'offre trame les travaux. Sur le plan institutionnel, nous n'avons pas de compétences en termes d'évaluation de la politique de santé mentale de l'enfant : cela relève du Haut Conseil de la santé publique. La HAS n'a fait l'objet d'aucune saisine.

M. Michel Laurence. - Pour avoir des évaluations, il faut de la donnée. C'est également l'une des problématiques auxquelles nous sommes confrontés.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Quelle est votre approche des établissements susceptibles d'intervenir dans le champ de la santé mentale ?

Madame, vous avez évoqué un certain nombre d'expériences et d'innovations étrangères. Quel regard critique portez-vous ? Quelles préconisations formuleriez-vous dans ce domaine ?

M. Dominique Maigne. - La certification est la base de l'évaluation des établissements, qu'ils soient publics ou privés. Il n'existe pas de dispositif spécifique de certification des établissements de santé mentale, la majorité des services de psychiatrie se trouvant au sein d'hôpitaux pluridisciplinaires. On prend en compte la dimension psychiatrique, notamment celle de l'enfant, avec différentes approches servant à la certification, par exemple le parcours de soins, au travers des audits de processus.

La notion de « patient traceur » est la nouvelle méthode de la HAS. Il s'agit de mobiliser les processus non pas en analysant la structure de façon transversale, mais en examinant la trajectoire du patient, la façon dont l'établissement s'est organisé, dont les professionnels ont géré la situation clinique.

Aujourd'hui, dans la certification de 2014, 300 établissements ayant une compétence en santé mentale ont été vus et 130 patients traceurs ont été mobilisés. C'est une mine d'informations sur l'organisation des établissements.

Dans le champ qui est celui de cette mission d'information, les capacités sont très limitées : on dénombre peu de services de pédopsychiatrie et peu de services avec des hospitalisations conventionnelles. L'essentiel se passe au sein des hôpitaux de jour ou des structures de secteur.

Les professionnels de la santé mentale ont bien compris les avantages de la certification et l'acculturation des professionnels de psychiatrie à la certification dans le champ de la santé mentale a beaucoup progressé ces dernières années. Avant, les professionnels de la psychiatrie avaient l'impression que l'on importait dans leur champ des approches qui étaient plutôt celle des soins somatiques. L'analyse par les processus, le patient traceur répondent beaucoup plus à leurs attentes.

M. Michel Laurence. - Je reviens sur la notion d'évaluation. Nous faisons toujours un benchmark et regardons ce qui se passe dans les autres pays.

En matière de recommandations, cela pose problème. Faut-il aller jusqu'à proposer des nouveautés organisationnelles dans le système de soins ? En général, nous nous limitons au système organisationnel existant.

J'en viens aux innovations que l'on trouve en région. Il faut les évaluer, car elles dépendent souvent des personnes et ne sont pas forcément reproductibles. Pourraient-elles avoir la même qualité sur tout le territoire ? Ce sont des questions lourdes de conséquences.

Mme Marie-Hélène Rodde-Dunet. - Les innovations existent mais il faut définir des critères d'évaluation. La plupart du temps, ce sont les promoteurs mêmes de ces innovations qui déclarent qu'elles sont de qualité. Notre rôle consiste à vérifier que l'évaluation est vraie.

Dans le travail sur la coopération entre médecine générale et psychiatrie, nos préconisations tiendront compte des évaluations internationales.

M. Michel Laurence. - Formuler des préconisations sur ce qui relève de l'organisation est délicat et difficile.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Quelles préconisations formuleriez-vous pour améliorer les dispositifs en pédopsychiatrie ? Nous le savons, la France n'est pas la meilleure dans cette discipline.

M. Michel Laurence. - Cela s'explique par différentes raisons qui peuvent être liées à des questions d'organisation ou de personnels disponibles.

Pour la HAS, il est difficile de formuler une préconisation englobant les paramètres que nous ne pouvons modifier car nous ne disposons pas des leviers nécessaires.

M. Dominique Maigne. - La recommandation sur l'actualisation du diagnostic des enfants dans le champ de l'autisme s'appuie sur l'état des lieux et l'état des difficultés organisationnelles. La HAS n'est pas directement saisie pour formuler des préconisations de caractère organisationnel, ce n'est pas la voie que les pouvoir publics ont choisie dans les plans de santé publique.

