Mercredi 5 octobre 2016

- Présidence de Hervé Maurey, président -

Renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils - Examen du rapport et du texte de la commission

La réunion est ouverte à 09 h 35.

M. Hervé Maurey, président. - Nous examinons ce matin, en deuxième lecture, le rapport sur la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils dont trois de nos collègues sont à l'origine : MM. Pintat, Gautier et Fouché.

Cette initiative parlementaire est importante aux yeux du Gouvernement puisqu'il a décidé de l'inscrire à l'ordre du jour d'une semaine qui lui est réservé. Ce sera jeudi 13 octobre, dans l'après-midi ou en fin de journée. Certes, cette inscription intervient un peu rapidement après l'examen à l'Assemblée nationale la semaine dernière, mais notre rapporteur a parfaitement pris la mesure du sujet dès la première lecture et nous abordons donc cet examen dans de bonnes conditions.

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - La proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils a été déposée le 25 mars 2016 par nos collègues Xavier Pintat, Jacques Gautier et Alain Fouché. Ce texte tire les conséquences d'un rapport réalisé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) à la demande du Parlement et publié le 20 octobre 2015 sur les risques et menaces liés à l'essor des drones aériens civils en France.

Ce texte avait été examiné en première lecture par le Sénat le 11 mai par notre commission et le 17 mai en séance publique. Il avait fait l'objet d'un travail de réécriture qui en conservait l'esprit, tout en veillant à entraver le moins possible le développement de cette filière prometteuse. L'Assemblée nationale a examiné cette proposition de loi le 20 septembre en commission et le 27 septembre en séance publique. Les députés ont apporté quelques compléments sans remettre en cause la philosophie générale du dispositif, qui s'appuie sur quatre piliers : l'information, la formation, l'enregistrement/l'immatriculation, et le signalement.

Les modifications introduites par les députés sont de quatre ordres. En premier lieu, une grande partie des débats à l'Assemblée est issue de la volonté de la rapporteure Marie Le Vern, de préciser directement dans la loi le niveau à partir duquel les différents dispositifs auront vocation à s'appliquer. À l'article 1er, les députés ont ainsi prévu un seuil à 25 kilogrammes, qui déclenche l'obligation d'immatriculation des drones. Ce seuil, qui correspond à la limite historique du monde de l'aéromodélisme classique et a servi de base à l'harmonisation des règles en Europe, ne pose pas de difficulté particulière.

Les discussions ont davantage porté sur le plafonnement à 800 grammes du seuil défini par le pouvoir réglementaire pour les obligations d'enregistrement (article 1er), de formation (article 2) et de signalement/limitation de capacités (article 4). Autrement dit, le pouvoir réglementaire conserve la possibilité de fixer des seuils inférieurs différenciés, mais à défaut chaque obligation s'applique au-delà de 800 grammes. Ce choix est clairement assumé par la rapporteure pour anticiper d'éventuelles carences du pouvoir réglementaire.

Ensuite, les députés ont renforcé les garanties techniques de sûreté et de sécurité, avec les dispositifs de signalement et de limitation prévus à l'article 4. Ils ont souhaité que le dispositif de signalement puisse être non seulement électronique mais également numérique, dans la mesure où il n'existe pas encore de consensus sur le choix des technologies à mettre en oeuvre : ils laissent ainsi toutes les options ouvertes. Le signalement numérique présente l'avantage de passer par le réseau, par exemple par le smartphone de l'utilisateur, et non par une balise supplémentaire. Il est donc plus simple à mettre en oeuvre en attendant le développement de transpondeurs.

Les députés ont également privilégié la référence à un dispositif de limitation de capacités plutôt que de performances pour inclure plus explicitement les systèmes de geofencing (ou « barriérage électronique ») visant à empêcher le survol de certaines zones. Ils ont aussi imposé la mise en place d'un dispositif de signalement sonore permettant d'alerter les personnes se trouvant sur la trajectoire d'un drone en cas de perte de contrôle du télépilote.

En troisième lieu, les députés ont accordé une attention particulière aux contraintes de l'aéromodélisme, une pratique ancienne qui diffère du dronisme grand public. En règle générale, l'aéromodéliste est un passionné d'aéronautique qui aime faire voler les appareils qu'il construit, alors que le droniste est davantage attiré par le pilotage ludique ou l'usage d'instruments embarqués comme les caméras. En grande majorité, l'aéromodélisme se pratique en club sur des sites déclarés auprès de la DGAC. Les appareils sont pilotés uniquement en vue directe, alors que la vue immersive (FPS) se développe de plus en plus pour les drones de loisir. Pour autant, la définition juridique de l' « aéronef circulant sans personne à bord » ne permet pas de distinguer le drone de l'aéromodèle en droit français, d'où la nécessité d'opérer des distinctions en fonction de l'usage. Ainsi, l'article 2 a été modifié pour garantir que les aéromodélistes ne soient pas soumis à une double obligation de formation, dans la mesure où ceux-ci sont déjà formés dans le cadre de leurs clubs : un mécanisme de reconnaissance par équivalence de leur formation est donc prévu.

À l'article 4, les aéromodélistes ont été exonérés explicitement de l'obligation de s'équiper des dispositifs de signalement et de limitation de capacités quand ils pratiquent leur activité dans un cadre agréé et dans des zones identifiées à cet effet : il ne s'agit plus d'une simple faculté mais d'une dérogation garantie.

Enfin, les députés ont précisé que les aéronefs « sont équipés » du dispositif de limitation de capacités, qui ne doit plus nécessairement être « emporté » : cette modification sémantique satisfait les contraintes des aéromodélistes, qui pourront ainsi intégrer le dispositif dans la télécommande plutôt que dans l'appareil, dans la mesure où celui-ci est rarement équipé d'un calculateur embarqué - le pilotage s'effectue par action directe sur les gouvernes -, contrairement aux drones.

Ces dérogations ne s'appliqueront automatiquement qu'aux aéromodélistes pratiquant leur activité sur les sites déclarés à la DGAC. Pour les autres, à l'instar des planeurs de vol de pente, un décret en Conseil d'État viendra préciser les exemptions applicables.

En dernier lieu, les députés ont adopté une série de mesures concernant l'application des nouvelles obligations nées de la proposition de loi au parc de drones déjà existant, conscients qu'un retour en usine généralisé serait parfaitement irréalisable. À l'article 3, ils ont adopté un amendement présenté par la rapporteure qui étend l'obligation d'information au vendeur d'un drone d'occasion. La notice étant téléchargeable en ligne, cette contrainte est assez aisée à satisfaire pour un particulier et permet de s'assurer d'une diffusion des principes et règles en vigueur à l'occasion de chaque transaction.

À l'article 4, ils ont décalé l'entrée en vigueur des nouveaux dispositifs de signalement et de limitation de capacités au 1er juillet 2018 pour les drones neufs et au 1er janvier 2019 pour les drones en circulation enregistrés, afin de permettre aux fabricants d'adapter leurs chaînes de production matérielles et logicielles et de laisser aux particuliers un délai supplémentaire pour s'équiper des modules qui auront été spécifiquement conçus.

En ce qui concerne plus particulièrement le dispositif de signalement sonore, un amendement de la rapporteure a été adopté pour éviter que cette obligation ne s'applique aux drones enregistrés avant le 1er juillet 2018 : leurs propriétaires seront ainsi exonérés de cette mesure.

J'émets deux principales réserves sur ces mesures.

La première porte sur le niveau arbitrairement retenu pour le plafonnement des seuils réglementaires à 800 grammes. Lors de la première lecture, j'avais délibérément souhaité que ces seuils d'application ne soient pas définis dans la loi, car il s'agit d'une compétence manifestement réglementaire. De plus, le niveau de ces seuils est lui-même sujet à débat : le seuil de 250 grammes, à partir duquel un drone est capable de voler en extérieur, a été retenu par les États-Unis et le Danemark ; le seuil de 1 kg correspond à la capacité d'emport d'un drone équipé d'une grenade légère, et est par exemple retenu par l'Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) pour distinguer les drones jouets des autres engins. Enfin, la miniaturisation croissante des appareils conduit naturellement à vouloir conserver une certaine souplesse dans la réglementation.

Dans l'hypothèse, plus que probable, où le pouvoir réglementaire tarderait à prendre les mesures réglementaires d'application, le plafonnement à 800 grammes retenu par les députés, présente l'intérêt de fixer une référence pour les constructeurs, et contribue à la sécurité juridique. En effet, d'après les informations communiquées par l'administration, si l'arrêté relatif à la formation et aux compétences des télépilotes de drones professionnels pourrait paraître prochainement, il n'en va pas de même pour les autres textes réglementaires d'application, pour lesquels aucune perspective n'a été fournie à ce stade. On peut le déplorer mais c'est une réalité dont il faut tenir compte.

Pour autant, l'inscription d'un tel plafonnement dans la loi pourrait éventuellement nécessiter sa révision prochaine. Certes, la réglementation européenne ne devrait probablement pas voir le jour avant 2018 : le Parlement européen examinera en première lecture un projet de règlement vers la fin de l'année. Il sera ensuite complété par des règles de l'Agence européenne de sécurité aérienne, qui fixeront certainement des seuils en fonction de plusieurs paramètres (poids, altitude, utilisation, vitesse). Si ces règles contredisent les nôtres, elles pourraient entraîner un réexamen de notre législation, qu'un renvoi au décret aurait permis d'éviter.

Au-delà de ces considérations juridiques, les débats à l'Assemblée ont montré toute la difficulté de retenir un niveau arbitraire sans réel fondement scientifique. De fait, la rapporteure présente ce plafonnement comme celui permettant de cibler a minima les 10% d'appareils les plus dangereux : d'après elle, un plafonnement à 1 kilo ne permettrait de cibler que 6% des appareils, et priverait la loi de toute portée utile. Elle suggère également que ce plafonnement correspond à une rupture de gamme, et donc de prix, entre les drones très grand public et les autres. Je n'approuve pas ce raisonnement, dans la mesure où, par exemple, le Parrot Disco (750 grammes - 1299 €) est sensiblement au même prix que le DJI Phantom 4 (1380 grammes - 1399 €).

