Mercredi 29 juin 2016

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Préparation de la rentrée universitaire et financement de la recherche - Audition de M. Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

La commission auditionne M. Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la préparation de la rentrée universitaire et sur le financement de la recherche.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes très heureux de vous accueillir. Chaque fois que nous souhaitons vous entendre, vous répondez immédiatement présent à l'appel. Nous aimerions qu'il en soit de même pour votre ministre de tutelle, dont nous aurions souhaité obtenir des précisions pour préparer la rentrée prochaine. Nous vous sommes d'autant plus reconnaissants de votre présence attentive. (Marques d'acquiescement.)

La rentrée universitaire 2015 s'est déroulée dans des conditions parfois assez confuses, pour les étudiants comme pour les établissements : difficultés d'inscription jusque dans les premiers jours de la rentrée - au coeur de l'été 2015, 7 500 étudiants étaient encore sans affectation -, amphithéâtres et salles de cours bondés... Indéniablement, ce ne sont pas des conditions favorables à la réussite de nos étudiants. Il faut garder à l'esprit le taux d'échec en première année de licence : à peine un étudiant sur trois réussit à valider sa licence en trois ans...

C'est dans ce contexte difficile et pour évoquer avec vous la rentrée universitaire de 2015 que nous vous avions convié le 14 octobre dernier.

Cette année encore, les flux d'étudiants annoncés aux portes des universités seront massifs et notre système d'enseignement supérieur fait face à une augmentation structurelle du nombre d'étudiants, soutenue par les pouvoirs publics à travers l'objectif établi par le comité pour la Stratégie nationale de l'enseignement supérieur, la StraNES, de porter à 60 % le pourcentage d'une classe d'âge diplômée du supérieur à l'horizon 2025.

Avant d'entendre notre collègue Guy-Dominique Kennel, qui, au nom de la mission d'information sur l'orientation, a planché sur les questions de l'orientation vers le supérieur et qui aura très certainement des préconisations à nous faire, monsieur le secrétaire d'État, nous serons heureux d'entendre vos explications et de connaître les mesures que vous entendez prendre, notamment budgétaires, pour mieux dimensionner, à court, moyen et long termes, notre outil d'enseignement supérieur. À l'issue, je ne doute pas que nos collègues seront heureux de vous entendre et ne manqueront pas de vous questionner, notamment après les débats sur la publication du code-source d'APB et le tirage au sort dont la presse s'est fait l'écho.

Par ailleurs, nous souhaitons également vous entendre sur le financement de la recherche. Au mois de mai dernier, l'annonce d'un décret d'avance supprimant 134 millions d'euros sur le programme 172 a non seulement suscité la colère de la communauté scientifique, mais a conduit aussi bien la commission des finances de l'Assemblée nationale que celle du Sénat à émettre un avis défavorable sur ce projet de décret.

Cet événement a mis en lumière les fortes contraintes budgétaires que subissent les organismes de recherche. Certes, les dotations sont stables, mais cela correspond en réalité à une diminution des crédits compte tenu de l'augmentation automatique de la masse salariale. Par ailleurs, les organismes de recherche sont toujours plus dépendants des crédits d'intervention de l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, des fonds européens et des investissements d'avenir. Or les crédits de l'ANR ont atteint en 2016 un niveau qui remet en cause son utilité même.

Nous écouterons donc avec attention les informations que vous pourrez nous donner sur le contenu de la lettre de cadrage que le Premier ministre vous a envoyée et sur l'évolution du budget 2017.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un plaisir d'être avec vous et de répondre à vos invitations.

Nous partageons la même conviction sur le rôle absolument essentiel que joue l'implantation des établissements de l'enseignement supérieur dans les territoires. De ce point de vue, chacun a à l'esprit la note passionnante sur la mobilité sociale des jeunes Français que France Stratégie a publiée voilà deux mois. Elle tord le cou à l'idée reçue selon laquelle les jeunes citoyens de notre République ont d'autant plus de chances d'avoir des parcours de mobilité sociale qu'ils vivent dans des territoires dynamiques sur le plan économique. Elle montre au contraire que le déterminant principal de la mobilité sociale, c'est la facilité d'accès à des établissements d'enseignement supérieur. Si le territoire est économiquement peu dynamique, mais qu'à proximité se trouve un établissement d'enseignement supérieur - résultat d'une politique publique, donc d'un choix politique -, les possibilités de promotion sociale sont bien plus grandes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui représentez les territoires, vous connaissez autant que moi le rôle absolument essentiel de colonne vertébrale sociale que constituent l'enseignement supérieur et la recherche.

Vous m'interrogez sur deux problématiques, l'une concerne le budget de la recherche, l'autre, la préparation de la rentrée universitaire.

Sans anticiper sur la discussion budgétaire que nous aurons dans les prochaines semaines - les arbitrages ne sont pas encore tout à fait rendus -, je répondrai le plus précisément possible à vos préoccupations, en commençant par le décret d'avance et les questions budgétaires de la recherche, telles qu'elles se posent aujourd'hui.

Le décret d'avance, qui a été publié le 2 juin dernier, après quelques soubresauts, ne comprend pas les coupes budgétaires prévues sur les organismes de recherche. Ne figurent donc dans ce décret que trois économies. La première s'élève à 10 millions d'euros et porte sur des crédits immobiliers universitaires affectés à des opérations qui ne se font pas. La deuxième, d'un montant de 50 millions d'euros, concerne la réserve prévue en début d'année au titre du programme 150 sur les universités, ce qui n'a pas posé de problème à la conférence des présidents des universités, puisqu'il s'agit de fonds de réserve. La troisième - 5 millions d'euros - est relative à la recherche spatiale.

Les engagements pris par le Président de la République ont été tenus. Heureusement, car les besoins financiers des organismes sont réels.

Permettez-moi un retour sur image sur les budgets enseignement supérieur et recherche entre 2012 et 2016. Il s'agit de l'un des efforts budgétaires les plus importants au cours de ce quinquennat : depuis 2012, près de 500 millions d'euros ont été consacrés à l'augmentation tant du niveau des bourses que de leurs bénéficiaires. Cette augmentation est bien logique : elle s'inscrit dans un mouvement de démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur, ce qui implique des préoccupations sociales à l'endroit de catégories sociales qui n'ont pas forcément les moyens d'accéder à ce type d'enseignement.

Le budget des universités est sanctuarisé. De fait, il a augmenté. Depuis 2012, 380 millions d'euros supplémentaires ont été consacrés aux établissements d'enseignement supérieur. Au regard des objectifs de démocratisation que nous fixons à moyen terme à l'enseignement supérieur, à l'évidence il faudra aller plus loin.

Les crédits du programme 150 s'élevaient à 12,511 milliards d'euros en 2012, ils atteignent aujourd'hui 12,893 milliards d'euros. La compétition internationale autour de l'accès à l'enseignement supérieur est vive : un comparatif international montre que la dépense par étudiant de la France est supérieure à la moyenne de l'OCDE.

Les sommes consacrées à la recherche sont sanctuarisées au niveau de 2012, soit 7,7 milliards d'euros. En revanche, des modifications ont eu lieu dans la répartition de cette somme : le budget de l'ANR a été réduit de 200 millions d'euros, mais les dotations aux opérateurs de recherche ont augmenté d'autant. Cette stabilité budgétaire n'est pas sans poser de difficultés, car elle signifie que la masse salariale est absorbée dans les efforts de gestion des organismes de recherche. Nous sommes donc aux limites de l'exercice. C'est la raison pour laquelle les organismes se sont émus quand ont été annoncées d'éventuelles économies budgétaires.

La répartition des dépenses et des financements récurrents de la recherche publique par rapport aux recettes liées à des appels à projets s'établit désormais à 83 % pour le récurrent et à 17 % pour l'appel à projets. À l'échelon national, cela fait plus de place au financement par appel à projets, mais, si l'on compare avec les autres pays, c'est extrêmement favorable aux opérateurs de recherche français.

Il est vrai qu'un budget de 500 millions d'euros pour l'ANR est notablement insuffisant, pour le Président de la République comme pour moi-même. Il conduit, sur la base des restructurations de la matrice des appels à projets, à des taux de sélection de projets retenus inférieurs à 10 %. Il n'est pas possible de continuer avec des taux de réussite aussi faibles. Le Président de la République a donc souhaité que, dès 2016, un effort budgétaire soit réalisé pour que ce taux de sélection remonte à 12 % au minimum et à 16 % pour les projets qui s'appellent « défis de tous les savoirs » et concernent la recherche fondamentale. La lettre de cadrage précise que le taux de sélection doit continuer de monter, avec un plancher à 14 % minimum, jusqu'à 20 % pour les défis de tous les savoirs, taux tout à fait correct au regard des autres agences de recherche.

Outre cette augmentation des fonds de l'ANR pour la recherche, un crédit spécifique de 10 millions d'euros a été débloqué dès 2016 pour que des dossiers soumis aux financements européens, dits ERC, pour European Research Council, qui concernent les travaux des jeunes chercheurs considérés comme de grande qualité à l'échelon européen, mais pour qui les financements européens sont insuffisants, puissent être financés sans aucune instruction administrative complémentaire par l'ANR. Ce dispositif s'appliquera dès cette année.

De plus, nous avons fait évoluer les règles d'appel à projets de l'ANR et les avons calés sur les dispositifs prévus par la Stratégie nationale de recherche, c'est-à-dire en fonction des dix grands défis de cette stratégie que l'on retrouve comme armature des appels à projets de l'ANR. Certains se demandaient si cette réforme permettait de prendre suffisamment en compte les besoins de la recherche fondamentale. La démission de l'ensemble des membres du comité d'évaluation scientifique en mathématique et en informatique de l'ANR voilà quelques semaines oblige à se reposer la question. Nous avons demandé à l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, l'IGEANR, d'engager une mission très précise sur l'impact des nouvelles règles d'appel à projets, deux ans après leur mise en place, sur le financement de la recherche, notamment la recherche fondamentale. Cette mission rendra ses conclusions avant les appels à projets de 2017 : si elle le préconise dans ses conclusions, nous ferons les modifications nécessaires concernant la recherche fondamentale, d'autant que nous aurons plus d'argent.

J'en viens à la préparation de la rentrée universitaire.

Je me réjouis que la commission souhaite que nous évoquions ce sujet hors contexte de crise. L'année dernière, nous l'avions fait parce que la presse s'était fait l'écho de difficultés réelles que nous avons réussi à résoudre tant bien que mal. Cette année, la commission anticipe pour voir comment cela se passera ; c'est judicieux.

La rentrée prochaine sera marquée par plusieurs éléments, au premier rang desquels est confirmée la poursuite de la croissance des effectifs demandant à avoir accès à l'enseignement supérieur. J'ignore si elle s'établira à 30 000 ou 35 000 étudiants, soit le même niveau que l'année dernière.

Il s'agit là d'une rupture tout à fait significative par rapport à ce qui se passait voilà trois ou quatre ans, quand les progressions étaient de l'ordre de 10 000 étudiants. Aujourd'hui, la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur n'est pas un vain mot, c'est une réalité. Les Français sont bien conscients que l'accès à l'enseignement supérieur et la réussite dans une filière universitaire sont vitaux pour eux. La croissance est au coeur de la StraNES.