La HAS est surtout mobilisée pour formuler des recommandations dans un champ où l'on sait qu'il existe de fortes controverses entre les professionnels, et pour établir des plaques de convergence, des zones de consensus. Je pense à l'autisme. L'approche organisationnelle, qui aurait pu passer par l'analyse de l'efficience des organisations, aurait été différente. Le rapport aux professionnels aurait été plus distancé. Là, nous avons rendu des recommandations pour les professionnels, élaborées par les professionnels et les représentants des patients.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Je vais être provocateur, puisque vous avez évoqué l'autisme. Allez-vous préconiser de chasser les psychanalystes de l'approche des autistes, comme certains de nos collègues l'ont fait à l'Assemblée nationale ?

M. Michel Laurence. - En 2012, sur ce champ, nous n'avons pas pu tirer de conclusions parce que nous n'avions pas de données de littérature. En outre, aucun consensus ne se dégageait au sein du groupe de pilotage, malgré une consultation publique, les avis étant demeurés divergents. Aujourd'hui, nous ne savons pas si ces pratiques doivent être bannies ou préconisées. La réponse de la HAS, c'est que l'on ne sait pas et que l'on ne peut pas conclure.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Votre réponse me convient.

M. Dominique Maigne. - Dans les groupes de travail actuels sur l'autisme, on met autour de la même table des professionnels de la psychiatrie avec des représentants de courants, portés par les associations de patients, qui se situent hors champ de la psychiatrie dite classique. Notre feuille de route, c'est de les faire travailler ensemble. Il est impossible d'élaborer une recommandation concernant le champ de la santé mentale sans les professionnels de ce secteur.

M. Michel Amiel, rapporteur. - C'est un vieux débat. Il n'est qu'à lire la correspondance entre Freud et Bleuler !

M. Michel Laurence. - La recommandation a bien montré qu'il n'y avait pas de consensus entre les professionnels et les patients, pas plus qu'entre les professionnels eux-mêmes.

Mme Catherine Génisson. - Le législateur n'a pas à faire de prescription médicale. Il doit simplement créer les conditions de prise en charge optimale.

Il semble ressortir de vos propos que la santé mentale de l'enfant est assez mal prise en compte en France. La pédopsychiatrie est en effet l'un des parents pauvres des spécialités médicales françaises.

Pouvez-vous affirmer, en tant que structure d'évaluation, que la pédopsychiatrie est une spécialité à part entière et doit être valorisée ? Pourriez-vous définir la bipolarité ? Cette pathologie semble s'étendre de façon importante ! On entend dire de certaines personnes qu'elles sont, de temps en temps, bipolaires. Ce terme ne masque-t-il pas des pathologies moins faciles pour les familles à entendre ?

M. Michel Laurence. - La définition de la bipolarité est très complexe, cette pathologie présentant plusieurs types. On le voit bien, ce terme est victime d'un phénomène de mode. Car, en réalité, il faut entre sept ans à neuf ans pour diagnostiquer un trouble bipolaire, qui revêt souvent une manifestation dépressive, pour laquelle un traitement de l'humeur est nécessaire.

Heureusement, nous n'avons pas tous une humeur constante. La question est de savoir à quel moment les changements d'humeur deviennent pathologiques. Effectivement, à la suite d'une énorme médiatisation, on confond la bipolarité et les troubles de l'humeur.

M. Dominique Maigne. - Nous établissons les recommandations concernant la pédopsychiatrie avec les pédopsychiatres. Dans le cadre des recommandations de 2012, les pédopsychiatres ont été présents jusqu'au terme de la démarche.

Les recommandations concernant le diagnostic, sur lesquelles nous commencerons à travailler en 2017, seront vraisemblablement pilotées par des pédopsychiatres. Il s'agit de prendre en compte cette qualification et cette spécialité dans leur dimension académique et universitaire. La pédopsychiatrie est valorisée par l'appel à des professeurs des universités-praticiens hospitaliers pour l'élaboration des recommandations qui les concernent.

Dans le cadre de l'autisme, par exemple, ces recommandations sont très structurantes et influent sur l'organisation des soins.