Surtout, bien que je soutienne l'industrie française, en particulier lorsqu'elle est en pointe dans des secteurs innovants, je m'inquiète du fait que ce plafonnement arbitraire à 800 grammes puisse être trop facilement qualifié de protectionniste. En effet, les modèles phares de Parrot, notre champion national, sont systématiquement en-dessous du seuil : le quadricoptère Bebop 2 pèse 500 grammes et la nouvelle aile Disco pèse 750 grammes. A contrario, les produits grand public du chinois DJI sont systématiquement au-dessus : le Phantom 3 pèse 1280 grammes et le Phantom 4 pèse 1380 grammes. Certes, DJI vient de sortir un nouveau modèle Mavic qui pèse 743 grammes, mais il n'est pas certain que cela suffise à convaincre de la neutralité du choix de 800 grammes.

Enfin, un plafonnement uniforme à 800 grammes laisse entendre que le seuil réglementaire pourrait être le même pour les différentes obligations d'enregistrement, de formation et de signalement/limitation de capacités. Ceci est contraire à l'esprit initial de la proposition de loi, qui vise à mettre en place une série d'obligations croissantes en fonction de la dangerosité potentielle du drone utilisé, en général corrélée à son poids. Il ne serait pas aberrant que l'obligation d'enregistrement s'impose à tous les drones capables de voler en extérieur (soit au-dessus de 250 grammes) et que le signalement électronique ne concerne que les plus lourds (au-dessus de 800 grammes par exemple).

Ma seconde réserve porte sur l'utilité réelle du dispositif de signalement sonore en cas de perte de contrôle, qui risque au contraire d'accroître les risques par d'éventuels déclenchements intempestifs susceptibles de perturber le télépilote. Comment distinguer une perte de contrôle d'une figure de voltige ? De plus, les drones réellement silencieux sont rares, on entend en général le bourdonnement des rotors ou le sifflement du déplacement dans l'air, ce qui dans les faits suffit généralement à attirer l'attention des personnes à proximité. Surtout, il faudrait prévoir un type de système sonore qui serait encore capable de fonctionner si tous les systèmes électriques étaient en panne sur le drone en train de tomber.

Néanmoins, la mise en oeuvre de cette mesure ne constitue pas une contrainte insurmontable pour les industriels du secteur, d'autant plus qu'il n'y aura pas d'obligation rétroactive d'équipement pour les drones déjà enregistrés au 1er juillet 2018.

Au final, l'intérêt d'une entrée en vigueur rapide du texte l'emporte sur ces quelques réserves et justifie des concessions. Nous sommes au terme d'une année d'échanges depuis la publication du rapport du SGDSN, et cette proposition de loi me semble suffisamment aboutie pour être adoptée sans délai supplémentaire. Le marché du drone civil connaît une expansion fulgurante et chaque mois écoulé rend sa régulation d'autant plus difficile que nécessaire. Le législateur se doit d'être réactif : il est à l'honneur du Sénat d'être en mesure de proposer, d'examiner et de faire aboutir, en un temps record et sans procédure accélérée, un texte sur un domaine innovant, dans lequel la France excelle.

L'engouement de nos concitoyens ne tarit pas : le succès du Paris Drone Festival, qui s'est déroulé le 4 septembre sur les Champs Élysées en témoigne. Je me plais à imaginer que cet événement pourra devenir un rendez-vous majeur de la communauté droniste mondiale : il contribuera au rayonnement de Paris, en tant que capitale du drone, et de la France, un pays qui invente l'avenir. Toujours est-il que le besoin d'une réglementation et d'une information claires est exprimé par le grand public, qui peine à s'y retrouver dans les textes actuels.

En même temps, la concurrence entre les fabricants ne cesse de s'intensifier. Parrot a publié, le 23 septembre dernier, un avertissement sur ses revenus 2016. Le marché est en pleine mutation : certains acteurs comme DJI avec le Mavic Pro ou GoPro avec le Karma, s'implantent sur le même segment que Parrot, à savoir les drones de moyenne gamme (comme le BeBop 2). Ces industriels ont besoin de connaître rapidement les nouvelles normes qui vont s'imposer, afin d'anticiper d'ores et déjà les évolutions de leurs prochains modèles.

Enfin, la menace sécuritaire ne diminue pas, dans un contexte où le risque terroriste reste malheureusement élevé. La probabilité d'un accident grave (chute d'un drone sur un passant, collision avec un avion ou un hélicoptère) s'accroît également à mesure que l'usage des drones civils se répand. Or le moindre incident, outre ses conséquences potentiellement dramatiques, risque de porter un coup d'arrêt au développement de la filière.

Par conséquent, cette proposition de loi apporte une réponse attendue aux préoccupations exprimées par l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des fabricants, des utilisateurs, des tiers, ou de l'administration. Elle propose une réglementation équilibrée, permettant de conjuguer les exigences de sécurité et l'essor du marché. Pour cette raison, je suis favorable à son adoption conforme par le Sénat, en dépit des quelques réserves soulevées. L'absence d'amendements déposés témoigne d'ailleurs du caractère consensuel de cette position. Il ne reste qu'à espérer que notre travail puisse inspirer les réflexions en cours au niveau européen.

J'ai participé à un séminaire sur les drones le 12 septembre au Sénat, organisé par le Conseil pour les drones civils, et j'ai exprimé le souhait que des parlementaires y soient nommés. Le Conseil a approuvé ma demande.

M. Hervé Maurey, président. - Merci pour ce rapport très précis. J'approuve la solution pragmatique du vote conforme que notre rapporteur nous propose, même si je partage ses réserves. Le vote conforme est néanmoins souhaitable pour que la réglementation s'applique le plus vite possible.

M. Jean-Yves Roux. - Combien la France compte-t-elle de drones publics et privés ? Le président de la région PACA a annoncé hier qu'il allait proposer aux éleveurs d'acheter des drones pour suivre les loups dans les montagnes.

À l'occasion de la mission d'information sur l'inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles, nous avons évoqué la nécessaire traçabilité des composants : est-il envisagé de recycler les drones en fin de vie ?

Mme Évelyne Didier. - Cette question est effectivement importante. Une fois le drone hors d'usage, ses composants devront être recyclés.

Puisque Sénat et Assemblée sont d'accord, le vote conforme s'impose. Je partage les réticences de notre rapporteur sur la question des seuils : affirmons les principes dans la loi mais laissons les problèmes techniques au pouvoir règlementaire, d'autant que nous sommes incapables de savoir ce qu'il en sera de l'évolution des drones dans les quelques années à venir.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous invite en effet à lire les intéressantes conclusions de la mission d'information sur les composants des téléphones mobiles. Je parle sous le contrôle de M. Longeot qui a présidé cette mission.

Mme Nelly Tocqueville. - Quelle sera la formation des formateurs ? L'article 2 prévoit un décret : que savez-vous de son contenu ? Qui certifiera les capacités du formateur à délivrer des formations ? Comment vérifiera-t-on qu'un pilote de drone a bien été formé ?

M. Jean-Jacques Filleul. - Cette proposition de loi est importante : nous l'avons votée en première lecture après l'avoir enrichie d'amendements consensuels et l'Assemblée nationale a renforcé l'encadrement juridique des drones dont l'évolution technologique est rapide et difficilement contrôlable.

Je félicite notre rapporteur pour sa sagesse : malgré quelques réserves compréhensibles, il nous propose un vote conforme pour légiférer rapidement. J'espère que les pays européens - et pourquoi pas les États-Unis - nous suivront sur cette voie.

M. Didier Mandelli. - J'ai été interpellé par un président de club d'aéromodélisme qui souhaite continuer à bénéficier des conditions d'utilisation de l'espace aérien selon l'arrêté du 17 décembre 2015. Il demande la modification de l'article 4 pour prévoir une exemption des appareils d'aéromodélisme. Que puis-je lui répondre ?

M. Louis Nègre. - Ce rapport exhaustif nous a permis d'apprendre beaucoup sur le sujet. Je me félicite que des parlementaires puissent faire partie du Conseil pour les drones civils.

Comme notre rapporteur, je regrette que la loi fixe un seuil pour le poids des drones. Quel manque de souplesse alors que les évolutions technologiques sont extrêmement rapides ! En outre, n'oublions pas de prendre en compte le risque terroriste qui tirera profit des avancées technologiques en ce domaine.

Néanmoins, le vote conforme s'impose pour donner rapidement à l'industrie et aux utilisateurs un cadre légal. Je regrette en revanche l'absence de politique industrielle européenne. Quel dommage que chaque pays définisse ses propres normes !

Mme Annick Billon. - M. Mandelli a posé la question que je voulais poser, ce qui prouve que l'information circule bien en Vendée. L'aéromodélisme n'a rien à voir avec les drones : les techniques de pilotage sont bien différentes. L'aéromodélisme compte 100 000 pratiquants : veillons à ne pas les mettre en danger avec ce texte.

M. Alain Fouché. - J'ai suivi ce dossier de près et j'ai eu divers contacts avec EDF. Pour les centrales nucléaires, les risques que présentent les drones sont moindres que les changements climatiques attendus, avec des vents qui pourraient atteindre 300 km/h.

Que prévoyez-vous pour interdire le survol et les prises de vues à répétition des propriétés privées ? Il s'agit d'une atteinte intolérable à la vie privée.

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Au 31 décembre 2015, la France comptait environ 200 000 drones, mais les chiffres ne sont pas totalement fiables, car il s'agit juste d'extrapolations à partir des chiffres d'affaires des industriels de cette filière. Le coût moyen des Parrot est de 800 euros et des DJI de 1 400 euros.

La proposition de loi n'a pas abordé la question du recyclage, mais il s'agit de composants classiques dont le traitement devra bien évidemment être prévu.

Le seuil de 800 grammes n'était pas souhaité par le ministère des transports, mais nous avons dû l'accepter. En effet, si cette proposition de loi n'était pas adoptée conforme, nous ne pourrions l'adopter définitivement avant plusieurs mois. En outre, je rappelle que les 800 grammes sont un maximum que le pouvoir réglementaire peut réduire et différencier pour tenir compte des spécificités de l'enregistrement, de la formation et du signalement. Le ministère ne sait toujours pas s'il va imposer un ou plusieurs seuils pour l'ensemble des obligations.