Nous souhaitons optimiser la réussite des étudiants dans ce contexte de pression démographique forte. C'est tout ce qui concerne la procédure Admission post bac (APB) et tout ce qui se fait en matière d'orientation. Mme la ministre et moi avons ouvert le chantier.

Par ailleurs, comment veiller à ce que cette démocratisation se conjugue avec exigence de qualité des diplômes et réussite ?

Il n'est pas possible d'imaginer qu'un accès facilité entraîne de fait une dévalorisation des diplômes. Cette double mise sous tension de notre système d'enseignement supérieur est essentielle : il faut à la fois réussir l'orientation pour que l'accès à l'enseignement supérieur soit synonyme de réussite et qualifier les formations.

Nous avons annoncé un certain nombre de réformes de la procédure APB, qui sont en place dès cette rentrée. Il s'agit principalement de la technique des voeux groupés par filière pour une académie. Un élève qui veut entreprendre des études de droit dans la région Rhône-Alpes et demande l'université de Lyon comme premier voeu peut également candidater auprès des autres établissements du voisinage de la même académie pour être sûr d'obtenir la filière de son choix. Il obtiendra donc l'orientation souhaitée.

Par ailleurs, il a été demandé aux candidats bacheliers généraux d'émettre au moins un voeu pour une filière qui n'est pas en tension, afin d'éviter une orientation par défaut. Jusqu'à présent, lorsqu'un bachelier ne demandait que des filières en tension, s'il ne formulait pas d'autres voeux, il risquait d'être affecté dans une formation qu'il n'avait absolument pas choisie. Tel ne peut plus être le cas.

Des mesures d'accompagnement en matière d'orientation ont été prises. Sur APB figurent désormais un certain nombre d'indications de taux de réussite selon les profils d'entrée, le type de bac, la poursuite d'études : insertion et salaires sont donnés avant même l'inscription selon un système « pop-up » - les informations viennent d'elles-mêmes. Il faudra sophistiquer ce système dans les années à venir.

En outre, les professeurs principaux ont connaissance des voeux de leurs élèves et peuvent donc les guider avant leurs choix définitifs. Dans cinq académies que nous avons particulièrement mobilisées dans le cadre de cette expérimentation, une implication forte des professeurs principaux dans l'orientation des futurs étudiants donne des résultats assez significatifs.

Nous avons publié la présentation de l'algorithme d'APB. Ceux qui s'interrogeaient à ce sujet ont désormais des réponses.

Voici donc les résultats concrets du nouvel APB.

Premièrement, on note une baisse très significative du nombre de candidats sans affectation : plus de 80 % des candidats ont reçu une proposition dès le premier tour ; on ne connaît pas encore le taux d'acceptation. Près de 50 % des candidats ont obtenu leur premier voeu. Ce sont des chiffres en progression assez sensible, qui nous permettent de garantir dès à présent qu'il n'y aura pas de difficulté d'affectation d'étudiants à la prochaine rentrée universitaire.

Deuxièmement, on constate une forte baisse du nombre de filières sous tension, c'est-à-dire des filières pour lesquelles la capacité d'accueil est inférieure au nombre de premiers voeux des candidats de l'académie. L'année dernière, on comptait 189 filières sous tension contre 78 cette année. Cela correspond à une baisse de près de 60 % directement liée aux évolutions dont je viens de parler.

Qui plus est, tout un travail a été accompli pour mieux accompagner les étudiants dans l'enseignement supérieur : un accès prioritaire des bacheliers professionnels dans les sections de techniciens supérieurs (STS) et des bacheliers technologiques aux Instituts universitaires de technologie (IUT) a été renforcé avec la décision de créer 2 000 places de brevets de technicien supérieur (BTS) supplémentaires chaque année au cours des cinq prochaines années.

En outre, un élargissement des horizons des élèves des milieux les plus modestes a été mis en place avec les parcours d'excellence pour les collégiens des réseaux d'éducation prioritaire (REP) : pour eux, un accompagnement est réalisé de la troisième à la terminale avec des partenariats avec les établissements d'enseignement supérieur, le monde de l'entreprise. On connaît les expériences très réussies en région, notamment à Lille. À la rentrée 2016, cela concernera près de 20 % des élèves de troisième de REP+. Là encore, c'est très significatif.

Troisièmement, les intitulés des diplômes nationaux ont désormais été complètement simplifiés ; le processus est quasi achevé à quelques unités près. Nous sommes passés de 322 mentions de licences à 45, de 1 800 intitulés de licences professionnelles à 173, de 5 000 spécialités de master à 255 intitulés. C'est une simplification assez drastique, mais ce n'est pas pour autant la pyramide de Kheops ! Le système n'est pas figé. Si une nouvelle mention de master était indispensable, ce serait possible. La volonté de simplifier et d'améliorer la visibilité du système reste très forte.

Nous investissons massivement - nous allons continuer à le faire - dans la transformation numérique de l'enseignement supérieur. L'une des caractéristiques du PIA 3 qui a été annoncé la semaine dernière est un financement très important - 150 millions d'euros - consacré à l'innovation pédagogique et à l'innovation numérique.

Nous avons publié par décret la liste des masters dits sélectifs. Tout le monde a bien compris la logique imparfaite de remise en sécurité juridique de ce dispositif.

Nous sommes en train de mener une concertation approfondie sur les modalités de l'accès en cycle master dès la première année avec les organisations étudiantes et les organisations de présidents d'université.

Nous avons opéré une réforme doctorale profonde, qui a fait l'objet d'une concertation très longue et a été très largement acceptée par le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER. Je m'en réjouis, car il fallait assurer la qualité du doctorat, sa compatibilité avec l'internationalisation des études. Il est absolument nécessaire que le doctorat prépare à des carrières de recherche publique, mais aussi à des carrières en dehors, par exemple dans la recherche privée.

Reste à parfaire la réforme du master, ce que nous espérons pouvoir faire d'ici à la fin de l'année.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur au sein de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ». - Monsieur le secrétaire d'État, j'aurais aimé vous appeler monsieur le ministre, car vous méritez d'être un ministre de plein exercice. Dans les précédents gouvernements avait été décidé un ministère de plein exercice. Depuis 2014, il s'agit d'un secrétariat d'État. Est-ce le signe d'un désintérêt envers l'enseignement et la recherche ou est-ce pour être agréable à Mme Vallaud-Belkacem ? Quoi qu'il en soit, je souhaite appeler votre attention et recueillir vos observations sur le financement de la recherche et la rentrée universitaire.

Je connais votre attachement à l'enseignement supérieur et la recherche sur le territoire. Dans une déclaration publique du 3 avril 2014, le Président de la République affirmait : « La recherche publique sera sanctuarisée parce que c'est l'essentiel. Même si nous avons à faire des économies ailleurs, nous n'en ferons pas dans ce domaine fondamental pour le pays. » Un sanctuaire, c'est un site sacré et protégé contre toute agression : voilà ce que devait être le budget de la recherche.

Quelques mois plus tard, le ministère de l'économie et des finances annonçait son intention de ne pas honorer le versement des 20 % du budget de 2014 restant à régler. La vive réaction de la conférence des présidents d'université a permis d'éviter la mise en oeuvre de ce projet.

Mi-novembre, lors des discussions sur le budget 2015, le Gouvernement a présenté un amendement visant à retirer 70 millions d'euros aux universités. La conférence des présidents d'université a dû de nouveau monter au créneau et il a fallu que les chercheurs et les étudiants défilent dans les rues de Paris et d'ailleurs pour que le Président de la République s'engage à rétablir ces fonds le 12 décembre.

Voilà quelques semaines, une annulation de crédits de 134 millions d'euros au détriment des grands organismes de recherche est annoncée. La mobilisation de cinq prix Nobel et d'une médaille Fields a été nécessaire pour obliger le Président de la République à faire machine arrière.

L'histoire se répète : une menace, une mobilisation de chercheurs universitaires, une marche arrière.

Monsieur le secrétaire d'État, ne trouvez-vous pas scandaleuse cette manière de traiter ces hommes et femmes qui sont l'honneur de la République ? Pouvez-vous nous garantir que les budgets de la recherche et de l'enseignement supérieur seront sanctuarisés en 2017 ?

Deux éléments m'inquiètent concernant la rentrée universitaire prochaine.

D'une part, la question de la sélection en master. De nombreuses universités ont été condamnées par la justice administrative pour avoir opéré une sélection à l'entrée du Master 2. Pour sécuriser juridiquement cette modalité, un décret a prévu la possibilité d'une telle sélection pour un certain nombre de masters. Toutefois, certains avocats affirment que cette solution n'est pas conforme au code de l'éducation et menacent de faire de nouveau condamner les universités. Pouvez-vous garantir la sécurité juridique de ces pratiques de sélection en l'état du droit ? Dans le cas contraire, avez-vous prévu d'organiser des procédures de sélection à l'entrée du master 1, à défaut de pouvoir le faire à l'entrée du master 2 ?

D'autre part, le 16 juin dernier, le tribunal administratif de Bordeaux a jugé illégal le tirage au sort pour l'accès à l'université dans les filières en tension. Dans combien de temps comptez-vous apporter une solution à ce problème ?

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis des crédits consacrés à la recherche au sein de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ». - Monsieur le secrétaire d'État, sept ans après le premier programme d'investissement d'avenir, les premières conclusions des évaluations sont tirées. Vous vous êtes exprimé sur les projets qui ont été confirmés, sur ceux qui exigent une probation supplémentaire et sur ceux qui n'ont pas été retenus et avez formulé des propositions.

Les taux d'intérêt extrêmement bas semblent poser un problème de financement des PIA, dont une partie est constituée de crédits non consommables qui sont placés et dont les intérêts reviennent aux porteurs de projets. Cette inquiétude est-elle fondée ?

Par ailleurs, les sociétés de recherche sous contrat, les SRC, s'inquiètent de la position éventuelle de la Banque publique d'investissement de ne plus financer leurs investissements.

La valorisation de la recherche est une priorité gouvernementale. Toutefois, la multiplicité des dispositifs rend les choses quelquefois peu lisibles. Pouvez-vous nous donner de nouveau des indications sur la simplification des appels à projets ?

Le Conseil national stratégique a un rôle particulier dans la mise en évidence de la stratégie nationale de la recherche. Or l'intérêt de cette instance semble sous-estimé par la communauté scientifique, voire l'opinion publique. L'élaboration du Livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche ne peut-elle pas être l'occasion de mettre en valeur le Conseil national stratégique, qui serait présidé par le Premier ministre et vous-même, pour bien indiquer que ce mandat se termine sur la prise en compte de la stratégie nationale de recherche ?

Robert Genet, directeur général de la recherche et de l'innovation, vient d'être nommé directeur général de l'ANSES. Par sa personnalité, il a imprimé une évolution du partenariat entre les organismes de recherche et l'enseignement supérieur. Pouvez-vous nous donner des indications sur son remplacement ?

À l'occasion de l'examen du projet de loi pour une République numérique, nous avons beaucoup débattu du Text and Data Mining, le TDM. La commission mixte paritaire se réunit cet après-midi et devrait tomber d'accord sur des modalités donnant satisfaction aux chercheurs et préservant la souveraineté scientifique de la France. Comment appréciez-vous le débat qui a eu lieu dans la communauté scientifique, mais aussi dans l'opinion publique avec les enjeux que cela représente pour d'autres ministères ?

