Mardi 8 novembre 2016

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Loi de finances pour 2017 - Audition de M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État chargé de l'Industrie auprès du ministre de l'Économie et des Finances

La réunion est ouverte à 17 h 50.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État chargé de l'industrie auprès du ministre de l'économie et des finances.

Permettez-moi d'abord, monsieur le secrétaire d'État, de vous féliciter pour votre prise de fonction le 1er septembre dernier.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2017, la commission souhaite vous entendre sur les incidences budgétaires et fiscales de la politique industrielle dont vous êtes en charge. Les dispositifs d'appui à l'industrie sont dispersés sur de nombreuses lignes budgétaires, au sein de plusieurs programmes et missions. Ils mobilisent également de nombreuses dispenses fiscales, de sorte qu'il n'est pas facile d'appréhender globalement l'effort financier de la Nation envers ce secteur moteur de l'économie et de l'innovation. Nous comptons donc sur vous pour nous apporter un éclairage budgétaire et fiscal d'ensemble.

Au-delà de ces considérations directement liées à l'examen du projet de loi de finances, nous souhaitons également vous entendre sur la politique industrielle menée par le Gouvernement, sur l'ambition de la France dans ce domaine et sur les avancées du programme Industrie du futur.

Enfin, nous vous entendrons sur un certain nombre de dossiers dont l'impact géographique est important pour les membres de cette commission. Je pense à l'avenir d'Alstom, à la situation de STX, mais également aux questions d'énergie.

M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'industrie. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je viens aujourd'hui vous présenter les enjeux du projet de loi de finances pour 2017 sur les thématiques que j'ai en charge : l'industrie, les services et la concurrence. Je vous présenterai le cadre global budgétaire et fiscal inscrit dans le projet de loi de finances pour 2017 en faveur du développement des entreprises au travers bien évidemment de la mission « Économie », mais pas uniquement.

Pour répondre à votre sollicitation, monsieur le président, j'évoquerai également les grandes lignes de la politique industrielle de notre pays et les mesures mises en oeuvre depuis 2012.

Les politiques industrielles ont constitué, au cours de ce quinquennat, l'une des priorités du Gouvernement. Cette priorité s'est traduite, dans un premier temps, par la mise en place de mesures visant à favoriser la compétitivité-coût de nos entreprises. Je pense au CICE, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, et au pacte de responsabilité, bien sûr, mais également aux dispositions en faveur de l'innovation. Le crédit d'impôt recherche et le statut de Jeune entreprise innovante ont ainsi été sanctuarisés tout au long de la mandature. Le crédit d'impôt innovation a été mis en place.

Ces mesures permettent aujourd'hui à la France d'avoir un coût horaire de la main-d'oeuvre dans l'industrie plus faible qu'en Allemagne, soit 36,4 euros contre 37,3 euros. Elles offrent un cadre particulièrement favorable à la recherche, le crédit d'impôt recherche étant un élément extrêmement attractif à l'échelon européen et mondial.

Ces mesures ont aussi permis d'améliorer les marges de nos entreprises, dont le taux est passé de 29,4 % de la valeur ajoutée en 2014 à 31,3 % à la fin de 2015. Le projet de loi de finances pour 2017 poursuit et amplifie ce mouvement. Le CICE sera renforcé, son taux passant de 6 % à 7 %. Le projet de loi de finances prévoit également une réduction de l'impôt sur les sociétés pour les PME réalisant moins de 75 000 euros de bénéfice annuel, dont le taux d'imposition sera désormais plafonné à 28 %.

Nous dégageons ainsi des moyens très importants - plusieurs dizaines de milliards d'euros par an - en faveur de notre économie, tout en poursuivant une politique responsable de maîtrise du déficit public, lequel passera sous la barre des 3 % du PIB en 2017. Ces efforts sont indispensables, car ils permettent d'amorcer un cercle vertueux qui bénéficie tant aux salariés qu'aux entreprises.

De façon plus sectorielle, le Gouvernement a souhaité mettre en place en 2016 un mécanisme dit de « compensation carbone » visant à rembourser aux entreprises électro-intensives le coût carbone de leur électricité afin de ne pas les pénaliser dans la compétition internationale. C'est un dispositif prévu par les textes européens que certains pays, notamment l'Allemagne, appliquent de longue date. Il sera en augmentation de 24 millions d'euros par rapport à 2016 pour tenir compte de la hausse du prix du carbone et figurera désormais au sein de la mission « Économie », et non plus de la mission « Écologie », afin de rendre plus lisible notre action en faveur de l'industrie.

Je vais évoquer maintenant le deuxième pilier de notre action économique : les mesures en faveur de la compétitivité hors coût.

Je pense d'abord au choc de simplification lancé en 2013, qui a pour objectif de raccourcir et d'uniformiser les procédures administratives et de permettre ainsi aux entreprises de se concentrer sur le coeur de leur activité.

Je pense ensuite aux mesures mises en oeuvre depuis le début du quinquennat en matière d'intervention publique auprès des entreprises pour faciliter leur quotidien. L'État a adapté son champ d'intervention pour tenir compte du rôle désormais clarifié des collectivités locales, en particulier des régions, en matière de développement économique. Cela s'est traduit par une rationalisation du rôle du réseau déconcentré de l'État.

L'État a par ailleurs procédé à un regroupement progressif de l'essentiel de son action en faveur des entreprises au sein de deux organismes publics, contre six précédemment : Bpifrance pour le financement, Business France pour l'accompagnement à l'international. L'année 2017 verra ce mouvement se parachever avec le transfert au 1er janvier des garanties en faveur du commerce extérieur de Coface à Bpifrance.

Toutes ces démarches sont sources d'économies et permettent à notre ministère de contribuer de manière exemplaire à l'effort de réduction des dépenses budgétaires de l'État.

L'action de régulation économique est un autre élément clé en faveur de la compétitivité hors coût, indispensable au développement des entreprises. Elle a été étendue dans plusieurs textes récents, en particulier dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. Cette action est conduite par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, et la Direction générale des entreprises, la DGE, ainsi que par plusieurs autorités indépendantes, au premier rang desquelles l'Autorité de la concurrence, et par des organismes dont nous parlons moins souvent mais dont l'action est tout aussi essentielle, tels que l'AFNOR et l'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI. Les moyens dans ce champ sont préservés dans le projet de loi de finances pour 2017, ce qui se traduit notamment par une stabilisation des emplois de la DGCCRF et de l'Autorité de la concurrence.

D'autres mesures au profit de l'industrie peuvent également être citées. C'est le cas des taxes affectées aux centres techniques industriels, les CTI, et aux comités professionnels de développement économique, les CPDE, dont le plafond s'établit à 142 millions d'euros dans le projet de budget, ce qui permet une stabilisation de leurs moyens globaux.

Ce projet de loi de finances vise également à renforcer l'attractivité de la France par l'extension à huit ans de la durée du bénéfice du régime des impatriés fiscaux et par l'exonération de taxe sur les salaires des primes d'impatriation.

Afin de coordonner au mieux ces différentes mesures et de les diffuser au sein de notre économie et de notre tissu industriel, nous avons mis en place une structure d'ensemble, la Nouvelle France industrielle. Cette structure s'articule autour de neuf grandes solutions qui visent à moderniser les produits et les services qu'offre notre industrie.

Les moyens qui y sont dédiés sont importants. Je pense, par exemple, à la solution mobilité écologique : 70 millions d'euros seront consacrés au soutien à la recherche et au développement dans le secteur aéronautique sur le programme 190 de la mission « Écologie » et 350 millions d'euros à l'aide à l'acquisition de véhicules propres, également appelé « bonus automobile », retracé sur un compte d'affectation spéciale dédié.

Les pôles de compétitivité, tout comme les comités stratégiques de filière, ont quant à eux pour but d'articuler au mieux les différents acteurs. À cet égard, je tiens à souligner tout particulièrement le maintien dans le projet de loi de finances pour 2017 d'un volume d'engagement de 80 millions d'euros en faveur des projets des pôles de compétitivité au travers du Fonds unique interministériel, le FUI. Un soutien ciblé en faveur des gisements de compétitivité majeurs a été mis en place, en complément du cadre transversal que je viens de décrire. C'est toute la démarche du programme des investissements d'avenir, qui avait été initié sous la précédente mandature, et que nous avons redynamisé avec un deuxième volet en 2014, puis un troisième de 10 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2017, dont 3,6 milliards d'euros seront plus spécifiquement destinés à l'industrie.

Au global, l'ensemble des crédits de la mission « Économie » sont stables par rapport à 2016, à 1,6 milliard d'euros, une fois retraités les effets de périmètre, comme le sont, au sein de la mission, ceux du programme 134, « Développement des entreprises et du tourisme », à 1 milliard d'euros. Quant aux emplois, ils seront en réduction de 136 équivalents temps plein en 2017, dont 22 sur le programme 134.

Au-delà de cette mission, le programme 192 de la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui finance les aides à l'innovation, ainsi que les grandes écoles sous tutelle du ministère, verra ses moyens stabilisés en autorisations d'engagements à 780 millions d'euros, avec des crédits de paiement en baisse de 25 millions d'euros, pour tenir compte du rythme de versement effectif de certaines aides à l'innovation.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les principaux éléments relatifs au projet de loi de finances pour 2017 que je souhaitais évoquer devant vous.

Je précise que, dans le domaine fort vaste des politiques industrielles, nous distinguons plusieurs enjeux.

Le premier est d'expression collective : il faut sortir de l'habituel discours décliniste. Nos actions, dont certaines ont été enclenchées sous la précédente législature, visent à renforcer la compétitivité de nos entreprises et à moderniser notre capacité industrielle. Pour les mener à bien, nous avons des outils, tels Bpifrance et BusinessFrance, et aussi la volonté d'animer les filières industrielles. J'ai donc souhaité multiplier les rencontres avec les comités stratégiques de filières, au sein desquels sont représentés les industriels, les partenaires sociaux et les services de l'État.

Le deuxième enjeu est l'aide aux entreprises en difficulté. En la matière, l'État peut avoir un rôle d'incitateur ou d'accompagnateur, mais jamais de spectateur. Les politiques industrielles ont besoin de stratégies, lesquelles peuvent être mises en place avec les acteurs du monde industriel. L'État doit y prendre sa part à la place qui est la sienne, parfois en tant qu'actionnaire. Mais ce n'est pas la qualité d'actionnaire qui conditionne l'effet levier. C'est dans le dialogue avec les responsables d'entreprises que l'État peut participer à cet effort commun.

Le troisième enjeu est la valorisation du monde industriel. Les projets « vitrines de l'industrie du futur » font partie, à cet égard, du message porté par l'État et que j'entends diffuser dans le cadre de mes fonctions.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - Ma première remarque porte sur la lisibilité des crédits de la mission « Économie ». Il faut tout le talent des administrateurs de notre commission pour mettre au jour la traçabilité de ces crédits d'une année à l'autre !

La mission connaît, dans le présent projet de loi de finances, d'importants transferts de crédits en provenance d'autres missions. Par exemple, les mesures de soutien des entreprises électro-intensives renforcent la dotation du programme 134 à hauteur de 116,7 millions d'euros. Cela représente une augmentation faciale, considérable, de plus de 10 % en crédits de paiement et de 20 % en autorisations d'engagement. Malgré tout, les crédits de la mission stagnent, et diminuent même de 0,7 % si l'on enlève le titre II relatif aux frais de personnel.