La formation se ferait sous forme d'un tutoriel en ligne au moment de l'enregistrement, l'objectif étant de faire connaître la réglementation en vigueur.

Le texte de l'Assemblée a plutôt sécurisé les pratiquants d'aéromodélisme en prévoyant une exemption pour le vol sur les sites référencés auprès de la DGAC. Pour les vols libres, un décret devrait régler la question, notamment pour les vols en pente. Le lobbyisme actuel s'explique sans doute par l'élection prochaine du président de la Fédération française d'aéromodélisme.

Le Parlement européen débattra d'ici la fin de l'année de normes communautaires pour les drones. J'espère que cette loi servira de référence pour cette future réglementation européenne.

Enfin, M. Pozzo di Borgo avait déposé en première lecture un amendement concernant l'atteinte à la vie privée, mais il l'avait retiré car le code pénal réprime déjà ces délits.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous propose donc de voter le texte en l'état. Des amendements pourront ensuite être déposés et examinés en séance pour faire vivre le débat.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Communications diverses

M. Hervé Maurey, président. - Nous allons procéder à l'audition de M. Vidalies à 16h30. Il nous parlera de l'actualité qui relève de son ministère, à savoir le sauvetage d'Alstom, la dette de la SNCF, le nouveau plan autoroutier avec l'augmentation des péages, le référé de la Cour des comptes sur la situation de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Nous n'évoquerons donc pas à ce stade les crédits budgétaires pour 2017.

Des journalistes m'ont dit que les tunnels de questions sont souvent indigestes : le bureau de la commission a donc souhaité mettre en oeuvre une formule plus dynamique s'inspirant des questions au Gouvernement : chaque sénateur disposera de deux minutes pour poser sa question et, une fois la réponse du ministre donnée, il pourra éventuellement lui répliquer très rapidement.

M. Jérôme Bignon. - Je souhaite demander au ministre ce qu'il en est du canal Seine - Nord. C'est un sujet d'actualité à 5 milliards !

M. Alain Fouché. - Pourra-t-on aborder la question de la sécurité dans les transports ?

M. Hervé Maurey, président. - Le mieux serait que chaque groupe se concerte sur les sujets qu'il souhaite aborder. Le but est d'avoir un échange interactif avec le ministre et d'éviter le long tunnel des questions, souvent frustrant pour les sénateurs, et qui donne une mauvaise image de nos travaux lorsque nos réunions sont ouvertes à la presse.

La réunion est levée à 10h10.

Projet de loi de finances pour 2017 - Nomination d'un rapporteur pour avis

Mme Nelly Tocqueville est désignée rapporteure pour avis pour la mission « Recherche et enseignement supérieur » - Recherche en matière de développement durable, en remplacement de Mme Odette Herviaux.

Audition de M. Alain Vidalies, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche

La réunion est reprise à 16 h 30.

M. Hervé Maurey, président. - L'ordre du jour appelle l'audition de M. Alain Vidalies. Monsieur le Ministre, je vous remercie d'avoir accepté cette audition car nous souhaitions vous entendre sur une actualité particulièrement dense dans le domaine des transports. Il y a bien sûr le dossier Alstom, la question de la non-reprise de la dette de la SNCF, celle du financement du Charles de Gaulle Express, le nouveau plan autoroutier dont vous avez parlé il y a quelques semaines et qui implique une augmentation des tarifs, et enfin le rapport rendu par la Cour des comptes sur la situation de l'Afitf. Les sujets ne manquent pas !

Sans entrer dans le détail, je souhaiterais rappeler la situation de la SNCF. A la demande du Gouvernement, la réforme sociale qui était en cours avant l'été a été enterrée alors que le Premier Ministre avait annoncé, dans le même temps, à l'Assemblée nationale que la dette serait allégée et qu'un rapport serait rendu public en ce sens au mois d'août. Or, la dette s'élève à cinquante milliards d'euros et enregistre une progression de plus de deux milliards d'euros et demi par an. Cet allégement n'a pas eu lieu puisque dans le rapport rendu par le Gouvernement le 19 septembre dernier, il a été décidé de réviser cela une fois le contrat de performance mis en oeuvre, or celui-ci n'existe pas encore. La question de la SNCF reste d'autant plus prégnante que la règle d'or, fixée à la fois par la loi de réforme ferroviaire et la loi dite Macron, n'est pas encore entrée en vigueur, faute de décret d'application. D'ailleurs, avant même que ce dernier soit pris, le Gouvernement a fait adopter la semaine dernière à l'Assemblée nationale un amendement mentionnant la possibilité pour la SNCF de participer au financement du Charles de Gaulle-Express, sans présager du calcul conduit en vertu de cette nouvelle règle. On déroge à un principe avant même de le mettre en oeuvre ! En outre, il a été annoncé hier que la SNCF participerait également au sauvetage d'Alstom alors que je ne suis pas convaincu qu'elle soit capable de le faire.

Un certain nombre de mes collègues devraient vous interroger sur Alstom. Que dire de l'achat de TGV qui ne pourront circuler sur des voies adaptées! Une telle situation prêterait à sourire si ces rames n'étaient pas deux fois plus chères que celles des autres trains et si leurs coûts de fonctionnement n'étaient pas de 30 % supérieurs. De même, faire acheter à la SNCF des trains pour la ligne Paris-Turin qui devrait être opérationnelle, au plus tôt, en 2030, pourrait prêter à sourire, s'il n'y avait pas autant d'argent en cause.

Je ne développerai pas la question des péages autoroutiers puisqu'il y a encore quelques mois, on évoquait leur gratuité alors qu'on va en définitive demander encore plus aux usagers. Je ne mentionnerai pas non plus le rapport de la Cour des comptes sur l'Afitf qui souligne un problème de financement global des infrastructures ; nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir tout à l'heure.

M. Alain Vidalies, Secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche. - Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, j'ai répondu naturellement à votre invitation tant l'actualité du ministère est dense.

J'en viens au premier sujet que vous avez abordé et qui concerne le nouveau plan de relance autoroutier. En 2015, au terme d'une intense négociation en lien étroit avec les parlementaires, le Gouvernement a pris la décision d'engager un plan de relance autoroutier pour un montant de 3,27 milliards d'euros, qui prévoyait la réalisation de nouveaux investissements structurants en contrepartie d'un allongement de la durée de leur concession ; choix qui avait nécessité une négociation avec la Commission européenne. Chacun sait ici que l'adossement n'est plus possible depuis longtemps et que la question de l'allongement suppose l'accord de la Commission. Dans le cadre du plan de relance 2015, une vingtaine d'opérations sont déjà en cours de réalisation. Je vous rappelle que 55 % du montant des travaux doivent être réservés à des PME et que les conditions de contrôle des marchés font que, pour la première fois, une grande entreprise concessionnaire qui exécute par ailleurs des travaux n'a pas été l'adjudicataire de ses propres travaux.

Cette négociation, conclue par un protocole signé le 9 avril 2015, a également conduit à l'engagement des concessionnaires pour non seulement des tarifs mais aussi pour le versement au budget de l'Afitf d'un milliard d'euros étalé par tranches de cent millions d'euros au moins durant les trois premières années. Cette négociation a eu enfin pour résultat de « durcir » le cadre des contrats et de leur contrôle : de nouvelles compétences de contrôle ont été confiées à l'Arafer et des clauses beaucoup plus sévères de limitation de rentabilité ont été incluses, ce qui n'avait pas été fait au moment de la privatisation et a entraîné tout le débat que nous avons connu. Effectivement, les intérêts de l'État, compte tenu de l'évolution des marchés et des recettes, n'étaient pas contractuellement protégés. Les accusations de sur-rentabilité des concessionnaires sont désormais évincées, car toute rentabilité supérieure aux limites prévues au contrat occasionnera soit une restitution en limitation ou une baisse de tarif, soit une réduction de la durée des concessions. Tel est le nouveau régime contractuel que nous avons imposé dans ce plan.

J'ai également entendu des reproches d'opacité. Tous les éléments que j'ai mentionnés sont parfaitement publics puisqu'ils ont fait l'objet d'avenants aux contrats de concession lesquels ont fait l'objet de décrets publiés et parfaitement consultables. Cet été, le Président de la République a annoncé un nouveau plan d'investissement autoroutier. Sur quelles bases ? Le Ministère des transports est saisi depuis plusieurs années de demandes réitérées de collectivités locales appuyées en général par les parlementaires, toutes tendances confondues, de construction de nouveaux échangeurs pour desservir les territoires. Ces demandes sont parfaitement justifiées, car elles concernent des situations qui ont évolué physiquement depuis la construction des autoroutes. Ainsi, pour des agglomérations, les collectivités territoriales demandent désormais la construction de nouveaux échangeurs. Je pense à Nantes, Vienne et Agen et je pourrais en citer d'autres. Jusqu'à présent, la seule réponse que l'État pouvait apporter se limitait à la validation du dossier technique du concessionnaire. Il précisait aux élus concernés que les études et travaux étaient entièrement à la charge des collectivités locales puisqu'on se situait en dehors du contrat de concession et qu'on ne pouvait, sur ces nouvelles opérations, obliger le concessionnaire à le faire tout seul. Souvent, les collectivités locales finançaient les études mais une fois ces dernières réalisées, achoppaient sur la question du financement des travaux. Au moment où le Président de la République fait cette annonce, des travaux doivent être conduits à la demande des collectivités locales et être financés d'une manière assez simple. Les demandes sont d'ailleurs claires et justifiées : elles exposent de réels problèmes de circulation à l'instar de poids lourds traversant des zones urbanisées. De telles situations n'existaient pas au moment de la signature du contrat de concession. Il s'agit bel et bien de demandes des collectivités locales qui sont très fortes et s'appuient sur des dossiers souvent avancés dont l'opportunité pour la desserte et l'activité économique locale est avérée. En outre, ce milliard d'euros de travaux est utile à l'activité économique et l'emploi, dans un contexte difficile pour le secteur des travaux publics. Une telle somme représente également la création de cinq mille emplois, conformément à la grille utilisée lors du précédent plan. La question se pose cependant de la mobilisation de fonds suffisants. Une discussion a lieu entre les collectivités locales et les concessionnaires par l'intermédiaire des préfets de région que j'ai missionnés pour arriver à un partage des tâches. Comment les concessionnaires peuvent-ils payer leur part ? Soit via l'allongement des concessions alors qu'il faut environ deux ans pour négocier avec la Commission européenne, soit par l'augmentation des tarifs. Nous avons choisi - et nous assumons notre choix - l'augmentation des tarifs qui permettra aux sociétés concessionnaires de payer leur part pour les échangeurs. Que représente une telle hausse de 0,3 % pour les clients ? Une augmentation maximale de quelques dizaines de centimes sur un trajet. Pour un Paris-Lyon, cela représente par exemple 40 centimes de plus en 2020, pour un trajet qui coûte aujourd'hui 33,70 euros. Sur un Bordeaux-Rennes, cela représente 30 centimes sur un trajet de 25 euros actuellement. Il peut certes y avoir une position dogmatique à l'encontre de toute forme d'augmentation, mais des compensations demeurent. Lorsque ces trois éléments ont été réunis, à savoir répondre enfin à des demandes anciennes, portées et réitérées par les collectivités locales, toutes tendances confondues, fixer un objectif d'activités pour les travaux publics à hauteur d'un milliard d'euros et arrêter un plan contenant des projets mâtures qui ont d'ores et déjà franchi le stade des études de réalisation, nous avons pris la décision de faire ce plan. Je dois dire que depuis son annonce, nous avons reçu de nouvelles demandes.