Mme Laurence Cohen. - Je partage tout à fait ce que Catherine Génisson a dit sur le rôle des parlementaires.

Il est sage de faire en sorte que tous les professionnels puissent travailler ensemble. En France, on a tendance à encenser une pratique et à la rejeter ensuite. Il faut permettre à chacun de travailler.

Vous avez souligné l'importance d'un diagnostic et d'une prise en charge précoces. Comment intervenez-vous pour l'encourager ?

Vous avez également signalé que la majorité des établissements psychiatriques se trouvent dans des établissements généralistes. Je le rappelle, la psychiatrie en France a été avant-gardiste. Ne convient-il pas de réfléchir à la mise en place d'établissements psychiatriques dédiés ? Je pense surtout aux établissements psychiatriques destinés aux enfants et aux adolescents, qui sont peu nombreux. À Gentilly, il y a un centre hospitalier public de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, la Fondation Vallée. Des pratiques innovantes sont menées, qui pourraient sans doute être mieux partagées. Avez-vous des recommandations qui permettraient d'aider à cette réflexion ?

M. Dominique Maigne. - Depuis les années 80, la volonté politique a été d'organiser les secteurs de santé mentale, y compris les intersecteurs de pédopsychiatrie, en fonction d'un maillage prenant en compte l'ensemble des établissements. Pour autant, sur les 300 établissements que nous avons visités en 2014, la moitié est en mono-activité.

Il existe donc une pluralité d'organisations. Nous n'avons pas de doctrine, n'ayant pas été questionnés sur ce sujet. On observe, dans le champ de la certification, au travers des groupements hospitaliers de territoire (GHT) que les établissements en mono-activité sont encouragés à créer des coopérations avec des centres hospitaliers généraux.

Par ailleurs, de nombreux partenariats sont organisés pour la prise en charge des adolescents entre les établissements spécialisés et des centres organisés par les hôpitaux, dans un souci de non-ségrégation. On observe donc un certain polymorphisme. Il n'existe pas de clivage entre les psychiatres représentant la tradition pédopsychiatrique et leurs confrères à la tête de secteurs dans des hôpitaux généraux. Je le souligne, les questions portent non pas sur l'organisation des établissements, mais sur l'intégration et la coopération entre les acteurs.

S'agissant des préconisations concernant l'organisation des prises en charge, la HAS s'intéresse, je le rappelle, aux recommandations de pratiques cliniques. La recommandation de 2012, issue des travaux des groupes de travail, sur les interventions concernant les enfants autistes portait sur le repérage précoce, la continuité et l'intégration, et fournissait des données sur les taux d'encadrement des enfants. Il est demandé à la HAS de travailler sur l'organisation transversale du point de vue du praticien ou du patient plutôt que du point de vue du régulateur.

Certes, nous pourrions travailler sur une recommandation à destination des décideurs, à savoir la ministre et les différents régulateurs en région, relative à l'organisation et l'organisation d'un champ particulier comme la pédopsychiatrie, l'autisme ou les prises en charge polypathologiques. Telle n'est pas aujourd'hui la volonté des pouvoirs publics.

M. Alain Milon, président. - Madame Cohen, il faudra reposer votre question à la Direction générale de l'offre de soins (DGOS).

Monsieur Maigne, vous disiez avoir réussi à réunir les différents courants, comme si une certaine unité se dessinait concernant l'organisation territoriale. Ce n'est pas ce qu'on entend sur le terrain, notamment à propos des groupements hospitaliers de territoire (GHT). Si l'on a des GHT en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) qui fonctionnent plus ou moins bien, la demande est forte pour ce qui concerne les GHT psychiatrie.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Vous avez évoqué la coordination entre les professionnels de santé, en faisant brièvement référence au médico-social et à l'éducation. On le voit bien, la prise en charge psychiatrique des mineurs se situe au carrefour des champs sanitaire, médico-social, éducatif et, parfois, judiciaire - cela se vérifie avec les centres éducatifs fermés, où beaucoup d'enfants présentent des troubles du comportement - ou carcéral.

Je l'entends bien, vos préconisations concernent des pratiques cliniques. Toutefois, celles-ci se situent dans un contexte.