Par ailleurs, de nouvelles baisses de crédits vont affecter nos territoires. Les crédits du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, le FISAC, tombent à 10 millions d'euros, soit presque rien. Quant aux recettes des chambres de commerce et d'industrie, les CCI, elles sont de nouveau ponctionnées. Je sais que ces questions ne relèvent pas du périmètre de votre secrétariat d'Etat, mais je souhaitais en faire état.

J'en viens aux politiques industrielles. L'emploi industriel a atteint son plus bas niveau, soit 12 % des actifs. La production manufacturière française a encore baissé au premier trimestre 2016. Notre industrie continue donc de souffrir. Or l'État actionnaire détient, dans de grandes entreprises industrielles, des participations qui pourraient être des leviers d'intervention. Ne pourrait-il les utiliser pour développer une véritable politique industrielle ?

Enfin, le Conseil de la simplification pour les entreprises annonce régulièrement des trains de mesures, sans doute utiles, mais dont l'effet n'est pas ressenti sur le terrain, comme l'a constaté la délégation sénatoriale aux entreprises.

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. - Notre lecture des crédits cette mission ne doit pas se focaliser sur les seuls chiffres spécifiques à l'industrie. Lorsque les crédits du CICE passent de 6 % à 7 %, cela bénéficie à l'industrie !

À l'occasion de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires, nous avions qualifié le coût du travail dans notre pays, comparé à celui de l'Allemagne, de problème majeur. Ce retard, nous l'avons comblé.

L'impôt sur les sociétés, qui était très lourd pour les PME, a été réduit.

On constate également une volonté politique d'agir en faveur de la simplification.

La politique de suramortissement, qui a été très bénéfique, prendra fin en avril 2017. Je connais plusieurs entreprises, notamment des PME, pour lesquelles cette aide a été très importante.

Vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, l'idée essentielle est d'engager une politique d'investissement de grande ampleur, à l'heure où l'Allemagne met en place sa politique d'industrie 4.0 et où la digitalisation de l'économie devient une question essentielle.

L'INSEE observe, pour la première fois, que la diminution de l'emploi industriel et de la place de l'industrie dans notre économie est arrêtée. Il faut désormais regagner des parts de marché. Nous ne pourrons le faire qu'en encourageant la compétitivité et la modernisation de nos entreprises. Notre retard dans le domaine de la robotique, par exemple, pose problème.

Comment passer d'une politique visant à mettre fin à la désindustrialisation à une autre, volontariste, destinée à redonner à l'industrie française la place qui devrait être la sienne ?

Les neuf grandes solutions tendant à moderniser notre industrie sont, à cet égard, essentielles. Quant aux pôles de compétitivité, ils seront soutenus, à la fois, par l'État et par les collectivités territoriales, notamment les régions. Comment utiliser au mieux toutes ces politiques industrielles pour regagner des parts de marché ?

On a rarement vu, lors de l'examen de cette mission, autant de crédits en faveur de l'industrie. Pour autant, l'investissement a du mal à redémarrer.

Comment faire pour que les nouvelles marges dont bénéficie l'industrie favorisent l'investissement ?

M. Yannick Vaugrenard. - La concurrence est beaucoup plus forte dans le domaine industriel que dans n'importe quel autre secteur économique, et confine parfois à la déloyauté. Il est nécessaire, de ce fait, que les entreprises soient très compétitives. Dans ce contexte, il ne peut y avoir de politique industrielle sans volontarisme politique.

Vous l'avez souligné, l'État peut intervenir directement ou indirectement, accomplir son devoir de vigilance, mais il ne saurait rester spectateur.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez dit récemment : « L'industrie du futur est l'enjeu central de la reconquête industrielle ». Je partage ce point de vue. Je ne pense pas forcément à une industrie nouvelle, comme celle du numérique, mais à une industrie traditionnelle modernisée, adaptée à l'air du temps.

Je citerai l'exemple des chantiers navals STX de Saint-Nazaire. On y a construit l'un des plus grands portiques du monde - le plus grand au niveau européen -, d'une valeur de 300 millions d'euros. Dans le même temps, une somme identique a été investie dans les commandes numériques et robotiques. Avec ces deux investissements, l'un plus traditionnel et l'autre plus innovant, nous avons un coup d'avance sur nos concurrents.

Ces chantiers sont actuellement en vente. Le 4 novembre dernier, en Corée, des offres d'achat ont été déposées devant le tribunal compétent. L'État, partenaire de STX France à hauteur de 33,3 % du capital, compte-t-il exercer son droit d'intervention en tant qu'actionnaire minoritaire ? J'ajoute qu'il s'agit d'un secteur stratégique et que l'État pourrait aussi intervenir à ce titre. Mettra-t-il tout en oeuvre pour que soit respectée notre logique industrielle, plutôt que la logique financière des Coréens ?

Pouvez-vous nous donner des informations sur ces acheteurs potentiels ? Nous sommes, pour notre part, plutôt favorables à un rachat par le groupe Damen et par les croisiéristes MSC et Royal Caribbean Cruise Line - pourquoi pas avec la participation de DCNS ? -, qui sont les acheteurs des navires construits à Saint-Nazaire.

J'ai demandé lors d'une audition au directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, Pierre-René Lemas, si, en cas de crise financière majeure, une entrée de la Caisse au capital de STX était envisageable. Il m'a répondu que les chantiers navals étaient « une entreprise intéressante », autrement dit que cette hypothèse n'était pas à écarter.

Le 11 novembre prochain, des informations nous parviendront de Corée. Pouvez-vous, d'ores et déjà, nous en dire plus ?

Pouvez-vous réaffirmer la détermination de l'État à l'endroit de notre industrie navale, l'un des fleurons de l'industrie française ?

M. Daniel Gremillet. - Nous partageons votre objectif de regain de compétitivité et de modernisation des entreprises, mais du point de vue budgétaire les choses sont plus compliquées.

Le budget présenté est stable. Or, pour les aides à l'investissement et à la création d'entreprise, le plus gros financeur n'est pas l'État, mais les collectivités locales, c'est-à-dire aujourd'hui les régions.

Pour ce qui concerne l'aide aux entreprises, ce budget est en diminution. Avec une participation de l'État à hauteur de 16 % et des régions à hauteur de 36 %, le compte n'y est pas. Par ailleurs, les compétences et le chef de filât sont basculés vers les régions, alors qu'elles n'ont pas les moyens budgétaires de mener cette politique d'accompagnement et de se substituer à l'aide auparavant assumée par les départements.

L'année 2016 était de transition. Comment allez-vous faire en 2017 ?

M. Marc Daunis. - Mes questions porteront sur l'industrie du futur. On peut se retrouver autour des objectifs relatifs à la robotique, au big data, aux objets connectés, au calcul intensif et à la réalité augmentée, car ces secteurs sont stratégiques.

Premier point : les pôles de compétitivité. Avec Michel Houel, nous avions insisté, dans un rapport, sur la nécessaire articulation entre une politique stratégique industrielle au niveau national et une politique territoriale de consolidation. Quelle est votre position sur le nécessaire soutien à la structuration des écosystèmes émergents, ou en consolidation dans les territoires via les pôles de compétitivité ?

Je reprendrai trois remarques faites par la Cour des comptes. Du point de vue des compétences économiques, comment envisagez-vous l'articulation entre les pôles de compétitivité et les régions ? N'est-il pas nécessaire de regrouper la compétence et la gestion des pôles au sein du ministère de l'industrie ? De quel soutien actif ces écosystèmes pourraient-ils bénéficier ?

Deuxième point : le crédit d'impôt recherche et le CICE. En 2017, environ 40 milliards d'euros seront consacrés à ce titre aux entreprises. C'est considérable. Je citerai deux exemples de la situation sur le terrain.

Dans mon territoire, l'entreprise Wipro, qui avait racheté New Logic en 2006, a bénéficié en mai 2009 d'un crédit d'impôt recherche de 5 millions d'euros ; le mois suivant, elle fermait son site, où travaillaient 62 salariés.

La société Intel a décidé - après IBM, Samsung, Nvidia et Texas Instruments - de restructurer ses centres de recherche en Europe. Elle les a implantés en Allemagne, fermant plusieurs sites français, y compris dans ma circonscription. Plus de 360 salariés, à 95 % des chercheurs, sont concernés. Je suis un fervent soutien du CICE et du CIR, mais ne serait-il pas temps de prévoir un dispositif pour récupérer ces fonds publics lorsque les entreprises qui en ont bénéficié licencient dans ces proportions ?

M. Henri Tandonnet. - La filière française de l'eau, qui est très compétitive, a fait l'effort de regrouper ses pôles de compétitivité. Le Gouvernement envisagerait de les diviser et de transférer la compétence aux régions. Cette solution ne paraît pas adaptée : ces entreprises, qui travaillent essentiellement à l'étranger, ont besoin d'avoir une vision nationale pour agir à l'international.

M. Roland Courteau. - Où en est la filière nucléaire ? Le Gouvernement a annoncé son intention de recapitaliser EDF et Areva. Confirmez-vous cette information ? Pour quel montant ? Quelle sera la stratégie à la clé pour ces deux grandes entreprises ?

Où en est le dossier Hinkley Point après le feu vert du gouvernement britannique ? Ce projet a suscité des critiques, y compris au sein d'EDF, au vu de la situation financière de l'entreprise.

Selon l'Agence internationale de l'énergie, aucune nouvelle centrale polluante ne devrait voir le jour si l'on veut tenir l'objectif de limiter à 2 degrés le réchauffement. EDF et Engie ont certes annoncé qu'il n'y aurait plus d'ouverture de centrale à charbon, mais ces entreprises détiennent encore une cinquantaine de centrales de ce type en activité dans le monde. Elles ne semblent pas vouloir les fermer, mais les vendre, ce qui reviendrait à prolonger leur durée de vie. Quel est l'avis du Gouvernement sur ce sujet ?

Mme Delphine Bataille. - Pouvez-vous faire un point sur la stratégie industrielle du Gouvernement à la suite de l'annonce par le groupe Alstom de fermer le site de Belfort ? Cette situation aurait impacté la course au contrat du RER nouvelle génération. Le groupe franco-canadien Bombardier a remis son offre. C'est une bonne nouvelle pour les salariés d'Alstom et de Bombardier, qui disposent d'une expérience commune dans la construction de métros, RER et TGV, mais aussi pour le Nord où sont installées deux usines, l'une de 1 200 et l'autre de 2 000 salariés.

C'est une bonne nouvelle, enfin, pour l'ensemble des sites. Cela permettra, à la fois, d'éviter de grandes difficultés dans la filière ferroviaire et des licenciements.

Pouvez-vous nous confirmer le calendrier d'attribution du marché, qui devrait débuter en janvier prochain ? Quelles sont les perspectives pour le groupe à moyen et long terme ?

Pour ce qui concerne le secteur de l'automobile, on entend de nombreux commentaires sur la participation de l'État au capital de PSA et de Renault. Pouvez-vous nous en dire plus sur le rôle de l'État actionnaire ?