Concernant la négociation sociale sur le ferroviaire, la branche ferroviaire, qui rassemble des acteurs publics et privés, en raison notamment de l'ouverture du fret à la concurrence depuis plus d'une décennie, et la SNCF ont engagé au printemps 2016 un dialogue avec les partenaires sociaux sur l'élaboration d'un cadre social commun à toutes les entreprises du secteur ferroviaire. Ce dialogue s'est conclu en juin par trois actes simultanés, car il était indispensable que chaque discussion à son niveau ne reportât pas la responsabilité sur la négociation parallèle : la publication du "décret socle", la signature d'un accord de branche commun aux secteurs public et privé, et d'un accord d'entreprise à la SNCF. Ce cadre social avec ses trois niveaux a été mené à bien avant l'échéance du 1er juillet 2016 prévue par la loi. Il conduit à assurer, d'une part, un socle de dispositions d'ordre public qui fixe les règles de temps de travail indispensables pour assurer la sécurité des circulations et des travailleurs et la continuité du service, conformément à l'objectif donné par la loi au décret socle. Il permet, d'autre part, de décliner ces règles pour l'ensemble des entreprises ferroviaires, groupe public et entreprises privées, de façon à ce que la concurrence au sein du monde ferroviaire ne se fasse pas par du dumping social, mais au sein d'un nouvel équilibre économique ; ce qui a été accepté par toutes les entreprises au sein de l'UTP. Enfin, il précise les modalités d'évolution au sein du groupe public SNCF, sachant que la loi de réforme ferroviaire avait acté le remplacement du régime interne dit RH 077 qui était un acte réglementaire. Un nouvel accord d'entreprise a ainsi été signé par les seuls syndicats réformistes et va entrer en application le 11 décembre prochain, puisqu'aucune forme d'opposition majoritaire n'a été formulée. Contrairement à ce qui a pu être dit et écrit, la direction de l'entreprise a été présente à mes côtés à tous les moments de cette négociation. Cet accord induit des possibilités de souplesse par accord locaux, mais la durée du travail n'est pas le seul sujet de discussion entre partenaires sociaux au sein de la SNCF. Enfin, à partir de l'accord de branche, des négociations pour des accords d'entreprise ont aussi lieu dans les entreprises privées, en revivifiant le dialogue social dans ce secteur.

Les acquis de cette négociation sont, d'une part, le passage du domaine règlementaire ancien à un domaine conventionnel, qui place les entreprises publiques du ferroviaire dans le droit commun de la négociation sociale. Le rapprochement du différentiel de compétitivité dans le secteur du fret ferroviaire entre entreprises privées et opérateurs publics est un second acquis et a été rendu possible grâce à l'accord de branche qui a résulté de l'effort de dialogue des entreprises privées. Obtenir un tel accord de branche auprès de ces dernières représentait d'ailleurs une grande difficulté car il visait la réduction des écarts de compétitivité entre les secteurs public et privé où les conditions d'emplois ont été modifiées. Je veux ici remercier très sincèrement les entreprises privées de s'être inscrites dans la démarche et la cohérence de la réforme ferroviaire. Enfin, dans le cadre de l'accord d'entreprise de la SNCF figure une disposition de souplesse qui permet de conclure localement des accords majoritaires dérogatoires au cadre commun désormais contractuel, qui constitue un nouvel outil mis à disposition des partenaires sociaux dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Cette disposition sera utile aux acteurs sociaux et parfois aux élus régionaux lorsque l'ouverture à la concurrence sera à l'ordre du jour.

La lecture qui est faite de cet accord n'est pas justifiée car on est bien passé dans un cadre conventionnel et qu'un rapprochement s'est opéré entre la compétitivité entre le privé et le public, comme le démontre l'accord signé par les entreprises privées et la négociation demeure ouverte dans l'accord signé par la SNCF. Monsieur le Président, vous avez évoqué le rapport stratégique d'orientation du Gouvernement sur le système ferroviaire. Celui-ci, prévu par la loi, a été présenté le 14 septembre dernier au Haut Comité du système de transport ferroviaire - au sein duquel siègent des membres de la Haute assemblée - pour recueillir son avis, et sera prochainement transmis au Parlement. D'ailleurs, nous y joindrons l'ensemble des contributions et des débats auxquels il donnera lieu dans ces différentes instances.

J'en viens à la dette ferroviaire. S'agissant du rapport du Gouvernement relatif à la dette de SNCF et plus particulièrement celle de SNCF Réseau, sur lequel Monsieur le Président vous êtes revenu, nous avons abordé cette question en anticipant toutes les réponses possibles, y compris le cantonnement ou la reprise de la dette par l'État. Pour être clair, Monsieur le Président, car vos propos dans la presse ne m'ont pas échappé, je suis tout à fait prêt à entrer dans un débat de détails pour préciser l'origine de cette dette et retracer son évolution. La décision sur le financement de quatre lignes LGV a mobilisé plus de cinq milliards d'euros de ressources propres de la SNCF, ainsi que plus de six milliards d'euros du budget de l'Afitf. Aujourd'hui, sur les onze milliards d'euros qu'il faut à l'Afitf mobiliser, l'essentiel est constitué par cela. Je ne reprendrai pas un débat qui a été tranché il y a quelques années, mais il m'apparaît essentiel que chacun assume ses responsabilités.

Ces chiffres démontrent notre incapacité à financer à la fois ces investissements, dont la pertinence reste envisageable, et la maintenance du réseau existant. Devant les parlementaires experts que vous êtes, je veux reprendre une distinction que j'avais opérée au sein même des crédits affectés à la maintenance. En effet, il faut distinguer, dans ces opérations de maintenance, l'entretien de la régénération, laquelle est essentielle pour prévenir le vieillissement du réseau. A l'aune de la trajectoire financière amorcée ces dernières années, il est manifeste que, faute des crédits suffisants pour assurer ces missions, l'enveloppe globale pour la maintenance est passée entre 2007 et aujourd'hui de trois à près de cinq milliards d'euros. Mais avec cette somme de trois milliards, on a privilégié l'entretien au détriment de la régénération. C'est probablement ce déséquilibre qui a constitué un facteur de vieillissement accéléré du réseau. Nous avons essayé d'y répondre : cette année, sur un montant global de 4,9 milliards d'euros, 2,3 milliards devraient être consacrés à l'entretien courant tandis que 2,6 milliards devraient être alloués à la régénération. Cette trajectoire s'imposera à tous, quoiqu'il arrive, en raison du vieillissement du matériel.

L'évolution de la dette de SNCF Réseau constitue bien un sujet majeur de préoccupation pour le Gouvernement. Elle représente 39,3 milliards en 2015 en normes françaises. L'existence de cette dette empêche-t-elle l'activité de SNCF Réseau cette année, en termes de volume de travaux ? Il paraît difficile d'aller au-delà des cinq milliards, compte tenu des moyens humains nécessaires et de l'ouverture à la sous-traitance. Nous avons créé 500 emplois Réseau en 2015 et 350 en 2016. Il va falloir suivre une telle politique sur huit à dix ans, afin de remettre Réseau à niveau, conformément aux préconisations des experts. La perspective de reprendre une partie de la dette de Réseau appelle deux observations. La première, c'est que Réseau bénéficie de taux d'intérêt extrêmement bas et d'un système de refinancement qui s'élabore à mesure et permet une maîtrise de la dette. Mais une telle situation va-t-elle durer ? L'appréciation que nous avons portée nous paraît ainsi juste dans le contexte actuel, mais une remontée des taux d'intérêt conduirait à remettre en cause la capacité de financement de Réseau. C'est la raison pour laquelle le dernier paragraphe du rapport est consacré à la clause de revoyure qui fixe le réexamen du choix opéré dans trois ans. Monsieur le Président, nous avons eu ce débat. Mais la réponse financière indique qu'il n'est pas très intéressant pour le moment de reprendre une partie de la dette. En effet, reprendre une partie de la dette pour permettre à Réseau de fonctionner normalement est une vraie question. Prenons garde aux incohérences car on ne saurait appliquer la règle d'or pour doter Réseau de nouvelles marges d'investissement. Il n'y aurait là aucune cohérence de le justifier de ce point de vue-là ! Il faut naturellement demeurer en cohérence avec ce que le législateur a prévu.