Ce projet de loi prévoit également la reconnaissance des enseignements à distance, facilités par les nouvelles techniques de communication. Vous avez évoqué le déficit d'appels à projets financés en provenance notamment de la communauté des mathématiciens et des informaticiens. Aujourd'hui, pour nourrir la recherche sur l'intelligence artificielle, c'est l'interdisciplinarité qui est de mise. Peut-être faudrait-il aussi encourager les projets interdisciplinaires qui favorisent la recherche en intelligence artificielle.

Je poserai maintenant quelques questions au nom de mon groupe sur l'enseignement supérieur, en particulier sur la démocratisation en marche et l'intérêt des étudiants pour l'université. Cela répond à un objectif de réussite personnelle ; c'est également dû à l'attractivité renouvelée de l'enseignement public universitaire et met en évidence la rivalité stimulante entre l'enseignement supérieur privé et l'enseignement supérieur public. La loi de 2013 a instauré une reconnaissance des établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général, les EESPIG. Un certain nombre d'écoles recherchent cette labellisation. Y a-t-il des succès, des échecs, des refus ?

Monsieur le secrétaire d'État, la question que je vais vous poser à présent m'a été suggérée par les organisations syndicales et concerne les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ainsi que les risques professionnels dans l'enseignement supérieur, au regard de l'augmentation des effectifs et de la réorganisation. Les enseignants, les professeurs se plaignent des difficultés à faire face à leurs obligations de service public.

Vous nous avez donné des indications sur le tirage au sort et l'amélioration de l'orientation des étudiants. Les chiffres sont tout à fait probants. Néanmoins, il reste encore quelques filières en tension pour lesquelles le tirage au sort, pratique totalement inégalitaire, est mis en oeuvre. Y a-t-il une voie de passage démocratique entre la sélection, le tirage au sort et la déception des étudiants ?

Mme Corinne Bouchoux. - Monsieur le secrétaire d'État, avez-vous des remontées du terrain sur la mise en place de la réforme des écoles dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, les ÉSPÉ ? À l'occasion d'une visite, j'ai pu constater une certaine souffrance au travail des enseignants et un grand stress des étudiants. Le ministère a-t-il diligenté une enquête pour savoir comment s'était passée cette année ?

Je ne rouvre pas le débat sur la qualification des enseignants-chercheurs. En théorie, tous les futurs enseignants-chercheurs parlent une langue étrangère. Qu'en est-il en réalité ? En outre, une vérification des compétences informatiques ou numériques est prévue. Avez-vous la certitude que, dans les conseils nationaux des universités, l'attention est bien portée sur ces deux points ?

Tout le monde se fait l'écho des difficultés financières de l'ENA, de l'inadaptation de certains de nos hauts fonctionnaires, qui seraient plus ou moins bien connectés au terrain et à la vie concrète. Je relance le sujet sur le rapprochement pacifique, paisible et intelligent entre grandes écoles et universités. À quand une formation de l'ENA qui soit complètement intégrée à l'université de Strasbourg ou dans les universités franciliennes, hors Paris intra muros ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie des éléments que vous nous communiquez. C'est maintenant qu'ont lieu les arbitrages.

J'ai noté votre ton très solennel, voire empreint de gravité : vous êtes conscient que nous touchons les limites de l'exercice contraint auquel nous soumet un budget imposé.

On a raison de se féliciter de la progression significative des effectifs se destinant à l'enseignement supérieur. C'est un signe important de démocratisation. Vous l'avez dit, la question de l'offre éducative, donc la proximité des établissements, est une condition sine qua non de la réussite et de la revitalisation des territoires.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à une véritable problématique de la capacité d'accueil des étudiants. Il faut se pencher sur l'obligation de rechercher une filière qui ne soit pas en tension et connaître l'impact de ce choix imposé dès le premier tour. Nous savons qu'une orientation choisie par défaut ne conduit pas toujours à la réussite. Or nous avons un objectif d'élévation des qualifications dans ce pays, comme le rappelle la StraNES.

Sur la recherche, vous cherchez des solutions aux problématiques que vous avez identifiées et que nous partageons. La répartition vise à satisfaire en priorité les crédits récurrents et de tenter de minorer la part des appels à projets, mêmes si on sait que ces appels à projets doivent être en lien avec les grandes priorités que s'est fixées notre pays. Il faut être très attentif à l'état de nos grands organismes de recherche et à la précarité des chercheurs qui y travaillent.

Monsieur le secrétaire d'État, qu'en est-il de l'évolution du crédit d'impôt recherche, s'agissant de la recherche privée ? Le volume est-il contenu ? Pense-t-on à une nouvelle augmentation, à une diminution ? Cette distorsion entre une extrême contrainte financière pesant sur la recherche publique et une ouverture de crédits telle un puits sans fond à la recherche privée ne peut plus continuer. Les deux sont nécessaires ; il nous faut une recherche publique prépondérante, très motivée, donc qui a des moyens.

M. Jean-Claude Carle. - Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de la clarté de vos propos. Puissiez-vous faire école rue Grenelle, dont le langage n'est pas toujours aussi compréhensible !

On ne peut que se réjouir de la démocratisation de l'enseignement supérieur, en essayant de ne pas tomber dans le piège de la dévalorisation. Ce qui m'inquiète, c'est le taux d'abandon au cours de la première année d'université. C'est notamment dû au fait que ce ne sont pas toujours les jeunes les mieux préparés qui entrent à l'université.

Il faut donc se réjouir des 2 000 places supplémentaires créées en BTS. Néanmoins, si des mesures d'orientation ne sont pas prises, ce ne seront pas ceux qui devraient s'y inscrire qui le feront. Quelles mesures souhaitez-vous mettre en place pour que ce soit le cas ?

Par ailleurs, on ne peut que se réjouir de la volonté de simplifier les masters. Aujourd'hui, il y a presque plus de masters que d'étudiants en master !

M. Jean-Léonce Dupont. - Monsieur le secrétaire d'État, vous avez annoncé un espace de réflexion sur la gestion des flux en master. Entendez-vous boucler ce dossier cette année et pouvez-vous nous décrire précisément la méthodologie de la réflexion engagée et les premières pistes envisagées ?

J'en viens à l'organisation de l'année universitaire et à la seconde session d'examen. De plus en plus d'universitaires déplorent que la seconde session soit organisée pour un nombre extrêmement faible, voire dérisoire d'étudiants. On parle quelquefois de plus de 70 % d'absentéisme. Les syndicats étudiants ont eu gain de cause devant la justice lorsqu'ils se sont opposés à des initiatives d'universités renonçant à la seconde session. Quelle est votre position sur le sujet ? Faut-il faire évoluer le droit et renoncer à la seconde session qui est parfois une session fantôme ?

Je crois à votre sincérité personnelle sur le sujet de l'autonomie des universités. Comment évaluez-vous l'état de l'autonomie des universités ?

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. - Monsieur Grosperrin, il est très important que le continuum entre le bac-3 et le bac+3 soit au coeur des réflexions d'évolution du système. De ce point de vue, le travail que j'accomplis avec Najat Vallaud-Belkacem est remarquable. L'orientation qui est au coeur des problématiques que nous évoquons est également pour nous une priorité.

La recherche a été sanctuarisée. Vous avez rappelé un certain nombre d'épisodes. Ce qui compte, c'est que les économies envisagées n'aient pas été réalisées. Je me suis demandé pourquoi, malgré l'engagement du Président de la République, on constatait de temps en temps des tentations de prélever tel ou tel élément du sanctuaire. La réponse est assez simple : la culture de la recherche, la spécificité de la recherche ne sont pas assez connues dans l'administration française. Ceux qui préparent les budgets ne comprennent pas qu'un chercheur ait besoin à la fois de projection dans le temps, de durée, de continuité, toutes choses qui sont d'une autre nature que les procédures budgétaires annuelles.

J'en tire une autre conclusion : plus il y aura de docteurs dans les postes de responsabilité de l'administration publique, mieux cela se passera. Nous réfléchissons à des moyens d'augmenter la part de ceux qui connaissent la recherche dans les lieux de décision.

Vous dites que l'on a tardé à répondre aux problématiques du master 2. Cela fait quatorze ans que le problème existe : nous avons tardé collectivement ! Aujourd'hui, nous l'avons réglé. À mon sens, le dispositif est sécurisé au plan juridique.

Il reste du travail à faire pour éradiquer le tirage au sort. On est en train de faire baisser ce système de manière systématique. Les résultats sont déjà tout à fait considérables. Si l'on veut que l'enseignement supérieur accueille les étudiants qui sont de plus en plus nombreux à frapper à sa porte, il faut se rendre cette évidence : à moyens constants, on n'y arrivera pas ! Je le dis, la StraNES, France Stratégie le disent. L'une des façons de supprimer le tirage au sort, c'est l'orientation ; c'est aussi donner plus de moyens à un système qui accueille de plus en plus d'étudiants.

Madame Gillot, vous m'avez interrogé sur les PIA, la reconnaissance de l'excellence, l'insuffisance des dispositifs actuels. Nous avons mis sous tension notre système de recherche et d'universités de recherche en proposant à ces derniers d'avoir des financements substantiels, s'ils modifient leurs règles de gouvernance. Cela prend du temps. Nous avons raison de nous fixer ce niveau d'exigence, mais il faut une barre intermédiaire. J'ai à peu près fait le tour de toutes les universités, j'ai vu des gens absolument remarquables, qui ont une spécialité en matière de recherche, mais ne pourront jamais être ni IDEX ni I-SITE, même s'ils mériteraient d'être soutenus par la puissance publique au regard de cet effort d'excellence. C'est l'un des objectifs du PIA 3 de créer ces outils qui permettront d'allier diversité des potentiels du territoire national et reconnaissance de l'excellence. Une ligne de crédit assez significative a été créée dans le PIA 3 - de l'ordre de 300 millions d'euros - à cette fin.

Sur la question des taux d'intérêt, il n'y a pas de crainte à avoir.

Nous venons de prendre trois types de mesures très importantes, qui vont radicalement changer les systèmes de valorisation tels qu'ils ont été développés depuis dix ans.

Premièrement, nous avons simplifié drastiquement les règles de la propriété intellectuelle entre acteurs publics. Le décret est en signature : désormais, le mandataire unique est obligatoire dans toutes les équipes mixtes. Il y aura donc un seul référent pour la propriété intellectuelle.

En outre, dans tous les secteurs de la recherche publique, les équipes mixtes auront quatre mois maximum pour se mettre d'accord sur la répartition des bénéfices liés à la propriété intellectuelle. Si elles n'y parviennent pas, la règle forfaitaire s'appliquera.

L'autre réforme, c'est l'évolution des outils du PIA 1 : sociétés d'accélération du transfert de technologies, ou SATT, instituts de recherche technologique, ou IRT. Le pouvoir est redonné aux actionnaires des SATT ; l'État se retire de la gouvernance pour que ces dernières soient gérées par leurs actionnaires, c'est-à-dire les universités et les organismes de recherche dans les territoires. Au regard des rôles nouveaux que les régions jouent en matière de développement économique, il faut aussi que celles-ci puissent, si elles le souhaitent, devenir actionnaires.

Troisièmement, on lève la contrainte de rentabilité des SATT à dix ans. Grâce au rapport de Suzanne Berger, professeur de sciences politiques au Massachusetts Institute of Technology (MIT), on sait que, partout dans le monde, aucune structure de ce type ne gagne de l'argent ! Il n'est pas possible d'être rentable quand on est intermédiaire entre la recherche publique et les entreprises ; c'est forcément une activité d'investissement.