Par ailleurs, à vous écouter, on a le sentiment que la médecine mentale devrait faire partie des GHT généralistes. Tel est le cas dans certains départements, même si une telle évolution n'a pas été facile, les psychiatres redoutant une OPA sur leurs finances. Pouvez-nous nous donner votre sentiment personnel sur ce point ?

M. Dominique Maigne. - Les pouvoirs publics ont sans doute raison de nous saisir sur des recommandations de pratiques cliniques, pour permettre aux professionnels de dépasser les limites des approches institutionnelles, par ailleurs respectables, d'organisation territoriale et de gouvernance. Ainsi, ces derniers appréhendent mieux les besoins de coordination, de continuité, d'intégration et d'ouverture.

C'est la compétence de la DGOS de savoir comment les mariages se sont faits. La HAS se contente d'accompagner le mouvement au travers de la certification. Vos propos, madame la sénatrice, illustrent notre action : nous ne prenons pas en compte la dimension institutionnelle. Sanctuariser les ressources et disposer d'organisations plus cohérentes ne font pas partie du champ de compétences de la Haute Autorité.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Avez-vous des recommandations particulières pour les médecins de la protection maternelle et infantile (PMI) ?

M. Michel Laurence. - Les bonnes pratiques s'appliquent à tout le monde !

Mme Corinne Imbert. - Ma question portera sur les troubles du déficit de l'attention, avec ou sans hyperactivité. Vous avez publié un guide des bonnes pratiques professionnelles en la matière. Que pensez-vous de l'affirmation selon laquelle les psychiatres contrôleraient les enfants qui ont du mal à se concentrer avec la Ritaline ? Je ne pense pas être hors sujet, car il semble qu'il s'agisse d'une vraie question pour la HAS.

Par ailleurs, que pensez-vous des personnes qui opposent les droits de l'enfant ?

M. Michel Laurence. - Peu d'enfants sont sous Ritaline. Je rappelle qu'il s'agit d'un traitement de deuxième intention. Les chiffres sont faibles, contrairement aux pays anglo-saxons. Il existe en effet de réelles contraintes d'autorisation de mise sur le marché.

Mme Corinne Imbert. - Qu'entendez-vous par « des chiffres faibles » ?

M. Michel Laurence. - Un ratio inférieur à 10 % mais je n'ai pas les chiffres.

M. Alain Milon, président. - Vous nous les communiquerez.

Mme Maryvonne Blondin. - Dans les critères de l'évaluation, prenez-vous en compte les délais entre le dépistage et la prise en charge ? Sont-ils longs ?

M. Dominique Maigne. - Les recommandations ne permettent pas de délai particulier.

M. Michel Laurence. - La santé mentale n'est pas le champ médical le mieux organisé en termes de logiciels et d'ordinateurs. Même en oncologie, spécialité mieux organisée, il n'est pas si facile de fournir un indicateur concernant le délai entre la première consultation et la première opération.

Mme Catherine Génisson. - Ce niveau d'imprécision des recommandations est-il lié à un manque de moyens ?

Mme Françoise Cartron. - Peut-être serai-je hors sujet mais je voudrais rebondir sur certains de vos propos, à savoir les préconisations que vous aviez émises et qui sont relatives à un taux d'encadrement des enfants autistes.

M. Dominique Maigne. - Il s'agit de nos recommandations publiées en 2012.

Mme Françoise Cartron. - En s'appuyant sur la demande des parents et sur les recommandations émises par l'éducation nationale, il a été décidé que les enfants autistes seraient de plus en plus nombreux à être accueillis à l'école, et ce dès le plus jeune âge. Avez-vous formulé des préconisations sur les conditions dans lesquelles ces enfants doivent être accueillis ?

M. Dominique Maigne. - En 2012, on a pointé un certain nombre d'exigences en termes de taux d'encadrement. Ce n'est d'ailleurs pas ce qui a généralement été retenu de nos recommandations. L'intérêt s'est davantage porté sur les types d'intervention et les écoles de pensée auxquelles nous nous référions. Pour autant, dans le cadre du plan Autisme, nos recommandations, que nous avons rendues conjointement avec l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), ne faisaient pas référence à des plans d'organisation, qui ne nous étaient pas demandés.