Dans ce contexte, la « règle d'or » est l'une des principales mesures prévues par la réforme ferroviaire pour maîtriser l'endettement de SNCF Réseau. Le Conseil d'État, que nous avions saisi sur ce projet de décret, a estimé, lors d'une audience qui s'est tenue la semaine dernière, que le décret devait au préalable être soumis à l'avis de l'Arafer. Cette procédure est en cours. La publication du décret d'application interviendra d'ici la fin de l'année, dans le même calendrier que la conclusion du contrat. Quel est donc l'objectif de la règle d'or ? Le dispositif envisagé par le Gouvernement exclura toute participation de SNCF Réseau dans les projets de lignes nouvelles en tracé neuf au cours des prochaines années. On ne peut guère être plus clair car on ne saurait aggraver la situation de Réseau. Un point récent a été l'occasion de réactions politiques : l'exemption du Charles de Gaulle-Express de cette règle d'or avec une participation de Réseau à la société commune. A cet égard, j'ai fait part de mes hésitations devant l'Assemblée nationale : fallait-il, compte tenu de la singularité de la prise de capital dans une société de projets qui rassemble des actionnaires privés, obtenir une dérogation ? Les avis des juristes étaient sur ce point partagés. Il vaut tout de même mieux exposer la situation au législateur afin de prévenir un tel risque juridique. Afin de nourrir votre réflexion, vous devriez recevoir, si cela n'est pas déjà le cas, un rapport de l'Arafer sur la réforme ferroviaire. Ainsi, l'Arafer développe l'idée que le Gouvernement n'a pas à demander une dérogation puisque cette dernière s'avère inutile. Ce document, qui est assez dense et parfois critique, contient des arguments particulièrement intéressants, s'agissant notamment de l'évolution de la dette ferroviaire et la règle d'or ; l'Arafer rappelant que cette dernière n'est jamais que la seconde version d'une précédente règle d'or qui avait été instaurée en 1997 et dont le non-respect en 2008 pour assurer le financement du TGV Grand-Est, avait fait l'objet d'une sévère critique de la Cour des comptes. C'est à partir de cela que la règle d'or nouvelle s'avère plus restrictive que la précédente.

Dans un rapport récent sur le financement des infrastructures, la commission des finances du Sénat mentionne le poids des projets nouveaux. Je partage ses conclusions sur les deux points que sont les moyens dévolus à l'Afitf et l'absence de Réseau du financement de ces prochaines infrastructures. L'État aujourd'hui, et les collectivités locales demain, seront placés devant leurs responsabilités. Quelles que soient les majorités politiques, un tel partage devra être la règle. S'agissant du référé de la Cour des Comptes relatif à l'Afitf adressé au Premier ministre le 10 juin 2016, celui-ci est en deux parties. En effet, la première s'inscrit dans la continuité d'un précédent référé qui préconisait l'inscription de l'Afitf dans le budget de l'État. Je ne partage pas cette idée car cette structure me paraît intéressante, en raison de sa composition qui permet le rassemblement de divers acteurs et la lisibilité du dispositif. Le Premier ministre a indiqué qu'il y avait là un désaccord, mais je ne pense pas qu'il s'agisse d'un point fondamental. En revanche, les recettes de l'Afitf font l'objet du second point soulevé par la Cour des comptes. Les recettes de l'Afitf ont été accrues suite à l'abandon de l'écotaxe deuxième version, puisque nous avons voté des centimes sur le gazole et l'essence qui figurent aujourd'hui dans le budget de l'Afitf. Ce budget augmente de 20 % pour atteindre 2,2 milliards d'euros. Mais une telle augmentation ne permettra pas de financer les engagements passés et actuels de l'État pour les années à venir. En effet, après le pic des financements en 2018 et 2019, il est clair aujourd'hui qu'il manque, d'une manière constante, sur le budget de l'Afitf, autour de cinq à six cents millions d'euros. La question va ainsi se poser de diminuer les dépenses, via le désengagement de grands projets existants, comme la réalisation du Lyon-Turin ou du projet de Canal Seine Nord Europe, plus les CPER et l'exécution d'un certain nombre d'engagements. Le débat est devant nous, même s'il n'y a pas d'urgence pour 2017. Et si l'on a déjà augmenté de 20 % le budget de l'Afitf, il faudra nécessairement poursuivre cet effort. Il n'y a que deux solutions : soit dégager de nouveaux crédits budgétaires, ce qui n'est nullement évident, soit trouver de nouvelles recettes.

Enfin, vous m'avez interrogé sur Alstom. Dans un contexte de baisse importante de charge après 2018 et de manque de perspectives commerciales sur son site de Belfort, la direction d'Alstom a annoncé le 7 septembre aux partenaires sociaux un projet de redéploiement d'une partie des effectifs de Belfort, suite à sa fermeture, sur le site de Reichshoffen. Cette décision a donné lieu à l'intervention de l'État qui a conduit à un accord prévoyant le maintien à Belfort de la fabrication des motrices du TGV du futur à laquelle seront consacrés trente milliards d'euros financés conjointement par l'État, l'Ademe et SNCF. D'ailleurs, Alstom va lui-même investir dans ce site trente millions d'euros d'ici à 2018 pour développer et industrialiser une plateforme de locomotives de manoeuvre hybride ou diesel adaptées au marché. Ensuite la question du carnet de commandes se pose et comprend, d'une part, la commande de six rames TGV pour la ligne Paris-Turin-Milan par SNCF Mobilités. La discussion était largement engagée et il n'y a là aucun choix d'opportunité puisque les Italiens ont modifié les conditions de fonctionnement et de signalisation, impliquant l'adaptation spécifique de ces nouvelles rames à cette ligne. L'État est intervenu pour qu'un accord soit atteint sur cette question et a permis à ce dossier ancien de se concrétiser. L'achat par SNCF Réseau de vingt locomotives destinées au secours des trains en panne relève lui aussi d'un dossier présentant une certaine antériorité. Certaines de ces locomotives, qu'on peut apercevoir dans certaines gares parisiennes, ont près de quarante ans et se trouvent dans un état d'une grande vétusté. La décision a été prise de les changer et c'est l'objet de cette commande par Réseau. Ensuite vient le dossier de la commande des quinze TGV-Duplex commandés par l'État en tant qu'autorité organisatrice au titre des trains d'équilibre du territoire. La question des discussions entamées avec les régions sur les éventuelles reprises de compétences mise à part, l'État souhaitait procéder à l'acquisition de matériels de deux types : premièrement, ont été commandés trente trains de type Coradia, qui sont d'ordinaire achetés par les Régions et qui circulent sur les lignes d'équilibre du territoire ou dans le cadre des négociations avec les régions. Ces trains sont d'ailleurs fabriqués à Reichshoffen et non à Belfort. L'État a ensuite décidé que certaines lignes étaient structurantes, au titre des trains d'équilibre du territoire. Il s'agit des lignes Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et la transversale sud Bordeaux-Toulouse-Marseille-Nice pour lesquelles l'État a décidé d'acheter du matériel nouveau. Ces lignes doivent réaliser des performances différentes de celles des autres lignes et la vitesse de 200 kilomètres-heure des trains qui la fréquentent empêche le recours aux trains produits à Reichshoffen, comme j'ai pu en faire l'analyse dans la presse régionale. Afin d'éviter l'annulation du marché, en raison des éléments du cahier des charges de ce projet, j'ai décidé que soit lancé un appel d'offres pour des trains allant à plus de 200 kilomètres-heure sur ces trois lignes structurantes et ce, avant l'annonce de la fermeture du site de Belfort. La décision qui a été prise sur ce dossier qui prévoyait l'achat de quinze nouveaux trains est de commander directement, comme autorité organisatrice, quinze rames duplex, dont une partie doit être construite à Belfort. Ces rames sont prévues sur la transversale sud Bordeaux-Marseille et cette décision se substitue à l'appel d'offres. On ne va pas sur cette même ligne commander de surcroît de nouveaux trains ! D'ailleurs, ceux qui ne prennent comme chiffres que le résultat de la commande annoncée doivent aussi faire la soustraction par rapport à ce qui existait avant. Globalement, on peut penser que les trains précédemment budgétés valaient chacun vingt millions d'euros, alors que chaque nouveau train commandé représente un investissement de trente millions d'euros. Quel est le raisonnement ? C'est certes une décision d'opportunité politique que nous assumons. Il est vrai que ces trains, qui peuvent atteindre trois cent cinquante kilomètres-heure, circuleront sur des voies où ils ne pourront dépasser deux cent cinquante kilomètres-heure. Telle est également la réalité de près de la moitié des TGV d'aujourd'hui, comme je peux moi-même le constater en prenant la ligne depuis Paris vers Dax et Bayonne qui est réellement à grande vitesse jusqu'à Tours. Cela fait vingt ans que la situation perdure ! Sur cette nouvelle ligne Bordeaux-Nice, il y a cependant le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) avec, à l'horizon 2024, une partie grande vitesse entre Bordeaux et Toulouse, au-delà du tronçon qui va être inauguré le 1er juillet prochain. De l'autre côté existent déjà des lignes TGV entre Avignon et Marseille. Nous assumons ainsi notre décision et notre achat de trains qui ne rouleront pas immédiatement à leur vitesse normale. La construction des nouvelles infrastructures, qui leur permettront de l'atteindre, a été décidée, puisque le décret d'utilité publique vient d'être signé. La durée de vie des trains étant d'une trentaine d'années, l'épure d'aujourd'hui implique que les trains circulent ainsi pendant près de cinq ans, c'est à dire le temps que les infrastructures soient construites. Nous assumons ce choix qui permet de répondre à une question industrielle et de sécuriser le site de Belfort. Voilà ce que je voulais vous dire sur l'ensemble des sujets sur lesquels vous m'avez interrogé, en vous priant de m'excuser d'avoir été aussi long. Néanmoins, devant une commission parlementaire, il me paraissait essentiel d'honorer l'exigence d'exhaustivité.

M. Hervé Maurey, président. - Merci, Monsieur le Ministre, pour votre exposé très concret. Je vais à présent passer la parole à mes collègues.