Ces trois réformes ont été décidées. D'autres réformes, telles que le regroupement dans la SATT d'autres fonctions, mesure expérimentée actuellement à Bordeaux et à Montpellier, sont prévues.

Pour la puissance publique, il faut aussi un plus juste retour de la valeur créée par les entreprises grâce aux innovations issues des laboratoires de la recherche publique, c'est-à-dire des IRT. La recherche publique met des chercheurs à disposition dont elle paye 30 % des salaires, qui travaillent en collaboration avec des chercheurs des entreprises. Le produit de l'éventuelle recherche partenariale appartient à l'IRT ; il est exploité ensuite via des licences par les entreprises, ce qui est bien normal. Il se trouve qu'il n'y a jamais de retour financier pour les universités, lesquelles se retrouvent un peu comme les dindons de la farce. C'est pourquoi elles hésitent à mettre leurs meilleurs chercheurs dans un dispositif qui ne leur est pas favorable. Désormais, une convention sera signée. Cette contrainte a été levée par le Commissariat général à l'investissement. Je me félicite de ces évolutions très importantes.

Introduire un chapitre sur le Conseil national stratégique dans le Livre blanc est une très bonne idée que je retiens.

Une première version autorisant de fouiller les données a été votée par amendement à l'Assemblée nationale : elle était très performante pour la recherche, mais très inquiétante pour de nombreux secteurs, notamment le monde de la culture, avec toutes les problématiques liées au droit d'auteur. Le Sénat a proposé une version beaucoup plus lourde en matière de possibilité de fouille de données.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous souhaitez travailler à une solution permettant de conserver les avantages de la version issue des débats de l'Assemblée nationale sans les inconvénients que le Sénat avait justement soulignés. Si vous y parvenez, chapeau et bravo ! Vous rendrez un immense service à la recherche française, en lui permettant de ne pas être dépassée par la recherche britannique et allemande.

Madame Bouchoux, il reste des difficultés préoccupantes concernant les ÉSPÉ. Je les ai à l'esprit, mais je n'en tire pas de règle générale. C'est très variable selon les sites.

Il faut aussi travailler à la question des enseignants-chercheurs, à leur évaluation et au fait que la fonction d'enseignement n'est pas assez valorisée dans leur carrière. On ne peut pas dire qu'il faut accueillir de plus en plus d'étudiants et qualifier de plus en plus d'enseignants-chercheurs et les évaluer sur leurs seules publications. Je ne vois pas ce que notre système perdrait à valoriser ceux qui s'investissent vraiment dans la pédagogie.

J'aimerais parler plus précisément avec vous de l'ENA. Je suis très intéressé par l'idée d'avoir un travail sur les contributions que l'enseignement supérieur pourrait apporter à une bonification des enseignements à l'École. Je crois à l'ENA : il faut des cadres supérieurs de la République ; on en a plus que jamais besoin, mais il faut qu'ils soient formés de manière beaucoup plus collaborative, beaucoup plus diversifiée qu'ils ne le sont aujourd'hui. Vous avez raison de souligner la qualité de l'université de Strasbourg. Peut-être y a-t-il des modalités intelligentes à trouver.

Madame Gonthier-Maurin, je l'ai dit, à budget constant, cela ne marche pas ! Rendez-vous dans quelques semaines probablement.

Le Gouvernement porte l'engagement du Président de la République de sanctuariser le crédit d'impôt recherche sur la durée du quinquennat. L'appel d'offres est en préparation, j'ai l'intention de saisir une équipe indépendante, probablement issue d'une université, pour vérifier l'impact micro-économique du CIR, pour expliquer l'inélasticité de la dépense des entreprises en matière de recherche aux dépenses de CIR. Il faut donc analyser ce phénomène avec attention. J'entreprends cette démarche sans a priori, car le crédit d'impôt recherche est un dispositif qui présente beaucoup d'avantages et d'intérêts, mais il est opportun d'avoir une démarche scientifique sur un outil qui coûte de l'argent à la nation.

Monsieur Carle, pour résoudre le problème du taux d'abandon, je propose deux réponses. Il faut aller beaucoup plus loin en matière d'orientation, nous n'en sommes qu'au début. La préparation de l'accès à l'enseignement supérieur doit devenir une matière à temps plein dans l'enseignement secondaire. En France, 80 % des jeunes qui entrent dans l'enseignement supérieur en sortiront diplômés en quatre années, contre 70 % dans la moyenne des pays de l'OCDE. C'est un chiffre excellent qui montre qu'il n'y a pas de gaspillage massif de ressources ou de talents dans l'enseignement supérieur français.

Monsieur Dupont, on est en train de discuter d'une modalité d'expérimentation à droit constant avec la conférence des présidents d'université sur l'évaluation.

Sur l'autonomie, il ne faut pas se satisfaire de l'état actuel. C'est un premier pas, il faut aller plus loin, notamment sur la question de l'immobilier. On peut imaginer renforcer encore cette autonomie dans d'autres domaines. Il n'y a pas de salut en dehors d'établissements qui soient vraiment adultes, insérés à une politique nationale.

M. Patrick Abate. - Monsieur le secrétaire d'État, vous avez fait état de France Stratégie et de la note sur la mobilité sociale en rappelant que la proximité était le déterminant de cette mobilité. Il y a un autre déterminant, la capacité d'accueil des établissements dans le domaine de la vie quotidienne : logements, restauration, bourses.

En la matière, les CROUS ont une place centrale. En 2015, un rapport de la Cour des comptes appelait de ses voeux une réorganisation des CROUS, une réécriture du positionnement du CNOUS dans le pilotage de ces établissements, voire une clarification de ses missions. Dans le même temps, nombre d'organisations étudiantes posaient le problème des difficultés que rencontraient les étudiants, notamment en termes de logements. Malgré les efforts consentis, l'offre reste insuffisante et encore assez mal répartie. Pouvez-vous dresser un état des lieux de la situation en la matière et nous livrer vos objectifs ?

M. Michel Savin. - Alors que l'enseignement à distance connaît un large essor en France, quelles mesures en faveur de son développement et de sa réussite comptez-vous mettre en place ? Par ailleurs, quels moyens de contrôle et de certification des formations existent aujourd'hui ?

Mme Colette Mélot. - .Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vous interroger sur les inscriptions en ÉSPÉ. Les ÉSPÉ attirent-elles davantage les étudiants, en particulier dans les académies déficitaires comme à Créteil, où deux concours ont été organisés l'année dernière ?

Sur le TDM, le texte adopté par l'Assemblée nationale a été rejeté par le Sénat, puisqu'il créait une exception au droit d'auteur qui contrevenait à la directive européenne. La solution retenue par le Sénat, si elle ne libère pas complètement le TDM, permet toutefois la fouille de tous les textes en organisant des relations contractuelles entre les organismes de recherche ou les bibliothèques et les éditeurs ; elle donne satisfaction aux éditeurs. Reste que cette solution serait transitoire en attendant que la directive européenne soit à nouveau modifiée.

L'exception au droit d'auteur permettrait la fouille de tous les contenus culturels et donnerait lieu à beaucoup de contentieux. Il faut que ces débats soient organisés à l'échelon européen pour que la réforme de la directive européenne en tienne compte. J'ai cru comprendre qu'une position intermédiaire était étudiée. J'espère que la commission mixte paritaire parviendra à une solution.

Mme Françoise Férat- Monsieur le secrétaire d'État, j'ai été interpellée par le collectif des travailleurs précaires de l'enseignement supérieur et de la recherche, composé de chercheurs, d'enseignants, de personnels administratifs et techniques. Les exemples qu'ils ont donnés sont assez frappants et décrivent des situations assez nombreuses. L'instabilité qui dure devient au fil du temps tout à fait insupportable. Quelles mesures sont ou seront mises en oeuvre pour résorber la précarité de bon nombre de travailleurs de l'enseignement supérieur et de la recherche ?

Mme Sylvie Robert. - Le dispositif APB apporte une réponse partielle au tirage au sort, notamment dans les filières STAPS, en permettant aux futurs étudiants d'être affectés dans l'académie qu'ils souhaitent. Mais cela ne résout pas complètement le problème.

APB est un processus très complexe. Ne pourrait-il pas y avoir une évaluation, notamment dans le positionnement d'un certain nombre de lycées, plutôt les plus fragiles, sur l'accompagnement des lycéens dans cette procédure ? Dans certains lycées sont organisées des réunions de présentation. Sans un accompagnement presque personnalisé, les jeunes n'ont pas les moyens de comprendre dans leur famille ce que recouvre telle formation, notamment les doubles cursus. À Rennes, j'ai vu des jeunes complètement perdus. Sans cet accompagnement, on risque une rupture d'égalité en matière d'orientation et d'accès à ces formations. Il faut donc une évaluation de cette nouvelle démarche d'APB.

J'en viens à la vie étudiante et à l'accueil des étudiants, qui est mon cheval de bataille. Je vous remercie du plan « bibliothèques ouvertes » : cela va dans le bon sens et montre qu'une réflexion est menée sur la question des horaires d'ouverture des bibliothèques. Mais il faut s'attaquer à Paris, qui ne fait pas partie de ce plan. Aujourd'hui, il faut faire deux heures et demie de queue à la Bibliothèque publique d'information le dimanche et cela augmente. Là aussi, c'est une question d'égalité. Paris est un sujet en soi. Il faut aider la mairie de Paris à régler ce problème qui prend de l'ampleur.

Mme Françoise Cartron. - Sur la question des filières sous tension, on voit enfin la tendance s'inverser.

Dans cinq universités, une expérimentation autour du contrôle continu a été conduite. Où en sommes-nous de l'évaluation de cette méthode ?

Le Brexit va-t-il bouleverser les coopérations entre le Royaume-Uni et les États membres de l'Union européenne, en particulier la France ? Le Royaume-Uni est un partenaire important pour la France dans le domaine de la recherche. Quel est l'état de la recherche et des infrastructures de recherche dans ce grand pays ?

M. Christian Manable. - Monsieur le secrétaire d'État, la gouvernance de l'université Picardie-Jules Verne est dans l'impasse depuis plusieurs mois, faute d'entente entre deux candidats qui ont réalisé exactement le même score aux élections universitaires. La situation de blocage semble absolument inextricable. Certes, les universités sont souveraines et autonomes, mais comment débloquer cette situation avant la prochaine rentrée universitaire ?

M. Pascal Allizard. - On a bien compris, sur la problématique du tirage au sort, que nous nous heurtions à des problèmes d'offre et de demande dans certaines filières et que les moyens budgétaires étaient limités. Ne pourrait-on pas réfléchir à un autre mode de sélection ? Je trouve étonnant que l'on ait recours à cette technique un peu lâche du tirage au sort pour trancher des sujets aussi cruciaux pour les étudiants concernés. J'entends bien qu'il n'y a pas de solution miracle, mais ne peut-on travailler à une méthode alternative ?

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. - Monsieur Abate, d'ici à la fin 2007, 43 000 logements auront été livrés au cours du quinquennat. Peut-être faudra-t-il un nouveau plan dans un prochain quinquennat, car tous les problèmes n'auront pas été réglés. D'ores et déjà, plus de 23 000 logements sont mis à la disposition des étudiants : le tarif d'accessibilité est assez modéré puisque, une fois déduites les différentes aides dont les étudiants peuvent bénéficier, il varie entre 120 euros et 180 euros pour des logements neufs. Il faut poursuivre les efforts.