M. Gérard Bailly. - Les PME innovantes sont confrontées au problème des copies. Le secteur de la lunette souffre beaucoup de ce fait. Quant aux entreprises du jouet, elles sont confrontées à la concurrence de pays où la main-d'oeuvre est moins chère, et qui sortent des copies de leurs produits dans des délais de six à neuf mois.

Les crédits dédiés à la recherche et à l'innovation sont-ils suffisants pour aider ces entreprises ? Face au problème des copies, notre pays ne pourrait-il être plus protecteur ? Les PME de ce secteur, si importantes pour notre monde rural, doivent sans cesse inventer de nouveaux modèles pour continuer à exister sur le marché !

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Avant de vous donner la parole, monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi de vous transmettre une question sur les entreprises électro-intensives, que souhaitait vous poser notre collègue Jean-Pierre Vial, qui n'est pas membre de la commission des affaires économiques.

À partir du 1er janvier 2017 va s'appliquer un dispositif relatif à l'effacement qui suscite des interrogations, voire de l'incompréhension, parmi les industriels et certains représentants de la Commission européenne. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce mécanisme ?

M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais tenter de répondre à vos questions le plus précisément possible.

Il est vrai, madame Lamure, que la configuration du budget a évolué, mais dans un esprit de rationalisation du secteur industriel. Ainsi, la cible de la compensation carbone, que vous avez citée, est d'abord l'industrie. Elle vise en effet à rembourser aux industriels une partie du coût du carbone répercutée dans le prix de leur électricité.

Ce budget est globalement stable, nonobstant notre participation à l'effort demandé à chaque ministère pour tenir l'objectif de réduction des dépenses publiques. Il faut mettre tous ces éléments en perspective.

Vous avez évoqué la diminution des crédits consacrés au FISAC et aux CCI, qui ne relèvent pas directement de mon secrétariat d'État.

La baisse des crédits de paiement du FISAC est faciale : elle résulte essentiellement de l'apurement du stock des dernières années, lequel s'achèvera en 2016. Les autorisations d'engagement seront maintenues par rapport à 2016.

Pour ce qui concerne les CCI, le débat est complexe. Les baisses de taxes qui leur sont affectées correspondent aux capacités d'économies réelles du réseau. La diminution importante du nombre de structures rend possible la baisse de 60 millions d'euros proposée dans le projet de loi de finances pour 2017. L'apprentissage est sanctuarisé, car il bénéficie de fonds dédiés.

S'agissant des éléments d'intervention, je rappelle l'importance du dispositif France Expérimentation. Les entreprises n'ont jamais le sentiment que les efforts de simplification administrative se traduisent concrètement. Il s'agit d'être pragmatique face aux difficultés des entreprises et de trouver des solutions interministérielles pour simplifier leur quotidien. Dans le cadre des premiers appels à candidature, 50 dossiers ont été déposés. Nous les examinons pour répondre concrètement à ces enjeux essentiels. Par ailleurs, la mise en place de la déclaration sociale nominative permettra également de simplifier les formalités des entreprises.

Je vous confirme, monsieur Bourquin, que le suramortissement prendra fin en avril 2017. L'ensemble de l'effort engagé n'est pas sans résultat, loin s'en faut.

À cet égard, madame Lamure, le tableau que vous avez dressé me paraît bien sombre. Je rappelle quelques éléments importants. L'investissement privé a augmenté de 7 % entre 2015 et 2016. Les marges se rétablissent, retrouvant le niveau qui était le leur avant la crise. On observe aussi un rétablissement des trésoreries, lié aux dispositifs mis en place. Enfin, 140 000 emplois ont été créés grâce au CICE.

Le rétablissement des marges et des trésoreries, c'est autant d'emplois qui n'ont pas été supprimés !

La proposition gouvernementale de porter le taux du CICE de 6 % à 7 % participe de cette ambition, même si le parcours est complexe. Le rétablissement de la situation des entreprises ne se fait pas en quelques mois. Il nous faut poursuivre l'effort, mais l'engagement est pris.

J'en viens au projet Industrie du futur. En amont du dernier Conseil « compétitivité » à Bruxelles, nous avons rencontré nos partenaires allemands, qui ont mis en place le dispositif Industrie 4.0. Le Parlement européen a réaffirmé la nécessité d'une politique industrielle à l'échelle communautaire. Je m'en réjouis, car c'est un enjeu déterminant.

Il faut avoir à l'esprit que, dans certains pays européens, l'industrie n'existe plus. Leur objectif n'est pas le développement de politiques industrielles, mais de politiques d'achat de produits manufacturés au plus bas prix.

Avec l'Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni, l'Italie, nous soutenons cet enjeu de politique industrielle européenne. Je suis très satisfait, à cet égard, qu'ait été réaffirmé l'objectif de 20 % du PIB consacré aux enjeux industriels, car il nous permettra de mener ensemble ces politiques.

Il est vrai, monsieur Vaugrenard, que nous sommes confrontés à une concurrence parfois déloyale. Il faut se réjouir que l'Europe, face à l'agressivité du secteur chinois de l'acier, ait défini 37 mesures qui sont autant d'outils donnés à nos industriels pour lutter à armes égales.

Redresser l'industrie nécessite d'analyser lucidement la situation industrielle. Il ne s'agit pas d'en revenir aux bassins industriels que nous avons connus dans le passé, par exemple à l'est de la France. Il faut travailler sur l'enjeu de modernisation, car toutes les industries sont confrontées à des révolutions, qu'elles soient écologiques ou numériques. Cela signifie non pas qu'il faille tout réduire à l'industrie du numérique, mais que toutes les entreprises, y compris celles qui sont ancrées dans les territoires, doivent intégrer le numérique dans leur outil de production.

Les pôles de compétitivité sont importants, car ils mobilisent les acteurs autour d'une même ambition et d'une thématique industrielle forte. Nous devons veiller à ne pas les démobiliser. Porter une appréciation qualitative sur ces pôles, selon qu'ils sont d'échelon régional ou national, c'est ubuesque au regard de la capacité économique et industrielle conférée aux régions  par le législateur !

Il faut être cohérent. On ne peut pas, à la fois, dire que les régions sont les animateurs essentiels des politiques économiques et considérer qu'un pôle maintenu à l'échelon régional est sous-coté. Si l'on n'évolue pas sur cette question, on raisonnera toujours en termes de pôles nationaux « vertueux » et de pôles régionaux qui le seraient moins.

Arrêtons donc de parler de pôles nationaux ou régionaux. Il existe des pôles dans le domaine agricole, dans ceux de la défense ou de l'industrie. Pourquoi les crédits d'animation ne pourraient-ils pas être gérés au niveau régional ? En revanche, la Direccte doit participer à la gouvernance des pôles de compétitivité et l'État doit être garant de la stratégie. Il doit aussi conserver sa capacité à intervenir. Cessons donc de considérer le national comme plus important que le régional et soutenons les pôles de compétitivité, quitte à leur faire des remarques s'ils ne sont pas assez dynamiques. En tous cas, nous ne proposons pas de dé-labellisation.

En ce moment, je suis le dossier STX quasi-quotidiennement. Le 4 novembre, quatre offres ont été déposées devant le tribunal de commerce de Séoul. Deux présentent la vocation industrielle dont la France souhaite, pour des raisons stratégiques évidentes, que le repreneur soit doté. J'ai reçu l'ambassadeur de Corée pour lui expliquer notre position et lui rappeler que nous disposons de deux leviers : notre minorité de blocage et le dispositif sur les investissements étrangers. J'ai passé le même message au ministre de l'industrie coréen, que j'ai eu au téléphone la semaine dernière. Cela dit, c'est le tribunal de commerce de Séoul qui procède à la vente, et c'est à lui que la décision revient. Nous saurons le 11 novembre si les dossiers déposés sont recevables et le calendrier, ensuite, sera plus ou moins rapide. Je n'entrerai pas dans la question de la composition du consortium, mais il ne serait pas anormal que DCNS participe à cette réflexion industrielle.

La stabilité globale des moyens concerne les crédits de l'État, monsieur Gremillet, et suppose que le budget des collectivités territoriales n'augmente pas dans le même temps. L'État assume clairement son rôle. Le Gouvernement a mobilisé 40 milliards d'euros pour soutenir les entreprises : qu'on ne dise pas qu'il reste en-deçà ! D'aucuns lui reprochent d'ailleurs d'en faire trop.

Le nombre de priorités pour l'industrie du futur est en effet passé à neuf. Nous souhaitons une gouvernance partagée entre les industriels et l'État ; 500 entreprises sont engagées dans l'industrie du futur, autour de 1 000 projets, soutenus à hauteur de 1,9 milliard d'euros. Lancé en avril 2015, ce dispositif est en développement. J'ai participé au comité de pilotage il y a quelques jours. Le fait que BPI France renforce d'un milliard d'euros son enveloppe de prêts à destination des PME révèle bien notre mobilisation en leur faveur. Elles en ont besoin pour les accompagner dans l'innovation, qui peut représenter un risque important pour elles.

J'ai rencontré le président de l'ARF, et lui ai dit que nous souhaitons réaffirmer la place de chacun : l'État n'entend pas se dessaisir des pôles de compétitivité, mais les régions demeurent leurs interlocuteurs privilégiés.

M. Marc Daunis. - Oui, il faut être cohérent.

M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. - Je me suis engagé à maintenir le niveau de crédits de 2016, et celui du FUI, dont les autorisations d'engagements sont maintenues. L'échelon national est celui où doit être définie la stratégie industrielle. C'est le rôle de l'État. Celui des régions est de la mettre en oeuvre.

M. Gérard Bailly. - Avec quels moyens ?

M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. - Je suis prêt à ce que les moyens d'animation soient transférés aux régions, car je ne suis pas sûr que l'État soit compétent pour les gérer, tant ils sont finement ventilés. Je consulte actuellement mes collègues sur ce point. Bien sûr, l'État doit en conserver une part pour pouvoir faire des appels à projets.

M. Marc Daunis. - C'est nécessaire.

M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. - Nous souhaitons aussi que l'État continue à piloter le programme d'investissements d'avenir et le FUI. Vous l'avez compris : je considère que l'État ne doit pas être spectateur des stratégies industrielles, et que celles-ci doivent faire l'objet d'un portage partenarial.

Sur la récupération des crédits, je suppose que vous songiez à Intel...

M. Marc Daunis. - Et à Ipsos, entre autres...

M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. - Le principe de non-rétroactivité fiscale s'impose, mais quand je reçois les responsables de ces entreprises, je ne me prive pas de leur rappeler la participation des fonds publics à l'évolution de l'appareil de production, et de leur entreprise.

Il y a bien trois pôles de l'eau, monsieur Tandonnet. La réforme ne vise pas à les régionaliser mais à mieux les articuler.

La filière nucléaire a connu de longues années de difficulté. Issu d'un territoire concerné par ces questions, j'ai dit plusieurs fois que je suis extrêmement heureux que l'État ait décidé de la restructurer, et de faire d'EDF son chef de file. Comme vous, j'ai connu cette période grandiose où les responsables d'EDF et d'Areva communiquaient difficilement. Ce n'était guère fructueux. La restructuration passe par un effort de recapitalisation d'EDF et d'Areva. Les engagements pris par l'État à cet égard seront tenus. Une participation a été annoncée pour le premier trimestre 2017. Quant aux craintes sur la situation financière d'EDF, elles doivent nous inspirer la plus grande vigilance, mais les efforts internes, la vente d'actif et la recapitalisation prévue devraient conduire à une stabilisation.