M. Louis Nègre. - Monsieur le Ministre, je vous remercie d'avoir répondu à certaines questions qui ne vous ont pas été encore posées. Toute politique digne de ce nom nécessite une vision et des objectifs associés à des moyens financiers. Vous avez été cohérent, puisque vous avez prévu, dans la loi ferroviaire de 2014, un fonctionnement nouveau du système ferroviaire. En outre, vous avez rappelé que l'État devait être stratège. Tout est dit et la politique que vous annonciez se voulait alors ambitieuse ! Cependant, je constate la faillite de ces engagements, ne serait-ce qu'à travers trois exemples. Premier exemple : le contrat-cadre stratégique n'a toujours pas été signé, deux ans après, alors que nous avions besoin d'objectifs, comme l'avait souligné le texte de la loi. Second exemple : le Haut comité du système de transport ferroviaire, auquel j'ai l'honneur de participer, est réuni, deux ans après l'adoption de la loi, à quelques mois de la fin du quinquennat. Est-ce sérieux lorsqu'on prétend mettre en oeuvre des orientations stratégiques ? Enfin, le troisième exemple est illustré par l'article 11 de la loi de réforme ferroviaire, dont vous aviez proposé l'actuelle rédaction et qui prévoit l'examen des conditions de reprise de la dette par l'État ou de l'opportunité de créer une caisse d'amortissement. J'ai bien entendu ce que vous nous avez déclaré, mais il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui, il n'y a encore ni caisse d'amortissement ni reprise et vous repoussez à nouveau la décision dans ce domaine, alors que nous l'attendons depuis deux ans ! Il s'agit tout de même d'une dette qui atteint, pour l'ensemble du système ferroviaire, quelques cinquante milliards d'euros !

Enfin, la loi prévoyait une clause de revoyure tous les trois ans ; cette durée s'ajoutant aux deux années déjà écoulées, il faudra donc attendre encore cinq années tandis que la dette court ! Ce n'est pas la meilleure façon de gérer les finances publiques. Mais le pire est à venir, l'actualité confirme l'inaction puisque l'État, fort de ses 20 % de droits d'action, s'est donné comme mission le pilotage de la filière industrielle ferroviaire. La Fédération des industries ferroviaires s'est émue, au cours de ces derniers mois, de la chute du plan de charge et on voit aujourd'hui apparaître, en dix jours, un plan de sauvetage de sept cent millions d'euros. Ma question sera simple : on enterre les dossiers et on renvoie au dernier moment les dossiers douloureux. Pourquoi un tel manque de vision à moyen et long termes dans ce domaine-là ?

M. Alain Vidalies. - Je vais répondre à Louis Nègre sur deux points. En effet, je me suis préoccupé de la situation d'Alstom, alors que le site de Reichshoffen était principalement en ligne de mire. Le débat portait alors sur l'éventualité d'une commande des trains sur étagère et nous avons demandé une analyse juridique en ce sens. Une note émise par un grand cabinet d'avocats parisiens a d'ailleurs souligné qu'il était possible de le faire, à condition toutefois que le Conseil d'État soit saisi avant que ne soit prise une décision ; ce qui en dit long sur la confiance vis à vis de la solution préconisée. Pourquoi n'étions-nous pas préoccupés de façon majeure par Belfort ? Nous savions qu'était alors en cours un marché portant sur cinquante-cinq locomotives et relevant de la compétence du site de Belfort. Ce plan de charge permettait d'avoir une vision mais, en avril dernier, Alstom a perdu ce marché au profit du Groupe Vossloh. Nous en avons été informés au printemps dernier. Les choses se sont ainsi déroulées.

Sur la mise en oeuvre de la loi, quel est le raisonnement du Gouvernement sur la démarche contractuelle. J'ai pensé, dès mon entrée en fonctions, que la renégociation du cadre social était un préalable. Il me paraissait extrêmement compliqué de mélanger la négociation sur le cadre social avec le contrat de performance. J'y tiens et je pense que nous aurions été confrontés à plus de difficultés si nous avions procédé autrement. Le rapport a été déposé et le contrat de performance est actuellement en négociation. Il est toutefois difficile de discuter d'un contrat de performance lorsqu'on ne connaît pas la règle du jeu.

M. Louis Nègre. - Il est logique que vous assumiez en tant que ministre les choix opérés par le Gouvernement. Placer le contrat social avant le contrat de performance, dans la mise en oeuvre de la loi, suit en effet une certaine logique, mais il eût mieux valu parvenir plus rapidement au contrat de performance qui est attendu de tous, et dont je rappelle qu'il comprend les objectifs stratégiques. Sans stratégie, vous ne pouvez pas avancer. Sur l'analyse juridique, je vous rejoins sur la nécessité d'être prudent, comme les juristes nous y ont invités. Mais vous aviez parié sur le marché de ces cinquante-cinq locomotives alors que la Fédération des industries ferroviaires s'est abstenue de le faire. Je suis d'ailleurs en mesure de vous ressortir les articles de presse évoquant nos mises en garde réitérées, il y a deux ans, au sujet de la catastrophe annoncée de Belfort !

M. Jean-Jacques Filleul. - Je tiens à souligner, s'il en est encore besoin, Monsieur le Ministre, la qualité de vos interventions et leur précision. Je ne m'exprime pas ainsi du fait de mon appartenance à la majorité présidentielle, tant je suis convaincu que les réponses que vous apportez correspondent à nos interrogations. S'agissant des 50 Mds d'euros d'endettement du système ferroviaire et que nous avons reconnu comme une question prioritaire à l'occasion de la réunion du bureau de notre commission, mon inquiétude porte sur la part dure qui revient à SNCF Réseau. En effet, tandis que la part de SNCF Mobilités ne me paraît guère différente de celle de ses homologues nationaux ou internationaux, la situation de SNCF Réseau me paraît plus critique, puisque la dette s'accroît chaque année de plus de deux milliards et obère ainsi la compétitivité du groupe SNCF lui-même. Nous avons d'ailleurs exprimé devant le Président Pepy nos inquiétudes. Face à l'arrivée de nouveaux opérateurs, la mise en chantier d'un train par la SNCF est de 20 à 30 % plus chère que celle de ses concurrents, qu'ils soient allemands ou britanniques. Cette situation nourrit notre inquiétude dans un environnement d'une grande complexité, qui voit manifestement l'évolution incessante des péages d'infrastructures, la réduction des marges de manoeuvre financière alors qu'il faut nécessairement poursuivre l'entretien et la régénération du réseau et de ses matériels. Cette question avive les difficultés de l'intégration sur le territoire national de nouveaux opérateurs dans les années 2020. La réponse que vous apportez sur la dette est en quelque par une non-réponse. En effet, qu'attendions-nous et qu'attendent les personnels de la SNCF, à tous les niveaux ? Que le Gouvernement montre une volonté de réduire une part de cette dette et dans l'explication que vous nous avez donnée, je ne l'ai pas ressenti, comme, sans doute, la plupart de mes collègues. Certes, au-delà de la dimension financière du problème, il y a une nécessaire vision politique qui doit être rassurante pour l'ensemble des personnels et des citoyens. Ce côté-là ne semble pas avoir été pris en compte et j'aimerais que vous nous rassuriez.

M. Alain Vidalies. - Le chiffre d'affaires de SNCF Réseau s'élève à quelque six milliards d'euros. Sa marge opérationnelle est de deux milliards d'euros. Vous avez ainsi, dans le rapport qui a été remis au Parlement, la démonstration selon laquelle si l'on reste sur les taux d'intérêt d'aujourd'hui, tout en assumant les volumes d'investissement et l'ensemble des charges, la dette devrait se stabiliser à partir de 2025, à la condition toutefois de respecter totalement la règle d'or. Cet objectif figurera dans le contrat de performance, puisqu'une telle situation n'est possible que si des gains de productivité sont assurés par SNCF Réseau. Je suis certain que la volonté est là, comme au sein de SNCF Réseau, dont je salue le nouveau président, M. Patrick Jeantet. Un tel objectif me paraît également tenable. D'autres sujets doivent être gérés concomitamment, comme le statut de Gares et connexions dans le cadre de la mise en oeuvre du quatrième paquet ferroviaire. L'ouverture à la concurrence doit avoir lieu en 2020 sur le réseau commercial et en 2023 sur le réseau concédé. Nous sommes d'ailleurs en discussion avec l'Arafer quant au contenu de l'expérimentation. Je ne crois pas que l'on puisse parvenir à l'ouverture à la concurrence, avant une période de deux ans d'expérimentation. Il nous faut donc une loi pour y procéder. Il faut que nous soyons tous d'accord sur le changement de statut des personnels en cas d'arrivée d'un nouvel exploitant ainsi que sur le périmètre de l'expérimentation, qui devra procéder par lots. Les présidents de région devront porter cette proposition. Il faudra demain conjuguer tout cela. Je lis certes ce que vous écrivez, Monsieur le Président, et j'entends ce que dit Monsieur Louis Nègre. Mais je n'ai lu, dans le débat démocratique qui s'avère légitime, l'idée d'une reprise de la dette de la SNCF à aucun endroit dans les discours des candidats à la présidentielle. Un tel débat serait légitime, car il s'agit d'une vraie question en matière de transport.

Mme Évelyne Didier. - Merci pour vos précisions claires et pédagogiques. Je ne participerai pas à l'hystérie médiatique sur Alstom car la question est trop sérieuse. Je veux au contraire me réjouir de maintien de l'activité industrielle à Belfort, suite à la mobilisation de l'ensemble des salariés et aux décisions qui ont été prises.