M. Savin, dont on connaît l'attachement constant à encourager l'enseignement à distance, m'interroge sur la nécessité de développer cet enseignement, de certifier et de sécuriser les formations. Le projet de loi pour une République numérique le rassurera sans doute : dans ce texte, des articles permettent d'ouvrir les enseignements à distance et la reconnaissance des formations en tout ou pour partie numériques. On offre donc une sécurisation juridique. Dans le financement des PIA 3, des crédits pourront être mobilisés pour renforcer les programmes et les innovations et pour développer l'enseignement à distance.

Madame Mélot, les viviers des ÉSPÉ sont à peu près reconstitués pour l'ensemble des disciplines, même s'il reste quelques difficultés en mathématiques et en anglais. Nous maintiendrons le deuxième concours dans l'académie de Créteil, qui a donné de très bons résultats l'année dernière. Aujourd'hui, les ÉSPÉ forment plus de 55 000 jeunes.

Sur le TDM, il ne m'appartient pas d'intervenir sur le débat qui aura lieu cet après-midi. Si vous parvenez à trouver une solution intermédiaire qui parte des remarques justes du Sénat sur la nécessité de protéger le droit d'auteur et qui permette aux chercheurs de réaliser les fouilles de textes et de données, vous aurez accompli un travail parlementaire remarquable. À ceux qui en doutent, vous aurez montré toute l'utilité de la navette parlementaire.

Madame Férat, la question des précaires est l'une de mes préoccupations majeures. Je ne la déconnecte pas des préoccupations et des besoins budgétaires. Je connais cette situation, elle est à de nombreux égards injuste. Elle doit être traitée dans la durée.

Je propose une répartition des tâches. Nous réfléchissons à cette question d'un point de vue budgétaire. Vous-même pouvez insister dans votre formation politique sur le fait que des réductions massives d'agents publics annoncés dans vos programmes à hauteur de 500 000 agents sur huit ans conduiront immanquablement à diminuer dans des proportions massives des fonctionnaires de l'enseignement supérieur. Certains candidats à la primaire des Républicains proposent de réduire de 250 000 le nombre d'agents publics, ce qui représente 100 000 agents dans les universités. Il est clair que des suppressions aussi massives feront immanquablement diminuer l'emploi dans les universités, donc les possibilités de transformer des contrats précaires en contrats durables.

Madame Robert, je suis totalement d'accord avec vous ! Pourquoi faire d'APB un choix individuel à la maison ? Si l'on veut lutter contre les inégalités, ce choix doit se faire en classe, avec quelqu'un qui vous accompagne, qui vous connaît. C'est une matière à part entière. Il est indispensable d'aller dans cette direction. Cela demande de l'accompagnement, une formation des enseignants, du temps. Mme la ministre partage ce point de vue.

Vous avez raison d'insister sur le plan « bibliothèques ouvertes ». On a réussi à ouvrir significativement le nombre de bibliothèques le week-end ou le dimanche, mais il y a un problème à Paris. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir très récemment avec la maire-adjointe chargée de ces sujets : nous allons travailler de concert pour que l'effort que nous sommes parvenus à accomplir dans toute la France soit réalisé aussi à Paris.

Madame Cartron, les expérimentations relatives au contrôle continu à cadre réglementaire constant donnent de très bons résultats. C'est une piste. Dans le monde universitaire et scientifique, les positions de principe fondées contre la réalité des faits ne tiennent pas. Il faut rassurer ceux qui, à juste titre, considèrent qu'il faut prendre des précautions avant d'étendre encore le contrôle continu. Dans la mesure où cela marche, il faut poursuivre la réflexion.

Sur le Brexit, vous posez une question très importante. Je transmettrai à votre commission une note d'information sur les conséquences du Brexit que nous avons imaginées pour l'enseignement supérieur et la recherche, selon que le Royaume-Uni devienne un pays associé ou pas. C'est une première projection élaborée en quarante-huit heures qui permet tout de même de cadrer les choses.

Sur ERASMUS+, les mobilités étudiantes entre la France et l'Angleterre sont considérables : 20 % des Français qui font leur mobilité se rendent au Royaume-Uni et 30 % des Britanniques qui font leur mobilité viennent en France. Évidemment, selon le statut du Royaume-Uni, les conséquences seront très lourdes.

En outre, l'appareil universitaire anglais est très nettement bénéficiaire, à 134 % des crédits qu'il donne à l'Europe. Les retours sont donc supérieurs aux crédits. Cela posera des difficultés sérieuses à la recherche et aux universités, dans un pays où le budget de la recherche publique et privée confondue représente 1,6 % du PIB ! On est loin des 3 % !

Monsieur Manable, je comprends combien la question que vous soulevez est terrible pour les étudiants et pour les enseignants. Ceux qui postulent aux responsabilités de l'université se sont placés dans une situation insoluble. Nous avons placé un administrateur provisoire. Doit-on aller plus loin ? Dans ce cas, quid de l'autonomie des universités ? Je suis attaché à l'autonomie des universités et à la responsabilité de ceux qui veulent diriger ces établissements. J'espère qu'ils parviendront à dépasser les blocages actuels.

Monsieur Allizard, je souhaite que l'on parvienne à éradiquer la procédure du tirage au sort. La récente réforme d'APB a permis de diminuer de 60 % les filières dans lesquelles cela va se produire. Pour le reste, il faut probablement renforcer l'orientation pour faire baisser la pression sur certaines filières en tension. Il faut également des moyens supplémentaires pour augmenter les capacités d'accueil.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie infiniment de toutes ces précisions utiles. Les questions ont été nombreuses et franches ; vos réponses l'ont été tout autant. (Applaudissements.)

Mission d'information sur l'orientation - Présentation du rapport d'information

La commission procède à l'examen du rapport de M. Guy-Dominique Kennel sur la mission d'information sur l'orientation scolaire.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'orientation est un sujet d'actualité, comme vient de le montrer l'audition de Thierry Mandon. C'est pourquoi j'avais proposé, au printemps 2015, de nous en saisir, afin que nous disposions d'un travail de référence qui fait suite au rapport d'information de Christian Demuynck, France, atout jeunes. Je remercie donc Jacques-Bernard Magner et Guy-Dominique Kennel, respectivement président et rapporteur de la mission d'information, ainsi que ses quinze membres, d'avoir mené à terme ce travail qui va nous apporter des éclairages utiles.

M. Jacques-Bernard Magner, président de la mission d'information. - Je vous remercie de l'attention que vous portez à ce travail que nous menons, en effet, depuis un peu plus d'un an. Je salue l'esprit convivial qui a présidé à nos échanges et remercie notre rapporteur, qui a su associer étroitement les membres de la mission à ses travaux, dont nous avons adopté, hier, les conclusions.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur. - Je remercie à mon tour notre présidente de son initiative. J'ai eu grand plaisir à travailler avec Jacques-Bernard Magner et remercie les membres de la mission pour leur présence efficace et constructive. Loin de toute approche politicienne, j'ai entendu me fonder sur des réalités concrètes, pour émettre des recommandations pratiques.

Face à l'immensité du sujet, j'ai circonscrit mon travail au champ de compétence de notre commission, c'est-à-dire l'orientation scolaire au collège et au lycée, en vue de l'enseignement supérieur.

Je n'ai pas souhaité m'appesantir sur le constat, au profit d'un rapport plus opérationnel et tourné vers les propositions. Le constat des dysfonctionnements de l'orientation a été fait avant moi, en particulier par le Haut Conseil de l'éducation ou la Cour des comptes. Ce constat est simple : l'orientation par l'échec demeure une réalité.

Loin d'être un continuum, elle agit comme un couperet : le sort des élèves se joue en quelques mois dans certaines classes « palier » - la troisième, la seconde et, dans une certaine mesure, la terminale - et sur le seul fondement des notes obtenues par les élèves. Dans un système scolaire strictement hiérarchisé, au sein duquel la voie générale, et à l'intérieur de celle-ci la filière S, matérialise la réussite scolaire, l'orientation se fait véritablement par l'échec : sont progressivement écartés ceux qui n'ont pas les résultats pour aller en seconde générale et technologique, puis ceux qui ne peuvent pas aller dans la voie générale. Dans ce processus, l'élève est encore trop souvent passif et le travail en vue de l'orientation d'un élève de troisième demeure ponctuel et sans vraie cohérence d'ensemble. Il se limite bien souvent à la distribution de la brochure de l'ONISEP, une séquence d'observation en milieu professionnel de cinq jours, un entretien avec le conseiller d'orientation-psychologue et un autre avec le professeur principal.

De surcroît, l'affectation, qui répartit les élèves entre les différentes formations selon leurs capacités d'accueil, dément parfois les décisions d'orientation et mène ainsi à des orientations subies, en particulier dans la voie professionnelle. La répartition des élèves entre les filières ne dépend pas de leurs seules notes, mais aussi de leur origine sociale, de leur lieu d'habitation ou de leur sexe. Les statistiques sont éclairantes sur la question.

La complexité du système scolaire, le foisonnement d'une information de qualité variable et l'opacité des procédures d'affectation font de l'orientation un sujet d'anxiété pour de nombreuses familles, et pénalisent particulièrement les plus éloignées de la culture scolaire.

Mettre en avant une vision de l'orientation comme un choix éclairé et positif, élaboré par l'élève lui-même et en toute connaissance de cause : tel est le cap que je me suis fixé. Vous remarquerez que je m'inscris ainsi dans la droite ligne de la loi de refondation de l'école, et n'ai pas entendu adopter une posture critique univoque.

Je considère que la nouvelle ambition pour l'orientation que j'appelle de mes voeux nécessite, d'une part, une clarification des objectifs et d'autre part, une simplification de l'organisation du système éducatif.

Il s'agit, en premier lieu, de faire de l'insertion professionnelle des diplômés un objectif majeur du système éducatif, au même titre que les objectifs de qualification académique. L'insertion professionnelle des diplômés de l'enseignement professionnel est très décevante ; elle est meilleure pour les diplômés de l'enseignement supérieur, où la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU) a fait de l'orientation et de l'insertion professionnelle une des missions du service public de l'enseignement supérieur. Mais les chiffres optimistes masquent de fortes disparités selon les filières et l'acceptation d'emplois sous-qualifiés, au prix de l'éviction des moins qualifiés. Les objectifs de qualification, que je ne remets pas en cause, doivent être plus clairement étendus à la formation continue : il s'agit de dédramatiser l'orientation et de l'inscrire dans une continuité.

Je propose, en second lieu, de simplifier l'organisation des acteurs de l'orientation, qui forme un paysage complexe : la multiplication des interventions, outre qu'elle coûte cher, aboutit à une information pléthorique, dispersée et parfois incohérente sur les métiers et les filières de formation. L'enjeu n'est pas tant d'accéder à l'information que de discerner celle qui est fiable et pertinente. En matière de pilotage, la loi du 5 mars 2014 a organisé un partage entre l'État et la région : à l'État l'accueil, l'information et l'orientation des publics scolarisés, à la région tout le reste. Or, ce que des responsables du Centre d'étude et de recherche sur les qualifications (CÉREQ) qualifiaient de « schizophrénie publique » engendre confusion et déperdition d'énergie : le rôle de coordination dévolu aux régions reste relativement flou, puisque l'orientation au sein du système éducatif lui échappe et que nombre d'organismes à déclinaison régionale, comme l'ONISEP, Pôle Emploi, ou le réseau Information Jeunesse, restent sous gouvernance nationale.