Je me réjouis que le projet d'Hinkley Point continue. Si nous n'avions pas été retenus, nous aurions perdu non seulement un marché mais aussi la capacité à proposer notre savoir-faire. Pour moi, Hinkley Point constitue un nouveau démarrage pour notre filière nucléaire. Il fallait tirer les enseignements des difficultés en Finlande et à Flamanville. Nous l'avons fait et, forts de ces leçons, nous avons remporté le marché, pour ainsi dire, deux fois, puisque Mme May aurait pu changer complètement les exigences du Gouvernement britannique. Or, les conditions qu'elle a posées - stabilité du pacte d'actionnaires avant la mise en oeuvre, vigilance sur l'entrée d'investisseurs étrangers après - ne sont nullement irrecevables. Après tout, nous avons aussi un dispositif de vigilance susceptible d'être mobilisé dans la reprise de STX. Ce projet est donc un élément positif, tant pour EDF que pour Areva, qui devra fournir deux chaudières nucléaires et les systèmes de contrôle, ce qui représente 50 % de la charge de l'usine du Creusot dans les deux prochaines années, et 25 % de celle de Chalon / Saint-Marcel. Quant à EDF, son ingénierie sera considérablement mobilisée, tout comme les sous-traitants d'Alstom et GE à Belfort. En tout 4 500 emplois sont concernés par ce projet, qui suit son cours sans susciter, fort heureusement, d'inquiétudes majeures.

Le Gouvernement n'instaurera pas unilatéralement, par le PLF, de prix-plancher pour le carbone mais la programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit la fermeture des centrales à charbon, avec un date-butoir fixée à 2023. Nous devons l'étaler dans le temps et faire un travail d'anticipation, dès aujourd'hui, pour éviter la multiplication de plans sociaux. Je ne crois pas qu'Engie ait choisi de vendre parce qu'il s'agissait de centrales à charbon. L'objectif était plutôt de se recentrer sur certaines missions.

Le dossier d'Alstom est l'un des premiers que j'ai eus à traiter. Oui, tous ceux qui s'intéressent au ferroviaire savaient que le carnet de commandes n'était pas suffisamment rempli. Pour autant, l'on ne pouvait pas deviner que l'entreprise choisirait de fermer le site de Belfort. Mon propos à l'égard de M. Poupart-Lafarge a donc moins été de lui donner des leçons de gestion de son entreprise - ce n'est pas mon rôle - que de m'étonner des conditions dans lesquelles il a fait cette annonce. Une fois cette explication franchement effectuée, il y a eu une volonté partagée de réfléchir à une solution ayant un sens industriel. M. Poupart-Lafarge souhaitait de la visibilité non seulement pour le site de Belfort, mais pour les autres. Je lui ai proposé de chercher des commandes, mais lui ai précisé qu'une commande publique impliquait de sa part un investissement crédible sur les sites d'Alstom en France.

La discussion s'est nouée dans de bonnes conditions et, avec le Secrétaire d'État aux Transports, nous avons passé en revue les commandes en cours. Certaines avaient été décidées, comme les TGV italiens ou les 30 TER. Nous avons travaillé sur la commande de 15 rames de TGV pour le corridor Sud. Nous n'avons pas inventé cette commande, elle existait déjà, et l'État aurait dû de toute façon acheter ces rames. Nous avons simplement décidé de sauter la phase des trains inter-cités. Honnêtement, il y a en France maints exemples de TGV roulant sur des voies non prévues pour la grande vitesse... Il fallait faire un effort pour accompagner un projet industriel que nous avons co-construit avec Alstom, l'État a pris ses responsabilités. D'ailleurs, ce projet a été présenté aux syndicats à Belfort conjointement par le président-directeur général d'Alstom et moi-même, et les collectivités territoriales s'y sont associées, puisque la communauté d'agglomération, le département et la région y participent. Bref, nous avons réussi à mettre tous les acteurs autour de la table. Reste à mettre en oeuvre ce projet, sous l'autorité du comité de pilotage local, présidé par le préfet, et du comité de pilotage national, codirigé par M. Vidalies et par moi-même. Nous avons veillé, en tous cas, à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je ne puis m'empêcher de vous signaler que les nez des TGV sont fabriqués dans une petite commune rurale de l'Orne. On voit ainsi, en pleine campagne, des nez de TGV attendant d'être montés... On parle souvent des grands sites industriels, mais ils ne sont pas les seuls à avoir suivi cette affaire avec intérêt !

M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. - C'est vrai qu'on pense toujours aux emplois directs, mais une multitude de PMI et de PME sont concernées, dans le bassin de Belfort comme dans d'autres. C'est pourquoi le calcul qui ramène le coût de l'investissement aux seuls 450 salariés du site de Belfort est très périlleux.

L'État a toujours dit que son intention était de revenir à un niveau de participation au capital de Renault de 15 %. Il n'est monté au-delà que par nécessité. La cession de 4,5 % se fera au meilleur moment : il n'y a pas urgence. Je plaide pour que notre vision des participations de l'État ne soit pas seulement patrimoniale mais stratégique. S'il faut donner un coup de main, soit. Mais il faut savoir récupérer les capitaux, par exemple pour recapitaliser EDF ou Areva. Bref, il faut avoir le courage de conduire une gestion dynamique du portefeuille de l'État. Notre cession de 4,5 % de Renault ne devra donc pas être vécue comme un abandon.

L'État est entré au capital de PSA pour accompagner la restructuration de l'entreprise et lui permettre de se développer. L'atmosphère était bien différente au mondial de l'automobile il y a deux ans ! La stratégie de l'État, élaborée en partenariat avec l'industriel, a eu des résultats positifs. Nous avons veillé à préserver l'équilibre de l'actionnariat, et continuerons à le faire. Rien n'est inscrit dans le marbre, mais lorsque nous vendrons une partie de notre participation, nous serons vigilants sur l'identité de l'acquéreur.

Oui, les PME sont un élément essentiel, et je regrette qu'on ait tendance, lorsqu'on parle de politique industrielle, à n'évoquer que les grands groupes. Nous savons qu'elles sont fragiles, notamment si elles n'ont qu'un seul client.

M. Gérard Bailly. - Comme Logo ?

M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. - Par exemple. Mes services suivent cette entreprise avec attention, et nous cherchons des solutions. Un client unique peut connaître des difficultés, ou changer de stratégie industrielle.

Il faut donc un accompagnement spécifique des PME. Cela passe par un cadre fiscal adapté - d'où l'évolution du taux vers 28 % - par l'action ciblée de BPI-France, et par l'ouverture sur l'export, qui peut sembler effrayante mais dont l'expérience prouve qu'elle réussit parfois magnifiquement - je l'ai constaté la semaine dernière en Inde. Certes, la prise de risque est importante pour une PME. D'où la nécessité d'un accompagnement, d'autant qu'il peut être difficile d'entrer sur certains marchés. À cet égard, Business France fait un travail important.

M. Alain Bertrand. - Sur la ruralité et l'hyper-ruralité, avez-vous une stratégie, ou non ?

M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. - La politique industrielle tient compte des implantations des entreprises. Il y a des industries dans le monde rural, par exemple à Gueugnon ou Bourbon-Lancy, dans mon département. Elles doivent être plus accompagnées qu'ailleurs, car les collectivités territoriales n'y ont pas toujours les mêmes moyens. Mais les régions doivent jouer un rôle déterminant pour animer les territoires ruraux qui ont une histoire industrielle. Certains ont aussi une ambition économique, reposant souvent sur des PME, parfois artisanales. Cela n'a rien d'évident, car les infrastructures ne sont pas toujours adaptées, et l'éloignement des noeuds de communication pose problème. Du coup, il est clair que le partenariat entre mon ministère et celui de l'aménagement du territoire doit être maintenu ! Nous pouvons vider nos campagnes, mais que deviendront ces territoires ? Certes, il est devenu difficile d'implanter ou de sauvegarder des activités industrielles dans des zones rurales ou de petites villes, car les exigences des investisseurs ont évolué. Nous devons donc faire preuve de réalisme, mais aussi de volonté !

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci.

La réunion est close à 19 h 20.

Mercredi 9 novembre 2016

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Loi de finances pour 2017 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Énergie » - Examen du rapport pour avis

La réunion est ouverte à 9 heures 30.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mes chers collègues, nous examinons ce matin deux avis budgétaires, l'un sur les crédits consacrés à l'énergie, l'autre sur les crédits dédiés à la pêche et à l'aquaculture, et je cède sans plus attendre la parole à notre rapporteur pour avis, Bruno Sido, qui nous présente le premier de ces deux rapports.

M. Bruno Sido. - Merci monsieur le Président. Avec l'intégration des charges et des recettes de la « contribution au service public de l'électricité », la CSPE, dans le budget de l'État votée fin 2015, le périmètre des crédits consacrés à l'énergie dont notre commission se saisit chaque année pour avis s'est considérablement élargi, dans son volume comme dans ses finalités.

Ainsi, au-delà du champ traditionnel des crédits du programme 174 dédiés à l'accompagnement des anciens mineurs, des dépenses fiscales associées ou du compte d'affectation spéciale pour l'électrification rurale - le CAS « FACÉ » -, le Parlement est désormais conduit à examiner les dépenses de soutien aux énergies renouvelables, retracées dans le CAS « Transition énergétique », et les autres charges de service public de l'énergie, qui sont regroupées au sein du nouveau programme 345. Disons-le d'emblée : si la budgétisation de ces charges est un progrès, le rôle du Parlement restera toutefois très limité tant l'évolution de ces dépenses, très largement contraintes, lui échappe.

Avant d'entrer dans le détail, quelques chiffres sur les grandes masses concernées. Sur les 9,5 milliards d'euros de charges rapatriées dans le budget, 6,9 milliards sont logés dans le nouveau CAS pour, d'une part, financer le soutien aux énergies renouvelables, à hauteur de 5,7 milliards, et, d'autre part, apurer la dette due à EDF en raison du défaut de compensation passé de la CSPE, pour 1,2 milliard ; les 2,5 milliards restants figurent au programme 345, dont 1,4 milliard pour la péréquation tarifaire de l'électricité, 500 millions pour les tarifs sociaux et un peu plus de 500 millions pour le soutien à la cogénération gaz.

Environ 450 millions sont ouverts au titre du programme 174 pour financer, principalement, les droits des anciens mineurs. Les dépenses fiscales rattachées au programme représentent quant à elles 2,7 milliards, dont près d'1,7 milliard pour le seul « crédit d'impôt pour la transition énergétique », le CITE. Enfin, un peu moins de 400 millions sont dédiés aux aides à l'électrification rurale.

Au total, nous examinons donc 13,1 milliards d'euros de crédits ou de dépenses fiscales, étant précisé que d'autres mécanismes interviennent encore dans le domaine de l'énergie, qu'il s'agisse des certificats d'économies d'énergie, les CEE, des aides de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, ou encore d'une tuyauterie bien opaque, dite « fonds de financement de la transition énergétique » sur laquelle je reviendrai.