M. Yves Daudigny. - Diagnostic, approche, prise en charge et suivi : existe-t-il une spécificité « enfants » et « adolescents » ou bien ne considère-t-on qu'une seule population, celle des mineurs ?

M. Michel Laurence. - La dépression et l'anorexie concernent plutôt les adolescents. Vous le voyez, j'ai tendance à réagir en fonction des situations cliniques.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Avez-vous une approche épidémiologique en la matière ? En effet, il peut être intéressant de considérer certaines pathologies en fonction de l'âge, du contexte social ou du contexte géographique.

On le sait, certaines pathologies psychiatriques sont spécifiques au monde occidental, tandis que d'autres apparaissent chez les migrants.

M. Michel Laurence. - Pour ce qui concerne l'approche épidémiologique, nous nous fondons sur la littérature existante, en la contextualisant. Nous réunissons ensuite les experts et les professionnels de santé. Toutes les données apparaissent dans l'argumentaire scientifique.

Mme Maryvonne Blondin. - Je tiens à le souligner, une expérience de GHP régional en psychiatrie est actuellement menée, avec des établissements publics.

M. Alain Milon, président. - Madame, messieurs, merci de vos réponses. N'oubliez pas de nous envoyer les chiffres que nous vous avons demandés.

La réunion est close à 19 h 40.

Jeudi 12 janvier 2017

- Présidence de Mme Corinne Imbert, vice-présidente -

Audition des docteurs Zinna Bessa, sous-directrice « Santé des populations et prévention des maladies chroniques », et Philippe Leborgne, adjoint à la cheffe du bureau de la santé mentale, de la Direction générale de la santé (DGS)

La réunion est ouverte à 14 h 10.

Mme Corinne Imbert, vice-présidente. - Veuillez excuser le président Milon, qui nous rejoindra dans quelques minutes. Je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de notre mission d'information sur la prise en charge psychiatrique des mineurs, dont notre collègue Michel Amiel est rapporteur.

Il nous a paru naturel de demander au Directeur général de la santé de nous présenter la vision qu'a le ministère des enjeux liés à cette question particulièrement importante en santé publique. Je précise que nous recevrons le 24 janvier Mme la Directrice générale de l'offre de soins pour discuter avec elle des questions qui la concernent.

Un important travail de clarification des concepts est nécessaire. Selon la définition des troubles dont souffrent les jeunes, différentes formes de prise en charge sont proposées aux familles. De plus, la définition des concepts influe sur les priorités données à l'action publique.

Nous souhaitons connaître la position de la Direction générale de la santé sur ce qui entre dans le domaine de la psychiatrie des mineurs, sur la qualité globale de cette prise en charge et sur les moyens de l'améliorer.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Je précise que nous ne sommes pas tous médecins. Il serait préférable que le vocabulaire employé soit le moins ésotérisant possible.

Mme Zinna Bessa, sous-directrice « Santé des populations et prévention des maladies chroniques » de la Direction générale de la santé (DGS). - Je vous prie d'excuser le directeur général de la santé, actuellement préoccupé par la gestion de l'épidémie de grippe.

Merci d'avoir créé cette mission d'information sur la question particulière de la santé mentale et de la psychiatrie des enfants et d'avoir pensé à la Direction générale de la santé. Je sais que vous interrogez des agences d'expertise telles que la Haute Autorité de santé, ainsi que la Direction générale de l'offre de soins. La position stratégique de la DGS est de définir les priorités de santé en agissant le plus précocement possible.

En 2013, la ministre des affaires sociales et de la santé a posé les bases de la stratégie nationale de santé, axée sur cinq priorités, dont la santé mentale et la jeunesse. Elles ont trouvé leur place dans la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016. L'un des buts de la stratégie nationale de santé est de réduire les inégalités sociales de santé. Pour ce faire, il faut soutenir la prévention en agissant de la façon la plus protectrice possible : plus on intervient tôt, plus on est efficace. À ce titre, il ne faut pas négliger certains lieux stratégiques tels que l'école et la protection maternelle et infantile (PMI), qui assurent un accès à tous.