Je propose donc de regrouper physiquement, autant que faire se peut, les différents acteurs de l'orientation sur des sites uniques et de promouvoir une culture commune de leurs agents. Je préconise également de transférer aux régions la responsabilité de l'accueil, de l'information et de l'orientation des publics scolarisés en dehors des établissements scolaires - l'orientation et l'affectation des élèves demeurant une compétence régalienne de l'État. Cela implique le transfert vers les régions de l'animation du réseau « Information Jeunesse » et des Centres d'information et d'orientation (CIO). Les conseillers d'orientation-psychologues auraient le choix entre le transfert aux régions ou le maintien dans l'éducation nationale. Ils exerceraient alors dans les établissements ; leur mission serait recentrée sur l'appui aux équipes éducatives et le traitement des cas difficiles.

Enfin, j'appelle à réaffirmer la place centrale, dans les missions des enseignants, du conseil en orientation, mentionné dans leur statut et pour lequel ils perçoivent l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (ISOE). Leur formation initiale et continue en la matière doit être renforcée. La fonction de professeur principal, notamment en classes de troisième et de seconde, devrait être mieux reconnue et valorisée.

La deuxième partie de mon rapport s'attache au déroulement concret de l'orientation et de l'affectation des élèves dans le second degré, qui fait le coeur du sujet. Mes recommandations s'articulent autour de deux objectifs principaux : que l'orientation devienne réellement un parcours progressif dont chaque élève est l'acteur et que l'affectation, au sens large, devienne plus juste et transparente.

L'idée d'un parcours progressif, cohérent et personnel trouve son incarnation dans le parcours Avenir (ex-PIIODMEP), créé par la loi du 8 juillet 2013 et qui constitue un progrès notable. Mais il convient de lui consacrer un horaire dédié, de l'ordre d'une heure hebdomadaire, qui soit entièrement fongible à l'échelle de l'année, afin de prévenir sa marginalisation dans le contexte de la réforme du collège.

Le stage de troisième, qui constitue l'instrument principal de découverte du monde économique et professionnel, doit voir sa place et ses modalités repensées : je recommande ainsi de multiplier les immersions brèves au collège (trois fois deux jours, par exemple) et d'introduire un stage plus long au lycée général et technologique.

Quant aux décisions d'orientation, je considère qu'elles doivent appartenir à l'élève et à sa famille, faute de quoi l'orientation choisie ne restera qu'un vain mot. Si elle n'a pas bouleversé l'orientation en fin de troisième, l'expérimentation du « dernier mot » aux familles a mis en évidence le besoin d'accompagner les familles et de renforcer le dialogue avec elles, en particulier celles qui sont les plus éloignés de la culture scolaire. Cela doit passer par l'instauration, dès la classe de sixième de rendez-vous réguliers entre l'élève, ses parents et l'équipe éducative portant sur le déroulement général de la scolarité, les aspirations et les parcours possibles. En retour, les parents, qui constituent une ressource, doivent être associés au travail d'orientation dans l'établissement.

Sur quels critères fonder l'orientation et l'affectation des élèves ? Si les notes obtenues dans les matières générales peuvent indiquer l'aptitude des élèves à réussir dans les voies générales, elles ne peuvent faire état de leur aptitude à réussir dans telle ou telle filière ou à exercer tel métier. Pourtant, les notes restent le principal facteur pris en compte pour l'affectation dans la voie professionnelle. Il convient donc de repenser l'évaluation pour prendre en considération les compétences et la motivation des élèves.

Se pose, enfin, le double problème, maintes fois soulevé, de la précocité des choix d'orientation, notamment pour la voie professionnelle, dans laquelle ils sont déterminants, et du cloisonnement du lycée, qui rend difficilement rattrapable une orientation subie. Pour y remédier, je recommande de développer les classes de seconde professionnelle à spécialisation progressive et de faciliter les transitions entre les filières et les voies de formation. Cela passe par le développement des « parcours montants », qui permettent de changer de voie sans perdre une année, des stages de remise à niveau et suppose de faire du lycée polyvalent la structure d'organisation du lycée. Outre les bénéfices incontestables en matière de mixité sociale et scolaire, le lycée polyvalent facilite les changements de formation qui se font de manière informelle au sein du même établissement.

J'en viens à l'affectation, soit la répartition les élèves entre les établissements et les formations, qui, souvent douloureuse, reste une problématique mal appréhendée. Succédant aux décisions d'orientation, qu'elle dément parfois, l'affectation revêt une grande importance, en particulier dans la voie professionnelle où elle est déterminante. Si un élève orienté en seconde générale et technologique peut être amené à ne pas intégrer le lycée de son choix ou à ne pas pouvoir suivre l'enseignement d'exploration souhaité, un élève souhaitant une spécialité professionnelle précise peut se voir affecté dans une spécialité qui ne l'intéresse pas ou qui ne correspond pas à ses aptitudes, voire être affecté contre son gré en seconde générale et technologique.

En 2004, le rapport Thélot avait proposé de fusionner la décision d'orientation et la décision d'affectation : c'est ambitieux mais irréaliste, compte tenu de l'écart entre les demandes des élèves, l'offre de formation et les débouchés desdites formations. Ainsi, des formations aux débouchés limités sont très demandées, souvent en vertu de stéréotypes, quand d'autres, présentant d'excellents taux d'insertion, ne font pas recette.

En conséquence, je recommande de rendre la définition de l'offre de formation plus réactive, sans verser dans l'adéquationnisme, de réduire le nombre de spécialités professionnelles et de rénover le fonctionnement des commissions professionnelles consultatives.

La transparence de la procédure d'affectation AFFELNET et du portail Admission post bac (APB) doit également être améliorée. De fait, la méconnaissance des procédures favorise les initiés, nourrit l'anxiété des élèves et des familles et les conduit parfois à adopter des stratégies contre-productives, consistant par exemple à émettre un premier voeu « raisonnable » par crainte de ne pas être affecté, alors que l'algorithme AFFELNET récompense la sincérité dans l'ordonnancement des préférences. Il s'agit notamment de mener un travail de pédagogie et d'explicitation du barème et des critères auprès des élèves et de leurs parents. La publication des algorithmes et des codes sources des différents systèmes serait de nature à lever toute ambigüité sur leur fonctionnement.

L'orientation vers l'enseignement supérieur gagnerait également à être améliorée. Le continuum bac-3/bac+3 reste encore à construire - nos collègues députés ont travaillé sur ce sujet l'année dernière. Il s'agit d'abord de mieux informer les futurs étudiants sur le contenu des formations et les débouchés de chaque diplôme : APB doit évoluer en un outil de présentation des taux de réussite et d'insertion de toutes les formations. Une année de césure post bac, consacrée à des stages en milieu professionnel ou à un service civique, permettrait de laisser le temps à ceux qui en ont besoin pour choisir leur voie.

J'en arrive à une question sensible, celle de la sélection à l'entrée de certaines filières universitaires, notamment les licences à capacité limitée. Si la sélection est un tabou, force est de constater qu'elle a pourtant déjà lieu, selon deux modalités, qui me paraissent l'une et l'autre scandaleuses : le tirage au sort et l'échec en première année de licence. Considérant qu'il n'est pas possible de multiplier à l'infini les places dans des formations très demandées mais déjà saturées et souvent sans débouchés, comme les sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) ou la psychologie, je préconise l'édiction de prérequis transparents et affichés dans APB pour l'accès à toutes les formations à effectifs limités. Enfin, les commissions d'orientation du supérieur, proposées par la Stratégie nationale de l'enseignement supérieur (STRANES), et expérimentées dans cinq académies, ainsi que l'a évoqué Thierry Mandon ce matin, permettent d'effectuer un travail de conseil plus efficace auprès des étudiants.

Enfin, la dernière partie du rapport porte sur l'approfondissement des relations entre l'éducation nationale et le monde économique, levier important d'amélioration tant de la qualité de l'orientation que de l'enseignement.

Le souci de valoriser la voie professionnelle et de l'apprentissage est une constante du discours politique depuis des décennies. Pourtant, l'enseignement professionnel demeure le laissé-pour-compte du système éducatif. Les recommandations que je viens d'évoquer, qui visent à améliorer les processus d'orientation et d'affectation, participent de sa valorisation. C'est une voie d'excellence, comme en témoignent ses nombreuses réussites, qui mériteraient d'être mieux mises en avant. Le développement des parcours mixtes, dans lesquels les élèves peuvent allier formation en alternance et sous statut scolaire, permettrait d'accroître la complémentarité des deux modes de formation, tout comme la mixité des publics dans les enseignements. Enfin, un effort particulier doit être fait pour encourager la mobilité des lycéens professionnels et des apprentis : l'offre de formation n'est pas extensible à l'infini et suivre la formation de son choix nécessite souvent de se déplacer, alors même que les élèves appartiennent pour beaucoup aux catégories sociales les moins mobiles. D'où ma proposition d'accompagner cette mobilité, soit par l'internat soit par une augmentation de la bourse.

Enfin, le monde économique doit être davantage associé à la vie des établissements et aux actions menées dans le cadre du parcours Avenir, c'est là une des conditions de leur efficacité. Cela passe par une meilleure connaissance mutuelle de l'école et de l'entreprise ; à cette fin, je préconise l'introduction de stages obligatoires en milieu professionnel pour les jeunes enseignants, la présence d'un représentant du monde professionnel au sein des conseils des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) et l'encouragement des opérations de parrainage entre établissements et entreprises.

Faire venir les professionnels dans les établissements à la rencontre des enseignants et des élèves peut être une autre facette de cette association entre l'école et le monde professionnel et servir l'ambition d'un travail d'orientation tout à la fois enraciné dans son environnement local et élargissant, pour les élèves, le champ des possibles. Les parents d'élèves, je l'ai dit, constituent une ressource précieuse, et les établissements devraient faire plus systématiquement appel à eux.

Enfin, la place des représentants du monde économique dans la gouvernance des établissements, en particulier dans les conseils d'administration des lycées, doit être consolidée. J'appelle à engager l'expérimentation qu'avait prévue par la loi de 2005 mais qui n'a jamais été mise en oeuvre, et qui visait à confier la présidence du conseil d'administration de l'établissement à une personne extérieure. Je n'ignore pas la franche opposition des syndicats de chefs d'établissements, mais une expérimentation dans certains établissements volontaires permettrait peut-être de lever les réticences. Ajoutons que cette pratique existe de longue date dans l'enseignement agricole, où elle est appréciée et fonctionne bien.

À cet ensemble de conclusions je suis tenté, après l'audition de Thierry Mandon, d'en ajouter une dernière : pourquoi pas un ministre chargé de l'orientation et de l'insertion professionnelle dans le prochain Gouvernement ?

L'ampleur du sujet m'a conduit à brosser à larges traits les recommandations que je formule. J'aurais souhaité pouvoir vous présenter chacune d'entre elle en détail ; vos questions permettront sans nul doute de préciser certains points.