Premier poste de dépenses du CAS « Transition énergétique », les subventions versées aux énergies renouvelables électriques progressent cette année encore à un rythme très soutenu : + 915 millions, à 5,6 milliards d'euros, soit une hausse de 19 % sur un an et de 34 % sur deux ans, pour une production subventionnée de 48 TWh qui représente environ 9 % de la production nationale. Cette progression des charges s'explique logiquement par l'augmentation des capacités installées, qui ne faiblit pas - et la file d'attente des projets à raccorder est très conséquente -, mais aussi par la baisse des prix sur les marchés de gros de l'électricité, qui augmente mécaniquement le coût du soutien public. En 2017, le photovoltaïque représentera encore 55 % des coûts alors qu'il ne compte que pour 19,4 % de la production soutenue, signe que, malgré la baisse des prix observée sur les derniers appels d'offres, le poids des contrats passés pèse encore lourdement.

En outre, on notera le démarrage encore très progressif du nouveau mécanisme de soutien « prime + marché », le complément de rémunération, qui n'occasionnerait que 5,6 millions d'euros de dépenses en 2017, ce qui s'explique notamment par les dispositions transitoires prévues par la loi « Transition énergétique » pour basculer vers ce nouveau régime et par le temps de « sortie » des nouveaux projets éligibles.

Au-delà des énergies renouvelables électriques, le CAS soutient encore, d'une part, l'injection de biométhane dans les réseaux de gaz naturel, dont les volumes sont encore très faibles - 0,6 TWh visé en 2017 - mais qui progresse rapidement - une multiplication par sept des surcoûts d'achat est attendue entre 2015 et 2017, à 50 millions d'euros ; d'autre part, l'effacement de consommation électrique, pour lesquels les premiers appels d'offres issus de la loi « Transition énergétique » n'interviendront qu'en 2018, ce qui justifie qu'aucun crédit ne soit inscrit pour 2017 ; d'ici là, un dernier appel d'offres issu de la loi « NOME » sera lancé mais n'apparaît pas dans le budget parce que financé par le tarif d'utilisation des réseaux, le TURPE.

Second gros poste de dépenses du CAS, le remboursement de la dette contractée à l'égard d'EDF, qui avait supporté seule, à partir de 2009, la différence entre le montant fixé pour la CSPE et les charges qu'elle était censée couvrir, pour une dette cumulée de 5,7 milliards d'euros. Conformément à l'échéancier fixé par l'État, 1,2 milliard sera remboursé cette année au titre du principal et 99 millions d'euros au titre des intérêts, dont on peut au passage à nouveau s'étonner qu'ils soient retracés dans le programme 345 et non dans le CAS, alors qu'ils participent bien du coût total de la dette.

Pour financer les dépenses du CAS, le Gouvernement avait annoncé, l'an dernier, la stabilisation de la CSPE à son niveau de 2016, soit 22,5 euros par MWh, et l'élargissement de l'assiette du financement de la transition énergétique aux énergies fossiles, par un relèvement de la « taxe carbone » à 30,5 euros la tonne en 2017.

Si notre commission en avait approuvé le principe - dès lors qu'il n'est pas absurde de faire contribuer les énergies carbonées à la décarbonation de l'économie, au lieu d'augmenter encore la fiscalité sur l'électricité qui est déjà très largement décarbonée grâce, il faut le rappeler, au nucléaire et à l'hydraulique -, nous avions défendu deux principes.

En premier lieu, que ces recettes supplémentaires de taxe carbone soient affectées au CAS à la hauteur du besoin de financement, ce que n'avait pas entendu à l'époque le Gouvernement ; dix mois plus tard, il se rallie à l'analyse du Sénat mais a proposé successivement deux schémas de couverture des charges. Dans la version initiale du budget, le CAS continuait à être financé par une part de CSPE mais était abondé par une fraction des taxes intérieures de consommation sur le pétrole, le gaz et le charbon - les TICPE, TICGN et TICC - « pour un montant représentatif de la hausse » de la taxe carbone en 2017. Mais à l'Assemblée, le Gouvernement a modifié ce schéma en excluant totalement la CSPE et la TICGN des recettes du CAS et en l'alimentant exclusivement par les taxes sur le pétrole et le charbon.

Ce changement de « tuyauterie » s'explique en fait par une demande de la Commission européenne qui a souhaité supprimer tout lien d'affectation entre la CSPE et le CAS finançant les aides aux énergies renouvelables, au motif que l'électricité renouvelable importée, bien qu'étant assujettie à la CSPE, ne bénéficiait pas en retour de ces aides, ce qui pouvait s'assimiler à un droit de douane contraire aux principes de l'Union douanière.

En second lieu, le Sénat avait exigé, sans plus de succès, le respect du principe de compensation intégrale de la taxe carbone fixé par les lois « Grenelle I » et « Transition énergétique » et qui, du reste, avait été appliqué pour les 4 premiers milliards de taxe carbone, compensés par le crédit d'impôt compétitivité-emploi, le CICE, et par des taux réduits de TVA. En fin d'année dernière, le secrétaire d'État au budget nous avait répondu que la hausse serait compensée par la stabilisation de la fiscalité électrique ; or, même en admettant l'idée de compenser une hausse par l'annulation d'une autre hausse prévisible, ce qui est déjà contestable, le compte n'y est pas : selon les hypothèses de rendement de la taxe carbone retenues, ce sont encore entre 196 et 440 millions d'euros de prélèvements supplémentaires qui pèseront sur les consommateurs en 2017 - et plus encore en 2018 et 2019 - et qui s'ajoutent à l'explosion de la CSPE déjà subie par le passé. Aujourd'hui, le Gouvernement se contente de dire que cet écart sera compensé mais on ne voit toujours rien venir...

De même, l'exclusion des produits issus de la biomasse du relèvement de la taxe carbone, pourtant prévu par la loi, n'est toujours pas effective et le Gouvernement annonce y réfléchir pour 2018. Or, si les problèmes de traçabilité sont réels, ils ne me semblent pas insurmontables...

Autre motif d'insatisfaction, les montages retenus pour financer certaines actions liées à la transition énergétique s'avèrent particulièrement complexes, voire opaques. J'évoque ici le fameux « fonds de financement de la transition énergétique » et sa sous enveloppe dite « enveloppe spéciale transition énergétique », l'ESTE. Sans rentrer dans le détail des circuits financiers mis en place, l'enveloppe spéciale n'est aujourd'hui dotée que de 250 millions, ouverts en loi de finances rectificative pour 2015 pour régulariser des avances déjà faites par la Caisse des dépôts et consignations, et de 250 autres millions avancés par la Caisse en 2016 et qui devraient à nouveau être régularisés a posteriori dans le prochain collectif, soit 500 millions au total, ce qui reste bien en-deçà du milliard et demi annoncé pour le fonds à l'origine. Nous avons enfin obtenu cette année quelques éléments d'information sur les actions financées mais encore ne s'agit-il que de grandes masses : ainsi, 354 millions auraient par exemple déjà été engagés, ou seraient en passe de l'être, pour soutenir les projets des « territoires à énergie positive pour la croissance verte », les TEPCV. Plus étonnamment, l'enveloppe spéciale financera aussi, pour 10 millions, un projet de plateforme scientifique dérivante dans l'Arctique. En revanche, il n'y a toujours rien sur le doublement du fonds chaleur de l'Ademe...

J'en viens maintenant aux autres charges de service public de l'énergie financées par le nouveau programme 345. La péréquation tarifaire de l'électricité, qui manifeste la solidarité entre le continent et les territoires insulaires et ultramarins, devrait voir son coût baisser en 2017 de 6,1 %, à 1,4 milliard, sous l'effet, principalement, d'un moindre recours aux moyens thermiques liée à l'anticipation d'une hydraulicité normale ainsi qu'à la mise en service d'une centrale thermique plus performante en Guadeloupe.

En matière de lutte contre la précarité énergétique, les tarifs sociaux de l'électricité et du gaz représenteront environ 400 millions en 2017 pour un nombre de bénéficiaires qui croît encore légèrement, après la forte montée en charge observée entre 2011 et 2015 grâce aux réformes successives, mais qui plafonne depuis autour de 3,3 millions de ménages. Pour toucher la cible des 4 millions de foyers précaires énergétiques, le chèque énergie, basé sur un critère fiscal unique qui évitera les « pertes en ligne » liées au croisement de fichiers complexes des tarifs sociaux, est expérimenté depuis mai 2016 dans quatre départements, avant d'être généralisé au 1er janvier 2018.

Or, les premiers résultats de cette expérimentation en termes d'atteinte des publics cibles sont encourageants, avec une hausse de 37 % des bénéficiaires par rapport aux tarifs sociaux, même si le nouveau dispositif, qui suppose une démarche active du bénéficiaire pour son affectation, nécessitera un accompagnement important. Ainsi, seuls 55 % des chèques avaient été effectivement utilisés cinq mois après leur distribution, avec en plus une complexité introduite dans le dispositif obligeant à échanger son chèque contre un autre chèque pour financer des travaux au-delà de la durée de validité du titre initial...

Le programme 345 couvre aussi, pour plus de 500 millions, les tarifs d'achat historiques des installations de cogénération gaz de moins de 12 MW. Ces contrats ont vocation à s'éteindre progressivement et seront remplacés par de nouveaux mécanismes de soutien en application des lignes directrices européennes et de la loi « Transition énergétique » : tarifs d'achat, complément de rémunération ou appels d'offres selon la puissance, y compris au-delà de 12 MW pour les cogénérations industrielles sous certaines conditions, 60 millions supplémentaires étant prévus pour ce dernier dispositif en 2017.

Objet historique de notre saisine pour avis, les crédits de l'après-mines poursuivent quant à eux leur baisse - - 10,3 % cette année, à un peu plus de 450 millions -, en cohérence avec la réduction « naturelle » du nombre des anciens mineurs et de leurs conjoints. Pour mémoire, sont financées, pour l'essentiel, des avantages en nature (chauffage et logement) et des prestations de pré-retraite, même si l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, l'ANGDM, provisionne aussi des sommes croissantes (58,5 millions) au titre de demandes d'indemnisation liées aux expositions à l'amiante ou à d'autres produits cancérigènes pour lesquelles certains anciens salariés l'assignent en justice.

Le programme 174 finance encore « la lutte contre le changement climatique » à hauteur de 27,5 millions - dont 24,5 millions pour le dispositif national de surveillance de la qualité de l'air -, soit une enveloppe pratiquement stabilisée après deux années de forte contraction, et, enfin, quelques dépenses très spécifiques telles que la subvention pour charge de service public versée à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, pour 2,8 millions.

Au-delà des crédits budgétaires, dix-sept dépenses fiscales sont rattachées au programme pour un coût total de 2,7 milliards dont l'essentiel tient, d'une part, aux taux réduits de taxes intérieures de consommation en faveur des industries grandes consommatrices d'énergie, pour 550 millions, et, d'autre part, au CITE, pour 1,7 milliard. Ces deux postes expliquent à eux seuls la forte dynamique des dépenses observée depuis deux ans : + 1 milliard en 2016, en raison de la première année pleine d'application du crédit d'impôt réformé en 2015 et de la montée en charge des taux réduits ; et encore + 200 millions attendus en 2017, le coût des taux réduits augmentant mécaniquement avec la hausse de la taxe carbone.