La stratégie nationale de santé s'est traduite par les travaux préparatoires de M. Laforcade et la loi de modernisation de notre système de santé. Sa principale avancée est l'inscription de la santé mentale, enjeu de société, dans une politique globale qui concerne davantage d'acteurs que les seuls spécialistes de la psychiatrie et les malades. La loi reconnaît une place à chacun dans le parcours de santé. Son article 69 insiste sur la spécificité des mineurs et enclenche une dynamique, par l'élaboration de projets territoriaux de santé - précisée dans le décret du 28 novembre 2016. Le but est de parvenir à une offre coordonnée sur tout le territoire national.

Le 10 octobre 2016, journée mondiale de la santé mentale, a été installé le Conseil national de la santé mentale, qui soutiendra la mise en place des projets territoriaux de santé. Il assurera la cohérence et l'évaluation des politiques publiques.

Une mesure phare a été prise à la suite du rapport Brison-Moro : l'expérimentation du repérage de la souffrance psychique avec une prise en charge en ville.

Un tournant doit être pris. La mise en place des actions de prévention doit se faire, selon nous, dès la PMI.

- Présidence de M. Alain Milon, président -

M. Philippe Leborgne, adjoint à la cheffe du bureau de la santé mentale de la Direction générale de la santé (DGS). - Le champ de la DGS est celui de la prévention. J'insiste sur l'opportunité de l'article 69 de la loi de modernisation de notre système de santé, qui met l'accent sur la santé mentale des enfants et des jeunes.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Merci de votre présentation dense. Vous avez déjà répondu en partie à nos questions, notamment sur le champ, que vous ne réduisez pas à la psychopathologie ni à la psychiatrie. Quid de l'épidémiologie ? Quelle approche chez le jeune ?

M. Philippe Leborgne. - Des enquêtes ont été menées en population générale sur les enfants et les adolescents. La difficulté des troubles mentaux chez les jeunes réside dans le fait que l'observation première a lieu dans le milieu de vie ; les premières personnes amenées à repérer ces troubles ne sont pas issues de professions médicales. Autre difficulté, la mesure de la souffrance psychique est davantage donnée en fourchettes qu'en chiffres précis.

Selon une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de 2009, environ 2 % des enfants de moins de douze ans souffrent de troubles de déficit de l'attention, avec ou sans hyperactivité, 5 % de troubles anxieux et 0,5 % de dépression. Il faut repérer ces cas avant l'âge adulte, où ils se chronicisent. Selon une enquête de l'Inserm sur les troubles psychiques en amont des troubles mentaux menée auprès des adolescents, 45 % des filles de 13 à 18 ans souffrent d'une mauvaise image d'elles-mêmes, contre 20 % des garçons.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Il faut bien différencier les souffrances psychiques et mentales.

M. Philippe Leborgne. - L'Organisation mondiale de la santé distingue la santé mentale positive, c'est-à-dire le bien-être, de la détresse psychologique, c'est-à-dire la souffrance psychique ou le mal-être, qui n'est pas encore une maladie et constitue notre champ d'intervention principal. Souvent labiles, ces événements sont résolutifs s'ils sont pris en charge précocement. Les causes en sont notamment le stress et les accidents de la vie. De cinq à dix séances de psychothérapie, associées à d'autres prises en charge, peuvent y répondre. Enfin, l'OMS distingue une troisième catégorie, celle des maladies mentales et psychiatriques, tels que les troubles anxieux, dépressifs, schizophréniques ou bipolaires. On trouve aussi les troubles des apprentissages en « dys », comme la dyscalculie ou la dyslexie.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Pouvez-vous en dire plus sur les bipolarités ?

M. Philippe Leborgne. - Bipolarités et schizophrénies surviennent à l'adolescence ou au début de l'âge adulte. Le retard du diagnostic s'explique par la difficulté à déceler les premiers signes, qui sont labiles. Il faut poursuivre la surveillance dans le temps avant de poser le diagnostic, afin d'éviter tout faux positif. Il est toutefois important de poser un diagnostic précoce car ces pathologies sont plus difficiles à traiter si elles sont décelées plus tard. Une autre difficulté est liée au fait que la prévalence de ces pathologies étant basse, les personnes non issues du monde médical, les pédiatres ou les médecins de ville n'y sont pas assez confrontés pour savoir les dépister à temps. C'est pourquoi il faut améliorer le lien entre les acteurs de première ligne et les psychiatres.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Ne constate-t-on pas des difficultés de suivi dans le temps ? La psychiatrie infantile prend en charge les enfants jusqu'à 15 ans. On pourrait préconiser une prise en charge jusqu'à 18 ans pour éviter la transition difficile entre psychiatrie infantile et adulte.