En conclusion, l'instauration du parcours Avenir va résolument dans le bon sens - il faudra néanmoins du temps et des efforts pour qu'il tienne ses promesses. En deuxième lieu, j'ai été impressionné par le dynamisme et la qualité du travail réalisé sur le terrain, lorsqu'une volonté forte et partagée existe. Sachons saluer et faciliter ces initiatives. Enfin, et cela dépasse le champ de mon rapport, je crois qu'une véritable réflexion doit être ouverte sur l'avenir du lycée et notamment de l'enseignement professionnel, qui en est le maillon souffrant de l'éducation nationale.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci de cet excellent rapport qui pose un diagnostic approfondi et propose des orientations concrètes.

Mme Corinne Bouchoux. - Ce rapport est informé, documenté, libéral dans tous les sens du terme. Il se veut pragmatique et témoigne d'une connaissance fine du système éducatif. Nous avons eu, pour en discuter, une réunion très ouverte et mon groupe ne manquera pas d'apporter une contribution, car si nous avions tenu la plume, nous aurions sans doute écrit les choses autrement. Je mentionnerai, pour l'heure, deux points susceptibles de susciter des tensions.

Le premier concerne le transfert des Centres d'information et d'orientation (CIO) vers les régions. Je n'ai pas de doctrine en la matière, et si on laisse aux conseillers d'orientation-psychologues le choix de leur tutelle, l'idée ne me choque pas. Les personnels IATOS (ingénieurs, administratifs, techniques, ouvriers et de service) transférés aux régions et aux départements en 2004 ne l'ont pas regretté.

Le deuxième point concerne la gouvernance. J'avoue que je pensais que les ÉSPÉ comptaient déjà des représentants du monde économique. Quant aux conseils d'administration des établissements scolaires, les chefs d'établissements ne sont pas prêts à renoncer à leur présidence, ce qui peut se comprendre. À titre personnel, je suis tentée de dire que les enseignants, individuellement, sont tous passionnés et prêts à donner énormément, mais que collectivement, il reste une difficulté à appréhender le changement : si pour y remédier, il faut en passer par le prisme d'un regard extérieur, c'est une option qu'il ne faut pas a priori rejeter.

Oui, il faut revoir l'orientation et, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout, nous reconnaissons que vous ouvrez des pistes. J'attire cependant l'attention sur un point. Certes, plus on individualisera l'orientation, en nouant tôt la relation entre les adultes et l'enfant, plus les réussites pourront être versées au compte de l'enfant qui réussit. Mais je crains qu'en revanche, lorsque cela ne fonctionnera pas, on ait du même coup tendance à voir dans l'échec d'un jeune, à rebours des enseignements de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans La reproduction, la seule responsabilité d'un individu. Or, en particulier dans le contexte politique que nous connaissons, il importe de marteler que l'école ne peut plus produire des enfants en échec. Le rapport n'y insiste peut-être pas assez : 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme. Ce n'est pas admissible. L'orientation doit se donner pour but d'éradiquer l'échec scolaire.

Mme Maryvonne Blondin. - Je salue le climat très confiant dans lequel se sont déroulées nos réunions, qui a permis à chacun de participer pleinement. Pour avoir été membre de la mission d'information qui a donné lieu au rapport Demuynck de 2009, je dois dire que je retrouve ici certaines préconisations. Autant dire que je m'interroge : seront-elles un jour mises en oeuvre ? Rapprochement entre éducation nationale et monde économique, orientation choisie plutôt que subie, rôle du CIO et des acteurs comme Pôle emploi sont autant de préconisations que nous avions déjà formulées. À quoi s'ajoute, et c'est la marque de votre rapport, l'accent porté sur le rôle des parents et ce qui, avec le parcours Avenir, ressort de la loi de refondation de l'école. Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, la bonne volonté des personnels y est pour beaucoup. Quand une équipe décide de mettre l'innovation professionnelle à l'ordre du jour, que cette volonté est portée par les personnels de direction et inscrite dans le projet d'établissement, on arrive à des résultats. Comme dans toute réforme, il y faut une volonté de terrain, sans laquelle on peine à avancer. Renforcer l'accompagnement dans l'orientation, pour lutter contre l'inégalité des chances dont parlait tout à l'heure Sylvie Robert, tel est l'objectif sur lequel il convient d'insister. Il nous faudra être très vigilants sur la question du référentiel métiers des futurs psychologues de l'éducation nationale.

Souhaitons, encore une fois, que ce rapport ne reste pas lettre morte. Ce qui y est préconisé l'avait déjà été, pour une bonne part, en 2009. À nous de faire en sorte que ces préconisations se concrétisent.

M. Jean-Claude Carle. - Je félicite notre rapporteur pour son travail fouillé et le climat serein qu'il a su imprimer à nos réunions. Vous dites, à juste titre, qu'une bonne orientation commence par une bonne information. Or, l'information ne manque pas, au contraire, son abondance est telle qu'il est complexe de l'organiser. Que l'on ne soit pas parvenu à réunir en un seul portail Centre Inffo et l'ONISEP en dit long sur l'inertie du système.

Vous insistez également à juste titre sur la nécessité d'approfondir les relations entre le monde économique et l'éducation nationale, sans pour autant verser dans un dangereux adéquationnisme. J'y ajouterais la relation avec les élus locaux, auxquels les lois de décentralisation ont conféré des compétences en la matière.

Voilà dix ou vingt ans que l'on répète qu'il faut passer d'une orientation subie à une orientation choisie. On est là face à un enjeu culturel, qui demande à s'inscrire dans les pratiques plus que dans les textes, mais il faut, comme le disait Corinne Bouchoux, s'en soucier dès le plus jeune âge. Songeons que parmi les 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système sans diplôme ni qualification, un sur deux a connu un accident de parcours dans le premier cycle. C'est à cela qu'il faut s'attaquer, dans un pays où le déterminisme social est total. Si l'on veut rétablir l'égalité, il faut rompre avec un système qui privilégie ceux qui savent, bien souvent les enfants d'enseignants, ou ceux qui ont les moyens de trouver ailleurs que dans le système éducatif les connaissances nécessaires à la réussite. Vous préconisez la création d'un ministère chargé de l'orientation. Je ne sais si cette solution, de nature à renforcer les cloisonnements, est la bonne. Car il y faut une vision transversale, prenant en compte à la fois la politique de la famille, de la ville et de l'éducation, soit la moitié de l'effort de la nation.

Encore une fois, je vous félicite pour cet excellent rapport, dont j'espère qu'il ne fera pas qu'enrichir les rayons de la bibliothèque du Sénat.

M. Claude Kern. - Je salue à mon tour la qualité de ce rapport et l'entente qui a régné au sein de notre mission, sous la houlette du président Magner. Le groupe de l'UDI-UC se retrouve complètement dans les conclusions de ce rapport, qui doit insuffler une nouvelle ambition à l'orientation scolaire. Comme chacun, je souhaite qu'il ne se solde pas par un classement sans suite, mais que ses recommandations soient suivies d'effet.

Hier soir, je rencontrais des chefs d'entreprise, qui s'inquiètent de ne pas trouver de personnel qualifié, alors que la relance s'annonce. Des postes sont ouverts, notamment dans le bâtiment mais aussi dans le commerce, que l'on ne parvient pas à pourvoir, faute de candidats qualifiés. On m'a même cité l'exemple d'un poste de couvreur pour lequel Pôle emploi n'a trouvé à envoyer qu'un jeune avec une formation STAPS.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je salue le travail qui a débouché sur ce rapport dont, vous vous en doutez, je ne partage pas toutes les conclusions.

Nous avons tous pu mesurer combien la question de l'orientation est complexe, et nous sommes tous d'accord sur l'exigence d'en finir avec l'orientation par l'échec. Mais je ne vois pas comment on y parviendra, eu égard aux déterminismes sociaux que pointait Jean-Claude Carle, sans se préoccuper des mécanismes qui conduisent à l'échec scolaire. C'est en ce sens que je suis prête à vous rejoindre sur la nécessité de prendre en compte l'amont : on ne s'émancipera pas de l'orientation par l'échec sans entreprendre de lutter contre l'échec scolaire. Il ne s'agit pas, ce faisant, d'orienter plus en amont ; un enfant de sixième, voire de troisième n'est pas en mesure de choisir un métier, alors que les métiers ne cessent d'évoluer et exigent une élévation permanente des connaissances. Le groupe CRC plaide plutôt pour une orientation plus tardive et un allongement des temps de scolarité, pour autoriser des périodes de remédiation. Il est certain qu'il faut envisager une réarticulation de tous les cycles et penser des passerelles. Je peux partager l'idée de l'année de césure, qui laisse le temps de prendre de la maturité, mais je ne saurai vous suivre sur d'autres options et ne partage pas la philosophie générale de votre rapport. Si nous procédons par examen individuel de vos recommandations, nous pourrions vous suivre sur certaines, mais en gardant à l'esprit qu'elles requerront des moyens qui se font rares aujourd'hui. Voyez la formation continue des enseignants, qui fait partie des données du problème : il n'en reste pour ainsi dire rien.

Mme Françoise Férat. - Même si nous sommes au fait du problème au point que nous pouvons avoir le sentiment d'enfoncer des portes ouvertes, entendre rappeler ici la situation fait mal. Je suis parfaitement d'accord avec ce qu'a dit Jean-Claude Carle sur l'école primaire. Comment voulez-vous qu'un enfant de sixième qui est incapable de lire couramment et de comprendre l'énoncé d'un problème soit en confiance pour aborder l'avenir ? Nous avons un vrai travail de fond à mener.

Je salue nombre de préconisations audacieuses mais également marquées au coin du bon sens. Je m'arrêterai sur deux d'entre elles. Vous recommandez, tout d'abord, un transfert des CIO aux régions. Pour avoir travaillé à plusieurs reprises, sur sollicitation des ministres de l'agriculture, à l'exception du dernier, sur l'enseignement agricole, j'ai pu mesurer l'intérêt de la proximité. Ce qu'a dit Claude Kern tout à l'heure est très juste. Dans la voie professionnelle, c'est en s'appuyant sur tous les maillons de la chaîne, région par région, car chacune a ses spécificités, que l'on apportera des solutions. C'est aussi pourquoi il me semble intéressant qu'un chef d'entreprise puisse présider le conseil d'administration d'un établissement scolaire. C'est lui qui, connaissant les besoins de son territoire, peut faire en sorte que la formation soit au plus près de ces besoins. Comme mes collègues, je forme le voeu que les pistes ouvertes par ce rapport ne restent pas inexplorées.

Mme Marie-Pierre Monier. - J'ai longtemps été professeur principal de collège et je retrouve, dans vos propos, certaines de mes interrogations. Je ne peux que vous suivre lorsque vous préconisez que les conseillers d'orientation soient davantage présents dans les établissements. Les professeurs principaux font un travail remarquable, mais ils ont besoin de s'appuyer sur un référent.

Vous appelez à un travail dans la continuité et je vous suis également sur ce point. Pour avoir travaillé, dans des classes de quatrième, à des mises en situation en entreprise, j'ai pu en mesurer le bénéfice. Mais le problème, c'est que l'on nous a enjoints, par la suite, de réserver de tels stages à la classe de troisième.