S'agissant des industries grandes consommatrices d'énergie, on rappellera qu'un grand nombre de dispositifs ont été mis en place ces trois dernières années pour préserver leur compétitivité, ce dont on ne peut que se réjouir mais qui appellerait néanmoins une évaluation globale de la cohérence de ces diverses mesures - le cas échéant pour aller au-delà si cela s'avérait nécessaire. Ainsi, si l'on additionne les taux réduits du présent programme, les taux réduits de CSPE et la « compensation carbone » relevant de la mission « Économie », la rémunération de l'interruptibilité ou la réduction de TURPE créés par la loi « Transition énergétique », on parvient à un total de près d'1,5 milliard de soutien à ces industries, sous la forme soit de moindres rentrées fiscales, soit de dépenses budgétaires, soit de coûts financés par les autres consommateurs ou utilisateurs de réseaux.

S'agissant du CITE, une évaluation de son efficacité s'avère, au vu du quasi-doublement de son coût, encore plus indispensable, d'autant que certains chiffres posent question : en effet, si la hausse de la dépense s'explique logiquement, d'une part, par la réforme intervenue en 2015 qui en a relevé les taux et élargi les conditions d'éligibilité et, d'autre part, par l'augmentation du nombre des travaux déclarés (+ 29 % en 2015), en revanche, le nombre de bénéficiaires lui continue à diminuer, à 660 000 ménages en 2015 contre 720 000 en 2014 et 850 000 en 2013 sans que l'on sache aujourd'hui, faute d'évaluation, à quoi serait due cette concentration de la dépense fiscale. L'an dernier, nous appelions déjà le Gouvernement à évaluer le dispositif ; en mai dernier, la Cour des comptes regrettait, je cite, que « l'efficacité économique de cette dépense n'ait pas fait l'objet d'une évaluation avant sa prorogation, en vue de s'assurer qu'elle ne soit pas qu'un soutien au secteur du bâtiment et qu'elle contribue réellement efficacement à la transition énergétique », ce dont une étude de l'UFC-Que Choisir pouvait laisser douter. Finalement, nos collègues députés ont voté cette année une demande d'évaluation d'ici au 1er septembre 2017, amendement dont j'approuve le principe sinon la rédaction, sans doute un peu trop large.

Pour conclure, je dirai quelques mots du CAS « électrification rurale » dont les crédits sont, cette année encore, reconduits à l'identique, à 377 millions d'euros. Cette stabilité de l'enveloppe globale masque cependant quelques mouvements de crédits entre sous-enveloppes, au bénéfice des travaux de sécurisation des fils nus et au détriment du renforcement, de l'extension et de l'enfouissement. Notre collègue Jacques Genest, rapporteur spécial du CAS, propose donc de revenir partiellement sur ces mouvements en rappelant non seulement que l'enfouissement n'a pas qu'une finalité esthétique et contribue aussi à sécuriser le réseau, mais aussi que les travaux d'extension accompagnent le développement des territoires ruraux.

Bien qu'il comporte certains points positifs, à commencer par la possibilité enfin donnée au Parlement de voter les charges de CSPE, mais avec les réserves rappelées en introduction, ce projet de budget est marqué par au moins deux défauts majeurs : d'une part, une absence de compensation de la hausse de la taxe carbone tout simplement contraire à la loi et qui occasionnera encore des prélèvements supplémentaires sur les consommateurs d'énergie ; d'autre part, des instruments de financement de la transition énergétique qui restent opaques et, surtout, bien en-deçà des besoins, ou même des annonces initiales du Gouvernement.

Enfin, ce budget s'inscrit dans le « manque de vision stratégique » qu'a justement souligné notre collègue Jean-François Husson, rapporteur spécial de la mission « Écologie » et dont on peut citer deux exemples parmi tant d'autres : en premier lieu, l'annonce présidentielle, en janvier, d'un prix plancher du carbone pour la production électrique nationale, limité ensuite aux seules centrales charbon avant d'être finalement abandonné, alors que les difficultés posées par une telle fixation unilatérale étaient identifiées dès l'origine ; en second lieu, l'inconséquence de la programmation pluriannuelle de l'énergie, censée décliner opérationnellement les objectifs de la loi « Transition énergétique » mais qui ne dit rien sur la façon dont on réduirait la part du nucléaire à 50 % de la production électrique en moins de dix ans désormais, ce que nous comprenons fort bien pour avoir dénoncé le caractère irréaliste de cet objectif mais qui n'est, du point de vue du Gouvernement, guère cohérent. Peut-être la ministre, que nous entendrons le 23 novembre prochain, pourra-t-elle nous en dire plus...

En attendant, je vous propose, comme c'est l'usage en pareil cas, de réserver notre avis - dont vous aurez cependant, je n'en doute pas, compris la tonalité générale - pour nous prononcer après l'audition de la ministre.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci monsieur le rapporteur pour cette présentation très pédagogique de l'ensemble des dispositifs budgétaires et fiscaux intervenant dans le domaine de l'énergie.

M. Roland Courteau. - C'était effectivement une présentation très complète mais vous admettrez que nous puissions porter une appréciation différente sur un certain nombre de points. De l'énergie à la transition énergétique, le lien est direct et de la transition énergétique à l'Accord de Paris sur le climat, il n'y a qu'un pas ! À cet égard, la France peut être fière de l'entrée en vigueur de l'accord intervenue le 4 novembre dernier. La transition énergétique est une boîte à outils dont on peut dire qu'elle fonctionne plutôt bien, comme en atteste le succès des territoires à énergie positive, désormais au nombre de 500, du CITE et des créations d'emplois dans le secteur du bâtiment qu'il a permis ou encore du développement des énergies renouvelables, soutenu à hauteur de 7 milliards d'euros. Je signale au passage que 80 % des textes d'application de la loi « Transition énergétique » sont aujourd'hui parus, dont la PPE qui fixe des objectifs clairs pour le mix énergétique.

Concernant les crédits du programme 174, la baisse s'explique principalement, comme l'a dit monsieur le rapporteur, par la réduction du nombre des bénéficiaires, les mineurs retraités. Ce programme comporte des points positifs, comme la mise en oeuvre du plan de réduction des polluants atmosphériques, dont je rappelle qu'ils causent chaque année 48 000 décès en France et que cela frappe aussi bien les villes de plus de 100 000 habitants, avec une espérance de vie réduite de quinze mois, que le milieu rural, où cette espérance est raccourcie de neuf mois. Je voudrais encore signaler, comme points positifs, le maintien du CITE ou encore la préservation de la compétitivité de nos entreprises électro-intensives.

Concernant le programme 345, on peut aussi apprécier que les crédits augmentent de 24 % au bénéfice d'une solidarité renforcée avec les zones non interconnectées, du soutien à la cogénération ou de la protection des consommateurs en situation de précarité énergétique. Sur ce dernier point, on a constaté, d'une part, que le nombre de bénéficiaires effectifs des tarifs sociaux restait inférieur aux 4,5 millions de ménages éligibles et, d'autre part, qu'il existait une inégalité entre les consommateurs chauffés au gaz, qui cumulaient tarifs sociaux de l'électricité et du gaz, et les autres, qui ne bénéficiaient que des premiers. Mais peut-être la solution à ces deux problèmes viendra-t-elle du chèque énergie, en cours d'expérimentation avant sa généralisation. Autre sujet de préoccupation : dès lors que les compétences du Médiateur de l'énergie ont été élargies à toutes les énergies, ce qui devrait augmenter le nombre de saisines, ne faudrait-il pas augmenter aussi son budget ?

Enfin, l'autoconsommation, qu'elle soit individuelle ou collective, est appelée à se développer fortement, ce qui permettra du reste d'accroître la part des énergies renouvelables et de rééquilibrer le mix énergétique. Pour accompagner cette évolution, ne pensez-vous pas qu'un cadre à la fois stable et simple, pour ne pas décourager les clients, mais aussi rigoureux, pour éviter certains contournements des règles, devrait être établi ? De ce point de vue, l'ordonnance du 27 juillet dernier devrait, à mon sens, être revue et complétée.

Cela dit, nous soutiendrons bien entendu les crédits qui nous ont été présentés ce matin.

M. Bruno Sido. - Monsieur Courteau, je n'ai pas dit que tout était négatif dans ce budget mais qu'à tout le moins, le compte n'y était pas pour financer toutes les annonces qui avaient été faites. Vous avez évoqué des crédits en forte hausse : c'est certes vrai d'un strict point de vue arithmétique mais c'est en fait purement technique puisque 2017 sera la première année pleine d'application de la réforme de la CSPE, qui n'avait été que partiellement intégrée dans le budget en 2016. Concernant la précarité énergétique, vous avez parfaitement raison : les tarifs sociaux, en raison des croisements de fichiers complexes qu'ils impliquent, ne sont pas parvenus à toucher l'ensemble des ménages éligibles. Le chèque énergie devrait résoudre cette difficulté, de même que l'inégalité entre les consommateurs selon l'énergie utilisée. S'agissant du Médiateur, il dit lui-même qu'il participe de l'effort budgétaire public. Comme vous, je me félicite de ce que la dette due à EDF, qui n'a pas vocation à être le banquier de l'État, commence à être remboursée, ce qui est d'autant plus nécessaire au vu de la situation financière actuelle de l'entreprise. Quant à l'autoconsommation, il s'agit en effet d'un phénomène nouveau sur lequel nous aurons prochainement à examiner le projet de loi ratifiant l'ordonnance que vous évoquiez, qui est en cours de discussion à l'Assemblée nationale.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Un mot concernant l'autoconsommation : c'est là une idée très séduisante mais je mets en garde contre les dérives possibles et la mise en cause du tarif péréqué car si tout le monde produisait l'électricité qu'il consomme, qui financerait les réseaux ? Le particulier aura certes toujours besoin d'accéder au réseau mais on voit bien que les tentatives se multiplient : lors de la discussion de la loi sur les métropoles dite « loi MAPAM », certaines métropoles avaient envisagé de devenir des producteurs d'énergie pour alimenter leurs habitants. De même, lorsqu'il avait été proposé de faire sortir du réseau les îles bretonnes dans le débat sur la loi « Transition énergétique », j'avais alerté la ministre, en séance, sur les risques qu'une telle initiative comportait. Le principe de la péréquation tarifaire, qu'il nous faut absolument défendre, est très original. C'est un socle, que je qualifierais presque de républicain, de notre système électrique. Aussi faudra-t-il que nous soyons réalistes lorsqu'il s'agira d'examiner cette question de l'autoconsommation qui, à tout le moins, devra être fortement encadrée.

M. Joël Labbé. - S'agissant des îles bretonnes, nous avions proposé d'expérimenter une forme d'autoconsommation dans des territoires bien circonscrits. J'ajoute qu'il existe d'autres modèles, à commencer par celui de l'Allemagne, qui, grâce à la décentralisation de la production, présentent autant d'intérêts, sinon plus, pour favoriser le développement des énergies renouvelables et leur appropriation par le citoyen. A contrario, le système électrique français est hyper-centralisé autour d'un acteur, EDF, et je défendrai pour ma part une évolution vers une territorialisation des politiques énergétiques.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - C'est prendre le risque qu'il existe différents tarifs et à ce compte-là, ce sont les territoires ruraux qui seront les grands perdants...