Premièrement, pouvez-nous dire si Belfort est sauvé et ce, pour combien de temps et pourquoi ? Un autre site en fera-t-il les frais ? Je pense tout comme vous à Reichshoffen dont il était question lors de nos précédents débats. Des investissements ont été réalisés pour honorer les commandes du contrat-cadre État-régions-entreprises pour mille trains, alors que pour le moment, seulement deux cent trente trains ont été effectivement commandés. Ce contrat pourra-t-il être honoré ? La commande publique permettra-t-elle de maintenir cette industrie dans notre pays, car c'est la vraie question ? S'agissant des investissements d'Alstom, pourquoi cette entreprise n'y a-t-elle pas songé plus tôt ? L'entreprise reçoit depuis les années 2000 des injonctions contradictoires qui, à mes yeux, la fragilisent. On lui demande d'embaucher, de prendre en charge toute la dette, de construire des lignes TGV au-delà du raisonnable, et de commander des machines par anticipation. Le Gouvernement veut-il la mort de la SNCF et des cheminots ? Enfin, à propos des autoroutes, à l'issue d'un second plan de relance, le Gouvernement a fait le choix d'aider massivement le secteur du bâtiment et des travaux publics, et d'en faire payer la facture en partie aux usagers. Des travaux s'avèrent nécessaires, mais ceux-ci relèvent de politiques sans budget, alors que, dans le même temps, le chômage ne cesse d'augmenter. Certains parlementaires et l'ARAFER demandent à voir les contrats passés entre l'État et les sociétés d'autoroute et ce, en vain. Pourquoi ? Qu'avons-nous à cacher ?

M. Alain Vidalies. - Sur les autres sites d'Alstom, l'annonce d'hier de la confirmation de la commande de trente nouvelles rames concernait Reichshoffen. Belfort est sauvé, me semble-t-il, pour longtemps, puisqu'il s'agissait de combler une absence de charge de près de quatre années, avant le lancement du TGV du futur. Une vraie politique industrielle est ainsi prévue pour ce site. Pour d'autres sites, comme celui de Valenciennes, des appels d'offres importants sont en cours et l'activité d'une entreprise d'une telle nature dépend évidemment de leurs résultats. S'agissant des autoroutes, la situation est transparente et l'Arafer émettra son avis, forte du nouvel accès aux données des sociétés concernées. Il ne s'agit pas de remettre en cause le système concessionnaire puisqu'il n'y a pas d'autres solutions lorsqu'on veut financer aujourd'hui de telles infrastructures. Créer cinq milles emplois dans le secteur du BTP représente pour nous une perspective tout à fait intéressante. Enfin, à question précise, réponse précise : ni le Gouvernement ni le ministre ne veulent la mort de la SNCF et des cheminots.

Mme Évelyne Didier. - Si je comprends le choix sur les autoroutes, je ne suis pas persuadée qu'il était le meilleur possible à l'époque. Je maintiens que de nombreux documents sont très difficiles à obtenir. Vous savez pertinemment que les entreprises de travaux publics ne fournissent pas les documents, notamment à l'Arafer !

M. Hervé Maurey, président. - Je confirme la difficulté qui fut la nôtre pour les obtenir. Il m'a fallu écrire deux fois au Premier ministre à ce sujet !

M. Alain Vidalies. - Les parlementaires se sont emparés de cette situation et la loi dite Macron, pour la première fois, mentionne des sanctions pour non-fourniture de documents demandés par l'ARAFER.

M. Jean-François Longeot. - Monsieur le Ministre, je suis étonné que vous n'étiez pas au courant de la situation d'Alstom Belfort comme vous l'avez signalé dans les médias. Je rappellerai que mon collègue Claude Kern vous en a parlé le 21 mars 2016, tandis que j'avais évoqué ce sujet devant vous le 12 février 2015. Il était tout de même aisé de constater que le site de Belfort se trouvait dans une situation dramatique à la lecture de son plan de charge. Dans ce domaine, je demeure inquiet lorsque vous évoquez le plan de sept cent millions d'euros d'investissement et l'accompagnement de SNCF Réseau qui est endetté mais qui va investir dans les vingt locomotives de dépannage. Le fait que le Gouvernement sauve Alstom n'est-il qu'un slogan ? À moins que ce ne soit l'inverse. Une telle décision est-elle pérenne ?

M. Alain Vidalies. - Il y a une différence entre vous et moi. En effet, vous envisagiez avec certitude le résultat d'un appel d'offre qui n'a seulement été connu que fin juillet. Ce n'est qu'à cette date que j'ai mesuré les difficultés à venir de ce site. Une réunion de stratégie ferroviaire s'est déroulée à ce moment-là. Lorsque je vous ai répondu en février 2015, je pensais qu'Alstom était bien engagé pour gagner cet appel d'offres. Attention ! Alstom n'est pas une entreprise d'État et ce n'est pas moi qui ai perdu le marché.

M. Jean-François Longeot. - Sur une grande radio, vous avez indiqué que les parlementaires ne vous avaient pas alerté sur la situation de Belfort, tandis qu'ils l'avaient fait pour Reichshoffen. Dès février 2015, on savait, à l'aune du plan de charge, que le site de Belfort était quasiment condamné.

M. Hervé Maurey, président. - Afin de préciser ce que vient d'évoquer notre collègue Jean-François Longeot, je rappelle que vous avez participé à un débat au Sénat le 9 juin 2015 au cours duquel l'ensemble des orateurs, tous groupes confondus, a attiré votre attention sur la situation d'Alstom et du site de Belfort.

M. Alain Vidalies. - 90 % des pétitions des parlementaires portaient sur Reichshoffen. J'ai d'ailleurs donné une interview dans les Dernières Nouvelles d'Alsace pour indiquer les motifs de cette inquiétude, y compris parce qu'un grand nombre de lettres étaient communes. Je pense que nous sommes aujourd'hui à un autre niveau de débat. J'attends d'ailleurs les contre-propositions à la réponse du Gouvernement. Qu'aurions-nous dû faire, face à cette situation ? Nous attendons également qu'on nous propose des solutions alternatives.

M. Guillaume Arnell. - Merci, Monsieur le Ministre, d'avoir anticipé un certain nombre de nos questions et d'y avoir apporté les réponses. Vous avez fait allusion au rapport d'information de la commission des finances du Sénat dont le titre était ainsi libellé : « Infrastructures de transport : sélectionner vigoureusement et financer durablement ». Ce rapport vient d'ailleurs d'être rendu public. Il souligne ainsi les carences en matière de programmation des infrastructures de transport susceptibles d'entraîner de graves problèmes de soutenabilité financière ou encore la nécessité de les astreindre à une planification nationale plus rigoureuse en y intégrant les collectivités territoriales et le Parlement. Vous avez indiqué partager une bonne partie des conclusions de ce rapport, mais qu'en est-il de ses recommandations ? J'aurai une seconde question concernant l'agriculture, qui reste un secteur non délocalisable. Les agriculteurs sont aujourd'hui inquiets pour la desserte de leurs territoires. Se pose ainsi la question des réseaux dits capillaires qui connaissent un abandon et une absence d'entretien qui risquent de pénaliser, à la longue, leur production. Pouvez-vous aujourd'hui les rassurer ?

M. Alain Vidalies. - Je vous remercie de votre question sur le sujet du capillaire qui me tient particulièrement à coeur et qui, au-delà d'être ferroviaire, est un sujet proprement économique. Demain, la conférence sur le fret ferroviaire devrait d'ailleurs aborder ce sujet. Il ne peut ainsi y avoir de fret ferroviaire en l'absence d'un capillaire efficace. En même temps, ce capillaire n'est pas entretenu puisqu'on y appliquait les normes du réseau ferroviaire français. Certaines lignes capillaires sont utilisées, de manière indispensable, pour transporter le maïs lorsqu'on le ramasse. Cette utilisation n'est certes pas constante, mais elle s'avère incontournable. Avec les professionnels et les opérateurs, nous avons conduit un travail sur les normes : comment en effet baisser le coût de revient du capillaire pour en restaurer la compétitivité ? Je viens de signer un arrêté la semaine dernière qui réduit ces normes, sans aucun risque pour la sécurité, avec l'assentiment de l'ensemble des acteurs. Les professionnels sont parvenus à un réel résultat et à gagner 20 % de compétitivité. Cette question demeure cependant distincte de celle du fret ferroviaire. Par ailleurs, je ne suis pas d'accord sur la totalité du contenu du rapport du Sénat. J'ai repris la première des propositions sur le fonctionnement de l'Afitf, car je n'ai rien à ajouter. La conséquence qui en est cependant tirée est de geler tous les grands projets en cours, comme le grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO). Je ne partage pas cet avis et je pense qu'une telle préconisation reflète la préoccupation de ne pas accroître la dette de Réseau. On ne fera pas GPSO si l'on ne trouve pas, avec les principaux acteurs locaux, comme MM. Alain Juppé et Alain Rousset, ainsi que Mme Carole Delga, une solution commune. Ces discussions sont claires. Comment allons-nous faire, nous l'État, vous les grandes collectivités, avec l'Europe, pour payer ? J'ai donc une approche différente sur ces questions.

La contre-expertise obligatoire du Commissariat général à l'investissement (CGI), dans la pratique, peut poser bien des difficultés en ajoutant une nouvelle démarche à celles qui existent déjà. Je demeure très interrogatif sur ce type de proposition. En outre, Madame Marie-Hélène des Esgaulx, avant de publier son rapport, avait eu la courtoisie de m'appeler, ce qui aura permis de mettre au jour nos points de divergence et de convergence sur toutes ces questions.

M. Rémy Pointereau. - Je me fais l'interprète de notre collègue Jean-François Rapin qui ne pouvait participer à notre réunion et qui rapporte la proposition de loi Grandguillaume. La loi Thévenoud du 1er octobre 2014 a été votée il y a maintenant deux ans et nous examinons une nouvelle loi relative au transport particulier de personnes, alors même que de nombreux acteurs souhaiteraient voir cette première loi appliquée. Quelles mesures ont été prises pour assurer l'application concrète de cette loi ? Comment lutter contre les « racoleurs » qui travaillent sans autorisation ? Comment agir face à l'invitation faite aux taxis d'exercer en tant que VTC, sans rappel clair des prescriptions qui leur sont applicables ? Pourquoi avoir attendu avant de s'attaquer aux problèmes de détournement de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) par certains ? Il semble difficile aujourd'hui de revenir en arrière, sachant que cette situation a bénéficié à des milliers de conducteurs et parfois en toute illégalité.