Le choix d'orientation doit être le fruit d'un processus. Car si l'information est bel et bien disponible, elle est extrêmement vaste. Cela suppose de travailler avec les enfants, comme j'ai eu l'occasion de le faire, depuis la sixième jusqu'à la troisième, pour leur faire mesurer ce que signifie faire un choix. C'est un travail important, qui doit être fixé dans l'emploi du temps, par petits groupes. Le temps d'orientation est un travail, dont les modalités doivent être formalisées. Cela peut passer, aussi, par des visites dans les établissements. Bien souvent, les enfants font des choix par défaut parce qu'ils hésitent à s'éloigner de chez eux.

M. Jacques Grosperrin. - Je félicite à mon tour le rapporteur, le président et l'ensemble des membres de la mission, dont on perçoit qu'elle a travaillé dans un esprit républicain. Le problème de l'orientation est ancien, et j'espère comme tous que ce rapport ne finira pas sur une étagère. Il s'agit, ainsi que l'a souligné le rapporteur, de repenser l'évaluation et les compétences. Car les choix retenus pour l'heure font du collège un petit lycée, lequel est lui-même devenu une préparation à l'université. Le brevet en est la preuve et il ne serait pas mauvais de le supprimer. Si l'on ne s'interroge pas sur l'évaluation, qui, à la différence du contrôle de connaissances, est un processus dynamique, car il s'agit de comprendre comment l'élève travaille et les difficultés qu'il rencontre, on ne remédiera pas aux problèmes de l'orientation.

Je m'interroge également sur la suppression, en 2012, des dispositifs qui permettaient d'initier les élèves à une filière professionnelle dès la classe de quatrième. Je comprends le souci d'aller aussi loin que possible dans les enseignements généraux, pour éviter de placer les élèves dans un système tubulaire, mais il reste que certains enfants ont besoin d'une orientation rapide, parce que le système scolaire ne leur permet pas de réussir ou parce qu'ils ont d'autres appétences. C'est l'enseignement qui est obligatoire jusqu'à 16 ans, pas la scolarité : quid des enfants qui ne vont pas à l'école ? Ils sont certes évalués chaque année, mais ce n'est pas simple. Qu'en est-il de leur orientation ?

Le conseiller d'orientation exerce un vrai métier. Il serait sans doute préférable qu'il ne reste pas cantonné au système scolaire, dans un exercice endogène, et puisse aller voir comment fonctionnent les choses ailleurs.

Mme Marie-Christine Blandin. - J'ai apprécié l'exposé qui vient de nous être livré par le rapporteur. J'abonde dans le sens de l'une de ses propositions, pragmatique. Il ne suffit pas, a-t-il dit, d'élaborer des parcours d'orientation, encore faut-il donner à l'orientation un temps clairement identifié, faute de quoi elle se dissoudra sous l'effet des exigences des autres disciplines.

Mes louanges ne s'arrêtent pas là. Je vous suis reconnaissante pour une autre proposition que vous mettez en avant : mettre dans la même classe des apprentis et des élèves sous statut scolaire, en donnant aux premiers les mêmes avantages qu'aux seconds. Plus que les appels lancés dans l'hémicycle pour abaisser l'âge légal de l'apprentissage, une telle mesure constitue un signal fort pour faire comprendre que les métiers manuels ne sont pas de deuxième ordre, et que l'orientation vers ces métiers ne se fait pas par défaut. C'est en asseyant les jeunes côte à côte sur les mêmes bancs que l'on créera le respect, que l'on suscitera des vocations dans les deux sens et que l'on irriguera, sous cette impulsion, l'orientation. Je vous recommande, chaque fois que vous serez dans l'hémicycle, de promouvoir cette idée pour peu que le sujet le permette, et chaque fois que vous n'y serez pas, je le ferai en votre nom.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur. - Corinne Bouchoux m'interroge sur le transfert des CIO aux régions. J'ai été dix ans durant directeur d'un centre de formation d'apprentis, j'ai été chef d'établissement, j'ai été inspecteur chargé de l'apprentissage dans l'académie de Strasbourg : je ne suis pas un théoricien. Pour que quelque chose marche, il faut un pilote, un responsable, telle est ma conviction. Or, en la matière, une clarification s'impose, d'autant que la loi NOTRe a changé la donne. Reste le problème des conseillers-psychologues : leur proposer un droit d'option me semble de nature à le lever. On a vu ce que cette solution raisonnable a donné avec les IATOS.

Éradiquer l'échec scolaire est le maître-mot, avez-vous dit. N'oubliez pas, cependant, que cette mission ne porte pas sur le fonctionnement de l'éducation nationale, mais sur la question, plus circonscrite, de l'orientation. Cela étant, il est évident que l'on ne peut dissocier orientation et échec scolaire. C'est pourquoi je préconise une orientation suivie dès le plus jeune âge, pour définir, dans une sorte de passeport, les compétences et les appétences de l'élève au long de son parcours. Je suis intimement convaincu que chaque jeune a des atouts, qu'il faut pouvoir prendre en compte pour construire positivement son avenir professionnel. L'orientation fait partie de la mission de chaque enseignant, mais on n'a jamais mis cette exigence au même rang que les disciplines. Il faut prendre la question à bras-le-corps, et c'est pourquoi je rappelle que si les CIO mériteraient d'être décentralisés, l'éducation nationale n'en reste pas moins le principal acteur de l'orientation et des affectations. Ce qui pour moi importe, c'est d'apporter un regard plus attentif à l'orientation, tout au long de la vie scolaire.

Beaucoup se sont inquiétés du sort malheureux que pourrait connaître, après d'autres, ce rapport. Je n'en suis pas sûr. À mes yeux, ce n'est pas tant par la loi que par une volonté politique claire qu'un certain nombre de ces recommandations peuvent trouver à s'appliquer. Certes, il faudra en passer par une proposition de loi, mais ces recommandations doivent être portées avant tout par une volonté du Gouvernement, pour ce qui relève du domaine réglementaire, et des établissements eux-mêmes, au travers du projet d'établissement. C'est au ministre d'avoir une vision globale, pour les en convaincre.

Mme Blondin relève que certaines de mes préconisations ont déjà été formulées. Je ne le récuse pas, car c'est une force : j'ai été agréablement surpris de constater, lors de l'audition que nous venons d'avoir avec le secrétaire d'État chargé de l'enseignement et de la recherche, que certaines des recommandations que j'émets commencent à se traduire dans la réalité. C'est le signe que les choses avancent, et qu'il y faut, avant tout, une volonté politique.

J'ai salué le parcours Avenir, mais je crains que, si on ne lui affecte pas un horaire précis, même globalisé pour plus de souplesse, il ne disparaisse ou ne reste embryonnaire.

Jean-Claude Carle a raison de dire que l'information existe, mais qu'elle est profuse. C'est pourquoi je propose la fusion d'un certain nombre d'instances, qui relèvent, pour l'heure, de ministères différents. Les jeunes, via internet, ont accès à ces informations, mais comment les trier, les hiérarchiser, pour en tirer profit ? C'est bien pourquoi il doit y avoir un accompagnement.

Il est vrai, comme le souligne Claude Kern, que l'on ne trouve plus de candidats formés pour certains postes. C'est pourquoi il importe de valoriser les réussites, dans le bâtiment ou l'alimentaire, pour montrer que ce ne sont pas de sots métiers, mais des métiers de réussite. Et c'est pourquoi je dis, madame Gonthier-Maurin, qu'il faut mieux associer le monde professionnel : il s'agit d'en donner une image positive et de montrer le patron non comme un exploiteur, mais comme quelqu'un qui permet aux jeunes de réussir : un jeune maçon, un jeune boucher, un jeune coffreur a de l'avenir, et dans bien des métiers en manque de vocations, on gagne plutôt bien sa vie. Quiconque a dû acquitter la facture d'un plombier venu le dépanner me comprendra.

Mais encore une fois, il ne faut pas stigmatiser d'entrée de jeu, et c'est pourquoi je mets en avant la notion de lycée polyvalent. Affecter les jeunes dans un établissement polyvalent - ou dans un réseau d'établissements, car je reste réaliste - évite de coller une étiquette d'entrée de jeu. La création de classes mixtes est également essentielle à mes yeux, et je remercie Marie-Christine Blandin de son soutien à cette proposition. Je l'ai constaté sur le terrain, mêler des élèves sous statut scolaire et des apprentis, voire des personnes en formation continue, modifie complètement l'état d'esprit et le climat de la classe. L'approche de l'enseignant diffère du tout au tout, la qualité d'écoute en est transformée et la complémentarité joue à plein. On peut, grâce à la porosité qu'autorise une telle mixité, passer d'un statut à l'autre sans perdre une année, contrairement à ce qui se passe à l'heure actuelle.

Marie-Pierre Monier s'interroge sur le temps de présence dans les établissements des conseillers d'orientation-psychologues. Ces conseillers, qui jouent un rôle important, sont tiraillés entre de nombreuses tâches, dont beaucoup ne relèvent pas de l'orientation stricto sensu. Il faut clarifier leur mission et les intégrer dans un réseau d'établissements, ce qui les rendra plus disponibles pour accompagner le professeur principal, en particulier dans les cas difficiles.

Sur la question de l'échec scolaire, madame Gonthier-Maurin, je crois vous avoir répondu. Vous dites que celles des propositions auxquelles vous pourriez souscrire supposent des moyens, qui manquent. Mais je n'accepte pas que l'on excuse l'échec par l'absence de moyens. Pour moi, il est plus juste de parler de manque de priorités que de manque de moyens. Et définir des priorités est d'autant plus nécessaire lorsque les moyens sont réduits.

J'ai souvent cité l'enseignement agricole qui vous tient à coeur, madame Férat, parce qu'il est bon de s'inspirer de ce qui marche. Qu'un professionnel puisse être, dans ces établissements, président du conseil d'administration n'enlève rien au proviseur.

M. Jacques-Bernard Magner, président de la mission d'information. - Madame Gonthier-Maurin, ne nous faites pas dire ce que nous n'avons pas dit ! Il ne s'agit pas de préconiser une orientation précoce mais, au contraire, de la retarder lorsque cela est possible. N'assimilons pas non plus l'échec scolaire à un défaut d'orientation. C'est loin d'en être la seule cause.

Je salue le souci de valoriser l'enseignement professionnel, dont on parle beaucoup mais pour lequel on fait peu, et la méthode de l'alternance, qui profite à l'orientation car c'est en expérimentant que l'on peut mesurer si l'on est capable et intéressé. Je félicite encore une fois Guy-Dominique Kennel pour son rapport.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie de votre implication dans ce travail, qui n'est pas destiné à prendre la poussière sur une étagère mais doit au contraire se traduire rapidement en actes. Ainsi que l'a souligné le rapporteur, toutes ses propositions n'ont pas vocation à se traduire dans un texte de loi, car beaucoup relèvent du règlement. Je note cependant que celle qui consiste à transférer les CIO aux régions mérite une initiative législative. Il faut, à tout le moins, poursuivre la réflexion sur ce sujet. Je vous proposerai donc, pour que vive ce rapport, de demander un débat en séance publique pour la rentrée. D'autant que la commission des affaires sociales et la délégation aux entreprises a récemment formulé quelques propositions sur l'apprentissage, ce qui nourrira nos échanges.

Il y a urgence à prendre des mesures fortes et à engager, comme le précise le rapporteur, certaines expérimentations.

La commission autorise la publication du rapport.

La réunion est levée à 12 h 30.