M. Franck Montaugé. - L'enjeu de la péréquation tarifaire est en effet fondamental et doit demeurer l'une des caractéristiques fortes de notre modèle national. Il faudra trouver un compromis, si ce n'est un équilibre, entre le développement de ces nouveaux territoires énergétiques et les principes de péréquation et d'égal accès à l'énergie sur l'ensemble du territoire. Par ailleurs, si la production d'énergies renouvelables a fait l'objet d'un soutien financier considérable, y compris en mobilisant des fonds européens, j'attire votre attention sur les difficultés rencontrées par certaines installations pour équilibrer leur modèle économique ; il serait très dommageable, voire incompréhensible au vu des investissements réalisés, que la pérennité de certaines d'entre elles soit menacée.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je partage totalement ces deux points de vue. Comme le rapporteur l'a suggéré, je vous propose donc de réserver notre avis après l'audition de la ministre.

Loi de finances pour 2017 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Pêche et aquaculture » - Examen du rapport pour avis

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous en venons à l'examen des crédits en faveur de la pêche et de l'aquaculture figurant au budget du ministère de l'environnement.

M. Michel Le Scouarnec, rapporteur pour avis. - L'année dernière, à la même époque, à l'occasion de l'examen des crédits consacrés à la pêche et l'aquaculture figurant au projet de loi de finances pour 2016, je vous avais indiqué que la conjoncture s'était bien améliorée pour la pêche française. Cette tendance se poursuit encore cette année, avec des prix du gasoil qui restent bas - autour de 40 centimes le litre durant les 6 derniers mois - ; une consommation de poissons et crustacés qui se maintient - à hauteur de 35 kg par personne et par an en France, contre 23 kg en moyenne en Europe - ; des prix en criée qui sont en légère hausse et un taux d'invendus faible et qui baisse de 2 % cette année.

Un signe ne trompe pas : les professionnels recommencent à investir dans de nouveaux navires : le nombre de permis de mise en exploitation de navires neufs en métropole était d'à peine 14 en 2009, il a été de 57 en 2015 et il est de 55 sur les 9 premiers mois de l'année 2016 ; la plupart des « gros armateurs » se sont engagés dans le renouvellement complet de leur flotte hauturière : France pélagique, Compagnie des pêches de Saint-Malo, Euronor ....

Cette embellie, qui dure depuis deux à trois ans, ne doit pas nous faire oublier que la crise a été particulièrement rude : la France a perdu 800 navires de pêche en 10 ans, et sa flotte en métropole est descendue en dessous des 4 500 navires, dont moins de 1 000 de plus de 12 mètres. Les petits ports de pêche se retrouvent aujourd'hui avec un nombre faible de navires pour faire vivre les criées et les activités à terre. Il ne faut pas oublier que pour un emploi en mer, la pêche génère 3 à 4 emplois à terre.

Il est donc indispensable de profiter de l'embellie de la conjoncture pour donner plus de force à la pêche française. Publiée en juin dernier après un an de débats, la loi Économie bleue contient quelques dispositions visant à encourager la pêche et l'aquaculture : assouplissement du statut de la société de pêche artisanale, création d'un statut spécifique des marins-pêcheurs, distinct de celui des marins en pêche de commerce, assouplissements des exigences en matière de casier judiciaire pour les patrons pêcheurs, création d'un statut pour les fonds de mutualisation en matière de pêche.

L'instrument de soutien européen, le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) doit aussi être mobilisé en faveur du secteur, même si la politique commune de la pêche (PCP) ne permet malheureusement plus de subventionner l'acquisition de navires. Il faudrait que cette possibilité revienne.

L'année dernière, je soulignais qu'il était indispensable d'accélérer la mise en oeuvre effective du FEAMP 2014-2020, doté pour la France de 588 millions d'euros. Le processus est lent : le règlement européen a été adopté le 20 mai 2014, et le programme opérationnel pour la France a été validé par la Commission européenne le 3 décembre 2015.

La gestion de ce fonds est largement décentralisée : près de la moitié des crédits du FEAMP sont en réalité gérés par les régions. Pour l'instant, seulement 25 millions d'euros ont été mobilisés sur le nouvel instrument financier européen. Nous vivons encore avec les crédits non consommés du Fonds européen pour la pêche (FEP) 2007-2013. Lors des auditions que j'ai effectuées, la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) m'a indiqué que la dynamique était lancée et que l'année 2017 allait voir une montée en puissance effective du FEAMP. C'est indispensable.

L'année dernière, j'avais évoqué les difficultés structurelles auxquelles se heurtait la pêche française. Celles-ci sont encore d'actualité. Tout d'abord, la pêche doit en permanence s'adapter aux exigences environnementales. La première exigence consiste à respecter des quotas fixés pour ne pas épuiser les ressources halieutiques. De ce point de vue, la situation s'améliore plutôt en mer du Nord, dans la Manche et en mer celtique et plus généralement dans l'Atlantique-Nord. Les bilans publiés chaque année par la Commission européenne montrent plutôt une reconstitution des stocks. Mais il existe des inquiétudes sur certaines espèces comme la sole ou encore le bar, qui pourrait faire l'objet de mesures de restriction voire d'interdiction de pêche. En Méditerranée, la disponibilité du poisson est également très préoccupante, ce qui risque d'amener à la mise sous quotas de la pêche à l'espadon. Les mesures de baisse de quota ou d'interdiction de pêche peuvent avoir des conséquences dramatiques pour certains ports très spécialisés. Le renforcement des exigences environnementales avec la dernière réforme de la PCP constitue aussi un vrai défi : ainsi, l'interdiction des rejets en mer se met en place progressivement et devrait être totalement effective en 2018. Concernant la pêche en eaux profondes, une interdiction des captures au-delà de 800 mètres de profondeur devrait être respectée par les acteurs de la pêche hauturière.

Une autre difficulté pour la pêche maritime tient à un certain désintérêt pour cette activité malgré la bonne conjoncture. Une quinzaine de lycées maritimes forment des jeunes à la pêche, et un BTS pêche vient d'être lancé par le Gouvernement mais les recrutements et la fidélisation de marins-pêcheurs sont difficiles. Les investisseurs français ne se pressent pas non plus dans le secteur de la pêche maritime : la quasi-totalité des grands armements est passé sous le contrôle d'investisseurs étrangers, en particulier hollandais et espagnols. Outre-mer, on constate le même type de phénomène : ainsi, les navires thoniers battant pavillon français pêchent dans les eaux françaises autour de la Réunion mais débarquent les prises aux Seychelles. Nos poissons sont ensuite réimportés sur notre territoire.

Le coût des investissements nécessaires pour moderniser les équipements ou pour s'installer comme patron-pêcheur reste également élevé : plusieurs millions d'euros pour un navire neuf de 20 mètres. Les jeunes pêcheurs débutent plutôt avec des navires d'occasion, qu'ils doivent acheter cher car, dans le prix du bateau, il y a une valorisation implicite des droits de pêche qui y sont attachés.

Il existe une inquiétude supplémentaire pour la pêche maritime cette année : la perspective du « Brexit » fait courir de nouveaux risques pour la pêche française. Les pêcheurs des Hauts-de-France passent 75 % de leur temps dans les eaux britanniques et ceux de Normandie et de Bretagne 50 %. D'après les informations qui m'ont été fournies, les captures françaises dans la zone économique exclusive du Royaume-Uni représentent 22 % en valeur et 16 % en volume de l'ensemble de la pêche française. À Boulogne-sur-Mer, 44 % des débarquements concernent du poisson venant des eaux britanniques, qui y est transformé et conditionné. Or, avec le Brexit, les anglais pourraient remettre en cause le libre accès par les navires de l'Union européenne, et donc français, à leur zone économique exclusive. Si nous n'avons plus accès aux eaux britanniques, beaucoup de navires de notre façade Nord-Ouest resteront à quai.

Un autre risque porte sur les quotas de pêche. Les négociations ont lieu aujourd'hui chaque année au sein de l'Union européenne, en respectant le principe de stabilité relative, c'est-à-dire en répartissant les quotas entre pays avec les mêmes clefs de répartition. Le Royaume-Uni pourrait considérer que la clef de répartition historique est injuste ou ne reflète pas la répartition géographique des stocks, qui bien que situés dans la zone exclusive britannique, sont attribués majoritairement aux autres États membres, comme par exemple le lieu noir. Le Brexit ouvre donc la voie à une renégociation dure des quotas entre Union européenne et Grande-Bretagne, qui ne peut être qu'au détriment de l'Union européenne.

Enfin, une clef de répartition moins favorable à l'Union européenne pourrait conduire les autres États membres comme l'Espagne, l'Irlande ou les Pays-Bas, à demander une révision complète de la stabilité relative, avec pour conséquence une baisse, au sein de l'Union européenne, de la part revenant à la France.

Il convient donc d'exercer dès maintenant une grande vigilance sur les conséquences du Brexit sur la pêche. Cette vigilance m'avait été demandée par les pêcheurs de Lorient dans les jours qui ont suivi le vote britannique. Nous disposons de moyens de négociation : la Grande-Bretagne a besoin d'accéder au marché européen pour écouler sa production. La France est d'ailleurs, la première destination des produits aquatiques anglais et représente 507 millions d'euros, soit 28 % de la valeur des exportations britanniques dans l'Union européenne - coquilles Saint-Jacques, cabillaud, langoustine. L'accès des anglais à notre marché ne saurait être accepté si, dans le même temps, les anglais empêchaient nos pêcheurs d'accéder à leurs eaux dans des conditions proches de celles d'aujourd'hui.

Il convient de s'intéresser à l'aquaculture, qui est dans une situation délicate : en ostréiculture, la production a baissé de 113 000 tonnes en 2007 à 80 000 tonnes ces dernières années. Certes, les prix ont augmenté de l'ordre de 20 % mais cela ne compense pas le manque à gagner. La France reste au premier rang européen pour la production d'huîtres mais doit faire face depuis 2008 à un problème récurrent de surmortalité dont la cause est connue - virus OsHV-1 - mais les mécanismes mal identifiés. En outre, des fermetures de zones viennent parfois perturber la production d'huîtres à la suite de contrôles de qualité des eaux mettant en évidence la présence d'agents pathogènes : c'est arrivé par exemple sur l'étang de Thau à la mi-septembre. Ce phénomène a aussi été constaté dans le Morbihan.

En mytiliculture, la France, qui est au 2ème rang mondial, et dispose d'une production très qualitative avec les moules de bouchot, qui bénéficient d'une reconnaissance au titre des spécialités traditionnelles garanties (STG), les producteurs sont aussi confrontés à un problème très préoccupant de surmortalité depuis 2014, qui peut atteindre 70 %. Un plan de soutien de 4 millions d'euros a d'ailleurs été annoncé par le Gouvernement en mai dernier.

Enfin, la pisciculture marine reste confidentielle et ne se développe absolument pas : la France produit de l'ordre de 5 000 tonnes de poissons par an dans ses élevages marins, contre 12 000 tonnes en Italie, 44 000 tonnes en Espagne et 95 000 tonnes en Grèce. On ne compte que 27 entreprises et aucun projet nouveau depuis dix ans.