M. Philippe Leborgne. - Votre suggestion va dans le sens des préconisations générales, qu'il est difficile de mettre en place puisque 97 % des soins sont en ambulatoire et les lits en hospitalisation adulte.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Comment, madame Bessa, jugez-vous la qualité de l'articulation entre les différents professionnels - pas seulement sanitaires mais aussi issus de l'éducation, voire de la justice ?

Mme Zinna Bessa. - Mon leitmotiv, c'est l'intervention précoce. Beaucoup d'initiatives locales vont dans le sens du décloisonnement souhaité. Une des difficultés actuelles est le manque de visibilité par absence de pilotage des différentes interventions. L'enjeu est de faire remonter les initiatives et d'insuffler une animation globale. La loi de modernisation de notre système de santé inclut l'animation nationale des PMI. On ne peut que se féliciter du travail préparatoire mené avec l'Assemblée des départements de France. Le Comité technique pour l'animation nationale des actions de PMI sera installé le 24 janvier. L'une des missions sera de remonter les actions de ces structures de proximité, accessibles, et de travailler à l'émulation et à l'échange des pratiques qui ont fait leurs preuves, mais aussi à l'identification des actions manquantes. Le comité, outil majeur, sera animé conjointement par l'Assemblée des départements de France et la DGS et se réunira deux à trois fois par an.

Après l'échelon de la périnatalité, au sein des PMI, se trouve celui de l'école, lieu de l'égalité des chances. Pour réussir le décloisonnement, nous nous appuyons sur trois outils : un contrat cadre de partenariat en santé publique, signé le 29 novembre 2016, qui montre l'engagement du Gouvernement en faveur d'une politique intersectorielle entre la Santé et l'Éducation nationale, assurée par les agences régionales de santé et les rectorats ; le parcours éducatif en santé, qui donne un rôle aux éducateurs et aux enseignants - la santé, que l'on souhaite avec les voeux de nouvelle année, est un enjeu majeur que tous les enseignants doivent aborder, et non uniquement en sciences de la vie et de la terre ; l'expérimentation du repérage de la souffrance psychique, notamment en milieu scolaire, qui est inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. En cours de préparation dans trois régions - Grand Est, Ile-de-France et Pays de Loire -, elle impliquera trois types d'acteurs : les adultes au contact des jeunes, tels que les enseignants et les éducateurs, s'appuieront sur un guide pour les orienter vers un second type d'acteurs qui assurera une évaluation - médecin traitant, médecin scolaire, psychologue de l'Éducation nationale. Celui-ci se référera ensuite au troisième type d'acteurs que sont les psychologues libéraux. Une prise en charge financière assure un forfait de douze séances, les parents pouvant aussi bénéficier de consultations.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Quels sont les outils d'évaluation des professionnels du deuxième échelon ? Cette question recoupe celle de la formation des médecins généralistes.

M. Philippe Leborgne. - Depuis novembre, la DGS a établi un groupe de travail national réunissant l'ensemble des professionnels concernés, notamment les médecins généralistes, les psychologues et psychiatres et les Maisons des adolescents. Des groupes de travail plus resserrés valideront ensuite les outils de repérage en milieu ordinaire ainsi que les outils destinés aux médecins généralistes et scolaires. Nous avons besoin d'un consensus puisque ces outils influeront sur le type de prise en charge proposé aux adolescents et à leurs parents. Ils s'inspireront de ce qui a déjà été expérimenté dans différentes régions.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Les psychologues de ville seront-ils payés par la sécurité sociale ?

Mme Zinna Bessa. - L'expérimentation, qui définira des outils de repérage, sera financée dans un premier temps par le fonds d'intervention régional FIR, c'est-à-dire pas directement par l'assurance maladie. Le montage est en cours.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Quelle prise en charge pour l'urgence en pédopsychiatrie ? Les professionnels comme les familles sont parfois totalement démunis. Nous manquons de lits. C'est une véritable catastrophe. Quelles sont vos solutions pour l'ensemble du territoire ?