M. Alain Vidalies. - Ces questions sont légitimes, mais nous y consacrerons ultérieurement un débat. Chacun a pu constater qu'il y avait un détournement de la loi LOTI puisqu'on utilisait, pour faire des prestations de VTC, un cadre juridique qui n'était pas du tout conçu pour cela. J'ai donc proposé la modification des textes. Mais en cas d'action irréfléchie, on allait poser des problèmes à des entreprises qui se trouvent en zone rurale et qui répondent aux prescriptions de la LOTI. On a distingué, pour ainsi dire, les « LOTI des champs » des « LOTI des villes », pour pouvoir garder les entreprises en zone rurale. C'était un vrai débat qui s'est déroulé avec les professionnels et les élus locaux. La loi Grandguillaume répond à de réels besoins, comme l'unification de la formation par les chambres des métiers, ce qui permet de mailler le territoire. Il y a là un travail d'assainissement et d'homogénéisation. Je suis pour le respect des règles et celles-ci n'étaient pas respectées. Nous aurons ce débat ultérieurement sur cette question complexe qui ne fait d'ailleurs pas l'unanimité dans la profession.

M. Alain Fouché. - Je reviendrai sur la sécurité dans les transports. La SNCF a perdu environ cent millions d'euros cette année en raison du risque terroriste. Un rapport de notre commission a préconisé certaines mesures qui ont été reprises dans la Loi Savary et certains décrets concernant notamment les policiers en civil et les conditions de réalisation des palpations de sécurité, ainsi que la formation des agents, ont été pris. J'aurai deux questions précises : la mise en place de caméras-piéton va-t-elle prochainement faire l'objet d'un arrêté ? S'agissant des portiques de sécurité aléatoires et volants, il semblerait que la SNCF ait abandonné ce projet. Usager régulier du train, je constate qu'il n'y a de contrôle de sécurité, ni des bagages ni des passagers. Que pouvez-vous faire sur ce dossier ?

M. Alain Vidalies. - Vous venez de résumer objectivement la situation. Le décret qui permet aux agents du service de sécurité de la SNCF ou des services spécialisés de la RATP d'être armés et d'intervenir éventuellement en civil a été publié la semaine dernière à l'issue d'un débat. Certaines actions doivent être conduites, mais à l'issue d'une expérimentation qui reste à organiser comme pour le dispositif de caméras-piéton. L'accès de tiers à ces prises de vue implique d'ailleurs le respect de procédures spécifiques au regard des libertés publiques et la saisie de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Le décret sur les caméras-piéton pourra intervenir d'ici à la fin de l'année, comme un autre décret sur le criblage. Le ministère de l'intérieur pilote ces dossiers en concertation avec nous. Entre la loi Savary et ce qu'a récemment réclamé Mme Valérie Pécresse, nous avançons en concertation sur les questions de la sécurité et de la fraude. Deux questions se posent également sur les portiques, s'agissant des relations transfrontalières avec les Pays-Bas ou l'Allemagne. En effet, placer des contrôles d'un seul côté dans les trains internationaux est certes pédagogique, mais reste d'une efficacité discutable. C'est un vrai débat avec mes homologues étrangers, comme j'ai pu le constater outre-Rhin. Nous ne sommes d'ailleurs pas parvenus à obtenir la décision que nous appelions de nos voeux. Une expérimentation, dont les premiers résultats vous seront communiqués, est en cours à Marseille sur du matériel. Je pense que ceux-ci demeurent nuancés et en conséquence problématiques.

M. Hervé Maurey, président. - Il me faut participer à un débat sur la chaîne Public-Sénat consacré à Alstom. J'invite donc Rémy Pointereau à me remplacer durant cette audition à laquelle je vous remercie, Monsieur le Ministre, d'avoir participé.

- Présidence de M. Rémy Pointereau, vice-président -

Mme Chantal Jouanno. - J'aurais une question sur l'écotaxe régionale concernant les poids lourds en transit. Vous apprêtez-vous à présenter une disposition en loi de finances destinée à aider les régions dans la mise en place de ce type de dispositif ou, à défaut, à vous prononcer de manière favorable sur les amendements qui seraient déposés sur ce point ?

M. Alain Vidalies. - Ma réponse est précise : nous n'avons rien prévu et la réflexion qui a été conduite sur cette question est loin d'être aboutie, tant le problème de la cohabitation entre les systèmes destinés à financer les infrastructures et cette taxe particulière se pose. De nombreuses interrogations demeurent sur la faisabilité de cette démarche. Le Gouvernement n'est pas fermé à cette idée. Si ce travail, pour être finalisé, nécessite une confrontation, nous restons, pour le moment, plutôt réservés. Mais compte tenu de ses aspects juridiques, il faudrait que ce débat soit porté globalement par les régions. Mettre en place un tel système à l'initiative de telle ou telle région revient en effet à en changer la nature car pour certaines régions, celui-ci répond à des problèmes d'origine frontalière qui sont loin d'être partagés par l'ensemble des régions. Le débat reste ouvert et le questionnement en est à ce stade aujourd'hui. S'il doit y avoir, pour les régions, une problématique de ce type une solution alternative, avec des marges de manoeuvre ou le déplafonnement par rapport à ce que les régions peuvent faire aujourd'hui sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), me paraît tout aussi utile.

Mme Chantal Jouanno. - Plusieurs régions au sein de l'ARF sont volontaires et intéressées par ce débat, tout en étant situées dans un périmètre géographique assez proche. Il serait intéressant d'organiser des réunions de travail avec vos services et l'ARF pour approfondir cette démarche.

M. Alain Vidalies. - Nous ne sommes pas en désaccord sur ce point. Jusqu'à présent cependant, ce travail ne s'est pas fait collectivement. Il convient de savoir comment on s'inscrit globalement dans une réponse qui concerne l'ensemble des régions, ce qui simplifierait d'ailleurs une partie du problème. Enfin, nous avons déjà exprimé cette demande auprès de l'ARF pour organiser une réunion de travail durant laquelle sera abordée cette question.

M. Jérôme Bignon. - Je souhaiterais vous interroger, Monsieur le Ministre, sur l'évolution du Canal Seine Nord, tant au point de vue de sa réalisation que de celui de sa gouvernance. Ce projet connaît-il encore des problèmes de financement ?

M. Alain Vidalies. - Sur la question de la gouvernance, il ne manque plus que le décret afférent et j'ai l'intention de le proposer le plus rapidement possible. Je pense en effet disposer de toutes les informations nécessaires pour en assurer la rédaction. Sur le financement, la région Ile-de-France n'a pas souhaité donner suite à cette démarche. Cette situation me paraît avant tout relever d'une concertation entre collectivités locales, qui représentent la moitié du financement de la partie résiduelle du projet, une fois l'aide de l'Europe accordée. Deux-cent-dix millions d'euros nous manquent. Sur un projet de cette importance et de cet intérêt, j'espère qu'on trouvera une solution car je n'ose imaginer que ce dossier, exemplaire pour le report modal et important pour les régions, va aboutir. Il y a certes un débat, mais ce n'est pas à l'État de le conduire tout seul. J'ai la conviction que ce canal demeure important pour la région Ile-de-France. Ma détermination est totale.

M. Michel Vaspart. - Monsieur le Ministre, je pense qu'il serait avisé de faire d'ores et déjà des projections, car les taux d'intérêt devraient remonter d'ici à cinq ans. Ne pas le faire serait faire montre d'un manque de prévoyance. Je suis inquiet également de l'état du réseau secondaire de la SNCF, parce que l'État et Réseau Ferré de France le gestionnaire d'infrastructures en financent beaucoup moins la rénovation qu'auparavant. Vous avez laissé sous-entendre dans votre intervention l'idée selon laquelle Réseau Ferré de France ne financerait plus du tout la réhabilitation des voies secondaires. Un autre problème se pose également : les collectivités locales, que ce soient les régions, les départements ou encore les intercommunalités, doivent trouver des moyens. Lorsque certaines lignes se trouvent à cheval entre deux départements, il est compliqué de lever des fonds et de solliciter les collectivités locales. C'est le parcours du combattant et nous n'y arriverons pas ! Nous n'allons pas réussir à entretenir ce réseau secondaire, faute des financements locaux. Lorsque certains trains se mettent à rouler à près de vingt kilomètres à l'heure en raison de la vétusté du réseau, il est évident que nous perdrons ces lignes très rapidement si nous ne les rénovons pas rapidement.

M. Alain Vidalies. - Je vous l'accorde. On ne fait plus financer par Réseau la construction de lignes nouvelles. En clair, ce n'est pas Réseau qui va financer GPSO. La trajectoire démontre un pic entre 2018 et 2019, mais si l'on demeure avec les taux d'intérêt d'aujourd'hui, on arrive à stabiliser la dette en 2025. Ce n'est pas si loin que cela ! Notre épure ne fonctionne que si nous demeurons dans le cadre actuel. Si le contexte change, nos projections deviennent irréalisables. Sur l'état du réseau secondaire, il faut distinguer encore le réseau dit tertiaire qui est celui pour lesquelles les collectivités locales sont sollicitées. Ce sont les lignes dites 7 à 9, qui se trouvent dans un état compliqué. Sauf exceptions, ces lignes ne sont pas utilisées pour le transport des voyageurs. Les lignes secondaires sont, quant à elles, en meilleure condition, mais je pense qu'il importe que l'État et les collectivités locales répondent à cette question importante du point de vue économique pour l'aménagement du territoire et la transition énergétique : veut-on conserver les 30 000 kilomètres de voies ferrées dont on dispose aujourd'hui ? Certains préconisent une autre solution, plus simple, consistant à réduire ce dispositif à quinze mille kilomètres. Je crois, pour ma part, au ferroviaire et je pense que celui-ci va s'imposer dans les années à venir, s'agissant notamment du fret. Permettez-moi de citer l'une de mes expressions préférées pour évoquer notre attachement au ferroviaire : il n'y pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour.

M. Rémy Pointereau. - Merci Monsieur le Ministre. Non seulement le réseau secondaire compte pour l'aménagement du territoire, mais aussi pour l'environnement. Nous venons d'accueillir la COP 21 et le ferroviaire demeure le transport le plus économe en CO2. Merci d'avoir pris le temps de répondre à toutes nos questions. Nous nous retrouverons prochainement pour débattre de plusieurs textes portant sur une diversité de sujets : les drones, les VTC ou encore la voie express Charles de Gaulle.

La réunion est levée à 18 h 20.