Les crédits inscrits au sein du programme 205 en faveur de la pêche et de l'aquaculture s'inscrivent dans la continuité des précédents projets de loi de finances. Avec 45,6 millions d'euros, ce budget baisse de 2,64 % par rapport à l'année dernière. Sur cinq ans, l'érosion des crédits est de 14 %.

La répartition interne des crédits entre les différentes priorités est inchangée :

- 6,45 millions d'euros, contre 6,8 millions d'euros dans le budget précédent, sont consacrés au suivi scientifique et statistique et à la collecte de données, dont 3 millions pour le programme d'observation à la mer. Le reste des crédits finance les conventions avec l'Ifremer, l'Institut de recherche et de développement ou encore le Muséum national d'histoire naturelle.

- 5,9 millions d'euro, contre 6,2 millions d'euros dans le budget précédent sont consacrés au contrôle des pêches, notamment les moyens informatiques.

- 3,5 millions d'euros environ, comme dans le précédent budget, financent l'assistance technique ou encore les frais de participation aux instances internationales.

- 6,4 millions d'euros, contre 6,5 millions d'euros dans le précédent budget couvrent la participation de l'État aux caisses chômage intempéries, indemnisant les marins-pêcheurs en cas de mauvais temps.

Les crédits d'intervention économique représentent plus de la moitié de l'enveloppe budgétaire : 23,4 millions d'euros, en baisse de 400 000 euros par rapport au précédent budget. Il s'agit essentiellement des contreparties nationales aux dépenses engagées dans le cadre du FEAMP. Une petite part est consacrée à des programmes purement nationaux : repeuplement des civelles dans le cadre du plan anguilles, plan chlordécone III en Martinique et Guadeloupe,

D'autres crédits provenant du budget de l'État, non retracés dans cette enveloppe de 45,6 millions d'euros, concourent aussi à la politique de la pêche : ainsi, les contrôles des pêches reposent sur les moyens de la gendarmerie maritime, des affaires maritimes, des douanes, ou encore de la DGCCRF, figurant dans d'autres budgets.

Enfin, il faut noter que le soutien à la pêche maritime dépend aussi d'un acteur interprofessionnel qui est devenu indispensable dans le paysage de la pêche : France filière pêche. Grâce à une dotation de 31 millions d'euros, France filière pêche a pu déployer une politique d'encouragement de la consommation de poisson français à travers le pavillon France. Un tiers du budget a été dépensé en publicité et actions d'animation pour faire connaître le label. Le reste de l'enveloppe a servi à financer des actions de recherche scientifique (par exemple le programme sursole sur la survie de la sole en cas de prise accessoire) ou encore l'investissement dans les navires : 2 400 bateaux ont pu bénéficier de ces aides, ce qui est massif.

La première convention de France filière pêche arrive à expiration. J'ai reçu en audition le président de France filière pêche, qui m'a indiqué que la grande distribution allait s'engager à reconduire son soutien pour la période 2017-2020, à hauteur de 18,6 millions d'euros par an pendant deux ans et 15,5 millions par an les deux années suivantes, montants moindres qu'auparavant mais qui devraient permettre de continuer à agir. La notoriété du pavillon France étant établie, l'essentiel des financements concerneront la modernisation des navires et la recherche appliquée.

Je terminerai mon propos en rappelant que les pouvoirs publics doivent garder un oeil vigilant sur la pêche et l'aquaculture. La situation s'est améliorée pour les pêcheurs mais cette embellie conjoncturelle doit être consolidée. Une étude de FranceAgrimer de juin 2016 montre que notre pêche, plutôt vertueuse sur le plan environnemental et social, a cependant des problèmes de compétitivité par rapport à nos voisins anglais ou espagnols. Il faut donc s'orienter plutôt vers une politique de compétitivité hors-prix, par exemple en améliorant l'information à l'avance sur les débarquements, ou encore en modernisant la première transformation : filetage, conditionnement ...

La pêche peut avoir des effets d'entraînement bénéfiques pour des secteurs voisins. Ainsi la déconstruction des navires pourrait être développée, à côté de l'activité de construction. Aujourd'hui, cette activité est tout à fait marginale. Or, nous disposons d'un savoir-faire et de sites propices (Marseille, Bordeaux, Lorient, Concarneau). Il y a aussi un véritable marché de la déconstruction, lorsqu'on étend l'analyse aux bateaux de plaisance : 4 000 navires seraient concernés. Encore faudrait-il que des acteurs économiques s'y intéressent un peu plus.

Pour conclure, je propose à la commission de réserver son avis sur les crédits relatifs à la pêche figurant au sein de la mission « Écologie, développement et aménagements durables », dans l'attente de l'audition de la ministre.

M. Daniel Dubois. - Un navire d'occasion coûte-t-il aussi cher qu'un navire neuf, compte tenu de la nécessité pour un navire d'occasion de récupérer les droits de pêche ?

M. Joël Labbé. - S'il est positif que le secteur de la pêche aille mieux, ce n'est pas sain que ce soit grâce aux prix bas du pétrole, car un jour la situation va changer et il faut s'y préparer. Concernant la pêche en eau profonde, les pêcheurs devront se conformer à l'interdiction d'aller au-delà des 800 mètres, car le règlement européen a été voté. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) travaille sur la mortalité des huîtres, notamment les huîtres triploïdes. L'OPECST travaille aussi sur la fertilité de ces huîtres. Enfin, avec le ministère de l'environnement, un travail est mené sur la reconnaissance des huîtres naturelles à travers une spécialité traditionnelle garantie, à défaut d'obligation d'étiquetage. Concernant la mytiliculture, la surmortalité est préoccupante. Dans tous les domaines, on souhaite être productifs et on sélectionne les variétés, au point de les rendre plus fragiles. En outre, les concentrations de moules attirent les étoiles de mer, qui sont des prédateurs pour ces espèces. Alors que notre pêche se porte mieux, le Brexit constitue une claire menace.

M. Bruno Sido. - Quel rôle et quels moyens sont alloués à l'Ifremer, qui est à mon sens central dans la politique halieutique ? À Concarneau, un navire de l'Ifremer ne navigue plus et reste à quai. Je m'interroge sur le saumon : n'y a-t-il pas une menace sur l'approvisionnement. Les Norvégiens semblent ne plus pouvoir produire davantage. Concernant la pêche hauturière dans l'Océan indien autour des Kerguelen, les Japonais ont-ils une activité prédatrice sur la ressource halieutique et quels sont les contrôles ? Je souhaiterais aussi rappeler que le premier port thonier est à Concarneau, mais grâce aux prises en Atlantique Sud et dans l'Océan indien. Concernant le Brexit, les anglais pêchent-ils aussi dans les eaux françaises ? Enfin, concernant l'aquaculture, il ne faut pas oublier qu'une des raisons de son absence de développement réside dans l'opposition des riverains aux fermes aquacoles.

M. Yannick Vaugrenard. - Le FEAMP est en augmentation de 70 % pour la période 2014-2020, mais on a dépensé seulement 25 à 28 millions d'euros. La France dispose de la deuxième enveloppe européenne. Comment faire pour engager effectivement ces fonds. La première réévaluation des fonds européens aura lieu début 2017. Les comités État-région doivent se réunir pour faire un point mois après mois. J'avais écrit avec Gérard César un rapport sur la façade Atlantique. Il serait intéressant de rencontrer le ministre Alain Vidalies pour faire un point sur les enjeux de pêche, de transports, et de façade maritime.

M. Michel Magras. - Il est temps que la France décide des orientations de sa politique sur sa zone économique exclusive. C'est en outre-mer que cette zone est le plus étendue. Un rapport avait été fait par le Sénat sur ce sujet il y a quelques années. Il faut maintenant décider. À la Réunion, les quotas de légine, attribués par l'Union européenne, sont exploités par des navires basés à la Réunion mais travaillant aux Seychelles. Dans le Pacifique, toute la politique de pêche est dictée par la Chine. La France défend-elle ses intérêts ? Concernant la zone caraïbe, j'attire votre attention sur les initiatives des Coréens. Ceux-ci veulent investir pour exploiter les eaux poissonneuses de la zone. Lors d'une rencontre à Cuba, ceux-ci m'ont exprimé clairement leur projet. Or, les États de la zone Caraïbe doivent pouvoir décider librement de ce qu'ils veulent faire de leur espace maritime commun. Quelle est la position de la France ? Je trouve notre pays très absent.

M. Jean-Jacques Lasserre. - Concernant l'aquaculture et les fermes marines, je suis étonné que l'on ne mette pas l'accent sur les questions d'origine et de qualité. Nous devons être exigeants. La pisciculture du delta du Mékong me semble préoccupante. Concernant les contrôles, l'Union européenne devrait renforcer ses exigences : certains navires étrangers ne sont pas contrôlés. Au demeurant, les professionnels ont pu constater que les quotas ont amélioré la ressource. Enfin, j'attire votre attention sur le fait que les espagnols achètent les navires français pour avoir accès aux quotas français, mais ils ont la liberté de débarquer leurs prises en France ou en Espagne. Or, nos criées doivent être préservées. L'interdiction de subventions publiques constitue un handicap.

M. Michel Le Scouarnec, rapporteur pour avis. - Certains navires d'occasion ne coûtent que 400 à 500 000 euros, mais si le patron-pêcheur veut pouvoir disposer des antériorités du navire dans la distribution des quotas, le coût peut être élevé. Il faut éviter d'aller vers des quotas individuels transférables, qui renchérissent l'accès à la ressource.

L'embellie en matière de prix du pétrole est une opportunité pour les pêcheurs. Il faut en profiter pour moderniser la flotte, notamment en rénovant les navires, en les rendant aussi plus confortables pour l'équipage afin de rendre l'activité de pêche plus attractive.

Le règlement sur la pêche en eau profonde a été adopté par le Parlement européen et doit être appliqué.

La surmortalité des huîtres est multifactorielle, et tient aussi à la pollution des eaux littorales, notamment avec la multiplication des stations d'épuration, due à l'augmentation de la population dans les zones littorales. Les huîtres triploïdes sont affectées mais aussi les huîtres diploïdes.

La surmortalité des moules s'explique vraisemblablement par des facteurs génétiques. L'Ifremer, doit nous éclairer.

L'Ifremer est en effet l'organisme de recherche de référence, doté d'un budget annuel de 210 millions d'euros. Je regrette toutefois la fermeture de la station Ifremer de La-Trinité-sur-Mer, dont l'activité a été transférée à Brest.

Concernant la régulation des pêches hors des eaux européennes, la France participe à des instances internationales de recherche et de gestion spécialisées.

Concernant l'aquaculture, on ne peut qu'être désolé de son absence de développement, mais l'opposition des populations constitue un réel obstacle.

Concernant le FEAMP, il convient d'accélérer la mise à disposition des crédits. Les régions sont aussi un levier important, car elles disposent de la moitié de l'enveloppe.

Concernant les Seychelles, les enjeux de fiscalité pèsent aussi sur les choix de localisation des entreprises de pêche.

La commission décide de réserver son avis jusqu'à l'audition de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer.

Nomination d'un rapporteur

M. Michel Magras est nommé rapporteur sur la proposition de résolution européenne n°65 (2016-2017) présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques.

La réunion est close à 11 heures.