Mme Zinna Bessa. - J'ai défini le périmètre de la DGS en préambule. Je laisserai Mme Armanteras vous répondre.

Parmi les jeunes prioritaires, il faut aussi citer ceux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous avons débuté des travaux préparatoires à la signature d'un contrat de partenariat avec la PJJ, à l'instar de celui avec l'Éducation nationale.

Les médecins de premier recours doivent aussi être mieux intégrés. Aujourd'hui, les réponses sont trop tardives. À côté de la prévention, quelle place accorder à la médecine générale pour assurer une prise en charge précoce ? L'expérimentation fournira des bases solides et pérennes.

M. Michel Amiel, rapporteur. - L'Agence nationale de santé publique a-t-elle une mission en ce sens ?

Mme Zinna Bessa. - Oui, elle joue un rôle majeur de surveillance et de promotion de la santé. L'un de ses enjeux est de travailler sur des pratiques validées. La santé mentale fait partie de ses priorités pour 2017.

M. Philippe Leborgne. - Des programmes expérimentaux sont actuellement menés et évalués par Santé publique France. On peut citer Panjo, « Promotion de la santé et de l'attachement des nouveau-nés et de leurs jeunes parents », qui a pour objectif de renforcer le rôle de détection des puéricultrices de PMI auprès des familles en grande précarité, ainsi que d'autres programmes de soutien en compétences psychosociales en milieu scolaire, ou de prévention du suicide, deuxième cause de décès chez les jeunes. La DGS pilote le programme Vigilans, de recontact des suicidants au cours des six à douze mois après la tentative puisque c'est la période la plus propice à la récidive.

Mme Catherine Génisson. - Merci de ces propos qui nous éclairent. Mon sentiment est que beaucoup de propositions intéressantes sont impossibles à mettre en place à cause d'une carence de moyens criante. Le hiatus est énorme. On sollicite beaucoup la médecine générale - M. Rapin ne me contredira pas - or les diagnostics sont très difficiles à poser. Un médecin généraliste n'est pas forcément aguerri, il fait face à une surcharge de travail, l'environnement professionnel autour de lui n'est pas important... Nous avons tous une part de responsabilité dans cette catastrophe. Je vous assure que ce n'est pas la joie quand un enfant souffre d'une pathologie psychiatrique.

M. René-Paul Savary. - Je partage ces propos. Il n'y a pas suffisamment de médecins généralistes, scolaires, de pédopsychiatres pour faire face à la schizophrénie. La mise en réseau des professionnels, qui n'est pas si difficile à établir, est victime de la complexité du système. C'est toutefois dans ce sens qu'il faut avancer.

Dans quelle catégorie les troubles en « dys » sont-ils classés ?

Monsieur Leborgne, vous avez évoqué les troubles psychiques des filles de 13 à 18 ans. Quelle proportion de ces troubles relève de comportements addictifs ?

M. Michel Amiel, rapporteur. - Le professeur Moro avait répondu que les études actuelles ne pouvaient pas trancher sur le caractère déclenchant - et non révélateur - des addictions.

M. René-Paul Savary. - J'en suis étonné.

M. Jean-François Rapin. - Moi aussi !

M. Philippe Leborgne. - Les troubles des apprentissages sont en première et deuxième catégorie. Leur repérage se fait avec l'Éducation nationale, puis avec des pédiatres, voire des neuropédiatres. Cela ne relève pas de la psychiatrie.

Je vous ferai parvenir les enquêtes sur les différentes addictions, dont je ne dispose pas ici.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Appréhendez-vous les troubles liés à l'addiction aux jeux, qui entraînent une désocialisation ?

Mme Zinna Bessa. - Actuellement, l'addiction aux jeux n'est pas intégrée dans le champ de la santé mentale. Un travail important a en revanche été mené sur le tabac et les drogues illicites.

M. Michel Amiel, rapporteur. - Merci.

Mme Zinna Bessa. - Je reste à votre disposition. Mon dernier message est : pensez à la prévention et à l'intersectorialité.

La réunion est close à 14 h 55.